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Copyright 2021 Dominique Tronc

Les origines de la Filiation Franciscains, P. Chrysostome,Marie des Vallées







Les origines de la Filiation



Franciscains & P. Chrysostome,

Marie des Vallées











Sources



(10)217.Expériences IV Ecole du coeur 24déc20



(43) Chrysostome 18 avril antidoté



(52) MARIE_DES_VALLEES_Arfuyen_20oct2010

(52) Correctif pour Marie des Vallées éd Arfuyen juin 2013



(53) MdV_DEFINITIF_3jan13_nettoyé_antidoté



(54) Influence mystique et postérité de M des V (Courances 1juin13)


















Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)





Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise,

Fondateur de l’École du Pur Amour.











Dossier de sources transcrites et présentées

par Dominique Tronc.










Ce dossier contient de larges extraits prélevés dans les sources qui nous éclairent sur les débuts de «l’école du cœur» :

Présentation

Les débuts du tiers Ordre franciscain — Vincent Mussart — Notices (J.-M. de Vernon)

La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest (J.-M. de Vernon)

L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome (Henri-Marie Boudon)

Divers exercices de piété et de perfection (Chrysostome de Saint-Lô édité par M. de Bernières)

Divers traités spirituels et méditatifs (Chrysostome de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)

Deux directions : Monsieur de Bernières et Mère Mectilde (Extraits prélevés dans les sources précédentes)



J’omets la transcription de près de la moitié des Divers exercices de piété et de perfection, gros assemblage de six cents pages d’écrits recueillis «de notre bon Père». Il s’agit d’exercices méditatifs et ascétiques. Ils soulignent les épreuves subies par Jésus-Christ, le modèle pour François d’Assise qui fut fidèlement repris à l’Ermitage de Caen. Ils constituaient des supports utilisés tous les jours et lors des retraites par les Associés de l’Abjection. Marquées par un esprit de grande humilité et de simplicité franciscaine, mais aussi par le dolorisme propre aux dévots du Grand Siècle, des sections sont écourtées lorsqu’elles s’avèrent répétitives et mettent alors mal en valeur la fraîcheur spontanée propre à la vie des mystiques. Par contre la dernière partie de l’assemblage livre les directions personnelles assurées par le P. Chrysostome. Elle est admirable.



Présentation



Jean-Chrysostome naquit vers 1594 dans le diocèse de Bayeux en Basse-Normandie, et étudia au collège des jésuites de Rouen. Âgé de dix-huit ans, il prit l’habit, contre le gré paternel, le 3 juin 1612 au couvent de Picpus à Paris1. Il fut confirmé dans sa vocation par un laïc, Antoine le Clerc, sieur de la Forest : ce dernier est donc le probable «ancêtre» du courant spirituel de l’Ermitage qui passe par Chrysostome, par Bernières et Mectilde-Catherine de Bar, et par bien d’autres dont Monsieur Bertot, Madame Guyon.

Les origines et le sieur de la Forest (1563-1628)

Un aperçu biographique intéressant nous est donné par l’historien du Tiers Ordre franciscain Jean-Marie de Vernon, qui consacre très exceptionnellement plusieurs chapitres à Antoine le Clerc2 :

À vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s’adonnant principalement au droit. [...] Il tomba dans le malheur de l’hérésie [528] d’où il ne sortit qu’après l’espace de deux ans. [...] Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l’âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay. [...]

[532] Un lépreux voulant une fois l’entretenir, il l’écouta avec grande joie, et l’embrassa si serrement, qu’on eut de la peine à les séparer. [...] Une autre peine lui arriva, savoir qu’étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. [535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail. [...]

Dieu lui révélait beaucoup d’événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste [sur lequel J.-M. de Vernon s’étend longuement, citant de multiples exemples], il avertissait les pécheurs [...] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient; à d’autres il indiquait en particulier ce qu’ils étaient obligés de restituer. [...] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières. [...] [537] Le père Chrysostome de Saint-Lô […] a reconnu par expérience en sa personne la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusques aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée. [...]

Quatre mois devant sa mort, étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s’entretenait sur [542] les merveilles de l’éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l’effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : «Je sais que tu es l’ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté; mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit.» L’esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort; ses forces diminuèrent toujours depuis et il tomba tout à fait malade au commencement de l’année 1628. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l’auguste eucharistie dans l’estomac qu’il vit son âme environnée d’un soleil, et entendit cette charmante promesse de Notre Seigneur : «Je suis avec toi, ne crains point.» Les flammes de sa dilection s’allumèrent davantage, et il ne s’occupait plus qu’aux actes de l’amour divin, voire au milieu du sommeil.

[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l’amour de Dieu, qu’il devint immobile et fut ravi. [...] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier [...] il rendit l’esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l’amour divin. [...] On permit [544] durant tout le dimanche l’entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus.

Le maître caché des mystiques normands

Le Père Chrysostome de Saint-Lô a été plus négligé encore que Constantin de Barbanson. Pourtant, «les indices de l’influence de Jean-Chrysostome sont de plus en plus nombreux et éclairants : le cercle spirituel formé par lui, les Bernières, Jean et sa Sœur Jourdaine, Mectilde du Saint Sacrement et Jean Aumont (peut-être tertiaire régulier) auxquels les historiens en ajouteront d’autres (de Vincent de Paul à Jean-Jacques Olier), a vécu une doctrine d’abnégation, de «désoccupation», de «passivité divine3».

Il est la figure discrète, mais centrale à laquelle se réfèrent tous les membres du cercle mystique normand, qui n’entreprennent rien sans l’avis de leur père spirituel (seule «Sœur Marie» des Vallées jouira d’un prestige comparable). Ce que nous connaissons provient de la biographie écrite par Boudon4, et les connaisseurs de l’école des mystiques normands Souriau5, Heurtevent6, plus récemment Pazzelli7, n’ajoutent guère d’éléments. Tout ce que nous savons se réduit à quelques dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il est discret quant aux faits. Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent, suivant le schéma canonique «de la vie aux vertus», mais le contenu spécifique au héros se réduit à quelques paragraphes.

Il assura le rôle de passeur entre l’ancien monde monacal et un monde laïque. En témoignent des lettres remarquables de direction de Catherine de Bar et de Jean de Bernières. Nous en reproduirons (pour la première fois) certaines dans les chapitres suivants consacrés à ces disciples.

Lecteur en philosophie et théologie à vingt-cinq ans, il fut définiteur de la province de France l’an 1622, devint définiteur général de son ordre et gardien de Picpus en 1625, puis de nouveau en 1631, provincial de la province de France en 1634, premier provincial de la nouvelle province de Saint-Yves, en 1640, après que la province de France eut été séparée en deux.

Le temps de son second provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Sainte-Élisabeth de Paris, qui fut son dernier emploi à la fin de sa troisième année [de provincialat]. [...] Au confessionnal dès cinq heures du matin, il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il lieu de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour [y] retourner aussitôt8.

Il alla en Espagne par l’ordre exprès de la Reine, pour aller visiter de sa part une visionnaire, la Mère Louise de l’Ascension, du monastère de Burgos. Voyage rude imposé par un monde qui n’est pas le sien :

Libéral pour les pauvres […] il ne voulait pas autre monture qu’un âne. […] Dans les dernières années de sa vie il ne pouvait plus supporter l’abord des gens du monde et surtout de ceux qui y ont le plus d’éclat9.

Aussi, libéré de son provincialat, il éprouve une sainte joie et ne tarde pas à se retirer :

Il ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits et les mettre dans une besace dont il se chargea les épaules à son ordinaire [...] passant à travers Paris [...] sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis10.

Il enseignait «qu’il fallait laisser les âmes dans une grande liberté, pour suivre les attraits de l’Esprit de Dieu […]; commencer par la vue des perfections divines […]; ne regarder le prochain qu’en charité et vérité dans l’union intime avec Dieu11». Il eut de nombreux dirigés :

L’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis [...] courir avec ferveur. [...] La première est feu M. de Bernières de Caen. [...] La seconde personne [...] qui a fait des progrès admirables [...] sous la conduite du Vénérable Père Jean-Chrysostome a été feu M. de la Forest [qui] n’eut pas de honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître12.

Enfin, après cette vie intense, l’incontournable chapitre terminant la vie d’un saint ne nous cache aucunement l’agonie difficile :

Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur [...] pour y voir la Révérende Mère du Saint Sacrement [Mectilde de Bar], maintenant supérieure générale des religieuses bénédictines du Saint Sacrement. Pour lors, il n’y avait pas longtemps qu’elle était sortie de Lorraine à raison des guerres, et elle vivait avec un très petit nombre de religieuses dans un hospice. [...] Elle était l’une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie : il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne Mère. [...] Au retour de Saint-Maur, [...] il entra dans des ténèbres épouvantables. [...] Il écrivit aux religieuses : «Mes chères Sœurs, [...] il est bien tard d’attendre à bien faire la mort et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi. [...] C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection de mourir avec de la paille. [...]» L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646, âgé de 52 ans] fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher13.

Je vais maintenant livrer l’intégralité de ses écrits. Ils nous sont parvenus en deux livres rares publiés au milieu du dix-septième siècle. L’importance de leur direction mystique justifie de lire l’ensemble de style sévère proche des écrits du Moyen Âge. Il s’agit de méditations et de retraites qui introduisent à la grandeur divine.



Les débuts de l’Ordre & Vincent Mussart



Pages 114 et suivantes de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome Troisiesme,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

Traité préliminaire où l’on voit la naissance du tiers Ordre de saint François, tant Seculier que Regulier; la distinction des Provinces, et l’établissement des couvents14.



À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.





(Pages 114 et suivantes)

Article XVIII. La restauration des tertiaires réguliers en France en 1595 par le révérend père Vincent Mussart ou de Paris.

... Il s’appelait Vincent Mussart et naquit à Paris dans la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois le 13 mars l’an 1570. Ses parents de condition médiocres… Son père homme sérieux semblait lui être contraire dans ce dessein... Étant sadique des pères capucins de Paris nouvellement établi, il eut bien désiré qu’il se fût rangé de ce côté-là : mais Dieu en disposa autrement. ... Il reçut le sacrement de confirmation avec la tonsure, à Paris, de l’évêque de Lusignan, l’an 1588... L’habit érémitique qu’il prit dès lors lui donna lieu de s’associer avec un jeune homme qui entrait dans ses sentiments.

Quelque temps après il se trouva renfermé dans la ville de Chartres, que le roi de Navarre qui depuis a monté sur le trône du royaume de France sous le titre de Henry IV, tenait assiégée... On le vit courir à la brèche, la pique à la main pour la défendre, et animer les défenseurs à la persévérance : une volée canon ayant brisé cette arme, il ne perdit pas courage; quoi que le sang et la cervelle de plusieurs, qui furent tués à ses côtés, plus tout souillé lui-même par leur ordre jaillissement, il persista dans le combat avec tant d’adresse et de magnanimité, que le roi de Navarre qui commandait dans le camp des assiégeants, le remarqua, l’admira et demanda son nom....

... Après la prise de cette ville par les hérétiques, s’en retourna à Paris, où il entra dans diverses confréries, comme des pénitents gris qui avaient Saint-François pour leur patron.

... Il courut dans son désert ordinaire, où il conçut de grandes espérances du succès de l’ouvrage auquel Dieu l’appelait, par la rencontre d’un ermite nommé frère Antoine Poupon, qui demeurant non beaucoup loin de Paris, il avait acquis de la réputation par sa bonne vie; une vertueuse demoiselle flamande, qui était du tiers Ordre séculier, lui administrait ce qu’il avait de besoin. Ces deux confrères aspirants à une plus haute perfection établirent leur domicile pour quelque temps dans la forêt de Sénart entre Corbeil et Melin : ils avaient là une petite chapelle qui leur servait d’oratoire, et leur logement ne consistait qu’en un chétif appentis qu’ils sanctifiaient par la pratique des vertus et par leurs prières ferventes et assidues. Ne se voyant pas assez écartés du monde, comme ils croyaient, à cause de la proximité d’un grand chemin, ils se transportèrent au Val-Adam, environ à quatre lieux de Paris.

Article XIX. Le père Vincent de Paris surmonte des difficultés extrêmes dans le rétablissement du tiers Ordre Régulier.

La première contrariété lui fut suscitée par les chanoines réguliers d’une abbaye voisine, qui se persuadant que ce jeune homme d’un esprit excellent établirait quelque congrégation trop proche d’eux, ne lui permirent pas de séjourner davantage sur leurs terres. La deuxième année du siège de Paris qui tenait pour la Ligue, Henri IV, environnant cette grande ville avec son armée, les deux bons ermites n’en pouvaient tirer aucun secours : toute la nourriture consistait alors en désert les racines sauvages qu’il rencontrait dans leur solitude. Le père Vincent quoi que ravi de souffrir pour l’amour de Dieu en devint malade le jour de l’Assomption de Notre-Dame l’an 1592. Sa maladie ayant duré l’espace de trois mois, Dieu le consola intérieurement dans une communion par des grâces extraordinaires qui le fortifièrent pour endurer avec constance les outrages qu’exercèrent sur lui le lendemain les voleurs, qui après l’avoir traité inhumainement, emportèrent tout ce qui était dans leurs cellules.

Cet accident l’obligea de s’efforcer avec son compagnon de trouver entrée dans Paris. Ils tombèrent entre les mains de Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris, parce que le siège devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de pendre les deux ermites. Frère Antoine en ayant eu avis secrètement par une demoiselle prisonnière, le malade qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avaient mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément. La faiblesse de celui-là les arrêta tous deux le reste de la nuit derrière un vieux bâtiment non loin du lieu d’où ils sortaient. Dès que les suisses furent partis, Antoine portant Vincent sur ses épaules une partie du chemin, ils arrivèrent à Paris accablé de peines et de fatigues, auquel celui-ci participait davantage à cause de ses infirmités qui s’étaient accrues par le pain noir et l’eau dont il usait pour sa réfection depuis un long temps.

Les médecins qui le visitèrent dans sa maison paternelle jugèrent sa maladie incurable.

De fait dès qu’il eut recouvré sa guérison entière, il retourna dans son Val-Adam où Frère Antoine était en d’extrêmes souffrances. D’autres se joignirent à lui en ce même temps, principalement son frère appelé François Mussart, et un jeune homme de Langres nommée Jérôme Seguin.

La Providence de Dieu les conduisit à Franconville sous le bois, du diocèse de Beauvais... Monsieur l’évêque de Beauvais... Leur fuite expédiée d’amples patentes pour l’établissement d’un monastère en ce lieu de Franconville... Le père Vincent tachant plus que jamais de découvrir la volonté de Dieu, connue par le rapport de frère Antoine, que la manière de vivre de la demoiselle flamande, qui le faisait autrefois subsister par ses aumônes, consistait dans la troisième règle de Saint-François-d’Assise : après une exacte recherche, il trouva celle qui a été confirmée par Nicolas IV... Ayant visité plusieurs bibliothèques de Paris, il rencontra dans celle de Monsieur Acarie, Marie de sœur Marie de l’Incarnation, avant qu’elle entra dans l’ordre des Carmélites, les commentaires du docteur extatique Denis Rykel Chartreux, sur la troisième Règle de Saint-François.

... Aux quatre associés déjà nommés se joignirent [suis une liste de 13 noms]...

Article XX. Le progrès de la congrégation gallicane depuis le commencement de sa réforme.

Le nombre des imitateurs du père Vincent de Paris, croissant non seulement par l’association des six qui firent les vœux essentiels avec lui et des autres que j’ai nommés déjà; mais encore de quelques nouveaux venus, il établit un monastère à Paris avec la permission de l’évêque, l’an 1601 en un lieu vulgairement appelé Picpus, de la paroisse Saint-Paul, à l’extrémité du faubourg de Saint-Antoine, et sur le grand chemin qui conduit au château du bois de Vincennes.... [Recours au Saint-Siège, etc.... Premier chapitre à Franconville le 14 mai 1604]



(Page 187)

[Élection du P. Chrysotome provincial de France]

... En 1634 le père Elzéar fut continué visiteur pour la troisième fois. On élut le père Chrysostome de Saint-Lô provincial de France; le père Vincent de Rouen, celui d’Aquitaine. En 1637...



(Pages 244-245)

§. XXII. Les personnes remarquables de la province de Saint-François [Vincent de Paris annote Denis le Chartreux]

... Le révérend père Vincent de Paris, réformateur de notre congrégation gallicane, était un personnage autant accompli que nous en ayons vu dans notre siècle... C’est assez maintenant que je parle de ses écrits. Ces annotations sur les commentaires de Denis le Chartreux, surnommé Rikel, qui a interprété notre règle, sont dignes d’être lues, non seulement pour les lumières qu’il donne sur ce sujet; mais encore pour les instructions qu’il propose, afin de faciliter la pratique de toutes les vertus. Il a composé un livre de l’oraison mentale qu’il intitule, Théologie mystique,...







Notice sur le P. Chrysostome



Pages 624 à 626 de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome second, Les Vies des Personnes illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI & XVII,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.







13. Le Père Chrysostome de Saint-Lô causa une extrême douleur à notre compagnie par son décès qui arriva le 26 mars 1646 au couvent de Nazareth situé dans Paris. C’était un véritable enfant de Saint-François, par l’amour de sa propre abjection, et par son entier détachement du monde. Il faisait grand honneur à notre compagnie, alliant ensemble le bon sens et la profonde science avec la simplicité évangélique; la tranquillité de la contemplation, et la fidélité aux exercices réguliers, avec l’administration des affaires de son ordre.

Son éloge est renfermé dans la souscription de son Image, qui fut imprimé après sa mort par le commandement de nos supérieurs, avec ce peu de paroles : «le père Chrysostome de Saint-Lô, religieux pénitent du tiers Ordre de Saint-François, grand contemplatif, consommé de l’amour de Dieu, du zèle de sa gloire et de ses grandes pénitences, mourut âgé de 52 ans le 26 de mars 1646.» La lettre qu’écrivit l’illustrissime archevêque de Reims, Éléonor d’Étampes, l’une des plus fortes têtes de notre clergé de France, dès qu’il eut appris son décès, déclare de quelle manière on le vénérait. Elle s’adresse au père Oronce de Honfleur [page 629, notice : «... qui est décédé dans son cinquième provincialat, au couvent de Nazareth à Paris le 27 avril 1657 en son âge de 61 ans… C’était l’un des hommes du monde le plus propre à gouverner les autres. Il commandait de bonne grâce, mêlant heureusement la suavité avec la force], pour lors notre provincial.

«À Reims le 22 avril 1646.

Mon révérend père quand j’ai reçu celle qu’il vous a plu m’écrire, je savais déjà la perte que nous avons faite du bon père Chrysostome : cette triste nouvelle m’a fait beaucoup de peine et me donne beaucoup de déplaisirs, tant à cause de l’estime particulière que je faisais de sa personne, que parce que votre province perd en lui un puissant protecteur. Je sais combien grande étais l’amitié entre vous deux, ce qui fait que je vous plains dans cet accident; mais il se faut consoler dans cette considération, que la fin de sa vie lui a fait obtenir la récompense de sa vertu et de ses bonnes actions. Il est bien heureux : ainsi, ne doutons pas qu’il ne prie Dieu pour nous; pour moi j’aurai toujours affection pour votre province, et je lui rendrai mes services tant qu’il sera dans mon pouvoir. Je vous prie d’en assurer le révérend père Irénée, et me croire en votre particulier, mon révérend père, votre très affectionné à vous rendre service, L. d’Étampes, Ar. de Reims.»

L’un des meilleurs esprits de notre siècle, bien persuadé des mérites du père Chrysostome de Saint-Lô, composa l’épitaphe suivant à sa louange :

«Hic jacet in silentio, qui dum vixit, in omni virtutum genere eminuit...»

Ces témoignages étant donnés par des hommes illustres et désintéressés, ne peuvent être révoqués en doute15. Le père Chrysostome avait l’approbation universelle des grands et des petits. Les reines Marie de Médicis et Anne d’Autriche, estimaient sa vertu et ses lumières. Monsieur de Châteauneuf, garde des Sceaux, l’avait pris pour son professeur. Plusieurs autres de haute condition et naissance le révéraient en cette qualité. Ses écrits de dévotion ravissent encore aujourd’hui les lecteurs; tâchons d’imiter son exemple.



La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest



Pages 527 à 544 de :

Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize,

Tome second, Les Vies des Personnes illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI & XVII,

Par le R.P. Jean Marie de Vernon, Penitent,

À Paris Chez Georges Josse, ruë saint Jacques, à la couronne d’Espines.

M.DC.LXVII.







Jean-Marie de Vernon publie l’histoire des Tiers Ordres franciscains menée jusqu’au milieu du XVIIe siècle en trois fort volumes. Il ne consacre qu’une très faible fraction à des laïcs, surtout lorsqu’ils ne sont ni reines, ni rois, ni nobles. Au-delà de simples paragraphes, tel celui citant l’associé Bernières16, on ne trouve, en ce qui concerne les figures liées par des vœux simples -- nombreux à venir dans la filiation et incluant madame Guyon --, que les cinq pleins chapitres exposant «La vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest».

Malgré une présentation hagiographique conventionnelle sur des débuts dévots se dessine une figure mystique douée et originale, dont on devine l’influence exercée sur des personnalités nombreuses, dont celle du futur Père Chrysostome. Elle est attestée ainsi pour ce dernier par Boudon dans un passage que nous reproduirons17  : «Nous avons dit comme M. de la Forêt ne rebutait pas ses lettres, et voulait bien même lui faire réponse. Mais quelques années après, ce jeune écolier [Jean-Chrysostome] s’étant fait religieux, et ayant été envoyé à Paris, il eut une sainte liaison avec ce grand serviteur de Dieu [Antoine], qui ayant découvert en lui des lumières admirables qui lui étaient données pour mener les âmes à Jésus-Christ, et qui étaient accompagnées d’une haute sainteté, il n’eut pas honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître, et de se mettre sous sa conduite. Le Père composa sa vie après sa mort, dans laquelle il a décrit dignement ses éminentes vertus et les grâces signalées qu’il avait reçues de Dieu.» Cette Vie par Chrysostome ne nous est pas parvenue, mais fut peut-être à la source de la notice étendue de J.-M. de Vernon :

Chapitre premier. Sa jeunesse et sa science.

Auxerre ville de Bourgogne l’a vu naître le 23. De septembre l’an 1563. Les titres vérifiés au Parlement de Paris prouvent qu’il descendait en droite ligne de Jean Leclerc chancelier de France; et la Bourgogne produit des monuments authentiques de la noblesse et de la vertu de ses ancêtres. Son éducation fut heureuse par le soin de ses parents, qui l’élevèrent dans la crainte de Dieu et lui procurèrent d’habiles maîtres, qui le remplirent de toutes les belles connaissances convenables à son âge. À 20 ans il pris les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s’adonnant principalement au droit. Cet emploi ne modérant par les vices de sa jeunesse, il tomba dans le malheur de l’hérésie, 528 d’où il ne sortit qu’après l’espace de deux ans. Le souvenir des périls qu’il avait encouru dans les combats, où quelques-uns de ses compagnons furent tués et d’autres grièvement blessés, lui servait de méditation. La pensée de n’avoir reçu aucune blessure la plus légère parmi tant de hasards, allumait doucement dans son cœur les flammes d’une dilection céleste.

La passion de devenir savant l’excitait à s’adresser à Dieu, qui lui découvrait des secrets admirables, quoiqu’il fût alors engagé dans la servitude du péché. Admirons les ordres de la Providence de Dieu, qui l’attirait suavement à son service par des lumières intérieures qui l’éclairaient et lui faisaient connaître sa volonté, sans le tirer de ses désordres, tant il y était attaché. Quelquefois la nuit il sentait de vives atteintes au fond de son cœur, qui l’éveillaient et l’obligeaient de se prosterner en terre, et de répandre des torrents de larmes. La vanité pourtant et l’attachement monde triomphait de son âme. Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l’âge de 20 ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque, éclata lorsque le cardinal du Perron le choisît pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay. Antoine Leclerc était bon philosophe, grand théologien, fort versé dans l’Écriture Sainte, dont il citait en toute rencontre de longs passages sans hésiter. On ne vit jamais un historien plus accompli. Sa mémoire était des plus fermes et plus heureuses. Il possédait ces hautes sciences par son travail propre sans l’aide d’aucun maître.

Sa principale perfection consistant au droit, il 529 en donna des preuves, quand après les guerres de la ligue, où il prit l’épée, il se trouva en cet état à la réception d’un Conseiller du Parlement de Paris : chacun ayant parlé sur la question proposée, le soldat harangua avec permission, d’une manière si nette, si solide et si éloquente, qu’il ravît ses auditeurs; de sorte qu’on le déclara Docteur en droit, on l’admit au nombre des avocats, et la Cour le supplia de régenter publiquement; de quoi il s’acquitta dans une acclamation universelle. De tous les livres qu’il a composés en grand nombre, nous n’en trouvons d’imprimés, que des expositions de l’Écriture Sainte, un commentaire sur les Loix royales, sur les mœurs des douze Tables, et les Canons de l’ancien droit romain, bref une défense des puissants de la terre. Les hérétiques espérant beaucoup d’appui de sa personne, lui offrirent durant qu’il tenait leur parti une charge de Conseiller de la Cour, qu’il refusa, pour abjurer son hérésie. L’instrument de sa conversion a été une sage demoiselle qu’il épousa depuis. Il en eut la première vue à Tours durant les troubles de la ligue, qui les obligèrent de quitter Paris : elle lui rendit là des visites en une extrême maladie, d’une manière forte édificative. La paix étant faite ils retournèrent à Paris, où par bonheur ils se trouvèrent loger en une même maison; ce qui facilita leurs honnêtes entrevues et donna lieu à la prudente demoiselle d’entretenir notre Antoine de l’avantage des enfants de l’Église romaine, quand elle sut qu’il était hérétique. Les assistances qu’il recevait dans ses infirmités corporelles, disposait son esprit à écouter ses discours, qu’il ne souffrait d’aucun autre. Il s’appliqua en même temps à la lecture 530 de la Bible, avec tant de bénédiction, qu’étant touché, il témoigna à son hôtesse un puissant désir de se convertir. Les ministres apprenant cette nouvelle n’osèrent plus paraître devant lui, dans la crainte de ne pouvoir résister à ces attaques ni à ses lumières. Il s’alla donc jeter aux pieds de son véritable Pasteur, curé de la Madeleine à Paris, pour demander l’absolution de ses péchés, et fit publiquement entre ses mains l’abjuration de son hérésie.



Chapitre II. Ses exercices de piété.

Son mariage l’ayant entièrement éloigné des débauches, sa vie était dans un ordre admirable. Ce commencement de vertu fut comblé des faveurs célestes, que Dieu lui communiquait volontiers pour l’encourager à la persévérance. Il ne trouvait en tous ces exercices de piété, que des douceurs et du calme. Ses yeux versaient souvent des larmes en abondance, dans le regret de ses iniquités anciennes. Pendant l’espace de plusieurs années, son plus ordinaire emploi consistait à examiner sa conscience attentivement, à se confesser, et former des actes de contrition, avec une tendresse et ferveur nonpareille. Il fut heureux dans la rencontre d’excellents confesseurs, qui contribuèrent par leurs sages avis à le perfectionner. Cet esprit de componction le détachant de la terre, il ne se délectait plus qu’à penser au ciel et à s’entretenir de la vie spirituelle.

Les scrupules l’inquiétant dans l’entrée de sa conversion 531, ses inquiétudes cessaient par l’obéissance qu’il rendait à son directeur. Sa profonde science ne lui a jamais ôté son humilité, l’ayant toujours soumis aux sentiments des autres. Son naturel ardent et impétueux devint par la vertu extrêmement doux et facile. Dans les occasions qui le pouvaient échauffer, il gardait le silence; d’abord son visage montrait un peu de tristesse, durant qu’il combattait sa passion, puis il rentrait dans son humeur agréable. Son corps participait aussi aux règles de la mortification : les austérités, les jeûnes, les veilles, les rudes disciplines lui étaient ordinaires : mais les fâcheuses et longues maladies jointes à ses oraisons continuelles, l’affaiblissait plus que tout le reste. Il ne se passait point d’année que ses infirmités ne conduisissent presque jusqu’à l’agonie. Ses souffrances ne tirèrent jamais la moindre plainte de sa bouche, non pas même un médiocre soupir qui témoignât sa douleur. Cette tranquillité extérieure était un indice évident du calme et de la force de son âme. Sa plus ordinaire maladie était une squinancie [esquinancie : inflammation de la gorge], qui ne lui permettait pas de parler ni de respirer qu’à peine d’espace de huit jours, ni de prendre aucune nourriture.

Le chirurgien étant un jour près de percer l’enflure de la gorge, qu’il trouvait extraordinaire, appela la femme du malade et ses enfants, les suppliant de le recommander à Dieu. Les larmes de sa famille touchèrent tellement le vertueux Antoine, qu’il demanda sa guérison à notre Seigneur, qui la lui accorda. L’abcès s’ouvrant aussitôt sans effort, il lava sa bouche, se mit à genoux hors du lit, et après avoir rendu grâces à Dieu, il dit à sa femme : «Ne vous affligez plus, je suis guéri pour toujours.» Ce qui s’est trouvé véritable. Sa 532 charités envers le prochain paru dans ses aumônes, qu’il ne refusait jamais, quand il avait de quoi donner. Si les richesses temporelles lui manquaient, il assistait les misérables par ses conseils et ses prières. Il croyait que pour avoir secouru un prêtre dans son extrême nécessité, Dieu l’avait favorisé de ses grâces particulières.

Un lépreux voulant une fois l’entretenir, il l’écouta avec grande joie, et l’embrassa si serrement, qu’on eut de la peine à les séparer. Il tremblait visiblement à l’aspect des prêtres qui le visitaient, à cause de la sainteté de leur caractère : les tirant à l’écart, il leur demandait la bénédiction à genoux, et les priait d’imposer leurs mains sur sa tête, et d’en faire autant à ses enfants. Il lavait les pieds des religieux qui logeaient chez lui; ses larmes étant les témoins de sa particulière satisfaction à leur rendre cet office. La vanité n’avait aucune part dans son cœur. Ses discours pieux touchaient les plus rebelles; il avait une grâce singulière pour persuader le mépris des grandeurs du monde : la conversation des pauvres et des petits lui agréait infiniment. Si les grands et les riches abordaient, quoiqu’il ne les rebutât^point, Il se tournait néanmoins plutôt du côté des autres.

Voici la conduite de sa journée. Dès le matin à son réveil, il récitait des Psaumes à voix soumise; se revêtant de sa robe de nuit, il se prosternait le visage contre terre pour adorer son Créateur; il s’habillait psalmodiant encore ou méditant; puis il allait faire une heure d’oraison mentale dans son oratoire; de là s’acheminant à l’église pour entendre la messe, il n’en sortait que pour dîner. L’après-dîner se passait à lire ou exposer l’Écriture Sainte, ou bien à répondre à ceux qui le consultaient. Il 533 retournait à l’oraison mentale devant souper; et après un médiocre débandement d’esprit, ayant dit le chapelet, il s’appliquait derechef à la méditation et à l’examen de conscience. Il ne manquait jamais devant que de se coucher, et en se levant, à la sortie, et à l’entrée de son logis, de saluer le visage contre terre une image de la Vierge qu’il nommait sa bonne maîtresse. Les pèlerinages de Sainte-Geneviève, de Notre-Dame de Paris, où était sa demeure, de Notre-Dame des Vertus, de saint Maur, lui étaient fréquents. Il avouait que ces dévotes pratiques lui avaient impétré de notables secours. Il se confessait souvent, et par l’avis de son confesseur, il communiait tous les jours en ces dernières années.

Chapitre III. Son degré d’oraison, et son esprit prophétique.

Quoiqu’il apporta du commencement toute la diligence imaginable pour disposer son esprit à ce divin exercice, il ne laissât pas d’y trouver des difficultés. Enfin une personne de haute vertu lui annonça que Dieu le voulait élever dans la voie extraordinaire et suréminente. L’état de l’Église universelle lui fut depuis manifesté, dès sa première méditation, où l’ancienne méthode qu’il avait observée jusqu’alors lui fut ôtée. Dans la seconde, il connut la disposition présente du royaume de France, et ce qui lui devait arriver dans les années suivantes. Il s’étonnait de la lumière que Dieu répandait en son âme pour résoudre les questions qui lui étaient proposées; ainsi qu’il l’a déclaré 534 à son directeur qui a écrit sa vie. L’apparition de la sacrée Vierge l’ont souvent instruit sur les matières qui lui devaient être proposées dans les consulte et sur les secrets de l’éternité. Tantôt elle tenait l’Enfant Jésus entre ses bras, tantôt elle était accompagnée d’apôtres et de vierges. Il s’est quelquefois trouvé environné comme d’un soleil, qui lui représentait l’humanité de Jésus-Christ, dont la vision le consolait en certaines rencontres, le fortifiant dans ses combats et lui révélant des merveilles. On a vu durant sa méditation un pigeon blanc sur sa tête, qui figurait l’onction intérieure opérée par l’Esprit divin.

La crainte d’être trompé le rendait circonspect à ne pas croire légèrement que ces lumières fussent véritables et certaines. Il prenait avis de tous ceux qu’il savait être illuminé d’en haut. Ils jugèrent tous sa voie hors de péril et fort agréable à Dieu. Par leur conseil il écrivit à la mère Anne de Saint-Barthélemy : la réputation de sa sainteté et le bonheur d’avoir été compagne de sainte Thérèse, furent cause qu’ayant établi en France l’ordre des Carmélites, elle passa en Flandre pour le même sujet. Ayant reçu la lettre de notre Antoine, elle l’assura qu’il devait demeurer en repos, puis qu’il n’y avait nulle tromperie dans sa conduite, qui était fondée sur une humilité profonde. Il consulta le père Dominique de Jésus Maria, grand serviteur de Dieu, quand il vint à Paris : celui-ci le confirma dans sa manière de vivre, qu’il jugea conforme aux lois de l’Évangile.

Une autre peine il lui arriva, savoir qu’étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu, qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. 535. Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail. Il se confia néanmoins en la Providence de Dieu, qui fit subsister sa maison par les libéralités de la reine Marguerite de Valois, qui l’honorera d’une charge de Conseiller et maître des Requêtes de sa maison, avec un appointement de 1500 livres ordinaires. De plus, Dieu donnant sa bénédiction à son petit revenu, sans interrompre le repos de sa vie contemplative, il vécut toujours dans la bienséance. Dieu lui révélait beaucoup d’événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste, il avertissait les pécheurs de se confesser de leurs iniquités cachées; de faire des confessions générales pour réparer les défauts des précédentes, où ils avaient celé tels péchés qu’il spécifiait. Il marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient; à d’autres il a indiqué en particulier ce qu’ils étaient obligés de restituer : ils admiraient tous cette découverte de leur intérieur, qu’ils n’avaient manifesté à personne. Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières.

La mère Claire de Besançon, première supérieure du couvent de Sainte Élisabeth à Paris, ayant d’extrêmes douleurs en une nuit, et craignant d’être tombé en impatience, le vertueux de la Forest, qui connut divinement cette peine, l’assura par une personne expresse, qu’elle n’avait pas offensé Dieu, et qu’elle continuât de porter sa croix avec courage. Une âme vraiment pénitence se trouvant en un lieu fort éloigné, dans des combats et des traverses, le sieur de la Forest les apprit en communiant : à la même heure il la consola et exhorta à la persévérance, lui écrivant que Dieu 536 avait remporté la victoire en elle, et l’excitant à fréquenter le sacrement de pénitence, et à réciter souvent l’Ave Maria, le Gloria Patri, ou proférer intérieurement «O doux Jésus», sans remuer les lèvres. Les desseins que plusieurs personnes avaient de quelques ouvrages à la gloire de Dieu lui étant communiqués, on admirait ses réponses : soit qu’il les animât à la poursuite, soit qu’il les détournât, ou qu’il les fit différer; les succès montraient toujours que ses pensées venaient d’en haut.

Si on le consultait sur les entrées en Religion, il prédisait ce qui arrivait, l’interruption ou l’achèvement du noviciat, jusqu’au vœu solennel. Un jeune homme frappant à sa porte afin de consulter sur le choix de l’Ordre, il lui vint au-devant, sachant son désir par révélation, et lui conseilla d’aller au Carmes déchaussé, où il a vécu en bon religieux. Une jeune demoiselle voulant être religieuse au monastère de Saint Élisabeth à Paris, et se recommandant à ses prières pour ce sujet, il lui prédit les difficultés qui lui survinrent durant son noviciat, et qu’elle ferait néanmoins profession; la vérité s’en est ensuivie. Un religieux du tiers Ordre de Saint-François, le consulta sur son intérieur, le sieur de la Forest l’avertit qu’il mourrait en telle année. La prophétie s’accomplit précisément, lorsque ce bon père ayant été envoyé à Rome par ses supérieurs, il y décéda au temps qui avait été prophétisé.

La vie qu’il donna au père Bernard, prieur du collège de Cluny, de finir les livres qu’il composait, à cause de la proximité de sa mort, eu son effet, lorsque trois mois après une violente maladie l’emporta. Le père Athanase Bénédictin de la congrégation de saint Maur, se voyant attaqué de 537 pulmonie, voulait quitter sa fonction de lecteur en théologie pour se préparer à la mort : notre Antoine l’assura que s’adressant à Sainte-Geneviève il serait guéri, ce qui arriva. Le père Chrysostome de Saint-Lô, son confesseur, gardien du couvent de Picquepus, personnage d’un singulier mérite, a reconnu par expérience en sa personne, la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusqu’aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée par celui qu’il dirigeait : toutes les circonstances de cette prédiction eurent leur accomplissement.

Un ami le priant de recommander à Dieu le procès d’une dame de qualité : «la voulez-vous bien obliger?» Répondit-il, excitez-là à se disposer à la mort, qui est proche. L’événement justifia cette réponse. Rencontrant une demoiselle de son voisinage qu’il allait visiter, il dit secrètement à sa femme : «Avertissez-là de s’en retourner promptement en son logis, et de se confesser d’avoir souffert à sa table les discours de quelques hérétiques contre l’Église, parce qu’elle paraîtra bientôt devant Dieu.» Ayant mis ordre à ses affaires, et reçu les sacrements, elle sortit du monde.

Chapitre IV. Continuation du sujet précédent.

La maladie d’un grand favori, éloignée de deux cents lieues, lui fut annoncée par un billet durant qu’il était en oraison : sans le lire ni l’ouvrir, il écrivit la réponse sur le dos, assurant que le personnage 538 était mort, et que cela ne causerait pas grand changement. Le courrier apporta le lendemain la nouvelle de ce décès, et tout s’effectua selon la parole du saint homme. Madame de Guise le supplia de recommander à Dieu le mariage de Monseigneur le duc d’Orléans avec Mademoiselle de Montpensier, qu’elle croyait presque rompu. Après une communion dans quelque pèlerinage il répartit : «Quelque délai qui arrive à cette affaire, elle s’achèvera; mais la joie en sera courte.» De fait la jeune princesse trépassa dans sa première couche, au commencement de la seconde année des noces. Le dessein qu’une dame de qualité avait pour le cloître lui était connu; il dit néanmoins à quelqu’un digne de foi dans cette conjoncture : «Ses proches lui ôteront bientôt cette pensée.» La haute faveur qui arriva quelque temps après dans cette famille, donna une autre face aux affaires, et la Dame n’eut plus le désir d’être Religieuse.

Une princesse ayant recours à ses prières : «Ah, que de traverses lui sont préparées», s’écria-t-il à quelqu’un de sa suite, «les objets les plus chers la feront grandement souffrir!» On en vit les effets quand le prince son mari s’enfuit dans les pays étrangers et qu’elle fut bannie de la cour. Un grand seigneur Chevalier de Malte, se plaignant qu’on ne l’employait pas et que ces prétentions ne réussissaient point, le sieur de la Forest dit : «Paul se joindra à Pierre en vous; ne m’en demandez pas le temps : c’est à Dieu seul de le connaître.» La dignité de cardinal où fut élevé depuis ce gentilhomme par Urbain VIII, a montré que le serviteur de Dieu parlait en esprit prophétique. L’année 1622, une demoiselle de Champagne souffrait 539 des convulsions très violentes, son corps se courbant en forme d’un arc, et la tête se rejoignant à ses pieds, malgré les efforts de plusieurs personnes qui la voulaient arrêter. Le sommeil et les aliments lui étaient interdits par cette violence. Les médecins avouèrent que leurs remèdes étaient inutiles; et un villageois confessa l’avoir ensorcelée. Un Religieux de notre Ordre qui assistait la malade depuis deux mois manda cet accident au vertueux Antoine. Avant que de lire la lettre du Père, il dit au porteur : «Elle n’en mourra pas, quoiqu’elle ait reçu les derniers sacrements.» Il répondit par écrit, qu’elle devait réitérer sa confession, faire célébrer la messe en l’honneur de la sacrée Vierge, de Saint-Joseph, de l’Ange gardien et de Sainte Clotilde. L’exécution de ces conseils la remit aussitôt en santé; et dès qu’elle pût user du carrosse, elle vint conférer avec son libérateur, et lui proposer des difficultés qu’il démêla d’une manière toute divine.

La compassion envers les âmes du Purgatoire le touchait beaucoup; et il déclarait franchement à son confesseur qu’il avait de grandes connaissances de leur état. L’enterrement d’un personnage qualifié se faisant à Picpus, il était présent, et dit à un homme de confiance, que le défunt demeurerait longtemps dans les flammes; mais qu’il était parti de ce monde en grâce, à cause de sa charité envers les pauvres. Il invitait chacun à prier pour les morts, soutenant que c’était un admirable expédient pour obtenir la bénédiction de Dieu dans toutes nos affaires.

Un parfait religieux son intime ami, étant décédé, il connut l’immense degré de gloire qui lui était préparé, après qu’il aurait achevé la pénitence, 540 qui consistait dans un pressant désir de voir Dieu, en châtiment de ce qu’en sa dernière maladie il n’avait pas assez désiré cet infini bonheur. Un autre religieux de sublime vertu lui apparut après sa mort entrant dans le ciel. Il répartit au messager qui recommandait à ses prières un Religieux malade : «Celui dont vous me parlez est hors de ce monde et bienheureux.» «Votre mère, dit-il à une fille, n’a plus que quinze jours à vivre, prenez-y garde; Dieu lui réserve une ample récompense en l’éternité.» L’effet fut conforme à sa prédiction, et il connut par révélation qu’elle posséderait le salaire des saintes veuves.

Monsieur Bernard, surnommé le Pauvre prêtre, tant célèbre dans nos jours pour la ferveur de son zèle, lia une étroite amitié avec notre pieux Antoine, dont il mendiait les lumières en toute rencontre. S’entretenant un jour ensemble des effets de l’amour divin, le vénérable prêtre tomba en extase. Le sieur de la Forest par son humilité a tenu beaucoup de faveurs célestes cachées, obéissant à ses directeurs qui lui conseillèrent le silence.

Chapitre V. Sa préparation à la mort.

Les discours de cette fin dernière lui agréaient infiniment, et les souhaits de la pleine vue de Dieu faisaient ses plus suaves délices. Ayant réglé ses affaires temporelles, il ne pensait plus qu’à Dieu, et au soulagement des pauvres, auquel il invitait avec des instances nouvelles tous ceux qui 541 l’abordaient. Il fit son testament six mois devant sa mort, élisant sa sépulture dans l’église des religieux du tiers Ordre de Saint-François à Picpus les Paris, en la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce. Il pria le père Chrysostome de Saint-Lô, gardien de ce couvent et son confesseur, de l’admettre au rang des tertiaires : ce qui fut exécuté en sa dernière maladie. Depuis ce temps-là son esprit était tellement transformé en Dieu, qu’il n’avait aucune attention à tout ce que les créatures disaient et faisaient autour de lui. Sa volonté devint si étroitement unie à celle de Dieu, qu’il avait une simplicité enfantine, quant aux effets pour son entière soumission, non quant au principe d’agir, qui consistait en une sapience divine.

Les démons le tourmentèrent dans son intérieur par leurs fausses visions, et en le sollicitant au péché; voire même dans l’extérieur par de cruels assauts. «Dieu veut, dit-il une fois son confesseur, que l’Enfer me crible, afin d’éventer la paille qui est en mon âme. Sa bonté divine fasse que je sois enfin un petit grain de sa table éternelle.» Il crut une fois être destitué de tout secours, et que son âme était presque abandonnée aux iniquités les plus énormes; ce qui lui causa une étrange mélancolie. Un soir après avoir récité le chapelet, montant en son cabinet pour faire sa méditation, le démon le précipita au bas de l’escalier avec une violence nonpareille. On courut au bruit, et lors qu’on le croyait mort, on le trouva riant et sans aucune blessure : «La Vierge, s’écria-t-il gaiement ayant la tête en bas, m’a reçu entre ses mains; je suis en pleine santé.»

Quatre mois devant sa mort étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s’entretenait sur 542 les merveilles de l’éternité : on tira les rideaux, de sa couche lui sembla parée de noir; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé; cette horrible figure ne l’effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : «Je sais que tu es l’ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté, mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit.» L’esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort; ses forces diminuèrent toujours depuis : et il tomba tout à fait malade au commencement de l’année 1628 [1646]. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l’auguste eucharistie dans l’estomac qu’il vit son âme environnée d’un soleil, et entendit cette charmante promesse de notre seigneur : «Je suis avec toi, ne craint point». Les flammes de sa dilection s’allumèrent davantage, et il ne s’occupait plus qu’aux actes de l’amour divin, voire au milieu du sommeil.

Quelquefois durant sa maladie il se figurait être dans le plus profond abîme de l’enfer, d’où notre Seigneur le tirait par son infinie miséricorde : les actes de contrition et de conformité au bon plaisir de Dieu lui étaient fréquents. Dieu lui commanda trois jours autant avant que de mourir de sacrifier son âme et son corps à la Reine des anges. Il exécuta cet ordre avec une ardeur merveilleuse, ôtant son bonnet et s’efforçant de dépouiller sa camisole : sa femme s’y opposant, «Je suis commandé, répliqua-t-il, de tout immoler à la mère de Dieu. Son adorable Fils mon Sauveur, étant demeuré nu sur la croix; ai-je pas encore trop, moi chétive créature, qui m’étend sur un bon lit garni de tant d’ajustement, non nécessaire?» Il obéit néanmoins à la volonté de son confesseur, qui ordonna qu’on le remît en son premier état.

Un grand homme de bien, ayant eu révélation qu’il mourrait le samedi prochain, on lui administra l’extrême-onction. Monsieur Bernard présent sentit des atteintes si vives de l’amour de Dieu, qu’il devint immobile et fut ravi. Cependant le malade discourant de ces merveilles, prédis que ce bon prêtre consommerait en bénédiction le chef-d’œuvre de sa pénitence, qu’il parviendrait à un sublime degré de sainteté, bref qu’ils se verraient ensemble dans la Gloire céleste. Le vendredi sur les dix heures du soir, il tira ses bras du lit, les élevant vers le ciel avec vigueur, et tâchant d’en faire autant de sa tête. Son confesseur l’obligeant de manifester la cause de ce mouvement extraordinaire : «Je vois, répondit-il, Jésus-Christ avec la Vierge, les anges et des saints, qui m’invitent à les accompagner dans la Béatitude.»

Le lendemain samedi 23 de janvier, après avoir satisfait aux demandes de ses amis d’une manière admirable, remercié son confesseur pour les assistances qu’il en avait reçues des neuf dernières années de sa vie, et persévéré dans une fidélité inviolable envers Dieu, il rendit l’esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l’amour divin. Il s’apparut au même instant environné des rayons de la gloire à un grand Personnage, l’excitant à se sanctifier : celui-ci manifesta cette apparition au directeur du défunt. Le bruit de sa mort s’étant répandu dans la Ville de Paris, on permit 544 durant tout le dimanche l’entrée libre dans la chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venait visiter en foule. Les religieux du tyran de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté habit pût avec la permission de Monsieur le Curé de Saint-Sulpice son pasteur. On enterra solennellement dans la chapelle de Notre-Dame de grâce, au côté droit de l’autel, avec oraison funèbre. Son corps repose la sous une pièce de marbre, et l’épitaphe suivant.

[Épitaphe latine]

sa vie a été mise en lumière par le père Chrysostome de Saint-Lô, personnage signalé en vertu et doctrine, son confesseur, religieux du tiers Ordre de Saint-François, et par Monsieur Louis Provençal, fort renommé pour ses livres de controverses, et ses disputes contre les hérétiques.





L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome

[Extraits de l’ouvrage par Boudon]



Religieux pénitent du troisième Ordre de S. François,

À Paris, Chez Estienne Michallet,

ruë Saint Jacques, à l’Image S. Paul,

MDCLXXXIV. 18

Cette «Vie» n’en est pas une! mais une homélie, ponctuée de temps à autre par une brève, mais précieuse information du témoin direct.

Boudon fut un compagnon estimable et estimé par Bernières. Comme écrivain il est bavard et sort facilement du sujet annoncé.

On découvrira le précieux et exceptionnellement long chapitre sur... Bernières et le premier inspirateur de celui-ci, M. de la Forest. Troisième partie de l’ouvrage, «Chapitre VIII. De la sainteté de sa conduite. Éloge de M. de Bernières et de M. de la Forêt».



Première partie

Chapitre II. La naissance et l’éducation du vénérable Père Jean Chrysostome.

(1132) Le serviteur de Dieu naquit en la paroisse de Saint-Frémond, en la basse Normandie diocèse de Bayeux. Il eut le bonheur d’avoir des parents fort catholiques; et ayant été fait enfant de Dieu par le saint baptême, il y reçut le nom de Joachim. [...] Comme c’est Jésus-Christ que je regarde dans sa famille, sa grâce m’y fait voir un de ses frères qui a eu l’honneur d’entrer dans l’ordre du séraphique P. saint François, parmi les religieux Capucins; et une de ses sœurs qui a vécu sous la règle étroite de sainte Claire, dans le monastère de ses filles qui est à Rouen. Il a eu aussi un oncle religieux de la très -sainte Trinité de la Rédemption des captifs, que l’on appelle communément Mathurins, et qui a été supérieur de l’une des maisons de cette charitable congrégation, qui a été donnée à l’Église par une révélation céleste, faite même au Souverain Pontife, pour la secourir dans l’un de ses plus pressants besoins, je veux dire dans la captivité de ses fidèles sous la cruelle tyrannie des mahométans; [...] Le serviteur de Dieu, dès son enfance, fit paraître tant de dispositions au vrai bien, que l’on eût dit que la vertu était née avec lui. Il était d’une humeur douce et aimable, d’un naturel honnête, civil et obligeant, d’un accès facile et très-agréable. [...]

(1133) Il fut envoyé à Rouen pour y étudier au en les répandant avec largesse sur les autres collèges des Pères de la Compagnie de Jésus, où il eut pour maître en rhétorique le célèbre père Caussin. Cet excellent homme fit bientôt un grand état de son disciple, dans lequel, par sa grande lumière, il voyait des divines marques de ce qu’il devait être un jour. [...]

(1135) Or, ce mouvement intérieur, que l’Esprit de Dieu donne i ceux qu’il anime, ne s’est pas trouvé seulement dans le P. Jean Chrysostome, lorsqu’il avait fait de plus grand progrès dans les voies do la perfection, et dans un âge plus avancé, mais dès lors même qu’il faisait ses premières études au collège. de Rouen; et ce fut en ce temps-là qu’entendant parler de M. de la Forest, qui était en réputation de sainteté, il n’oublia rien, tout petit écolier qu’il était, pour s’en procurer la connaissance; et, comme il n’était pas en son pouvoir d’aller le voir, il prit la liberté de lui écrire. Cet homme de Dieu, éclairé du Saint-Esprit, s’aperçut bientôt do la grâce du petit écolier qui lui écrivait. Il recevait donc les lettres avec une sainte joie en Notre-Seigneur (et il n’y en a point d autre véritable), et il lui faisait réponse avec beaucoup d’exactitude. Ces lettres du saint homme, qui étaient pleines du feu du Saint-Esprit, trouvant l’âme du petit écolier comme une matière toute préparée, y produisaient bientôt l’ardeur de ses plus' vives flammes. bon pauvre cœur, à leur lecture, se trouvait tout etebiesé; et, comme il prenait un singulier plaisir à les lire et à les relire, les flammes du divin amour s’augmentaient toujours de plus en plus dans ce jeune homme si béni do Dieu. [...]

Chapitre III. Son entrée dans le cloître.

(1140) ll n’écouta point les mouvements de la nature, mais les inspirations de la grâce, qui lui firent oublier sa nation, comme dit le Psalmiste, et la maison de son père. Il exécuta même son dessein à l’insu de ses parents, et de vrai, souvent dans ce sujet ils sont de fort mauvais conseillers. Souvent, dans cette occasion, les paroles du Fils de Dieu se trouvent bien accomplies : que les domestiques de l’homme seront ses ennemis. Notre jeune homme en fit bientôt l’expérience, lorsque son généreux dessein fut connu de son père; car aussitôt qu’il eut appris que son fils avait saintement pris l’habit de religieux dans le troisième ordre de la pénitence du séraphique saint François, au couvent de Picpus, proche Paris, il n’oublia rien pour l’en faire sortir. Mais son esprit ne fut point ému de tout ce qu’il lui put dire; il voulut juger des choses selon le jugement de Dieu. Il ne regarda point à l’humeur de ses proches, mais aux inclinations de Jésus-Christ, qui n’a point eu de pente pour les honneurs, pour les richesses et les plaisirs de la vie, et qui a rejeté toutes ces choses comme indignes de sa divine personne. L’amour paternel n’affaiblit en rien celui qu’il devait à son Dieu. Il n’acquiesça point à la chair et au sang, non plus que saint Paul. Son père, voyant que tous ses efforts étaient inutiles, voulut tenter d’autres moyens. Il eut recours à ses amis du monde, qui entrèrent bientôt, selon la coutume déplorable du siècle, dans ses desseins. Ils se joignent donc à ce père affligé, et particulièrement un magistrat considérable du parlement de Normandie; ils s’unissent ensemble pour rendre l’attaque plus forte; mais, à tout ce qu’ils peuvent dire, à toutes les raisons apparentes dont ils se peuvent servir, le jeune homme répond que Dieu le demandant à un état, il n’y a rien qui soit capable de l’en détourner. il savait qu’il n’était pas à lui-même, ni à son père, mais à un maître qui a donné son sang et sa vie pour le délivrer d’une captivité éternelle. Il demeura donc ferme dans sa résolution, et, après l’année du noviciat, il fit heureusement profession le troisième jour de juin, jour consacré à la glorieuse mémoire du grand saint Antoine, âgé de dix-huit ans. [...]

Chapitre IV. Ses excellentes vertus dans l’état religieux.

(1147)... il prit le dessein d’être entièrement pauvre par un actuel dépouillement de tout ce qu’il pouvait prétendre en la terre. Pour cette fin, comme il était l’aîné de sa famille, il fit une déclaration devant les notaires, par laquelle il céda son droit, et renonça même à l’hérédité de ses parents. Il envoya cet acte à son père, et le supplia d’avoir pour agréable, que puisqu’il était consacré à Dieu par les saints ordres, il vécût selon l’esprit de sa profession; lui protestant que puisqu’il avait pris Jésus-Christ pour son partage, il n’en désirait point d’autre en la terre; qu’au reste il espérait que Dieu pourvoirait à ses besoins par sa Providence, et qu’il n’était pas en peine de sa subsistance, puisque Dieu prenait soin même des herbes et des lis sauvages. Mais les douces et fortes inclinations qu’il avait pour la pauvreté ne s’arrêtèrent pas là; comme il avait quelques livres pour ses études, il voulut encore les vendre, pour en donner le prix aux pauvres; et quelque amour qu’il eut pour des meubles qui lui étaient si nécessaires, la tendresse qu’il avait pour la pauvreté et les pauvres, prévalait par-dessus l’avidité de la lecture. Il est vrai qu’il ne put pas exécuter ce dessein de vendre tous ses livres, en étant empêché par les personnes dont il prenait avis. Cependant il a déclaré depuis, dans un âge avancé, qu’il doutait que le conseil qu’on lui donna de ne pas suivre ce mouvement, fût de l’esprit de Dieu.

C’est de cette sorte que les saints qui sont intimement unis à Jésus-Christ, entrent dans ses inclinations; c’est cette bienheureuse et divine union qui y a fait entrer si puissamment le P. Jean Chrysostomé, qui a été un vrai pauvre de Jésus-Christ. Il serait difficile de faire connaître les divines lumières qu’il avait reçues sur la vertu de pauvreté. Il assurait qu’elle était le solide fondement des vertus. C’est pourquoi, écrivant à feu M. de Bernières, qui lui avait mandé que ce qui le soutenait beaucoup dans les voies de Dieu, était l’amour de la pauvreté et du mépris, il lui fit cette réponse : «Tenez ferme sur ces fondements sur lesquels Jésus-Christ a édifié et édifiera, jusqu’à la fin des siècles, la perfection de ces chers amants.» C’était à ce vertueux personnage que notre serviteur de Dieu avait écrit, qu’il était rare de parvenir à la pureté d’une haute perfection, que par l’usage d’une pauvreté souffrante, qui, faisant mourir les délices de la chair, anéantit L’esprit mondain; et que le pur amour ne se peut trouver que dans le cœur évangélique très-pauvre sans réserve. C’est à lui qu’il dit dans quelques lettres : «Quant à moi, je vous trouverais très propre à faire un parfait pauvre' et un parfait méprisé, même dans votre ville; les souhaits que vous en avez sont une grâce qui vient du cœur de Jésus-Christ. Je vous trouverais très-heureux si vous étiez réduit dans cet état. Dieu tout (1148) bon vous veut pauvre évangélique. Je crois que vous n’aurez aucun repos que vous n’en usiez de la sorte, perce que vous ne seriez pas dans le centre de votre grâce : cependant, souvenez-vous que le diable est bien rusé pour l’empêcher.»

Il disait encore qiie la pauvreté avait des beautés admirables; que c’est le vrai moyen d’entrer dans les pures communications avec Jésus-Christ; qu’il ne savait rien de plus ravissant en ce monde que le mépris et la pauvreté de la croix; que celui-là est très-heureux qui est très-pauvre; que le fidèle amant doit être pauvre à pauvre, méprisé à méprisé avec Jésus; que celui qui communie souvent, et est dans un grand dénuement, est rempli de la bonne odeur de Jésus-Christ pauvre et souffrant, que le temps de la pauvreté est celui du pur amour; que dans l’état d’une entière pauvreté et de la privation de toutes choses, c’est pour lors que Jésus devient heureusement le grand et unique tout? Qu’il sert de père, de mère, de parents, d’amis, do biens, d’honneurs et de plaisirs. C’est pourquoi il remarquait très véritablement, que le véritable pauvre non seulement rejette le superflu, mais est ravi de manquer du nécessaire, et se réjouit et se plaît à être délaissé de toutes les créatures. Il proposait pour exemple, le séraphique saint François, qui était consolé d’être abandonné de son père, d’être moqué par les enfants dans les rues, et d’être traité publiquement comme un fou et misérable, insensé. [...]

(1149) Il prêchait les excellences de la pauvreté d’une manière admirable, il y exhortait d’une manière efficace, il la conseillait avec bénédiction. Ç’a été par ses avis que M. de Bernières l’a embrassée avec un si heureux succès. J’ai connu un jeune homme de qualité, qui, ayant été bien avant dans les vanités trompeuses du siècle, et s’étant entièrement converti à Dieu, par un coup de sa droite, a quitté tout son bien par son conseil. Il avait fait assembler pour cette fin plusieurs grands serviteurs de Dieu; mais il m’assura que de tout ce nombre il n’y eut que le P. Jean Chrysostome et le feu P. Joseph de Morlaix, Capucin, dont le rare mérite est assez connu, qui furent d’avis qu’il quittât son bien : aussi ils étaient les deux seules personnes qui vivaient en pauvreté. [...]

(1153)... il ne se peut dire combien il avait en aversion la somptuosité des bâtiments et les moindres particularités dans les communautés religieuses. Il ne se peut dire quelle estime il faisait de tout ce qui ressentait l’esprit de pauvreté. Un jour une dame le voulant arrêter chez elle, ce qu’il ne voulut pas, aimant bien mieux se retirer dans sa pauvre cellule dans sa maison conventuelle, s’en étant fâchée, et lui ayant reproché les aumônes qu’elle faisait à ses regieux : «Ah! madame,» s’écria-t-il, j’estime moins tous les biens de la terre, que la boue de nos sandales; un bon religieux avec un oignon est plus content, que les plus riches du monde avec tous leurs biens et tous leurs plaisirs.» [...]

Chapitre VI. Sa pureté angélique.

(1154)... Un jour une religieuse lui ayant demandé une demi-heure pour lui parier, et pour aider un peu à le délasser dans le temps de la récréation, il ne voulut jamais; et comme cette sœur lui dit : «Mon père, vous ne savez que nous mortifier;» il lui répondit : «Ma sœur, grande pureté d’âme, grande pureté de corps, grande pureté de conscience. Vous êtes des vierges consacrées à Jésus-Christ, vous ne devez pas rechercher de converser avec les créatures. Comme elle lui répliqua : - «La nature ne trouve guère de consolation auprès de vous, vous êtes un père de fer, vous n’entendez qu’à prendre le monde pour l’égorger, et pour l’écorcher depuis les pieds jusqu’à la tête.» Il s’écria : «Ah! c’est ce qu’il faut faire.» [...]

Chapitre VIII. Sa fidélité inviolable aux exercices spirituels.

(1162)... il alla consulter un grand serviteur de Dieu touchant la vertu de fidélité, et voici ce qu’il en a laissé par écrit. Comme il était un organe du Saint-Esprit, et plein de grandes lumières, il m’enseigna trois maximes, qui tirent une admirable impression dans mon âme. Mon cher frère, me disait-il, si vous voulez faire un bon progrès en la vertu de fidélité des saints exercices, faites trois choses. La première est, que vous preniez garde de ne vous point occuper par impulsion de nature, mais toujours par obéissance en vue de la volonté de Dieu. La seconde est, que vous fassiez tous les samedis au soir un bon examen de toutes les infidélités que vous avez commises en la semaine, et que vous renouveliez de bonne sorte vos résolutions d’être plus fidèle. La troisième, que vous travailliez à l’oraison; et tenez pour une vérité indubitable, que tous ceux qui dans les cloîtres vivent sans oraison, ne sont et ne seront jamais fidèles dans leurs saints exercices. Ces paroles, dites en l’esprit de Noire-Seigneur Jésus-Christ, ne furent pas reçues en vain dans une âme pure et innocente, et embrasée du divin amour, comme était celle du P. Jean Chrysostome. [...]

Chapitre X. Sa vertu éminente dans ses différents emplois, et les bénédictions abondantes que Dieu y a répandues.

(1174)... à peine commençait-il d’entrer dans sa vingt-cinquième année, qu’on le fit lecteur en philosophie et en théologie. [...] Il fut élu définiteur de la province de France, l’année 1622, puis l’année 1625, définiteur général de son ordre, et gardien du couvent de Picpus, qu’il gouverna l’espace de six ans. Il fut élu nouvellement définiteur (1175) celle de Saint-François et en celle de Saint-Ives, pour de bonnes raisons, et conformément aux autres sociétés religieuses qui ont diverses provinces et divers provinciaux, quand il y a assez de couvents pour les composer. Le temps de son second provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Sainte-Elisabeth de Paris qui fut son dernier emploi, ayant heureusement quitté la terre pour aller au ciel à la fin de sa troisième année.

Mais dans tous ces différents emplois, une seule chose l’occupa toujours, et ce fut Dieu seul, et ses seuls intérêts. Sans s’occuper avec empressement de la multitude des affaires, sans s’y distraire, et y avoir l’esprit partagé avec inquiétude, sans se tourmenter de beaucoup de choses, il s’arrêta à une qui est nécessaire : Dieu seul lui remplit toujours l’esprit et le cœur. C’est de là qu’il a conservé toujours une grande régularité, et même pendant qu’il était confesseur des religieuses de Sainte-Elisabeth, il se rendait ponctuellement au couvent des religieux qui en est proche, pour assister à tous les exercices de sa communauté. Cependant il ne laissait pas d’aller au confessionnal dès cinq heures du matin, et il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il le loisir de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour retourner aussitôt au confessionnal. [...]

(1176)... Les religieuses de Sainte-Elisabeth du couvent de Paris furent celles qui en ressentirent les flammes plus vivement. Elles virent en sa personne les promesses du Fils de Dieu à ses apôtres véritablement accomplies : «Dieu vous inspirera les paroles que vous devrez dire; car ce ne sera pas vous qui parlerez, mais ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.» (Matth. x, 19, 20.) Aussi ces vertueuses religieuses ont témoigné qu’il paraissait en lui quelque chose de plus que l’humain quand il leur faisait des exhortations; il est vrai qu’il les faisait d’une manière simple; il ne voulait pas, avec l’Apôtre (I Cor. xi, 13), annoncer les vérités chrétiennes avec des paroles étudiées, de peur que la croix de Jésus-Christ ne fût anéantie, mais dans la puissance de Dieu. Il savait, avec le même homme apostolique, que le royaume de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans la force. [...]

(1177)... les religieuses dont nous avons parlé ont déposé que, durant ses exhortations apostoliques, elles lui voyaient, comme il est rapporté de saint Étienne dans les Actes (vi, 15), le visage comme le visage d’un ange. Elles disent de plus, dans un autre témoignage qu’elles en ont rendu : «  Il nous paraissait comme un chérubin tout rempli de lumières divines, et il nous semblait qu’une splendeur extraordinaire nous manifestait l’état de nos consciences et nous portait à les lui découvrir. Il nous paraissait comme un séraphin tout embrasé de charité : comme un saint François pauvre et humble, tout anéanti à lui-même, comme tout dévoré du zèle de la gloire de Dieu, tout extasié à la rue des grandeurs de Dieu et des mystères de Jésus-Christ, tout rempli de désirs d’établir le règne de Jésus-Christ dans les cœurs, et de détruire celui du vieil homme et de la corruption de la nature. Il avait des paroles de foudre dont il brisait les cœurs, quand il représentait un Dieu terrible dans sa justice; il avait des paroles toutes de feu, quand (1178) il faisait voir les amours d’un Dieu envers les hommes : on peut dire : Il faisait voir; car il représentait les choses avec tant de force, qu’il semblait faire voir ce qu’il disait. Il finissait toutes ses exhortations par une oraison qu’il adressait à Jésus-Christ; ce qu’il faisait d’une manière si sensible que tout le monde en demeurait touché. L’esprit divin semblait parler par sa bouche, et, quoique ses exhortations fussent simples, elles enlevaient les cœurs. Ayant été élu provincial, et étant venu à notre monastère, il commença sa première exhortation par le désir que les âmes doivent avoir de la sainte perfection; et comme ses paroles n’étaient que l’expression du même désir qui embrasait son cœur, il fit ce premier discours avec une force si divine, avec des sentiments si remplis d’amour, que les cœurs de toute la communauté en demeurèrent embrasés : ce qui leur donna depuis une haute estime pour sa personne et pour son rare mérite.

«Mais tous les autres sujets dont il nous a depuis entretenues ont fait : es mêmes impressions. Il avait un attrait spécial pour la sainteté de Dieu et les profonds anéantissements du Verbe fait chair; et il se servait de termes si expressifs quand il en parlait, que l’on entrait dans sa lumière, qui a demeuré dans plusieurs de celles qui ont eu la grâce de le voir, et qui continuent encore à présent à quelques-unes, depuis plus de trente-cinq ans après sa mort. Il nous parlait aussi bien particulièrement de la fidélité aux saints exercices et de l’observance régulière. Il la portait au dernier point, il nous en découvrait les moindres défauts, et il nous y faisait voir de si grands avantages, que facilement l’on s’y portait avec plaisir. Il en faut dire autant de toutes les autres vertus, dont il nous a fait des conférences trois ou quatre ans une fois la semaine, ce qui a été pour notre monastère une singulière bénédiction. Mais ce qu’il avait plus et au cœur et à la bouche était Dieu seul; et il l’insinuait dans les âmes, d’une manière efficace, leur faisant faire de grands progrès dans le détachement de toutes choses, pour n’être qu’à Dieu seul sans réserve. Co peu de paroles, Dieu seul, portait dans l’esprit la lumière de ce qu’elles comprennent, et l’amour dans le cœur, pour en ôter tout ce qui pouvait faire obstacle à sa pure et divine union. Enfin, ses exhortations étaient tellement pleines de l’onction du Saint-Esprit, qu’il semblait qu’elles ne duraient pas un moment, quoique quelquefois il parlât l’espace de deux heures. Nous pensions pour lors n’être plus sur la terre, et l’on ressentait des goûts du paradis.

«Les travaux qu’il a pris pour assister sa communauté sont incroyables. Il ne se couchait pas après matines, pour donner plus de temps à l’oraison, et dès cinq heures du matin il était dans le confessionnal. Plusieurs lui faisaient des confessions générales qui étaient suivies d’une abondante bénédiction, et il avait un don particulier pour consoler les personnes qui les faisaient, pour leur ouvrir le cœur et les soutenir dans leurs peines. Il n’est pas croyable le fruit qu’il fit dans le monastère; et Dieu versa tant de grâces et de faveurs par son ministère, que plusieurs faisaient comme un jour de fête tous les ans, avec une dévotion particulière, le jour de leur confession générale, comme un grand jour pour elles.» Tel est le témoignage qu’ont rendu à l’homme de Dieu ces vertueuses religieuses...

Deuxième partie.

Chapitre Premier. De sa haute estime pour Dieu.

(1193)... Il avait pour Dieu une estime qui ne se peut dire, qui le pressait d’enseigner de tous côtés, qu’à proprement parler, il n’y avait que Dieu seul, qu’il était le grand tout, et que tout le reste devant lui n était rien; disant. s’écriait-il quelquefois, mon Dieu est de soi, je.voyais que toutes les créatures n’étaient qu’un pur néant : il assurait que cette vue l’occupait fort, et quelquefois tellement, qu’il ne pouvait comprendre comme elle n abîmait pas toutes les âmes dans sa contemplation.

Considérez, disait-il, des mille millions de créatures, mille et mille fois plus parfaites que celles qui sont à présent, tant dans les voies de la nature, que dans les voies de la grâce. Réitérez à l’infini votre multiplication, et comparez ensuite ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités : dans cette vue elles ne deviennent à rien.

Je prenais, ajoutait-il, un grand plaisir dans cette multiplication, et de voir qu’en même temps que l’être de Dieu paraissait, cos créatures qui se faisaient voir si excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d’une rapidité incroyable dans leur centre qui est le néant. Oh I que dans la vue de l’être de Dieu les créatures sont petites, et à vrai dire, un parfait néant, que l’on ne saurait expliquer!  A mesure qu’on les considère dans de différentes vues, il semble que c’est ajouter des infinités de riens à une infinité de riens. Que c’est, à mon avis, poursuivait-il, un grand coup à l’âme, de concevoir dans le rayon d’une lumière surnaturelle l’infinité de cet abyme! il en reste un si grand mépris et un si grand dégoût des créatures, que cela est incroyable. Il disait encore que Dieu dans sa sublimité est retiré dans une solitude ineffable. [...]



Chapitre II. Du pur amour que le vénérable P. Jean Chrysostome e eu pour Dieu.

(1198) [...] Il n’y a rien de plus grand, de plus glorieux, que le pur amour; puisqu’il rend celui qui le possède participant de la nature divine, et par suite il n’y a rien de plus saint et de plus divin. Mais s’il est grand dans ses élévations glorieuses et toutes divines, il est infiniment riche dans ses biens; ce qui faisait dire au vénérable P. Jean Chrysostome, qu’il fallait qu’o les hommes fussent bien aveugles pour ne pas aspirer à des grandeurs si divines, et pour négliger des trésors si riches. Les douceurs qu’il fait goûter dans sa simplicité sont si pures, qu’il n’y a que ceux qui en ont l’heureuse expérience qui puissent le comprendre. C’était dans la vue de cette vérité que notre serviteur de Dieu s’écriait : «Tendre au pur amour de Dieu, c’est l’unique vrai bien et le paradis de cette vie; tout le reste n’est que vanité et qu’affliction d’esprit.»

Et de vrai, quand vous mettriez dans une seule personne la jouissance de tout ce que le monde appelle biens, plaisirs et honneurs; quand elle serait dans la paisible possession de tout l’univers et de tout ce que ce bas monde renferme de plus agréable; voilà où toutes les prétentions des hommes de la terre peuvent aller; cependant si elle était sans le pur amour, elle serait toujours misérable; car enfin il n’y a que Dieu seul qui donne le pur amour, qui peut rendre un cœur parfaitement content. C’est ici où l’on peut remarquer la cause de toutes les peines qui inquiètent les esprits et agitent les cœurs, c’est que les esprits ne demeurent pas dans les simples lumières du pur amour de Dieu seul; c’est que les cœurs ne s’arrêtent pas aux seules affections du pur amour. De là vient que l’on trouve si peu de personnes pleinement contentes, parce qu’il y en a si peu qui veulent se contenter de Dieu seul. Or c’est une grande vérité, que comme la moindre poussière fait du mal à nos yeux, qui ne peuvent supporter la plus petite ordure, de même le cœur de l’homme ne peut admettre le moindre mélange d’aucun amour (1199) étranger, sans en souffrir de la peine : c’est pourquoi non seulement parmi les mondains, mais même parmi les gens de bien, qui visent dans la justice commune, disons encore quelque chose de plus, parmi ceux qui tendent à la perfection, l’on en trouve si peu dont la paix soit immuable; je parle de la paix qui surpassant tout sentiment, souvent n’est pas aperçue des sens, ni même quelquefois de la partie inférieure raisonnable, et qui néanmoins ne laisse pas de résider dans une grande plénitude dans le centre de l’âme, au milieu de toutes les agitations et les tempêtes qui peuvent s’élever dans nos parties inférieures, soit raisonnable, soit sensitive.

Les recherches subtiles de nous-mêmes, qui se glissent dans les choses les plus saintes, l’amour-propre qui se mêle avec le divin amour dans ce que nous faisons et dans ce que nous souffrons, laissent toujours l’âme dans l’agitation; et toutes les fois que nous nous inquiétons avec liberté, c’est une marque que le pur amour n’est pas dans sa netteté au dedans de notre cœur. Notre serviteur de Dieu et de son immaculée Mère avait grande raison de dire que le saint amour fait le paradis de la vie où il se trouve. O vous qui lisez ces vérités, faites-y attention, et apprenez-y une bonne fois qu’il n’y a point de joie pure que dans le pur amour. Mais je vous demande à vous-même, et je vous prie de vous interroger exactement sur cette vérité, n’avez-vous jamais été dans un contentement plein et parfait, ne désirant plus rien, ne voulant plus rien, quelque satisfaction que vous ayez eue de celles que les hommes désirent, si vous ne vous êtes pas contenté de Dieu seul? J’avoue avec saint Bernard que ces choses peuvent amuser, mais je soutiens avec lui qu’elles ne peuvent pas rassasier : que l’expérience le fait bien voir tous les jours, qui ne nous montre de tous côtés que des gens embarrassés, inquiets, et dans le chagrin, quelques honneurs et plaisirs qu’ils puissent posséder I

S’il se trouve des cœurs tranquilles parmi tous les plus furieux orages de la vie, c’est qu’ils se reposent uniquement en Dieu seul. [...]

Chapitre V. De son entier abandon à la Divine Providence.

(1217) Lorsqu’il allait en Espagne par l’ordre exprès de la reine, pour visiter de sa part la mère Louise, dont nous avons parlé ailleurs, il tomba dans une marnière. Mais comme la moindre feuille d’un arbre no tombe pas sans la conduite de la divine Providence, cette chute dangereuse, et qui était capable du le faire mourir, ne l’ut pas sans un secours particulier de la même divine Providence; car elle disposa les choses d’une telle manière, qu’il demeura arrêté dans sa chute par sa robe qui se prit à un bâton, ou quelque chose de pareil, ce qui donna heu de le retirer sans qu’il en reçût aucun mal. Et afin qu’on ne puisse nullement douter qu’il n’ait été assiste d’une manière toute spéciale do Dieu tout bon dans cette occasion, la mère (1218) Louise l’en assura, lui en ayant parlé d’elle-même dans leur entretien, et lui en ayant marqué les circonstances, quoiqu’il fût très-difficile, et même presque impossible qu’elle en eût nouvelle ou connaissance par aucune voie humaine, lui avant de plus témoigné qu’elle offrait pour lors ses prières à Dieu pour lui.

Mais qui pourrait dire combien de fois, en combien de lieux et d’occasions la divine Providence de Dieu a assisté son serviteur, par des voies tout extraordinaires? Il a cru lui-même par reconnaissance, et pour la gloire d’une si bonne et si fidèle mère, devoir laisser par écrit ce témoignage, qu’il en a été assisté, et sa congrégation, dans des occasions très — fâcheuses, jusqu’au miracle.

Chapitre VI. De la sainte haine qu’il s’est portée.

(1224)... ordinairement il ne lui donnait à manger qu’une seule fois par jour, et quelquefois il était unjour et demi sans rien prendre. Le pain était sa nourriture la plus commune, qu’il trempait quelquefois dans du verjus, ou d’autres sauces insupportables. Dans les jours de viande, il n’en mangeait presque point. Si dans quelques occasions il était obligé de manger chez quelques-uns de ses amis, c’était lui faire grande chère, que de lui donner quelque morceau de pain d’orge : et si on voulait lui donner quelque chose de particulier dans un temps où il était travaillé de plusieurs incommodités, il s’en privait pour le donner aux autres. Étant provincial, quoiqu’il fit de grandes journées, et à pied, durant ses visites, il mangeait si peu, que l’on s’étonnait comment il pouvait vivre. Il prenait peu de chose le matin, et marchait incessamment jusqu’au soir sans autre nourriture. Si la soif le pressait, il se contentait d’un peu d’eau qu’il puisait dans le fond de sa main dans les fontaines ou rivières qu’il rencontrait. Un grand nombre de fois allant par la ville, et étant obligé do donner un peu de temps à grand nombre de personnes qui demandaient ses avis (car il restait peu chez chacun), il ne prenait qu’un peu de pain jusqu’au soir, et quelquefois même il revenait sans avoir rien pris; et et après tout cela, il ne laissait pas, en de certaines occasions, de faire des exhortations aux religieuses de Sainte-Elisabeth, lorsqu’il était de retour au couvent. Mais il avait une viande à manger, à l’imitation de son Maître, que les hommes ne savaient pas; et cette viande était de faire la volonté de celui qui l’avait envoyé, et d’accomplir son œuvre.

Comme il était désiré de plusieurs personnes illustres, pour être secouru de ses avis dans leurs besoins spirituels; si elles étaient pressées de maladie, et qu’il fût obligé de se servir de quelque commodité pour aller les assister, il n’en voulait point d’autre que celle d’un âne, pour se rendre imitateur de son bon Sauveur en toutes choses; et dans le voyage qu’il fit par l’ordre du roi Louis XIII, de glorieuse mémoire, pour aller voir de sa part la reine mère, Marie de Médicis, il ne fut jamais possible de lui faire accepter les commodités avantageuses qu’on lui offrait. Quoi que les médecins lui pussent dire, dans une fâcheuse maladie qui lui arriva, pour modérer ses austérités, jamais ce vrai pénitent ne voulut se relâcher de ses exercices. Il dormait très peu; le cilice et les chaînes de fer étaient les instruments ordinaires dont il faisait souffrir sa chair. Il a porté une ceinture de petits crampons de pointes de fer, qui était enfoncée dans son corps et qui lui avait fait des plaies dont sortait le pus. Enfin son plaisir était de se faire bien du mal, afin que se haïssant ainsi saintement en ce monde, il se conservât pour la vie éternelle. Ce lui était même une bonne souffrance que de ne pas souffrir; et s’il arrivait que quelques personnes séculières (1225) lui donnant à manger voulussent lui faire bonne chère. il disait : «Ces pauvres séculiers pensent me faire plaisir, et ils me font un grand tourment.»

L’on peut dire qu’o toutes ses grandes austérités lui ont diminué notablement ses forces, et abrégé les jours de son pèlerinage en cette terre d’exil; mais il a fait en cela ce que plusieurs des plus grands saints ont fait, et particulièrement saint François son bienheureux père, qui marquait assez à sa mort que ses pénitences avaient été excessives. Dieu est admirable dans ses saints, et il les conduit par des voies extraordinaires que tout le monde ne doit pas suivre, mais qui nous sont des sujets d’une extrême humiliation en sa divine présence [...]

... ayant appris les merveilles extraordinaires que la toute-puissance de Dieu opérait par la mère Louise, religieuse d’Espagne, dont nous parlons en plusieurs endroits de cette Vie, et s’étant glissé imperceptiblement de l’activité naturelle et quelque légère curiosité dans le désir que la grâce lui inspirait de la voir et de l’entretenir du royaume de Dieu, il en fut puni par une grande et dangereuse maladie qui lui arriva dans le voyage qu’il fit pour aller visiter cette grande âme, qu’il crut voir, (1230) quoiqu’elle fût Lien éloignée du lieu où il était, lui disant que se curiosité était cause de la maladie qu’il avait. Elle avait une haute estime de sa vertu et lui parlait avec beaucoup de confiance. L’on a même conjecturé qu’elle lui avait prédit les terribles croix qu’il a portées depuis ce temps-là. Elle lui en donna quantité de figures, lui faisant présent d’un nombre de croix et de chapelets, que la reine voulut avoir à son retour, à raison de l’estime qu’elle faisait de la rare sainteté de cette illustre religieuse, qui ne tarda guère, après le départ du Père, de passer par les épreuves ordinaires des favoris de Dieu, qui sont les grandes tribulations qu’il leur envoie.

Elle avait prié le Père de différer pour quelque temps son retour en France, prévoyant bien les puissants secours qu’elle en recevrait au milieu des contradictions qui lui devaient arriver par les orages et les tempêtes que des personnes très-considérables lui devait susciter; mais, comme elle ne s’expliqua pas ouvertement sur cette matière, le Père, qui d’ailleurs aspirait après la retraite de son couvent, ne différa point son retour. Mais à peine était-il arrivé en France, qu’il apprît les grandes contradictions de cette vertueuse religieuse, ce qui le toucha beaucoup et lui donna un sensible regret de n’être pas resté plus longtemps auprès d’elle. [...]

Chapitre VIII. De son rare amour pour la vie cachée.

(1236)... Le P. Jean Chrysostome qui n’en était point en évitait la rencontre autant qu’il le pouvait, et ses plus chères délices étaient dans son éloignement : ce qu’il montra bien lorsqu’il fut envoyé gardien au couvent de Franconville à la sortie de son provincialat. Ce couvent est situé dans une solitude, au coin d’une forêt, et que peu de religieux habitent, et par suite tout propre à ne plus voir les créatures, mais à beaucoup voir Dieu. Il serait difficile d’expliquer la sainte joie de son béni cœur à la nouvelle qu’il reçut que la divine Providence le destinait pour ce lieu qu’il regarda dès lors comme son lieu de délices; aussi ne tarda-t-il pas à s’y rendre au plus tôt : ii ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits, et les mettre dans une besace, dont il se chargea les épaules à son ordinaire; et ce qui est remarquable, c’est que, sortant pour lors du couvent de Picpus, et passant au travers de Paris, il le fit sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis, quoiqu’il y en eût un bon nombre de très illustres. [...]

Chapitre IX. De son amour admirable pour la vie abjecte.

(1241).... Il s’était imposé, comme une règle, de demander à Dieu avec instance la foi des pures humiliations, et de vivre et mourir sans en être désaltéré. Et certainement il faut demeurer d’accord que cette soif lui fut accordée abondamment, puisque l’auteur du Chrétien intérieur nous a dit que ce bon père, dont il était le disciple, comme nous le dirons dans la suite de ce traité, avait fait un vœu de jeûner cent jours en l’honneur de saint Joseph, en Action de grâces, s’il obtenait, par sa puissante faveur auprès de l’adorable Jésus, la précieuse grâce d’être méprisé de toutes sortes de personnes....

Chapitre X. De son amour insatiable pour les croix.

(1247)... Ce grand amant de la croix de Jésus, en portant d’extrêmes à la fin de sa vie, son esprit étant tout crucifié, son pauvre corps consumé d’austérités demeura comme accablé, à raison de l’union qu’il a avec l’âme. Il sentit pour lors son corps dans une amertume inexplicable, et qui ne pouvait presque plus respirer pour l’angoisse et la tristesse qui le surchargeait. Mais, ô amour rare de la croix de notre bon Sauveur, ô amour inouï, amour dont on aura de la peine à trouver l’exemple! Étant ainsi tombé dans un abîme, où il ne trouvait point de fond, les eaux de la tribulation ayant pénétré jusque dans son âme, et la tempête l’ayant submergé, pour parler le langage de l’Écriture, une personne très-considérable, et qui est encore en vie (et c’est d’elle que je sais la chose), lui ayant un jour demandé à quoi il pensait et quelle était l’occupation de son âme dans des états si affligeants, il lui répondit : «Qu’il était occupé à demander à Dieu de nouvelles répugnances pour ses croix, outre celles qu’il avait, alla qu’elles lui fussent de plus grandes, do plus pénibles et de plus sensibles croix.»...

Troisième partie

Chapitre III. De sa dévotion aux mystères de l’aimable Jésus.

(1275)... C’était particulièrement sa douloureuse passion qui emportait toutes les affections du P. Jean Chrysostome. [...] Il rapportait qu’un jour, étant furieusement tenté de désespoir, et lui semblait qu’il n’y avait plus de salut pour lui, parce que toutes les actions de sa vie lui paraissaient des péchés et des imperfections [...] il fut encouragé par la vue de ce Précieux sang, et par une voix intérieure qui lui dit : Qu’il avait été répandu pour tous ses péchés et défauts. [...]

Chapitre IV. De son Oraison.

Le bon P. Jean Chrysostome donnait un excellent avis au sujet de l’impuissance ou de l’inutilité que plusieurs prétendent pour ne se pas adonner à l’oraison. Il disait donc, que lorsque l’on ne pouvait méditer, il fallait se tenir doucement et simplement en la présence de Dieu, on dans le souvenir pur et simple de Jésus-Christ, dont la seule pensée, selon les saints Pères, porte avec soi de grandes bénédictions; et il ajoutait, qu’il avait vu plusieurs serviteurs de Dieu, qui, ne pouvant se servir de l’oraison du discours, et s’étant (1284) appliqués à adorer Dieu dans ses vérités universelles, et Jésus-Christ dans ses états, y avaient fait un tel fruit et reçu tant de bénédictions, qu’ils étaient parvenus à une pure contemplation, qui n’agite point l’imagination et ne fait aucun mal à la tête; ce qui est bien propre aux infirmes. Il remarquait encore qu’il y a de certains états de peines, dans lesquels il ne se faut pas violenter par une application distincte, se contentant d’une vue confuse de la présence de Dieu. Que l’on peut, en de certains temps dans ces états, prononcer quelques actes, quoiqu’il semble que cela ne se fasse qu’à l’extérieur, et que l’on n’y trouve aucun goût, mais de la répugnance.

Il avertissait qu’il ne faut pas interrompre son recueillement sous prétexte de ses besoins spirituels, comme de penser à ses défauts; et aussi, que les prédicateurs doivent bien prendre garde à ne pas faire une étude de leur oraison, s’occupant de ce qu’ils doivent prêcher, et se tirant de la pure application à Dieu, ce qui est une grande tromperie, mais qui n’arrive pas lorsque les prédicateurs, étant remplis de la plénitude de l’esprit de Dieu qu’ils ont reçu dans leur oraison, vont la communiquer; mais cela suppose une grande occupation de Dieu, et une grande désoccupation de soi-même et de ce qui nous regarde. Or, cette plénitude de Dieu ne se doit pas prendre simplement lorsqu’elle se manifeste en la contemplation par une abondante lumière; mais encore en ce que, hors le temps de cette jouissance, elle ne laisse pas de séparer l’âme des créatures, et de l’élever à son divin objet par une vive, mais secrète tendance d’amour.

Il enseignait que c’est une chose dangereuse de résister à l’attrait passif, et que l’on se prive de biens immenses; et que les directeurs qui empêchent les âmes de s’y laisser aller, ou par ignorance, ou par des craintes mal fondées, en répondront sévèrement au tribunal de Dieu; que, dans cet état d’oraison passive, plus la lumière monte haut dans la partie intellectuelle, et est dégagée de l’imagination et du sensible, plus elle est pure, forte et efficace; et que quelquefois elle est si pure, qu’au sortir de l’oraison l’on ne s’aperçoit pas que l’on y ait rien fait; que pour les abstractions, extases, suspensions qui y peuvent arriver, il faut avoir recours à la direction pour les prévenir, et empêcher autant que l’on peut dans l’excès de leurs effets; car quelquefois l’opération est si impétueuse et si violente, qu’il faut doucement s’en divertir, et sainte Thérèse conseillait pour lors à ses prieures d’occuper les filles qui souffraient de telles opérations, au travail extérieur. [...]

Chapitre VII. De sa charité pour le prochain.

[1299]... Mais voyons cet Évangile pratiqué en la personne du vénérable P. Jean Chrysostome,

dont l’une des maximes était qu’il ne fallait regarder le prochain qu’en charité et en vérité dans l’union intime avec Dieu; ceux qui le voient d’une autre manière, c’est-à-dire par leurs yeux de chair, selon l’esprit de l’homme, par leurs inclinations ou aversions naturelles, ne le regardent pas dans la charité de Jésus-Christ, qui est toute surnaturelle, qui n’écoute ni inclinations ni aversions, et qui ne se porte vers les autres ni par amour purement naturel, ni ne s’en éloigne par aucune aversion naturelle, mais qui suit en cela les mouvements de la grâce et les inclinations de Jésus-Christ; et pour lors l’on demeure dans la vérité, comme l’on est dans l’erreur et dans le mensonge, lorsque l’on s’écarte de ce chemin de la foi. Ces erreurs, qui sont assez communes, et qui font souvent prendre le change, confondant l’amour humain avec le divin...

Chapitre VIII. De la sainteté de sa conduite. Éloge de M. de Bernières et de M. de la Forêt.

(1311)... La première est feu M. de Bernières, de Caen; je parle de la sorte pour le distinguer de feu M. de Rernières, maître des requêtes. Bernières était le nom de famille de celui dont nous allons parler. M. de Bernières, maître des requêtes, ne se nommait de la sorte, qu’à raison d’une terre dont il était seigneur, qui portait ce nom. Le disciple du vénérable P. Jean Chrysostome était trésorier de France à Caen, et il vécut toujours dans le célibat. Sa précieuse mort est arrivée environ la cinquante-septième année de son âge. Il s’était donné à Dieu dans les plus belles années de la vie; et dès ses commencements il avait fait, comme l’on parle, des coups de maître. L’esprit d’oraison, l’amour de la vie retirée, pauvre et abjecte, était le caractère de sa principale grâce. Ce n’est pas qu’il ne s’adonnât aussi aux œuvres de charité; et l’on peut dire qu’il s’en est peu fait de considérables dans les lieux où il e demeuré, où il n’ait eu grande part; en sorte qu’il pouvait dire avec le Prophète-Roi : «Seigneur, je suis lié d’affection et de société arec tous ceux qui vous craignent et qui gardent vos commandements.» (Psal. CXVIII, 63.) Il aimait les pauvres tendrement, et il n’oubliait rien pour les assister dans tous leurs besoins. On l’a vu aller les chercher dans leurs chétives maisons, pour conduire ceux qui étaient malades à l’hôpital; et ce qui est bien extraordinaire, pour une personne de sa qualité, et encore plus rare dans un jeune homme comme il était pour lors, il leur servait de portefaix, ou pour mieux dire, de père; car il les portait lui-même, comme un père ferait de son enfant; et c’était un agréable spectacle aux yeux de Dieu et de ses anges, pendant que les gens du siècle en riaient, de voir une personne de sa qualité et de son âge, passer tout au travers d’une grande ville, comme est celle de Caen, et au milieu des rues, où il se trouve une plus grande affluence de peuple, portant sur son dos des pauvres malades à l’hôpital, qui est à l’une des extrémités de cette ville. Que pouvait-on espérer dé tels commencements? et faut-il s’étonner s’il est arrivé à la fin de sa sainte vie à un si parfait mépris de lui-même, ayant commencé par des mortifications si humiliantes devant te monde; aussi est-il vrai que l’amour de l’abjection a toujours été le sujet de ses grandes inclinations? Il avait reçu cet esprit abondamment de Notre-Seigneur crucifié, par les communications de son saint directeur, qui avait établi, comme ou l’a remarqué, une société spirituelle que l’on appelait la confrérie ou société de la sainte abjection. L’on peut bien croire que cette société n’eut pas grand nombre de confrères, il s’en trouva néanmoins qui s’y rangèrent et avec une générosité vraiment chrétienne dans l’union de Jésus, abject et méprisé, faisant plus d’état de participer à ses opprobres, que de tous les honneurs de la terre. Or, M. de Bernières fut l’un des (1312) premiers et plus ardents confrères de cette Société : et comme la pauvreté renferme l’abjection, cette vertu fut aussi sa chère vertu; et il voulut prendra la qualité, et être nommé dans le particulier parmi ses amis spirituels, frère Jean (et Jean était son propre nom) de Jésus pauvre. Il serait bien difficile de déclarer ici les forts mouvements qu’il avait pour être pauvre, avec l’Homme-Dieu pauvre, l’adorable Jésus; il avait même des tendresses merveilleuses pour la pauvreté, à l’imitation de son bon Sauveur. C’était dans cette vue qu’il mangeait dans de la vaisselle de terre, comme les religieux capucins : qu’il ne voulait pas qu’il y eût aucune tapisserie dans le lieu où il logeait; qu’il mangeait du gros pain, que l’on appelle en Normandie du pain bis, et que l’on nomme autre part du pain noir; et que lorsqu’il était obligé de prendre quelque chose le matin, il le prenait sec, sans vouloir manger rien qui y pût donner du goût, comme, par exemple, du beurre.

Or, cet amour pour une vertu dont on veut si peu dans le monde, et que presque tout le monde fuit, qui est même si rarement goûtée parmi bien des gens de dévotion, fit de si grands progrès dans son cœur, qu’enfin il voulut actuellement être pauvre par un entier dépouillement de tout son bien, qui était considérable. Cent et cent fois il avait regardé ce dépouillement comme l’un des plus heureux états de la vie. L’un de ses plaisirs était de se figurer quelque conduite de Providence qui, lui ayant fait perdre tout son bien, l’obligerait à aller mendier son pain de porte en porte. il ne pouvait envisager cet état que comme le paradis de la vie présente. Le P. Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce, et qu’il n’aurait jamais de parfait repos qu’il n’y fût comme dans son centre. Ce sentiment d’un directeur si éclairé dans les voies de l’Evangile, adressé à un disciple qui les aimait si fortement, en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre; mais comme son bon directeur n’était plus ici-bas en ce monde, il ne trouvait presque personne qui ne s’y opposât. Ce n’est pas qu’il eût pris d’autre directeur depuis la mort du saint homme, se réglant toujours par les conseils qu’il en avait reçus, et demeurant même dans cet état par ses avis. Il lui avait bien demandé quel directeur il choisirait après sa mort, mais il lui avait répondu confidemment qu’il n’en connaissait point qui lui fut propre : ce qui a assez de rapport à ce que dit saint François de Sales, qu’entre dix milles l’on a peine à en trouver un qui ait toutes les qualités que Dieu demande; ainsi il n’en a point eu d’autre. Cependant, comme il était très-humble, il ne laissait pas de prendre quelques avis des serviteurs de Dieu dans les occasions. Mais où en trouver qui conseillassent à un trésorier de France, qui prenait soin de toutes les bonnes œuvres du pays et qui était l’asile de tous les nécessiteux, qui (1313) lui conseillassent de quitter tous ses biens? Bien davantage, madame sa belle-sœur, par une conduite très-généreuse et bien contraire à l’humeur ordinaire, s’y opposait fortement, quoiqu’elle sût qu’il ne se dépouillait de ses possessions qu’en faveur de messieurs ses enfants; M. de Bernières jugeant en devoir user de la sorte, et croyant ne devoir pas vendre son bien pour le donner aux pauvres, comme l’Évangile le conseille, pour de bonnes raisons qui lui étaient particulières en cette rencontre, et qu’il regardait dans l’esprit de l’Évangile. Il avait donc de grands obstacles à surmonter; et, parmi toutes les difficultés qu’on lui faisait, il me dit un jour : ma belle-sœur fait de son mieux pour empêcher que je ne sois pauvre : elle me fait parler pour ce sujet par de bons religieux; mais enfin il n’est pas en mon pouvoir d’être plus longtemps riche. Je ne saurais plus supporter les biens temporels, et, si ma famille ne veut pas prendre ceux que je possède, je les vendrai pour les donner à ceux qui se présenteront : il n’y a plus moyen de n’être pas pauvre. Effectivement il le montra bien, car il fallut le laisser faire et le laisser dépouiller de tout ce qu’il possédait. Il fut donc véritablement pauvre, et, dans ces dernières années, il vivait de ce qu’on lui donnait : ce que son illustre famille faisait à la vérité abondamment, mais toujours il était dans la dépendance, et il n’avait plus rien en propre.

Un si grand dégagement donna lieu aux plus saintes grâces du ciel, qu’il versait avec largesse dans le cœur d’un homme qui avait tout quitté pour le posséder. Sa mortification intérieure suivait son dégagement extérieur; Dieu seul lui était tout en toutes choses dans l’union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il avait une conscience si pure, qu’il m’a témoigné un jour qu’il souffrait de ce qu’étant allé en pèlerinage à un lieu consacré à Dieu en l’honneur de son immaculée Mère, sous le titre de Notre-Dame de la Délivrance, dans la compagnie de plusieurs saintes personnes, il en avait reçu une joie sensible dans les entretiens de ces personnes d’élite et d’une rare vertu, et il craignait que la nature n’y eût pris quelque part; c’était la matière qu’il avait pour se confesser, comme il me l’avoua bonnement. La vue de Dieu seul, qui lui faisait mener une vie si pure, lui inspirait un grand zèle pour établir la même pureté dans ses amis spirituels; ce qu’il me fit assez paraître un jour, lorsqu’étant invité d’aller chez une personne de qualité, où l’on devait toucher un instrument de musique, il me dit, me parlant de l’un de ses amis qui tendait beaucoup à Dieu : Je ne sais si je l’y dois mener, j’ai peur qu’il ne soit pas encore assez fort, et que la nature ne prenne part au plaisir de la musique; mais voici des sentiments bien capables de faire voir l’extrême pureté où il était arrivé. Il assurait que la désolation d’une province, où tout ce qu’il avait de plus cher serait engagé, n’y considérant que les pertes et les maux temporels qui en arriveraient (1314) lui serait quelque chose do moins insupportable qu’une seule action indifférente, supposé qu’il y en ait. Or voici la raison qu’il en rendait : c’est que dans le Chrétien, disait-il, tout doit être surnaturel et divin dans ses opérations; c’est l’Esprit de Jésus-Christ qui l’anime, qui le gouverne, qui agit par lui. Si donc il agit purement en homme, il fait cesser l’opération de Jésus-Christ pour substituer la sienne en sa place : ce qui lui semblait une chose étrange, quand bien même l’action ne serait qu’indifférente et qu’il n’y aurait pas de péché. C’est, disait-il, tomber plus haut que du ciel en terre, puisque c’est tomber de l’opération d’un Homme-Dieu dans l’opération d’une pure créature. Eh! que dirait-on si on voyait ce Dieu de toute grandeur visiblement vouloir mettre sa main à une chose, et qu’une créature fut assez présomptueuse pour l’empêcher et y mettre la sienne à sa place? Mais n’est-ce pas ce que nous faisons quand nous cessons d’agir en Chrétiens, surnaturellement, et par l’Esprit de Jésus-Christ, pour agir seulement en hommes?

Cette pureté si simple venait de sa grande union avec Notre-Seigneur dans l’oraison, qui a fait la grande occupation de se vie. Son saint directeur lui avait conseillé pour y vaquer avec plus de liberté, de faire bâtir un logis dans l’entrée de la maison des religieuses ursulines de Caen, près de la grande porte de leur cour extérieure, l’assurant qu’un jour elle servirait à plusieurs serviteurs de Dieu pour s’y retirer. Ce fut le bon Père qui en donna et traça le dessin, le nombre et la grandeur des chambres, et tout ce qui devait accompagner ce petit bâtiment; l’ou a bien vu par la suite que le Père parlait par l’esprit de Dieu. On appelait ce lieu l’Ermitage, parce que, quoiqu’il fût dans une grande ville, on y menait une vie retirée, et toute d’oraison. Je puis assurer avec sincérité, qu’ayant eu la grâce d’y passer deux ou trois mois, je n’y ai jamais oui d’autres entretiens durant tout ce temps-là, que ceux de l’oraison. L’on n’y parlait d’autre chose, et durant le temps de la récréation, aussi bien qu’en tout autre temps : et en vérité, c’était la plus douce récréation de ce saint lieu; et ce qui est de merveilleux, c’est que l’on ne s’en ennuyait jamais. L’ou y passait les jours, les mois et les années en parlant toujours de la même chose, qui semblait toujours nouvelle; et c’est qu’elle tendait uniquement à Dieu seul, le seul lieu de notre véritable repos. Les discours du monde, les nouvelles de la terre n’y avaient aucun accès : il n’y avait aucun exercice particulier de piété réglé, parce que l’oraison perpétuelle eu faisait toute l’occupation. L’on s’y levait de grand matin, et durant toute la journée c’était une application continuelle à Dieu. M. de Bernières sortait pour les affaires de Dieu et pour les fonctions de se charge : mais ceux qui l’ont connu, savent qu’il ne sortait jamais de l’union avec Dieu. Il avait passé par différents degrés de l’oraison, et enfin il y était élevé dans ce (1315) qu’il y a de plus sublime; et l’on peut dire, sans exagérer, qu’il a été, tout trésorier de France qu’il était, un des plus grands contemplatifs de notre siècle.

C’était dans cet exercice angélique qu’il avait puisé les divines lumières que toute l’Europe admire dans ses traités de la vie intérieure. Mais je dois avertir ici, qu’ils n’ont paru qu’après l’heureux décès de leur digne auteur, qui a dicté toutes les lumières que l’on y voit sans aucun dessein qu’elles fussent données au public, ni d’en composer aucun livre; il les dictait seulement à un bon prêtre qui logeait avec lui, et qui les écrivait, parce qu’il ne pouvait le faire lui-même, à cause qu’il était fort incommodé de la vue. Il les dictait par pure obéissance à son directeur, qui par inspiration divine le lui avait ordonné; et nous pouvons dire qu’on lui en a l’obligation tout entière, en ce que l’esprit de Notre-Seigneur s’est servi de lui, pour ne pas laisser ensevelir tant de grâces. Il y a encore bien des sublimes vérités que le public n’a pas vues : je me souviens d’en avoir vu quatre tomes de manuscrits fort amples, qui peuvent servir d’une vaste matière à en composer de nouveaux traités, comme ils ont servi à composer le Chrétien intérieur, car, comme je l’ai remarqué, M. de Bernières dictait seulement les lumières de son oraison par pure obéissance, sans dessein d’en faire aucun livre. L’onction divine qui s’y fait goûter marque assez de quel esprit partaient toutes ces pures lumières; c’est ce qui a fait que le livre du Chrétien intérieur a été lu de tous côtés dans les communautés d’hommes et de filles, qu’il a été goûté par les doctes, aussi bien que par les ignorants : qu’on l’a vu entre les mains de personnes de toutes sortes d’états, et de la première qualité; qu’il a passé de la France dans les autres royaumes; qu’il a été traduit en plusieurs langues; qu’il a paru à Rome, et y e été reçu avec un accueil extraordinaire; que les cardinaux et les évêques en ont fait leur lecture; et qu’enfin partout il a été un livre de bénédiction.

Or, son digne auteur n’en a pas seulement distribué les grandes vérités par cette voie, dont la divine Providence s’est voulu servir, mais il les a de plus établies de vive voix par une vocation assez extraordinaire : je l’appelle extraordinaire, en ce qu’étant laïque, grand nombre de personnes avaient recours à lui, pour en recevoir les conseils pour la direction de leurs consciences. J’avoue en même temps que ces sortes de voies ne doivent tirer à aucune conséquence, puisqu’elles ne sont pas dans la conduite ordinaire de la divine Providence, et que ce serait une dangereuse illusion de vouloir les imiter. Après cela il faut demeurer d’accord que Dieu a suscité dans l’ancienne loi des prophètes d’une manière singulière pour annoncer ses vérités; qu’il est le mettre dans nos temps aussi bien que dans ces siècles, et qu’il fait ce qu’il lui plaît il serait difficile de dire le nombre de personnes différentes et de divers états qui demandaient (1316) des avis spirituels à cet homme si éclairé dans les voies intérieures. Non seulement il était consulté par les laïques, mais par les ecclésiastiques et les religieux. Grand nombre de ces derniers ont fait des retraites dans sa maison avec la permission de leurs supérieurs; et les supérieurs mêmes de plusieurs ordres lui ont demandé des conseils. Je sais un ordre qui en a reçu des bénédictions signalées, et auquel il a merveilleusement contribué, pour le mettre dans la parfaite régularité dans laquelle on l’a vu. L’on peut écrire de lui qu’il a fait des saints; comme on l’a écrit de son digne directeur; car c’était une chose admirable de voir le changement que l’on remarquait dans les personnes qui avaient des liaisons spéciales avec lui, et particulièrement dans les ecclésiastiques et les religieux. Ceux qui aspiraient aux dignités et aux charges, qui se piquaient de science et d’honneur, ne pensaient et ne parlaient plus que de la vie cachée, abjecte et pauvre, de n’être plus rien dans les esprits et dans les cœurs des hommes; de faire leur grande étude aux pieds de Jésus-Christ crucifié, de vivre d’une vie continuelle de mort, pour ne plus vivre que de la vie divine.

L’on ne peut objecter qu’une seule chose à tant de grâces, c’est l’indiscrétion de quelques jeunes gens, emportés par leur zèle, qui avaient demeuré avec lui dans cet ermitage; mais il est aisé d’y répondre puisque la chose n’est arrivée que longtemps après sa précieuse mort; elle n’a donc pu être faite par ses avis, puisqu’il n’était plus en ce bas monde pour les leur donner. Après tout, il ne faut pas tant être surpris si quelques disciples de M. de Bernières, après son décès, se sont laissés aller à quelques excès de zèle, puisque Jésus-Christ le souverain directeur des âmes, en eut des multitudes qui se sont égarés, même dans de mauvaises erreurs, interprétant mal son saint Évangile. Je demande après cela s’il faut s’en prendre à notre adorable Maître, et si les illusions de ces Chrétiens trompés doivent être rejetées sur celui dont ils faisaient profession d’être les disciples. Mais afin que les lecteurs qui ignorent ce que nous écrivons, puissent être instruits de la vérité, je dirai que l’emportement de quelques jeunes gens qui avaient demeuré avec M. de Bernières leur est arrivé par un pur excès de zèle qu’ils avaient pour la foi catholique; ce qui les obligea d’aller crier per les rues dans un habit abject, et pouvait les faire passer pour ridicules, et publier hautement leurs sentiments. Ils furent quelque temps dans cet excès de zèle; mais ce qui est remarquable, c’est qu’il n’y en a pas eu un seul de toute cette troupe, je parle de ceux qui avaient demeuré avec I’auteur du Chrétien intérieur, qui se soit démenti de la pratique solide de la vertu. On les a vus, après cet emportement, exceller dans les plus sublimes vertus, tenir une conduite fort sage et très réglée, travailler pour le prochain avec des bénédictions surprenantes : il y en (1317) a qui ont beaucoup servi au gouvernement de plusieurs diocèses, dont on a pris les avis, et qui ont été consultés généralement avec des succès tout particuliers : il y en a qui sont morts dans une grande odeur de sainteté. J’ai cru devoir faire cette remarque en passant, au sujet de la mémoire de M. de Bernières, que quelques-uns ont voulu combattre au sujet de ces jeunes gens, sans en avoir un véritable fondement.

Mais c’est avec sujet que nous pouvons dire qu’elle est en bénédiction, pour les grâces que le ciel lui a faites, et pour les vertus solides qu’il a pratiquées. Il recevait assurément des grâces de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui étaient très-particulières. Ses paroles étaient pleines d’une force divine, et gagnaient les cœurs à Dieu. L’ayant un jour averti de quelques manquements d’une personne qui dépendait de lui, je remarquai qu’il fut assez longtemps sans lui en rien dire; et j’admirai après cela, que lui ayant fait voir ses défauts en très peu de paroles, et pour ainsi parler, sans presque lui rien dire, cette personne demeura tout à coup comme terrassée sous le poids du peu de paroles qu’il lui avait dites, et apporta le remède à ses manquements. Je vis bien qu’il avait tardé à l’avertir, non pas par aucune négligence, mais attendant le mouvement de l’esprit de Dieu qui agissait en lui. S’il lui eût parlé plus tôt, il l’eût fait en homme, et ses avis n’eussent pas eu les effets qui arrivèrent.

Dieu lui donnait des lumières extraordinaires sur les besoins extérieurs et intérieurs (note : c’est de lui-même que Boudon parle ici en tierce personne). J’ai connu une personne qui, étant dans une ville éloignée de celle où il demeurait, qui, ne vivant qu’o des purs secours de la divine Providence, et étant dépourvue pour lors de toutes choses; pour pouvoir faire un voyage qu’elle devait entreprendre, comme elle ne savait que faire, demeurant cependant dans une profonde paix et sans s’inquiéter du lendemain, Dieu tout bon voulut faire connaître son besoin au saint homme, et il lui en donna lumière tout à coup dans son oraison; ce qui le pressa de lui envoyer cent francs (et c’est l’unique fois qu’il lui a donné quelque chose) qu’elle toucha la veille ou le matin du jour qu’elle devait partir. Un jour m’ayant dit ses sentiments au sujet de quelque chose qu’il pensait que Dieu demandait de moi, peu après il me dit tout le contraire, et m’assura qu’il en avait reçu la lumière, dans son oraison, que je ne puis douter venir de Dieu, par la longue expérience que j’en ai eue, et que j’ai encore parfaitement. Il avait le don de la foi dans un très éminent degré, portant une opposition extraordinaire à toutes les nouveautés en fait de doctrine. Le respect qu’il avait pour les indulgences était très-singulier et il portait toujours sur lui plusieurs médailles bénites : il avait une profonde vénération pour les plus petites cérémonies de l’Église. Sa dévotion pour la (1318) très sacrée Vierge, et spécialement envers son Immaculée Conception, était toute particulière. Il était de sa congrégation, érigée dans les maisons de la Compagnie de Jésus, et qu’il a fréquentée assidûment jusqu’à sa mort, ayant toujours conservé une liaison de grâce très-grande avec les enfants de saint Ignace de Loyola, qui la gouvernent. Il a excellé dans le culte des anges bienheureux et des saints; et comment n’aurait-il pas grandement honoré les saints du paradis, ayant eu tant de respect pour les saints de la terre? Il est parti plusieurs fois de la basse Normandie, pour faire des voyages sans autre motif ou dessein que d’aller, comme il disait, chercher les saints.

Et de vrai, il a eu habitude, avec grand nombre de personnes qui ont éclaté en sainteté; et, après avoir bien cherché les saints, les saints sont venus le chercher; sa maison, comme il a déjà été dit, et selon la prédiction du bon P. Jean Chrysostome, ayant servi de retraite aux serviteurs de Dieu et de son immaculée Mère. Je sais plusieurs personnes de grand mérite qui y ont été et qui sont maintenant élevées à la dignité épiscopale. Entre ce nombre, feu Mgr l’évêque de Bérite, l’un des premiers évêques de la Chine, est bien remarquable. Ceux qui ont lu les relations de ce vaste et éloigné pays, savent les excellentes vertus de ce très digne prélat, et les grandes bénédictions que Dieu tout bon a données à ses fonctions apostoliques. Mgr l’évêque de Québec en Canada mérite bien aussi d’être considéré pour ses rares mérites; et il est juste de remarquer que la divine Providence s’est voulu servir de M. de Bernières pour le bien de la religion et la propagation de la foi dans les extrémités du monde, dans l’empire de la Chine et dans tout le pays du Canada. Ceux qui voudront savoir les grands secours que ce dernier pays en a reçus pourront les lire dans la vie de la vénérable mère Marie de l’Incarnation, supérieure des religieuses Ursulines de Québec, qu’il alla prendre à Tours pour la conduire jusqu’au port où elle devait s’embarquer quand elle y passa de France. Cette vaste et étendue charité qu’il avait pour toutes sortes de nations et de peuples était fondée sur une foi vive qu’il avait de celle de Jésus-Christ, qui s’étend universellement sur tous les hommes; et il était si saintement et si ardemment zélé pour cet amour sans réserve de notre débonnaire et miséricordieux Sauveur, qu’il s’était fait faire un cachet qui portait l’image de ce Sauveur crucifié, avec cette inscription; Jésus est mort pour tous les hommes. Il e même voulu que ces paroles fussent écrites sur son tombeau, ana qu’il pût en cette manière continuer à publier hautement les sentiments de sa foi touchant la mort de son divin Maître. Et comme il avait assez marqué sa volonté à ce sujet durant sa vie, elle a été fidèlement exécutée, et on lit ces paroles écrites en gros caractères (1319) sur le tombeau du serviteur de Dieu et de son immaculée Mère : Jésus-Christ mort pour tous les hommes. Ainsi, tant que durera ce tombeau, qui est dans l’église des Ursulines de Caen, dont sa très digne sœur, qui en a été longtemps supérieure, a été aussi la fondatrice, il apprendra à tous ceux qui l’approcheront l’amour universel de l’aimable Jésus pour tous les hommes. L’on rapporte plusieurs miracles faits sur des personnes qui ont eu recours à ses intercessions; mais li en faut laisser le jugement aux prélats, à qui il appartient d’en décider. Seulement je crois devoir dire qu’o les personnes qui ont cru avoir été secourues miraculeusement sont des personnes du monde, de qualité, de bon esprit, et qui ne donnent pas légèrement créance aux choses extraordinaires, étant très retenues en ces rencontres.

La seconde personne que nous pensons devoir nommer, et qui a fait des progrès admirables dans les voies de la pure vertu sous la conduite du vénérable P. Jean Chrysostome, a été feu M. de la Forêt. Nous avons dit que le bon Père étant encore jeune écolier prenait la liberté de lui écrire sans le connaître, et sur la seule réputation de sa sainteté, afin de s’enflammer par ses lettres dans les flammes du pur amour. Nous avons dit comme M. de la Forêt ne rebutait pas ses lettres, et voulait bien même lui faire réponse. Mais quelques années après, ce jeune écolier s’étant fait religieux, et ayant été envoyé à Paris, il eut une sainte liaison avec ce grand serviteur de Dieu, qui ayant découvert en lui des lumières admirables qui lui étaient données pour mener les âmes à Jésus — Christ, et qui étaient accompagnées d’une haute sainteté, il n’eut pas honte do se rendre disciple de celui dont il avait été le maître, et de se mettre sous sa conduite. Le Père composa sa vie après sa mort, dans laquelle il a décrit dignement ses éminentes vertus et les grâces signalées qu’il avait reçues de Dieu. Il est enterré en la chapelle de la Sainte Vierge, chez les religieux pénitents de Picpus, proche Paris, avec une épitaphe écrite sur un marbre, que le même Père a composée.

L’on pourrait rapporter ici un bon nombre d’autres grandes âmes qui, comme des géants, pour me servir des paroles de l’Écriture, ont couru avec ardeur dans les voies de la sainteté sous un si bon guide; car le Seigneur lui avait donné la science des saints et un zèle extraordinaire pour l’établissement du règne de Jésus-Christ dans les cœurs, sans y voir et sans y chercher autre chose. «Il ne faut voir que Dieu seul,» les directeurs qui mêlent leur propre esprit avec le sien, et leurs propres intérêts avec ses divins intérêts, ne font point avancer les âmes; mais surtout il faut savoir «que le directeur humain, mondain et plein de la prudence de la chair est extrêmement préjudiciable aux pauvres âmes.» Et de vrai, comment donner ce que l’on n’a pas? un homme qui a l’esprit (1320) du monde n’est point propre à communiquer l’esprit de Jésus-Christ.

Sainte Thérèse, dans la 3e demeure du Chateau intérieur, remarque très-bien que le directeur ne doit pas avoir l’humeur mondaine [...]

Chapitre IX. De ses traités spirituels.

[...]

Or, l’expérience faisant voir que les exemples des saints sont des moyens très-efficaces pour y engager, le P. Chrysostome a écrit plusieurs Vies, où en a fait des remarques excellentes et très-touchantes : comme de saint François, son patriarche, de sainte Élisabeth de Hongrie de son troisième ordre, de sainte Christine l’admirable, de saint Scocelin [sic] l’incomparable dans la vertu de la pauvreté. Nous avons encore de lui un abrégé des états de grâce et de gloire du serviteur de Dieu, le P. Bernard, surnommé le pauvre prêtre, qui est décédé à Paris en grande odeur de sainteté [...]

Chapitre X. De sa dernière maladie et précieuse mort.

[...] (1328) Revenons à notre digne et excellent religieux. Sa maladie commença par une fièvre quarte, qui l’abattit si fort que les médecins lui ordonnèrent de garder la chambre, ou au moins de ne plus sortir du couvent. Dès lors il se regarda comme un homme qui devait bientôt partir du monde, et qui n’en était plus, et il y avait déjà longtemps qu’il en était sorti par son entier et parfait dégagement. Depuis ce temps-là, si on lui écrivait, il répondait en peu de paroles, sans plus souscrire ni mettre son nom, comme s’il n’eût plus rien été, Jésus étant toutes choses en lui. C’est pourquoi, au lieu de sa signature, il mettait : Jésus-Christ soit notre unique amour; ou bien : Aimons Dieu sans réserve, Dieu soit notre vie et notre unique tout par son Fils Jésus-Christ. O heureux, ô aimable, ô divin rien qui nous fait passer si glorieusement dans le grand et véritable tout I qu’il est doux et infiniment doux d’être au monde comme si l’on n’y était point, caché et perdu aux yeux des créatures, enseveli dans un profond oubli, comme les morts qui sont dans le sépulcre, pour être tout à Jésus, tout caché et abîmé en Jésus. O mon Dieu, mon Dieu, que tout le reste de notre rie soit enseveli avec l’aimable Jésus dans le tombeau t Ah! que nous ne soyons plus, afin qu’il soit; que nous cessions de vivre, afin qu’il vive seulement en nous!

C’était cet adorable Sauveur qui vivait uniquement dans le P. Chrysostome, pendant que son corps s’en allait peu à peu à la mort. Sa maladie, qui était causée par une mélancolie violente, lui donnait de (1329) grands accès qui le prenaient tout à coup, quoique son esprit fût fort paisible; et il lui semblait qu’on lui déchirait le cœur, de sorte qu’il était obligé de prendre son estomac avec ses deux mains, et de pousser quelques soupirs au-dehors pour trouver un peu de soulagement. Mais, en même temps que son corps gémissait sous le poids des douleurs, son esprit demeurait accablé de pesantes croix. Nous avons vu comme il les avait demandées à Dieu; et Dieu, qui avait pris plaisir à ses demandes, parce que c’était lui qui les lui avait inspirées, les lui accorda abondamment. Il désirait de souffrir sans réserve, il fut aussi crucifié en toutes manières; mais ce qui rendait sa croix comme accablante, c’est qu’elle était sans consolation, sans appui sensible, sans douceur. Parmi une multitude de douleurs qui l’environnaient do toutes parts, ses forces corporelles étant épuisées, son esprit était réduit comme aux abois, et il pouvait bien dire avec son Seigneur et son Sauveur : Mon âme est triste jusqu’à la mort. (Math. xxvi, 38.) Les obscurités où il avait été jeté n’avaient point de clarté, et ses ténèbres étaient sans lumière; ses nuits n’étaient suivies d’aucun beau jour; ses angoisses n’avaient point de soulagement; enfin, il était comme tout noyé dans une mer immense de douleur. Il est vrai que la paix demeurait toujours dans la cime de son âme; mais cette paix n’était point aperçue, mais démentie par ses sens, mais combattue même par sa partie inférieure raisonnable. On pouvait bien dire de lui ce qui a été écrit de son Maître, qu’il était l’homme de douleurs. (Isa. LIII, 3.) Les plus grandes croix deviennent faciles, et leur amertume se change en douceur lorsqu’elles sont goûtées dans l’intérieur; mais lorsque les souffrances sont pures et sans mélange d’aucune consolation, et à l’extérieur et à l’intérieur, la pauvre âme se trouve réduite dans d’étranges angoisses. Dans cet état que portait le P. Chrysostome, il pouvait bien dire avec le Psalmiste : les douleurs de la mort m’ont environné; les douleurs de l’enfer m’ont affligé; les filets de la mort m’ont prévenu. (Psal. XVII, 5.) Cependant il ne faut pas s’imaginer que pour lors il soit retourné en arrière; que dans le temps de la tempête il ait regretté la bonace : son fonds est toujours demeuré le même, quelque agitation qu’il ait soufferte dans la partie sensitive et inférieure raisonnable. L’amour de la croix est demeuré constant et inviolable dans la cime, ou partie suprême de son âme.

Ayant été soulagé de sa fièvre quarte, il s’en alla à Saint-Maur, qui n’est pas éloigné de Paris, pour y voir la révérende mère du Saint-Sacrement, maintenant supérieure générale des religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Pour lors il n’y avait pas longtemps (1330) qu’elle était sortie de Lorraine, à raison des guerres, et elle vivait arec un très petit nombre de religieuses dans un hospice sous les soins de la divine Providence, qui la réservait pour les desseins que nous voyons maintenant heureusement accomplis. Elle était l’une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie; il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne mère, et ce fut là où il dressa un écrit fort exact de la confession générale qu’il fit peu de jours après, avant que de mourir. Il écrivit tout ce que sa mémoire lui put fourrer de tontes ses fautes, et jusqu’aux moindres petits manquements, avec une exactitude si singulière, qu’il se levait la nuit de temps en temps pour écrire aussitôt tous les défauts dont il se souvenait. Il n’y avait pas longtemps cependant qu’il avait fait une confession de toute sa vie; mais l’extrême pureté de sa grâce le pressait de se purifier de plus en plus dans le sang de Jésus-Christ, dont les mérites sont appliqués par le sacrement de pénitence. C’était cette vue qui le portait aussi à s’approcher très souvent de ce sacrement, durant le reste de sa vie. Et nous lisons de plusieurs saints, qu’ils se confessaient tons les jours, et quelques-uns plusieurs fois par jour. Ce qui ne me surprend nullement [...]

(1331) Le saint homme, qui était exempt de scrupules, agissait par des vues de l’infinie pureté de Dieu, ce qui l’obligeait et à s’approcher souvent du sacrement de pénitence, et à faire des confessions générales. Au retour de Saint-Maur, une petite fièvre continue l’ayant pris, il ne dura que cinq jours, et passa des misères de cette vie dans la bienheureuse éternité. Il avait eu durant toute sa maladie de grandes craintes des jugements de Dieu et de la mort; mais cette crainte s’augmenta beaucoup pendant les quatre derniers jours, et extraordinairement durant les deux qui précédèrent son bienheureux décès. Toutes ses grandes lumières s’éclipsèrent, toute la ferveur sensible de sa dévotion s’éteignit, il entra dans des ténèbres lamentables, son esprit devint tout stupide, et il pouvait bien dire avec son bon Maître : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné?» (Malth. xxvii, 66.) Voici, dans cet état, ce qu’il écrivit aux religieuses de Sainte-Elisabeth : «Mes chères sœurs, Jésus soit à jamais notre très unique amour. Il est bien tard d’attendre à bien faire à la mort, et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi, et employez sans réserve toutes vos petites forces pour amasser du pur amour, de la mortification et de la pure vertu. C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection, de mourir avec de la paille. Je sens présentement tout ce que je vous écris. Le plus grand plaisir que vous me pourriez faire, est de pratiquer beaucoup do fidélité et de m’en faire part. Je vous recommande surtout une grande charité envers vos sœurs, et particulièrement pour votre révérende mère supérieure.»

C’est ainsi que les saints meurent, reconnaissant sincèrement, et le déclarant hautement, après tant de bonnes œuvres qu’ils ont faites, qu’ils sont des serviteurs inutiles, comme notre divin Maître nous l’ordonne. Le bienheureux P. Jean de la Croix, premier Carme déchaussé, qui a paru comme un séraphin en notre terre, assurait à sa mort qu’il n’aurait pas voulu justifier aucune action de sa vie. Toute créature, pour sainte qu’elle puisse être, a sujet de s’humilier infiniment devant Dieu, et de ne se confier qu’en ses miséricordes. Il n’y a personne, quelque juste qu’il soit, qui no doive partir de ce monde, dit saint Augustin, dans un grand et sincère esprit de pénitence. C’est pourquoi notre saint religieux demandait humblement que l’on priât pour lui obtenir une véritable contrition de ses péchés, et il supplia instamment le Père provincial de lui permettre de mourir avec le cilice; et de vrai, notre partage est l’enfer, et l’ire de Dieu. [...]

Enfin, après avoir souffert beaucoup sa vie, et porté de pesantes croix à l’imitation et dons l’union de son divin Chef, et comme l’un de ses véritables membres; après avoir été dans une rude agonie et douloureusement crucifié, il expira sur la croix, et mourut le lendemain de la fêle de l’Annonciation de l’Immaculée Mère de Dieu, à laquelle il avait été si singulièrement dévot, le vingt-sixième de mars de l’année mil six cent quarante-six, qui est environ le temps dans lequel plusieurs estiment que le Sauveur de tous les hommes est mort pour leur salut. Il était âgé de cinquante-deux ans [...]

L’on remarqua qu’o la plupart des religieux du couvent de Nazareth, où il mourut, fondaient en larmes, et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher. J’ai fait la même remarque dans la Vie du P. Seurin, dont j’ai déjà parlé par occasion en cette Vie. [...]

Les religieuses de Sainte-Elisabeth lui donnèrent leurs larmes, aussi bien que les religieux de son couvent. Il fut regretté de tous côtés, dans les maisons religieuses, dans les maisons séculières, parmi les petits et les grands; chacun soupirait sur cette perte commune. Son corps fut deux jours sans être mis dans le tombeau, et il fut longtemps exposé pour satisfaire à la dévotion des peuples et des personnes de grande qualité, et des premières de la cour. [...]

Chapitre Xl. Sa mémoire est en bénédiction.

[...] Le feu roi Louis XIII en avait une haute estime et l’honorait beaucoup, et il s’est servi de lui dans des affaires très fâcheuses, et qui retardaient le bleu public du royaume. La reine mère Marie de Médicis et la reine Anne d’Autriche avaient une vénération singulière pour sa vertu, qui était vraiment héroïque; elles prenaient un saint plaisir dans sa conversation, qui était toute céleste. Elles avaient en lui une entière confiance, ce qui les obligea de l’envoyer en Espagne à la révérende mère Louise de l’Ascension, religieuse de Sainte-Claire au monastère de Burgos, pour la visiter et la consulter de leur part, c’était une religieuse favorisée de grâces bien extraordinaires, et qui avait le don (1355) de prophétie; ainsi ces grandes reines l’envoyaient consulter sur plusieurs difficultés qu’elles avaient. Mais il faut remarquer sur ce sujet que ces sortes de consultations sont grandement exposées à la tromperie [...]

L’éminentissime cardinal de Richelieu le considérait extraordinairement; et comme c’était un homme de grande lumière, il connaissait beaucoup le mérite du Père, dont il approuvait la conduite chrétienne, et admirait ses pénitences et ses austérités. [...]





Présentation des écrits de Chrysostome publiés par ses disciples Bernières et Mectilde

Les Divers exercices… publiés à Caen par les soins de Bernières (et non pas «traités» publiés à Paris par les soins de Mectilde), dont nous connaissons trois exemplaires, publiés quatre années après les traités, comprennent trois parties paginées séparément19. La première partie rassemble de nouveau divers schémas propres à des retraites qui reflètent l’atmosphère doloriste de l’époque. Quelques extraits suffiront à mieux faire comprendre ce vécu dévot, en un aperçu unique d’une littérature qui fut très abondante.

Cette littérature privilégie les croix et l’exemple du Crucifié. Elle supprime trop tôt et par volonté propre les joies naturelles à la vie, au risque de provoquer des réactions très fortes, inconscientes, parce que réprimées, attribuées à l’époque aux démons. Elle met en place un réseau de contraintes où l’ascétisme prend facilement la première place, ce qui empêche toute vie intérieure mystique donnée par grâce de s’épanouir. Ce qui était liberté et joie devient limitation et peur. La vie naturelle est culpabilisée et contrôlée afin d’être évacuée au plus tôt : on privilégie ainsi l’exercice de la volonté si cher au Grand Siècle. Mais il est vrai que la vie était souvent courte et soumise aux aléas des maladies, ce qui suggérait d’aller vite!

Cet esprit du temps ne s’améliorera pas au fil du siècle. Les illustrations d’excès commis sont innombrables, telles les épreuves que s’inflige dans sa jeunesse Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada, avant de devenir lui-même un très profond spirituel; telle l’ascèse moralisante recommandée par le milieu de Port-Royal, que supporte fort mal Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes et père du duc de Chevreuse (ce dernier deviendra disciple de Madame Guyon — qui en fournit elle-même un témoignage dans le récit de sa jeunesse). Cet excès débordera le siècle au sein du monde dévot et couvrira la première moitié du XVIIIe siècle20.

L’Imitation a été le texte préféré d’une dévotion qui s’écarte de la pure mystique d’un Ruusbroec pour se charger de culpabilité voire de pratiques masochistes imitant les souffrances physiques de Jésus21. Cette dévotion ne correspond guère à ce que propose Jean-Chrysostome : il se démarque de son temps par son insistance sur la liberté et l’absence de vœux; l’exercice «doit être très libre, sans contrainte, et sans empressement», pour servir l’Amour toujours premier. Mais d’autre part il fonde la «Société de la sainte Abjection» et — tout en admirant les héros cornéliens ses contemporains — nous regrettons l’usure prématurée de ses disciples Renty et Bernières.

Chrysostome a dirigé des retraites, dont nous allons donner un exemple, car nous ne pouvons passer sous silence la tendance morbide qui caractérise bien d’autres textes contemporains. Un tel imaginaire dévotionnel à la frange de la vie mystique est de toute époque... La prière s’appuie ici sur des représentations sanglantes de Jésus-Christ, d’un goût trop épicé pour notre sensibilité — le piétisme, tel qu’il se présente dans les textes de certaines cantates de Bach, s’inscrira plus tard dans cette tradition.



Note sur la direction de Bernières par le P. Chrysostome



Une correspondance ignorée entre Chrysostome et Bernières est imprimée à la fin de l’ouvrage édité à Caen sous le nom de «Divers exercices de piété et de perfection 22.» Elle couvre la dernière moitié de la seconde partie de l’ouvrage intitulé «Diversités spirituelles» avec une pagination nouvelle (signe d’ajout précédant de peu l’édition locale à Caen?). Ces lettres non datées ont échappé à l’attention, car un Bernières discret se fait précéder par d’autres dirigé (e) s sans que son nom apparaisse 23.

C’est un document extraordinaire qui livre l’intimité des rapports entre les deux mystiques. On notera la netteté avec laquelle Chrysostome sait répondre aux questions de Bernières qui sont toujours proches des nôtres. Elles sont le plus souvent très concrètes (que faire de nos biens?) et hors de toute considération théorique.

Bernières n’a pas encore atteint à cette date une pleine maturité intérieure. Il va rapidement surmonter ses hésitations et des scrupules, et sera en cela vivement mené et encouragé par «notre bon Père Chrysostome». Voici ce dialogue de lettres dont les pièces sont numérotées; nous ajoutons l’incipit entre guillemets, les titres d’origine étant divers et imprécis.




Divers exercices de piété et de perfection



Composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes.

À la plus grande gloire de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ.

À Caen, chez Adam Cavelier, imprimeur du Roy.

1654.

Avec Approbation.





(page de titre, face au beau portrait de Chrysotome :) «La Solitude des cinq jours. De la souffrance de Jésus dans le mépris d’Hérode»



Approbations des Docteurs.

Le livre qui a pour titre,» Divers exercices de piété, et perfection, composés par un Religieux", non seulement ne contient aucune proposition contraire à la Foi orthodoxe, ni à la morale chrétienne, mais au contraire, est rempli de méditations et aspirations dévotes sur les principaux points des souffrances, et humiliation de Jésus-Christ, que l’auteur y décrit avec une merveilleuse simplicité, ferveur et piété, pour réduire les âmes chrétiennes à l’amour de leur propre abjection, à l’imitation de notre Seigneur, et à la pratique de la pénitence, et de l’humilité, autant nécessaires à l’acquisition de la sainteté chrétienne, comme la superbe et la sensualité lui sont opposées; ensemble y donne plusieurs avis et résolutions fort salutaires à quelques âmes particulières, tant séculières que Religieuses, lesquelles désirant s’avancer sérieusement à la perfection, en aiment et chérissent les moyens principaux, l’Oraison et la mortification; c’est le sentiment que moi soussigné docteur en sainte Théologie de la faculté de Paris, j’ai conçu, le lisant attentivement, et le témoignage que la vérité m’oblige de donner au public, après l’avoir diligemment examiné en notre abbaye de Barbery, le septième mars de l’an 1654. Fr. Louis Quinet, abbé de Barbery. 1654.



J’ai lu avec attention les «Divers Exercices de dévotion, composés par un religieux», que j’ai trouvé conformes à la Foy, et fort propres pour la direction des âmes désireuses de porter la Croix, à la suite du Fils de Dieu. En témoignage de quoi j’ai signé, à Paris, le 21 mars 1654. Claude de Nyau, Docteur en Théologie.



J’ai soussigné Henri Marie Boudon Docteurs en Théologie, grande Archidiacre d’Évreux, certifie avoir lu, vu et considéré, avec attention, un livre intitulé, «Divers Exercices de perfection», dans lequel je n’ai rien trouvé que de très conforme à la doctrine de l’Église, et des Pères, et à la vraie et solide piété. Ceux qui ont connu l’Autheur verront ici les restes de son esprit, et combien en lui était pure la lumière de la grâce sur les Mystères et États anéantis du Sauveur, et sur les voies de perfection desquelles il a toujours parlé avec tant d’onction qu’il en a imprimé l’amour aux âmes qui ont eu le bonheur de l’entendre; il y a sujet d’espérer qu’on tirera beaucoup profit de la lecture de ces petits ouvrages, mais davantage de leur pratique, ce a été l’intention de l’Autheur. Et c’est le témoignage que je donne à la vérité, ce cinquième avril 1654. Henri Marie Boudon, Docteur en Théologie, et grand Archidiacre d’Évreux.





[Première partie paginée de 1 à 212]

Premier exercice traitant de la sainte vertu d’abjection

Premier traité : de la sainte abjection.

La société spirituelle de la sainte abjection

Pratiquée en ce temps avec grand fruit de perfection, par quelques dévots de Jésus humilié et méprisé.

Avis.

I. Ce livre est consacré à Jésus méprisé et abject.

II. Son auteur l’a donné aux humbles de cœur, Fidèles amants et vrais imitateurs du saint mépris et de la sainte abjection de Jésus.

III. Il est divisé en divers petits traités, pour par cette diversité récréer saintement l’esprit du lecteur.

IV. Si vous êtes possédé de l’esprit humain et mondain, ne lisez pas ce livre, car il vous ferait mal au cœur et vous n’y comprendriez rien.

V. Pour faire profit de cette lecture, aimez Jésus humilié et méprisé, et proposez-vous fortement de l’imiter fidèlement en toutes les saintes pratiques d’Abjection; si vous faites cela, vous ferez et verrez des merveilles.

VI. Dieu, Jésus, et la sainte Abjection de la Croix, soient à jamais le très unique objet de notre amour.

(Page 3)

Règles de la société. 

Chapitre premier

I. Jésus-Christ seul dans les états d’abjection de sa vie voyagère, sera le chef de cette sainte société.

II. La Sainte Vierge sera reconnue de tous les associés pour unique directrice.

III. Tous les saints et toutes les saintes du paradis qui ont été dans la pratique et la dévotion particulière de la sainte Abjection, pendant qu’ils ont travaillé à leur sainte perfection en cette vie mortelle, seront les protecteurs de la Société.

IV. Cette société se pratiquant seulement d’une manière spirituelle, sans aucune obligation contraire aux différents états de la vie présente, tous ceux qui aspireront à cette perfection y pourront entrer, tant laïques qu’ecclésiastiques et religieux.

V. Encore qu’il soit libre à un chacun d’entrer en cette sainte Société et qu’elle puisse être universelle par toute l’Église, quelques Associés néanmoins pourront convenir ensemble pour s’assister les uns les autres en ce travail spirituel, ce qu’ils feront dans les manières discrètes que le Saint-Esprit leur inspirera, conformément à ce que plusieurs Religieux et Religieuses pratiquent saintement en leurs Communautés, au défi mutuel du saint exercice de quelque vertu.

VI. Cette sainte Société étant purement spirituelle et par conséquent libre et générale aux âmes de bonne volonté; ceux et celles qui y voudront entrer sont exhortés de le faire saintement, et en l’esprit de notre bon Seigneur Jésus-Christ, méprisé des mondains et abject à leurs yeux, Chef unique et adorable de tous les Associés.

VII. Pour s’engager dignement et avec fruit de bénédiction à cette sainte Société, ceux et celles qui seront inspirés de le faire sont exhortés de s’éprouver un mois durant pendant lequel ils purifieront leur conscience, communieront souvent, examineront leur inspiration et liront ces règles, les traités suivants et autres livres spirituels qui parlent de la sainte abjection.

VIII. Le mois expiré, si l’inspiration continue d’entrer en cette sainte Société, ceux et celles qui le voudront effectuer feront après la sainte communion la protestation suivante, qui n’est autre chose qu’un ferme et bon propos de s’appliquer fidèlement à la sainte vertu d’abjection, sans vœu ni obligation d’aucun péché.

La sainte protestation d’Abjection qui se doit faire ensuite de la messe en laquelle on aura communié.

O mon Dieu très saint et adorable, Père, Fils, et Saint-Esprit; je vous adore avec tout le respect qu’il m’est possible dans l’infinité de vos divines grandeurs, et m’anéantissant aujourd’hui de toute ma volonté devant votre divine Majesté, reconnaissant que pour la multitude et malignité de mes péchés, particulièrement de superbe, d’orgueil, d’ambition, de propre excellence, et de vanité, je ne mérite que le centre de l’Enfer : je proteste d’en vouloir faire pénitence tout le reste de ma vie; et me confiant en votre bonté, et en votre sainte grâce, je me consacre et me donne sans réserve à l’esprit et aux dispositions de Jésus mon Sauveur et Seigneur, pour entrer en la communion de tous les états, et différentes pratiques de mépris et d’Abjection de sa vie voyagère, et pour aimer purement, et souffrir patiemment toute vileté et abjection, tout mépris, rebut, et délaissement, et toute persécution, injure, et calomnies de qui que ce soit sans exception, promettant, ô mon Dieu! d’en remercier votre Divine Providence comme d’une faveur très particulière pour corriger ma superbe et mon orgueil.

IX. Ceux et celles qui par cette sainte protestation, seront rentrés en la Société spirituelle et générale de la sainte Abjection, se souviendront de prier journellement pour tous les Associés qui sont en la sainte Église, afin qu’il plaise à la bonté Divine de leur multiplier la grâce et la lumière, pour travailler dignement et à sa pure gloire en ce saint exercice.

X. L’unique et essentiel Esprit de cette Société spirituelle consiste à vouloir être en tout, et par tout abjet [sic], à vivre abjet, et à mourir abjet.

Exercice journalier de cette sainte société.

Chapitre II.

Il doit être très libre, sans contrainte et sans empressement; de sorte qu’encore qu’il soit bon et fructueux de s’y appliquer fidèlement, l’exercitant néanmoins le fasse avec amour et liberté en partie ou entièrement, selon qu’il sera mû de sa grâce et que ses dispositions ou emplois le lui pourront permettre.

II. Cet exercice consiste en sept points. 1. En destination. 2. En fidélités ou actes de la sainte abjection. 3. En examens. 4. En consécration. 5. En oraisons vocales ou mentales. 6. En communions. 7. En maximes.

III. La destination se pratique le soir précédent, ou le matin de la même journée, par laquelle le dévot de la sainte abjection prévoit légèrement, sans beaucoup s’arrêter, comment à peu près il pourra passer cette journée, en quels emplois et dans quelles occasions, et comment par conséquent il pourra s’appliquer aux actes et fidélités de sa chère vertu, et ensuite il destine et se résout de le faire. Plusieurs pratiquent telle destination le soir précédent immédiatement après leur examen, les autres le font seulement le matin et au midi.

IV. Quant aux fidélités ou actes de cette sainte vertu, c’est en la pratique d’iceux que consiste le fruit principal des fidèles exercitants, car par tels actes ils entrent en une grande habitude de la sainte abjection, et en la pureté de l’esprit de Jésus-Christ abject et méprisé, et nous en voyons quelques-uns, lesquels, afin de se fortifier en leur grâce et en leur travail par la vertu du saint sacrement de pénitence, se les font ordonner en confession, en tel ou tel nombre par leurs directeurs.

V. Pour ce qui est de l’examen, les exercitants le pourront pratiquer le matin, avant le dîner, et le soir avant le coucher, et ce n’est autre chose qu’une brève ou légère revue sur nos actions, pour remarquer et abhorrer les défauts de l’ambition de la propre excellence, de la vanité, de la superbe et de l’orgueil de notre misérable nature, et pour renouveler notre résolution de mieux faire et de pratiquer abjection en tout et partout, en l’union, vertu et esprit de Jésus-Christ abject et méprisé pour nous et par amour, dans les différents temps et états de sa vie voyagère.

VI. La consécration est un acte saint et efficace, par lequel le dévot exercitant se consacre de fois à autre en la journée sans contrainte et sans empressement à toute abjection, sans réserve, en la manière que Dieu sait, et qu’il ne sait pas, pour son très pur amour et pour sa très pure gloire, en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

VII. Quant aux oraisons vocales ou mentales, elles servent beaucoup à glorifier l’exercitant en ses pratiques, et il les faut faire sans empressement, sans prescrire aucun temps ou nombre; ainsi librement et selon les émotions de la grâce divine, se souvenant toujours de prier pour tous les associés.

VIII. Pour ce qui est de la sainte communion, il la pratiquera librement selon son état, mais il se souviendra 1. De demander instamment d’entrer en la grâce et en l’esprit de Jésus-Christ abject et méprisé. 2. De faire prière particulière pour tous les associés qui sont en la sainte Église, afin qu’ils fassent un véritable progrès et fruit de bénédiction en la sainte abjection, et qu’ils puissent devenir extrêmement vils et abjects en cette vie aux yeux des mondains, dans la multitude des occasions que la divine Providence leur présentera.

IX. Les maximes sont certaines vérités exprimées en peu de paroles, qui fortifient extrêmement les âmes, desquelles l’exercitant pourra faire usage avec liberté et sans contrainte; il s’en trouve en ce livre plusieurs dont il se pourra servir.





Traicté second. États différents et diverses pratiques de la sainte abjection.

(page 12)

Advis

I. Autant que l’exercitant sera fidèle en ses pratiques ou semblables, autant avancera-t-il en la sainte vertu d’Abjection et non plus.

II. J’en donne plusieurs qui sont toutes solides, dont aucunes sont fort pures et spirituelles, afin que l’exercitant qui aura fait progrès, trouve de quoi se nourrir et se rassasier en son travail intérieur.

III. Telles pratiques doivent être fort libres sans prescription du temps ou du nombre.

IV. l’Exercitant se souviendra quand il s’y appliquera, d’avoir l’intention actuelle ou virtuelle de le faire pour le pur amour, et la pure gloire de la très Sainte Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit, en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé, ce que je dis d’autant que telles actions ou fidélités d’abjection vivifiées et informées de telle intention sont de très grands prix, et valent incomparablement davantage, que celles que nous pourrions faire par toute autre manière, à raison qu’elles prennent leur valeur du principe surnaturel du pur amour de Dieu, et de l’union de Jésus-Christ très pur et très saint.

Chapitre I. Vues ou lumières surnaturelles de la superbe d’Adam

Le spirituel en cet état est pénétré de certaines vues ou lumières surnaturelles, par lesquelles il entre en la connaissance intime de son âme et de ses parties intellectuelles, et voit clairement que tout cet être est rempli de la superbe, de l’ambition, de l’orgueil et de la vanité d’Adam.

Sur quoi vous remarquerez, 1. Que telles lumières sont appelées surnaturelles, d’autant que tendant à la destruction du péché, elles ne peuvent venir que de Dieu. Deux. Qu’elles ressentent la grâce de Jésus-Christ humilié, à qui seul est donné d’anéantir la superbe. Trois. Qu’elles sont merveilleusement efficaces pour nous porter à la sainte Abjection, pour détestation et horreur du vice qui lui est contraire.

La pratique.

L’exercitant dont fera bon l’usage de telles lumières. Un. Reconnaissant que rien ne leur rend tant opposé à Dieu et à Jésus-Christ que la superbe et l’orgueil de sa nature et de la vie d’Adam. 2. Il se pratiquera des actes d’horreur de telles dispositions. 3. Il se considérera sur la terre comme un antéchrist ou comme un démon de superbe, qui fait une furieuse guerre à Dieu, et à Jésus, tendant à la destruction de la vie divine, et de la sainte humilité. 4. Il se consacrera à la grâce de Jésus abject et méprisé pour anéantir cette vie d’Adam, et entrer en la vie divine.

Chapitre II. Abjection dans le rien de l’être

Le spirituel en cet état voit par lumière surnaturelle comme le néant ou le rien est son principe originel. Sur quoi vous remarquerez : 1. que cette vue provient d’une grande faveur de Dieu; 2. que par icelle l’âme se voit dans un éloignement infini de son Créateur; 3. qu’elle le voit dans une sublimité infinie; 4. qu’elle se réjouit selon la disposition de sa pureté intérieure de voir que son Dieu soit en l’infinité de l’être et de toute perfection, et elle comme en une certaine infinité du non — être, c’est-à-dire du néant et du rien.

La pratique.

L’exercitant ainsi disposé, 1. se réjouira de l’infinité divine; 2. il prendra plaisir de se voir dans l’infinité du rien respectivement à son Dieu; 3. il considérera que Dieu l’a tiré de ce rien par sa toute-puissance, pour l’élever et le faire entrer en la communion incompréhensible de son être divin et de sa vie divine, par les actes intellectuels et spirituels de l’entendement et de la volonté, par lesquels il est si hautement élevé que comme Dieu se connaît et s’aime, ainsi par alliance ineffable, il le connaît et l’aime.

Chapitre III. Abjection de Providence.

Le spirituel est ménager de la grâce divine, particulièrement de l’Abjection de Providence, qui est proprement celle que Dieu tout bon renvoie dans les tempêtes des continuelles vicissitudes de la vie humaine. Sur quoi vous remarquerez, 1. Que telle abjection vient tantôt des amis, tantôt des ennemis, autrefois des mauvaises rencontres, et quelquefois des faiblesses et infirmités corporelles ou spirituelles. 2. Qu’elle arrive souvent de telle sorte à l’exercitant, qu’il semble que ce soit comme une flèche du ciel qui le vient accabler et anéantir dans sa superbe. 3. Que telle Abjection est extrêmement efficace, et beaucoup plus fructueuse que celle qui vient d’ailleurs, d’où nous voyons que ceux qui en font bon usage, font un très grand progrès en la sainte perfection.

La pratique.

L’exercitant en cet état, 1. Tâchera de se recueillir intérieurement, pour adorer la main divine qui le purifie. 2. Il tendra à se rendre purement passif à tels coups du Ciel. 3. Il en remerciera humblement et amoureusement la Divine Providence. 4. Il demeurera en silence, et ouvrira largement son pauvre cœur, le consacrant, sans réserve, à Dieu et à Jésus, pour recevoir leurs divines et pures opérations dans les voies de la sainte abjection. 5. Il leur demandera très instamment la continuation de telle faveur.

Chapitre IV. Abjections d’inutilité.

Cet état appartient particulièrement aux personnes qui sont liées et attachées par obligation aux communautés, dont nous en voyons plusieurs extrêmement tourmentées de la vue de leur inutilité, desquelles aucunes le font par une certaine bonté naturelle de voir leurs prochains surchargés à leur occasion, et les autres par un certain orgueil qui les piquent et les aigrit; le diable se mêle en ces deux dispositions, et le spirituel doit prendre garde de s’en défendre.

Pour donc en faire bon usage. 1. Il considérera que celui qui agrée son abjection dans son inutilité rend souvent plus de gloire à Dieu qu’une infinité de certains utiles, suffisants, indévots et superbes. 2. Il agréera de tout son cœur la disposition à laquelle la Divine Providence le met. 3. Il se désoccupera autant qu’il pourra de sa tentation. 4. Il supportera patiemment les inutilités des autres prochains. 5. Il pensera que la créature n’est autant agréable à Dieu qu’elle est passive à sa conduite divine, et considérera que c’est le bon usage de la disposition qu’il met, ou permet en nous, qui nous rend agréable à sa divine bonté.

Chapitre V. Abjection dans les contradictions.

Depuis le péché d’Adam l’homme est demeuré tellement rempli d’orgueil, qu’il veut toujours dominer et ne peut souffrir aucune opposition; la grâce Jésus-Christ expurifie le spirituel, particulièrement dans la pratique de l’abjection des contradictions.

Pour en bien user voici comme il s’y faut comporter. 1. Il faut considérer que telles contradictions nous arrivent de différents principes; savoir est, d’une nature violente, colérique et superbe; de la tentation du diable, et d’une secrète antipathie avec certains prochains. 2. Le spirituel ayant reconnu ses principes, doit travailler selon la qualité de son défaut ou besoin; car s’il est violent et superbe il faut qu’il prévienne les occasions dans lesquelles il doit parler peu, et ce avec douceur et humilité, s’il est combattu de la tentation du démon, il y doit résister avec fidélité et courage, s’appliquant continuellement aux actes d’humilité et de douceur; que s’il est agité de l’antipathie du prochain, il sera bon qu’il ne s’expose point qu’autant qu’il se sentira fort et robuste en sa grâce. 3. Si l’exercitant est fidèle, il pratique l’Abjection en toutes les occasions de contradiction, s’estimant peu, et supportant charitablement le prochain. 4. Il observe un grand silence, et mortification de tendreté. 5. Il s’en réjouit et en remercie le Dieu de ses perfections. 6. Souvent il les regarde dans la conduite de la Divine Providence, et avec Action de grâces le supplie instamment de les multiplier, lui communiquant l’esprit de Jésus-Christ abjet et méprisé. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que le travail de cette Abjection est merveilleusement efficace quand le spirituel est fidèle, d’autant qu’il va droit à la mortification de l’esprit d’Adam superbe et dominant. 2. Que la victoire n’est pas commune, et que plusieurs demeurant trop enveloppés dans les impétuosités, ou inclinations de leur nature immortifiée, n’y font pas grand profit. 3. Que les victorieux entrent en une grande paix intérieure qui les purifie, les illumine et les rend passifs aux opérations et grâces divines.

Chapitre VI. Abjection dans le péché.

Le spirituel fait distinction de la coulpe qui est au péché et de l’humiliation qui le suit, d’où il déteste celle-là comme chose qui s’oppose à son Dieu, et embrasse celle-ci comme un moyen d’entrer dans le pur esprit de pénitence et se réunir à la vie divine.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette pratique, l’exercitant. 1. Pourra se familiariser une vue générale de toute sa vie et de tous ses péchés, pour de fois à autre pratiquer, en l’union de Jésus-Christ, les actes de pénitence et d’abjection. 2. En cette vue il s’arrêtera à considérer sa faiblesse, et à reconnaître qu’il dépend entièrement de la vertu et de la force de Jésus-Christ, d’où il se réjouira. 3. Il demandera souvent lumière pour reconnaître en soi cette abjection du péché.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que le spirituel n’entre ordinairement en la vue et lumière de cette abjection, qu’autant qu’il profite en la pureté. 2. Qu’il ne doit perdre temps quand elle se présente, d’autant que par cette voie il peut beaucoup profiter. 3. Que nous envoyons quelques-uns lesquels en ce travail deviennent enfin insatiables de la vue de l’Abjection de leurs péchés, d’où même ils viennent à souhaiter que pour leur confusion et pour faire justice au bon Dieu, leur conscience fut ouverte à tout le monde, et tous leurs péchés fussent connus à un chacun pour entrer dans l’Abjection qu’ils méritent.

Chapitre VII. Abjections dans notre peu d’esprit, nos sottises, et nos impertinences.

L’homme aveuglé de la superbe originelle quelquefois ne peut voir son peu d’esprit, ses sottises et ses impertinences, et d’autres fois s’il entrevoit ses défectuosités il appréhende extrêmement qu’elles ne soit connues aux autres; le vrai spirituel au contraire, s’applique à cette très sainte abjection et en fait bon usage.

La pratique.

Pour cet effet. 1. Il n’affecte pas la politesse mondaine et la gentillesse d’esprit. 2. Il remercie la Divine Providence de ses défectuosités naturelles et s’en réjouit. 3. Il ne les cache point, et veut que tout le monde les connaisse et l’en mésestime et méprise. 4. Il allègue avec contentement son incapacité dans les occasions d’emploi. 5. Il se publie incapable de toute conduite et conseil. 6. Il est fort passif à la conduite Divine et à celle du Directeur. 7. Il se soumet aux avis des plus petits, croyant qu’ils ont esprit, grâce et lumière, et que lui n’en a pas. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que nous envoyons quelques-uns merveilleusement confus et troublés de leurs impertinences et sottises, ce qui marque un fond extrêmement humain et mondain, supposé que la partie supérieure y adhère, car quand elle y résiste, il n’y a rien à craindre ès saillies de la partie inférieure qui ne peuvent fouiller l’âme, et qui par la résistance de la volonté ne peuvent donner à l’exercitant que les occasions de mortification, de vertu et de mérite. 2. Vous saurez que cette abjection étant très efficace pour le progrès de la pureté intérieure et de la sainte perfection; plusieurs grands Saints parfaits et spirituels s’y sont tellement appliqués qu’ils ont contrefait les impertinents, les sots, et même les fous et insensés, pour se rendre abjects et les méprisables. Ainsi en ont été le saint homme Jacobon, le bienheureux Jean de Dieu et plusieurs autres. 3. Bien que telle abjection ne se doive pratiquer que par un particulier instinct de Dieu et direction; il sera bon néanmoins de considérer les actions de telles grandes âmes tant insatiables du mépris et de l’abjection, afin de se confondre de sa faiblesse et délicatesse humaine et mondaine. 4. Vous remarquerez aussi que par un ressort incompréhensible de Providence, il arrive quelquefois que les serviteurs de Dieu, encore que bien sensés et de bonne conduite, passent pour des fous et impertinents, ce que Dieu permet pour l’avancement de leur sainte perfection. Si cette faveur d’abjection arrive à notre exercitant, qu’il se souvienne d’être fidèle à la grâce et d’en faire bon usage, car elle est merveilleusement féconde et efficace.

Chapitre VIII. Abjection dans la pauvreté des créatures.

Autant que le spirituel est pauvre des créatures, autant entre-t-il en la communion de la vie divine du Créateur; cette pauvreté s’étend sur le délaissement et dépouillement des parents et amis, sur la nécessité des choses temporelles, et même sur la privation des bonnes dispositions corporelles et des lumières et faveurs de l’esprit, d’où le fidèle exercitant tire son abjection.

La pratique.

Pour donc faire profit en ce saint exercice. 1. Il pourra considérer que tout ce qui est créé nous divise en quelque manière de l’être Divin et incréé, dans lequel il faut par amour nous perdre, abîmer et consumer immédiatement. 2. Étant ainsi informé, il en souhaitera la privation. 3. Il en détestera les attaches et les délices. 4. Il pratiquera de fois à autre des actes de pauvreté de toutes choses. 5. Quand la Divine Providence lui présentera les occasions de telle pauvreté, il aimera cette sainte abjection, sans réjouira et l’en remerciera.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que tant que le spirituel est dans l’abondance, les délices, et les caresses des créatures, quoi que ce soit malgré lui, il a beaucoup de difficulté de faire quelques progrès en la sainte abjection. 2. Qu’à même que l’on entre dans cette sainte abjection de pauvreté des créatures, à même entre-t-on dans une paix intellectuelle et admirable qui provient de l’éloignement du bruit et des images des créatures. 3. Que nous en voyons quelques-uns qui font un très grand profit par cette sainte pratique, affectionnant extrêmement cette sainte abjection qui les tire de tout ce qui n’est point le Dieu de leur perfection et pureté, et les remplit de sa vie sainte et Divine.

Chapitre IX. Mépris de l’esprit humain et mondain.

L’esprit humain et mondain aime et recherche l’éclat, l’excellence et les délices de la chair et des sens, ou au contraire, l’esprit de Jésus-Christ cherche d’être inconnu et méprisé, et celui qui veut profiter en la sainte perfection, entre dans l’estime et l’amour de celui-ci, et dans le mépris de celui-là.

La pratique.

L’exercitant donc qui voudra s’avancer à la sainte abjection. 1. Il s’évertuera d’acquérir un tel mépris, par lequel il aura aversion de tout ce qui ressent la superbe, la vanité et l’excellence, il considérera quelles était les actions de Jésus-Christ, pleines d’humilité et sainteté, ne regardant en tout et par tout que la pure et unique gloire de son divin Père. 3. Imitant telles actions, il tendra toujours à la douceur et au saint mépris de soi-même, renonçant fortement à toutes ses inclinations humaines et mondaines.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’autant que vous entrez dans le mépris de l’esprit humain et mondain, autant êtes-vous disposés aux voies et pratiques de la sainte perfection. 2. Que ce travail spirituel est aucunefoi traversé du diable et des mondains, de celui-là à cause qu’il en prévoit le fruit, de ceux-ci qui l’estiment, folie, sottise et pure extravagance d’esprit. 3. Qu’ils s’en trouvent peu qui soient véritablement vides de cet esprit humain et mondain, ce qui est à plusieurs spirituelles un très grand empêchement à la parfaite pureté, d’autant qu’ils omettent à pratiquer plusieurs bonnes œuvres, par certains respects humains qui proviennent d’un tel esprit, et sont entièrement opposés à la manière d’opérer de Jésus-Christ qui était très pure et très sainte par une entière application de l’unique intérêt de la seule gloire de son Divin Père.

Chapitre X. Sacrifice d’Abjection.

Le spirituel doit honorer son divin Créateur par les actes de vénération, dont le principal est le sacrifice par lequel le sacrificateur immole l’hostie à son honneur et gloire. Or entre les sacrifices, celui d’abjection me semble très excellent et très efficace, d’autant que par iceluy, la créature reconnaît quel est son Divin Créateur, à savoir, toute grandeur et toute infinité, et ce qu’elle est en son extraction, savoir est, toute abjection et un pur néant.

La pratique.

Pour faire dignement ce sacrifice. 1. L’exercitant saura qu’il lui faut être le sacrificateur et l’hostie. 2. Qu’il peut faire ce sacrifice en son être, en ses mortifications et actes de vertu. 3. S’il veut faire ce sacrifice en son être, il considérera qu’il est tiré du pur néant par la toute-puissance divine; puis voyant combien il est abject en soi et de soi, il l’offrira en esprit d’abjection à son Dieu, pour être consumé en la Divinité, à qui seule appartient d’être, et sans laquelle il s’anéantirait. 4. Quant à la mortification et vertu comme il en usera si on le calomnie, diffame et déshonore, il sacrifiera à son Dieu en esprit d’abjection sa renommée et son honneur qui dépérissent. 5. En la même manière s’humiliant devant les prochains, cachant ses vertus et ses talents, il sacrifiera à son Dieu toute excellence propriétaire, et la consumera dans son sein très pur et divin. Sur quoi vous remarquerez. 1. Que si l’exercitant veut faire profit en cet exercice, il doit tendre à une grande pureté de conscience et de perfection, considérant qu’il est le sacrificateur et l’hostie, et que c’est à un Dieu très pur et très saint qui sacrifie. 2. Que le spirituel le peut pratiquer continuellement, suavement, et sans empressement; ce qu’il fera d’une manière simple, comme serait disant de fois à autre : «Mon Dieu, que je suis abject dans le rien de mon être; hélas! Cet être est tout à vous, et pour vôtre pur amour et pure gloire, je l’anéantis, l’immole et le consacre en votre divine infinité.» Ainsi en usera-t-il quand on le diffamera ou déshonorera; «Mon Dieu! dira-t-il, je vous sacrifie de tout mon cœur cette mienne renommée et ce mien honneur qui dépérissent, et je veux que ce soit pour votre pur amour et pour amour et pour votre pure gloire.

Chapitre XI. Affliction de l’éclat et de l’excellence.

Le superbe étant aveuglé dans les voies et les vérités divines, il se nourrit vainement de l’éclat et de l’excellence, et ainsi passe sa vie inutilement et misérablement dans le mensonge; ou au contraire le spirituel qui se nourrit de la vie de l’esprit de Jésus-Christ, en ces saintes humilités et saintes abjections, s’afflige de l’applaudissement des créatures, de l’éclat et de l’excellence.

La pratique.

L’exercitant étant favorisé de quelques petites portions de cette grâce s’il veut profiter en la sainte Abjection. 1. Il tâchera d’en faire bon usage, et de se recueillir en son intérieur pour y coopérer fidèlement. 2. Il renoncera à cet état d’éclat comme à un état de malédiction. 3. Il le supportera patiemment. 4. Il demandera instamment au bon Dieu de l’en libérer. 5. Il s’appliquera autant qu’il lui sera possible aux pratiques de la sainte Abjection intérieurement et extérieurement.

Sur quoi vous remarquerez que telle affliction provient ordinairement d’un entendement possédé pleinement de la lumière de vérité divine. 2. Qu’aucunes fois elle est si violente, que rien ne peut contenter l’âme que la suite, d’où nous avons vu plusieurs saints pour ce sujet, se cacher et s’enfuir aux désert. 3. Que d’autant plus que cette affliction est intellectuelle et dégagée des sens, d’autant plus est-elle pure et dans la grâce de l’esprit de Jésus-Christ.

Chapitre XII. Silence dans l’Abjection.

Si vous attaquez le superbe et l’orgueilleux en ses excellences, il fait grand bruit, et quoiqu’il soit coupable, il ne peut souffrir que l’on dise ou fasse quelque chose qui l’humilie; il crie, il tempête, il se plaint à tout le monde, il implore et appelle le secours de toutes les créatures, pour le défendre d’une grosse, furieuse et cruelle guerre qu’on lui fait, et souvent l’on trouve qu’il fait mal à propos ce bruit pour une très petite mouche d’abjection qui l’a piqué. Si au contraire, l’humble et parfait a telles rencontres, il en fait son profit, sans dire un seul petit mot d’opposition, et s’applique fidèlement à ce saint exercice du silence d’abjection.

La pratique.

Dans lequel l’exercitant est exhorté de ce bien et dignement comporter en la manière suivante. 1. Il considérera et croira que telles attaques des rencontres d’abjection, sont des bénédictions et faveur du ciel, pour le purifier, sanctifier et perfectionner. 2. Il remerciera la Divine Providence, et en souhaitera la continuation. 3. Il ne se défendra point du tout, et s’évertuera de garder un profond silence, espérant que faisant bon usage de cette faveur d’abjection, Dieu tout bon lui en multipliera les occasions.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette pratique est fort étendue, et que telle abjection arrive au spirituel de toutes les confusions que lui veut faire le prochain, soit par railleries, médisance et qu’elle n’y, soit par fausse accusation, injures, mauvais traitements, et par toutes autres semblables manière. 2. Qu’il se trouve peu de spirituels à l’épreuve de cette sainte abjection, et qu’il est très rare d’en voir qui dans les rencontres sensibles de certaines choses fausses que l’on leur impose gardent le silence, et ne se défendent pas du tout. Qu’il est très certain que quand le spirituel ne se défend pas, et qu’il se laisse diffamer et maltraiter sans dire mot, qu’il fait un très grand progrès en la perfection, et que pour récompense telles occasions lui sont multipliées, d’où en peu de temps il devient très mortifié et parfait.

Chapitre XIII. Souhait d’abjection à l’infini.

Le souhait est merveilleusement efficace quand le spirituel en sait bien user, nous en voyons lesquels avec bénédiction s’y comportent de la manière suivante; c’est qu’ils se représentent un état vil et abject, comme serait d’avoir un corps tout maléficié et contrefait, plein de maladie, de plaies, de chancre et d’infection, en esprit grossier, incapable des choses humaines, puis pour le pur amour de Dieu, et pour sa pure et unique gloire, il souhaite cet état en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que les délicats, humains, mondains, vains, sensuels et mignons de la nature et de la chair, l’habhorrent extrêmement, et la seule pensée les fait frissonner et trembler, tant ils craignent d’y entrer, ou au contraire, les parfaits et mortifiés, revêtus et vivifiés de l’esprit très pur et très saint de Jésus-Christ abject et méprisé, en deviennent amoureusement insatiables, et insatiablement amoureux, comme de l’objet le plus beau, le plus pur, le plus saint, le plus ravissant, et le plus sublime qui puisse être après la Divinité infinie, en ses beautés et Divines perfections. 2. Que cette pratique est admirablement et très efficacement purgative de l’esprit vain et mondain, d’où quelques-uns avouent qu’elle leur a servi à faire en peu de temps des profits incroyables ès voies de la sainte abjection et perfection, et demeurent tous étonnés de se voir si changés par un si court et si bref travail.

La pratique.

Pour donc faire bon usage de cette pratique, l’exercitant, s’il est fidèle et généreux. 1. Il pourra multiplier l’abjection de cet état à l’infini, se représentant que Dieu par son infinie puissance le peut faire des mille milliades de fois davantage, ensuite de quoi il la souhaitera pour son pur amour, et pour sa pure gloire. 2. Il réitérera telle multiplication, et son souhait selon son loisir autant qu’il lui plaira, et il se sentira mû de sa grâce et de sa lumière. 3. S’il se sent bien possédé de la vie et de l’esprit de Jésus-Christ humilié et méprisé, il se représentera en cet état les peines inférieures, terribles, et les furieuses et cruelles persécutions de toutes les créatures; puis multipliera telle disposition pour le pur amour de son Dieu, et pour sa pure gloire en l’union de Jésus-Christ abject et méprisé.

Je souhaite toute bénédiction à ceux et celles qui travailleront à ce saint exercice : si l’on savait combien il est efficace et fructueux, assurément tous les spirituels en feront usage avec grande fidélité. Je dis plus, que non seulement est très fructueux, mais encore qu’il est très consolatif après que l’on s’y est appliqué quelque temps, d’où il arrive que la conversation leur devient très amère, et qu’ils souhaitent ardemment la suprême pauvreté de toute créature, et une profonde solitude pour se rassasier de telles multiplications et de tels souhaits.

Chapitre XIV. Espérance d’abjection.

Plusieurs ont trouvé un grand secours en cette pratique d’autant que les actes que nous en faisons semblent nous tirer de l’affection et superbe de notre nature, pour nous revêtir de la pureté, de la bonne odeur et de l’humilité de Jésus-Christ abject et méprisé.

La pratique.

Pour en faire bon usage. 1. L’exercitant se pourra représenter toutes sortes d’abjections, et considérer comme elles purifient l’âme de la superbe et la rendent capable des hautes opérations, grâce et lumière de son Dieu. 2. Il considérera aussi qu’au contraire, les vanités et les excellences humaines l’en divertissent et l’en éloignent bien fort; étant ainsi informé, il abhorre toutes les œuvres d’éclat et d’excellence. 3. Il souhaitera les bonnes occasions d’abjection et de vileté, les demandant instamment à son Dieu. Il s’appliquera aux actes d’espérance, se confiant à la grâce de Jésus-Christ, disant de fois à autre, avec vue et souhait : «J’espère que la divine Providence me fera le plus vil et le plus abject des hommes.»

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que tels actes d’espérance, d’abjection, sont autant efficaces que la lumière qui meut le spirituel l’est. 2. Qu’ordinairement tels actes contiennent onction et suavité, ce qui provient de l’éloignement secret de la superbe d’Adam, et de la bénédiction de Jésus abject et méprisé, qui se plaît uniquement ès travaux d’abjection des saintes âmes.

Chapitre XV. Éternité d’abjection.

Le spirituel en cette pratique s’étant purifié par les continuelles mortifications de son orgueil, et par plusieurs actes d’une vraie humilité, il se représente le grand Dieu éternel en l’infinité et sublimité de ses perfections divines, ensuite de quoi, cherchant à l’honorer, et ne trouvant rien qui soit digne de lui offrir, il se retire en sont rien, et lui offre continuellement son abjection, se réjouissant bien fort d’être un pur néant, et qu’il soit le tout être, et infiniment parfait; il passe outre, et considérant que ce grand Dieu est éternel, il fait un grand amas de toutes sortes d’abjections en son esprit, qu’il renferme dans le rien de son être, puis il souhaite pour le pur amour, et pour la pure pure gloire de son Dieu, de demeurer éternellement en cette abjection et la lui offre en cette vue et en cet esprit.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette pratique. 1. L’exercitant pourra multiplier à l’infini son abjection. 2. Il pourra considérer que son Dieu étant infini en ses grandeurs, qu’autant qu’il est grand, autant est-il abject. 3. Il pensera que c’est en cette sienne abjection infinie qu’il se plaît d’exercer ses pouvoirs et ses grandeurs. 4. Il réitérera plusieurs fois selon la motion de sa lumière intérieure, le souhait d’éternité en toutes sortes d’abjection pour le pur amour et pour la pure gloire de son Dieu. 5. Il se réjouira de ce qu’à l’Eternité il demeurera du moins abject devant son infinie Majesté dans le rien de son être, et en la nécessaire et suprême dépendance de son divin concours.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette pratique est forte et suave et efficace, d’où nous en voyons aucuns qui s’y appliquent avec fruit, facilité et consolation; ce qui provient à mon avis de la vive vue qui les pénètre de l’infinité divine et de leur pur néant. 2. Que quand le spirituel est imprimé de la lumière de l’éternité, la durée est abjecte de cette vie mortelle et lui paraît comme un très petit moment, d’où il s’évertue d’en faire usage avec toute la pureté qui lui est possible.

Chapitre XVI. Vue intellectuelle et surnaturelle de l’abjection de Jésus-Christ.

C’est la grâce de Jésus-Christ qui meut le spirituel à la perfection, et comme il est notre divin exemplaire, elle le porte à ce refigurer sur ses pures et saintes vertus, entre lesquelles nous devons beaucoup chérir la sainte abjection, j’appelle cette vue intellectuelle et surnaturelle, d’autant que je suppose que c’est à la faveur et motion de la grâce que l’entendement y entre.

La pratique.

L’exercitant pour profiter en cette vue s’il arrive qu’il en soit favorisé. 1. Il se purifiera autant qu’il pourra pour se rendre capable de cette lumière de grâce. 2. Il s’étudiera à rechercher toutes les abjections de la vie de Jésus-Christ son divin l’exemplaire.3. Il s’appliquera aux pratiques en l’union de sa grâce, de sa vie, de son esprit.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que cette lumière de Jésus pauvre et abject, pénètre aucune fois si fortement certains spirituels, qu’ils se porteraient très volontiers à toute abjection et en deviennent insatiables. Que l’exercitant ne doit pas perdre de temps quand cette grâce le meut, car lorsqu’elle vient à cesser, s’il n’a travaillé à la sainte Abjection, il se trouve faible et possédé de la vie animale et de la superbe d’Adam.

Chapitre XVII. Paix suprême en l’abjection.

Le fidèle exercitant ayant beaucoup combattu dans les occasions et rencontres d’abjection, enfin il parvient à une paix suprême et devient un roc puissant, inébranlable à toutes sortes de tempêtes et d’orages d’humiliations, d’où il demeure recueilli en Dieu, lui faisant une très pure oblation de tout ce qui se présente.

La pratique.

Pour donc communiquer à la faveur de cet état. 1. Le spirituel doit tendre à ne vouloir rien en ce monde que Jésus crucifié et son abjection. 2. Il renoncera toute excellence. 3. Il fermera les advenues aux complaisances des créatures. 4.Il considérera qu’elle était la paix intérieure de notre bon Sauveur en toutes les abjections de sa vie voyagère. 5. Il renonce aux impétuosités et saillies de la partie inférieure, se convertissant entièrement et sans retenue à Dieu son créateur, pour participer à sa paix et Immutabilité divine.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’à raison de la superbe d’Adam qui règne en nous, cet état est bien rare. 2. Que nous en voyons aucuns y parvenir, qui vivent dans l’infection et la misère de cette vie comme des anges. 3. Que telle paix et le fondement d’une très haute et solide oraison.

Chapitre XVIII. Joie intellectuelle d’abjection.

Le parfait entre en cette joie, et l’imparfait y tend chacun selon qu’il se réjouit purement et saintement de son abjection; elle se répand universellement sur tous les sujets qui nous humilient et nous rendent abjets : je l’appelle intellectuelle d’autant qu’elle réside en la seule partie supérieure et compatit même avec les troubles, les saillies et les révoltes de la partie inférieure.

La pratique.

Pour faire bon usage de cette sainte pratique, l’exercitant. 1. Doit renoncer aux saillies de sa partie inférieure qui va quêter et chercher sa nourriture, dans la satisfaction impure des sens et dans la superbe, l’orgueil, et la propre excellence de son cœur inférieur corrompu. 2. Ensuite de ce renoncement il essaiera de convertir, d’appliquer et unir sa partie supérieure au Dieu de sa pureté, pratiquant avec action de grâce des actes de réjouissance de ses abjections.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’aucunes fois cette joie se répand sur la partie inférieure, même avec douceur et consolation sensible, et d’autres fois elle ne sort pas de la partie intellectuelle. 2. Qu’autant qu’elle est dégagée des sens, autant est-elle pure. 3. Que telle joie est comme une satisfaction intérieure de toute abjection que l’âme embrasse avec acquiescement et approbation.

Chapitre XIX. Tourment d’amour en l’Abjection.

La superbe vide l’âme de toute disposition d’amour envers son divin Créateur, ou au contraire, la sainte abjection la purifie, et la dispose à la pureté de cette charité divine dans les manières ineffables. O que celui qui sait ce secret aime la sainte abjection! J’appelle cet état tourment d’amour, d’autant qu’en icelui les âmes sanctifiées par les humiliations sont extrêmement tourmentées des saintes ardeurs, vives flammes, et divin amour.

La pratique.

Si l’exercitant veut entrer en cette vie pure d’amour. 1. Il doit considérer qu’encore que l’amour que Jésus-Christ portait à son divin Père, ait été toujours égal en toute sa vie voyagère, néanmoins il le faisait toutefois paraître aux hommes, plus ardent dans les différents états de son abjection, pour leur apprendre combien elle lui était agréable et à son divin Père. 2. Il se videra de toute affection des créatures. 3. Il s’appliquera aux abjections actuelles. 4. Il présentera souvent à son Dieu son cœur humilié et abject, et lui demandera de le consumer de ses divines flammes.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Que ce tournant d’amour qui provient de ce principe est la marque certaine d’une grande véritable pureté. 2. Que ceux qui en sont favorisés deviennent aussi insatiables d’abjection. 3. Que la vraie marque de la charité divine, c’est l’abjection.



Chapitre XX. Abjection des bienheureux.

Tant que le spirituel est captif de cette vie mortelle, il communique à l’impureté et à l’aveuglement d’Adam, d’où il ne peut connaître son néant et l’infinité de la divine grandeur qu’avec des lumières fort faibles, ou au contraire quand il est entré en la vie béatifique, alors voit son Dieu intuitivement, il voit aussi l’infinité de ses perfections divines très clairement et en la même essence divine et en la même infinité il contemple ensuite très parfaitement son rien originel, d’où dans le comble de ses gloires il demeure tout anéanti en son abjection originelle.

Si l’exercitant veut communiquer à cet anéantissement et sainte abjection.1. Il considérera combien les bienheureux étant très zélés et très affectionnés de la gloire de Dieu, ils se réjouissent de se voir en l’abjection du rien, et lui en l’infinité de toute grandeur. 2. Il entrera en cette pratique par imitation. 3. Il tendra sans réserve à la pureté de la sainte perfection pour s’en rendre capable.

Sur quoi vous remarquerez. 1. Qu’autant que le spirituel est en la pureté de la grâce de la perfection, autant participe-t-il à la vue intellectuelle et béatifique des bienheureux, d’où il y a bien de la différence entre le spirituel parfait, et moins parfait respectivement à la vue de l’abjection originale dans le rien. 2. Que Jésus-Christ en sa vie voyagère a été le parfait et saint adorateur de la Divinité dans la vue de l’abjection originelle de rien, d’autant qu’outre la plénitude de grâce, et la sanctification substantielle de sa divine personne, il était parfait compréhenseur, contemplant intuitivement l’Essence divine, en laquelle il voyait d’une vue béatifique et très éminente de son néant. Que c’est une pratique très utile au spirituel de s’unir à cette adoration de Jésus-Christ dans l’exercice de son abjection.



Troisième traité. Méditations brèves pour adorer imiter Jésus en ses différents états d’Abjection.

Advis.

I. La science des saintes abjections de Jésus Fils de Dieu, est merveilleusement importante au dévot exercitant de la sainte abjection, et il est impossible d’y profiter qu’avec cette lumière.

II. L’amour de la sainte abjection est si haut qu’il est plus rare en sa pureté que l’amour Divin; et qui le veut trouver, il le doit chercher en Jésus-Christ Fils de Dieu.

III. Comme Jésus est l’unique sauveur et l’unique Amant du Père éternel, aussi l’est-il de la sainte abjection.

IV. Si vous voulez être encouragé et fortifié en votre travail d’abjection, regardez-la en Jésus, sa beauté vous ravira, et vous enflammera de son pur amour.

V. Nous en voyons qui en faisant journellement quelques brèves méditations de Jésus Fils de Dieu, font en peu de temps des progrès incroyables en cette sainte vertu, et en la sainte perfection : pour bien faire, il faudrait que le dévot exercitant en pratiquât les actes en l’union de ce qu’il a pratiqué durant sa vie voyagère.

VI. La pratique d’abjection par voie d’amour en la vue et à l’imitation de celle de Jésus Fils de Dieu fait des merveilles; mais pour être bien efficace, elle suppose fidélité de mortification et parfaite disposition de pureté.

VII. Je vous donne ces brèves méditations qui contiennent les principales abjections que ce bon Sauveur a portées pour nous en sa vie voyagère; voyez si elles vous peuvent servir pour sa gloire et pour votre perfection.

Méditation I. De l’abjection de Jésus en son état éternel et divin.

I. Pensez que le Fils de Dieu a prévu de toute éternité le péché de l’homme et qu’il en a eu horreur, comme étant chose abominable et opposé à la sainteté de son Divin Père.

II. Pensez comme ce même Fils de Dieu voulant faire justice de ce péché au Père éternel, et lui réconcilier l’homme criminel, il s’offrit et se résolut de se revêtir de sa chair et de sa nature abjecte, pour par la pratique de cette suprême exinanimation [sic] et abjection le libérer de son extrême misère. O quelle pratique d’abjection du Fils de Dieu en cet état éternel et divin.

Pratique d’abjection.

I. Ne vous ennuyez jamais des pratiques de la sainte abjection, puisque le fils de Dieu s’y est donné de toute éternité pour vous dans un très incompréhensible anéantissement.

II. Souhaitez d’être éternellement abject, pour correspondre à cet anéantissement éternel et divin de Jésus.

III. Pensez souvent que le fils de Dieu vous a tiré du péché et de l’Enfer par anéantissement.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéantis en la vue de votre abjection, réitérez les mêmes considérations par voie d’amour et particulièrement

I. Considération. Que le fils de Dieu a délibéré de toute éternité de s’anéantir en votre chair par pur amour pour vous très vil et très abject.

II. Considération. Que le fils de Dieu dans le même instant éternel a prédestiné ses élus par pur amour, et a délibéré de s’anéantir pour moi; espérez que vous serez de ce nombre, et voyez comme il a été de toute éternité occupé d’amour et d’anéantissement pour vous qui êtes très vil et très abject.

Adoration.

Ô Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de l’abjection, dans laquelle en votre état éternel et divin, vous avez délibéré d’entrer pour moi et par amour.

Méditation II. De la sainte abjection de Jésus en sa sainte conception.

I. Considération. Qu’elle a été cette suprême exianimation et abjection du Fils de Dieu se revêtant de notre nature humaine; pesez cette alliance ineffable de l’infini et de l’incréé avec le fini et le créé. Voyez avec quelle sainteté et avec quel anéantissement elle a été consommée.

II. Considérez comme au même instant de cet anéantissement de la divinité, la bénite âme de Jésus pleine de lumière et de vérité, pratiqua d’une manière très pure le réciproque, s’anéantissant et s’abaissant de toute l’étendue et capacité de ses forces devant le Père éternel et devant sa divine personne qui s’anéantissait en elle; voyez combien saint, pur, digne et relevé, a été le premier acte d’anéantissement de cette bénite âme, étant Divin et subsistant en la Personne divine, ce qui le rendait d’un prix infini, et capable de satisfaire pour la superbe universelle de tous les hommes.

Pratique d’abjection.

I. Puisque le fils de Dieu est infiniment anéanti pour vous, ne limitez jamais votre anéantissement et votre abjection, mais au contraire, souhaitez de plus en plus d’être vil et abject, même éternellement, et pour lui correspondre, et lui rendre le réciproque selon votre petit possible.

II. Confondez-vous souvent de votre superbe en la vue du fils de Dieu revêtu de l’abjection de votre chair.

Anéantissement par voie d’amour.

Demeurant dans l’anéantissement de votre abjection, répétez les mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez que le fils de Dieu s’anéantissant pour vous très vil et très abject, il l’a fait par pur amour.

II. Considérez qu’en ce premier moment de sa conception, il a offert au Père éternel ce sien anéantissement par un amour très grand qu’il vous portait.

III. Considérez que la bénite âme de Jésus, pour réciproquer à l’anéantissement de sa personne divine, s’anéantit aussi au même moment devant elle de toute sa capacité, et qu’ensuite elle lui offrit ce sien anéantissement avec un amour très pur et très ardent pour vous très vil et très abject.

Adoration.

Ô Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue du saint anéantissement et de la sainte abjection que vous pratiquâtes au premier moment de votre sainte conception pour honorer votre personne divine qui s’était anéantie et abaissée en votre nature humaine pour moi et par amour.

Méditation III. De l’abjection de Jésus naissant de pauvres parents.

I. Considérez comme le fils de Dieu se faisant homme, a choisi de naître de pauvres parents pour fuir l’éclat, et pour entrer en l’abjection de la vie humaine.

II. Considérez que Jésus fils de Dieu aimait tellement cette abjection, qu’il a fui la conversation des grands, demeurant toujours avec ses pauvres parents, et vivant actuellement de son pauvre métier et du travail de ses mains.

Pratique d’abjection.

I. Aimez la pauvreté de votre naissance, et si elle a quelque considération, estimez-là peu et n’en dites rien.

II. Aimez un genre de vie pauvre, et demandez-le à Dieu, pour vous revêtir de l’esprit de Jésus méprisé.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant pénétré de ces vérités, répétez-les par voie d’amour avec anéantissement dans votre abjection et particulièrement

I. Considérez que le fils de Dieu a pratiqué telle naissance par pur amour pour vous très vil et très abject.

II. Considérez que le fils de Dieu a établi l’exercice du pur amour en l’état pauvre, abject et éloigné de la grandeur.

Adoration.

Ô Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée par amour pour moi, cherchant d’être vil et inconnu, et prenant naissance de pauvres parents.



Méditation IV. De l’abjection de Jésus durant les neuf mois de la grossesse de la Vierge.

I. Considérez que Jésus fils de Dieu durant ces neuf mois était plein de raison et de lumière, rendant à tout moment au Père éternel ses devoirs.

II. Considérez que nonobstant son état divin, il porta durant tout ce temps, toutes les humiliations et nécessités des autres petits-enfants, dont il faisait usage d’abjection, très pur et très saint.

Pratique d’abjection.

I. Si vous êtes réduits à quelque état abject, faites-en bon usage en l’union de Jésus.

II. Souvenez-vous souvent que tout état abject et le parfait miroir de l’esprit de Jésus.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant imprimé de votre abjection, réitérez les mêmes considérations par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez qu’autant que le fils de Dieu été anéanti en cet état, autant offrait il s’est le sien anéantissement au père éternel par pur amour pour vous très vil et très abjet.

II. Considérez qu’en tous les moments de cet état il pensait à vous, pour vous acquérir par sa sainte vie et par sa mort les saintes dispositions d’anéantissement et de pur amour.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu, je vous adore en la vue de l’abjection que vous avez portée pour moi par amour, pendant que vous étiez dans le ventre virginal de votre sainte mère, souffrant patiemment toutes les humiliations et nécessités de cet état.

Méditation V. De la sainte abjection de Jésus naissant en Bethléem.

J’omets les méditations V à XXIV.

[Liste de méditations omises]

6. Méditation. Abjection de Jésus circoncis.

7. Méditation. Abjection de Jésus en sa fuite en Égypte.

8. Méditation. Abjection de Jésus en son enfance.

9. Méditation. Abjection de Jésus sujet.

10. Méditation. Abjection de Jésus gagnant sa vie.

11. M. Abjection de Jésus écoutant les docteurs.

12. M. Abjection de Jésus en sa vie cachée.

13. M. Abjection de Jésus estimé fol.

14. M. Abjection de Jésus en son baptême.

15. M. Abjection de Jésus dans le désert.

16. M. Abjection de Jésus tenté.

17. M. Abjection de Jésus avec ses apôtres.

18. M. Abjection de Jésus lavant les pieds.

19. M. Abjection de Jésus trahi par Judas.

20. M. Abjection de Jésus au jardin d’Olivet.

21. M. Abjection de Jésus délaissé.

22. M. Abjection de Jésus souffleté.

23. M. Abjection de Jésus renié.

24. M. Abjection de Jésus maltraité.

Méditation XXV. De l’abjection de Jésus dans le mépris d’Hérode.

I. Considérant que Jésus étant fils de Dieu, il était plein de sapience, de lumière, de vérité; et de plus qu’il était la même sapience divine.

II. Considérant ensuite avec quelle indignité Hérode le traita. Il le reçut comme un bouffon, bateleur, ou magicien, désirant qu’il lui donnât du passe-temps. Il l’estima fol et extravagué, le méprisant et raillant avec tous ses Courtisans. Il le fit revêtir en fol et insensé; étant ainsi revêtu il le fit reconduire par les rues publiques, dans les huées, les moqueries, et les mépris des peuples, ce qui lui fut une très grande abjection.

Pratique d’abjection.

I. Si l’on vous fait passer pour un extravagué et fol, ne vous en inquiétez pas, portez patiemment votre croix et vous verrez des merveilles.

II. Si l’on vous impose telles ou telles actions de folie, revêtez-vous patiemment de telles calomnies, et imitez Jésus fils de Dieu, méprisé et revêtu d’une robe de fol.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti réitérez les mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérant que le mépris est la fournaise du pur amour, et qu’il répand facilement et abondamment ces saintes flammes dans les cœurs méprisés et abjects.

II. Considérant qu’autant que Jésus fils de Dieu en ce mépris d’Hérode, fut insatiable de souffrir abjection, pour vous très vil et très abject, autant souhaita-t-il de vous en communiquer la pureté et l’ardeur de son divin amour.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant d’être méprisé et raillé avec beaucoup d’indignité d’Hérode et de sa Cour, et d’être renvoyé à Pilate revêtu d’une robe blanche comme un fol et insensé, et même d’être conduit en cet état ridicule et honteux, par les rues publiques, avec les huées, moqueries et injures des peuples.

Méditation XXVI. De l’abjection de Jésus en sa flagellation.

I. Considérez quel était Jésus, savoir est, fils de Dieu, et pensez ensuite combien la flagellation publique était ignominieuse, laquelle ne se pouvait imposer qu’aux personnes criminelles viles et abjectes.

II. Considérez et pesez les circonstances de l’abjection, et de la cruauté de la flagellation de Jésus, et voyez. Comme il est jeté à terre et dépouillé tout nu avec beaucoup d’indignité. Comme il est lié et attaché à la colonne avec plusieurs cordes. Comme il est exposé à tout le monde pour être flagellé de tous les soldats à tout excès. Ajoutez qu’ayant été flagellé, un soldat coupa les cordes, et ce béni corps étant chu à terre, les autres le foulèrent avec beaucoup d’indignité, et le vautrèrent dans la poudre et dans son sang, ce qui lui fut une grande abjection.

Pratique d’abjection.

I. Si la divine Providence vous expose au mauvais traitement, et à la risée de tout le monde, souffrez patiemment votre abjection, et souvenez-vous de celle que Jésus souffrit très saintement en la flagellation.

II. Si vous êtes environné d’afflictions, qui vous rendent méprisable, vil et abject, remerciez-en la divine Providence, et imitez Jésus exposé à la flagellation et au mépris de tant de soldats.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti répétez les mêmes considérations par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez et croyez pieusement avec quelques contemplatifs, que Jésus fils de Dieu regardant quelques-uns de ceux qui le flagellaient actuellement, il les pénétra de son pur amour et les convertit à sa grâce; tant il est vrai que l’amour est fécond et efficace en l’affliction et en l’abjection.

II. Considérez que Jésus fils de Dieu, en la flagellation fut tout couvert de plaies, qui étaient comme autant de langues d’amour, dans le trône de l’affliction et de l’abjection, qui nous sollicitent à lui correspondre d’amour avec anéantissement; voyez si vous le faites.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de l’abjection que vous avez portée, souffrant non seulement les douleurs très grandes de votre flagellation, mais encore toutes les excessives indignités que l’on se puisse imaginer : savoir est la nudité de votre très pur corps, d’être lié et garrotté en une colonne, d’être flagellé de tous les soldats, comme un très extraordinaire scélérat; et enfin d’être jeté en terre, foulé aux pieds, et vautré dans votre sang, après avoir été tout playé [sic] et flagellé à la Colonne.

Méditation XXVII. De l’abjection de Jésus couronné d’épines et revêtu du manteau de pourpre.

Considérez en quel état Jésus était réduit après la flagellation, voyez comme il est tout déchiré et playé en toutes les parties de son très pur et saint corps.

II. Considérez que nonobstant cet état très pitoyable, les cruels soldats lui firent souffrir beaucoup d’indignités et de misères. Ils le dépouillèrent de ses habits et le revêtirent en dérision d’un manteau de pourpre. Ils le couronnèrent d’épines avec beaucoup de douleurs. Ils lui donnèrent pour sceptre un roseau en main. Ils fléchirent le genou en se raillant de lui : ils le saluaient comme le roi des juifs. Quelques-uns lui battaient la tête avec le roseau. Les autres lui crachaient au visage; examinez et pesez toutes les indignités, et vous verrez le fils de Dieu réduit à une extrême abjection qu’il supporte patiemment.

Pratique d’abjection.

I. Six dans la flexion tout le monde vous court suce, et si l’on cherche des inventions pour vous rendre ville est abject, adorez la divine Providence, et souffrait patiemment votre abjection, car voilà le droit chemin de la très haute et pure perfection.

II. Aspirez après la sainte abjection, et réjouissez-vous quand l’on se raillera et moquera de vous, comme d’un homme extravagant vil et abject.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti, répétez vos mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que le pur amour mérite seulement la couronne après les extrêmes afflictions et suprêmes abjections.

II. Considérez que pour cet effet Jésus fils de Dieu, ayant été réduit par la flagellation à une extrême affliction et suprême abjection, il voulut être couronné avec toutes sortes de mépris, souffrance, et indignités, pour apprendre aux fidèles amants quel est le chemin de la couronne du pur amour; voyez en cela, encore que vous soyez très vil et très abject, comme Jésus fils de Dieu vous appelle et vous sollicite au pur amour.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant après votre très douloureuse flagellation d’être avec beaucoup d’indignités, de moqueries, de confusion, et de cruautés, couronné d’épines comme un roi faux et ridicule; avec un sceptre en la main, et un vieux manteau de pourpre sur les épaules.

Méditation XXVIII. De l’abjection de Jésus dans la souffrance Ecce Homo.

I. Considérez que Jésus fils de Dieu étant tout playé par la flagellation, couronné ensuite d’épines, et revêtu d’un vieux manteau de pourpre, avec un roseau en la main en forme de sceptre; il était et paraissait si vil, et abject, que cela est inexplicable.

II. Considérez que Pilate exposa aux juifs Jésus fils de Dieu en cet état pitoyable, dont ils ne furent aucunement touchés, mais au contraire ne se contentant pas de son état d’abjection ils le poursuivirent à mort, ce qui lui fut une extrême souffrance; sur quoi vous remarquerez que l’abjection est d’autant plus pure et excellente, qu’elle est persécutée.

Pratique d’abjection.

I. Ne vous contentez pas de telle quelles abjections : aspirez aux plus hautes et aux plus pures. Demandez-les à Dieu, peut-être qu’enfin il vous fera faveur et qu’il vous exaucera; et si cela vous arrive, et que vous soyez fidèles, vous ferez des merveilles en peu de temps dans la voie de la sainte perfection.

II. Si l’on vous persécute en votre abjection, souvenez-vous que Jésus l’a été, et faites bon usage de votre persécution, en l’union de ses états d’humiliation et de mépris.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant ainsi anéantis, réitérez vos mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez que Jésus est le seul homme qui a aimé dignement le Père éternel, à raison de sa plénitude de grâce, et pensez qu’étant dans l’extrême affliction et la suprême abjection, comme consumé de la très violente ardeur, et de la très pure flamme de son saint amour : il voulut aussi être manifesté en cet état, d’où vous interpréterez en cette manière ces mots, ecce homo, voilà l’homme, c’est-à-dire l’homme unique du digne et pur amour dans l’extrême affliction et la suprême abjection : ajoutez que les juifs rejetèrent avec cruauté ce pur amour qui se présentait à eux; voyez si vous ne faites pas le semblable.

II. Considérez et croyez pieusement avec quelques contemplatifs, que Jésus fils de Dieu étant produit avec ses paroles, ecce homo, regarda bénignement quelques-uns de ses persécuteurs, et les pénétrant intérieurement d’un vif rayon de son amour, il les convertit à la divine grâce, tant l’amour affligé et méprisé est fécond et efficace.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de l’abjection que vous avez portée, souffrant non seulement dans le particulier toutes les indignités et cruauté des soldats et valets de Pilate, mais encore d’être exposé publiquement au peuple en un état douloureux par la flagellation et le couronnement d’épines et très honteux et ridicule par les circonstances, savoir est avec une couronne d’épines en la tête, un roseau en manière de sceptre en la main, et un vieux manteau de pourpre sur les épaules, lesquels au lieu de vous compatir, se raillèrent de vous et poursuivirent instamment votre mort.

Méditation XXIX. De l’abjection de Jésus jugé à mort.

I. Considérez qu’elle était Jésus, savoir est le tout saint et le tout puissant créateur du ciel et de la terre.

II. Considérez ensuite comme étant lié et garrotté, et en une posture très vile et très abjecte, il est examiné et jugé à mort par Pilate et ses conseillers; pesez cet état d’abjection, et voyez comme le créateur très saint et très innocent est jugé par la créature pleine d’iniquité.

Pratique d’abjection.

I. Si l’on donne le coup de la mort à votre bonne renommée, et qu’elle vienne à périr, remerciez-en la divine Providence, et lui en faites un sacrifice très pur de tout votre cœur et de tout votre amour.

II. Gardez-vous bien de vous inquiéter quand les méchants et les calomniateurs ravissent votre renommée; souvenez-vous comme Jésus fils de Dieu a souffert très saintement d’être calomnié à tout excès, et enfin d’être jugé à mort en un état d’extrême abjection.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti répétez vos mêmes considérations par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que l’amour a fait pour vous, très vil et très abject, le fils de Dieu homme, et de là ensuite exposé à la mort, revêtu d’affliction et d’abjection tant il était ardent et violent.

II. Considérez que Jésus fils de Dieu souffrit et accepta ce jugement de mort pour vous par pur amour : ajoutez que pendant que l’homme pécheur le jugeait à mort, lui au contraire destina et jugea à la mort d’amour tous ses élus, c’est-à-dire, à mourir par amour dans l’affliction et l’abjection, chacun plus ou moins selon sa disposition de grâce et de mérite; tâchez d’être de ce beau nombre.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant d’être conduit devant Pilate et ses conseillers, lié et garrottés comme un pauvre criminel, et d’être jugé à mort par vos propres créatures, vous qui êtes l’auteur de la vie et le tout-puissant créateur du ciel et de la terre.

Méditation XXX. De l’abjection de Jésus dans son crucifiement.

I. Considérez que le crucifiement était le supplice des scélérats vils et abjects; voyez comme Jésus a voulu le porter avec la plus grande ignominie et abjection que l’on se puisse imaginer, afin de faire par cette voie pleine et entière justice au Père éternel de notre superbe.

II. Considérez et pesez les circonstances d’abjection de Jésus fils de Dieu en son crucifiement. Il fut dépouillé tout nu. Il fut crucifié au milieu de deux larrons. En dérision par un titre écrit en diverses langues, il fut qualifié roi des juifs. Tous les passants lui disaient des injures, et branlaient la tête en se moquant de lui. Il mourut abandonné de ses disciples.

Pratique d’abjection.

I. Aspirez après la mort d’abjection, demandez-là instamment à Dieu, c’est une pratique merveilleusement efficace pour faire mourir la superbe, et pour vous rendre l’état de la vie humaine et mondaine amère et odieux.

II. Quand vous verrez certaines personnes dévotes mourir dans la folie, et même avec des circonstances étranges, extravagantes, et superbes, ainsi qu’est mort le saint homme Thaulère [Tauler], laissez-en le jugement à la sainte Église; et souvenez-vous qu’il peut arriver que Dieu accorde la mort d’abjection à certains fidèles amants, pour les récompenser de leurs travaux généreux dans les voies de cette sainte vertu, et pour les rendre conformes à Jésus; lequel étant revêtu de nos péchés, est mort ignominieusement, maudit et moqué des hommes, portant pour nous les justes colères du Père éternel, comme étant haï et délaissé de lui, ainsi que parle la sainte Écriture; ce qui est un état d’abjection autant terrible qu’adorable.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti, répétez les mêmes considérations par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que Jésus fils de Dieu étant en croix, revêtu d’affliction et d’abjection, y mourut, non par le crucifiement, car il était maître de la vie, mais par un actuel amour très violent et très ardent. Voyez si vous entendez cet amour et si vous y correspondez.

II. Considérez que Jésus fils de Dieu en mourant répandit la vie d’amour sur ses élus, d’où les saints évangélistes vont disant qu’en mourant il baissa la tête, expira et envoya son esprit, c’est-à-dire sa bénite âme, communiquant à ses chers enfants l’esprit et la vie de son pur amour revêtu de son affliction et de son abjection. Voyez ce que le fils de Dieu et le Dieu de votre amour fait pour vous qui êtes si vil et si abject.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant un très ignominieux crucifiement, savoir est, au milieu de deux iniques larrons, dans les moqueries, et malédictions des passants, la nudité de votre très pur corps, et le délaissement de vos apôtres.

Méditation XXXI. De l’abjection de Jésus dans le délaissement divin.

I. Considérez qu’à vrai dire, nous sommes autant vils et abjects, que nous sommes par nos péchés éloignés et délaissés de Dieu, d’autant que le péché est le centre suprême de toute abjection.

II. Considérez ensuite sur ce fondement quelle abjection Jésus a souffert dans le délaissement du Père éternel, d’autant qu’il la porte comme revêtu de tous les péchés des hommes en l’agonie de sa mort.

Pratique d’abjection.

I. S’il vous arrive dans les voies de la sainte perfection de souffrir les grandes peines intérieures, qui semblent témoigner et marquer le délaissement de Dieu, supportez-les patiemment, et faites fruit d’abjection, car cela n’est pas être délaissé de Dieu, mais une pure faveur de la grâce et participation au délaissement divin du Père éternel que Jésus a porté pour nous en croix.

II. Supportez patiemment la privation de toute jouissance et de toute consolation; souvenez-vous combien purement et saintement Jésus fils de Dieu l’a portée pour nous, et assurez-vous que c’est une voie merveilleusement efficace pour profiter en la sainte abjection.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti réitérez vos mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez que d’autant plus que l’amour est pur et ardent, et d’autant plus tend-il à se revêtir de la suprême souffrance et de la suprême abjection.

II. Considérez que Jésus fils de Dieu voulant manifester au pécheur l’ardent amour qu’il leur portait en la consommation de l’œuvre de leur rédemption, il l’a fait dans le délaissement divin qui était la suprême des peines et des abjections qu’il pouvait porter. Voyez ce que le fils de Dieu a fait en cela pour vous très vil et très abject, et si vous correspondez à cette grâce.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant de paraître aux hommes être délaissé de Dieu avec des marques de sa très grande colère et sa très juste et excessive fureur, comme étant très extraordinairement et très excessivement méchant.

Méditation XXXII. De l’abjection de Jésus fils de Dieu après la mort.

I. Considérez que Jésus fils de Dieu est mort en croix très ignominieusement pour nos péchés, et particulièrement pour notre orgueil et pour notre superbe.

II. Considérez comme la bénite âme et le pur corps de Jésus étant séparés, la personne divine est demeurée unie à l’une et à l’autre partie, ce qui lui était une grande abjection, respectivement au corps qui était mort.

Pratique d’abjection.

I. Si la Providence vous réduit à quelque état vil et abject, souvenez-vous que le fils de Dieu a porté pour vous la très haute abjection, d’être uni hypostatiquement à un corps mort.

II. Souhaitez d’être après votre mort vil et abject dans la mémoire, l’estime et l’esprit des hommes; cela est une pratique très efficace pour profiter en la sainte abjection.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti répétez les mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que d’autant plus l’amour est pur et ardent, et d’autant plus a-t-il d’invention et d’artifice pour transformer et anéantir le fidèle Amant en faveur de son ami.

II. Considérez que l’amour divin vers l’homme a été si pur et si ardent, qu’il a obligé le fils de Dieu à se revêtir de sa pauvre nature, à mourir pour lui, et même a demeurer uni hypostatiquement au corps mort, ce qui lui était un extrême abaissement; pesez ceci, et voyez combien de transformations et d’abjections le fils de Dieu a portées pour vous très vil et très abject, et encore pour vous obliger à l’aimer.

Adoration.

O Jésus fils de Dieu! Je vous adore en la vue de la sainte abjection que vous avez portée, souffrant non seulement que la mortalité fût entrée en votre sainte humanité, qui à raison de la suprême plénitude de sa grâce et de sa divine et substantielle sainteté ne devait jamais mourir, mais encore qu’après le trépas, votre divine personne soit demeurée au corps mort, ce qui est un abaissement et anéantissement autant inconcevable qu’adorable.

IV. Traité. Méditation d’abjection en la vue de la divinité.

Avis.

I. Par ses méditations, le spirituel entre facilement dans une grande estime de son créateur.

II. Autant que cette estime croix, autant entre-t-il dans le mépris de l’être créé en comparaison de l’être incréé.

III. Ce mépris est une pratique d’abjection qui tire l’âme hors de soi et l’unit à Dieu.

IV. Cette union est ordinairement causée par la grâce divine, ou lumière surnaturelle, laquelle lui venant à illuminer l’âme, lui fait voir combien c’est une chose bonne que de s’anéantir devant son Dieu qui est infini en sa grandeur, comme la créature est infinie en sa petitesse, puisqu’elle émane du néant auquel elle peut être réduite.

V. Cette union cause un amour ardent de la pure beauté de la sainte abjection, de sorte que l’âme ne voit rien de beau en la masse des états, comme est la sainte abjection qui l’unit si facilement à son Dieu.

VI. On s’exerce dans les pratiques d’abjection, quelquefois en la vue de la seule divinité, et d’autres fois d’une ou de plusieurs perfections divines; pour bien faire, il faut suivre en cela le trait intérieur de la lumière divine.

VII. Le spirituel qui s’appliquera aux pratiques d’abjection en la vue de la divinité, pourra le faire, en se disant de fois à autre : ô mon Dieu qui êtes-vous, et qui suis-je? Vous êtes cela et moi cela. Exemple. Vous êtes le premier être qui est de soi, et moi je suis un très pur rien; vous êtes très spirituel, et moi je suis comme tout de corps et de chair.

VIII. Quelques-uns font en peu de temps un grand profit en la vie intérieure, ce qui provient à mon avis de l’anéantissement de l’âme, auquel Dieu se plaît merveilleusement.

IX. Les autres disent que cet exercice rend ses dévots extrêmement spirituels, ce qui provient, à ce que je crois, de la vue de Dieu, et de l’estime, d’où suit la véritable lumière en la partie intellectuelle. Sur quoi je remarque que telle vue prend sa vertu et sa force de l’anéantissement.

X. Il y en a quelques-uns qui disent qu’il opère un amour divin très ardent, avec un amour de la sainte abjection. Sur quoi je remarque que tel amour ne saurait provenir que de l’estime de Dieu et de la sanctification de l’âme qui est purifiée par son anéantissement.

XI. Cet exercice peut servir à l’oraison mentale et à la présence de Dieu, et aux petites réflexions que l’on peut pratiquer en la journée.

XII. Le spirituel pour l’ordinaire s’appliquant à cet exercice, acquiert une certaine forte impression des vérités divines qui le désoccupe facilement de tout ce qui n’est pas Dieu; ce qui provient de l’estime de la grandeur divine et du propre anéantissement de l’âme, qui est absorbée dans la lumière qui la possède.

XIII. Pour bien faire il faut que le spirituel joigne aux actes intérieurs d’anéantissement, toutes les pratiques extérieures possibles d’humiliation et d’abjection, dont il se rendra compte en ses deux examens du midi et du soir, réitérant toujours la résolution de persévérer fidèlement en son saint exercice.

Méditation I. D’abjection en la vue de l’existence divine.

I. Considérez comme Dieu est de soi-même d’une manière autant incompréhensible qu’adorable, et pensez. Qu’il n’a jamais été dans le rien. Qu’il n’y peut être réduit. Qu’étant le premier le suprême des être, il a toujours été nécessairement de soi sans dépendance d’aucun autre.

Voyez au contraire quelle est votre abjection et pensez. Que de toute éternité vous êtes dans le rien. Que votre divin créateur a employé son pouvoir infini pour vous en tirer. Que vous y pouvez être réduit.

II. Considérez que Dieu étant de soi et le suprême des êtres. Il est dans la plénitude infinie de toute perfection. Il contient éminemment tout ce qui est dans les créatures. Il est la source sainte et féconde de tous les êtres en l’infinité adorable de sa toute-puissance divine.

Voyez au contraire quelle est votre abjection et pensez. Que vous n’étiez que faiblesse, indigence et péché. Que vous ne servez à rien au monde qu’à nuire à votre prochain. Que votre malignité est si grande par le péché, que vous n’êtes autre chose qu’un opposé à votre divin créateur et à ses œuvres.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéantis, réitérez les mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que comme Dieu est le premier être de soi, qui n’a jamais été, et ne peut jamais être dans le rien, de même l’amour divin n’a jamais été, et ne peut jamais être dans le rien; pensez que comme Dieu a toujours été, et sera toujours nécessairement; ainsi il s’est toujours aimé, et s’aimera toujours nécessairement. Ajoutez (espérant que vous serez du nombre de ses élus) qu’encore que vous soyez très vil et très abject, il vous a néanmoins toujours aimé, et vous aimera toujours à toute éternité, d’un amour autant adorable qu’inconcevable; pesez bien surtout combien c’est une chose étrange et incompréhensible, qu’un Dieu (si grand qu’il est de soi) s’applique à aimer une créature si abjecte et si petite, qu’elle est de soi qu’un pur rien.

II. Considérez que comme Dieu est l’origine divine, féconde et infinie de tous les êtres, aussi l’est-il de l’amour qui coule en vous par sa divine grâce; pensez, étant si vil et si abject que vous êtes, combien c’est une chose inconcevable, qu’un Dieu daigne vous donner de l’amour pour l’aimer, lui étant si grand et si infini comme il est.

Méditation II. D’abjection en la vue de la spiritualité divine.

I. Considérez que Dieu est un très pur et très actuel esprit, sans aucun mélange de corps ou de matière; pensez que cette spiritualité divine est si sublime en son infinité, que quand l’ont errerait à l’infini des Êtres très parfaits en spiritualité, ils n’en approcheraient en rien, tant elle est inaccessible aux créatures.

Voyez au contraire quelle est votre abjection, et pensez qu’encore que vous ayez une âme spirituelle, vous êtes néanmoins comme tout corps, et comme un sac de chair pourrie, dans lequel elle gémit la captivité du péché.

II. Considérez que Dieu est le suprême esprit, auteur et créateur de tous les esprits qu’il peut créer à l’infini, dans une perfection plus éminente de spiritualité.

Voyez au contraire quelle est votre abjection, et pensez que vous êtes une pauvre créature, très inutile, toute appliquée à sa chair et à ses sens, et opérant avec esprit et grâce.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti réitérez vos mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez qu’encore que vous soyez très vil et très abject, il vous est ordonné néanmoins de pouvoir communiquer à la spiritualité divine, et d’opérer en son l’union des principaux effets de l’être spirituel, savoir est par l’entendement et par la volonté, la contemplation et l’amour de Dieu en l’infinité de ses grandeurs.

II. Considérez qu’autant que vous faites de progrès en la pureté d’amour, autant et non plus en faites-vous en la communion de la spiritualité divine. Ajoutez et pensez qu’ayant très peu d’amour, vous avez aussi très peu de spiritualité sainte et divine.

Méditation III. D’abjection en la vue de la simplicité divine.

I. Considérez que Dieu est tellement simple, que tout ce qui est en lui est Dieu sans aucune composition pour petite qu’elle puisse être.

Voyez au contraire quelle est votre abjection; et pensez que vous êtes une pauvre créature composée de différentes pièces d’esprit et le corps, opposées les unes aux autres avec beaucoup de misère et d’abjection.

II. Considérez que Dieu est tellement simple, qu’il est uniquement appliqué et converti à sa divinité, et à la contemplation de ses beautés et perfections divines, dont il demeure rempli en son infinité sans aucune indigence ou conversion aux créatures. Ajoutez qu’il est tellement simple, qu’il opère toujours dans l’intention pure et simple de sa gloire.

Voyez au contraire quelle est votre abjection; et pensez que vous êtes une pauvre créature, dans une multiplicité incroyable, toute répandue en ses sens et dans les créatures. Ajoutez que les intentions de vos actions sont très impures, et dispersées dans la variété de vos inclinations.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti, réitérez les mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que l’amour est autant pur qu’il est simple, et par conséquent que l’amour divin étant dans une simplicité infinie, par laquelle Dieu s’aime simplement et uniquement, il est aussi dans une pureté infinie; ajoutez qu’encore que vous soyez très vil et très abject, Dieu néanmoins vous donne la capacité et le pouvoir de communiquer à cette divine simplicité et pureté d’amour.

II. Considérez qu’il y a peu d’Amants qui travaillent de la bonne sorte, à cette simplicité d’amour. Voyez votre abjection en cela, et combien vous en êtes éloigné; ajoutez qu’à vrai dire les seuls bienheureux aiment avec cette simplicité, ne pouvant en leur union béatifique aimer que très uniquement et très simplement Dieu, sans se pouvoir divertir un seul moment de leur amour.

[Méditation IV. D’abjection en la vue de l’immortalité divine. omise de même que Méditations V et VI]

Méditation VII. D’abjection en la vue de l’immensité divine.

I.Considérez que Dieu par son immensité divine est partout, sans limite et sans borne, en l’infini de sa divine essence, et de ses perfections divines; il est en ce bas monde, dans les cieux, et au-delà dans les espaces imaginaires à l’infini. Arrêtez-vous à les multiplier, et à réitérer ses multiplications, et vous le trouverez répandu partout sans en pouvoir trouver la fin.

Voyez au contraire quelle est votre abjection; et pensait que vous êtes une pauvre créature raccourcie dans une petite espace avec beaucoup de misères et d’imperfections.

II. Considérez que Dieu par son immensité, et non seulement indivisiblement est tout entier là où il est en son essence, en ses perfections, et en ses productions éternelles des personnes divines; mais encore pensez qu’il est en toutes ses créatures, y opérant continuellement et diversement, selon la diversité de leurs dispositions, savoir est par sa création et conservation, et les créant et conservant par sa grâce et lumière, en les sanctifiant et illuminant, et par ses gloires en les béatifiant. Considérez enfin qu’il y est par essence, c’est-à-dire selon sa nature divine, qui est toute et selon tout ce qu’elle est présente en elles, et même plus infiniment qu’elles ne sont en elles-mêmes.

Voyez au contraire quelle est votre abjection, et pensez que non seulement vous êtes raccourcie en un petit lieu, mais encore avec une grande faiblesse et impuissance, y opérant avec beaucoup d’imperfection, et souvent avec beaucoup de malignité et de péché.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéantis, répétez les mêmes pensées par voie d’amour, et particulièrement

I. Considérez que non seulement Dieu est par tout, mais encore qu’il est par tout aimable; et que nonobstant que vous soyez très vil et très abject, il vous a donné toutefois capacité de l’aimer par tout.

II. Considérez qu’étant très infiniment en vous, il y est aussi très aimable, et qu’encore que vous soyez très vil et très abject, vous le pouvez néanmoins en tout moment aimer en vous; portant toujours avec vous le Dieu de votre amour.

[Méditation VIII. D’abjection en la vue de l’immutabilité divine omise de même que Méditations IX et X]

Méditation XI. D’abjection en la vue de l’incompréhensibilité divine.

I. Considérez que Dieu étant infini en son essence divine, en ses perfections divines, et en ses opérations divines, il ne peut être compris par aucun entendement créé et fini, d’autant qu’il reste toujours à connaître à l’infini dans son infinité.

Voyez en cela votre abjection, et pensez combien votre entendement est court et petit, en la connaissance de l’être divin et des perfections divines, que vous ne connaissez que très superficiellement et très grossièrement.

II. Considérez que Dieu lequel est incompréhensible aux créatures, se peut comprendre et se comprend par la vertu infinie de son entendement divin, communiquant à l’ange et à l’homme selon leur disposition, la capacité à le connaître.

Voyez au contraire quelle est votre abjection, et pensez que non seulement vous entendez et comprenez fort peu l’être divin; mais encore que par votre peu de pureté intérieure, vous êtes peu disposé et capable d’entrer dans la communion et participation de la connaissance divine.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti, réitérez les mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que Dieu est spécialement très incompréhensible, en ce qu’il est infiniment aimable, et en ce qu’il s’aime d’un amour infini.

II. Considérez que Dieu est aussi très incompréhensible dans les voies de l’amour qu’il porte à ses élus, et en la capacité qu’il leur donne de le pouvoir aimer éternellement, encore que de soi ils soient très vils et très abjects; pensez et espérez que vous êtes de ce nombre et humiliez-vous avec amour.

[Méditation XII. D’abjection en la vue de la vérité divine omise ainsi que les suivantes de XIII à XXI]

Méditation XXII. D’abjection en la vue de la Providence divine.

I. Considérez que Dieu par sa Providence divine dirige toutes les créatures à leur fin par des moyens convenables. Sur quoi vous remarquerez que la fin générale de toutes, c’est sa pure gloire; quant à la fin il y en a de deux sortes, savoir est naturelle et surnaturelle : voyez comme les créatures inférieures sont dignes au service des supérieures, et comme toutes regardent leur centre naturel et l’ornement de l’univers; pensez aussi que l’ange et l’homme sont destinés à la grâce surnaturelle et à la gloire béatifique.

Voyez sur cela quelle est votre abjection, et pensez. Combien vous êtes inutile à tout bien dans le monde. Combien vous avez fait peu de bon usage des faveurs de la Providence divine. Combien vous avez été rebelle à sa conduite.

II. Considérez que cette Providence étant infinie, elle est autant appliquée à votre conduite qu’à celle de toutes les créatures ensemble. Qu’étant très suave elle les dirige sans leur faire aucune violence et selon leurs états naturels, savoir est le nécessaire nécessairement, les contingentes contingentement, et les libres librement; ajoutez que comme elle est infiniment puissante, elle est aussi très infaillible, et pensez combien elle est admirable et aimable en la conduite de ses élus, par le ministère de Jésus et de ses grâces.

Voyez sur cela quelle est votre abjection, et pensez avec combien peu d’esprit de lumière vous avez vécu. Combien peu vous avez été abandonné passif à la Providence divine, dans les voies de votre salut et de votre perfection.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti réitérez vos mêmes pensées par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez que la Providence divine vous dirige par ses ressorts, autant adorables qu’inconcevables au pur amour, comme à votre fin très particulière; d’où vous devez penser et admirer qu’encore que vous soyez très vil et très abject, vous êtes toutefois fille d’amour destiné à l’amour présent et éternel.

II. Considérez que le spirituel entre autant en la pureté d’amour, qu’il entre dans le pur abandon de la Providence divine; si bien qu’encore qu’il soit de soi très vil et très abject, le sein toutefois de la divinité vous est donné pour y loger, et reposer dans le saint exercice de l’amour.

Méditation XXIII. D’abjection en la vue de la souveraineté divine omise ainsi que les Méditations XXIV à XXIX.

Méditation XXX. D’abjection en la vue de Dieu bienfaisant.

I. Considérez que le bienfait de Dieu est comme une perfection divine, par laquelle il sort de soi, tire les créatures du rien, se communique à elles et leur fait plusieurs biens naturels convenables leur être, et surnaturels par les grâces divines, convenables à leur salut et à leur perfection.

Voyez au contraire quelle est votre abjection; et pensez comme vous êtes fermés qu’à faire du mal, et que vous ne faites aucun bien qu’en temps que Dieu vous donne de le faire, par les facultés naturelles ou grâce divine qui vous communique.

II. Considérez que Dieu a fait tant de bien à l’ange et à l’homme, qu’il leur a donné la capacité de le contempler, et de l’aimer éternellement, les associant par sa grâce, et par sa gloire, à sa vie divine et à sa félicité divine.

Voyez sur cela même votre abjection et pensez combien vous avez mésusé de cette capacité, et de grâces divines vivant dans le péché et les inclinations du péché.

Anéantissement par voie d’amour.

Étant anéanti, réitérez vos mêmes considérations par voie d’amour et particulièrement

I. Considérez qu’encore que vous soyez très vil et très abject, il prend toutefois tel plaisir à votre amour, qu’à proportion que vous le multipliez, il multiplie aussi ses bienfaits vous répandant ses saintes grâces en abondance.

II. Considérez que la capacité d’aimer Dieu est entre ses bienfaits; le plus signalé est celui qui nous oblige plus à le servir et à l’aimer; ajoutez et pensez comme l’amour a violenté Dieu, à vous communiquer une infinité de bienfaits, encore que vous soyez très vil et très abject, et spécialement pesez le bienfait de tant de grâces particulières qu’il vous a faites, vous sollicitant à la pureté d’amour et à la sainte perfection.

Avis.

Ce traité n’a pu être achevé par l’auteur qui fut prévenu de la mort, son dessein était d’y en ajouter encore un cinquième, qu’il eût intitulé, «Le miroir annuel des Saints qui ont été dans l’abjection», mais la mort nous a privés de toutes ses belles et pures lumières.

[Table des divers traités contenus en ce troisième exercice omise]





[Deuxième partie paginée de 1 à 240]

La dévotion de la sainte agonie de Jésus que l’on peut pratiquer durant le Saint Carême.

(Pages 3 sq.)

Texte de Saint Luc chapitre 22.

Un ange lui apparut du Ciel le confortant, et étant en agonie il priait plus longuement, et sa sueur se fit comme de gouttes de sang qui découlaient en terre.

Avis.

Outre les oraisons ordinaires de la sainte Passion, soyez durant ce carême particulièrement dévot à la sainte agonie, pour cet effet. Premièrement, appliquez-vous journellement environ un quart d’heure à quelqu’une des méditations suivantes, et si vous pouvez arrêtez-vous aux principaux objets, en faisant vos affections, ne vous servant des actes que j’ai mis en suite des considérations que très librement selon votre besoin, et pour approfondir davantage et plus facilement votre sujet. Ayez quelque image qui vous représente cette sainte souffrance et usez des respects, prosternements, humiliations et adorations que la dévotion discrète vous suggère. Pratiquez quelques actes de vertu et sainte communion pour honorer Jésus-Christ dans cette vue. Lisez dans les livres ce que vous pourrez rencontrer sur ce sujet.

Brèves méditations sur la sainte agonie.

I. Méditation. Pour le dimanche. De la sueur de sang.

I. Considérez comme Jésus notre bon sauveur priant pour nous le Père éternel, verse abondance de sang par tous les pores de son très pur corps qui coule sur la terre.

II. Considérez que cette effusion de sang provient d’un effort incroyable de la nature, par le combat de l’amour de notre rédemption et de la très vive appréhension de ses futures peines, effort qui fut si grand, que l’évangéliste appelle cette souffrance agonie, comme voulant marquer expressément que Jésus en devait mourir, si n’eût été soutenu par la vertu de sa personne divine.

Étant imprimé de ces deux vérités, entrez en Jésus-Christ, voyez. Premièrement, comme il prie pour vos péchés le Père éternel. Combien sa souffrance est excessive, ce qui paraît par la sueur du sang. Pensez avec quel amour, sainteté et pureté il fait cette prière. Voyez comme il fait oblation au Père éternel de ce très pur sang qui est une valeur infinie pour vos péchés. Portez compassion à Jésus souffrant. Réciproquez-lui d’amour. Unissez-vous à sa prière et à sa sainte oblation. Faites-vous confusion de votre peu d’amour dans les rencontres de souffrance. Résolvez-vous dans cette vue de souffrir vertueusement. Demandez généreusement à souffrir.

II. Méditation. Pour le lundi. La confusion de Jésus dans la sainte agonie.

I. Considérez comme Jésus étant revêtu de tous les péchés des mortels, est prosterné sur sa face devant le Père éternel, qu’il prie pour notre rédemption.

II. Considérez comme Jésus en cet état souffre une confusion incroyable à cause de la sainteté infinie du père éternel et de la sienne, qui était aussi infinie par sa personne divine et plénitude de grâces.

Ayant bien appris ces deux vérités, entrez dans l’intérieur de Jésus, et voyez. Premièrement, comme ce bon sauveur s’est par pur amour revêtu de vos péchés, lui qui était fils de Dieu et la sainteté même. Pesez cette confusion qu’il souffre pour vous et par amour. Compatissez-lui. Confondez-vous de vos péchés qui lui font confusion. Attachez à lui réciproquer d’amour. Unissez-vous à Jésus s’offrant au père éternel pour vous en l’état de cette peine. Proposez-vous de souffrir et même de chercher la confusion de vos fautes pour en l’esprit de pénitence honorer Jésus en cette sienne souffrance.

III. Méditation. Pour le mardi. De Jésus faisant justice de nos péchés au père éternel dans la sainte agonie.

I. Considérez tous les pécheurs sur le précipice d’un enfer éternel, et Jésus très pur, très saint, et très innocent, qui dans cette sainte agonie offre au père éternel, pour lui faire justice de nos péchés, de subir toutes les très douloureuses souffrances de sa passion, en la consommation de sa bénite mort.

II. Considérez comme le père éternel accepte cette satisfaction de Jésus, et lui accorde miséricorde éternelle pour nous et par amour.

Après l’examen de ces deux vérités, entrez dans l’intérieur des Jésus, et voyez. Premièrement, votre précipice éternel. 2. Que lui seul vous assiste. 3. Avec quel amour. Avec quelle oblation, savoir est, de ses souffrances et de sa mort. Avec quelle sainteté et pureté, puisqu’il était fils de Dieu et plein de grâce. Unissez-vous en la pureté de son esprit à son oblation. Voyez le père éternel vaincu de la pureté infinie de la satisfaction de Jésus. Pesez cet octroi de miséricorde éternelle qui va droit à Jésus, et par lui se répand sur tous les pécheurs qui en feront bon usage. Pensez comme l’amour infini du père éternel correspond à l’amour infini de Jésus. 10. Réjouissez-vous de ce que vous lui appartenez par un don spécial du père éternel. 11. Résolvez-vous de vous en souvenir à jamais et d’honorer Jésus dans cette vue.

IV. Méditation. Pour le mercredi. Du père éternel courroucé contre Jésus en tant que revêtu de nos péchés.

I. Considérez que les péchés contenant une malice infinie méritaient un enfer de peines infinies et un éloignement de Dieu infini.

II. Considérez que cela étant vrai comme il est, qu’ensuite le père éternel était infiniment courroucé contre tous les pécheurs qui étaient opposés infiniment par leur impureté à sa sainteté infinie.

III. Considérez que Jésus en cette sainte agonie s’étant offert au père éternel revêtu de tous nos péchés, avait aussi ramassé sur lui le courroux de sa justice irritée.

Après l’examen de ces vérités, entrez en l’intérieur de Jésus et voyez. Premièrement votre misère infinie par le péché qui va à la séparation éternelle de Dieu. Comme ce bon sauveur vous dépouille de cet état impur pour s’en revêtir et vous obtenir miséricorde. Comme il en est actuellement revêtu avec confusion extrême. Comme étant en cet état, tout le courroux du père éternel se décharge sur lui. Compatissez-lui. Pesez la Justice du père éternel et la patience de Jésus. Examinez l’amour qui le fait souffrir pour vous. Unissez-vous à l’esprit de sa souffrance et du très admirable et inexplicable support du courroux terrible du père éternel. Proposez-vous de souffrir pour vos péchés tout le mal qui vous arrivera, et confondez-vous d’avoir par ci-devant souffert vos peines avec si peu de vertu et d’esprit de pénitence. Dans l’occasion des peines souvenez-vous d’honorer Jésus en la vue de cette sienne souffrance, savoir est du courroux du père éternel, qu’il a souffert pour vous et par amour.

V. Méditation. Pour le jeudi. De la vive appréhension des peines que Jésus souffrit dans la sainte agonie.

I. Considérez comme Jésus dans la sainte agonie est tourmenté d’une très vive vue de toutes les peines qu’il devait souffrir tant en sa bénite âme qu’en son très pur corps.

II. Considérez que dans ses divines appréhensions des peines futures, la partie supérieure abandonna l’inférieure à toutes sortes de souffrances, à quoi vous pouvez aussi joindre le délaissement inexplicable et terrible de la divinité.

Après l’examen de ces vérités, entrez en l’intérieur de Jésus et voyez. Premièrement comme dans cette sainte agonie il semble par un secret d’amour et un souhait de pureté et de justice, avoir ramassé par avance toutes les autres souffrances de sa très douloureuse passion. Arrêtez-vous sur cet amour et souhait. Parcourez les peines dont il avait la vue, comme serait la flagellation, le couronnement d’épines, le crucifiement et les autres. Pesez ces délaissements qui marquent l’infinité des peines que vos péchés méritaient. Compatissez à Jésus affligé et délaissé. Réciproquez d’amour à l’amour de ce sien état. Unissez-vous à la prière que Jésus faisait en cette souffrance au père éternel pour vos péchés. Voyez combien votre rédemption coûte cher à Jésus. Pour honorer cette sienne souffrance, souhaitez de souffrir pour vos péchés, et cherchez le délaissement universel des créatures.

VI. Méditation. Pour le vendredi. De la vue du déicide et du mésusage des souffrances de Jésus.

I. Considérez que Jésus étant très pur et très simple par sa personne divine et plénitude de grâces, était plus tourmenté de la vue des péchés des hommes, et particulièrement du déicide (qui était le plus grand et le plus exécrable de tous) que de la vive représentation et appréhension de cette peine.

II. Considérez qu’en outre que Jésus était extrêmement tourmenté de la science certaine qu’il avait du mauvais usage que tant d’âmes feraient des très douloureuses souffrances de sa bénite mort.

Après avoir bien conçu ces deux vérités, entrez en l’intérieur de ce bon sauveur et voyez. Premièrement quelle était la vue sur le déicide. Combien il le détestait. Unissez-vous à sa détestation non seulement pour le déicide, mais encore pour tous les péchés. Pensez que telle détestation du déicide n’était en Jésus que par le pur amour qu’il portait à la divinité, dont la sainteté était très excessivement offensée par ce très abominable péché. Conférez votre amour envers la divinité avec celui de Jésus sur la version du péché et confondez-vous. Pensez que tous vos péchés sont comme autant de déicides et affligez-vous-en avec esprit de pénitence et d’amour en l’union de Jésus. Voyez comme ces deux peines ensemble du mésusage de que plusieurs feraient des souffrances de ce bon sauveur l’affligeait, vu le fond de son amour envers le père éternel et les pécheurs. Affligez-vous avec Jésus d’un tel mésusage. Compatissez-lui et réciproquez-lui d’amour. Proposez-vous de fortement détester tous vos péchés, comme si c’était autant de déicides. De tendre sans réserve à la sainte perfection pour faire bon usage de la grâce des saintes souffrances et de la bénite mort de Jésus fils de Dieu notre bon sauveur.

VII. Méditation. Pour le samedi. De la soumission de Jésus au décret du père éternel dans la sainte agonie.

I. Considérez que Jésus dans la sainte agonie suant en abondance les grosses gouttes de sang, le saint Ange Gabriel lui apparut et le conforta de la part du père éternel, non par opération de quelque effet ou mutation en sa partie intellectuelle (car cela ne se pouvait, des anges lui étant inférieurs à raison de sa plénitude de grâces et de lumières; et de son union hypostatique), mais par simple représentation des fruits admirables du décret du père éternel de notre rédempteur s’il l’exécutait.

II. Considérez comme Jésus par un acte très haut et très généreux se soumit à l’exécution de ce très adorable décret très volontairement et très amoureusement, d’où ensuite il se leva de la prière pour aller au-devant du traître Judas, et pour s’abandonner à toute souffrance et à la mort.

Après l’examen de ces deux vérités, allez dans l’intérieur de Jésus et voyez. Premièrement son humilité à recevoir la confortation de l’ange, sa pauvre créature. Pesez combien cette représentation des fruits de notre rédemption lui fut agréable. Quelle était la vue de Jésus dans le père éternel, sur le décret de notre rédemption. Arrêtez-vous particulièrement sur la parfaite connaissance qu’il avait de sa sainteté, de l’infinité de sa justice, et de l’infinité de la malice du péché. Ajoutez celle qu’il avait de l’amour du même père éternel vers les pécheurs. Pensez comme il lui fait offre de toutes ses futures peines, et de sa mort pour lui réciproquer en cet amour. Pesez ce très gros acte de soumission à l’entière exécution du décret éternel, et examinez comme il le fit très volontairement sans aucune contrainte : car il eût pu librement ne pas accepter ce très douloureux ouvrage. Ajoutez qu’en cela Jésus nous a manifesté un amour incompréhensible. Unissez-vous à Jésus, acceptant une immensité de souffrance pour vous. Pour l’honorer dans cette vue cherchez en esprit de pénitence à souffrir pour vos péchés qui ont coûté si cher à Jésus fils de Dieu très saint, très pur, et très innocent.

(page 19)

La solitude de cinq jours, De la souffrance de Jésus dans le mépris d’Hérode.

L’usage de cette solitude.

I. Ayez dessein d’honorer la souffrance de Jésus en ce mystère, qui consiste particulièrement en un très profond mépris qu’il a souffert patiemment pour notre rédemption.

II. Employez chaque jour tout le temps qui vous sera donné en l’une de ses cinq méditations, vous confondant sur votre orgueil et vous proposant fortement de chercher le mépris en l’union du très pur esprit de Jésus.

III. Fait usage des affections que je vous marque, ou de semblables, dedans ou hors l’oraison, avec une vue compassive [sic] du mépris que souffre Jésus pour vous, et par amour.

IV. Ayant l’image qui exprime cette souffrance, adorez Jésus méprisé avec humilité, compassion et amour.

V. Proposez-vous devant Jésus méprisé de souffrir patiemment quelque nombre de mépris pour honorer le sien.

VI. Communiez et pratiquez avec obéissances quelques petites pénitences et austérités pour honorer cette sainte souffrance de Jésus.

VII. Demandez dans vos oraisons la lumière du vrai mépris de vous-même en l’union de celle de Jésus.

VIII. Pratiquez dedans et hors l’oraison de très profonds actes du mépris de vous-même, en la vue de celui que Jésus a souffert chez Hérode, et par les considérations de votre rien et de vos iniquités.

IX. Offrez-vous souvent durant ces cinq jours à Jésus, et demandez-lui instamment d’entrer en son divin l’esprit en la pratique de cette sainte vertu du mépris de vous-même.

X. Adorez avec un très profond respect le divin attribut de sagesse qui a été particulièrement offensé par le mépris d’Hérode, et glorifié par la très pure souffrance de Jésus.

XI. Conférez le souhait de mépris qui est en votre âme avec celui qui était en la bénite âme de Jésus, puis en toute humilité demandez de participer au sien.

XII. Jésus étant conduit de Pilate à Hérode fit de chemin 350 pas, et quand il fut reconduit d’Hérode à Pilate, il en fit comme au double, les juifs faisant faire un grand tour pour l’exposer aux confusions des peuples. Adorez-le souvent en la vue de ce travail et de ce mépris.

Texte des évangélistes de la souffrance du mépris de Jésus chez Hérode.

Pilate donc entendant parler de Galilée, demande s’il était de Galilée : et comme il connut qu’il était du ressort des juridictions d’Hérode, il le renvoya vers lui, lequel était en Jérusalem en ce jour-là au moyen de quoi Hérode ayant vu Jésus il s’en réjouit grandement, parce qu’il y avait longtemps qu’il désirait le voir, d’autant qu’il entendait beaucoup de choses de lui, et espérait lui voir faire quelque miracle. Pour cette cause il l’interrogeait par plusieurs demandes, mais il ne lui répondit rien. Cependant les princes des prêtres et les scribes continuaient de l’accuser. Partant, Hérode avec ses gens le méprisa, et se moqua de lui, et l’ayant vêtu d’une robe blanche, il le renvoya à Pilate. En ce jour-là Hérode et Pilate devinrent amis, car ils étaient auparavant ennemis.

I. Journée. Méditation de la souffrance de Jésus dans le mépris d’Hérode.

I. Considérez comme Pilate au lieu de protéger l’innocence de Jésus, qu’il reconnaissait, pour s’en décharger le renvoya au tribunal d’Hérode : détestez l’esprit mondain de ce président et adorez la patience de Jésus.

II. Considérez comme les juifs empoignèrent Jésus et le conduirent avec toutes sortes de mauvais traitements à Hérode. Compatissez à Jésus et détestez la cruauté de ces barbares.

III. Considérez comme Hérode à la vue de Jésus se réjouit, d’autant qu’il espérait en prendre son passe-temps et son plaisir, comme d’un fol, d’un bateleur, ou d’un magicien. Admirez le fils de Dieu qui est fait l’objet du vain passe-temps des créatures.

IV. Considérez comme Hérode voulant prendre son plaisir, questionne bon Jésus, lequel de lui veut rien répondre. Ayez horreur de ce passe-temps d’Hérode envers son créateur et adorez la patience et le silence de Jésus.

V. Considérez comme ensuite les princes des prêtres et les scribes continuent d’accuser Jésus et de le poursuivre à mort. Ayez horreur de cette rage et de cette iniquité, et compatissez à Jésus, qui ne dit pas un seul mot pour sa défense.

VI. Considérez comme Hérode roi mondain méprisa avec ses gens Jésus dans son silence. Arrêtez-vous à peser ses railleries et moqueries, et compatissez à Jésus, qui les souffre patiemment.

VII. Considérez comme Hérode après s’être moqué de Jésus, le fit pour une plus grande ignominie revêtir d’une robe blanche. Détestez cette action d’Hérode, et compatissez à la confusion de Jésus.

VIII. Considérez comme Hérode envoya Jésus en cet état à Pilate, et comme ce très innocent Sauveur fut ignominieusement traité avec toutes sortes de confusions par le chemin. Ajoutez que Pilate et Hérode qui étaient ennemis, devinrent amis dans cette occasion : les créatures faisant leurs affaires aux dépens du créateur. Ayez horreur du mauvais traitement que l’on fait à Jésus et compatissez-lui en sa souffrance de ce mépris.

[II. Journée. Méditation sur le même sujet par voie affective omise comme la IIIe]

IV. Journée. Méditation de la soif, du mépris qui travailla Jésus en esprit d’amour, durant la souffrance de ce saint mystère.

I.

Considérez comme Jésus très pur et très saint durant la souffrance ce saint mystère avait une connaissance par science infuse et par vision béatifique de l’abomination infinie du péché d’orgueil, d’où il en concevait une très grande aversion. Demandez avec humilité d’entrer avec Jésus en l’union de cette science et de cette aversion, faites réflexion sur vous, et détestez cette affection de superbe qui flétrit et dévore la pureté de vos actions.

II.

Considérez que la pureté ou sainteté de Jésus étant personnelle était aussi infinie et infiniment opposée à l’orgueil, d’où sa bénite âme en concevait comme une aversion infinie. Demandez avec humilité d’entrer en l’union de cette pureté de Jésus et en ce principe de concevoir avec lui une aversion infinie de ce péché abominable.

III.

Considérez que Jésus très saint et très pur durant la souffrance ce saint mystère entra en une très haute connaissance par la vision béatifique, et par science infuse de la beauté de la sainte vertu de l’amour du mépris, d’où il en conçut une très grande soif. Demandez avec humilité d’entrer en l’union de cette connaissance et de cette bénite soif, faites plusieurs souhaits de cette vertu, et entrez ensuite dans la pratique.

IV.

Considérez que Jésus par sa sainteté ou pureté personnelle, était incité fortement à une soif infinie de cette sainte vertu de l’amour du mépris et d’abjection. Pensez combien vous êtes éloigné de cette soif, faites-vous-en confusion, et résolvez-vous de travailler à bon escient à cette vertu en l’union de la sainteté ou pureté de Jésus.

V.

Considérez et croyez pieusement que Jésus depuis le moment que Pilate le délaissa et l’envoya à Hérode, jusqu’au dernier de son retour, pratiqua durant tout ce temps cette sainte soif du mépris, afin d’honorer le Père éternel et lui satisfaire par l’infinité de son action pour l’infinité de l’orgueil des mortels : faites réflexion sur tous les moments de ce temps, et adorez Jésus sur tous les actes de cette sainte vertu : faites plus, entrez en l’union de son très divin esprit, et confondez-vous de tous les moments de votre vie qui se passent en orgueil, puis en satisfaction offrez tous les actes d’humilité de Jésus au Père éternel, et résolvez-vous de travailler généreusement au mépris de vous-même.

VI.

Considérez que Jésus durant cette souffrance par tous les actes de mépris qu’il supporta patiemment, allait comme accroissant sa soif par une manière autant inscrutable qu’adorable. Admirez et adorez cette pratique de vertu, confondez-vous de ce que la soif du mépris ne croît point en vous, et résolvez-vous d’y tendre par souhait et par œuvres en l’union du très pur esprit de Jésus.

VII.

Considérez chaque circonstance de la souffrance de ce saint mystère, et pensez que toutes sont comme une échelle infinie à Jésus pour pratiquer le mépris : voyez le premier échelon dans le délaissement de Pilate, et son envoi à Hérode. Considérez le deuxième dans le mauvais traitement qu’il reçut en ce premier chemin. Prenez pour le troisième la réception que lui fit Hérode, le croyant bateleur et magicien. Contemplez le quatrième dans les interrogations méprisantes de ce roi mondain. Passez au cinquième qui consiste en ce qu’il fut revêtu d’une robe blanche comme fol, et ensuite moqué avec de très piquantes railleries de toute cette Cour. Allez au sixième qui consiste en la moquerie universelle des peuples, qu’il souffrit, lorsqu’habillé comme un fol on le ramena à Pilate. Pour septième considérez-le dans la rage et la haine des juifs, qui nonobstant son extrême affliction l’accusaient et le poursuivaient à mort. Enfin pour le huitième et dernier échelon, entrez dans l’intérieur de Jésus, et considérez comme il montait par des degrés infinis de mépris, voulant s’affliger à l’infini pour l’infinité de nos vanités, dont la vue le tourmentait, comme infiniment, ajoutez la vue de la grandeur immense du créateur et de la petitesse très profonde de la créature. Arrêtez-vous ici avec Jésus, entrez en ses dispositions et en ses actes de la soif du mépris, résolvez-vous de vous y appliquer tous les moments de votre vie, et de jamais ne vous séparer de ce bon Sauveur, Dieu du ciel et de la terre, méprisé pour vous, et par amour.

VIII.

Considérez que Jésus durant cette souffrance prévoyant tous les péchés d’orgueil et de vanité qui se commettraient jusqu’à la fin des siècles. Il en été affligé. Il en était attendri de compassion. Il en concevait une grande soif de mépris pour remédier par une justice infinie à l’infinité de ce mal. Pesez cette opération de Jésus, confondez-vous de vos vanités qui ont tant affligé ce très bon seigneur et Sauveur. Demandez participation à cette lumière et résolvez-vous de la renouveler souvent en votre partie intellectuelle, afin de mourir à votre orgueil, et pour vous anéantir.

IX.

Considérez que Jésus durant la souffrance ce saint mystère aspirait sur tous les hommes futurs, mais particulièrement sur les parfaits, son divin l’esprit de cette soif de mépris. Ouvrez en cette vue le fond de votre âme largement, pour le recueillir en toute humilité, résolvez-vous fortement de mourir à votre vie mondaine et humaine, pour le vivre par ci-après que de la vie humble et divine de Jésus.

X.

Considérez que Jésus prévoyant le progrès de ses parfaits, et la gloire qu’il rendait au Père éternel par cette souffrance, il en exaltait : et de l’autre côté reconnaissant clairement l’abomination du péché d’orgueil, et le mésusage que feraient les réprouvés de sa souffrance de mépris, il en était affligé à l’infini. Ajoutez que ces deux différents regards accroissaient sa soif d’une manière inénarrable. Tendez à l’union de cette sainte soif de Jésus par ces mêmes motifs, confondez-vous de la cloaque immense de votre orgueil, et faites résolution de vous appliquer fortement au saint mépris de vous-même.

XI.

Considérez que Jésus durant cette souffrance, voyant combien l’attribut de la sagesse divine était offensé, et même combien grande était l’injure que l’on faisait à sa divine personne, s’en affligeait fort, et pour satisfaction il entrait en une soif infinie de mépris, dont il leur faisait une très pure oblation. Entrez dans cette même vue en l’union de Jésus, souhaitez de participer à cette soif qui vous fasse mourir à toute vanité, et tendre à la sainte perfection avec une très profonde humilité.

XII.

Considérez que Jésus avec cette soif de mépris souffrait par amour une très ardente soif du zèle de la la gloire de Dieu et du salut des âmes, qui était fondée dans sa sainteté ou pureté infinie, et sur la vue du décret éternel de notre rédemption, auquel il se soumettait de toute sa volonté et de tout son amour. Admirez et adorez Jésus en cette soif, et remarquez qu’elle est proportionnée à celle du mépris : résolvez-vous de tendre à celle-ci pour parvenir à l’autre, puisqu’il est très vrai que la pure humilité produit le pur amour.

[V. Journée... omise. Affections ou oraisons jaculatoires... omises. Diversités spirituelles que l’exercitant lira durant cette solitude... omises]

Les neuf degrés du mépris de soi-même, par lesquels en l’union de celui de Jésus, le spirituel tend à la sainte perfection.

I. Degré.

Vous appellerez ce premier, la très claire vue des vanités de ce monde, par lequel l’âme en l’union de Jésus conçoit vivement leur utilité, brièveté et folie, ainsi que ce bon Sauveur fit en son entrée triomphante de Jérusalem, qui fut une disposition admirable pour accomplir la souffrance du mépris qu’il supporta chez Hérode.

II. Degré.

Je nomme celui-ci l’abandonnement des nôtres, par lequel comme Jésus, pour rendre son mépris plus douloureux et amer, voulut bien être délaissé de ses propres apôtres pour entrer ensuite dans un plus grand mépris. Ainsi le spirituel par un secret admirable de la divine Providence vient à être délaissé et fui des siens, ce qui lui sert d’une grande disposition au véritable mépris.

III. Degré.

Appelée ce troisième l’innocence négligée, par lequel comme Jésus fut négligé de Pilate en son innocence : ainsi la bonté divine ayant dessein d’élever le spirituel à un très haut mépris de soi-même, elle permet qu’il soient négligé, et même opprimé en sa plus claire justice.

IV. Degré.

Celui-ci se nomme la persécution des créatures, par lequel comme Jésus se disposant au mépris d’Hérode, fut cruellement tourmenté et persécuté, de même le spirituel étant destiné à un haut degré d’humidité, la Providence divine permet que non seulement il soit abandonné des siens et délaissé dans sa justice, mais encore qu’il soit furieusement persécuté de toutes parts, pour le disposer parfaitement à rentrer en l’union du mépris de Jésus.

V. Degré.

J’appelle celui-ci la silencieuse et profonde mortification de toute tendreté, par laquelle comme Jésus en toutes la suite du mépris d’Hérode n’admit jamais une seule petite tendreté sur soi, ce qu’il témoigna par un profond silence, ne voulant dire un seul mot pour se défendre et se plaindre : ainsi le spirituel ayant fait progrès entre l’union de cet esprit de Jésus, se divertissant fortement de toute tendreté et de toute plainte : et le plus, par acte héroïque de sa partie intellectuelle, souhaitant tout imaginable anéantissement pour la pure gloire de Dieu et pour satisfaction de l’infinité de son orgueil.

VI. Degré.

Nous nommerons ce sixième la vue affligeant notre orgueil, par lequel comme Jésus souffrant mépris était affligé de la vive représentation de toutes les vanités des créatures, ainsi l’âme par réflexion intellectuelle sur soi s’afflige incroyablement de sa très vive vue d’un cloaque immense d’orgueil qu’elle voit en son fonds, dont elle gémit très amèrement.

VII. Degré.

Nommé celui-ci le très haut et très pur goût du mépris, par lequel comme Jésus en habit de fol savoura le mépris suavement et patiemment. Ainsi le spirituel venant à être réputé fol des mondains et des siens propres, le goûte comme chose très suave et très délicieuse.

VIII. Degré.

Appelons celui-ci la joie du mépris, par lequel comme Jésus en habit de fol exulta de cette infinité de mépris, ainsi le spirituel se voyant abîmé dans la confusion de toutes les créatures, s’en réjouit d’une joie inconcevable en l’union et en l’esprit de ce bon Sauveur méprisé.

IX. Degré.

Je nomme celui-ci le sacrifice du mépris, par lequel comme Jésus en habit de fol souffrant une infinité de mépris, se sacrifiant en victime éternelle d’ignominie et de confusion au Père éternel, pour faire justice infinie, de l’infinité de notre orgueil. Ainsi le spirituel étant parvenu à un haut degré du mépris de soi-même, il s’immole à l’éternité, et sans réserve, au Père éternel en hostie d’abjection pour satisfaction de ses iniquités.

[Le mépris de Jésus, extrait de ce qu’en dit la B. Angélique de Foligy au Chap. 60 de ses œuvres. Omis. – Les vues intellectuelles du mépris de Jésus, extrait en partie de la bien heureuse Angélique de Foligny. Remis. Omis. Vision admirable du mépris que Jésus a souffert pour notre rédemption. Omis.]

[Dévotion du saint mépris de Jésus-Christ de sainte Élisabeth, fille d’André Rois de Hongrie, et Religieuse du tiers Ordre de Saint-François. Omis.]

[Omission des entrées suivantes]

Exercice méditatif des dix jours

[l’ensemble couvrant les pages 133 à 240 est omis sauf pour exemple pages 190... 194 ci-après :]

VII. Journée. Points méditatifs des bénites souffrances des cinq sens corporels du bon Jésus.

I. Le tout bon Jésus fut extrêmement affligé en sa bénite vue durant le cours de sa très douloureuse passion : et premièrement, ès prunelles de ses beaux yeux il fut cruellement tourmenté par l’épine qui pénétra jusqu’à la prunelle de l’œil droit, par la boue et les crachats dont ils furent couverts et salis, par les coups de poing dont ils furent pochés, et par les flagellations dont ils furent playés, ce qu’il souffrait patiemment pour moi et par amour.

II. Le tout bon Jésus en l’action de ces vues fut beaucoup affligé, soit en voyant ce que souffrait la Sainte Vierge, et les mauvais traitements que lui faisaient les bourreaux, soit en voyant la retraite de Judas qui l’allait trahir, les apôtres dormants ou fuyants, et saint Pierre qui le venait de renier, soit en toutes les actions honteuses et criminelles que faisait en dérision et haine de sa personne les Pontifes Anne et Caïphe et ceux de leurs conseils, Pilate et Hérode, et leurs assistants, les juifs, les soldats et les bourreaux; ce qu’il souffrait patiemment pour moi et par amour.

III. Le tout bon Jésus souffrit beaucoup au sens de son ouïe : et premièrement les organes en furent fort affligés par les coups de poing, de pierres, de bâtons, de cannes, de houssines, et de verges qu’il y reçut, et par le Précieux sang qui découla après le couronnement dans ses oreilles, ce qu’il supporta patiemment pour moi et par amour.

IV. Le tout bon Jésus fut beaucoup tourmenté en l’action de son ouïe, soit en oyant les paroles dérisoires, calomniatoires, accusatoires et condemnatoires des juifs, des soldats, des Pontifes et de leurs conseillers, comme aussi de Pilate d’Hérode et de leurs assistants, soit en oyant tous les peuples criant qu’il fut flagellé et crucifié, ce qu’il souffrait patiemment pour moi et par amour.

V. Le tout bon Jésus fut beaucoup affligé en son odorat : et premièrement en l’organe tant par les coups de fouet que par les soufflets, pincements, déchirements et égratignures des bourreaux qui lui fourraient aussi les doigts dans ses bénites narines avec beaucoup d’indignité et douleur, ce qu’il souffrait patiemment pour moi et par amour.

[...]

X. Le tout bon Jésus en la souffrance du toucher fut extrêmement crucifié, car son béni corps étant le mieux complexionné de tous les corps, était aussi le plus sensible, et souffrait beaucoup plus sensiblement que les autres : outre que durant le temps de sa passion, il supporta toutes sortes de peines, et fut tourmenté par les quatre premières qualités contraires : par la chaleur et sécheresse en la soif, qui rôtit et alluma toutes les principales parties de son pauvre corps : par la froidure et dépouillements différents de ses habits en ce temps qui était froid : par l’humilité, en le plongeant dans le torrent de Cédron, l’emprisonnement chez Caïphe dans un cachot souterrain, comme aussi par les deux breuvages de vin myrrhé et de vinaigre enfielé; ce qu’il souffrit patiemment pour moi et par amour.





[Troisième partie paginée de 1 à 136]

Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur […]

Règle de perfection que le susdit auteur s’était prescrit à soi-même.

Au nom de la très Sainte Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit : je me suis consacré et obligé au travail de la belle moisson de la pure perfection, en vue de trois vérités très obligeantes.

La première la fin de ma création. La seconde. La fin de ma vocation. La troisième. La fin de tous les travaux de trente-quatre années de Dieu fait homme pour moi, et par amour infini.

Mon âme opère pendant qu’il est jour, parce qu’il viendra une nuit en laquelle personne ne pourra rien faire. Voici donc la règle de ma perfection.

1. Je veux me donner à Dieu sans réserve et tâcher à lui plaire de toutes mes petites forces.

2. Je veux que ma première action du matin soit d’adorer tout ce qui est en Dieu, lui offrir tout ce que son Fils bien-aimé a fait et fera pour son amour : me donner à lui sans réserve, et tendre à lui plaire de toutes mes petites forces en l’union de Jésus mon Sauveur.

3. Je veux avoir en ma volonté une certaine tendance habituelle et déserte pour la pure perfection, et telle qu’elle ne me fasse rien épargner pour le grand Dieu.

4. Je veux souvent en la journée renouveler ma volonté générale, pour honorer la très Sainte Trinité en l’union de Jésus, de la sainte Vierge et des bonnes âmes.

5. Je veux chercher, aimer et servir fidèlement Dieu, en tout temps. Le grand Dieu que je sers est toujours le même qui demande de moi une fidélité très pure.

6. Je veux être très perpétuel et fidèle en tous mes exercices.

7. Je veux tendre à la vraie oraison et ne manquer jamais à prendre le temps que l’obédience me donne, à prévoir mes sujets, lesquels je prendrai, selon ma disposition, et ceux qui me seront les plus propres, selon ma direction; je me servirai de la préparation éloignée et de la prochaine, et demanderai très instamment à Dieu par Jésus-Christ la grâce d’oraison, parce que sans elle je ne saurais rien qui vaille en la voie pure de la sainte perfection.

8. Je me veux servir pour la manière d’opérer de notre exercice journalier, savoir en chacune action, jeter la vue sur Jésus faisant la même action que je vais faire; l’adorer, m’unir à lui, et en tirer imitation, tant pour mon extérieur que pour mon intérieur.

9. Je veux faire mes deux examens tous les jours, sans manquer; et regarder Jésus-Christ comme mon Juge.

10. Je veux fermer lecture chaque jour une heure, ou plus si je peux.

11. Je veux me servir fréquemment pendant la journée d’oraisons jaculatoires, et chanter de petits Cantiques fort spirituels, par voie d’amour vers Dieu.

12. Je veux approcher des sacrements avec grande volonté de pureté.

13. Je veux le jour de chaque mois que j’irai en retraite, renouveler, mais vœux de baptême et de ma sainte profession.

14. Je veux ne jamais rien faire pour mes intérêts, mais tout pour Dieu, par motif surnaturel.

15. Je veux en toutes actions tendre au plus parfait. Et dans la diversité des événements, quoique contraire à mes inclinations, je veux adorer, vouloir et aimer tout ce qu’il permet arriver.

16. Je veux faire très bon usage de toutes les occasions de vertus qui se présenteront, parce que je sais bien que de tels petits gains se font les grands trésors.

17. Je veux sans cesse m’abîmer et me purifier en la pureté de Jésus-Christ, par ce que je ne suis qu’un composé d’impureté et d’imperfection.

18. Je veux passer chaque jour comme le dernier de ma vie, et veux me souvenir que Dieu est un Dieu de pureté infinie, devant lequel mon âme doit paraître et être jugée pour l’éternité.

Mon Dieu! Avec quelle pureté dois-je vivre, pour n’être pas surpris dans aucun de mes moments.

19. Je veux pratiquer journellement des actes d’espérance, de charité et de foi.

20. Je veux lors que je tomberais en quelques fautes, pratiquer trois choses. 1. M’humilier devant Dieu et demander pardon de la coulpe. 2. Aimer et chérir l’humiliation qui m’en revient. 3. Être plus sur mes gardes pour l’avenir.

21. Je veux toutes les semaines lire ce petit écrit, être ponctuel en l’observance d’icelui, et m’imposer quelque pénitence pour les fautes que j’y commettrai.

22. Je veux marquer mes infidélités, et tous les samedis je veux prendre une demi-heure pour faire un sérieux examen de toute la semaine, et faire oblation de mon petit travail, demander pardon de mes fautes, et avoir recours au grand Dieu, pour commencer tout de nouveau à le servir en pur amour.

23. Je veux m’appliquer à la sainte acquisition des vertus, en la vue de Jésus et de Marie.

Les vœux.

24. Je veux être très jaloux en la pure observance de mes vœux, et veux croire qu’il y a en a plusieurs dans les Enfers qui maudiront Dieu à toute éternité, d’autant qu’ils ont voué sans avoir observé.

25. Je veux en vue de mon vœu d’obéissance, travailler incessamment à me dépouiller de ma propre volonté.

26. Je veux obéir toute ma vie simplement, promptement, entièrement et universellement; je veux ne jamais dire non, sur quoi que ce soit que l’on ordonne; je veux tendre à l’obéissance passive, et souvent me voir devant Dieu et les créatures comme une bête de charge.

27. Je veux en vue de mon vœu de chasteté, être très pur en mes pensées, paroles, actions, désirs, affections, et intention, et me souvenir qu’il n’y a que les seules purs qui voient Dieu, tant en cette vie par la méditation, qu’en l’autre par la claire vision.

28. Je veux en vue de mon vœu de pauvreté, ne me réserver que Jésus tout pauvre, et n’avoir en notre usage que ce qui sera nécessaire.

29. Je veux trouver des inventions pour pratiquer la pure pauvreté, et désirer souvent d’en ressentir les indigences, et mésaises qu’a soufferts le plus pauvre de toutes les créatures, qui est mon seigneur Jésus-Christ. Je veux le conjurer de ne jamais permettre que je coure après mes commodités, mais qu’il m’associe avec lui pour vivre et mourir en la pure pratique de la pauvreté, parce qu’il n’y a que les pauvres qui possèdent Dieu.

30. Je veux tendre à l’observance de mes règles et constitutions : je veux mortifier mes vices, passions, mauvaises habitudes et inclinations, et cela sans relâche.

31. La vie religieuse n’étant qu’un état de pénitence, je veux souvent déplorer les abominations de ma vie passée, et voir que si Dieu eût voulu, il aurait un million de fois livré et placé mon âme au centre des Enfers pour l’éternité; mais par un amour infini, il me donne le temps de vaquer à la pure pénitence, et reconnaître que je suis coupable du sang de Jésus-Christ.

En cette vue je veux souvent me condamner comme criminel, et demander à Dieu et à sa justice que toutes les créatures se vengent des injustices que j’ai commises contre mon Créateur et Rédempteur.

32. Je veux consacrer tous les moments de ma vie à la pure pénitence, et vivre en fuyant tous les plaisirs et satisfactions vaines et inutiles, prenant mes soulagements, récréations et divertissements par obéissance, humilité, mortification et nécessité.

33. Je veux tendre à ne souhaiter rien de tout ce qui est de périssable, et m’habituer à appliquer tous mes désirs à posséder les plaisirs purs, infinis et interminables.

34. Je veux quitter, oublier et abhorrer toutes les créatures, jusqu’au dernier soupir de ma vie pour l’amour de Jésus-Christ, et prendre pour ma devise intérieure ces beaux mots de Frère Gilles : une seule âme, à un seul Dieu; et cela immuablement.

35. Je veux me souvenir que je me fais plus de tort en m’occupant des créatures, que tout le monde et tout de l’Enfer ensemble ne m’en saurait faire.

36. Je veux garder exactement la solitude intérieure au regard de toute créature, n’admettant en mon âme aucune image, et non pas même une seule idée étrangère; afin que Dieu tout pur et tout bon, habite et séjourne avec plaisir en mon fond.

37. Je ne veux jamais chercher consolation, secours et direction des personnes que Dieu me donnera pour la conduite de mon intérieur, que comme, et en la manière que Dieu voudra. Et veut leur être autant soumis et obéissant que je le serais à Jésus-Christ s’il me conduisait visiblement; leur obéissant très particulièrement pour les nécessités de mon corps, et cela sans réplique.

38. Je veux souffrir les peines intérieures et extérieures que Dieu me voudra envoyer, les supportant avec soumission, et retranchant toute tendreté sur moi-même, me souvenant des peines et innombrables souffrances que Jésus-Christ a endurées, lequel s’est fait appeler homme de douleur.

39. Je veux entre toutes les vertus choisir l’humilité, et pour en pratiquer les actes. 1. Avoir une très abjecte opinion de tout ce que je suis 2. Vouloir que les créatures me connaissent tel que je parais devant Dieu, et qu’elles me traitent comme je mérite. 3. Permettre à toutes sortes de personnes de me faire, de me dire, et de penser tout ce qu’elles voudront de moi. 4. Demander à Dieu avec instance la soif des pures humiliations, et de vivre et mourir sans en être désaltéré.

40. Je veux tendre par vœu aux exercices d’humiliation, que je sais qui me sont plus nécessaires, et me donnent plus de peine au travail de cette belle vertu.

41. Je veux m’accoutumer à voir mon prochain dans les plaies très pures de Jésus-Christ, et en ce saint lieu je veux estimer, aimer, supporter, et dissimuler toutes les humeurs répugnantes, et contrariétés qui se rencontrent dans la conversation.

42. Je veux faire bonne provision de complaisance, condescendance et douce adhérence envers un chacun, particulièrement pour ceux pour qui j’ai moins d’inclination.

43. Je veux ne point penser, parler, ni m’occuper des fautes de personne.

44. Je veux me comporter humblement, cordialement, et respectivement envers tout le monde.

45. Je veux me donner une loi très rigoureuse, pour ne parler jamais du prochain.

46. Je veux éviter les paroles oiseuses et inutiles, les termes trop exagérants, les paroles indiscrètes, méprisantes, railleuses, et toutes celles qui peuvent blesser ou amoindrir la charité.

47. Je veux être inviolable au saint silence, pour honorer celui que Jésus a gardé durant sa sainte vie.

48. Je veux tâcher à ne parler qu’à voix soumise, hors les heures de récréation.

49. Je veux sur toute chose buter à la pure gloire et volonté de Dieu. Je veux trouver en elle tout mon repos, mes plaisirs et ma satiété pour jamais.

Voilà les règles spirituelles que l’auteur de ces traités s’était saintement prescrit. Les personnes qui l’ont connu savent la haute perfection où il est arrivé par l’observance d’icelles. Car il est bien certain qu’il a vécu et est mort en état d’une sainteté très parfaite et relevée, en sorte qu’il a été estimé comme un Soleil [nom donné à l’ostensoir], non seulement par sa vie exemplaire, mais encore par les rayons de lumière et de chaleur toute Divine, qu’il répandait dans les âmes que Dieu lui adressait, lesquelles il dirigeait d’une manière si efficace que la pure grâce et esprit de Jésus-Christ y paraissent manifestement. C’est ce que l’on pourra voir par quelques remarques qui me sont tombées entre les mains, et que je mets ici après pour la satisfaction de plusieurs bonnes âmes.

Celles à qui ces avis ont été donnés étant maintenant devant Dieu, d’autres encore y pourront trouver la même grâce. Amen.

Lettre d’un certain Spirituel Ecclésiastique où il déclarait ses dispositions au Père, et requérait ses avis.

Mon Révérend Père,

Dans le désir de profiter en la voie de Dieu la première et la plus grande de mes peines a été sur ma vocation; à laquelle bien que je m’y sois engagé dans la très unique vue de la volonté de Dieu, j’ai rencontré depuis tant de ténèbres par la crainte de l’illusion, et par la représentation importune des plaisirs que j’avais quittés; de sorte que dans ses obscurités je souffrais des peines qui ne se peuvent comprendre.

2. De là est encore procédé une autre difficulté que je ressens fort, c’est un désir de m’engager dans les marges compatibles à ma condition, et quoi que je considère cela le plus souvent comme une tentation manifeste, j’ai grande faiblesse dans la tentation actuelle que j’augmente par la vue d’être fort inutile dans ma condition, et que quelques petits talents que Dieu m’a donnés ne servent de rien; comme aussi de quelques infirmités et principalement par un mal de tête plus continuel que violent, qui m’ayant donné plusieurs fois la pensée de quitter l’oraison que je fais d’une manière fort commune, cela ne m’a pas été permis par mon Directeur.

3. Une troisième difficulté me peine, c’est l’appréhension de l’événement d’une affaire à laquelle j’ai contribué.

4. J’ai encore une autre sorte de peines, d’être obligé de laisser la meilleure partie de mon bien à personnes qui n’en ont pas grand besoin, et je n’en puis disposer étant encore fils de famille.

5. Je suis encore fort imparfait et peu avancé dans l’oraison, et toutefois j’ai de bons désirs; et dans le rayon actuel des grâces ou lumières, toutes mes tentations disparaissent, et je me trouve fort attiré. 1. À une grande conformité à la volonté de Dieu. 2. À une complaisance et connaissance très suave de ce que Dieu est, ce qu’il est. Pensée qui m’a souvent donné plus de douceur, que je n’ai eu de peine dans mes ténèbres, mais mon état de peines est plus durable que celui de lumière. J’ai grand besoin de la grâce, et pour cela je requiers les prières des serviteurs de Dieu; je ne sais ce qu’il veut de moi, ni pour l’intérieur, ni pour l’extérieur, mais je suis résolu connaissant sa volonté de la suivre. Il m’a donné la pensée de regarder mes ténèbres comme peine et tentation, et ainsi les rejeter, ou pâtir; je ressens des désirs de la perfection, et est des pensées très fortes d’aller chercher le martyre en Angleterre.

6. Depuis trois ans, je me suis exercé en l’oraison, j’ai fait peu de progrès, je prends mes sujets de méditation de la vie de notre Seigneur, j’ai peu de consolation sensible, et j’agis plus de l’entendement que de la volonté. J’ai bien désir de savoir par quelle voie je puis m’avancer en cet exercice de l’oraison.

Voilà un abrégé de la lettre de cet Ecclésiastique; en voici la réponse.

Réponse du sage Directeur.

Jésus-Christ soit votre lumière, la vérité et la voie de votre sainte perfection. J’ai considéré votre écrit, vos mouvements intérieurs, et la conduite de notre bon Dieu sur vous. Je ne me sens pas capable de l’honneur que vous me faites, demandant mon avis de l’unique affaire de votre Éternité, et votre humilité me fait confusion, à laquelle néanmoins je veux acquiescer, me confiant en votre bonté à la charité de notre bon Seigneur Jésus-Christ qui nous unit dans cette occasion.

1. Considérant votre état, je vois ce me semble, une conduite particulière et amoureuse de la Divine Providence sur vous. Faites réflexion sur les différentes occasions et les différents mouvements de votre vie passée, et vous avouerez cette vérité, et reconnaîtrez que votre âme et du nombre de celles que le divin l’époux a renfermées dans ses bénites mains, pour les protéger et défendre des périls, et les conduire efficacement à la possession de la pureté de son esprit et de sa vie divine.

2. L’esprit de nature vous inclinait et retirait aux emplois mondains de votre naissance et conditions. Ayant considéré votre écrit devant mon Dieu, j’estime que c’est la très amoureuse Providence qui vous en a diverti, vous destinant à son service. Vous avez pris conseil des serviteurs de Dieu, et vous l’avez suivi avec bénédiction qui vous a été marquée par cette consolation intérieure, qui a rempli et rassasié votre âme plusieurs jours.

3. Dieu tout bon dispose ses grâces, ses vocations, et ses emplois dans ses élus et serviteurs, et le vrai spirituel doit être indifférent à tout état, et purement passif à la conduite de la volonté divine, mais notre cher Monsieur, à mon avis, il vous reste bien des combats et des travaux pour consommer votre perfection. Je conjecture ceci de vos dispositions présentes que votre écrit de marque. Prenez néanmoins courage, Jésus-Christ vous a été fidèle, pourquoi ne lui serez-vous pas fidèles par une correspondance? Certes cela est nécessaire.

4. Je comprends fort bien cette peine que vous me décrivez, je les trouve fort bonnes et conformes aux voies ordinaires de ceux qui cherchent Dieu en esprit et en vérité; ne craignez plus l’illusion ou semblable ténèbres, vous êtes bien marqué, et il faut que vous suiviez votre Maître par une pure conformité jusqu’à la mort de la croix. Nous ne voyons point de solide perfection qui ne soit épurée par les souffrances, il faut vous y résoudre, et assurément pour peu que vous soyez fidèles, Jésus-Christ consommera en vous sa grâce et votre perfection.

5. Je ne puis incliner à ses emplois mondains que vous m’avez marqués. J’avoue néanmoins que l’on peut alléguer beaucoup de raisons apparentes pour cet effet, mais j’en ai une contraire en mon esprit qui m’arrête tout court; c’est qu’il me semble que votre grâce vous veut ailleurs, et qu’apparemment vous contracteriez la contagion de l’esprit mondain, si vous étiez beaucoup occupé des affaires du monde. Puis donc que jusqu’à présent la divine Providence vous a préservé de telles rencontres, je vous conseillerais de vous résoudre fortement de penser jamais à un autre emploi, qu’à celui qui vous ferait purement Ecclésiastique, dans lequel vous pourrez procurer de la bonne sorte le bien des âmes et la gloire de notre bon Seigneur Jésus-Christ. À mon avis, la divine Providence vous réserve un tel emploi. Préparez-vous-y, afin que vous fassiez alors fruit de grâce et de bénédiction.

6. Sur cette oraison, il me semble que le Directeur a sagement fait de vous empêcher de la quitter; je vous dirai tout bonnement qu’elle vous est si nécessaire, que je ne crois pas (considérant bien vos dispositions) que vous puissiez conserver votre grâce et subsister dans votre perfection sans l’oraison. Prenez courage, Jésus-Christ vous fera sera fidèle, si vous lui êtes fidèle; préparez-vous au combat dans sa force et dans sa vertu. Si vous remportez la victoire, vous goûterez combien Dieu est suave et admirable dans la lumière de la véritable Oraison.

7. Je vous conseille de vous désoccuper des pensées et de l’événement futur de l’affaire à laquelle vous avez contribué. Abandonnez cette affaire à la divine Providence, je crois que votre oblation lui a été agréable, et vous en recevrez bénédiction quoiqu’il en arrive.

8. Tâchez aussi de vous désoccuper de cette autre petite peine que vous me marquez, article quatre. Le fidèle spirituel ne veut que la volonté de son Dieu qu’il accomplit, selon les ouvertures qui se présentent, sans s’occuper à rien.

9. Ayant examiné, devant mon Dieu, ce que vous me dites en l’article septième je crois que le divin époux cherche d’être le maître chez vous. Je vois clairement que la grâce combat la nature imparfaite et impure, et qu’elle la va pacifiant par les petites peines : je dis petites, d’autant qu’à mon avis vous devez vous préparer à de plus grandes pour arriver au degré de perfection auquel vous me semblez appelé, selon que je puis remarquer de vos dispositions surnaturelles, et duquel je vous crois encore bien éloigné.

10. Ces lumières marquées dans ce même article vous sont données pour vous disposer et encourager aux combats : ce sont des faveurs du divin époux qui compatit aux faiblesses de votre âme, tant celles qui vous sont connues, comme aussi plusieurs autres qui vous sont encore cachées et inconnues, et que vous connaîtrez dans les occasions. Telles lumières ordinairement peuvent servir au spirituel de sujet d’oraison, même après leur actuelle occupation, à raison de l’impression qu’elles laissent en la partie intellectuelle.

11. Ce désir de martyre dont vous parlez au même article, est un bon effet de la grâce opérante en vous. Il en sera ce qu’il plaira la divine Providence. Je crois que présentement votre affaire consiste à vous perfectionner, et sanctifier tout de bon, par les saintes et solides pratiques de la mortification de vos passions, et inclinations sensuelles, et de la pure vertu. Si vous le faites, et que vous soyez fidèles, je prévois que vous êtes pour faire un grand progrès à la sainte perfection. Ce qui ne se peut faire sans de grands combats, dans lesquels la grâce ne vous manquera pas, et j’espère qu’elle sera victorieuse en la vertu et de la force de Jésus-Christ.

12. J’ai considéré la disposition de votre oraison, et je vous ai trouvé bien faible dans cette voie, j’ai remarqué que votre grâce ne demande qu’à opérer en vous et vous sanctifier; mais comme elle n’est pas assez nourrie et fortifiée de l’esprit et de la vie de l’oraison, elle demeure trop faible pour accomplir et consommer en vous le dessein du bon Dieu; il faut donc vous résoudre à vous y appliquer tout de bon, si vous voulez entrer dans les degrés de perfection, auxquels vous paraissez être appelé.

Voici donc mes petits avis pour la pratique de votre oraison.

1. Pensez et croyez que le bon Dieu vous appelle à la pratique de la sainte oraison : qu’il veut que vous vous y appliquiez en toute fidélité, et que c’est la voie principale de votre perfection.

2. Faites donc une ferme résolution de vous y appliquer fortement et la renouveler souvent.

3. Faites quelque dévotion de pèlerinage pour obtenir le secours du ciel, afin que vous puissiez vous établir de la bonne sorte dans cette voie, de laquelle dépend toute votre perfection.

4. Soyez fort libres dans les lumières et les sujets de votre oraison : suivez en cela la motion et lumière intérieure. Vous savez néanmoins qu’il est bon d’incliner l’âme à s’occuper des principaux objets de la divinité, de la sainte humanité, des vertus, et autres semblables.

5. Je vous conseille de vous rendre savant, et de vous exercer beaucoup présentement dans les perfections divines. Votre âme en a besoin pour concevoir une estime véritable et forte de Jésus-Christ, et pour se tirer de sa chair et des inclinations mondaines qui la traversent. Alvarez en son second tome de l’Oraison, en a fait cent contemplations, qui sont fort belles, les pères jésuites vous diront ce que c’est.

6. Étant fondé dans les vues de la Divinité, appliquez-vous fortement à la sainte humanité, et vous verrez quelle seront la bénédiction et le fruit de votre travail.

7. Il est aussi nécessaire que vous fassiez journellement quelques brèves méditations des principales vertus, pour vous fortifier dans la pratique des actes, qui sont nécessaires pour entrer dans la pureté de perfection.

8. Je voudrais aussi faire toutes mes lectures spirituelles en esprit d’oraison; c’est-à-dire avec quelques petites réflexions, douces et suaves, sans aucune violence ou contrainte.

9. Voilà mes petits sentiments sur votre état, je crois que vous êtes si bon, que vous vous contenterez de ma pauvreté et de ma bonne volonté; prenez courage, ne vous croyez plus du monde, vous êtes marqué pour Jésus-Christ. La solitude et l’oraison vous attendent, et le Dieu de votre grâce et de votre amour vous prépare la couronne.

Pour conclusion je vous conseille derechef de fuir tout emploi mondain, la divine Providence vous en prépare un autre, qui sera conforme à son dessein éternel, pour consommer en vous le cher ouvrage de votre prédestination et perfection. La conversation des serviteurs de Dieu vous sera utile, et même nécessaire, et je souhaiterais que vous puissiez en avoir quelqu’un avec vous qui fut fervent, et porté à la sainte oraison, cela vous servirait beaucoup, et semble que votre grâce demanderait quelque petit secours semblable; souvenez-vous-en, quand la divine Providence vous en donnera ouverture.

Autre lettre du même Ecclésiastique.

Mon Révérend Père,

j’ai cru les saintes et solides instructions qu’il vous a plu m’écrire, et la charité avec laquelle vous vous êtes impliqué si particulièrement à tous mes besoins, a été suivi d’une bénédiction abondante. Vous avez répondu à tous mes doutes avec tant de clarté, de douceur et de netteté, que si je faisais autant d’estime de mes Croix, comme faisait un grand saint, je vous ferais instance de me rendre mes peines : en un mot, mon cher Père, je me trouve comme lié à rechercher votre sage et judicieuse conduite, etc.

Réponse du Révérend Père, sur les articles particuliers qui étaient décrits bien au long dans la lettre susdite.

Monsieur,

Notre bon Seigneur Jésus-Christ soit notre lumière et notre charité pour jamais. Je veux obéir à votre humilité. La grâce vous appelle, et la pureté de vertu et d’oraison vous attend sur la chère et solitaire Sion. [Ibunt de virtute in virtutem, videbitur Deus Deorum in Sion. Allons donc ensemble, et soyons fidèles à Jésus notre divin Père, qui nous tire à sa vie et à son esprit.

1. J’ai considéré la disposition de vos exercices journaliers, je vous conseillerais de continuer; suivez doucement votre grâce dans vos petits règlements, et défendez-vous de l’infidélité qui provient de la nature immortifiée : où vous remarquerez, s’il vous plaît, que cette ponctualité doit être pratiquée avec liberté d’esprit, d’autant que le spirituel doit ajuster ses pratiques à son état intérieur qui est variable, dans le progrès de la sainte perfection, et prendre avec conseil certains petits divertissements justes et nécessaires de la vie humaine.

2. Je vous conseillerais derechef la discrète fréquentation des serviteurs de Dieu; croyez-moi que pour purs que nous soyons, l’esprit mondain qui nous environne nous flétrit, et celui de Jésus, qui est caché dans le cœur de ces parfaits, nous vivifie. Vous êtes encore jeune, et votre grâce a besoin de ce petit secours pour vous fortifier, et fermer les avenues au tentateur, qui est subtil à nous séduire dans le goût mensonger des choses humaines et mondaines.

3. Sur votre troisième proposition, je vous conseille encore de fuir les emplois mondains; Jésus-Christ vous attend dans sa pénitence et son désert, et croit que cette sainte suite est entièrement nécessaire, pour honorer la sainte humilité de Jésus-Christ; vous pourriez en faire vœu pour quelques mois, et quand le temps sera fini vous le pourriez renouveler. Telle pratique est assez en usage dans la direction des serviteurs de Dieu.

4. Sur les quatre sortes de pensées qui vous viennent en l’esprit, touchant votre établissement de vie et d’emplois, je vous dirai qu’après les avoir considéré devant mon Dieu, mon petit sentiment est : que la retraite ès communautés est très sainte, quand le spirituel y est appelé par grâce connue et examinée. Je vous conseillerais de ne rien faire en ce point sans conseil et prière. Soyez bien passif à la conduite divine, le Dieu de votre perfection accomplira ses desseins en vous : derechef, ne précipitez rien en ce point.

Sur le deuxième. Je vous dirai que la charité envers les pestiférés est sainte. Dieu tout bon, à mon avis, vous appelle à autre chose. 3. Ne vous contraignez pas pour les missions; si néanmoins la grâce vous en donne quelques facilités et ouverture, suivez la, et prenez courage, cette pratique pour quelque peu de temps vous servirait; remarquez que je vous dis pour peu de temps, d’autant que je ne vois pas en vous toutes les dispositions nécessaires. L’érection d’un hôpital dont vous avez le désir est fort bon, mais cela ne se doit pas faire sans prières et bons conseils, afin que l’œuvre soit utile et solide.

5. Quant à votre oraison. 1. Voyez avec humilité ce que peut supporter l’infirmité corporelle dont vous me parlez. 2. Nous voyons plusieurs serviteurs de Dieu infirmes comme vous, lesquels ne pouvant méditer, par une attention contraire se sont appliqués à adorer Dieu dans les vérités universelles de ses perfections divines, et Jésus-Christ dans tous ses états, avec tels fruits et les bénédictions qu’ils sont parvenus à une pure contemplation, laquelle étant dans une lumière passive et intellectuelle, n’agitent point l’imaginative, d’où provient le mal de tête. 3. Gardez-vous bien de vous retirer comme vous dites des perfections divines, ce serait un mauvais conseil et une pure illusion. Je dis plus, que la divinité à cause de son infinité pénètre beaucoup plus facilement l’entendement dans l’excellence et sublimité de ses vérités que tout autre objet. 4. Joignez à l’oraison de la divinité celle des états de Jésus-Christ, car c’est en sa pureté et en sa vie divine, que vous trouverez votre pureté et votre lumière, et quelque jour si vous êtes fidèle, la consommation de votre oraison. 5. Il est bon aussi de s’appliquer à la science, et aux petites réflexions de la pureté des vertus, en la manière que les saints et les parfaits les ont pratiquées.

La pratique de la conformité est bonne et sainte, et vous pouvez vous y appliquer quand votre grâce vous y attirera, faites néanmoins cela discrètement; car quand le principal objet de l’oraison vous unit à Dieu, vous feriez faute de vous en divertir, répandant votre vue intellectuelle sur différents objets de conformité. Sur quoi je vous dirai que les spirituels ordinairement font quelques exercices particuliers de conformité, dont ils font usage dans des temps particuliers, lorsque la lumière intérieure les provoque, et prennent garde d’en user avec modération dans l’oraison.

Autres propositions du même.

I. Proposition. Comme je suis d’un tempérament délicat, je suis fort modéré aux mortifications du corps, j’ai peine à dormir le temps qui m’est prescrit; je couche sur une paillasse, je fais la discipline quelquefois la semaine, je porte quelque petite ceinture à molette; avec les jeûnes de l’Église, J’en fais quelques autres, comme les samedis et les veilles des fêtes de la Sainte Vierge.

Réponse. Votre conduite me semble sur ce point fort bon et dans l’esprit de la grâce; le diable fera ce qu’il pourra pour vous en divertir : soyez donc fidèles en ce point dans la discrétion, néanmoins prenez avec humilité les secours nécessaires, retranchant le superflu : le pur amour est fort ingénieux, soyez passif à sa lumière, elle vous apprendra à faire en ceci ce qui sera de la volonté divine.

Vous dites que les longues retraites sont contraires à votre santé, bénissez Dieu en votre humiliation : mais il n’en faut pas demeurer là, il faut être fidèle au divin époux de votre âme. Pour cet effet, je vous conseillerais, au lieu de telle retraite, d’aller deux ou trois fois tous les ans en pèlerinage en quelque lieu dédié à la Sainte Vierge, et de demeurer là pour l’honorer l’espace de trois jours; et afin de rendre cet exercice doux et agréable, ayez avec vous quelque bon prêtre qui vous entretienne de fois à autres de la vie de la Sainte Vierge et de certains miracles. Cette pratique simple est très utile, et de grandes bénédictions, et assurément vous en recevrez beaucoup de fruit, et en demeurerez très satisfait. Portez avec vous quelques livres, comme la triple Couronne du révérend Père Poiré, ou autres semblables.

II. Proposition. J’ai fait résolution de ne rien faire pour avoir aucun bénéfice, etc.

Réponse. La divine Providence pourvoira pour ce qui est des bénéfices. S’il vous en arrive vous en ferez part au pauvre, et dans l’ouverture qu’on vous en pourra faire, vous prendrez conseil des serviteurs de Dieu; cette discrétion sanctifiera votre action.

Je dis sur votre autre point que le spirituel doit tendre discrètement, mais pourtant efficacement à se vider du respect humain, lequel certainement nous sépare beaucoup de la communication intime de Jésus-Christ; tendez donc à cette mortification, faites de petits coups de partie avec N. Cela se peut faire sagement. Le diable vous travaillera fort dans cette pratique, d’autant que non seulement elle vous sanctifie, mais aussi que par l’exemple, elle cause beaucoup de biens publics. Prenez courage, la grâce vous attend, et la livrée de Jésus-Christ est belle, sainte, et convenable aux fidèles Amants. Laissez dire les mondains, ouvrez votre cœur à la sagesse divine, et suivez ses voies et ses lumières; voilà le vrai chemin, et votre sanctification.

3. Sur ce que vous dites des vêtements, je vous dirai que la propreté trop ajustée ne me plairait pas; je l’aimerais un peu pauvre, je n’ose dire négligée; suivez en cela discrètement la lumière intérieure et la direction. Quant aux ornements de l’église, soyez modérés, mais pourtant fort propre, tous les serviteurs de Dieu en usent de la sorte.

4. Touchant votre habit court, dont vous dites user quelquefois; soyez en habit clérical autant qu’il vous sera possible, et si votre robe n’est longue, tâchez d’en avoir une qui aille jusqu’aux genoux : c’est l’habit extérieur de Jésus-Christ qui conserve en nous l’intérieur qui consiste en sa grâce, et au caractère sacerdotal dans nous sommes revêtus.

Continuez votre bonne coutume de dire tous les jours la sainte messe : le faisant par dévotion, comme vous faites, une préparation médiocre suffira dans le rencontre des affaires. Je vous conseillerais de ne pas manquer à faire celle que le missel ordonne; et ensuite, selon votre loisir, élevez et consacrez votre esprit à Dieu et à Jésus, par petites oraisons jaculatoires; et autres occupations intérieures selon que vous serez mû de la grâce.

Voilà mes petits avis, que je soumets à votre meilleur jugement. Jésus-Christ sera notre voie, notre vérité, et notre lumière à jamais.

Autres propositions et réponses à diverses personnes religieuses et autres.

Premièrement.

Une fille de profession religieuse, demandait avis sur plusieurs articles qui expliquaient fort nettement ses dispositions. Voici en abrégé ce qui y était compris.

Avis I. Point. Elle décrivait ses dispositions naturelles. L’attrait principal de Dieu en son âme pour changer de vie et se porter à la dévotion. L’âge et la manière de sa conversion. Les tentations, peines, scrupules, et mauvaises inclinations qu’il lui étaient restées.

Av 2. Article. Elle déclarait les efforts et les moyens dont elle s’était servie, mais avec peu d’effet contre ses peines.

Av 3. Le détail de ses anxiétés.

Av 4. Sa pratique, et sa manière de faire ses exercices de dévotion.

Av 5. Des sujets ordinaires de sa méditation; sa manière, et l’état de son oraison.

Av 6. De son état présent un peu plus tranquille.

Av 7. De sa manière de présence de Dieu parmi ses actions, se plaignant d’y être peu établi, etc.

Av 8. De quelques principaux attraits et inclinations de la grâce en elle dans le cours de sa vie religieuse.

Av 9. Elle demandait la manière dont elle devait correspondre à l’attrait qu’elle avait de dépendance à la Providence, si elle devait recevoir à l’aveugle toute sorte d’obéissances, même plus spécieuses.

Av 10. Elle demandait si voyant quelques manquements dans son monastère, elle se devait ingérer à y chercher remède.

Réponses du Révérend Père.

Votre divin Jésus, notre bon Seigneur et Sauveur nous veuille unir par son immense et très pure charité, poursuivre en toute fidélité sa véritable lumière.

J’ai eu la communication de votre écrit, qui marque assez les conceptions de votre esprit, de votre trait, et de votre état : je vous en dirai en toute sincérité mes sentiments, que je soumets en toute humilité aux meilleurs avis que les bons serviteurs de Dieu, qui ont plus de grâces et de lumière comme moi, vous pourront donner.

Sur le premier point. Je vous dirai que cet attrait à connaître et faire la volonté de Dieu, a été en vous une faveur très particulière de la bonté divine, qui vous appelait à un état plus parfait que celui auquel vous êtes arrivée.

Cette vue opérant secrètement en votre âme, l’a empêchée de grandes chutes, mais comme vous n’avez pas coopéré fidèlement à l’attrait du bon Dieu, vos petites imperfections et légèretés vous en retardée dans l’avancement à votre perfection.

Cette crainte dont vous parlez a quelque fondement en votre nature, mais il semble qu’elle ait été fomentée par vos imperfections, et le manquement d’une fervente tendance à la perfection. Pour à quoi remédier, vous vous représenterez souvent que telle sorte de crainte provient principalement d’un secret amour-propre, qui tend à son intérêt, quoique spirituel; en cette vue, humiliez-vous de votre pauvreté. Je suis en outre d’avis, que vous ne négligiez et méprisiez telle crainte, vous exerçant de fois à autre en des considérations d’amour et de confiance en la bonté de votre Dieu. Quand vous irez à Dieu en toute fidélité, cette crainte se dissipera; et quand cela n’arriverait pas, il faudrait la supporter patiemment, puisque toute notre perfection consiste à être fidèles à Dieu, en l’accomplissement de ses saintes volontés, et de ses desseins en vous.

Cette inclination à la vanité et à la propre estime, ne vous doit pas tourmenter; supportez-là patiemment et faites des actes contraires, cela suffit. Il y a plus; souvenez-vous que la perfection consiste en la fidélité à Dieu, et que nos passions nous donnent de continuelles occasions d’en pratiquer de bons actes. Pour mortifier ce fond, faites de fois à autre le bon propos de pratiquer un certain nombre d’actes d’humilité, et de mépris de vous-même, selon les occasions que la Providence vous présentera. Faites aussi quelques lectures sur ces matières, assurément Dieu vous bénira, et votre travail.

2. Réponse. Ne vous étonnez pas si par vos efforts, et par les conseils externes, votre tempête ne se soit accoisée [calmée]; et si ces petits mots que vous alléguez vous ont seulement soulagés, c’est que Dieu vous a voulu faire entendre et par amour, que c’était lui-même qui vous voulait faire du bien. Mais hélas! Vous n’avez pas encore entendu cette opération? Vous l’entendrez si vous voulez être tout de bon fidèle à celui qui vous appelle (sans que vous le connaissiez) à l’amour et à l’oraison.

Cette petite lumière qui vous a paru de la bonté divine, et qui vous a donné un peu de confiance, croîtra en un grand Soleil, si vous voulez aller tout de bon au pur amour, et à la fidèle oraison. Prenez donc courage, car cette adorable bonté ne manquera pas à vous donner des secours immenses. Pour à quoi vous disposer, mon avis serait que vous lisiez et pratiquiez les traités de la bonne mortification, et de la bonne vertu; si vous le faites, vous goûterez combien Dieu notre créateur est suave.

3. Réponse. Tout ce que vous dites en la proposition troisième marque des combats d’amour-propre; en un mot votre âme qui est appelée à plus grande perfection se débat, d’autant qu’elle n’est pas dans le centre d’amour auquel Dieu l’appelle. Supportez patiemment cet état, évacuez le fond de votre âme de sa bourbe et de son impureté : et vous éprouverez le repos essentiel de l’âme avec son Dieu.

4. Réponse. Vous avez bien fait de tendre à la fidélité de vos exercices, car assurément c’est le très réel et le très véritable fonds de perfection. Vos distractions proviennent en partie de votre âme, qui n’est pas encore assez attachée à Dieu, et en partie du diable, et de la faiblesse de votre nature. Ne vous tourmentez pas sur ce sujet : un peu de patience; faites amoureusement et sans empressement votre ouvrage, et laissez faire à Dieu le sien. Le vôtre consiste à vous désaffectionner et désoccuper des créatures, à être fidèle en vos oraisons et pratiques de vertus; faites cela et vous verrez que la bonté divine vous donnera un recueillement qui vous portera à cette chère et intime union que vous souhaitez; si en cet exercice vous rencontrez quelques croix, supportez-les patiemment et Dieu vous bénira.

5. Réponse. J’approuve fort vos sujets de méditations et particulièrement celui de la passion. Mon avis est que pour rendre la susdite méditation plus forte, vous essayiez aussi d’acquérir une grande estime, et un grand amour de la Divinité, ce que vous ferez par la pratique de quelques méditations sur ce sujet. Je dis cela, d’autant qu’en la sainte Passion il importe que vous ayez toujours la vue que c’est un grand Dieu fait homme, qui souffre pour vous, et par amour.

Quant à ce que vous dites de vos affections, ensuite de vos considérations, il faut vous contenter à ce que vous pouvez faire; il vous suffit d’être durant ce temps fidèle à Dieu tant que vous pourrez.

Tendez suavement au plus grand recueillement en votre objet qu’il vous sera possible; vous y affectionnant de la même façon, le temps viendra que vous ferez une plus grande moisson.

Ces affections générales sont bonnes, et elles proviennent d’un bon fonds, savoir est d’une grâce qui vous appelle à un état de vertu et de perfection plus pure, en temps et lieu selon vos besoins spirituels; faites de petites résolutions de pratiquer tant d’actes, de telle et telle vertu. Je dis en temps et lieu, car il ne faut pas interrompre le recueillement de votre oraison mal à propos, pour vous divertir à vos besoins spirituels; c’est pourquoi vous pourrez souvent attendre à faire telle résolution à la fin de l’oraison, en faisant une réflexion générale sur icelle.

Ne vous étonnez pas de ce que vous dites à la fin du cinquième. L’âme n’est pas si forte hors l’oraison que dans l’oraison : cette force vient de l’actuelle présence de l’époux, qui se cache quand l’âme se disperse dans les créatures; vous avez besoin pour correspondre aux grâces que Dieu vous fait, de vous piquer d’un peu de ferveur, suavement néanmoins et discrètement.

6. Réponse. Cet accoisement de l’âme vient d’une secrète charité de Dieu, qui la dispose à une plus grande perfection.

7. Réponse. Ne vous tourmentez pas de cet état, mais travaillez à la bonne et pure vertu, et à la fidélité d’oraison, et votre présence de Dieu croîtra comme la lumière d’un beau jour. Cette crainte de faire mal, de la manière que vous en parlez, semble avoir quelque principe d’amour, et cela est fort bon; mortifiez ce que vous reconnaîtrez provenir de la nature.

8. Réponse. Tout ce que vous dites en ce point marque autant de voies de l’époux éternel qui vous appelle au pur amour, et à la fidèle oraison. Prenez donc courage, et soyez désormais une à un, et seule à Dieu tout bon : qui vous aimant, demande de vous un amour très pur; connaissance qui vous devrait faire mourir d’amour.

9. Réponse. La véritable perfection consiste à se donner en proie à la Providence divine, et à la sainte Obédience; ne demandez et ne refusez rien dans les emplois de votre monastère; tendez néanmoins discrètement à l’humiliation, et comportez-vous dans les emplois sans respect humain, toutefois avec grande charité.

10. Réponse. Vous pouvez discrètement rechercher le secours dont vous parlez, néanmoins gardez-vous bien de tomber dans un zèle indiscret; faites tout le bien que vous pourrez, et vous contentez de cela; donner bon exemple à vos serviteurs, essayez dans les occasions de les entretenir toujours de quelque chose de bon, comme de la vie des saints et des choses spirituelles que vous aurez lues.

Pour conclusion, je crois que vous êtes appelés à l’oraison, et que Dieu tout bon vous y fera grâce; allez donc à ce cher époux qui vous appelle, allez dépouillées de toutes les créatures et sans réserve; priez Dieu pour moi pauvre pécheur, qui vous ai donné ces avis en la charité de notre bon seigneur Jésus-Christ. Amen.

Autres réponses à une religieuse.

M.

Touchant les pensées que vous dites traverser votre paix intellectuelle, j’y remarque le combat du diable qui se joint à l’amour-propre pour traverser cette paix; d’autant que quand elle est bien établie l’âme entre facilement dans l’oraison, l’amour et l’union avec Dieu; prenez donc garde et résistez à cette tentation, et souvenez-vous qu’elle est ordinairement si subtile, si prétextée de belles raisons, que les plus spirituels succombent, se laissant emporter au découragement et à l’occupation secrète de l’intérêt spirituel. Prévenez cette chute, humiliez-vous, ou en vous divertissant de votre occupation défectueuse, appliquez-vous à quelques élévations vers Dieu.

Quant à l’attrait que vous avez à vous approcher des saints Sacrements de confession et communion, je n’ai rien à dire sur cet article; tendez à un pur usage des sacrements qui est assez rare, même dans les spirituels, car pour la pureté du sacrement de pénitence, il faut y porter un pur esprit de pénitence. 1. En considérant ce que vos péchés ont coûté à un Dieu homme. 2. Combien par la malice de tels péchés l’âme est opposée à Dieu. 3. Que le centre de l’enfer est le propre lieu de ses démérites. 4. Quelle obligation elle a à la grâce de Jésus, et autres considérations semblables. La contrition est aussi très parfaite, lorsque l’âme reconnaît en son intérieur avoir grandement offensé Dieu, d’où elle en a regret, sans toutefois sentir aucune douleur sensible; d’où je conseillerais que quand l’âme se trouve dans cette disposition, elle s’applique au pur pratique de l’esprit de pénitence, ainsi que je viens de déduire, avec une fidèle tendance à la mortification universelle de toutes les passions, qui sont les sources abominables de tous les péchés.

Quant au sacrement de l’autel, l’usage pur veut une pure tendance à une simple et sainte conversion vers Dieu et Jésus, et à la fidèle pratique de toutes les vertus : entrez dans l’une et dans l’autre discrètement et sans empressement.

Si vous me demandez ce que c’est que de tendre à la pureté de mortification et de vertu; je réponds, que tendre à la pureté de vertu, c’est y tendre sans réserve, cherchant toujours en chaque opération de vertu, ce qui est plus Dieu, et ce qui est moins nature, et faisant le tout pour le pur amour de Dieu, sans aucun retour sur soi.

Quand est de se confesser et communier plus fréquemment; suivez le train général de la Communauté, et le règlement de la Supérieure, et fuyez la singularité, c’est-à-dire, si l’on communie plusieurs fois, communiez plusieurs fois, et si peu, peu.

Touchant les pénitences extérieures, faites ce qui vous sera permis par la Supérieure; tout ce que je vous puis dire est, que l’austérité sert quand on la pratique discrètement et avec obéissance.



À une autre religieuse.

M.

Ne vous donnez pas la peine de m’écrire votre état passé; je crois vous connaître beaucoup mieux que vous ne vous connaissez vous-même : allez droits à Dieu et prenez courage. Quand vous serez un peu plus avancée, il faudra tendre à une paix intellectuelle, dans laquelle l’âme se repose en la vue de son Dieu, par une simple tendance à lui, le voyant en toutes choses, et les faisant suavement en lui et pour lui; sur quoi vous pouvez présentement pratiquer quelques actes, mais ne vous précipitez pas; soumettez toujours votre perfection et votre ferveur à la volonté divine, ne voulant que l’état qu’elle agréera en vous.

Donc pour ce qui est de votre paix intellectuelle, laquelle vous pensez s’opérer en vous, elle consiste en un certain état de l’âme dans lequel elle est tranquille dans son fonds avec son maître, quelque tempête qu’il y ait au-dehors, en la partie inférieure qui sert de croix à la supérieure, où Dieu réside dans la pureté de son esprit et dans la paix suprême.

Cette paix intellectuelle est grandement nécessaire à la pureté de perfection, et l’âme y doit tendre comme j’ai dit, par un dégagement général de tout ce qui n’est pas Dieu : par vouloir plaire à lui seul, par vouloir uniquement son intérêt, et jamais le sien. D’ordinaire cette vertu est donnée par infusion après un long travail de l’âme; la voix que vous tenez sur ce sujet est fort bonne, et la vue de ces mots; «Tout n’est rien. Tout n’est ni pur, ni parfait, sinon Dieu seul», est très excellent et surnaturel, c’est-à-dire par la grâce d’oraison, et le tiens que c’est Dieu qui se rend maître de l’âme, qui la lui donne avec goût, qu’elle seule savoure et peut dire.

À une religieuse.

Lettre sur ses dispositions, exercices, et pratiques.

Notre chère mère,

Votre religieuse m’ayant communiqué de bouche, et par écrit son intérieur, et m’ayant obligé de lui en dire mes sentiments, pour suivre le trait de Dieu en la voie de sa perfection, je n’ai dû, ni pû les lui refuser.

Voici donc que je les lui envoie par la présente, et soumettant à la meilleure et plus pure lumière qu’il plaira à la Sapience éternelle vous donner.

1. Comme ainsi soit qu’il importe extrêmement pour notre perfection de bien entendre l’œuvre de Dieu en nous, pour coopérer dignement et purement à ses divines grâces, je dirais que selon ce que vous m’avez dit et écrit; je remarque en vous comme trois espèces de vocation Divine, dont la première va à l’oraison. La deuxième à la pureté d’âme. La troisième à l’exercice des vertus.

2. J’ai remarqué que vos dispositions naturelles étaient très bonnes pour tendre à la sainte perfection, ce qui est un très grand avantage selon la doctrine des Pères spirituels.

3. Votre enfance a été fort indifférente, et le trait de la vocation divine y a peu paru; néanmoins j’ai reconnu que la divine Providence la conservait secrètement dans l’innocence naturelle; je dis secrètement, d’autant que son opération a été fort douce et cachée, et comme dans l’ordinaire je dis innocence naturelle d’autant que sans éclat de la grâce en la partie intellectuelle, la naturelle a été conservée dans ses bornes, sans aucunes saillies notables.

4. En votre première communion, où je remarque la fin de votre enfance, et comme le commencement de votre adolescence, la volonté la vocation divine et la Providence ont paru; la Providence dans les préservations que savez. La vocation dans l’attrait secret qui vous fut donné de vouloir Dieu, qui a été conservé par cette même Providence, qui vous a facilité l’entrée de Religion avec un amour inscrutable, dont vous lui êtes infiniment redevable.

5. Les premières années de votre vie religieuse se sont passées avec peu de ferveur, et vous le savez.

6. Enfin la grâce étant dans une bonne nature, vous a piquée par des vues imparfaites de perfection, et la bonté divine voulant accomplir en vous ses desseins, vous a suscité du secours conforme à votre état et à votre vocation.

7. Quant à la vocation d’oraison, vos dispositions naturelles qui sont très bonnes, les attraits qui se sont passés en votre intérieur, et les vues générales des bonnes vérités, qui ont attaché et occupé votre entendement, la marquent.

8. Vous n’avez pas été bien réglée et conduite pour les objets de votre oraison, et cela a beaucoup retardé votre avancement.

9. Je vous conseillerais présentement de diviser votre oraison en quatre différents objets généraux, savoir est. De la Divinité. De la sainte Humanité. Des vertus. Des vérités générales dont vous m’avez parlé et écrit.

10. Que vous de principaux objets soient de la divinité et de la sainte humanité.

11. Je crois qu’il est bon que présentement vous appliquiez à l’oraison et à la lecture de la divinité, car votre âme semble avoir besoin d’une lumière forte et vive pour faire un véritable progrès en ce saint exercice.

12. Après avoir été bien exercé dans l’objet de la Divinité, tendez à vous arrêter particulièrement en la Sainte Humanité, que vous ne séparerez jamais de la Divinité; ce genre d’oraison est le plus efficace pour la perfection.

13. Quant à la vocation à la pureté d’âme, qui consiste à ne vouloir aucune imperfection et à vouloir perfection et fidélité en tout, 1. elle paraît aussi dans cet attrait surnaturel qui suivit votre première communion. 2. Dans les désirs de perfections qui vous ont pénétré et qui ont été conformes au susdit attrait. 3. Par votre disposition naturelle qui est assez innocente, et fort propre à la pureté surnaturelle de l’âme.

14. Vous pourrez faire progrès en cette pureté d’âme. Par la fidélité de l’oraison. Par le généreux exercice des vertus. Par la fidélité en tout. Par l’exercice de la volonté divine, à laquelle vous avez attrait de soumission, et vous le savez. Et principalement par la pure désoccupation des créatures dont vous avez un petit écrit.

15. Pour ce qui est de votre vocation au saint exercice des vertus, il paraît. 1. Par les désirs du vrai bien, qui ne se peut acquérir que dans la pure vertu. 2. Par les vues des maximes générales, qui portent et piquent l’âme secrètement à l’usage ce saint exercice. 3. Par la disposition de votre partie intellectuelle qui est fort raisonnable, et par conséquent portée à ce qui est bien et vertu.

16. Pour faire bon usage de ce saint exercice, je vous conseillerais. De bien lire ce que disent les saints Pères spirituels sur les vertus. D’en faire de petite méditation. De vous proposer un certain nombre de fidélités à pratiquer sur chaque vertu, et particulièrement sur les principales.

18. [sic] les résolutions de votre dernière retraite sont fort bonnes, et pleines de bonnes intentions; il y paraît beaucoup de grâce, et peu de nature : sachez néanmoins que si vous êtes fidèle, la lumière surnaturelle les épurera encore bien d’une autre manière, mais contentez-vous de votre état présent.

19. La communication des serviteurs de Dieu, intelligents en la vie spirituelle et aux choses de Religion, vous servira beaucoup; pratiquez-la avec perfection, renoncez à tout ce qui n’est pas Dieu, et méprisez toutes les pensées contraires comme suggérées du diable, ennemi de votre perfection.

20. Je vous avertis plus clairement qu’en ce qui est des serviteurs de Dieu, vous pourrez être agitée de petites affections, ou de pensées de vanité dans vos discours : méprisez tout cela et passez outre, observant toujours néanmoins la discrétion.

21. Souvenez-vous que les voies des serviteurs de Dieu sont bien différentes, écoutez-les, et soyez libre en la vôtre sans la contraindre, car c’est un grand secret de perfection d’étudier l’œuvre de Dieu en nous, y coopérer sans violenter vos dispositions surnaturelles, et même les naturelles bonnes, et qui leur sont conformes.

22. Considérant votre douceur naturelle, l’assiette de votre esprit, les opérations de la grâce, et ce que l’on peut conjecturer être un dessein de Dieu en vous : je crois que la Providence divine demande de vous que vous travailliez fortement, suavement néanmoins, et discrètement, à promouvoir la perfection de votre Communauté.

23. Travaillez à la perfection de votre communauté différemment, selon les différents états de votre vie, savoir est de supériorité, ou d’infériorité, et selon les avis des bons serviteurs de Dieu, et à présent que vous êtes supérieure travaillez à ce saint ouvrage respectivement. 1. À Dieu. 2. À vous. 3. À vos sœurs. Je dis respectivement à Dieu, lui demandant continuellement cette pure perfection de votre Communauté, par vos oraisons, communions et austérités, et cela avec un zèle pur et discret de sa gloire, par lequel l’âme parvient au saint oubli de soi-même, et de ses propres besoins, ne pouvant prier que pour le pure œuvre de Dieu. Je dis respectivement à vous, travaillant fortement toute la première à toutes les bonnes vertus, et à toutes les fidélités et ponctualités de vos saintes Règles. Je dis respectivement à vos sœurs, ce que vous ferez par diverses manières. 1. Maintenir la paix commune, que vous devez préférer à toute chose. 2. Les incitant à la bonne vertu, et aux fidélités et ponctualité des Règles, les divertissants des voies apparentes, mais fausses de la perfection. 3. Leur suggérant de bons livres spirituels, et procurant que l’on fasse de bonnes lectures ès Communautés. 4. Vous faisant assister par les plus ferventes, discrètes, et propre pour travailler à cette perfection de la Communauté. 5. Prenant garde aux grilles et aux communications superflues. 6. Leur procurant quelques leçons spirituelles des bons serviteurs de Dieu, dont l’expérience ès choses de Dieu, et de la vie religieuse, vous soit connues, car autrement cela est peu utile ou même dangereux, au lieu que tels entretiens bien faits, sont un expédient très efficace pour le progrès de la perfection des Sommunautés. Je vous dis le même des retraites solitaires des 10 jours. Regardant vos sœurs d’un œil bien simple, et dans les plaies de Jésus-Christ.

24. Unissez-vous à cette personne dont nous avons parlé; demandez à Dieu l’accroissement de sa perfection avec instance; car encore que vous soyez un instrument faible, je crois que Dieu se veut servir de vous pour son bien et pour sa consolation; parlez-lui souvent de la perfection, témoignez — ui en avoir un grand désir, et un dégoût de tout ce qui n’est pas perfection; remarquez ce dernier mot.

Votre religieuse fera usage de cet écrit, selon le meilleur avis des serviteurs de Dieu qui sont auprès de vous, qui ont beaucoup plus de lumière que moi, et vous connaissent mieux que moi. Priez Dieu pour moi, car j’en ai besoin, etc.

Autre lettre.

M.

Pour réponse aux parties de votre état que j’ai considéré et présenté à Dieu, je vous dirai; que vous avez attrait à l’abandonnement de la Providence divine; continuez votre travail et tendez à être toute passive à ses divins effets, selon les occasions que Dieu vous présentera extérieurement en votre charge, et intérieurement en votre oraison, communiez même pour cet effet. Je vous conseillerais aussi et pour raison, que vous témoigniez à vos sœurs un grand désir de la perfection, cela servira; et c’est la vie des bons serviteurs de Dieu de faire gloire de tendre à la perfection, d’autant que l’on y anime les autres; faites de bonnes lectures et les rapportez à votre personne dans cette fin, servez-vous des plus discrètes de votre couvent pour faire le semblable, Dieu bénira votre dessein; sur quoi néanmoins il sera bon pour l’application, de prendre la vie de N. qui voit actuellement toutes choses; maîtrisez les pensées vaines qui vous viendront dans ce travail, votre action sera d’autant plus pure qu’elle sera crucifiée.

Je vous prie de dire à cette religieuse que je vis un peu avant que de partir, qu’à mon avis elle doit travailler fortement à la sainte oraison avec votre conduite : je crois certainement qu’elle y recevra grande bénédiction.

J’aurais aussi grand désir que celle que je vis auparavant, travaillant de la bonne sorte, car elle est obligée de tendre à une grande pureté d’amour, et cela n’est pas un œuvre facile ni d’un jour; priez toutes pour moi, qui suis infiniment plus pauvre que vous. Dieu tout bon, notre créateur, rédempteur et purificateur, nous unisse en sa charité éternelle, etc.

Autre lettre.

M.

Aimez votre croix, et la conduite de Dieu sur vous en votre maladie, assurément voilà la voie pour faire mourir votre propre volonté. Touchant votre proposition, disons donc que pour bien faire en nous et en l’autrui, il faut tendre à notre propre destruction et anéantissement, c’est-à-dire, du règne du péché, de la vie d’Adam, de notre propre intérêt, de notre propre volonté, et de toutes nos inclinations pour entrer en la vie, volonté, règne, pureté, disposition, et vertu de Jésus-Christ. Ajoutez que cette tendance discrète, forte et tranquille, est la mesure en quelque façon de notre perfection; et quant au prochain, elle sert merveilleusement pour opérer en lui le désir et la lumière de perfection. Mais il faut regarder cette belle vérité avec humilité et douceur, sans inquiétude, et seulement pour s’appliquer suavement à la pratique de pureté de vertu, en l’union de Jésus, par une pure confiance en sa bonté et en sa grâce.

Quant à l’écrit que j’ai reçu de cette bonne Religieuse, tous les articles me font conclure que Dieu tout bon l’appelle à la sainte Oraison, et que si elle correspond fidèlement à sa vocation, elle y fera un très bon progrès : mais pour bien faire, il faut fonder son travail d’oraison, sur la pureté de mortification et de vertu.

Sur son premier article, je remarque disposition à la bonne oraison, c’est pourquoi elle ne doit pas se forcer à faire des raisonnements et considérations. 2 Tant que les facultés intellectuelles s’occuperont sur les saintes vérités, elle y doit demeurer. 3. Elle peut bien préparer telle vérité, mais si la lumière de l’oraison la porte ailleurs, elle la doit suivre sans faire violence. 4. Quand telles lumières viennent à cesser, elle peut et doit recourir au raisonnement; néanmoins elle pourrait aussi faire quelques oraisons jaculatoires sur la vérité, dont la lumière qui est écoulée l’occupait, d’autant qu’il arrive souvent que telles affections ou élévations nous remettent dans la précédente et même lumière. 5. Il semble selon ce qui est en cet article, que la grâce ou lumière de l’oraison opère beaucoup plus en la volonté qu’en l’entendement, ce qui me paraît être une vocation au pur amour, à laquelle cette Religieuse doit correspondre par pureté de mortification et de vertu, dans une grande fidélité intérieure et extérieure. 6. Cette opération de la volonté dégagée des sens marque une bonne grâce.

Pour ce qui est de l’autre religieuse, j’avoue touchant ses occupations que l’obéissance sanctifie, mais il est grandement important que la Supérieure fasse tous ses efforts pour empêcher que les Religieuses ne soient excessivement occupées, d’autant que l’excès cause beaucoup de mauvais effets, et qu’il n’appartient qu’au parfait de subsister dans icelui, et de pratiquer le suprême degré de cette vertu, qui s’appelle sacrifice ou plutôt le dévorement de l’obéissance. Donc pour ce qui est de cette Religieuse il paraît par les articles premiers et seconds, que n’étant pas bien fondée, elle est incapable la présence de l’excessive occupation; et comme l’esprit d’oraison paraît, il faut que l’âme le cultive dans un loisir raisonnable, tel que très saintement la Supérieure lui donne à présent.

Pour ce qui est de la manière qu’elle doit tenir, pour s’appliquer à la mortification et à la vertu, elle a qu’à suivre la grande voie des bons livres spirituels. Sur quoi je dirais brièvement. Qu’il est bon de l’exercer suavement selon la portée de sa grâce à la désoccupation des créatures. Il la faut porter à la fidélité de toutes ses obligations. Il sera bon aussi de lui faire considérer la pureté des vertus dans les actions des saints. Et pour lui faciliter cet usage, il lui faut donner des vies des saints, et particulièrement de notre dernier temps.

Pour son attrait d’humiliation, il vient purement de Dieu, car comme cette nature est hautaine, il faut un coup de grâce pour faire mourir cette secrète superbe, qui ne mourra pas encore si tôt, mais qui s’affaiblira beaucoup par la fidélité et générosité de son travail. Donc j’approuve fort qu’elle s’applique à cette chère vertu : qu’elle en lise tout ce qu’elle en pourra lire; et enfin qu’en l’esprit et en l’union de Jésus-Christ, elle essaye en toutes occasions d’en pratiquer des actes.

Et pour le vœu d’abjection, il faut faire cela discrètement, comme serait en cette manière : «je fais vœu à Dieu de tendre ce mois à pratiquer des actes d’humilité en l’esprit, et en l’union de celle de Jésus, de la Sainte Vierge, de tous les saints et saintes, m’obligeant à faire la pénitence qui me sera ordonnée par la direction, après le rapport de mon état sur ce sujet.»

Remarquez ce mot, «de tendre», et celui «des actes»; par lesquels l’âme s’oblige doucement à quelques actes seulement.

Remarquez aussi ce mot, «de pénitence», sur lequel toute l’obligation du vœu tombe, pour ôter à l’âme tout scrupule.

Il ne faut pas permettre tels vœux que discrètement.

Voilà mes petits avis sur l’état de cette bonne Religieuse; qu’elles prennent courage, et Dieu la bénira abondamment.

Autres avis de conduite à diverses personnes.

Tant sur l’oraison et contemplation, que sur les pratiques des plus pures vertus chrétiennes, selon l’esprit et la grâce de la perfection évangélique.

1. Lettre. «J’ai lu et considéré la vôtre…»

M., Jésus Maria. J’ai lu et considéré la vôtre, dont je vous remercie très humblement, car l’honneur de votre souvenir m’est très cher. Quant aux choses de votre âme, dont il vous a plu m’écrire; voici mon petit sentiment que je soumets à votre meilleur jugement. 78 24.

1. Cette vocation à l’oraison vous oblige à une grande pureté d’âme et de vertu, car c’est la raison que le lieu où le Dieu tout saint veut reposer, et opérer, soit aussi bien pur, ou tendant à la pureté de perfection sans retenue.

2. Cette vue simple et générale de l’immensité Divine, avec la jouissance de votre volonté, est une parfaite contemplation, et qui selon que vous écrivez, paraît purement passive. Prenez garde si dans ce temps votre volonté est opérante, soit par admiration de l’entendement auquel elle se conjoint, soit par amour, par adoration, ou par quelque autre affection; il n’importe, pourvu qu’il se fasse quelque opération. Ce n’est pas que l’âme ne se trouve quelquefois en cet état, sans pouvoir discerner si elle a opéré, tant elle est passive, et Dieu opère puissamment en elle; il semble en ce que vous écrivez, que vos puissances soient en ce temps passivement en admiration, et en amour 79 dans les coopérations fort simples, et tout cela est fort bon.

3. Vous avez raison de dire que s’abîmer dans Dieu est autre chose que de s’unir à Dieu, et que vous le sentez ainsi. Sur quoi je vous dirai que selon que vous écrivez, il y a toujours union, mais à raison de l’abondance, votre âme semble passer en une déiformité; et vous connaîtrez mieux cela dans l’expérience que je ne vous le saurais expliquer avec la science des livres.

4. Dans l’occasion de vos faiblesses, vous vous défendez, vous abîmant dans l’immensité, sans pratiquer un acte formel de vertu, contraire à l’imperfection? À quoi je réponds, que cela se peut, et fort bien; néanmoins il est bon ensuite dans la force de l’âme, de pratiquer tels actes formels de vertu, semblables en quelque façon à celles que vous avez omises, à raison que la perfection consiste en la vertu, et que l’âme y fait progrès par ces pratiques, beaucoup plus que par la pratique 80 susdite.

5. Vous vous étonnez de vos faiblesses au milieu de tant de faveurs; demeurez pacifique dans cette vue, aimant bien fort l’abjection qui vous en provient; ensuite, humiliez-vous, puis prenez à tâche de pratiquer les vertus contraires à vos défauts, et laissez votre perfection entre les mains du bon Dieu, qui manifestement vous chérit et demeure en vous.

Courage Monsieur, votre voie est très bonne; souvenez-vous de moi pauvre pécheur, environné et chargé de beaucoup d’affaires, etc.

2. Autres avis au même. «J’ai lu et considéré vos articles…»

M. J’ai lu et considéré vos articles, assurément toutes ces lumières de la beauté d’abjection, tant en Jésus 81 qu’en l’âme du parfait, sont surnaturelles, c’est-à-dire passives, et de la grâce d’oraison. Je vous crois appelé d’une manière particulière, à honorer Jésus-Christ dans ses humiliations, dont la beauté qui vous pénètre, marque une consommation de l’amour de Jésus dans votre âme. Il est bon de cultiver cette vue de la beauté d’abjection, tantôt par la méditation, et tantôt par œuvres.

La vue par laquelle l’âme voit la voie d’abjection et de souffrance, incomparablement plus belle, que celle de douceur et d’amour, est purement surnaturelle, et marque que l’âme passe en un état bien plus parfait, que celui dans lequel elle était auparavant.

Il me semble que votre trait vous attire présentement beaucoup à la Passion, qui est la très inscrutable Abjection de Jésus. Je suis en lui, etc. 82

3. Autres propositions d’un certain spirituel, et les réponses du Père. «Je suis souvent dans l’état de douceur et d’amour…»

I. Proposition. Je suis souvent dans l’état de douceur et d’amour, et quelques-uns me disent que je ne dois pas faire d’austérités un peu grandes?

Réponse. Je vous dirai que cette consolation et douceur de votre voie qui reflue sur le cœur, détruit et consomme la force du corps; et par conséquent tant qu’elle durera, vous avez besoin de nourriture pour réparer la consommation des esprits. Il pourra arriver que cet état passera dans l’opération purement intellectuelle; l’on à raison de conseiller une grande discrétion en l’austérité, car j’ai remarqué que l’amour qui reflue au cœur vous consomme. 83 Que faut-il donc faire? Ayez des secrets d’austérité. 1. Nourrissez-vous, mais regardez ce que vous pourrez faire pour perdre le goût sensuel des viandes. 2. Dormez ce qui est nécessaire avec soumission et mortification. 3. Pratiquez quelques autres austérités du corps externe, comme le cilice et chemise rudes, etc. 4. Voyez à ne vous point échauffer le sang; appliquez-vous aux mortifications intellectuelles, c’est-à-dire de toutes les inclinations naturelles. 5. Cherchez par voie d’austérité à faire vos actions par principe surnaturel, et dans le retranchement de la nature : cette mortification est grande, et élève l’âme à une très haute pureté et contemplation.

II. Proposition. Je doute si je dois lire des sujets d’oraison, ou si je dois prendre ce que notre Seigneur me donne.

Réponse. Il est difficile de conseiller les âmes de votre état sur le sujet de l’oraison, 1. Je vous puis dire néanmoins en général que vous soyez 84 fort libre. 2. Que sans violenter cette liberté, il sera bon en la plupart de vos oraisons d’offrir un sujet à Dieu et ensuite de laisser aller au trait passif. 3. Il importe que vous sachiez qu’il y a des âmes qui parviennent à une telle passiveté, qu’elles ne peuvent souffrir aucun sujet, et qu’il y en a d’autres en qui la nature influe beaucoup à l’arrêt du sujet, auquel, encore qu’il soit passif, elles s’attachent. Vous pourrez donc suavement faire réflexion sur ceci.

III. Proposition. Les mouvements de colère ou promptitude auxquels je suis sujet me nuisent à l’oraison, mon âme s’en sentant obscurcie et affaiblie.

Réponse. Ces passions demeurent en vous pour votre humiliation, j’avoue qu’elles empêchent l’union (dont vous parlez) en sa pureté. Ce que vous avez à faire c’est, 1. De les supporter patiemment. 2. De vous obliger à un certain 85 nombre d’actes contraires, et puis les offrir à la Sainte Vierge, et la supplier d’en faire oblation à Jésus, pour le progrès de votre pureté intérieure.

IV. Proposition. Je crains aussi de m’occuper trop aux bonnes affaires du prochain25.

Réponse. Il est nécessaire d’observer le tempérament des affaires du prochain, car vous avez une double vocation au prochain, et à la contemplation. Il faut donc que vous vous donniez des règles pour opérer en cela purement, et non selon l’esprit de nature; mon avis est, que vous marquiez autant que faire se pourra les heures de toutes choses. 2. Que vous essayiez doucement, à faire suivre l’idée opérante de votre oraison, dans l’occupation du prochain : je dis doucement, car si telle occupation consommait vos forces, il s’en faudrait divertir par mortification. 3. Tendez à vous défaire prudemment des soins et des charges qui ne sont point affaires de Dieu, et de vous en reposer sur quelqu’un, 86, car vous êtes le premier pauvre auquel il faut faire l’aumône26.

V. Proposition.

De quelle sorte faut-il être fidèle aux vues qu’on reçoit en l’oraison; par exemple, j’ai une vue que Jésus est en la personne du pauvre, pour y être fidèle; j’entrerais dans des pensées de rendre des respects extraordinaires au pauvre, comme de lui baiser les pieds à tout moment, etc. j’ai une vue d’abjection; la fidélité semblerait me porter à des abjections grandes, comme de faire le fol, etc.

Réponse. Je vous dirai, 1. Que la discrétion est la mère des vertus. 2. Que la vue charme et pique par sa beauté la partie intellectuelle de l’âme. 3. En cette opération l’âme doit avec simplicité regarder la volonté divine, pour en faire usage en la susdite vertu de discrétion. 4. Il arrive quelquefois que la vue est si violente, que l’âme perd toute règle, et passe aux excès, ainsi qu’on fait aucuns saints à quoi il faut résister. Mais hélas! Quand le grand coup se donne, je ne saurais que vous dire, 87 sinon que les saints ont fait ce que nous lisons. 5. Pour ce qui est de vous résister pour le présent aux actes d’abjection dont vous m’écrivez, contentez-vous de les faire intérieurement : néanmoins pour ce qui est de baiser les pieds des pauvres, je m’y porterais, si votre confesseur ou directeur y consentait.

Je vous rends grâce de la copie de la lettre que vous savez, où je trouve beaucoup de l’Esprit de Dieu. Et puisque votre humilité me demande avis sur l’usage que N. en doit faire, je vous dirai que c’est une chose bonne et pratiquée de tout temps, de rechercher le secours des bonnes âmes : néanmoins pour faire cela purement, il le faut faire discrètement, et sans curiosité; car il ne faut pas faire un fond certain de la révélation27, et hors les choses qui sont de grande importance, lesquelles nous sommes engagés; je ne voudrais pas demander la révélation du dessein de Dieu en moi, 88, mais seulement le secours des prières de telles âmes, pour aller avec ferveur à la perfection, et si l’on m’écrivait ce que l’on a écrit à N. je leur recevrais humblement pour m’encourager, m’attachant toujours aux voies ordinaires sans faire un principal fond de telles choses.

4. Autres propositions et réponses. «Dites-nous un peu mon cher Père…»

I. Proposition. Dites-nous un peu mon cher Père, ce que c’est que de vivre sans appui d’aucune des créatures?

Réponse. Pour arriver à cette pureté dont la lumière vous travaille si profondément; je tiens que cela se fait par une mort intellectuelle à toutes créatures, que ceux-là seuls savent, qui jouissent de tel état; c’est une faveur très haute, et très rare à laquelle ils parviennent, et qui à mon avis tient beaucoup de l’infusion surnaturelle. Si vous me demandez, que faut-il faire 89 pour prétendre à cet état? Je vous dirai qu’il faut passer par trois principaux degrés ou exercices.

1. Par une horreur de vous-même, par la vive vue du double néant qui est en nous, d’être et d’iniquité.

2. Par une très pure désoccupation des créatures.

3. Par une simplicité de conversion à Dieu, ensuite duquel degré l’âme se trouve morte à soi et aux créatures, et vivante en Dieu de la vie de Jésus. C’est de cet état dont parle Saint-Paul quand il dit : vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

J’ajoute que l’oraison en la pureté de vertu, sert beaucoup pour parvenir à cet état; enfin il faut vouloir ce que Dieu veut et tendre à la perfection à la mode de Dieu et non à la nôtre; mais si tel était sa sainte volonté, je serais bien aise d’être avec vous dans quelque profonde solitude éloignée de toute créature, pour ne vaquer qu’à Dieu seul.

II. Proposition. Comment faut-il faire pour 90 se bien conserver en la présence de Dieu parmi les embarras des affaires;

Réponse. L’on peut cultiver doucement la présence de Dieu, 1. Par la pureté intérieure. 2. Par le dépouillement intellectuel de tout ce qui n’est point Dieu. 3. Par l’esprit d’oraison. 4. Par les élévations à Dieu, selon le trait de sa grâce, et de sa lumière surnaturelle.

Quant est de vous, tâchez de porter votre présence de Dieu en toutes œuvres et en toutes actions; car par cette voie, votre âme ne se tourmentera pas tant pour le divertissement qui lui viendra du dehors, je dis plus, que par cette pratique, elle se tiendra beaucoup plus purement unie à la volonté divine, et pourra enfin acquérir une vive vue de Dieu en toutes choses, de sorte que les différents états de sa présence lui seront indifférents. 91

5. Autre lettre d’un spirituel, et les réponses du Père. «Depuis que je vous ai obéi…»

Mon révérend Père, Depuis que je vous ai obéi touchant la sainte communion, je me suis trouvé dans des dispositions bien différentes du passé, car j’étais autrefois dans l’exercice de l’union et de l’amour, je recevais des caresses de Jésus présent en moi, et je prenais aussi la hardiesse de lui en donner28. À présent je ne vois que mon néant, mes péchés passés, mes infidélités présentes, et je demeure quasi toujours dans un profond anéantissement par la connaissance que j’ai pour lors de mon peu de disposition intérieure; ce qui me donnerait des pensées de ne communier pas si souvent, si ce n’était l’obéissance.

Réponse. Ce Sacrement contient l’Auteur des grâces, d’où il arrive que ceux qui le reçoivent, en remportent 92 aussi différentes grâces, selon leurs différentes dispositions, et par rapport au dessein de l’Auteur qui est présent.

C’est donc le dessein de Jésus, de communiquer à votre âme deux différentes grâces, l’une accroissant sa grâce habituelle, l’autre en la faisant participante de son anéantissement d’une manière admirable. C’est l’époux éternel qui se divertit avec l’âme son épouse, tantôt dans le pur amour, et tantôt dans les souffrances et anéantissements.

L’amour est très excellent, mais en vérité l’anéantissement dans une âme pure, porte avec soi une beauté très singulière, et très ravissante; et ce d’autant plus que l’âme est unie à Jésus anéanti en Croix, lequel anéantissement est renouvelé intérieurement dans le spirituel, par le pur usage du sacrifice et sacrement de l’Autel. 93

6. Autre lettre en forme de propositions, et les réponses. «… dans une grande obscurité intérieure…»

Mon révérend Père, Je me suis trouvé depuis quelques semaines dans une grande obscurité intérieure, dans la tristesse, divagation d’esprit, etc.

Ce qui me restait en cet état était la suprême indifférence en la pointe de mon esprit, qui consentait avec paix intellectuelle, à être le plus misérable de tous les hommes et à demeurer dans cet état de misère où j’étais, tant qu’il plaira à notre Seigneur.

Réponse. J’ai considéré votre disposition. Sur quoi, mon avis est que cet état de peine vous a été donné pour vous disposer à une plus grande pureté et sainteté intellectuelle par une profonde mort des sens est une véritable séparation des créatures. Je vous conseille durant cet 94 état de peines :

1. De vous appliquer davantage aux bonnes œuvres extérieures qu’à l’oraison,

2. Ayez soin du manger et dormir de votre corps,

3. Faites quelques pèlerinages particulièrement aux églises de la Sainte Vierge,

4. Ne violentez pas votre âme pour l’oraison : contentez-vous d’être devant Dieu sans rien faire.

5. Dites souvent de bouche : «je veux à jamais être indifférent à tout état, ô bon Jésus, ô mon Dieu, accomplissez votre sainte volonté en moi», et semblables. Il est bon aussi de prononcer des vérités de la Divinité, comme serait : «Dieu est éternel, Dieu est tout puissant,» Et de la sainte Humanité, comme serait : «Jésus a été flagellé, Jésus a été crucifié pour moi et par amour». Ce que vous ferez encore que vous n’ayez aucun goût en les prononçant, etc.

Et sur un autre point de votre lettre, je vous dis derechef, que vous pouvez, selon mon petit avis, conférer deux fois la semaine avec la personne que vous savez, ou du 95 moins vous le devez faire une fois; assurez-vous l’un et l’autre, et qu’en cela vous ferez chose de Dieu, et vous devez rejeter les pensées contraires, car j’ai reconnu manifestement que cela profite à vos âmes. Je réponds volontiers aux articles et propositions que vous me faites l’un et l’autre sur vos dispositions, et je vois de plus en plus que c’est la charité de Jésus-Christ qui a uni vos âmes29.

Vous dites que les conférences que vous avez ensemble vous rendent plus tendre aux moindres imperfections.

À quoi je réponds, que quand nous parlons de Dieu, Jésus qui est la Sapience et la lumière incréée, est parlant et opérant avec nous, et influe en nous les vues de pureté et sainteté, par rapport à la sienne. Voilà le principe originel de cette lumière.

II. Proposition. Mon âme envisageant un jour Jésus en Croix, pris un grand plaisir, et un goût extraordinaire à voir 96 le spectacle d’un Dieu crucifié, et l’horreur du calvaire lui paraissait d’une beauté admirable. Mon Dieu que de plaisir il y a d’envisager la beauté d’un Dieu mourant pour les hommes! Je ne puis dire en quoi consiste cette beauté si grande, sinon que c’est Dieu qui meurt pour les hommes; après cela il m’est très fâcheux d’envisager les plus beaux ouvrages de la nature et de l’art. Tout ce qui se lit n’est pas pour moi de bon goût, si Jésus crucifié n’y est dépeint.

Réponse. Sur cette vue de Jésus crucifié, je dis que c’est une faveur très grande et assez rare, et c’est proprement une vue de la beauté de la Justice, que Dieu homme faisait par sa mort en la Croix : cette beauté ayant pénétré l’âme, l’enflamme au même moment d’un très pur et très violent amour, qui la sépare des créatures, et lui en donne un dégoût inénarrable; d’où il arrive que cette séparation secrète étant faite, l’âme ne peut trouver dans les créatures rien qui la contente, si elle n’y voit Jésus crucifié, qui est 97 l’unique objet de son amour.

Remarquez que j’ai dit «séparation secrète», d’autant qu’elle se fait par le rayon de la susdite beauté, sans que l’âme l’entende; de sorte qu’elle demeure même tout étonnée de se voir si éloignée des créatures; et enfin elle découvre que c’est la beauté de cette justice qui la ravit, d’où il s’allume un feu inénarrable envers Jésus crucifié, le Dieu de sa rédemption.

III. Proposition. Je comprends les principaux attraits que Dieu a donnés à mon âme en ce peu de mots : «Connaître Dieu. Le glorifier. Faire sa volonté. Mourir à Adam. Vivre à Jésus-Christ. Vivre à Dieu, et en Dieu.» Voilà ce me semble les voies par lesquelles Dieu a voulu que je marche, et à quoi il veut que je sois fidèle.

Réponse. Sachez que le plus grand secret pour recevoir les lumières surnaturelles, et pour en faire fruit est, 1. De se vider du péché. 2. De l’affection, et de l’idée des créatures. 98. 3. D’être bien passif aux traits et émotions de la grâce. L’âme ayant passé ces degrés, elle entre heureusement dans la vie, dans l’union et dans les dispositions de Jésus. Sur quoi je vous dirai, 1. Qu’elle y entre selon le degré de sa sainteté, ou pureté. 2. Tout ce qui suit dans vos articles, sont les participations en Jésus du spirituel uni et vivant en lui, que l’on peut rapporter et considérer de la manière suivante :

Jésus n’estimait et n’aimait rien que Dieu pour Dieu, et en Dieu, et tout le reste lui était un pur néant. Ainsi le spirituel de cet état va à Dieu dans cette union.

Jésus après Dieu ne voyait rien de plus beau que sa Croix, d’où ensuite il n’estimait et n’aimait rien tant qu’elle, dans la très haute vue du décret du père éternel. Ainsi le spirituel de cet état ne voit rien de beau et n’aime rien tant comme la Croix, les souffrances, l’anéantissement30, etc. 99

Jésus en tous moments se sacrifiait à la pure gloire de Dieu, et ce sacrifice était celui de sa pure vie, en la vue de celui qui devait être consommé sur le Calvaire. Ainsi le spirituel de cet état se sacrifie virtuellement ou actuellement en tous les moments de sa vie à la gloire de son Dieu.

Jésus ne voulait vivre, agir, ou penser que pour Dieu. Ainsi fait le spirituel de cet état, autant qu’il est pur, et purement uni et vivant en Jésus. Voilà les effets que j’ai reconnus, et que vous avez décrits dans la déclaration que vous m’avez faite plus au long de vos dispositions passées et présentes. Continuez donc à la bonheur vos fidélités envers un si bon Dieu, etc. 100

7. Autre lettre de réponse du Père à un spirituel. «J’ai considéré votre dernière lettre, et je demeure dans mon sentiment…»

M. J’ai considéré votre dernière lettre, et je demeure dans mon sentiment l’ayant examiné devant mon Dieu, que dans la grande connaissance que j’ai de vos dispositions intérieures, je me sens obligé de vous dire que votre grâce marque une vocation à la vie contemplative et à la vie active. Je dis plus, non seulement elle marque une telle grande vocation; mais une très particulière, à la pureté de l’une et de l’autre vie. C’est pourquoi je vous conseille de donner la moitié du jour à la contemplation, et l’autre à l’action. Et afin de répondre à votre grâce, qui certainement vous appelle à la pureté de ces deux vies; communiez comme je vous ai déjà 101 dit journellement, pour entrer chaque jour en la vie pure de Jésus-Christ, qui sera lui-même contemplatif et actif en vous, dans la pureté de votre grâce : ne manquez pas à cela, car autrement, selon mon petit avis, vous feriez contre le dessein de Dieu. Je tiens que par cette voie vous passerez à une nouvelle lumière qui vous purifiera beaucoup, et vous disposera au dernier état que Dieu semble vous préparer : Bref je ne puis avoir égard aux difficultés que vous m’objectez pour ne pas communier chaque jour, je crois que Dieu ne demande de vous que la fidélité de votre partie supérieure; supportez patiemment les petits combats des passions dont vous m’écrivez, qui en vous humiliant servent à la pureté de votre justification.

Il est vrai, ô notre cher Frère, la pureté d’amour attire à soi; mais disons plus clairement, que la pureté d’amour de Jésus attirait, 102 s’unissait [sic : unissait?], et enflammait les pauvres cœurs des pèlerins d’Emmaüs. Ainsi sommes-nous enflammés selon notre disposition, par la communication non seulement de Jésus, mais aussi des saintes âmes, qui sont possédées du pur amour.

3.31 Quand est de prendre le droit chemin de cette pureté d’amour, j’avoue que la suprême nudité fait la grande affaire; mais ayez encore un peu de patience, l’esprit de Jésus-Christ et sa plénitude de lumière se fera paraître quand il lui plaira. Attendez donc en la vue de la Providence, une plus claire manifestation de sa volonté, pour vous dépouiller de vos biens, etc.

8. Autre lettre et réponse. «J’ai lu et considéré le rapport de votre oraison»

M. J’ai lu et considéré le rapport de votre oraison; sur quoi je vous 103 dirait que la lumière m’en a semblé très bonne, très pure, et très parfaite, qui marque par son abondance votre vocation à la vie contemplative.

1. Souvenez-vous que d’autant plus que la lumière monte haut dans la partie intellectuelle, et qu’elle est dégagée de l’imaginative et du sensible, d’autant plus est-elle pure, forte et efficace, tant en ce qui est du recueillement des puissances, qu’en ce qui est de la production de la pureté.

2. Quand vous sentirez disposition à telle lumière, rendez-vous entièrement passif.

3. Souvenez-vous qu’aucune fois cette vue est si forte, qu’au sortir de l’oraison, le spirituel croit n’avoir point affectionné son objet, ce qui n’est pas pourtant, car la volonté ne laisse pas d’avoir la tendance d’amour, mais elle est comme imperceptible, à cause que l’entendement est trop pénétré de la lumière. 104

4. Enfin, souvenez-vous que dans cet état, il suffit que la lumière soit bonne et opérante; et il n’importe que l’entendement et la volonté opèrent également, ou qu’une puissance absorbe l’autre; il faut servir Dieu à sa mode dans telle lumière qui ne dépende point de nous.

5. Vous avez raison de dire que souffrir Croix et mépris, et être rempli de Dieu dans la partie supérieure, est un très bon et un admirable état. Sur quoi vous remarquerez, (1). Que tel état est fort conforme à celui de Jésus en sa vie voyagère, d’autant qu’il était plein de Dieu, et souffrant tout ensemble. (2). Que cette plénitude de Dieu ne se doit pas prendre simplement, lorsqu’elle se manifeste en la contemplation par une abondante lumière; mais encore, en ce que hors le temps de telle jouissance, elle ne laisse pas de séparer l’âme des créatures, et de l’élever à son Divin objet par une vive, mais secrète tendance d’amour. 105

6. J’ajoute à ce que je ne vous ai dit plusieurs fois touchant la communion, que le motif de vous en retirer par vue de vous en retirer par vue de votre indignité est fort bon, et provient de la lumière de votre oraison : mais pourtant je crois que par soumission à la direction vous devez passer outre, les communiez comme je dis chaque jour. Vous satisferez à cette grâce quand approchant de la sainte Table, vous joindrez à la vue de votre indignité la sainte et pure confiance en Jésus, auquel vous vous devez unir par les droits qu’il vous en a donnés en la consommation de tous les saints Mystères de notre Rédemption. Croyez-moi que Jésus très pur et très saint vous attend à sa divine Table, et veut en se donnant à vous sacramentellement, détruire toute la vie d’Adam, et vous communiquez la plénitude de la sienne dans sa pureté, sainteté et force. Prenez donc courage, car je vois votre âme en disposition de se consommer heureusement dans cette 106 vie divine de Jésus. Assurément vous ferez dans cette pratique un progrès incroyable. O qu’il il y a bien de la différence entre une âme qui est possédée de cette vie de Jésus et de sont très pur Esprit, et de celle qui ne l’est pas.

Vous disiez dans votre écrit que désormais les peines vous serviraient à faire des sacrifices à la Divine Majesté cachée, et réellement présente au fond de votre cœur, etc.

Sur quoi je dis que ces lumières que Dieu vous continue sur les souffrances, privations, anéantissements, et mépris de vous-même, marquent que vous êtes appelés à une très pure perfection. Prenez donc courage, et priez ce bon Dieu qui vous fait tant de grâces, pour moi qui suis tout plein de misères, etc. 107

9. Autre lettre du révérend Père. «Notre cher frère et ami en J.C.»

Notre cher frère et ami en Jésus-Christ.

Je dirai que je trouve les rapports de vos oraisons très bonnes; mais à mon avis, votre lumière marque que vous êtes appelé à une vue de Dieu, qui vous arrête dans l’adoration et l’amour, et même qui vous attache et unisse dans la jouissance. C’est pourquoi je vous conseillerais de vous y porter, prenant pour sujet de vos oraisons, ou Dieu en soi, ou Dieu en ses perfections, pour l’aimer et adorer, ou passivement, ou activement : passivement quand votre oraison sera passive, ou activement quand il vous est nécessaire d’opérer vous-même. Il y a longtemps que je vois en vous disposition à une très haute contemplation : j’y trouve votre partie intellectuelle fort propre, et votre 108 grâce marque votre vocation.

2. Votre désir de solitude provient de votre disposition surnaturelle, et sainte vocation à la contemplation; et à mon avis, cela est entièrement vrai : car c’est l’ordinaire de l’époux de tirer l’âme son épouse du bruit des créatures, et de la conduire à une solitude très intérieure, et même extérieure, pour lui parler du pur amour.

La grâce ne vous attirant pas à une entière solitude extérieure, et vous en demandant une intérieure qui soit très pure, et même aidé de l’extérieure, selon le trait que vous en sentirez intérieurement; suivez-le, mais ne pensez point présentement à d’autre état, que celui dans lequel la divine Providence vous a mis.

3. Vous avez une grâce qui vous porte au mépris des choses temporelles, et ouvre le chemin à quelque chose de plus parfait; mais ayez encore un peu de patience, et gardez encore la seigneurie32, et l’usage 109 de votre temporel; le temps viendra que l’on vous dira ce qu’il faudra faire.

10. Autres propositions et réponses, touchant la pratique de quelques conseils évangéliques.

I. Proposition. Quelques personnes veulent m’inquiéter pour mon bien temporel, et cela me voudrait occuper l’esprit, si je ne me prenais garde, et me divertir de l’union assez continuelle que j’ai avec mon Dieu, et plus ce me semble qu’à l’ordinaire : mais aussi en continuant mon application à mon Divin objet, je souffrirai les pertes, 1. Le paiement d’une somme considérable. 2. Une notable perte sur la vente d’un bien dont je voudrais défaire. 3. Et ne trouvant point à qui le vendre, j’aurais la confusion qu’ayant du bien, on le verra déchoir comme par ma 110 faute. 4. Que si je m’occupe à cela, je serai dans une continuelle distraction, avec des procès, et des affaires nouvelles, etc.

Réponse. Ayant considéré ce que dessus, je vous dirai, <1.> Que celui-là est très heureux qui est très pauvre. Vous voyez en cette histoire, combien il est difficile de garder la paix parmi les mondains; à mon avis, vous devez tendre à rendre ce bien même avec perte, cherchant néanmoins occasion de faire affaire. Souvenez-vous qu’en faisons cette perte, vous vous ferez l’aumône, comme étant le premier pauvre que Jésus vous recommande. Je dis que vous devez tendre, car vous ne devez rien précipiter, et il faut éviter la perte notable, et les inconvénients tant que faire se pourra.

II. Proposition. Voici mes mouvements et résolutions présentes, 1. Souffrir les infidélités de ceux qui agissent contre moi sans me plaindre. 2. Payer plutôt que de m’embarrasser à des procès, etc.

Réponse. C’est l’esprit de Jésus-Christ 111 que vous souffriez et payiez, pourvu qu’en cela vous ne fassiez point de tort à ceux qui sont adjoints, qui se voudraient défendre, car autrement comme ils sont dans la justice, vous ne devez pas les abandonner.

III. Proposition. Pour l’exécution de tout cela, je me servirai de l’amour de l’abjection, de la pauvreté et du mépris, car il me semble que Dieu veut tout cela de moi, et que pourvu que j’aie de quoi vivre, je dois négliger tout le reste. Et puis dans l’état où il semble que Dieu me veut, dans le bonheur que j’ai de communier si souvent, et d’être attiré à la contemplation; je dois souffrir d’être réduit à peu de bien et peu d’honneur, quoiqu’il semble que l’un et l’autre servent de quelque chose pour le prochain. Dieu vaut bien les pauvres (dis-je souvent en moi-même) toute ma félicité est de vaquer à Lui. Donnez-moi s’il vous plaît réponse sur ces choses, de peur que mon âme dans le doute ne commette quelque infidélité, ou n’agisse pas conformément au dessein de Dieu sur moi, lequel je 112 désire suivre à quelque prix que ce soit.

Réponse. Je dis que le fidèle amant doit être pauvre à pauvre; méprisé à méprisé avec Jésus. 2. Celui qui communie tous les jours est souvent tourmenté de la douce odeur de Jésus, pauvre et souffrant. 3. Vous êtes pauvre d’esprit, et il ne faut rien faire sans direction en ce qui est de votre temporel. 4. Peut-être que Dieu vous fera un jour la grâce d’être très pauvre, ou du moins d’aspirer fortement et ardemment à cette très haute et très pure pauvreté. 5. Je vous estimerais très heureux si vous étiez réduit à une extrême pauvreté, et très profond mépris, même en votre ville. Jésus ne voit rien de plus beau après la Divinité que le mépris, et la pauvreté de la Croix. Je conçois le trait de votre grâce très haut, et capable d’un grand mépris, et d’une grande pauvreté; ne faites rien néanmoins sans conseil. Quant à moi je vous trouverais très propre à faire un parfait pauvre, et un 113 parfait méprisé. Le sieur Bardon33 quitta tous ses biens, et demeura au milieu de ses parents mendiant et méprisé, sans s’être réservé un double, d’où ensuite il entra dans une pure communication avec Jésus-Christ. Voilà mes petites réponses que je soumets aux meilleurs amis des serviteurs de Dieu. Ne précipitez rien; je crois que Dieu vous donnera lui-même lumière des voies, par lesquelles il vous veut conduire.

11. Autre réponse à un bon serviteur de Dieu. «Notre très cher frère en Jésus-Christ»

Notre très cher frère en Jésus-Christ,

Je prévois que vous pourrez être fortement tiré et occupé de l’esprit d’oraison, d’où je vous souhaiterais un lieu favorable, pour votre vacation et pour votre santé. Je crois néanmoins que vous avez fait en ce rencontre d’affaire dont vous m’avez écrit, ce que vous deviez pour rendre gloire à Dieu. 114 je vous conseille de continuer à condescendre à Monsieur N. quittant pour cet effet votre propre intérêt, et de contribuer autant que vous pourrez de votre temporel pour l’assister34. Je vois ce me semble au travers de cette affaire un secret de Providence qui m’est inexplicable. O notre cher frère! Vous devez regarder tout votre bien comme hors de vous, et comme déjà appartenant à la disposition du bon Dieu, qui fera paraître sa volonté dans le sujet qui se présente. Je souhaiterais donc par esprit de perfection, que comme vrai pauvre, vous suivissiez cette Divine Providence, acquiesçant à l’occasion qui se présente.

Quand est du total du bien je ne suis pas d’avis que présentement vous vous en dépouilliez, mais je souhaiterais que vous tinssiez toutes choses en état, à la réserve de ce que vous céderez à N. tant pour l’affaire dont il est question, que d’autres semblables. Je crois que quand 115 le bon Dieu voudra que vous en usiez autrement, il le vous fera connaître, et vous y suivrez la perfection; j’estime fort la suprême pauvreté de celui qui est vrai pauvre avec Jésus-Christ pauvre. Il faut donc pour bien faire que vous pratiquiez cette suprême pauvreté, non à votre mode, mais dans la conduite de Dieu; ce que vous ferez retenant présentement votre bien pour le distribuer aux pauvres; et faisant dans un autre temps ce qui vous sera conseillé pour accomplir la volonté de Dieu.

12. Autre lettre à un spirituel, fidèle et fervent. «J’ai considéré vos lettres…»

M. J’ai considéré vos lettres sur le sujet que vous savez. Toutes les affaires spirituelles doivent être pratiquées en esprit de patience et 116 de discrétion, selon les ouvertures faciles et raisonnables que la Providence nous présente, autrement elles ne rendraient point le fruit de bénédiction.

Quant à vous je vois clairement que votre âme avance beaucoup dans la lumière, et dans la pratique; prenez courage, allez votre train ordinaire, suivez la Divine Providence dans les ouvertures qu’elle vous donnera : jusqu’à présent elle vous a traité très amoureusement, et vous avez obligation de vous abandonner à sa divine conduite. Communiez tous les jours, pratiquez les bonnes vertus, donnez la moitié du jour à l’oraison et l’autre moitié aux œuvres de piété et charité; continuez vos conférences avec N. voilà assurément ce que vous devez faire présentement.

Quant à vos désirs d’austérité, je vous dirai que la discrétion est la mère des vertus. L’on a raison de vous retenir, car vous êtes faible de corps, et d’ailleurs j’ai remarqué 117 que l’oraison le doit aussi affaiblir.

Toute la perfection consiste à faire la volonté de Dieu, que nous accomplissons en nous soumettant à la direction. Je suis d’avis qu’en ce point nous nous conformions à l’esprit de Sainte Thérèse, qui conseillait les austérités discrètes, et réprouvait les excessives. Vous avez raison de dire que la pureté de vertu, de mortification, et d’oraison, ne se trouve jamais dans une âme corporelle et sensuelle. C’est pourquoi il est bon qu’avec l’avis de N. vous vous serviez de quelques instruments de pénitence, pourvu qu’ils ne soient point excessifs. Il est bon aussi que vous régliez avec cette même personne les mortifications des sens, et particulièrement sur le sujet de la sobriété; prenez le nécessaire avec humilité et obéissance, et vous verrez que Dieu tout bon sanctifiera votre travail.

J’avoue que le spirituel doit être passif à toutes peines et toutes souffrances pour ses péchés, envers le Père éternel en l’union de Jésus — 118 Christ qui lui a donné l’exemple; mais aussi faut-il nier qu’il se doive appliquer telles peines ou austérités par esprit propriétaire; car ainsi faisant il serait actif dans l’amour-propre, et non passif dans la volonté divine.

13. Autres propositions ou déclarations de l’intérieur d’une âme, et les réponses du révérend Père.

I. Proposition. Je n’aime point les répugnances ni les sentiments de la nature, ni les combats intérieurs; parce que ces choses occupent mon âme, et lui ôtent la vue et la jouissance de Dieu, la contraignant de venir apaiser le trouble de la partie inférieure, et durant qu’elle est ainsi aux mains avec ses passions, elle est désoccupée de Dieu. Voilà pourquoi je voudrais que ma nature fût entièrement morte. 119 L’on me dit que c’est là un état de souffrance, et que comme tel il est aimable : je l’avoue; mais mon intérieur va présentement droit à la vue de Dieu. Comment faut-il que je me comporte dans cet état de répugnance? Tâcherai-je de m’en défaire?

Réponse. Il y aurait bien des choses à dire sur cette question. Voici en abrégé mon sentiment.

1. Il est difficile au spirituel qui se sent attiré à la contemplation de se défaire de tout ce qui l’empêche de suivre son trait et sa grâce : s’il est néanmoins Religieux, ou employé en des affaires d’obligation pour la gloire de Dieu, il ne faudra rien faire sans l’avis du directeur.

2. Le spirituel libre se sentant tiré fortement, doit en bref tendre à se défaire de tout ce qui l’empêche, à la réserve de quelque emploi qui pourrait être beaucoup à la gloire de Dieu. Quand l’âme est dans la vue d’oraison, elle ne peut rien souffrir qui la divertisse; c’est pourquoi 120, si je me pouvais défaire de tout ce qui m’empêcherait la jouissance de mon trait surnaturel et de ma grâce, je le ferai. Et ce n’est point refuser la Croix que d’entrer dans telles pratiques; au contraire, c’est suivre la volonté divine, qui se manifeste par la vocation et par la disposition de l’âme.

II. Proposition.

[1.] J’ai eu des vues ou sentiments de mon extrême indignité, et combien je mérite d’être dans la privation de toutes les vues de Dieu et de ses perfections, et que pour peu qu’il m’en veuille donner, c’est infiniment au-dessus de ce que je suis digne.

2. De plus, j’ai été occupé en l’oraison de la vue que Dieu renfermé dans soi-même possède une joie infinie, qui le ravit en la vue de ses perfections, et qu’il est toujours jouissant d’une félicité infinie : ma volonté en cet état entra en la joie de son Seigneur, et était passivement joyeuse, goûtant avec plaisir en Dieu la félicité de Dieu, en sorte qu’elle ne pouvait comprendre comment elle pourrait être mécontente qu’il lui arrivât, 121 puisque le Seigneur était si content; et m’oubliant moi-même, je ne faisais point de réflexion sur ce qui m’arriverait si j’étais malheureux même dans l’Eternité, comme autant de temps dérobé à la complaisance que je dois avoir du bonheur de Dieu.

3. Un jour après la sainte communion considérant mon indignité, j’avais quelque affliction de voir Jésus si mal logé; je ne savais où le recevoir, puisque je me voyais tout plein d’imperfections. Dans cette peine il me vint en l’esprit que le soleil entrant dans un cachot puant, y était reçu plus dans sa propre gloire et ses propres lumières, que dans le cachot même. Ainsi avec amour et complaisance, je regardais Jésus dans sa propre gloire parmi mes misères.

Réponse. Le sentiment de votre indignité qui provient de la vue de Dieu est merveilleusement efficace, 1. D’autant que le spirituel se voit dans Dieu, qui est la vérité suressentielle. 2. Quand l’âme profite en la pureté de vertu, elle entre dans la contemplation par les vues secrètes 122 et hautes de Dieu. Je dis plus, que comme ce Divin Époux vit de sa divine Essence, et de ses divines beautés et perfections, ainsi cette âme en vit elle par pure contemplation et par pur amour : la lumière du 3. chiffre35 est excellente. O qu’il est bien vrai que Jésus nous communiant de la pureté de sa sainte Humanité et Divinité, règne dans ses gloires de miséricorde et d’amour.

III. Proposition. Il me semble que la raison pourquoi nous avançons si peu dans les voies de Dieu et de la sainte perfection; c’est que nous ne suivons pas avec courage et fidélité les mouvements de Dieu; nous nous laissons vaincre aux difficultés provenantes de la nature, du monde, des amis, en mille terreurs paniques que nos imaginations forgent. Il faut marcher avec vitesse et générosité; les lâches n’auront point de part à la perfection, etc.

Réponse. Le Spirituel est dans un continuel combat, la nature se veut tout approprier dans ses inclinations et parmi les créatures. La 123 grâce au contraire s’efforce de la dépouiller et de la transformer en Jésus, par sa vertu, et par son esprit, d’où il arrive que la pauvre âme se laissant tirer à la grâce devient spirituelle, pure et indépendante de la chair; ensuite de quoi elle est susceptible des véritables lumières et motions divines, desquels étant mue et illuminée, elle s’élève au-dessus de soi-même pour s’unir à son Divin original et éternel principe, dans lequel elle se perd et s’abîme ne vivant que pour son amour, tant parmi les jouissances que par les croix; soyez fidèle à cela, ô qu’il est important et admirable!

[IV.] Proposition. Je me sens toujours porté à une plus grande retraite et solitude, et à vivre plus frugalement et austèrement, car sans doute je dois dénier à ma nature toutes les sensualités du boire et du manger, prenant simplement ce qui est nécessaire pour vivre. Et il ne faut pas s’étonner si la nature se plaint un peu au commencement; elle ne peut mourir plus 124 glorieusement ni avec plus de complaisance pour Dieu que la pénitence. À quoi sert de conserver la vie si délicatement; aimons l’austérité modérée et approuvée par nos directeurs.

2. Une âme qui aime l’embarras et la trop grande action, ne goûtera jamais la douceur de la solitude, ni le doux départ des créatures.

3. Une âme de grandeur et de richesse n’aura jamais grande union avec Jésus abject et pauvre; et c’est pourtant cette abjection et pauvreté qu’il a chérie toute sa vie.

4. Une âme qui veulent aller bien avant dans la contemplation, doit aller bien avant dans les croix.

5. Les états par lesquelles Dieu fait passer l’âme, sont de jouissance, de croix et d’épreuve : il faut les aimer tous également, et demeurer paisiblement dans les privations.

6. C’est une chose pitoyable de ce que nous n’avons que des yeux de chair, ne comprenant pas le sens des affaires intérieures et éternelles.

7. Je veux plus aller aux festins, 125 je me retirerai peu à peu des compagnies et conversations, sinon précisément dans les temps qui sont pour l’action, c’est-à-dire pour négocier simplement les affaires de Dieu et non les nôtres, que nous commettrons à quelque autre.

Réponse. Toutes ces résolutions ne peuvent provenir que de la grâce, qui combat la nature et veut élever l’âme au-dessus de ce qui est corporel et sensuel; sur quoi vous remarquerez que cet esprit de pénitence introduit par la grâce, est merveilleusement efficace quand il est bien établi, d’autant qu’il ferme les avenues à toutes les charnalités et sensualités, et retire la partie intellectuelle tout à Dieu, dans lequel seul elle peut prendre son plaisir. Le mondain et sensuel n’entrera jamais dans ce bienheureux état, et ordinairement le spirituel n’y saurait parvenir, qu’après beaucoup de combats et de victoires.

[V.] Proposition. J’ai eu des lumières et sentiments que la Croix est la souveraine félicité et béatitude des chrétiens en la terre 126; de sorte que si l’âme se jette entre les mains du Père éternel, il la traitera comme il a traité son Fils unique, il prendra ses complaisances à la crucifier. Si elle se jette entre les bras du Fils, il la traitera comme son Père l’a traité, et la mettra en la Croix avec lui. Si elle s’adresse au Saint-Esprit, il lui donnera des mouvements de croix et de souffrance. Si à la Sainte Vierge, elle croira beaucoup favoriser cette âme de la conduire sur le Calvaire, et lui obtenir de son cher Fils part à ses douleurs et à ses mépris. Si elle prie les saints de lui obtenir quelque grâce; aussitôt, ils la chargeront de la Croix sur les épaules, afin que cette âme soit de la suite Jésus crucifié comme ils ont été, et qu’elle participe à la source de bonheur, gloire et grandeur. Enfin l’âme ne trouvera personne dans le ciel qui ne lui procure la Croix.

Réponse. Autant que le spirituel est mort aux créatures, autant entre-t-il dans l’union intime de son Dieu, et autant est-il capable d’être mû des Personnes Divines, qui opèrent 127 grâce, amour et perfection dans le fond de son âme, et dans les facultés intellectuelles, la Croix étant le vrai moyen d’arriver à cette pure et entière union.

14. Autre lettre adressant au Père, et ses réponses. «Depuis l’avis que vous m’avez donné, que c’est l’ordre de Dieu…»

[I. Proposition]

Mon révérend Père, Depuis l’avis que vous m’avez donné, que c’est l’ordre de Dieu présentement sur moi que je fasse ce que vous savez, je m’y attache et m’y emploie avec paix et tranquillité, nourrissant mon âme de la vue et de l’ordre de Dieu, qui me charme et me soutient. C’est dans cet ordre que je prends un paisible repos, continuant mes exercices ordinaires de communions, oraison, etc. Sans y vouloir manquer. Et quand il se présente quelque accident fâcheux je dis en moi 128 — même : voici le temps favorable de faire les actions d’un vrai chrétien; si nous sommes fidèles servons Dieu à sa mode et non à la nôtre, etc.

Réponse. L’indifférence pure à tout état est la sanctification du spirituel : soyez donc passif à cette nouvelle conduite de la Providence, vous ne sauriez faillir puisque c’est l’ordre qu’on vous donne. Cet état produit, et produira de petites amertumes pour votre purgation intérieure; prenez courage, soyez pur et saint dans cette voie, la grâce de Jésus-Christ ne vous manquera pas, et c’est elle qui produit en vous les lumières que marquent votre écrit. Cependant, espérez le temps de solitude et d’amour. Il viendra notre cher frère non à votre mode, mais à celle du bon Dieu.

II. Proposition. Comment ferais-je pour être toujours attentif à Dieu, et aux affaires? Etc.

Réponse. O cher frère! Vous ferez comme Jésus-Christ, qui souffrait tant de si douloureuses 129 privations pour vous et par amour : ainsi souffrez celles de votre état présent. 2. Tendez à l’union intime, cherchant en toutes vos actions ce qui sera de la plus grande gloire de Dieu. 3. Tendez à faire court (discrètement) dans les affaires, afin que dans de certaines heures vous entriez seul à seul, fidèle à fidèle dans votre solitude, avec ce très cher et très pur époux de votre âme, qui vous y attend.

III. Proposition. Ce qui me soutient beaucoup, c’est l’amour de la pauvreté et du mépris. Voilà pourquoi je m’attache fort à cause de mon état, à méditer les états humains de Jésus en ses mystères, etc.

Réponse. Tenez ferme sur ces fondements, sur lesquels Jésus-Christ a édifié, et édifiera jusqu’à la fin des siècles la perfection de ses chers amants. Quand la grâce opère telles lumières, il importe extrêmement de lui coopérer dans la fidélité des petites œuvres qui se présentent : Ces souhaits et amours, pour la pauvreté et de [sic] mépris, marquent 130 que votre grâce vient du cœur de Jésus-Christ, puisqu’elle opère en vous ces sentiments et dispositions.

Le spirituel n’ayant autre centre que Dieu aimable, et Jésus méprisé et souffrant, il n’aime que les dispositions d’icelui, et la consommation dans le sein éternel de celui-là.

Quant au désir de solitude, 1. Soyez très solitaire intérieurement, ne souffrant rien dans votre partie intellectuelle que l’union Divine.

2. Divisez votre temps, et tendez de ne vous donner aux affaires que par nécessité, prenant tout le temps qu’il vous sera possible pour la solitude de l’Oratoire. O cher frère! Peu de spirituels se défendent du superflu des affaires. O que le diable en trompe sous des prétextes spécieux, et même de vertu.

IV. Proposition. J’appréhende un peu quelques occupations et affaires qu’il faut que je fasse, comme des sujets de grande distraction; mais je me console de ce que 131 j’aurai à y souffrir, tant des infirmités du corps, que des mortifications de n’être pas habile et propre aux affaires.

Réponse. Le spirituel étant dans l’union divine, c’est-à-dire un à un, avec le Dieu de son amour, il gémit dans les affaires, après le centre de son amour, duquel il ne veut et ne peut se divertir que pour honorer l’amour souffrant parmi les croix et les mépris. J’ai considéré vos dispositions, qui marquent le progrès de votre chère âme; prenez courage, le bon Dieu bénit en vous sa sainte grâce.

15. Autres propositions et réponses sur l’oraison, etc.

[I.] M. Proposition. Comment doit-on conseiller les âmes sur la passiveté d’oraison; les y faut-il porter, et quand faut-il qu’elles y entrent, et qu’elles en sont les dangers? 132

Réponse. Ordinairement le spirituel ne doit pas prévenir la passiveté. Je dis ordinairement, d’autant que s’il travaille fortement, il pourrait demeurer quelque peu de temps sans agir, s’exposant à la grâce et à la lumière, et éprouver de fois à autre si telle pauvreté lui réussit.

Benoît de Canfeld en son Traité de la volonté Divine est de cet avis. Je crois néanmoins que celui qui s’en servira doit être discret et fidèle. 2. Le spirituel lâche qui s’expose indiscrètement à la lumière passive, se répand dans l’oisiveté, et dans la distraction, et quelquefois s’il est faible de cerveau, il s’expose à l’illusion.

II. Proposition. J’ai su de vous quelque chose touchant les communions fréquentes, ce qui me fait vous demander comment on s’y doit disposer en esprit d’oraison, lorsqu’on a des affaires.

Réponse. Le spirituel ayant des affaires, s’il en est désoccupé dans l’affection, et qu’il les conduise par principe de vue de Dieu, il se doit contenter 133 du peu de temps que la Divine Providence lui donne. 2. Plusieurs se flattent dans les affaires, et ne tendent pas assez fidèlement à ménager du temps pour l’intérieur. 3. La communion indévote contriste Jésus-Christ.

III. Proposition. Comment peut-on faire suivre l’idée opérante de son oraison dans l’occupation du prochain?

Réponse. Cela doit être différent selon les diverses dispositions naturelles, et surnaturelles des âmes, lesquelles doivent suivre pour présence de Dieu, ce qui paraît plus propre en leur état, sans s’attacher à l’objet de leur oraison. L’âme sera en un temps pénétrée d’une vérité ou objet, et en un autre temps d’une autre vérité et d’un autre objet, en cela il faut observer la liberté d’esprit. L’on peut donc garder l’idée opérante de l’oraison, dans quelques sentiments faciles, et dans les résolutions; si l’objet de l’oraison vous presse de sa lumière, suivez-le, et faites usage d’amour avec discrétion. 134

16. Autre lettre du Père, dirigeant quelque âme à une haute perfection.

M. Jésus soit notre lumière. Les grâces des âmes, et la vocation à la sainte perfection sont très différentes; il importe extrêmement au spirituel de bien examiner à quel état et à quel degré sa grâce paraît; le conduire autrement n’étant pas passif à la conduite Divine, il avance très peu, et demeure dans un centre qui n’est pas conforme au dessein de Dieu. Il faut que le feu se retire à sa sphère, l’air à la sienne, et la terre et l’eau à la leur. Et si le feu voulait se loger dans le centre de la terre, ce serait un désordre répugnant au dessein de la Divinité. Ainsi en va-t-il du spirituel, car s’il paraît par sa grâce être destiné à rendre et demeurer dans un centre élevé de perfection, il fait contre le 135 dessein de Dieu de s’arrêter dans celui qui est bas, terrestre et imparfait.

Je vous ai toujours dit que vous n’étiez pas dans le centre de votre grâce, et de votre perfection, et que votre vocation vous appelait à un état beaucoup plus pur et parfait. Votre grâce va principalement à la contemplation, à laquelle pour soulager votre corps, vous pourrez joindre un peu d’action.

2.36 La grâce vous appelle à la parfaite et pure conformité des différents états et dispositions de Jésus-Christ, et j’ai reconnu cela très clairement, tant par vos dispositions précédentes, que par celles que vous m’avez communiquées depuis peu encore.

Pour donc correspondre parfaitement à la conduite Divine, mon avis serait que vous entrassiez dans l’exécution des propositions que vous m’avez faites; mais il faut que cela se fasse d’une manière bien pure, et conforme aux dispositions de Jésus 136 Christ, et cela est très facile à faire; et je crois que vous n’aurez aucun repos que vous n’en usiez de la sorte, parce que vous ne seriez pas dans le centre de votre grâce.

Comme donc j’ai bien étudié votre grâce, et vos dispositions, je vous dis assurément que Dieu tout bon vous veut pauvre Evangélique, en la manière qui vous a déjà été prescrite; vous devez y tendre et travailler; et cependant souvenez-vous que le diable est bien rusé pour empêcher la pureté de perfection d’une âme.

Adieu cher Frère. Voici le temps d’aimer du pur amour, ne tardez plus. Ce pur Amour ne se peut trouver que dans le cœur évangélique très pauvre sans réserve.

Dieu. Jésus. Marie. Amour. Croix. Pureté. Amen37.








Divers traités spirituels et méditatifs



Par le R. P. Chrysostome de Saint Lo, Religieux Penitent du tiers Ordre de S. François38.

À Paris,

Chez Mathieu Colombel, ruë neufve S. Anne du Palais, à la Colombe Royale.

M.DC.LI.





Les rares exemplaires répertoriés des livres de Jean-Chrysostome fournissent deux ensembles39 : le premier est constituée des Divers traités spirituels et méditatifs40 où le «grand contemplatif consommé de l’amour de Dieu» figure en belle, mais sévère figure de pénitent. Il est qualifié dans l’Avis au lecteur par

une passion ardente pour la pauvreté, les pauvres et les affligés, qu’il consolait avec une grâce sans pareille, [...] une intégrité inviolable, [...] un solide jugement, [...] une pleine science, [...] un insigne don de conseil pour des personnes de toutes conditions.



À Madame de Puisieux.

Madame/Ne vous effrayez pas, s’il vous plaît, un défunt vous apparaît maintenant, qui n’est pas un objet de terreur, mais le sujet d’une indicible consolation : c’est l’ombre du révérend père Chrysostome, dont la vie ayant été vertueuse, sa mort ne peut être que précieuse devant Dieu et les hommes.

Nous commettons un crime louable et digne du Paradis, exhumant un défunt sans encourir l’indignation de l’Église. Nous ne voulons pas, Madame, troubler le repos de ses os, mais publier le mérite de ses vertus, que vous ne verrez pas décrite par une plume étrangère, ains [mais] par la sienne même dans ses petits traités, qui sont plutôt ses pratiques que ses pensées.

Ce sont des nobles posthumes qui naissent après sa mort pour ressusciter sa gloire dans le souvenir des vivants. Posthumes à qui vous ne sauriez dénier la qualité de vos Frères, puisqu’ils ont pour père l’esprit du révérend père Chrysostome, qui vous a si longtemps conduite dans le chemin de la piété, ce qui nous fait espérer que vous permettrez volontiers que sous l’autorité de votre nom et de vos Armes ils soient communiqués au public.

Vous portez dans vos armes trois couronnes, qui recevront de nouvelles lumières, si vous tirez des ténèbres et de la prison les pensées de ce grand serviteur de Dieu, où son humilité les avait plongées.

Nous nous imaginons avec raison, Madame, que ces trois couronnes représentent les trois États du Royaume, dont la gloire éclate puissamment dans votre maison, ou l’Église trouve des prélats, la noblesse des héros, la justice des Oracles, dans un degré de perfection qui n’est point ordinaire. Elle a fourni à l’Église cinq évêques, un cardinal, un Légat né, Prince du Saint Empire, le premier duc et pair de France, un archevêque de Reims sans pair, lequel occupe si honorablement le siège de tant de princes et de cardinaux, qui mérite d’avoir sur ses écussons les trois couronnes qui sont dedans, à qui la tiare siérait très bien. Il vit encore par la grâce du ciel, qui a redonné sa vie à la voix, et aux vœux des peuples, lesquels l’ont arraché des griffes de la mort, afin qu’il impose ses mains sur la tête d’un Dieu donné, pour le consacrer au service d’un Dieu donnant, et établir par l’onction d’une huile céleste le Père de ses sujets et l’Auteur de la paix.

La noblesse voit dans votre famille des cordons-bleus, des ambassadeurs, le bâton de maréchal de France, des foudres de guerre, ces vaillants Valençais qui n’ont point besoin de l’histoire pour immortaliser leur nom, puisqu’ils ont laissé à la postérité leurs exploits écrits de leur propre sang, et scellés de leur mort. Enfin la justice y rencontre ses ornements, des soleils dans les compagnies souveraines des conseillers d’État, capable d’être régents dans les Empires. Si l’on considère votre alliance, elle vous fait belle-fille de l’incomparable chancelier de Sillery, épouse d’un excellent secrétaire d’État, habiles et puissants génies au-delà du commun, qui jamais n’ont eu devant les yeux que le service de Dieu et l’avancement de cette monarchie.

Après avoir fourni vos couronnes, Madame, et tous vos plus glorieux titres au pied du révérend père Chrysostome, vous assujettissant humblement à sa conduite, et mendiant de sa bouche des avis pour votre salut, vous ne désagrerez pas pas de les mettre à la tête de ce livre, pour en faire le frontispice d’un bâtiment petit en apparence, mais grand en effet, puisqu’il contient dans son enceinte des fontaines d’eau vive, qui ne sont autres que les discours et les sentiments d’un juste mort dans la vie de la grâce et vivant de la vie de la gloire.

L’honneur que vous lui rendrez sera votre gloire, vos couronnes vous retomberont sur la tête. Or le plus signalé plaisir qu’il puisse recevoir de nous est l’imitation de ses vertus par lesquelles nous pouvons flairer les odeurs de sa bonne vie, et goûter les fruits de sa sainte mort. C’est à quoi nous sommes résolus, qu’outre la qualité de ses enfants et disciples, voulons encore avec votre permission porter celle, Madame, de vos très simples et très obéissants serviteurs de Jésus-Christ, les religieux pénitents de la province de saint Yves.

Advis nécessaire au Lecteur.

Cher Lecteur, il est bon que tu sois informé du mérite de l’auteur afin que tu estimes davantage les enfantements de son esprit; ceux qui ont connu le révérend père Chrysostome t’assureront qu’il a eu toutes les qualités capables de faire un homme illustre devant Dieu et les hommes.

Tu trouveras en lui naissance noble, naturel excellent, éducation avantageuse; il ne fut pas sitôt entré en religion que la force de son génie et l’éminence de sa vertu parurent : toute sa vie a été une sainteté animée.

On voyait en lui une modestie angélique, sa pureté allait jusqu’au prodige, sa sobriété était merveilleuse, son austérité rare, son humilité profonde, sa charité désintéressée, ses discours respiraient l’air du paradis, et inspirait aux écoutants l’esprit de Dieu qui parlait en lui; il montrait une passion ardente pour la pauvreté, les pauvres, et les affligés qu’il consolait, avec une grâce nonpareille; il avait une dévotion céleste, une tendre inclination pour les âmes qui se donnaient à Jésus-Christ, dans lesquelles il s’efforçait d’établir hautement le royaume de Dieu, une fidélité inébranlable au service de Dieu, et à tous les exercices de sa Communauté, même parmi les occupations de Provincial et des autres charges où il a consommé ses jours avec bénédiction, les ayant administrées dans une intégrité inviolable; il a passé entre les vertueux pour l’un des plus réguliers esprits de son siècle, imitable à peu de gens, aimable à tous.

Ces perfections ayant été accompagnées d’un solide jugement, d’une pleine science, d’intelligence extraordinaire dans les affaires les plus importantes, d’un insigne don de conseil pour des personnes de toutes conditions,

avoueras-tu pas cher lecteur que notre compagnie doit s’estimer heureuse de posséder un si magnifique trésor?

Le pélican cassé ses œufs, et il les lui faut dérober pour les faire éclore, le révérend père Chrysostome s’est toujours caché pendant sa vie, les yeux des créatures lui faisaient peine, il ne voulait agréer qu’à ceux de Dieu, tout ce qui sentait la pompe le blessait étrangement, s’il y a eu quelque ouvrage de sa plume communiqué au public tandis qu’il vivait, on en doit les remerciements à ses amis, dont la ferveur les ravissait à son humilité.

La Providence divine pourtant a voulu que lors qu’on le pense réduit en cendres, et sa mémoire éteinte, l’on rallume le flambeau de sa sainteté, dans l’estime des hommes par la publication de ses écrits, dont l’on produit maintenant quelques petits essais, en attendant les autres.

On débite seulement ici quelques traités méditatifs de ce dévot personnage. Premièrement. Sur l’emploi du temps, sur la mort, sur l’éternité. Deuxièmement. Sur le détachement des créatures et l’attachement au Créateur. Troisièmement. Sur le parfait amour de Dieu. Quatrièmement. Sur les hautes vertus de sainte Élisabeth, fille du roi de Hongrie : y joignant une méditation sur le mystère de l’Incarnation et la naissance de notre Seigneur.

Si les enfants du monde en trouvent le style simple, et les pensées basses, on ne s’en remet pas à leur jugement; mais à celui des sages, qui sont bien aises de cheminer dans la splendeur des rares lumières de ce grand homme, puiser dans la seule méditation, sans emprunter rien des livres, ni de l’École, bien qu’il y fut maître.

Cher lecteur, enfin le juste est mort, tu le peux louer, sans craindre que le changement de sa vie te démente, tu dois imiter ses vertus, qui ont passé par toutes les épreuves, et ne sont plus sujettes au déchet. Adieu.





Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité.

Le Traité premier, «Le Temps, la mort et l’éternité», comporte des «Pensées d’éternité d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu», qui nous touchent par leur rectitude et leur grandeur. Ce texte évoque les grandes peurs que l’on rattache en général au Moyen Âge, mais révèle en outre des aspects biographiques où Jean-Chrysostome résume très sobrement la durée d’une vie spirituelle sous la forme émouvante d’une liste qui décrit les expériences fondatrices de deux amis.

S’en dégage une vue ample d’«éternité», l’amour premier de Dieu pour sa créature et sa «miséricorde infinie». L’expérience d’amour qui marque l’entrée dans la vie mystique est tellement forte qu’elle entraîne une perte de conscience, puisque, conformément à ce que décrit Jean de la Croix : «Chez le basilic, c’est la force du poison qui tue. Lorsqu’il s’agit de Dieu, c’est l’immensité du bonheur et de la gloire qui donne la mort41.» De fortes expériences, qui peuvent faire tomber à terre, sont suivies d’années d’épreuves.

Une existence (de l’âge de 23 ans à la dernière maladie dans le second exemple) est alors résumée en quelques paragraphes, ce qui donne une impression saisissante de force associée à la brièveté de notre condition. La vie spirituelle est dynamique et couvre toute la durée d’une vie. Elle est découpée en quelques grandes périodes selon un schéma classique : état de délivrance et de liberté succédant à l’initiative divine brusque et inattendue, très longue purification, victoire définitive de l’amour.

§

Considérations sur le bon usage du temps.

I. Considération.

Le bon usage du temps est le bon emploi du temps, selon l’intention de Dieu, que le spirituel peut régler sur cette plus générale, «fais-je en ce moment l’action que Dieu veut de moi.»

II.

Dieu est auteur du temps, et nous l’a donné, pour l’honorer, l’aimer, et le servir, et ainsi faire et consommer avec sa grâce l’œuvre de notre salut et de notre prédestination éternelle.

III.

Dieu nous a ordonné de faire dans le temps ce qu’il fait dans son Éternité, savoir est, que comme il se contemple et s’aime en l’infinité de son essence et de ses divines grandeurs, ainsi nous le contemplions et l’aimions dans la même infinité : ce qui est en quelque manière entrer en la communion de la vie divine.

IV.

Par le péché d’Adam nous n’avons aucun temps pour vivre spirituellement et effectivement nous sommes morts à la grâce, en laquelle consiste la vie spirituelle, et qui nous fait participer à la vie divine, «au moment que vous mangerez du fruit défendu, vous mourrez de mort», dit Dieu à Adam, dans la Genèse.

V.

Selon la justice de Dieu après le péché d’Adam, nous ne devions point entrer dans ce temps : mais par miséricorde il l’a rendu à Jésus-Christ, qui nous le communique en la consommation de sa mort; de sorte que tout moment nous a été acquis par cette digne mort pour faire pénitence. Ce qui n’a pas été accordé à l’Ange pécheur, qui n’a eu aucun temps pour ressusciter de sa mort spirituelle par la pénitence, et entrer en la communion de la vie Divine par la grâce.

VI.

Jésus nous a mérité le temps, afin que par la grâce du Saint-Esprit nous en puissions faire bon usage, l’employant dans des œuvres surnaturelles et dignes de la vie éternelle. Car l’homme pécheur à la pente au mal, et sa capacité naturelle ne lui donne au plus que de faire quelques actions humaines; et partant la seule grâce du Saint-Esprit sanctifie notre temps et notre action.

VII.

Si le damné avait un seul moment de notre temps, il se pourrait sauver par un acte d’amour et de pénitence digne de la vie divine. Pensez donc sérieusement combien chaque moment de notre temps doit être cher, puisqu’il peut opérer en nous l’éternité de la vie divine.

VIII.

Pour faire bon usage du temps, vous pouvez entrer dans les dispositions de Jésus-Christ, et considérer que dès le moment de l’Incarnation, l’éternité de gloire lui appartenait, dont il s’est voulu priver en son saint corps, pour souffrir et s’assujettir au temps. Adorez cet assujettissement et abaissement divin, et unissez-vous à Jésus, pour chercher avec lui en chaque moment la pure gloire de Dieu. Demandez pour cet effet sa conduite, et la participation de son esprit, et rejetez autant qu’il vous sera possible les subtiles recherches de la nature.

Méditation de la mort

Divisée en 12 considérations. (page 7)

I.

Je commençais à méditer mon sujet préparé de la mort, et pour m’ajuster à mon imagination je me représentais toute la terre en son contour, d’environ dix mille lieues, rempli de vingt à trente mil millions d’hommes, de divers sexes, âges et mœurs; et tout d’une vue je regardais les milliers qui mouraient à tout moment de très différente mort, qui subitement, qui lentement, qui en voyage, qui au lit, qui dans les eaux, qui aux guerres; et sacs de ville; qui de cruelles maladies, de pestes, de dysenteries, de pourpre, de calcul, et de mil autres incommodités; qui en prison, qui en galères et captivité; qui dans leur pays en liberté et à leur aise; qui dans le négoce, qui dans les charges ecclésiastiques, ou séculières; qui éloigné du tracas du monde dans la solitude, et dans les monastères; qui finalement de mil et mil autres manières. Et il me semblait que je ne voyais que des mourants de toutes parts, et la superficie de la terre toute parsemée de cadavres. J’ajoutais dans mon regard intellectuel, que ces vingt ou trente mil millions d’hommes vivants à présent, dans la centième année au plus, seraient réduits au sépulcre et à l’oubli éternel.

II.

Après avoir bien considéré tous les mourants de la terre, faisant réflexion sur moi, je considérais que je passais les jours et les années, comme n’ayant jamais à mourir, dans la pente de mes inclinations sensuelles, l’infidélité de mes exercices et très peu de vertu, charriant la pourriture de mon corps, à la façon des brutes sans esprit et lumière.

III.

Ayant fait cette réflexion sur moi, et acquis une très vive notion de l’importance de bien méditer d’abord, je considérais la vie de tous ces mil millions d’hommes qui étaient sur la terre, autant et plus fragile que celle des plus petits, vils et méprisables animaux; leurs corps n’étant que pourriture et fonds inépuisables de toutes sortes de maladies. Il y a plus, outre ses causes internes qui nous donnent la mort, j’en contemplais des milliades d’externes, qui surprennent les hommes, comme des assassinats, des ruines de maisons, et autres semblables à l’infini.

IV.

Après avoir acquis lumière sur la très inexplicable fragilité des mortels, je contemplais avec un grand recueillement de mon esprit, l’incertitude de l’heure, et du genre de mort; admirant avec frayeur, comme tout homme est incertain, s’il mourra dans plusieurs jours, ou dans peu, dans cette heure, ou dans le moment qui suit la pensée; un certain s’il mourra d’une mort naturelle ou violente; subite ou longue; cruelle ou douce; assisté ou abandonné.

V.

Étant informé de cette incertitude de l’heure et genre de mort, après avoir réitéré un profond regard sur tous les mortels, qui vivant sur la terre mourraient si diversement, je me recueillais en moi, me contemplant proche de la mort, et m’agitant de très vives questions. Je me demandais : que ferais-tu si tu étais pris maintenant de peste, de pourpre, ou d’une cruelle maladie? S’il te fallait mourir subitement, et sous la ruine d’une muraille? Si étouffé d’une fluxion furieuse, martyrisé de très violentes convulsions? Es-tu disposé à mourir, et répondre de ta conscience pour toute éternité au très redoutable Juge des vivants et des morts? ô que je me trouvais empêché, et que cette incertitude de l’heure et genre de mort me paraissait effroyable.

VI.

M’étant fidèlement exercé en toute bonne connaissance de la crainte de la mort, en laquelle je devais vivre, je me considérais mourant sur un grabat dans les douleurs ordinaires des maladies, me représentant mon corps en pitoyable état, galeux, puant, pourri d’ulcère, rôti une très ardente et insupportable chaleur; finalement travaillé de très furieuses convulsions, couché dans un fumier et cloaque de ses propres ordures.

VII.

Comme j’avais bien pénétré cette immense misère de mon pauvre corps mourant, je considérais dans l’approche de la mort les très sensibles regrets de mon âme, pour avoir si mal vécu, servi et aimé Dieu le Créateur; puis je me représentais comme étant en l’état de mon agonie, cruci [fi] é des pressantes reproches de ma conscience, travaillé de l’horrible vision des diables, et tiraillé de leurs très violentes tentations, spécialement de blasphèmes et désespoir, je tremblais d’horreur, ne sachant si j’étais en grâce ou en péché; si mourant, pour toute éternité j’allais en Enfer, pour maudire, blasphémer et haïr Dieu mon Créateur éternellement avec tous les démons et réprouvés; ou en Paradis, pour le voir, bénir et aimer avec tous les bienheureux : ô que je me trouvais abîmé dans cette très effroyable vue!

VIII.

Ayant bien contemplé en moi cette incertitude de grâce, ou de péché dans l’agonie de la mort, je considérais avec une grande contention d’esprit ce terrible et formidable moment, auquel ma pauvre âme sortira de mon corps, et sera jugé du grand Dieu des Éternités pour toute éternité. J’ajoutais dans ma vue que les saints Anges, et les Diables assisteront à cette action de justice; de sorte qu’après la sentence donnée, si elle décédait en grâce, les saints Anges la conduiraient ou en purgatoire ou au ciel; si en péché, les Démons la raviraient aux Enfers.

IX.

Après la notion de cet épouvantable jugement particulier de Dieu mon Créateur, j’étendis mon pauvre corps sur la terre, et considérais qu’à peine l’âme s’en était séparée, que sa puanteur redoublait à l’excès, le pus coulait de tous côtés, et les vers fourmillaient des yeux, des narines, de la bouche, des oreilles, et de toutes les autres parties, se gorgeant de cette très infecte charogne.

X.

Ayant considéré à mon aise ce pauvre chétif cadavre, je contemplais comme l’on l’enveloppait de quelques haillons; puis je m’arrêtais à considérer, comme l’on le portait avec les cérémonies de l’Eglise dans une petite fosse, pour être consommé et dévoré par les vers. Et je disais à part moi, la Sentence d’éternité est déjà donnée, ce corps ressuscitera pour être bienheureux ou malheureux éternellement.

XI.

Après l’enterrement de mon corps, je méditais comme tous les hommes m’auraient bientôt oublié. Puis je regardais en quel état ce pauvre cadavre était au bout de quinze jours, deux mois, six mois, un an. Je le trouvais en ce fouillement de sa fosse, si horrible et infect, que le regard et l’odeur m’en étaient insupportables. Hélas! Que sera ce que mon corps pourri, tout fondu en glaires puantes et fourmillant de vers? Ô ce sera la charogne des charognes, et le plus horrible cloaque de tout l’univers!

XII.

Piqué d’une simple curiosité, par une vive appréhension et conception, j’allais visiter au bout de quelques années mon chétif cadavre dans son sépulcre, et ne trouvant pas encore sa chair pourrie tout à fait consommée, j’avais une très grande horreur de sa difformité, putréfaction et mauvaise odeur : finalement pour me rendre bien illuminé en la science de la Mort, avec une forte action de mon imaginative et interactive, j’ouvrais derechef après une vingtaine d’années sa fosse, et le trouvant en son squelette, avec ses os noirs, cariés et déboîtés de leurs jointures, couverts de lambeaux pourris de son drap mortuaire, je contemplais cet anéantissement de mon être, et je disais du fond du cœur adieu à toutes créatures, et à moi-même : ô pauvre cadavre! Tu ressusciteras pour être un jour bienheureux ou malheureux à toute éternité, comment peux-tu être superbe, ô terre et cendre?

Quoique la pensée de la mort soit battante d’abattre et terrasser notre vilain orgueil, je veux encore ajouter ici quelques vérités pour nous abaisser davantage, et faire concevoir devant Dieu notre abjection infinie.



Vérités pour concevoir devant Dieu notre abjection infinie.

I. (page 22)

Dans votre être vous êtes un très pur néant, dont vous êtes sorti par la toute-puissance et bonté infinie de Dieu, et retourneriez dans le néant à tous moments, si ce même Créateur ne vous préservait et conservait.

II.

Votre corps n’est que pourriture, puanteur, et un très infect cloaque; après la mort ce sera une charogne insupportable.

III.

Par le péché d’Adam votre pauvre âme est abominable devant Dieu, et pire qu’une charogne; toutes les facultés de votre être ont pente et inclination au mal, et toutes vos actions se ressentent de l’orgueil héréditaire, qui vous dévore et suscite en vous un esprit de superbe opposé à Dieu, comme un Lucifer.

IV.

Par le péché originel vous naissez comme un monstre et un Antéchrist, et par le péché mortel vous devenez comme un Enfer et repaire des diables, ou comme un démon incarné, qui tend par son infinie malice à la destruction de la sainteté divine, que Jésus nous a méritée.

V.

Vous péchés sont infiniment exécrables, puisqu’il a fallu qu’un homme Dieu ait donné sa vie très sainte pour faire justice d’iceux, et vous êtes le Judas qui l’a vendu, et le bourreau qui l’a crucifié.

VI.

Vous ne sauriez faire un petit bien surnaturel, si ce n’est par la grâce de Jésus très saint, tant vous êtes de vous-même pauvre et abominable; et si cette même grâce ne vous préservait, vous vous porteriez à toutes sortes d’accès et abominations. Voilà comme le spirituel doit s’anéantir et tendre à une profonde connaissance de son infinie abjection. Sainte Gertrude ayant ces vues disait à Dieu qu’elle ne pouvait comprendre comme la terre la supportait. Dieu ayant fait la même grâce à une grande Sainte, elle fut contrainte de le prier de suspendre sa lumière surnaturelle. Le père Avila dit le même d’un sien ami grand spirituel, qui ne pût supporter dans une lumière infuse la vue de son abomination.



Considérations de l’Éternité.

Chapitre I.

I. Considération. (page 27)

Considérez que l’éternité est un jamais c’est-à-dire une durée sans commencement et sans fin. Représentez-vous des milliades d’espaces remplis de petits grains de sable, et sachez qu’il est de la Foi, que quand bien de cent millions en cent milliades de siècles l’on n’en tirerait qu’un petit grain, néanmoins le moment viendrait que tous les susdits espaces demeureraient évacués, et que l’éternité, qui est sans commencement et sans fin, demeureraient aussi longues, et que telle durée ne la diminuerait en rien. Admirez cette durée infinie et interminable, louez, bénissez et aimez ce Dieu qui est l’éternité même : remerciez-le de ce qu’il vous donne la connaissance et l’amour de cette belle éternité.

ô que l’éternité est longue, et qui n’a ni commencement ni fin! Celui est bien terrestre qui ne s’entretient point dans la pensée des durées éternelles. Hélas! Quand sera-ce que toutes les créatures me disparaîtront en la vue de l’éternité.

II.

Considérez combien votre vie est courte en comparaison de l’éternité; à vrai dire ce n’est qu’un moment. Méprisez cette vie mortelle, puisque ce n’est qu’un passage et un songe. Détachez-vous de tout ce qui est créé, puisque tout est périssable.

O mon Dieu quand me serez-vous toute chose? Et quand sera-ce que la vie mortelle ne me fera rien? Celui est bien avare à qui l’éternité de tout bonheur ne suffit; ô que cette vie est courte et que l’éternité est longue.

III.

Considérez que le péché mortel mérite une peine infinie et éternelle, à raison d’un Dieu infini et éternel qui est offensé. Ayez horreur du péché, si contraire à la pureté et sainteté de votre Dieu. Admirez la sainte juste ordonnance de la justice divine.

O que Dieu est pur et saint! Et que le péché est détestable et horrible; ah! Que le pécheur est injuste d’offenser un Dieu éternel; et que ce grand Dieu éternel est juste de punir son péché éternellement. Ou pénitence du péché en cette vie, ou peines éternelles pour le pécheur en l’autre.

IV.

Considérez qu’une bonne œuvre faite en grâce mérite une éternelle béatitude, en vertu du Sang de notre seigneur Jésus-Christ, qui est d’une valeur infinie. Admirez l’amoureuse pensée de notre Dieu, qui donne une si grande et immense récompense à une petite œuvre fondée en la grâce qu’il nous a méritée par l’effusion de son sang précieux.

Une petite œuvre faite en grâce et pour Dieu sera récompensé d’une éternité, ô quelle bonté, ô quelle faveur de Dieu. Hélas! Faut-il vivre sans toujours bien faire, puisqu’en chaque moment de notre vie nous pouvons mériter un nouveau degré de gloire éternelle. O mon Dieu, ou la mort, ou bien faire en tout moment.

V.

Considérez qu’au dernier moment de votre vie, quand l’âme se séparera du corps, elle sera jugée du grand Dieu éternel pour toute éternité. Et pour bien pratiquer cette considération, représentez-vous auparavant la certitude de la mort, et la certitude de l’heure et de la manière, comme peut-être vous mourrez subitement sans secours des sacrements, ou dans les eaux, ou dans le feu, par l’assassinat, ou par quelque voie cruelle; peut-être dans votre lit, puant, infect et farci de vos ordures. Ajoutez que dans l’agonie vous serez horriblement combattu des diables, qui assisteront à votre jugement éternel et débattront le salut éternel de votre pauvre âme. Pratiquez des actes de componction sur les péchés de votre vie passée, faite de grandes, fortes et fermes résolutions de vous, disposez plusieurs fois le jour à votre jugement, qui se fera en votre mort.

Hélas! Au moment de ma mort le grand Dieu de justice me jugera pour toute éternité! Comment ma pauvre âme pécheresse osera-t-elle y comparaître? C’est un faire le faut, il faut mourir, et subir en la mort le jugement. Oui, en la mort tout périra, et en ce moment je serai jugé pour éternellement damnée ou sauvée.

VI.

Considérez que Dieu sait de toute éternité et de présent si vous serez éternellement damnée ou éternellement sauvée, en suite de la prévision de vos bonnes ou mauvaises œuvres finales. Adorez l’éternité de cette science de Dieu sur vous en ce qui est de vos états éternels, humiliez-vous sous la toute puissante main de Dieu, qui est honoré des simples; et enfin abandonnez-vous à la merci de sa Providence et de sa miséricorde.

O Dieu de mon éternité que vous êtes terrible en vos jugements et inscrutable en votre science éternelle; mon Dieu vous êtes tout bon et tout miséricordieux, et moi je suis un cloaque de tout péché. Je veux être à jamais abandonnée à tout ce que mon Dieu voudra faire de moi, soit dans la vie présente ou dans l’éternité.

VII.

Considérez l’état épouvantable du Jugement universel, comme tous les mortels ressuscités viendront et comparaîtront en la vallée de Josaphat, où le grand Dieu en sa sainte humanité glorieuse les jugera pour toute éternité; disant aux réprouvés, qui seront à sa gauche, «allez malheureux au feu éternel avec ma malédiction»; et aux prédestinés, qui seront à sa droite, «venez les bénits de mon père posséder le royaume qui vous est préparé dès l’éternité. Admirez et adorez l’inscrutable et épouvantable Justice de Dieu envers les pécheurs, et sa très amoureuse munificence et libéralité en la récompense des justes, humiliez-vous en vue de ces effroyables Sentences.

Que ce jour des sentences éternelles est effroyable. Il est de ma foi que je serai jugée pour être sauvée ou pour être damnée à toute éternité : hélas! Damnée éternellement, sauvée éternellement! Que ces deux mots sont terribles. Puis-je vivre, faut-il que je vive sans penser continuellement à ces importantes vérités qui me touchent de si près?

VIII.

Considérez l’éternité épouvantable des peines d’Enfer, ô quelle horreur. Si vous êtes damnée, vous serez à toute éternité renfermée dans les effroyables prisons de l’Enfer qui est au centre de la terre, où vous souffrirez éternellement en l’âme et au corps toutes sortes de peines imaginables, et vous serez cruci [fi] ée éternellement par les diables. Il y a plus, éternellement vous ne verrez point Dieu, et éternellement vous le maudirez et le haïrez, comme aussi les travaux et les douleurs de son Incarnation et de sa Passion. Humiliez-vous donc dans cette vue effroyable de la Justice divine; espérer en son Précieux sang; faites de fortes résolutions de prévenir ce malheur éternel, auquel il n’y a point de retour.

Oh mon Dieu! Éternellement d’année pour un seul péché mortel; que votre divine justice est effroyable. Il est de la Foi qu’à jamais les damnés souffriront l’Enfer. Oh mon Dieu, ou anéantissez-moi, ou que je ne sois pas du nombre de ceux qui ne vous verront jamais, et qui vous haïront et maudiront à jamais.

IX.

Considérez l’éternité du Paradis, ou les bienheureux verront à toute éternité l’essence divine, et ses trois divines personnes, et cela avec une jouissance et un amour immuable et éternel. Ajoutez la société de tous les bienheureux, et la gloire des corps qui seront doués pour toute éternité de clarté, impassibilité et agilité; pesez particulièrement qu’avec les délices éternels de la béatitude, vous jouirez à toute éternité de la vue et de l’amour de Dieu. Adorez la bonté divine, qui récompense si hautement les siens; faites de fortes résolutions de vous disposer de la bonne manière à ces vues et à ces amours éternels de la Divinité.

À éternité voir Dieu, à éternité aimer Dieu, ô quelle béatitude! À éternité être bien heureux en corps et en âme, ô quelle récompense! ô quel paradis d’être à éternité avec Jésus-Christ, la Sainte Vierge, tous les anges, tous les saints et saintes. Ah! Quand serai-je bienheureux à toute éternité, par le précieux sans de mon Sauveur Jésus-Christ.

X.

Considérez que ce grand Dieu infini, immense, incompréhensible et tout-puissant est de toute éternité et de soi. Et pour bien concevoir cette vérité, représentez-vous qu’il y a six mille ans que le monde n’était point et qu’il l’a fait. Ensuite allez chercher combien il y a que ce Dieu est et parcourait des durées immenses, ainsi que vous avez fait en la première considération, et vous trouverez que ce grand Dieu étant éternel et sans commencement, vous n’aurez en rien atteint son éternité, et que telles durées ne la diminueront en rien. Ajoutez que ce grand Dieu est non seulement éternel, mais encore qu’il est de soi-même. Adorez, bénissez et aimez profondément ce grand Dieu, qui existe de toute éternité et de soi; humiliez-vous, faisant comparaison de votre petit être au sien incompréhensible.



O grand Dieu! Qui êtes de toute éternité et par vous-même, je vous adore, je vous bénis, et je vous aime de tout mon pauvre cœur. Dieu être souverain, éternel et indépendant, que vous êtes adorable, admirable et aimable.

XI.

Considérez que ce grand Dieu est non seulement de toute éternité, mais encore qu’il sera à toute éternité. Représentez-vous cette vérité par des durées immenses, qui toutes ensemble ne la peuvent en rien augmenter ou diminuer. Adorez, bénissez et aimez ce grand Dieu en cette vue.

Le grand Dieu sera à toute éternité et à jamais. Quelle durée interminable! Dieu sera éternellement Dieu; Dieu que vous êtes adorable, aimable et admirable; et moi par une éternité participée je serai autant que Dieu sera Dieu. Quelle douce pensée à une âme qui travaille pour Dieu!

Considérez que ce grand Dieu vous connaît et vous aime de toute éternité, sans que vous y ayez jamais rien contribué du vôtre. Ajoutez qu’il sera à toute éternité, à laquelle il vous a associé, pour en icelle vous connaître et aimer éternellement, il faut donner pouvoir de le connaître et de l’aimer réciproquement à toute éternité. Adorez sa bonté, et reconnaissez ses faveurs amoureuses en votre endroit. Rendez-le réciproque de vos moments à ses amours éternels.

O Dieu d’amour! Qui m’avez associé à votre éternité pour vous connaître et aimer; pourquoi ne vous aimé-je toujours et en tous moments. Vous m’avez créé et conservé pour cette fin. Je veux donc vous connaître et vous aimer éternellement.

Pensées affectives sur l’éternité de Dieu.

Chapitre II. De l’antécédente.

I. (page 46).

Dieu était seul avant la création du monde. Adorez-le en cet état, seul à seul, et considérez qu’il vous aime autant vous seul, que toutes les créatures ensemble.

II.

Dieu avant cette création était seul éternel. Adorez le rend cette vue, et allant de durée en durée, réjouissez-vous de ce qu’il est éternel sans commencement, et de ce que votre esprit se perd en ces durées, sans y pouvoir atteindre.

III.

Dieu est non seulement éternel, mais de soi. Réjouissez-vous de ce que votre grand Dieu est de soi, et toutes les créatures de lui.

IV.

Dans l’éternité ce grand Dieu suffisait à soi en beauté, en bonté et en amour, et les contemplait en soi. Réjouissez-vous de ce que cet amant infini avait en soi un objet infiniment aimable.

V.

Ces trois divines personnes dans cette éternité se contemplaient et s’aimaient infiniment et réciproquement. Réjouissez-vous de l’amour infini de ces personnes aimantes et bien-aimées.

VI.

Dieu dans cette éternité a reconnu et aimé d’une particulière connaissance et d’un particulier amour tout ses Prédestinés (du nombre desquels vous espérez être.) Adorez Dieu dans cet amour à votre endroit.

VII.

Dieu de toute éternité voyait à l’infini des hommes qu’il pouvait créer, et qu’il ne créera pas; et dans ce même moment, il délibéra de vous donner l’être. Adorez-le en cette préférence d’amour parmi tant de créatures possibles, qu’il connaissait par une science de simple intelligence.

VIII.

Dieu dans cette éternité me prévoyait pécheur, tels que j’ai été et que je suis, et il ne laissait pas de m’aimer pour la gloire éternelle, et pour son amour éternel. Oque cet amour est ardent à qui le sait bien entendre.

IX.

Dieu me connaît et m’aime en ce moment présent; hé! Pourquoi ne l’aimerais-je pas.

X.

L’état de votre amour présent est bien petit et même inconnu. Humiliez-vous en cette vue, et pensez quel amour vous souhaiteriez avoir présentement pour correspondre à l’amour éternel de Dieu en votre endroit. Demandez-lui par les mérites infinis de son Fils bien-aimé.

De la suivante.

I.

Dieu sera à toute éternité; allez de durée en durée, et n’en trouvant point la fin, réjouissez-vous-en de tout votre cœur, et en amour.

II.

Dieu à toute éternité sera à soi un objet infiniment beau et aimable, et se connaîtra et aimera infiniment. Réjouissez-vous de ce que Dieu suffira à soi-même.

III.

Les contemplations et les amours des divines personnes seront réciproques les unes aux autres, et cela à toute éternité. Adorez-les dans ces opérations éternelles et tout aimables.

IV.

Dieu à toute éternité connaîtra et aimera ses Prédestinés (du nombre desquels vous espérez être) d’une particulière connaissance et d’un particulier amour. Adorez Dieu en cet amour.

V.

Dieu vous a associé à son éternité pour le connaître et l’aimer éternellement; ce que vous ferez parfaitement au ciel. Remerciez Dieu de cette immense faveur, et pensez en particulier à l’éternité de votre âme qui est immortelle, et porte l’Image de Dieu, et de votre corps par la résurrection. Adorez Dieu de ses hautes faveurs.

VI.

Pensant quel sera votre amour éternel, allez de durée en durée voir comme vous aimerez à toute éternité, et souhaitez d’avoir un grand amour dès à présent.

VII.

Le bon Jésus, à raison de sa divine hypostase, sera un Dieu infiniment aimant, et un objet aimable à toute éternité. Souhaitez de le voir et aimer avec tous les amours des bienheureux.

VIII.

Considérez que Dieu est Dieu d’amour, tout feu et charité, de toute éternité, et à toute éternité, et l’adorable objet de votre amour. Demandez-lui maintenant quelque étincelle de ce grand brasier éternel.

IX.

À toute éternité le bon Jésus sera aussi l’objet de votre amour, et vous puiserez les eaux avec joie des Fontaines du Sauveur. Demandez avec soif quelques gouttes de cette fontaine d’eau vive, et de ces Torrents de volupté.

Pensées affectives sur l’éternité.

Du paradis. Chapitre III. À toute éternité.

I. (page 55)

Étant en grâce vous serez jugée en bénédiction, tant en votre mort, qu’au jugement universel, pour être bienheureux. Aspirez après ces amoureuses Sentences de votre bénédiction éternelle.

II.

Le Ciel empiré sera le paradis et la demeure délicieuse des bienheureux. Ce ciel, premièrement, est mille et mille fois plus clair et rayonnant que le soleil. Secondement, outre qu’il est clair de soi, il sera encore rempli des clartés presque infinies qui proviendront des corps glorifiés. Troisièmement, cette demeure est comblée de plaisir, que tous les entendements humains ensemble ne sauraient comprendre en cette vie. Aspirez après ce séjour éternel.

III.

L’âme bien heureuse sera remplie de gloire en sa substance, et comme Déiformée et pleine de vie de Dieu.

IV.

Dieu communiquera à l’âme la participation de ses Attributs divins, autant que cela se peut faire à la créature, et cela selon la disposition de sa Lumière de gloire, et autres manières inconcevables.

V.

L’Image de Dieu, qui est dans l’âme, sera comme renouvelée par des communications et infusions de la bonté divine.

VI.

L’âme du bon Jésus entrera comme en possession de la bienheureuse, et cela comme par une communication intime de sa vie, de ses dons, de ses grâces, de ses lumières, de ses vertus, et de ses amours, plus ou moins, selon la diversité de la lumière béatifique.

VII.

L’entendement de l’âme bienheureuse verra l’Essence divine, et dans cet abîme infini de la Divinité, tous les adorables Attributs de Dieu.

VIII.

Cet entendement sera revêtu d’une lumière béatifique, qui le rendra capable de voir Dieu clairement, immuablement et sans jamais cesser.

IX.

Cet entendement verra Dieu par union immédiate de l’essence divine, sans autre image ou représentation impresse.

X.

Il verra les trois personnes divines, et leurs productions éternelles et immanentes.

XI.

Il connaîtra tous les secrets de la conduite de Dieu et de tous les divins mystères.

XII.

La mémoire sera pleine d’une présence de Dieu intime.

XIII.

Elle aura une représentation très vive de tous les bienheureux.

XIV.

Elle aura un souvenir immuable de tous les bienfaits de Dieu, tant en cette vie mortelle qu’en la béatitude de ses grâces, de ses dons et de tous ses divins mystères.

XV.

La volonté sera comblée et ardente d’un pur amour envers Dieu, et l’aimera comme son Tout, son Père, son Epoux, Bienfaiteur, Créateur, Glorificateur, Principe, et Fin.

XVI.

Cette volonté se répandra dans les infinies beautés des Attributs divins.

XVII.

Elle répandra ses amours vers chaque Personne divine, et leurs productions éternelles.

XVIII.

Elle aimera toutes les créatures en Dieu, et particulièrement tous les bienheureux.

XIX.

La très Sainte Trinité opérera en ses trois puissances de l’âme bienheureuse, mémoire, entendement et volonté, d’une façon toute particulière, et cela sera comme par une Déiformation de chacune.

XX.

Ces trois puissances recevront aussi de grandes communications des puissances Spirituelles de la belle Âme de Jésus glorieux.

XXI.

En l’union de l’amour de Dieu et de Jésus, les Bienheureux seront unis à aimer Dieu, et cet amour sera immuable et toujours nouveau.

XXII.

Les corps des Bienheureux seront réunis à leurs âmes par la résurrection générale, et seront rendus glorieux.

XXIII.

Ces purs corps en tous leurs membres seront clarifiés d’une clarté plus belle mille et millions de fois que celle du soleil.

XXIV.

Le corps Glorieux sera impassible sans pouvoir être offensé, et cela avec suavité et réjouissance très pure.

XXV.

Il sera tellement agile qu’il ira d’un lieu à un autre, aussitôt que l’âme le voudra, et cela avec une vitesse inexplicable.

XXVI.

Il sera subtil, pénétrant, et passera au travers des cieux, et de tous les autres corps, ainsi qu’il plaira à l’âme, et cela sans difficulté.

XXVII.

Il sera comme spirituel, sans être sujet au dormir, manger, boire, et autres misères, étant toujours content, sans aucune incommodité.

XXVIII.

Les yeux corporels du bienheureux verront le très pur corps de Jésus en sa gloire, comme l’auteur et l’objet de leur particulière glorification.

XXIX.

Ses yeux verront les corps de la Sainte Vierge, et de tous les Bienheureux, et cela avec des contentements inexplicables. Ajoutez qu’ils verront aussi toutes les autres beautés de l’Univers.

XXX.

Le bienheureux se recréera en la musique céleste, ès louanges de Dieu, et en tout ce qui se dira dans le paradis.

XXXI.

L’odorat du bienheureux se recréera en la très suave odeur, qui rejaillira de toutes choses; et particulièrement des corps glorieux, et surtout de celui du bon Jésus, qui sera incomparable à raison de l’union hydrostatique.

XXXII.

Le goût du bienheureux sera dans la jouissance de saveurs très délicieuses, et dans une satiété et satisfaction entière.

XXXIII.

Le sens du toucher, qui se répand par tout le corps, sera comblé et imbu de délices universels.

XXXIV.

Le cœur du bienheureux, qui est le siège des passions, sera rempli de toutes sortes de douceurs, et surtout d’une abyssale, tranquille et pacifique sérénité dont il exultera continuellement vers Dieu son créateur et Jésus-Christ son rédempteur.

XXXV.

Ce cœur bienheureux brûlera d’un amour comme spirituel, mais très haut, très pur, très ardent envers Dieu, Jésus-Christ, la Sainte Vierge, et tous les Bienheureux.

XXXVI.

Ce Cœur bienheureux sera comme vivifié des amoureuses influences du divin Cœur de Jésus.

XXXVII.

Le bienheureux pourra quand bon lui semblera, baiser et embrasser très purement et très étroitement les belles et reluisantes plaies des pieds, des mains et du cœur amoureux de Jésus.

XXXVIII.

L’imagination du bienheureux sera remplie et comblée de très douces représentations.

XXXIX.

Point de péché en paradis, et les bienheureux seront impeccables et confirmés en grâce, et cela avec une assurance et vue si délicieuse qu’elle ne se peut exprimer.

XL.

Les bienheureux en la vue de Dieu seul s’entreverront les uns les autres, se souhaiteront mutuellement leurs félicités, et se complairont en icelles, et cela d’une manière très amoureuse.

XLI.

Encore que tous les bienheureux Anges louent et adorent Dieu en toutes ses grandeurs, néanmoins ils sont destinés à des particulières vues et adoration de quelque grandeur de Dieu. Les Chérubins honoreront tous ensemble sa science par unité de vue, et chacun en particulier par autres différentes vues. Les Séraphins honoreront de la même sorte son amour divin. Et ainsi tous les Anges dans les autres ordres auront leurs générales et particulières adorations, et cela par des manières admirables.

XLII. Les bienheureux et les bienheureuses Saints et Saintes honoreront Dieu en général et en particulier, de la même sorte que les Anges; surtout ils adoreront tous la Divine miséricorde d’une manière très amoureuse, générale, et particulière.

XLIII.

Dieu sera Saint par soi, le bon Jésus par son hypostase et par sa grâce, les bienheureux par une grâce consommée et par une communication admirable de la sainteté de Dieu et de celle du bon Jésus seront sanctifiés.

XLIV.

Les bienheureux se réjouiront d’une joie ineffable dans la vue de leur durée béatifique sans fin, en la possession du grand Dieu et de tout bien. Il y a plus, en cette vue ils recevront à tous moments, comme des recrues de gloire, et des communications nouvelles de l’adorable Attribut de l’éternité; et ils lui en rendront de particulières adorations et respects.

Pensées terribles de l’éternité de l’Enfer.

Chapitre IV.

I. (page 72)

L’Enfer est un lieu au centre de la Terre, très horrible, très épouvantable, plein de peine et de ténèbres, et cela pour jamais.

II.

Au Jugement particulier, et à l’universel, le pécheur sera condamné pour jamais à l’Enfer, et cette condamnation sera une peine inénarrable.

III.



[...]µ



XXXII.

Point d’amour en Enfer, point de rémission; à jamais peine de Dieu, à jamais désespoir.

XXXIII.

Dieu et les bienheureux se réjouiront de la punition des damnés; ce que ceux-ci sauront, et ils en souffriront une rage inconcevable.



Pensée d’éternité d’un certain solitaire, et d’un autre serviteur de Dieu.

Chapitre V.

I. (page 81) Le premier [des deux amis], étant un jeune homme d’un naturel fort doux et d’un esprit fort pénétrant, fut favorisé de particulière grâce du Ciel, et se retira en solitude, après une forte pensée qu’il eut de l’éternité, en cette manière : c’est que huit jours durant, à même qu’il commençait la nuit à dormir dans son lit, il entendit une voix très éclatante qui prononçait ce mot d’éternité, et pénétrait non seulement le sens externe, mais encore le fond de l’âme, y faisant une admirable impression.

II. Là-dessus, s’étant retiré en solitude, il lui était souvent dit à l’oraison : «Je suis ton Dieu, je te veux aimer éternellement», ce qui lui faisait une grande impression de cet amour éternel.

III. Ensuite il lui semblait que toutes les créatures lui disaient sans cesse d’une commune voix : «éternité d’amour», et son âme en demeurait fort élevée.

IV. Il passa à un état de peine, et demeura quelques années dans une vue du centre de l’Enfer qui lui était réservé à éternité. Il pensait souvent à la Sentence éternelle de son jugement particulier; et il a demeuré beaucoup de jours en un certain état, comme s’il eût été prêt à juger, ce qui le faisait beaucoup souffrir.

V. Il vit un jour en Oraison, comme après la Sentence éternelle du Jugement universel, la terre s’entr’ouvrirait, et tous les damnés se jetteraient désespérés en Enfer, disant à toute éternité nous haïrons Dieu, cette vue l’épouvanta et l’affligea beaucoup.

VI. Dieu tout bon lui fit voir un jour ce qui se passait dans le jugement particulier d’une âme qui l’avait bien servi : «Je voyais, disait-il, une miséricorde infinie qui comblait cette âme d’un amour éternel.»

VII. Une autre fois faisant oraison, il entendit une voix qui dit : Je t’ai aimé de toute éternité42; ce qui lui imprima une certaine idée de cet amour divin, qui le séparait du souvenir des créatures. Et au même temps il fut tellement frappé d’amour qu’il en demeura comme hors de soi toute sa vie, laquelle il finit heureusement en des actes d’amour, pour les aller continuer à toute éternité. Et il disait à ce sujet, que sans la vue d’éternité les Bienheureux seraient sans assurance et sans contentement.

On passe maintenant sans transition autre qu’une barre horizontale et la renumérotation des paragraphes à l’autre ami de Dieu. Il s’agit probablement du sieur de la Forest :

I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection par les vues pensées de l’éternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici qu’environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret.

II. Le lendemain, ayant l’usage fort libre de ses puissances, environné néanmoins de sa vue d’éternité, il s’alla confesser à un saint religieux avec beaucoup de larmes et lui ayant révélé son secret, il en reçut beaucoup de consolation, car il était serviteur de Dieu et homme de grande oraison, qui avait eu révélation de ce qui s’était passé, et qui en se séparant lui dit : «Mon frère, aime Dieu un moment, et tu l’aimeras éternellement.» Ces mots portés et partis d’un esprit embrasé lui furent comme une flèche de feu, qui navra son pauvre cœur d’un certain amour divin, dont l’impression lui en demeura toute sa vie.

III. Ensuite il fut cruellement tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans, dans plusieurs visions. ; ayant été conduit en Enfer il y souffrit des peines inénarrables, avec la connaissance de ses plus proches qui y étaient damnés.

IV. Après cet état, il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême qu’il s’en évanouissait.

V. Ensuite de cet état, il demeura un an durant fort libre de toutes peines; et en son oraison et à son réveil il entendait plusieurs fois une certaine voix fort suave, qui lui disait, à toute éternité, et remplissait son âme d’une très grande consolation.

VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie, en comparaison de l’éternité. Ce qui lui donna un si extrême mépris des choses du monde, qu’il ne les savait souffrir, et ne pouvait comprendre comme les hommes créés pour l’éternité s’y pouvaient arrêter.

VII. Ensuite de ce que dessus, il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute éternité; ce qui l’affligeait, avec des larmes de tendresse et d’amour, d’autant qu’il l’aimait si peu et avait commencé si tard. Il eut conjointement des vues fort particulières de la sainte Passion.

VIII. Dans la dernière maladie, il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son éternité.



Traité second. La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul.

Le Traité second : «La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul», balaye le chemin sans compromis : il faut laisser de la place, et toute la place, au divin, qui peut alors animer la créature : «Dieu opère tellement en cette âme qu’il semble que ce soit plutôt lui qui produise cet amour. [...] L’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mue seulement.» C’est la passiveté mystique — au terme d’un long cheminement de «désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu». Jean-Chrysostome donne des indications concrètes et des exemples plutôt qu’une théorie :

I. (page 91)

Considérez que c’est une vertu par laquelle l’âme va oubliant les créatures pour ne se souvenir que de son très unique Créateur, en la vue duquel elle commence, continue, et perfectionne tout ce qu’elle fait. Souhaitez et demandez l’oubli des créatures.

«O Dieu d’amour! Quand me donnerez-vous l’oubli des créatures, et votre saint souvenir.»

II.

Considérez que l’âme est autant occupée du Créateur, qu’elle est désoccupée des créatures; et en vérité il est bien avare à qui Dieu ne suffit. Souhaitez et demandez de n’être occupé que de Dieu.

«Hélas! Quand mon âme ne sera-t-elle plus occupée que de Dieu seul.»

III.

Considérez que les hommes, et particulièrement les Prédestinés, étant créés pour ne s’occuper que de Dieu dans l’éternité, sont bien malheureux de se remplir des vanités et des inutilités des créatures en cette vie mortelle, consacrée à la pénitence. Regrettez les occupations inutiles de votre vie passée.

«O vie malheureuse! Qui ne s’est remplie que des créatures.»

IV.

Considérez que les diables font de grands efforts pour empêcher les hommes de s’adonner à cette sainte vertu, et que pour cet effet ils leur suscitent mille occupations inutiles, essayant de les entortiller de ces vains empressements. Affligez-vous de tant d’âmes que le diable séduit; regrettez d’avoir adhéré en ce sujet à ses tentations.

«Ou il me faut mourir, ou vivre désoccupé des créatures.»

V.

Considérez que peu d’âmes, même entre celles qui font profession de perfection, s’adonnent purement à cette sainte vertu, et très peu y font les véritables progrès, et parviennent à l’entière jouissance d’icelle, ce qui est très déplorable. Affligez-vous du peu d’âmes qui cherchent Dieu en pure vertu.

«Hélas! Le Dieu de pur amour est infiniment aimable, et peu l’aiment.»

VI.

Considérez que pour se désoccuper des affaires, travaux, charges et offices, il ne faut. Premièrement. Nous mêler que de ce qui nous est commis. Deuxièmement. Ne les faire qu’en la vue de la volonté de Dieu. Troisièmement. Il se faut garder de la nature et du diable, qui nous portent aux empressements. Quatrièmement. Régler les temps et les manières d’agir, à faute de quoi l’âme séduite du diable tombe en mille désordres. Confondez-vous de vos chutes sur ce sujet.

«Dieu, à jamais vous me serez tout en toutes choses.»

VII.

Considérez que pour ce désoccuper ès tribulations il nous faut, premièrement. Nous en remettre à Dieu, qui les voit et les permet pour notre mieux. Deuxièmement. Renoncer fortement à nous entretenir des pensées d’icelles. Troisièmement. Considérez que le bon Jésus, en souffrant pour nous, ne s’est jamais entretenu que de l’amour du Père éternel respectivement à notre rédemption. Quatrièmement. Généreusement en demander de plus grandes à Dieu pour son pur amour, et pour punition de nos péchés. Confondez-vous de n’avoir pas fait ces choses.

«Mon Dieu, en mes croix soyez l’occupation de mon amour.»

VIII.

Considérez que pour se désoccuper en nos infirmités et maladies, il faut, premièrement. Faire entièrement et sans réserve, ce que le directeur et médecin ordonneront. Deuxièmement. Les offrir à Dieu, qui les voit

et les permet, et lui en demander de plus grandes, si tel est son bon plaisir. Troisièmement. Il se faut faire un petit règlement de tout ce que l’on doit pratiquer en cet état, où la nature et le diable nous jettent tant de grandes lâchetés et infidélité envers Dieu, d’où il arrive que les maladies profitent à peu, et que plusieurs, après les trentaines et quarantaines d’années d’infirmité n’ont pas acquis un seul petit grain de perfection, ce qui est très pitoyable. Confondez-vous de tant de lâcheté, impatience, et indévotion ès infirmités de votre vie.

«Pourquoi en mes infirmités ne m’occuperais-je pas de Jésus crucifié pour moi et par amour.»

IX. (Page 98)

Considérez que pour se désoccuper ès choses bonnes, ès bons desseins et dans les bons désirs, il ne faut, premièrement. Jamais s’en entremettre et entretenir avec empressement. Deuxièmement. S’arrêter à y penser autant de temps qu’il conviendra. Troisièmement. Il faut se déterminer promptement à faire ce que vous aurez sagement arrêté. Quatrièmement. Ce prendre garde du diable, qui sous prétexte des choses bonnes vous remplit de pensées et de ressassements inutiles, pour vous divertir de la vue directe de Dieu, qui est un point fort considérable, ou beaucoup trébuchent. Ayez regret du temps que vous avez perdu en occupations vaines et inutiles.

«O que celui est heureux qui fait toute chose en la vue et en l’occupation de Dieu seul.»

X.

Considérez que pour se désoccuper en la conversation, il faut, premièrement. N’y chercher que Dieu. Deuxièmement. Supporter les importunités, impertinences, et sottes passions du prochain. Troisièmement. Essayez de divertir accortement les discours vains ou contraires à la charité. Quatrièmement. Parler de choses bonnes et du salut. Cinquièmement. La faire courte, et se souvenir que plusieurs conversations, sous prétexte même de spiritualité, ne sont que satisfactions folles et vaines, nigeoteries [sic] et temps perdu. Confondez-vous de l’inutilité de vos conversations.

«Oh mon Dieu! Que ma conversation soit dans le ciel à jamais.»

XI.

Considérez que pour profiter en cette vertu, il nous faut : 1. Pratiquer une fuite discrète des créatures. 2. Nous vider de toutes leurs images inutiles. 3. Nous attacher à l’unique beauté et bonté du Créateur. 4. Nous élever souvent à la vue de l’éternité interminable, à laquelle nous sommes destinés pour jamais. Aspirez fortement à l’état heureux de la pure désoccupation.

«Mon Dieu m’est toutes choses.»

XII.

Considérez les belles désoccupations des saintes âmes, qui ayant été fidèles en l’acquisition de cette sainte vertu, enfin parviennent à un état si pur, que toutes les choses, les affaires, et les entretiens de ce monde leur passent comme des songes; et elles vivent au milieu des bruits dans une continuelle oraison et vue de Dieu. O que cet état est beau et angélique, et ce que je dis est entièrement vrai. Renoncez aux vaines occupations des créatures, aspirez à l’unique occupation de Dieu seul.

«O que l’âme est heureuse qui n’est occupée que de Dieu seul.»

XIII.

Considérez les pures désoccupations de saint Jean-Baptiste, qui dès sa tendre enfance fut appelé au désert. De saint Paul l’Hermite en sa petite caverne, ou il vécut environ cent ans en l’éloignement de toutes les créatures, dans une continuelle contemplation de Dieu et des choses éternelles. De Sainte Madeleine, qui passa trente ans dans sa grotte, ne s’occupant que du pur amour de Dieu, et de ses beautés et bontés admirables, en la conversation familière des Saints Anges, qui l’élevaient sept fois le jour au ciel. De Sainte Marie Egyptienne, qui demeura dans la solitude quarante ans, en une continuelle contemplation des choses de Dieu, et sans aucune conversation ou secours des créatures. Ajoutez une infinité d’autres qui ont vécu de la sorte, et comme des Anges solitaires. Confondez-vous de l’état de votre vie, en comparaison de celui de ces grandes âmes.

«Oh mon Dieu! Quand mon âme sera-t-elle solitaire en vous, et pour vous, et par amour.»

XIV.

Considérez comme la belle âme du bon Jésus, dès le moment de l’Incarnation jusqu’au dernier de sa vie, ne s’occupa jamais que de Dieu et de ses très adorables volontés, en l’union hypostatique et vision béatifique respectivement à la consommation amoureuse de notre rédemption. Adorez et admirez cette très haute désoccupation de Jésus, tout bon, vrai Dieu et vrai Homme.

«O bon Jésus! Quand serais-je uni avec vous dans l’immuable occupation d’un seul Dieu.»

XV.

Considérez qu’encore que le bon Jésus fut intuitivement occupé de Dieu, et désoccupé des créatures, néanmoins pour exciter les mortels à l’acquisition de cette sainte vertu, il en voulut donner de grands exemples. Premièrement. En naissant pauvre et éloigné des créatures dans une grotte solitaire. Deuxièmement. En sa fuite d’Égypte, où dès le berceau il vécut comme un petit, mais très divin anachorète. Troisièmement. En la vie cachée qu’il a menée depuis douze jusqu’à trente ans, qui n’était autre chose qu’une continuelle et très pure désoccupation. Quatrièmement. En la particulière retraite qu’il fit au désert avant que de paraître en public. Cinquièmement. En ce que lui qui était très pur, très saint, et vrai Dieu, ne laissait pas néanmoins pendant le temps de cette prédication, de se retirer souvent en particulier, et de pratiquer de petites solitudes, et cela pour nous porter par son exemple à la désoccupation des créatures, en l’occupation de Dieu seul. Aspirez à la bénite imitation de ces saints exemples.

«Pourquoi ne travaillerai-je pas à la pure désoccupation de toutes les créatures, à l’imitation de Jésus mon sauveur.»

XVI.

Considérez qu’elle a été la désoccupation de la Sainte Vierge. Premièrement. En ses solitudes avec le bon Jésus, Saint Joseph, et Saint Jean. Deuxièmement. En ne voyant jamais que Dieu en tout ce qu’elle pensait et faisait. Troisièmement. En ce qu’elle était souvent favorisée de la vision béatifique. Réjouissez-vous de cette belle désoccupation, de laquelle la Sainte Vierge a été favorisée.

«O Sainte Vierge! Que vous étiez heureuse de n’être occupée que de Dieu seul.»

XVII.

Considérez que par la création vous êtes obligé de tendre à la sainte désoccupation. Car Dieu tout bon a imprimé votre âme de sa belle Image, pour vous divertir de la laideur des créatures, et vous attacher à sa pure beauté. Confondez-vous de porter l’Image de Dieu et d’en être si peu occupé.

«Hélas! Puisque je suis l’Image de mon Dieu, pourquoi ne m’occuperai-je pas de ses beautés et de ses bontés infinies.»

XVIII.

Considérez que les âmes lâches et tépides ne prennent plaisir qu’à s’entretenir de leurs passions, de haine, de vengeance, de murmure, de curiosité, d’affection, et d’autres semblables. Au contraire les bonnes âmes s’en désoccupent, et ne se veulent remplir que de Dieu et de ses saintes volontés. Convertissez au malheur de celles-là, et bénissez le bonheur de celles-ci.

«O que l’âme est malheureuse, qui se vide de Dieu, et se remplit des créatures.»

XIX.

Considérez que la vocation de Religion vous oblige beaucoup à l’acquisition de cette sainte vertu; et à vrai dire, pourquoi se séquestrer du monde, si ce n’est pour se désoccuper de toutes choses mondaines, et ne s’occuper que de Dieu. Confondez-vous d’être en état de désoccupation et d’y avoir si peu travaillé.

«O que celui est heureux qui se vide des créatures et se remplit de Dieu.»

XX.

Considérez qu’au jour de votre mort, et particulièrement si vous êtes Religieux, l’on vous demandera un compte très étroit de la désoccupation des créatures, et de l’occupation en Dieu. Hélas! Les pensées et les paroles oiseuses seront jugées; et cependant tous les moments de votre chétive vie sont remplis de légèretés, folies, vanités, inutilités et satisfactions propriétaires. Redoutez avec humilité cet effroyable jugement de votre mort.

«O malheureuse inutilité de ma vie qui sera jugée pour toute éternité au jour de ma mort.»

XXI.

Considérez qu’à vrai dire les bienheureux semblent posséder seuls cette belle vertu de désoccupation, puisqu’à jamais ils verront les beautés infinies de Dieu, et jouiront de ses pures amours sans en pouvoir divertir un seul moment. O heureuse désoccupation, où Dieu seul en ses amours nous occupera à jamais. Souhaitez avec humble conscience cette éternelle et immuable désoccupation.

«O éternité heureuse! Où l’on ne s’occupe que de Dieu et de son très pur amour.»

Maximes de désoccupation. (Page 113).

I.

Celui qui veut se désoccuper des créatures, ne doit rien affectionner et vouloir que le Créateur.

II.

Si vous voulez faire progrès en la désoccupation, fuyez les longueurs et inutilités de la conversation.

III.

Soyez assurés que vous n’êtes autant parfait que vous êtes désoccupé.

IV.

La vraie oraison va droit à la jouissance de la pure désoccupation.

V.

Celui qui travaille fortement à la désoccupation, parviendra en peu de temps à la perfection.

VI.

Examinez-vous trois fois le jour sur votre désoccupation, et pratiquez ensuite quelques bons actes de cette vertu. Je vous dis en vérité qu’en peu de temps vous ferez un grand profit en la vie intérieure.

Examen de la désoccupation.

Ceux qui s’adonnent à l’acquisition de cette sainte vertu, pratiquent trois fois le jour ce simple examen, et par cette voie font un progrès incroyable à la sainte perfection. De sorte qu’ils parviennent ordinairement à une telle tranquillité intérieure, qu’ils le font à chaque heure avec grande suavité, par le retour de l’âme sur ce qu’elle a fait dans l’heure précédente, et ce qu’elle doit faire dans la suivante. L’habitude de cette pratique est admirable et je vous dis en vérité très facile à ceux qui veulent être Dieu tout de bon et sans réserve. Ceux qui en ont fait l’expérience en fidélité et en pureté, disent que les recours faits d’heure en heure, sont comme de petits paradis aux bonnes âmes, où elles renouvellent leur pur amour envers leur époux éternel, et en reçoivent souvent des baisers très intimes, avec des impressions si vives de sa divine présence, que cela est inexplicable.

Il y a plus, l’on en trouve qui par la pratique de tels retours passent à une vue continuelle de Dieu, en ses beautés et amours. Et tel fut l’âme de la bienheureuse Marie de l’Incarnation, qui au rapport du saint homme et grand docteur Le sieur Duval, n’était comme point distraite de la vue de Dieu. Il s’en voit encore de vivants favorisés de cette grâce. En vérité cet état est si heureux, si grand, et si admirable, que rien après Dieu et la vision béatifique ne lui est comparable.

En l’examen du matin, au même temps que vous serez levé, il faut :

Premièrement. Faire une ferme résolution de ne rechercher en toute la journée que la seule volonté de Dieu, dans tout ce que vous entreprendrez et ferez, sans réserve, quoi qu’il vous en coûte, et en vous abandonnant à la merci de la Providence divine.

Deuxièmement. Jetez la vue sur les choses desquelles vous pensez être occupé, ou qui pourraient vous arriver dans ce jour.

Troisièmement. Arrêtez comment vous vous comporterez dans telle rencontre pour Dieu, et en la vue de Dieu.

4. Se résoudra faire court, ainsi qu’il conviendra discrètement dans les conversations.

5. Prévoir et régler le temps de ces prières et de ses obligations; et si l’on craint d’être occupé, le prévenir plutôt que le retarder. Car un tel retardement est un signe honteux d’une grande infidélité, de peu de ferveur, de paresse, et d’un dégoût secret des choses de Dieu.

6. Se proposer de pratiquer quelques actes particuliers de cette sainte vertu.

En celui du midi il faut,



1.S’examiner et se confondre de ses fautes en la poursuite de cette sainte vertu.

2. Pour encourager l’âme, présenter à Dieu les bons actes que l’on aura pratiqués le matin, et particulièrement les victoires que l’on aura remportées contre la nature et le diable.

3. Se résoudre de continuer cette pratique et ce combat.

En celui du soir, il faut,

1. Examiner et regretter les fautes de tout le jour sur ce sujet.

2. Pour fortifier l’âme, faire oblation à Dieu de ce que l’on aura fidèlement pratiqué.

3. Se résoudre de continuer le jour suivant, prévoyant ce qui pourra arriver, et arrêtant de s’y comporter en esprit de désoccupation.

4. Faire une petite, mais forte et intime réflexion sur les très belles et les très hautes désoccupations du bon Jésus, de la Sainte Vierge, et de tous les saints.

Faites plus, passez dans le ciel, et vous souvenant que vous êtes créés pour, avec des bienheureux en la vision béatifique, ne vous occupez à jamais que de Dieu, de ses beautés et de ses amours.

Ayez horreur de la vaine et inutile occupation des créatures; détestez les conversations négocieuses et mondaines, où Dieu n’est point, mais nature, pourriture et péché. Représentez-vous que toutes les occupations qui ne sont point de Dieu, en Dieu et pour Dieu, sont des puérilités, niaiseries, folies et sottises, ou pour mieux dire, des cloaques puants et infects, dans lesquels les âmes s’empestent, se corrompent, et perdent la vue et la jouissance du beau des beaux, et du bon des bons, qui est Dieu notre Créateur. Aspirez à la vraie désoccupation, où l’âme vit heureuse hors du bruit des créatures, seule avec Dieu seul.



Remarques spirituelles sur la sainte désoccupation.

I.

L’on apprend de la doctrine de Saint Arsène, que peu font le véritable progrès en la sainte perfection, à raison que la plupart des hommes, même spirituels, font leurs actions avec beaucoup d’occupation de leur amour-propre, et qu’elles ne valent qu’autant qu’elles sont fondées en Dieu, c’est-à-dire, autant que l’âme est occupée de Dieu, et désoccupée des créatures.

II.

L’on demandait au saint abbé Agathon pourquoi il tremblait à la mort. Hélas! Répliqua-t-il que le grand Dieu de mon éternité est terrible en ses jugements ! J’ai vécu longues années en pénitence et en solitude, mais qui me répondra de mes œuvres? Car je suis pauvre pécheur, et elles ne lui sont autant agréables qu’elles ont été pures, c’est-à-dire faites en l’occupation de lui seul, et en la désoccupation de toutes les créatures.

III.

Une certaine personne prétendant à la perfection, en affectionnait une autre avec passion, empressement, douleur et inquiétude, à laquelle un serviteur de Dieu dit en esprit de ferveur : pourquoi veux-tu chez loger la créature avec ton Créateur? Tu es sur le penchant de ta damnation éternelle. Hélas! Quelle folie, et quel aveuglement, loger chez soi une très infecte et très méprisable créature, pour en déloger et chasser le très adorable Créateur! Cette personne fut si pénétrée de ces bonnes paroles, qu’elle en fit une belle et sainte pénitence, et s’adonna à la vraie désoccupation des créatures en l’occupation de Dieu seul.

IV.

Le saint abbé Ammois parlait peu, d’autant, disait-il, qu’avec les bonnes paroles l’on en dit d’autres qui occupent des créatures et éloignent de Dieu.

V.

Le saint abbé Allois disait : l’homme, pour spirituel qu’il soit, ne goûtera jamais le véritable repos, s’il n’est seul, avec Dieu seul, c’est-à-dire, s’il n’est occupé de Dieu seul, et désoccupé de tout ce qui n’est point Dieu.

VI.

Le saint abbé Bessarion enseignait que le parfait devait avoir deux yeux, l’un de Chérubin pour ne voir que les grandeurs de Dieu en admiration; l’autre de Séraphin, pour ne les regarder qu’avec un grand amour, qui donne l’oubli de toutes les créatures; et voilà proprement en quoi consiste la sainte désoccupation.

VII.

Le saint abbé Théonas rapportait que nous étions autant occupés de nos passions, que nous étions désoccupés de Dieu; et au contraire, autant occupés de Dieu, que nous étions désoccupés de nos passions.

VIII.

Le saint abbé Pasteur disait que nous avons autant de pureté d’âme que nous étions occupés de Dieu et désoccupé des créatures.

IX.

Un certain demandait à son Père spirituel ce qu’il ferait : Mon âme, disait-il, est fouillé de ses passions, sans mortification, sans vertu et sans oraison. Mon cher frère, répliqua-t-il, ôte tes créatures, occupe-toi de Dieu seul, et tu deviendras pur comme un ange.

X.

Un frère disait à l’abbé Sifoy : Je veux garder mon cœur. Comment, lui répliqua-t-il, le garderez-vous si vous ne fermez la bouche aux discours inutiles, et la porte aux créatures?

XI.

Le saint abbé Sylvain, interrogé comme il s’était comporté pour tendre à la sainte perfection. Je n’ai, répliqua-t-il, ouvert mon cœur qu’à Dieu seul, et je l’ai désoccupé de toutes les créatures.

XII.

Le saint abbé Orisius disait : Si vous voulez être parfait, désoccupez votre cœur des créatures, autrement le diable y entrera qui ravagera tout.

XIII.

Le saint abbé Arsène travaillait si fortement à la désoccupation des créatures, qu’il se demandait plusieurs fois le jour, Arsène fais-tu ce que Dieu veut? Il aimait tellement l’occupation de Dieu, qu’il ne pouvait souffrir la conversation des créatures.

XIV.

Le Bon Frère Gilles Religieux Mineur, enseignait que pour aller droit à la sainte perfection, il fallait que le spirituel fut un à un, c’est-à-dire seul avec Dieu seul, occupé de Dieu seul, et désoccupé de tout ce qui n’était point Dieu.

XV.

Quelqu’un étant affligé demandait consolation à son Père spirituel : Mon cher frère, lui répliqua-t-il, celui qui s’occupe de Dieu jamais n’est affligé; car l’affliction lui est un paradis. Il y a plus, sachez une vérité, que nous ne sommes autant affligés que nous sommes occupés des créatures.

XVI.

Un serviteur de Dieu, interrogé comment tant d’âme se damnaient, c’est répliqua-t-il, que le diable les va occupant des créatures continuellement jusqu’à la mort, où il les surprend en très mauvais état.

XVII.

Quelqu’un interrogé, comment en si peu d’années il était arrivé à une si haute perfection de la sainte contemplation; c’est, répliqua-t-il, que dès le premier jour de ma conversion je ne me suis jamais occupé volontairement des créatures, et le seul Dieu a occupé mon âme.

XVIII.

Dieu tout bon, disait à un parfait, fort tourmenté et cruci [fi] é, que veux-tu? Hélas! Lui répliqua-t-il, je ne veux rien autre chose, sinon que vous seul occupiez le fond de mon âme.

XIX.

Un parfait interrogé ce qu’il souhaitait le plus en cette vie. Ce serait, répliqua-t-il, que Dieu fut seul avec moi seul : car à vrai dire, les créatures me dérobent toujours quelque chose de la vue du Créateur.

XX.

On demandait un serviteur de Dieu, qu’est-ce qu’il trouvait de plus beau dans la béatitude éternelle; c’est, répliqua-t-il, que le grand Dieu des éternités occupera seul mon âme immuablement et à jamais.

XXI.

L’on demandait à un saint docteur qu’elle était la plus grande occupation du diable envers les hommes. C’est, répliqua-t-il, de les occuper des créatures, et les désoccuper de Dieu.

XXII.

Un religieux damné, apparut à son confrère ami, lui disant : Par le très juste jugement du grand Dieu, je suis condamné aux enfers pour toute éternité. Hélas! Pourquoi, lui répliqua l’ami? C’est, dit le damné, que m’occupant des créatures j’ai abusé des sacrements, j’ai vécu dans une extrême négligence qui m’a perdu.

XXIII.

Une certaine âme, s’occupant fort de ses répugnances et afflictions, fut intérieurement éclairée d’une lumière surnaturelle, qui lui disait : Pourquoi chétive créature me chasses-tu de ton cœur, moi qui suis ton Créateur, l’infinie beauté et la souveraine bonté? Chose admirable! Au même moment cette âme demeura désoccupée de ses créatures, et occupée d’un très pur et très ardent amour.

XXIV.

Un jeune gentilhomme disait à sainte Lydvine, Sainte Vierge je veux tout de bon servir mon Dieu, que faut-il faire? Vous êtes, lui répliqua-t-elle, appelé à une haute désoccupation de tout ce qui n’est pas Dieu. C’est pourquoi allez-vous-en à mille lieues d’ici, la Providence divine vous conduira dans un désert, où elle vous a préparé une cellule. Le jeune homme la crut, s’en alla et trouva ce qu’elle lui avait prophétisé, savoir est une toute petite cabane sur les grandes branches d’un gros arbre. Il y monta et demeura plusieurs années, vivant en une très haute désoccupation de toutes les créatures et occupation de Dieu seul, ne vivant que d’une manne miraculeuse qui distillait de l’arbre. O que cette vie est admirable! C’est le dévot a Kempis qui la rapporte.

XXV.

Un certain contemplatif, voyant souvent sainte Lydvine élevée aux plus hauts degrés de la contemplation, l’ayant en ses dernières oraisons vue obscurcie, lui en fit demander la raison. Hélas! Répliqua la sainte, la seule approche des créatures qui me visitent me noircit : car, à vrai dire, le grand Dieu du ciel et de la terre nous veut occuper tout seul.

XXVI.

Sainte Thérèse racontait qu’ayant vu les beautés de la sainte humanité, il lui était comme impossible de s’occuper des créatures.



XXVII.

La même sainte, fut un jour transportée d’un si grand désir de la désoccupation des créatures, que pour ne s’occuper que de Dieu seul, elle fit par inspiration divine un vœu admirable : mais non imitable, d’avoir toujours la vue de sa plus grande gloire en tout ce qu’elle ferait.

XXVIII.

L’on rapportait un jour à un grand serviteur de Dieu, qu’un certain religieux, après être parvenu à un très haut degré de perfection, était déchu misérablement, et mort dans un État fort suspect, pour s’être occupé de quelques inquiétudes mal à propos, et avec beaucoup d’amour-propre. Hélas! Répliqua ce saint homme, qui quitte l’occupation de Dieu, pour s’occuper de soi et son amour-propre, ainsi qu’a fait ce pauvre misérable, peut-il être assez puni?

XXIX.

Il est rapporté dans les chroniques du séraphique Père S. François, première partie, livre 10e, chapitre 17, que de cinq religieux de cet ordre qui parurent au jugement de Dieu, il n’y en eut qu’un de sauvé : savoir est, un pauvret désoccupé de toutes choses, et vivant dans une grande fidélité et ponctualité de ses Règles. Les quatre autres qui avaient été mal à propos occupés furent damnés; savoir est, un bâtisseur de couvent, un savant qui ne faisait cas que de ses livres, un négociateur des affaires des grands, et un mondain et sensuel en ses habits.

XXX.

Je finis par la désoccupation d’un certain spirituel.

1. Le soir avant que de se coucher, il pensait aux emplois qui lui pouvaient arriver le lendemain, et il faisait une ferme résolution de s’en acquitter sans empressement et sans esprit de nature, et avec une pure vue de ce qui serait le plus la volonté de Dieu.

2. À chaque heure du jour il examinait son cœur sur ses inutilités, vacuités de Dieu, et vaines occupations.

3. À chaque chose principale qu’il commençait dans la journée, il entrait dans un recueillement et intérieur, et il faisait résolution de la commencer, continuer, et finir en la vue de Dieu seul.

4. Il remarquait que le diable ne pouvait souffrir que l’âme tendît à la pure occupation de Dieu, d’autant que par cette voie elle lui rendait une très grande gloire.

5. Considérant combien la sainte âme du bon Jésus avait été hautement occupée de Dieu seul, depuis le premier moment de son Incarnation jusqu’au dernier de sa vie, il était tout transporté d’amour, et disait que cette vue le désoccupait des créatures extrêmement.

6. Il récitait que quand il voulait bien se désoccuper des créatures, il se représentait qu’en l’agonie de la mort il verrait très clairement avec un grand regret, toutes les inutilités de tous les moments de sa vie. Hélas! Disait-il, que c’est une chose effroyable de se voir à la porte de l’éternité, ayant passé la vie, consacrée à la sainte pénitence et au saint Amour, très vainement et très inutilement.

Les degrés de la sainte désoccupation des créatures, pour s’occuper en Dieu seul.

I. Degré (Page 143)

Ce premier degré s’appelle désoccupation des biens externes et de fortune.

Encore que l’homme ne soit que passager et pèlerin en cette vie, néanmoins par inclination et malice naturelle, et par la tentation du diable, il s’occupe extrêmement en l’acquisition et conservation des biens externes, c’est-à-dire du monde. Et s’il n’y prend garde, il passe ordinaire sa vie dans cette vaine occupation, et se trouve à la mort, sans avoir rien amassé de pur et de vrai pour son éternité. Il y a plus, cette peste va misérablement affectant quelques particuliers des Communautés, ce qui est très pitoyable, et le diable, selon leur disposition naturelle, les va tentant avec inquiétude et empressement de multiplier et accroître leurs maisons et leurs biens, pour vivre en abondance.

Où vous remarquerez que ces gens-là passent leur vie en mille tracas, intrigues et négociations, pour parvenir à la fin de leurs prétentions, négligeant de pratiquer leurs pieux exercices. Et comme des sacs pleins de chair pourrie, ils exhalent beaucoup de mauvais exemples, et meurent finalement, laissant après soi un grand doute de leur salut éternel.

L’âme donc en ce degré se dépouille de l’affection de tous les biens de la terre, par trois considérations. La première. D’autant qu’ils sont de soi méprisables et périssables. La seconde. Parce qu’elle se voit créée pour Dieu seul. La troisième. D’autant que telle affection est incompatible avec la pure perfection, qu’elle veut rechercher de tout son cœur.

Quand l’âme est dépouillée de telle affection, Dieu lui donne pour l’ordinaire. Premièrement. Un dégoût de toutes choses terrestres, qui provient de la véritable connaissance qu’elle a de leur abjection et peu de durée. Deuxièmement. Une vue et estime des choses éternelles. Troisièmement. Un repos véritable à sa condition.

II. Degré.

Nous l’appellerons la désoccupation des honneurs, dignités et magistratures.

Comme la complexion naturelle de l’homme va à ces choses, le diable de son côté les en tente fortement, les incitant à faire beaucoup d’entreprises illicites pour y parvenir. D’où arrive qu’enfin la vie s’écoule très inutilement, et sans avoir rien fait. Le monde est rempli de ce mal. Car quand les personnes prétendent à quelques charges ou emplois, le diable les occupe continuellement de leurs desseins, les incitant. Premièrement. À décrier par voies mauvaises ceux qui les empêchent. Deuxièmement. À se faire des créatures. Troisièmement. À susciter des brigues secrètes et illicites. Voilà comme le diable occupe ces pauvres aveugles, qui enfin meurent, n’ayant rien amassé en leur vie que du vent et de la fumée.

L’âme en ce degré se désoccupe de telle affection, d’autant que. Premièrement. Toutes dignités sont périlleuses au salut. Deuxièmement. Les seuls humbles font de bons fondements à la vertu, et Dieu prend plaisir à regarder leur bassesse, et les élever à une haute perfection. Troisièmement. Dieu ne bénit point les emplois procurés par motif de nature et de vent.

Quand l’âme s’est désoccupée de telle affection, il lui arrive. Premièrement. D’être en un très secret et intime repos d’esprit, n’ayant à répondre que de soi. Deuxièmement. De procurer le seul honneur de Dieu. Troisièmement. De recevoir abondance de grâces du Saint-Esprit, communiquées aux petits et humbles de cœur.

III. Degré.

Vous le nommerez la désoccupation des contentements sensuels du corps.

L’homme est composé d’âme et corps; l’âme le rend semblable à Dieu, le corps aux bêtes. Vous saurez donc, que si l’homme n’est intérieur, par la tentation du diable, il deviendra tout corps, non tel quel, mais un corps brutal et pourri dans ses mauvaises inclinations, n’aspirant qu’à tous les contentements sensuels, du manger, du vêtir, du dormir, et autres semblables. Hélas! Que c’est une chose pitoyable, de voir des hommes créés pour Dieu, occupés de choses si basses et si éloignées de la fin de leur état. Cela est particulièrement bien honteux parmi les personnes qui font profession de la spiritualité, de s’occuper à rechercher les aises et les délices de leurs chétifs corps, comme feront les vains et superflus habits, le lit mollet et la chambre bien meublée, le boire et le manger en abondance, et autres choses semblables.

L’âme se désoccuper en ce degré de telle affection, considérant que. Premièrement. Ce soin déréglé est brutal et indigne d’un homme. Deuxièmement. Que son corps sera une charogne à vers. Troisièmement. Qu’il est destiné à la pénitence en ce monde, et à glorifier Dieu après la résurrection générale, en l’union de son âme à toute éternité.

Quand l’âme est désoccupée de telle affection. Premièrement. Elle conçoit un grand dégoût des sensualités du corps. Deuxièmement. Elle s’adonne à la pénitence, et châtie sa chair pour la rendre souple à l’esprit. Troisièmement. Elle goûte les choses de Dieu.

IV. Degré.

Celui-ci s’appelle la désoccupation du soin excessif des infirmités du corps.

Je ne blâme point le soin modéré et discret des infirmités naturelles, car cela se doit en la vue de la volonté de Dieu. Mais hélas! L’homme aime tant son chétif corps, que vous diriez qu’il n’est créé que pour avoir soin de cette charogne. Vous verrez les riches du monde, qui ont quelques infirmités, s’occuper avec empressement et inquiétude de continuels médicaments et drogueries.il y a plus, nous voyons que les diables jettent dans cette chétive occupation les plus spirituels, les entretenant continuellement des soins empressés de leurs infirmités, et les incitant de chercher de jour en jour de nouvelles manières de se droguer, sous des prétextes spécieux. Voilà comme les pauvres gens meurent, occupés de leurs drogues et inutilités.

L’âme en ce degré se désoccupe de telle chose, considérant. Premièrement. Que telle déréglée occupation est honteuse. Deuxièmement. En se remettant entièrement à la conduite d’autrui. Troisièmement. Par un mépris de cette vie.

Quand l’âme est ainsi désoccupée. Premièrement. La vie lui est indifférente. Deuxièmement. Elle se remet en Dieu, avec ses états de santé et de maladie. Troisièmement. Elle désire d’être délivrée de son corps, pour jouir de Jésus-Christ au ciel.

V. Degré.

Je nomme la désoccupation des sciences et des curiosités.

L’homme tend toujours à se satisfaire de mille curiosités, à apprendre mille nouvelles, et ce que fait l’autrui, et ainsi passe sa vie inutilement. Quelques-uns sont tentés de l’appétit déréglé des sciences, et s’en occupent continuellement. D’où vous verrez de grands savants dans le monde et dans la religion, passer les trentaines, quarantaines et cinquantaine d’années à feuilleter des livres, et à prêcher publiquement par esprit de nature, de vent, et de fumée, nous recherchant. Du tout Dieu, mais la seule satisfaction de leurs passions et de leurs inclinations vaines. Ces pauvres gens meurent souvent secs et languides, indévots et épuisés de toute bonne lumière de salut. Il y a plus, plusieurs périssent pour l’éternité, et cela est vrai entièrement.

L’âme se désoccupe en ce degré. Premièrement. En considérant la vanité des curiosités et des sciences. Deuxièmement. À la vue de la mort, on lui demandera compte de son amour envers Dieu et non de la science. Troisièmement. Qu’à vrai dire toute la science du monde n’est qu’une pure ignorance, en comparaison de la science béatifique qu’elle possédera en l’éternité.

Quand l’âme est ainsi désoccupée, elle apprend. Premièrement. La véritable leçon de l’humilité. Deuxièmement. Elle profite en la science des Saints et prend grand goût aux entretiens et lectures spirituelles. Troisièmement. Elle voit que tout est vanité hors Dieu.



VI. Degré.

Je l’appelle la désoccupation de l’appétit, de sa propre excellence.

C’est une chose étrange que cet appétit déréglé ait fait et fasse un si extrême ravage. Il a chassé les Anges du ciel, et les a changés en diables. Tous les hommes, ensuite du péché d’Adam, en sont successivement infectés, et pour pauvrets, chétifs, et misérables qu’ils soient, ils en sont tous remplis et farcis. Celui qui s’adonne à l’intérieur, travaille fortement à déraciner ce chancre, qui bientôt dévorera les beautés de son âme. S’il n’est vigilant et fidèle au combat, les diables livreront de rudes assauts. Ils le flatteront, s’il est savant, de savoir. Si prédicateurs, d’une vaine éloquence. Si supérieur, de l’esprit d’une sage conduite. Si dévot, de sainteté. Si employé en autre chose, d’habileté en ce qu’il fait. D’où arrive qu s’il est négligent et infidèle, il s’occupera de pensées et d’imaginations, pour satisfaire à l’appétit de sa propre excellence, dont il sera tenté. Et finalement il se verra réduit au lit de la mort, n’ayant rien recueilli en sa vie que du vent.

L’âme est désoccupée en ce degré de ce mal. Premièrement. Par la considération de son néant. Deuxièmement. Par la pratique de bons actes d’humilité et d’abjection. Troisièmement. Par une recherche directe de la seule gloire de Dieu en toutes choses, sans retour propriétaire sur soi-même.

Quand l’âme est désoccupée en ce degré. Premièrement. Elle reçoit de belles lumières de la suprême Excellence de Dieu, qui lui font sentir son infinie bassesse. Deuxièmement. Elle aspire fortement à l’humiliation et abjection. Troisièmement. Elle se réjouit parmi les mépris, et se rassasie d’opprobres comme de mets délicieux.

VII. Degré.

Nous le nommerons la désoccupation de l’affection des créatures.

À mesure que l’homme se divertit de l’amour du Créateur, pour lequel il a été créé, comme il ne peut être sans aimer, il court après les attaches et affections des créatures et de ses propres satisfactions. D’où il arrive que par la tentation du diable il s’en occupe avec des dérèglements effroyables. Il y a plus, aucune de ces affections, qui ont commencé sous prétexte spécieux du vrai bien, demeurent souvent pourriture et fumier. Ne croyez pas que celui-là soit intérieur, qui est pour peu que ce soit entaché de ce venin. Il est perdu, ou manifestement dans la pente de sa perte.

L’âme en ce degré se désoccupe. Premièrement. En reconnaissant que Dieu seul est aimable. Deuxièmement. Par la vue de la bassesse des créatures. Troisièmement. Par le détachement des affections vicieuses et la fuite des occasions.

Quand l’âme est désoccupée en ce degré. Premièrement. Les créatures lui deviennent fort amères et insipides. Deuxièmement. Elle aime Dieu et son prochain plus purement. Troisièmement. Elle est élevée au-dessus des sens et de la nature, et tout son contentement est d’être attachée à Dieu seul.

VIII. Degré.

Vous l’appellerez la désoccupation de toutes les passions et inclinations de nature.

L’homme pécheur est un gros tonneau plein de passion, et par conséquent il faut qu’il se désoccupe et vide non seulement de celles que nous avons rapportées ci-dessus, mais encore de toutes les autres; comme de colère, de vengeance, d’aversion, d’envie, de tristesse, et de semblables : où vous remarquerez que le diable fait de grands efforts pour occuper l’homme, qui veut être spirituel, de toutes les passions, et surtout de celles qui dominent le plus en lui, selon sa complexion naturelle. Et quand il voit qu’il ne le peut vaincre, il essaye de lui représenter les objets de ses craintes, aversions, et semblables, et l’entretenir inutilement là-dessus à diverses reprises.

L’âme se désoccupe en ce degré. Premièrement. Par les bons actes de confiance en Dieu, et défiance de soi-même. Deuxièmement. Par une résignation pure de son état à son bon plaisir. Troisièmement. Par la mortification continuelle de ses passions, rejetant les pensées des objets qui les allument et entretiennent.

Quand l’âme est désoccupée de la sorte, et exempte de toute passion. Premièrement. Elle porte un sain jugement et discerne le vrai bien d’avec le faux et apparent. Deuxièmement. Elle voit avec plus de clarté les vérités du ciel, et s’y affectionne plus aisément. Troisièmement. Elle jouit d’une grande paix et sérénité de conscience.

IX. Degré.

Celui-ci s’appelle la désoccupation de l’entretien inutile, inquiet et superflu de toutes choses, même indifférentes ou bonnes.

Notre nature est si pervertie, que si nous ne sommes vigilants et fidèles, elle fait un très mauvais usage de toutes choses. De sorte qu’à contretemps et avec excès, elle s’occupera de l’entretien des choses bonnes et indifférentes. C’est ici où plusieurs prétendants à la sainte perfection chopent souvent, et où le diable les surprend, les occupant avec empressement de tels entretiens, sous prétexte que ce sont choses bonnes et indifférentes : et pauvrets qu’ils sont ne voyant pas que telle occupation, à raison de la superfluité, ardeur ou empressement, n’est pas chose de Dieu, mais nature, amour-propre et tentation.

L’âme se désoccupe en ce degré. Premièrement. Par une recherche continuelle, en toutes ses actions, de la pure volonté de Dieu. Deuxièmement. Par un général détachement de toutes choses, et de sa propre satisfaction. Troisièmement. Par un soin raisonnable, et non pressé ni précipité, de ce qui est de notre condition et obligation.

Quand l’âme est désoccupée en ce degré. Premièrement. Elle fait les affaires de sa charge et état comme affaires de Dieu. Deuxièmement. Elle s’appuie davantage en la bonté divine qu’en sa propre industrie. Troisièmement. Elle laisse le succès entre les mains de Dieu et l’attend avec tranquillité au temps qu’il lui plaira.

X. Degré.

Nous le nommerons la désoccupation de toute crainte servile et inutile.

Le pécheur va toujours à soi, et peu à Dieu, si ce n’est par le secours de la grâce et par sa bonne coopération. Que fait le diable? Après que l’âme a travaillé quelque temps à la recherche de la sainte perfection, il pique son amour-propre, et essaye de l’occuper de mille craintes inutiles, sur le sujet de sa grâce présente, et de sa saluation [sic] future. Le spirituel doit bien prendre garde à ce pas, il est très glissant. Car s’il recherche le salut de son âme par une crainte servile, il satisfait à son amour-propre, et non pas à Dieu. C’est pourquoi il sera averti que telle occupation n’est point de Dieu, mais de la nature et tentation.

L’âme se désoccupe en ce degré. Premièrement. Par des actes de vraie et sincère confiance en Dieu. Deuxièmement. Par des actes de simple abandonnement à la merci de sa bonté divine. Troisièmement. En se résolvant généreusement de rechercher en toutes choses Dieu seul, lui remettant entièrement et sans réserve son état présent et futur, tant en cette vie qu’en l’éternité.

Lorsque l’âme est parvenue à la désoccupation de ce degré. Premièrement. Dieu tout bon et tout aimable lui montre un visage de Père. Deuxièmement. Elle a une confiance filiale en lui, en toutes rencontres. Troisièmement. Elle marche allègrement en la voie illuminative, après les pas et exemples de son bon Sauveur.

XI. Degré.

Vous l’appellerez la désoccupation des désirs et souhaits inutiles.

Encore que l’homme, par la pratique de sa sainte mortification et de pure vertu, ait fait beaucoup de progrès en la sainte perfection, le diable ne cessera pourtant d’essayer de l’occuper par des souhaits et désirs inquiets et superflus, comme seront, du martyre, de souffrance, et de faire chose grande pour l’amour de Dieu, lui jetant intérieurement un dégoût de sa vocation, une amertume de son état, et une instabilité en sa manière de vivre. Ou vous remarquerez que l’exercice bien réglé en la vue de la volonté de Dieu, est très bon et très fructueux. Mais s’il est déréglé, avec les effets susdits, croyez-moi ce n’est plus chose de Dieu, mais occupation vaine, nature et tentation.

L’âme en ce degré se désoccupe. Premièrement. Par le très haut abandon à la merci de la Providence divine, voulant entièrement être conduite par elle, et nullement par son propre mouvement et inclination. Deuxièmement. En ne voulant que Dieu seul, son pur amour, et sa pure volonté. Troisièmement. Par l’oubli de soi-même, et par une fidèle et continuelle élévation à Dieu seul.

Lorsque l’âme est désoccupée pour ce degré. Premièrement. Elle ne regarde plus que la volonté de Dieu en toutes choses. Deuxièmement. Elle est pénétrée d’un très grand et pur amour de Dieu. Troisièmement. Elle n’a plus qu’un seul désir qui engloutit tous les autres, à savoir de plaire à Dieu uniquement en l’état présent.



XII. Degré.

Nous appellerons celui-ci la désoccupation de toute réflexion sur soi, tant pour la pratique de vertu, qu’en la vue de la perfection présente et future, tant en cette vie qu’en l’éternité.

Vous remarquerez ici que l’âme incitée par son amour-propre, bien que très secret, et par la tentation du diable, pratique les actes de bonne mortification et de pure vertu, directement pour Dieu (ce lui semble en vérité), mais avec une réflexion propriétaire sur soi du bien qui lui en provient. Et déçue qu’elle est, elle s’occupe vainement dans tels retours. O quel malheur! Ou beaucoup de spirituel se trompent. De plus, en ce degré le diable a aussi de coutume d’occuper les âmes de pensées propriétaires de l’état de leurs perfections présentes et futures; et les pauvres abusés qu’ils sont se satisfont de cette inutile occupation, qui n’est pas chose de Dieu, mais de la nature et tentation. Ce n’est pas que je veuille dire que de penser aux manières de tendre à la perfection, comme il faut et en saison soit un défaut; mais je blâme seulement cette seule satisfaction propriétaire que l’âme va rechercher en ce que je viens de rapporter.

L’âme dans ce degré se désoccupe. Premièrement. En renonçant à toute complaisance qui n’est point Dieu. Deuxièmement. Se remplissant continuellement de vue de Dieu. Troisièmement. Pratiquement fidèlement l’oraison.

Lors que l’âme est désoccupée en ce degré. Premièrement. Elle se trouve dans un grand éloignement des créatures. Deuxièmement. Dans une grande union avec Dieu. Troisièmement. Dans un état fort tranquille, et propre à recevoir les hautes et surnaturelles opérations de Dieu.

XIII. Degré.

Nous nommerons celui-ci la désoccupation pure, par laquelle l’âme étant séparée de toute affection des créatures, pour petite qu’elle soit, aime d’un amour bien pur, actif néanmoins, son Créateur.

Tout homme est créé pour aimer présentement et éternellement son Créateur. Mais comme par le péché et par le dérèglement de ses passions, il est empêché d’en voir les belles, divines, et infinies beautés. Il se convertit et attache aux chétives créatures, et se fouille dans la fange et le bourbier de leurs affections. Que si au contraire étant favorisé de la grâce du ciel, il y correspond fidèlement et généreusement, travaillant fortement à la mortification et à l’acquisition des belles vertus; enfin de degrés en degré il passe à celui-ci.

L’âme parvient à ce degré. Premièrement. Par un total éloignement des créatures qui la peuvent divertir un tant soit peu de l’amour du Créateur. Deuxièmement. Par une tendance bien pure à Dieu seul. Troisièmement. Par l’exercice fidèle et fréquent des actes du pur amour de Dieu.

Lors que l’âme est ainsi désoccupée elle est. Premièrement. Beaucoup occupée de Dieu, et peu divertie de sa simple présence, voir parmi les occupations extérieures de son état. Deuxièmement. Elle est favorisée de plusieurs lumières sur les admirables mystères de notre foi, particulièrement de l’Incarnation, Vie et Passion de notre seigneur Jésus-Christ. Troisièmement. Elle passe à une connaissance savoureuse des perfections divines.

XIV. Degré.

Vous l’appellerez la désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu : de sorte que toutes les créatures semblent lui disparaître, et ne regarde en elle que Dieu seul, intimement présent et opérant. O que celui est heureux! Qui par la faveur de la grâce, et par la fidélité de ses petits travaux peut parvenir à ce dernier degré. Il est vrai que très peu y parviennent; mais pourtant il s’en trouve encore à qui Dieu le Créateur fait cette faveur.

L’âme parvient à ce degré. Premièrement. Par une généreuse et persévérante fidélité, tant pour la mortification qu’en la vertu. Deuxièmement. Par l’exercice continuel de la volonté de Dieu. Troisièmement. Par la fervente pratique de l’oraison, et des actes du pur amour.

Lorsque l’âme est en la possession parfaite de cet état. Premièrement. Elle est comme Déïformée et comme passive en ses opérations; car encore que la volonté concoure à aimer Dieu, néanmoins Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt lui qui produit cet amour, que la volonté : d’où arrive que l’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mue seulement par le Saint-Esprit, tant Dieu jaloux que tout ce qu’elle fait, elle le fasse pour lui. Deuxièmement. Elle est élevée à une très haute contemplation des choses divines, de mystère, de grâce, de salut et de perfection. Troisièmement. Il arrive en cet état quoique très rarement, que quelque âme privilégiée voit en passant l’Essence divine, ainsi que le remarque Alvarez dans le Degré 15 de la contemplation, et plusieurs Théologiens l’assurent de Saint Paul, quand il fut ravi jusqu’au troisième ciel, où il entendit des secrets que l’homme mortel ne saurait exprimer.





Traité troisième. Les Dix Journées de la sainte Occupation, ou divers Motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son Amour.

Le Traité troisième : «Les Dix Journées de la sainte occupation, ou Divers motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son amour» appartient par sa forme aux schémas de retraites, qui sont une littérature abondante propre au XVIIe siècle. Mais les thèmes de l’amour pur, incompréhensible vie de notre âme assurée par l’immuable Ami qui nous tire par là de notre néant, tranchent avec bonheur sur les schémas que nous trouvons dans des livres portés par et transmis entre carmélites, qui font de plus en plus appel à la crainte, ceci à partir de la seconde moitié du siècle. Ici, l’échange d’amour et la bonté divine sont les thèmes qui remplissent toutes les journées, dès la première : la grâce divine se manifeste par la bonté de Dieu et ne dépend pas d’une purification préalable.

Voici un bref aperçu de ce plan de retraite sur dix jours (on sait qu’une telle retraite de dix jours est encore pratiquée annuellement par les carmélites) :

Advis préliminaire.

I. (Page 181)

Tendez à une grande pureté de conscience, qui consiste à fuir tout péché, et même toute imperfection pour petite qu’elle puisse être; de sorte que vos petites fautes ne procèdent point de malice, mais ne soient que pures fragilités, que vous supporterez patiemment en esprit d’abjection.

II.

Allez droit dans la pureté de toutes les vertus sans vous flatter, et vous adonnez à l’exercice de la mortification et de l’oraison mentale; autrement vous ne ferez qu’un très petit progrès.

III.

Travailler fortement à l’expropriation de votre amour-propre, et propre volonté. Car en vérité le pur amour de Dieu ne se trouve jamais en l’âme propriétaire.

IV.

Gardez-vous bien d’affectionner aucune créature, ni contentement même intellectuel, par refus de la grâce, mais embrassez amoureusement la Croix et les peines, et le Dieu d’amour dans les Croix et les peines.

V.

Lisez souvent les livres qui traitent de l’amour de Dieu, faites-vous un petit recueil des amours de plusieurs grands Saints, et habituez-vous à élancer des aspirations vives et enflammées, tirés principalement de l’Écriture sainte, ou formées de vous-même et de l’abondance de votre cœur. O cher lecteur, je vous dis en vérité que si vous pratiquez fidèlement ces avis, vous parviendrez en peu de temps au pur amour, et à la pure union de Dieu votre Créateur. Je vais vous en donner les motifs, divisé en dix journées, recevez-les en esprit de charité.



Première journée. Motifs de l’amour divin.

I.

Considérez que le grand Dieu est infiniment aimable dans l’infinité de sa bonté, de sa beauté, et de ses perfections infinies.

O Dieu de mon amour vous êtes infiniment aimable. Hé! Pourquoi commencerai-je si tard à aimer votre bonté, que l’on ne peut assez aimer. Je vous adore, bénis, et loue de toutes mes forces, et de tout mon cœur en cette vue.

II.

Considérez que ce grand Dieu, infiniment aimable, vous a créé pour l’aimer, en vous préférant à tant de belles créatures qui ne le sauraient aimer, comme sont les cieux, les astres, les bêtes, les arbres et les éléments.

O Dieu de ma création, pourquoi m’avez-vous préféré à temps de créatures, c’est afin que je vous aime de pur amour. Je vous adore, etc.

III.

Considérez que ce Dieu tout bon a marqué en toutes les créatures l’image de son pur amour, ou plutôt les a faites comme des langues d’amour, qui m’invitent continuellement aux opérations du pur amour, telles que sont les beautés des esprits célestes, des cieux, des astres, et de tant de créatures dont le monde est composé.

O Dieu de mon être, pourquoi les créatures marquées de votre amour m’invitent-elles tant et tant à vous aimer, et cependant je vous aime si peu. Je vous adore, bénis, et loue, etc.

IV.

IV.

Considérez comme Dieu tout bon nous donne les marques d’un très inénarrable amour, dans le support continuel qu’ils pratiquent envers les pécheurs, ne les damnant pas lors qu’actuellement ils pèchent mortellement, ce qui serait très juste.

O Dieu infiniment bon! Que votre charité est inénarrable, par laquelle vous supportez les ennemis de votre Amour : hélas! Que ne connais-je au vrai et à fond ce haut Amour, pour ne vivre plus qu’à vous seul. Je vous adore, bénis, etc.

V.

Considéré comme le Dieu d’amour a imprimé une autre idée d’amour en la vocation des pécheurs à pénitence, qu’il appelle par amour, et qu’il reçoit par amour.

O Dieu! Que cet amour est tendre, ardent, et incompréhensible, qui change les ennemis en amis, les faisant coopérer à l’amour. Je vous adore, bénis, etc.

VI.

Considérez que le grand Dieu du ciel et de la terre a donné à l’homme un Ange gardien pour le solliciter continuellement aux opérations et jouissance du vrai amour divin; ce qui lui est un bel objet d’amour.

O Dieu de ma création, pourquoi me sollicitez-vous tant à l’amour, et cependant je vous aime si impurement. Je vous adore, etc.

VII.

Considérez que le Dieu d’amour nous donne encore un très haut motif d’amour, en ce qu’il veut que ses fidèles amants l’aiment, nom d’un tel quel amour, mais d’un amour si pur, qu’ils ne l’aiment pas par la vue des bienfaits qu’ils ont reçu ou doivent recevoir de lui ou par autre considération, mais seulement pour l’amour de lui, qui est de soi infiniment aimable.

O Dieu d’amour! Pourquoi voulez-vous que je vous aime si hautement et purement, et cependant j’ai si peu de vrai amour, pourquoi ne me consommez-vous de vos pures flammes. Je vous adore, etc.

VIII.

Considérez comme le Dieu d’amour veut être aimé de vous sans mesure, et que votre amour ne saurait être assez grand pour l’aimer autant qu’il est aimable; ce qui vous doit être un grand motif d’amour.

O Dieu d’amour! Que cet amour est doux et admirable, qui nous oblige à vous aimer sans mesure et sans bornes. Je vous adore, bénis, loue de toutes mes forces et de tout mon cœur dans cette vue.

II. Journée. Motifs de l’Amour Divin.

I.

Considération. Le Dieu d’amour a tellement voulu que nous l’aimassions, qu’il a gravé en nous son image très aimable, faisant notre âme une en essence, douée de trois facultés spirituelles; savoir est, mémoire, entendement, et volonté, ainsi qu’il est un en essence et Trin en personnes, Père, Fils, et Saint-Esprit, afin que par l’intime présence de la Sainte Trinité en notre âme, et par le rapport de l’Image à son Original nous soyons continuellement incités à l’aimer.

O Dieu tout bon! Pourquoi suis-je caractérisé de votre très amoureuse Image, sans vous aimer du bon et du très pur amour. Je vous adore en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon cœur.

II.

Le Dieu d’amour a voulu que vous fussiez tellement occupé d’amour en cette vie et dans l’éternité, qu’il a mis en votre âme une faculté affective, savoir est la volonté, destinée continuellement en cette vie et pour l’éternité pour l’aimer.

O Dieu de ma création! Puisque ma volonté n’est créée que pour vivre d’amour, faut-il qu’elle cesse de vous aimer un seul petit moment. Oh mon Dieu je vous adore, bénis, et loue en cette vue de tout mon cœur, etc.

III.

Dieu le Créateur nous a rendu les créatures aimables par de petites parcelles de bonté qu’il a mise en elles. Mais il nous a voulu donner à aimer en sa divine essence, une bonté infinie, dont les millions de milliards des bontés de toutes les créatures, soit spirituelles, soit corporelles, toutes ramassées ensemble, ne sont pas un très petit arôme; ainsi dans cette comparaison elles sont, comme si elles n’étaient pas.

O Dieu de mon être! Puisque cette bonté est infiniment aimable, je veux l’aimer insatiablement. O mon Dieu, je vous adore, etc.

IV.

Toutes les beautés des créatures, des anges, des âmes, des cieux, des astres, des éléments, et de tout ce qui est composé d’iceux, ne sont qu’une très chétive ombre en comparaison de l’infinie et inénarrable beauté de Dieu leur Créateur, qu’il nous a donnée pour objet de notre amour en cette vie et en l’éternité.

O grand Dieu de mon éternité! Que votre beauté divine est ravissante, pourquoi ne l’aimé-je pas sans cesse, et à tout moment. Oh mon Dieu, je vous adore, etc.

V.

Comme Dieu le créateur a donné aux éléments leur centre, de sorte que les légers tendent rapidement en haut, les gros et pesants se ruent fortement en bas. Ainsi le feu élémentaire gagne le haut, l’air le suit, la terre se jette en bas, et s’arrête vers le centre du monde : de même il a donné à l’homme pour son centre l’amour infini de son Essence, et il lui donne grâce pour y tendre. De manière que partout ailleurs il ne peut trouver aucun repos, comme étant pour lors hors de son centre.

O Dieu de mon cœur! Faut-il que je sois créé pour aller droit à vous comme à mon centre, et que je ne puisse m’arrêter et tenir ferme en secret béni et très cher centre. O mon Dieu, je vous adore, bénis, et loue, etc.

VI.

Il est bien naturel et bien juste d’aimer ceux qui nous aiment; et par conséquent que Dieu le Créateur nous aimant en tous moments, il est raisonnable que nous l’aimions en tous moments.

O Dieu d’amour! Pourquoi aimez-vous à chaque instant, et cependant je réciproque si peu, et laisse écouler tant de moments sans amour. Oh mon Dieu, je vous adore, bénis et loue, etc.

VII.

Dieu le Créateur de demande autre chose, sinon que nous l’aimions, et que comme il n’y a rien qui nous oblige plus à aider autrui, que quand il demande notre amitié; ainsi devons-nous être tous transportés d’amour envers notre bon Dieu, qui ne nous demande autre chose qu’amour.

O Dieu d’amour! Puisque vous ne me demandez qu’amour, pourquoi ne vous l’accorderai-je pas. Oh mon Dieu, je vous adore, bénis, et loue en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon cœur.



III. Journée. Motifs de l’Amour Divin.

I.

Considération. Dieu tout bon nous a tellement destiné à l’amour, qu’il nous a aimé de toute éternité, pour nous obliger à l’aimer ensuite de notre création, et des grâces qu’il nous ferait.

Oh que cet amour éternel est incompréhensible. Hélas! Que n’étais je de toute éternité pour réciproquer à mon Dieu d’un amour éternel. O mon Dieu, je vous adore en cette vue de tout mon cœur.

II. (Page 200).

Dieu tout bon non seulement nous a aimé de toute éternité, mais encore nous aimera à toute éternité, dans laquelle nous comblant de gloire, il nous obligera de l’aimer d’un amour éternel et interminable.

Oh mon Dieu! Quand sera-ce que je vous aimerais de cet amour éternel, continuel et interminable. Oh mon Dieu, je vous adore, bénis et loue en cette vue, etc.

III.

Dieu tout bon nous a tellement aimé, que pour nous obliger à l’aimer d’un amour pur et sans réserve, il nous a envoyé son Fils unique, consubstantiel et éternel, pour converser avec nous et nous apprendre l’amour.

Au Dieu d’amour! Comme est-il possible de voir votre Fils invisible en sa Divinité, se rendre visible pour moi en son Humanité, et ne point vous aimer. O mon Dieu, je vous adore bénis et loue en cette vue, etc.

IV.

Dieu tout bon, nous ayant donné son bien-aimé fils Jésus-Christ pour notre bon Seigneur, Chef et Frère, il nous excite de pratiquer nos actes d’amour en l’union de ceux de son béni Fils; ce qui les rend comme infinis.

O mon Dieu! Que ne vous puis-je aimer à tout moment en l’union de l’amour, dont vous a aimé mon bon seigneur Jésus-Christ. O mon Dieu, je vous adore, etc.

V.

Notre bon Seigneur, et Sauveur Jésus-Christ, étant sur terre, disait qu’il était venu en ce monde pour répandre dans les cœurs des hommes les feux d’Amour divin, assurant par ces mots, que le principal office de sa vie voyagère était d’inviter les hommes au pur amour de Dieu leur Créateur.

Bon Jésus! Puisque vous êtes venus en ce monde nous échauffer et nous inviter à l’amour, hélas! Ayez pitié de mon cœur tout glacé, pourquoi ne l’embrassez-vous point de vos divines flammes. Oh mon Dieu, je vous adore, bénis et loue, etc.

VI.

Notre bon seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, nous a tellement voulu porter à l’amour, qu’il nous a donné à manger son précieux corps et son Précieux sang, pour faire sa demeure réelle en nous, et nous obliger à aimer fortement et hautement, non seulement sa sainte humanité, mais encore sa personne divine, avec le Père éternel, le Saint-Esprit, et l’Essence divine.

O Dieu de mon amour! Pourquoi me poursuivez-vous avec tant et tant d’amour, faut-il que dans les immenses effusions de votre amour je vous aime si faiblement. Je vous adore, bénis, et loue en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

VII.

Le Père éternel, après la chute d’Adam, pouvait bien sauver les hommes par son simple vouloir et par mille autres voies, que par l’humble Incarnation et par le douloureux crucifiement de son Fils unique. Ce qu’il n’a pas fait, pour nous obliger au pur amour par une rédemption si amoureuse et abondante.

O Dieu tout bon! Qui m’avez donné ce motif si haut d’amour, quand vous aimerais-je purement et bonnement. O mon Dieu, je vous adore, bénis, et loue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur dans cette vue.

IV. Journée. Motifs de l’Amour divin.

I.

Considérez. Combien pur et sublime était l’amour, que portait l’âme du bon Jésus durant sa vie voyagère, au Père éternel, à sa personne divine, et au Saint-Esprit, tant à raison des bienfaits qu’ils en avait reçu, que de la vision de l’Essence divine. Comparez votre chétif amour à ce très haut et très pur amour, et en vous humiliant, souhaitez de vous unir à lui très intimement.

Oh que ne puis-je aimer mon Dieu tout bon de l’amour de cette simple âme. Hélas! Pourquoi ne l’aimerais-je pas à tout moment en l’union de ce pur amour. O mon bon Dieu je vous adore, je vous bénis, je vous loue dans cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

II.

Considérez quel est, et qu’elle sera à toute éternité l’amour, que la bénite âme du bon Jésus porte et portera à la très adorable Trinité.

O mon Dieu! Quand sera-ce que je vous aimerais purement et éternellement, en l’union de cet amour. Oh mon Dieu je vous adore, etc.

III.

Considérez qu’elle était l’amour de la bienheureuse Vierge, en cette vie mortelle, envers notre bon Dieu, qui était d’autant plus grand que sa bénite âme était pure, et sans macule, rempli de grâce et souvent élevé à la vision de l’Essence divine, pour laquelle elle connaissait très clairement les bienfaits immenses qu’elle en recevait.

O Dieu, que de vous puis-je aimer d’un amour aussi pur que vous aimait la Sainte Vierge. Je vous adore, etc.

IV.

Considérez qu’elle est l’amour que porte la Sainte Vierge, et qu’elle portera dans l’éternité à la très adorable Trinité, et à la sainte humanité en l’hypostase divine; qui sera d’autant plus grand, que sa bénite âme sera élevée en gloire béatifique, au-dessus de tous les bienheureux.

Pour mon Dieu, pourquoi mon amour est-il si petit, hélas ! Que ne vous puis-je aimer de ce très pur amour, dont vous aimera la très Sainte Vierge à toute éternité. O mon Dieu je vous adore, bénis et loue, etc.

V.

Considérez quels ont été les amours des saintes âmes envers Dieu, pendant cette vie mortelle; qu’elle a été l’amour des saints apôtres, des patriarches, prophètes, martyrs, confesseurs, vierges, veuves et autre personnes justes de l’ancien et de la nouvelle loi.

O mon Dieu! Faut-il que tant de Saints et Saintes vous est aimé si purement et ardemment, et que je vous aime si imparfaitement et froidement. O mon Dieu je vous adore, etc.

VI.

Considérez quels seront les amours des mêmes saintes âmes dans l’éternité, qui seront toujours nouveaux, et ne termineront jamais. Aspirez à cet amour, et faites-vous confusion de la petitesse du vôtre.

Oh mon Dieu! Quand sera-ce, que je vous aimerais immuablement, et éternellement, en l’union de l’amour de vos Saints. Oh mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

VII.

Considérez l’ardeur et l’excellence de l’amour dont plusieurs sont morts; ainsi dit-on et avec raison, que notre bon Seigneur Jésus-Christ est mort en croix par un effort d’amour, et que la Sainte Vierge est morte par amour, après la très digne réception du Saint-Sacrement de l’autel. Le même tient-on de plusieurs saints et saintes, qui ont trépassé d’amour.

O mon Dieu, faites-moi tant de grâce que je puisse vivre et mourir de votre amour. O mon Dieu je vous adore bénis, et loue en cette vue de tout mon pauvre cœur.

V. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Considération. L’amour divin est la vie de notre âme en ce pèlerinage, et en l’éternité, de sorte que l’âme qui est ici-bas, et en l’éternité sans amour divin, est réputée comme morte.

O Dieu de ma création! Pourquoi m’avez-vous créé, pour ne vivre que de votre amour, et cependant je mène une vie si éloignée de vos desseins. O mon Dieu je vous adore, je vous loue et bénis en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

II.

C’est une chose bien douce à la créature d’aimer son bienfaiteur. Or Dieu notre créateur, par tant et tant de bienfaits qu’il nous fait continuellement, et au corps et en l’âme, nous solliciter de l’aimer et de faire remonter par amour et reconnaissance tous ces biens à leurs sources, n’est-il pas juste?

O mon bon Dieu! Que ne connais-je la grandeur et variétés de vos bienfaits, pourquoi cette connaissance ne me rend-elle plus reconnaissant et obligé à votre amour. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, etc.

III.

Dieu tout bon non content de nous donner la grâce justifiante accompagnée des vertus infuses, répands encore dans nos âmes des aspirations continuelles, et frappe souvent à la porte du cœur pour nous obliger à l’aimer.

O mon Dieu! Pourquoi ai-je vécu si inutilement, sans travailler de la bonne sorte au pur amour, selon que j’y étais porté par vos saintes inspirations, que j’ai tant de fois négligées. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue, etc.

IV.

Dieu tout bon non seulement vous a créé, mais encore il vous conserve par un concours continuel en cette vie, et vous conservera de même en l’éternité. Ce qui ne peut être sans un grand amour. Car si telle conservation venait à vous manquer, vous retournerez à votre néant.

O mon bon Dieu! Si votre amour me conserve en tout moment, pourquoi suis-je tant de moments tant d’heures et de jours sans vous reconnaître et vous aimer. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, etc.

V.

Ce grand Dieu, et créateur de tous les êtres nous a tellement invités à l’amour, qui nous en a fait un commandement exprès, et nous a ordonné de l’aimer, de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos puissances, et de tout notre esprit. Ce commandement ne peut provenir que d’un grand amour, que Dieu tout bon a pour nous, nous faisant voir clairement par ce commandement qu’il nous a destiné au pur amour.

O Dieu d’amour! Pourquoi ne vous obéirai-je pas en chose si aisée et raisonnable, puisque vous me commandez de vous aimer. O mon bon Dieu, je vous adore, je vous bénis, etc.

La béatitude éternelle sera un amour éternel du bienheureux envers Dieu; ôtez l’amour divin, point de béatitude; mettez-le dans les damnés point d’enfer. Telle est la qualité de l’amour divin, de rendre bienheureux l’Amant et l’aimé.

O Dieu de mon éternité! Puisque votre amour consommé sera ma béatitude éternelle, pourquoi ne commençai-je dès à présent de vous aimer tout de bon. O mon bon Dieu, je vous adore, je vous bénis, etc.

VI.

Le bon Dieu vous a préservé d’une infinité de maux, comme seraient de mort subite, de trouble d’esprit, de maladies, de mauvaises rencontres, et mille autres semblables, ce qui ne peut provenir que d’un fonds d’amour.

O Dieu de toute bonté! Puisque par amour vous m’avez préservé de tant de maux, pourquoi suis-je si lâche à vous aimer et reconnaître pour mon libérateur. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

VI. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Considération. Dieu est amour, et l’amour est Dieu; et par conséquent, quand vous tendez à Dieu et à l’union avec Dieu, vous tendez à l’amour et à l’union avec l’amour; et ainsi comme vous êtes créé pour Dieu, vous êtes créé pour l’amour.

O Dieu tout bon! Qui êtes amour infini, puisque vous m’avez créé pour vous aimer, pourquoi ne vous aimerai-je pas de toute l’étendue de mon amour. O mon Dieu je vous adore! Je vous bénis, je vous loue en cette vue, de toutes mes forces et de tout mon pauvre cœur.

II.

La toute-puissance de Dieu, par une opération infinie vous a tiré du rien, vous créant capable de l’aimer; et partant vous devez correspondre au dessein de cette toute-puissance.

O mon bon Dieu! Puisque vous m’avez tiré du néant pour aimer votre être infini, pourquoi ne puis-je l’aimer d’un amour infini. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, et je vous loue, de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

III.

La toute-puissance infinie de Dieu en vous donnant l’être, vous a préféré à une infinité de créatures possibles, capables de l’aimer, qu’il ne créera point, et qu’il laissera dans le rien. Ce qu’il ne peut faire sans un très grand amour envers vous.

O mon bon Dieu! Pourquoi en me créant, m’avez-vous préféré à tant et tant de créatures, que vous ne créez pas; et que si vous eussiez créé elles vous eussent mieux aimé que moi; et cependant je vous aime si peu. O mon Dieu, je vous adore, etc.

IV.

Dieu étant de soi infiniment bienheureux, et n’ayant point besoin de nous pour l’accroissement de sa béatitude, il nous a néanmoins associé à sa béatitude, pour l’éternité. Ce qui ne peut être sans un grand amour en notre endroit.

Oh mon Dieu! Pourquoi en tout moment ne vous aimerais-je pas purement, puisque vous m’avez associé à votre béatitude, pour vous aimer éternellement. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, je vous loue, etc.

V.

Considérez. Dieu par sa divine science vous voyait et connaissait de toute éternité, vous destinant aux opérations de l’amour divin.

O mon bon Dieu! De toute éternité vous m’avez connu, en me destinant à vous aimer, pourquoi serais-je un seul moment sans vous aimer. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, etc.

VI.

L’amour de la Providence divine a été tel en votre endroit dans tous les moments et ressorts de votre vie, qu’elle vous a fait naître dans l’Église romaine, vous a donné tant de secours spirituels et temporels, et répand encore journellement tant de biens sur vous.

VII.

La justice de Dieu a encore un grand amour pour nous. Car encore, que par nos péchés nous l’offensions infiniment, elle tarde néanmoins à nous punir, et nous donne le temps de nous convertir à lui et faire pénitence.

O mon bon Dieu! Quand sera-ce que je me convertirai à vous de la bonne sorte, quand reconnaîtrais-je au vrai et à fond les amours de votre Justice patiente. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue dans cette vue, de toutes mes forces et de toute ma volonté.





VII. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Considération. Ce nous est un grand motif d’amour de bien entendre que Dieu tout bon est le vrai, seul, fidèle, et l’immuable ami. Assurez-vous que toutes les créatures ne vous aiment point, mais seulement leurs passions, satisfactions, ou intérêts, d’où finalement vous ne recueillerez que de l’inquiétude et du trouble, si ce n’est que telle amitié soit réglée dans la pure vue de Dieu et fondée en lui seul : ce qui est très rare.

O Dieu tout bon! Puisque vous êtes mon Seigneur, mon seul, unique, fidèle, et invariable ami, pourquoi mon amour s’en va-t-il à différend parmi les infidèles et affligeantes créatures. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

II.

Ce nous est un grand motif d’amour de bien concevoir que Dieu tout bon a été tellement jaloux de notre amour, qu’il a voulu par un artifice d’amour secret être l’unique refuge dans nos afflictions; de sorte que les affligés ont beau courir çà et là, ils ne trouveront jamais secours qu’en Dieu; et cela, afin d’être obligés de l’aimer d’un pur et reconnaissant amour.

O Dieu de mes Croix! Puisque je ne puis trouver secours que dans votre amour, je veux recourir à votre cœur paternel et plein d’amour. O mon Dieu je vous adore, etc.

III.

La brièveté de notre vie nous invite à l’amour divin. Car l’amour des créatures dure si peu, à quoi bon de s’y amuser; si toutes choses passent, et nous avec elles, et l’état de cette vie mortelle est si transitoire, ne sommes-nous pas obligés d’en arracher notre amour, et de le transporter en l’objet permanent?

O mon bon Dieu! Quand n'aurais-je plus d’amour pour cette vie passagère; quand n’aurais-je plus que vous, qui est l’unique objet du parfait amour. O mon Dieu, je vous adore, etc.

IV.

L’éternité de la béatitude nous appelle au pur amour; car à vrai dire cette stabilité et permanence interminable d’un amas de biens infinis ne mérite-t-elle pas bien, que nous y tendions en cette vie de toutes nos forces et de tout notre pauvre cœur par des actes d’un amour constant et généreux.

O mon bon Dieu! Que mon amour n’est-il invariable et sans prendre le change, pour vous aimer en temps et à toute éternité. Hélas! Que ne m’absorbez-vous dans cet éternel amour. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, je vous loue dans cette vue de toute ma volonté.

V.

L’amour divin nous déïforme, c’est-à-dire il attire tellement Dieu en nous, qu’il semble que nous cessions d’être, et ne vivions que de Dieu. Ce qui nous oblige extrêmement à rechercher l’amour divin, qui nous élève à un si haut état.

O Dieu d’amour! Puisque par amour que je ne puis abîmer en votre être, pourquoi ne le ferais-je pas maintenant et en tous les moments de ma vie. O mon Dieu je vous adore, etc.

VI.

Dieu tout bon prend à grande injure de ce que vous ne l’aimez point; car toute créature qui est créée pour aimer Dieu, et ne l’aime point, elle fraude son dessein, et est comme inutile et superflue parmi les créatures.

O mon bon Dieu! Pourquoi cessai-je de vous aimer un seul moment puisque c’est vous faire injure de ne pas vous aimer. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, je vous loue, etc.

VII.

L’amour divin donne le prix et la valeur à nos œuvres, de sorte qu’elles ne valent qu’à proportion de l’amour divin; d’où vient que plusieurs grandes œuvres en apparence ont peu de valeur devant Dieu, parce qu’elles n’ont que très peu d’amour divin; au contraire d’autres qui paraissent peu ont beaucoup de valeur, à raison qu’elles proviennent d’un grand amour divin.

O mon bon Dieu! Si tout ce que je fais pour vous glorifier ne vaut qu’à proportion de mon amour, pourquoi ne fais-je toute chose avec amour. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue de toutes mes forces, et de toute ma volonté.

VIII. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Considération. Dieu tout bon a été tellement jaloux de notre amour qu’il a voulu que nous l’appellassions notre père, afin que comme les bons enfants aiment naturellement leur père; ainsi nous fussions obligés de l’aimer cordialement, puisqu’il veut être le nôtre.

O mon bon Dieu! Puisque vous êtes mon bon père par vrai amour, quand serais-je votre fils par vrai amour. O mon bon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue de toutes mes forces et de tout mon pauvre cœur.

II.

Dieu tout bon à créé notre âme avec un tel artifice d’amour, qu’il n’y a que lui seul qui la puisse rassasier, et qui soit sa pleine satiété; toutes les beautés, bonté, et excellences imaginables ne la sauraient remplir. D’où elle est contrainte, se lassant de tout ce qui n’est pas Dieu, se guider à Dieu et s’attacher à luiseul par pur amour.

O mon bon Dieu! Puisque toutes les créatures ne font que lasser mon cœur, pourquoi ne me faites vous mourir à tout, pour n’aimer que vous seul, qui est et qui seraient à jamais mon unique satiété. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, etc.

III.

Dieu tout bon pour nous obliger à l’aimer, nous a promis son paradis selon la proportion de notre amour. De sorte qu’aucun n’y peut entrer sans amour, et ces délicieuses demeures nous sont distribuées selon les degrés de notre amour.

O Dieu de mon éternité! Puisque l’on ne va en votre paradis que par amour, dois je faire autre chose que d’aimer. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, etc.

IV.

Dieu tout bon, pour nous obliger à tout moment à l’aimer, nous a ordonné d’aimer le prochain pour l’amour de lui, afin que tel amour du prochain, informé de ce regard de Dieu, soit tout amour divin.

O mon bon Dieu! Pourquoi tant d’artifice d’amour, pour m’obliger à vous aimer, vous qui êtes infiniment aimables. O mon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue de toutes mes forces, et de tout mon pauvre cœur.

V.

L’immense amour du Père éternel et de son Fils unique envers nous rend la très amoureuse mission du Saint-Esprit, qui est l’amour de tous les deux, nous fait connaître que nous sommes tellement destinés à l’amour, que la personne d’amour nous est envoyée visiblement pour nous porter plus fortement à l’aimer, en nous remplissant et transformant son amour.

O très adorable Trinité! Pourquoi me donnez-vous le Dieu d’amour, et que ne suis-je tout transformé en son amour. O mon bon Dieu, je vous adore, etc.

VI.

Les amours que le Saint-Esprit produisit en sa descente dans les âmes de la Sainte Vierge, des saints apôtres, disciples, et saintes Dames, leur fît aimer ardemment Dieu, et notre bon seigneur Jésus-Christ. Ajoutez qu’il est croyable que tous ceux qui se trouvèrent en cette sainte assemblée sont morts et trépassés d’amour divin. Ajoutez encore que ce Saint-Esprit Dieu d’amour va continuant les mêmes effets en toutes les hommes qui tendent au pur amour, par la fidélité de leurs saints exercices, et par la généreuse mortification de leurs passions, et continuelles pratiques de toutes bonnes vertus.

O Saint-Esprit Dieu d’Amour, quand aurai-je l’âme assez pure pour être consommé du feu de votre amour. O mon bon Dieu, je vous adore, je vous bénis, je vous loue dans cette vue de toutes mes forces et de tout mon pauvre cœur.

IX. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Voulant acquérir le pur amour de Dieu que la sainte théologie appelle charité, l’on me conseilla d’en méditer les excellences. Ce que je fis avec un très grand fruit de la manière qui s’ensuit.

Je considérais que cette divine charité était la reine des vertus, à laquelle la foi et l’espérance cédaient. La foi, d’autant qu’elle regarde Dieu dans l’obscurité et sous un voile; l’espérance le regarde comme un bien qu’elle prétend posséder, et le voulant pour soi elle semble vouloir avec un peu d’intérêt; mais pour la charité l’amant n’a point égard à son profit, et aime Dieu pour Dieu. Cette vérité de ne vouloir Dieu que pour Dieu, me semblait si claire

que je voyais que l’âme qui n’allait pas au pur amour n’était rien, et devaient être retranchée du nombre des créatures; au contraire je voyais que l’âme qui tendait au pur amour, devenait si belle, si riche, si grande pleine de Dieu, qu’elle passait comme dans l’être du créateur. D’où j’allais disant, à vrai dire, tendre au pur amour de Dieu, c’est l’unique vrai bien, et le paradis de cette vie; tout le reste n’est que vanité et affliction d’esprit.

O Dieu de ma création! Pourquoi ne vous aimerais-je pas, puisque vous m’avez destiné à votre pur amour, et que sans cet amour je deviens comme un néant, et indigne d’être au nombre des créatures. O mon bon Dieu je vous adore, je vous bénis, je vous loue en cette vue de toutes les forces, et de tout mon pauvre cœur.

II.

Je considérais que cette charité était la fin de toutes choses, et que Dieu le Créateur avait créé toutes les anges et tous les hommes, et moi en particulier à cette fin de l’aimer; et j’admirais comme toutes choses avaient été créées, faites, et dirigées à l’amour divin comme à leur fin. Les cieux, les éléments, tous les astres ont été créés pour cela. Les commandements et les conseils vont à cette fin. La Prédestination, l’Incarnation, la Rédemption, et toute la vie de Jésus-Christ en cette mortalité et en l’éternité, va droit au pur amour. Je vous confesse qu’approfondissant cette belle vérité, j’en étais tout ravi, et disai-je en moi-même, ô que l’homme mondain qui ignore ceci est pauvre et misérable.

O mon bon Dieu! Puisque tout est fait pour votre amour, pourquoi ferai-je autre chose que de vous aimer. O mon Dieu je vous adore, je vous bénis, etc.

III.

Je considérais que cet amour divin était l’âme, la vie et la perfection de toutes les vertus et bonnes œuvres, et que si notre âme n’était en grâce et en charité ou amour avec Dieu, toutes les vertus d’humidité, patience, foi, espérance et le reste, et toutes les bonnes œuvres ne lui servent de rien pour la vie éternelle; j’admirais que non seulement les œuvres vertueuses étaient agréables à Dieu, quand elles sont faites en charité, mais encore les œuvres indifférentes, et même celles qui sont nécessaires et naturelles, comme sont le manger et de dormir. Cette belle vérité me forçait de dire : hélas! Les hommes sont aveugles de négliger de si riche et beau trésor, et s’arrêter seulement à ramasser les fanges des choses périssables.

O mon Dieu je veux faire toutes choses en amour et pour votre amour. Hélas! Pourquoi tant vivre et travailler sinon pour vous mieux aimer. O mon Dieu! Je vous adore, je vous bénis, etc.

IV.

Je considérais avec un très grand plaisir comme cette charité rendait non seulement nos œuvres vertueuses, indifférentes et naturelles, agréables à Dieu, mais encore rendait l’âme participante de toutes les œuvres de notre bon Seigneur Jésus-Christ, et de tous ceux de son Église. Il y a plus, cette charité est si admirable, que l’âme qui en est revêtue aimant les actions vertueuses et les bonnes œuvres de son prochain, qu’elle ne peut imiter, elle se les rend comme propres, ce qui me faisait dire en moi-même, comment est-il possible d’être chrétien, savoir ces vérités, et ne point travailler au pur amour de Dieu.

O mon bon Dieu! Je veux, ou la mort, ou votre pur amour, qui me fasse un avec vous et avec tous vos chers membres. O mon bon Dieu je vous adore, je vous bénis, et je vous loue dans cette vue de toutes mes forces et de toute ma volonté.

X. Journée. Motifs d’Amour Divin.

I.

Souhaitant bien fort de m’avancer dans le pur amour de Dieu, je m’entretenais souvent dans les considérations suivantes.

Premièrement. Je considérais que Dieu tout bon n’a créé les hommes, et ne s’est fait homme, ne les a rachetés par sa douloureuse mort, et ne les glorifiera éternellement, que pour les obliger à l’aimer. Cette vérité me pénétrait si fort, que je ne cessais de dire que l’amour divin est bien obligeant, et faut être bien dur pour ne s’y laisser gagner.

O mon bon Dieu! Pourquoi tant de choses pour me faire aimer, et que je ne vous puis aimer d’un amour infini. O mon bon Dieu, je vous adore, etc.

II.

Je considérais qu’à proportion que l’homme se requêtait de la vertu de charité et amour de Dieu, il se va unissant à lui et s’y transformant, de sorte qu’en toutes ses actions et en toutes ses œuvres il ne veut que ce que Dieu veut et ordonne. Ce qu’il aime et abhorre, il l’aime et abhorre, et ne tenant compte de soi, de son intérêt, de son honneur, et de son contentement, il ne vise qu’au seul honneur et au seul contentement de Dieu, s’abîmant dans le pur vouloir de Dieu. Cet entretien me semble excellent, et je disais, si l’amour nous fait ressembler à Dieu, pourquoi ne l’aimons-nous continuellement pour les semblables. O mon bon Dieu! Je veux votre volonté en toutes choses, votre honneur et votre contentement; et je le veux en votre pur amour. Cela me suffit, faites quant au reste ce qu’il vous plaira de moi. O mon Dieu, je vous adore, de tout mon pauvre cœur.

III.

Je considérais qu’à proportion que l’homme faisait progrès pour l’amour de Dieu, elle devenait grandement généreuse en l’entreprise de toutes bonnes choses, en la fidélité de tous les exercices de piété, et finalement en toutes les affaires de Dieu. Surtout je prenais grand plaisir à considérer comme l’amour de Dieu avait fait souffrir si hautement tant de peines et supplice aux martyrs. Je me représentais des exemples particulières, qui me faisaient grand bien.

O mon bon Dieu! Quand aurai-je ce pur amour qui fait souhaiter les peines et les cieux pour vous et par amour. O mon Dieu, etc.

IV.

Je considérais que le seul amour de Dieu donnait la vue et l’affection de la vraie perfection; et comme il était rare, je voyais que beaucoup se méprenaient par abondance de l’esprit de nature ès travaux de leur perfection; et je disais, sans doute, c’est le pur amour qui m’a fait de si grands Saints en si peu de temps. O mon bon Dieu! Quand n’aurai-je autre vue au chemin de ma perfection, que celle de votre pur amour. O mon Dieu je vous adore, etc.

V.

Je considérais avec un plaisir insatiable que les bienheureux à toute éternité ne faisaient qu’aimer Dieu sans se rassasier. Cette occupation éternelle des Saints en l’amour divin me ravissait si fort, qu’il me semblait que l’homme était bien malheureux, qui s’occupait ailleurs qu’en amour de son Dieu. O Dieu de mon cœur, et ma part à toute éternité, quand vous aimerai-je d’un pur amour et éternel! Ô mon Dieu je vous adore, je vous bénis, et je vous loue dans cette vue, de toutes mes forces, etc.

Traité quatrième. Exercice sur la vie de Sainte Élisabeth, imitant Jésus, en forme d’examen sur les vertus.

De la marque d’une future sainteté éminente. Exercice I.

Jésus était si saint et si pur de sa Personne divine, et sa plénitude de grâces, qu’il était comme le seul Saint, et le Fils très digne de la complaisance et de l’amour de Dieu son Père, qui a manifesté plusieurs fois cette vérité en sa naissance, en son baptême, et en sa mort.

Sainte Élisabeth étant destinée à une éminente sainteté, comme entrant en une particulière communication de la pureté de Jésus-Christ, Dieu tout bon, même avant sa naissance, prenait plaisir de témoigner des desseins qu’il avait sur elle. D’où l’on remarque que sa mère la reine Gertrude durant sa grossesse était pénétrée de beaucoup de lumières divines, et de mouvements surnaturels de la grâce, et il lui fut révélé étant en oraison quel enfanterait une fille de bénédiction, la merveille du monde et l’ornement de sa maison.

«Hélas! Que suis-je dans la conduite divine sur moi en comparaison de Jésus, et de cette sainte. Premièrement. Jusqu’à présent mon âme a été comme vide de la grâce, et comme toute pleine de la vie impure d’Adam. Deuxièmement. Par mon orgueil, ma superbe, et mes inclinations sensuelles, j’ai été en ma manière de vivre comme opposée à Jésus-Christ, et comme un Antéchrist d’iniquité.»

De la dévotion. Exercice II.

Jésus pratiquait ces exercices et actions avec tant de dévotion qui les accompagnait toujours des actes de contemplation, adoration, de religion, et d’amour envers Dieu son Père.

Sainte Élisabeth imitant Jésus-Christ, et communiquant à la sainteté de son esprit, était en une continuelle dévotion, actuelle religion envers le Dieu de son amour d’où l’on remarque qu’en son enfance, elle se portait toujours à la prière, et même en jouant à la course avec ses petites compagnes, dans la cour du château étant arrivée à la chapelle, qui était le terme de leur carrière, elle y entrait pour y pratiquer quelques génuflexions et prostrations, tant son âme prenait plaisir à s’occuper de son Dieu, et se dégoûtait du divertissement des créatures.

«Hélas! Quelle est ma dévotion en comparaison de notre sein. Premièrement. Mon âme est toujours sèche, arrivée vide des bons sentiments de la grâce. Deuxièmement. Souvent je suis si lâche et tépide [sic], que tout ce qui est de dévotion me dégoûte et m’ennuie. Troisièmement. Je suis si insensible, que ne prenant aucun plaisir en mon Dieu, je m’en vais chercher mon divertissement vainement et inutilement parmi les créatures.»

De l’Amour Divin. Exercice III.

Jésus en tous les moments de sa vie voyagère a aimé sans réserve et de toute l’étendue des facultés de sa bénite âme son Père éternel.

Saint Élisabeth aimait si purement Dieu qu’elle ne pouvait souffrir en son âme aucune réserve pour petite qu’elle fut, et cet amour était si pur et si ardent, qu’il lui faisait souhaiter continuellement d’être consommée dans les pures et divines flammes, dont elle fut tellement transportée qu’elle dit un jour à ses compagnes, Dieu soit béni, lequel enfin m’a exaucée et donné un cœur tel que je l’ai souhaité pour l’aimer de toute son étendue. L’amour de la créature y est mort et il n’y reste plus que celui de la bonté de Dieu.

«Hélas! Quel est mon amour en comparaison de celui-ci. Premièrement. Mon âme est toute insensible et dévorée des inclinations de la chair, du sens, et du péché. Deuxièmement. Elle est toute convertie à l’amour de soi-même et des créatures.»

De l’amour du prochain. Exercice IV.

Jésus aimait chèrement et purement le prochain, regardant en lui l’image de la très Sainte Trinité.

Saint Élisabeth imitant Jésus était ravie de contempler cette ressemblance divine dans le prochain, d’où souvent pansant les lépreux et teigneux puants et infects, elle était emportée si violemment de cette vue, qu’elle les baisait et les embrassait tendrement, sans témoigner aucune horreur de leur infection.

«Hélas! Qu’elle est en moi l’amour du prochain en comparaison de notre sainte. Premièrement. Aui moindre déplaisir que j’en reçois, je suis si aveuglée de colère et de ressentiment, que je ne vois ni Dieu en lui, ni lui en Dieu. Deuxièmement. Je fais paraître au-dehors mon aversion par mes froideurs, rebuts et rudesses.»

De l’amour des Pauvres. Exercice V.

Jésus aimait les pauvres, conversait avec eux volontiers et leur faisait charitablement l’aumône de ce qu’il pouvait gagner à la sueur de son visage et par le travail de ses mains.

Saint Élisabeth imitant Jésus, elle aimait chèrement les pauvres dès sa petite enfance, et leur donner tout ce qu’elle pouvait. Ce qui fut tant agréable à Dieu, qu’il changea miraculeusement ce qu’elle leur portait en roses, dont le roi son père, auquel elle avait dit qu’elle portait des roses, demeura tout ravie.

«Hélas! Quelle est ma charité envers mes sœurs nécessiteuses et envers les pauvres en comparaison de notre sainte. Premièrement. J’en ai peu de compassion, et je ne me veux en rien incommoder pour les assister. Deuxièmement. Je leur suis même rude et fâcheuse.»

De l’amour des pécheurs. Exercice VI.

Jésus aimait chèrement les pécheurs, étant venu exprès du ciel pour leur seul amour de la part de son Père. C’est pourquoi il cherchait continuellement à les instruire, et à les sauver, et pour leur salut il employait tous les travaux de sa bénite vie, et est mort ignominieusement, et douloureusement en croix sur le calvaire.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, s’appliquait avec un grand zèle à l’instruction et à la conversion des pécheurs. D’où étant un jour emportée de ce pur amour, elle pria si ardemment pour la conversion d’un certain jeune gentilhomme, qu’il se sentit tellement enflammé du feu divin, qu’il s’écria à pleine voix en se débattant et tordant les bras et le corps. Cessez Madame, cessez, je brûle et ne puis plus. Le feu divin qui rejaillit de votre âme me consomme.

«Hélas! Qu’elle est en moi l’amour des pécheurs en comparaison de notre sainte. Premièrement. Je n’en ai aucune compassion ne voyant pas que le sang de Jésus se perd inutilement en eux. Deuxièmement. Je les méprise et les dédaigne dans leurs défauts. Troisièmement. Je n’ai aucune douceur ni cordialité pour eux. Quatrièmement. Au moindre déplaisir que j’en reçois, je les pique sur le sujet de leurs imperfections et exagèrent leurs fautes.

De l’amour des ennemis. Exercice VII.

Jésus aimait chèrement et saintement ses ennemis et persécuteurs, leur rendant bien pour mal, et priant son divin Père, en croix de leur pardonner sa mort, et le déïcide abominable qu’ils commettaient en sa sainte personne.

Sainte Élisabeth imitant Jésus pratiqua si hautement la charité des ennemis et le pardon des injures, qu’encore qu’elle ait été souvent cruellement persécutée, elle ne s’en est jamais ressentie, et leur faisait tout le bien qu’elle pouvait, leur pardonnant pour l’amour de Dieu tout le déplaisir qu’elle en avait reçu. D’où l’on rapporte qu’ayant appris qu’un certain scélérat, auquel le roi son père, allant à la conquête de la Terre Sainte, avait confié son état, avait dans le palais, tué de ses propres mains sa chère mère, elle se résigna à la conduite de la Providence divine, et lui ayant recommandé l’âme de la défunte, elle lui offrit aussitôt le pardon qu’elle faisait à ce cruel et très ingrat meurtrier, assurant tout haut, que quand elle eût pu se venger, elle ne l’eût pas fait.

«Hélas! Quelle est ma disposition lorsque l’on me fait quelques petits des plaisirs en comparaison de notre sainte. Premièrement. Je m’inquiète bien fort et suis tout occupé des sentiments de colère et de vengeance. Deuxièmement. Je demeure dans la froideur, et je refuy [sic] de parler et donner mon secours et mon assistance.»

De la sainte abjection et humilité. Exercice VIII.

Jésus aimait chèrement la sainte abjection, et pour correspondre au très incompréhensible anéantissement de sa personne divine en sa sainte humanité, il s’anéantissait continuellement devant elle, se reconnaissant et s’appelant ver de terre, et un pur néant. Il y a plus, c’est qu’en toute sa vie voyagère il a voulu vivre comme un pauvre charpentier inconnu, abject et mourir dans une suprême abjection de la Croix.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, aimait uniquement la sainte abjection, et s’humiliait continuellement devant son Dieu, pratiquant toutes les humiliations extérieures qui lui étaient possibles, cherchant la modestie, et la pauvreté des habits, s’habillant en pauvre et se rangeant avec les pauvres, balayant la maison, déchaussant ses filles et s’appliquant à faire toutes sortes d’actions les plus viles et les plus abjectes, particulièrement en son état religieux. Sur quoi vous remarquerez que se voyant réduites à une extrême abjection et logée dans une étable à pourceaux, par la persécution de ses sujets qui la chassaient de son palais avec toutes sortes d’indignité, elle en fit chanter le Te Deum, pour en rendre Action de grâces à la divine Providence, qui la favorisait si chèrement des présents du ciel.

«Hélas! Quel est mon amour d’abjection en comparaison de Sainte Élisabeth. Premièrement. Je suis toute pleine de superbe et d’orgueil, et je ne saurais supporter la moindre contrariété et le moindre mépris. Deuxièmement. Je cherche l’exaltation et la propre excellence. Troisièmement. Je suis toute pleine d’inquiétude, quand je suis dans quelque état d’abjection. Quatrièmement. Je ne tends point du tout à pratiquer saintement les petites humiliations qui se présentent.»

De la sainte pauvreté. Exercice IX.

Jésus en toute sa vie voyagère, chérissait extrêmement la pauvreté des biens temporels, et se plaisait dans l’indigence, d’où il voulut naître en une pauvre étable, travailler de ses mains, et mendier sa vie.

Saint Élisabeth communiquant à l’esprit de Jésus-Christ, elle aima fort la sainte pauvreté, d’où même dans son état de princesse elle s’habillait quelquefois pauvrement et se rangeait avec les pauvres. Elle mendia aussi sa vie, travailla pour la gagner, et se fit enfin religieuse pour en faire le vœu solennel.

«Hélas! Quelle est ma pauvreté en comparaison de Sainte Élisabeth. Premièrement. Je cherche l’abondance et je fuis l’indigence. Deuxièmement. Je cherche les délices et je fuis les nécessités. Troisièmement. Je regarde peu au pur usage de mon vœu.»

De la pure virginité. Exercice X.

Jésus était le roi et l’époux des vierges, fils du Père éternel, fils de la Vierge, aimant uniquement la virginité, comme la vertu qui nous allie et nous unit à la pureté angélique, et à la pureté divine, spiritualisant les élus dans leur corps de terre et de chair, et les faisant entrer en la communion de son divin esprit. Ainsi aimait-il la virginité de saint Jean l’évangéliste le faisant reposer sur sa sacrée poitrine pour lui révéler les secrets de son pur amour.

Sainte Élisabeth imitant Jésus aimait uniquement la sainte virginité, et dès son enfance résolut de ce vouer vierge à son divin époux. Pour cet effet elle se mit sous la protection de saint Jean l’évangéliste, qui lui apparut par trois diverses fois, resplendissant comme un soleil, l’assurant que l’oblation de sa pureté avait été très agréable à Jésus et à la Sainte Vierge, et la disposant à la conduite divine qui avait d’autres dessins sur elle.

«Hélas! Qu’elle est en moi l’amour de la virginité en comparaison de celui qui pénétrait le chœur enfantin de notre sainte. Premièrement. Je ne fuis pas comme je devrais les petites affections de la nature et du sens envers les créatures. Deuxièmement. Je suis très peu imprimé de cet esprit virginal de Jésus qui l’a lié uniquement à son Père. Troisièmement. Je suis sensuel en mes inclinations. Quatrièmement. Je tends peu aux opérations de l’esprit et au saint mouvement de la grâce qui nous tire de la chair et nous communique la vie pure et divine.»

De la sainte obéissance. Exercice XI.

Jésus aimait chèrement la sainte obéissance, non seulement envers Dieu son Père, auquel il obéit jusqu’à mourir en croix pour accomplir sa divine volonté, mais encore envers la Sainte Vierge et Saint-Joseph et même envers tous les hommes, auquel il a voulu obéir et se soumettre, lui qui était fils de Dieu et le roi du ciel et de la terre.

Sainte Élisabeth imitant Jésus fut non seulement appliqué à la volonté divine, mais encore à la pratique d’une fidèle obéissance envers ses supérieurs, et envers tout le monde. D’où l’on remarque qu’elle prenait plaisir à faire la volonté d’autrui et de ses filles. Surtout elle rendait une très haute et très profonde soumission et inviolable obéissance en toutes choses au bienheureux Conrad son supérieur, sans l’avis duquel elle ne faisait aucune chose, et lequel néanmoins comme il la connaissait très parfaite, la traitait aussi dans les voies de cette sainte vertu très rigoureusement, et très austèrement, dont la sainte faisait très bon usage.

«Hélas! Quelle est mon obéissance en comparaison de Sainte Élisabeth. Premièrement. Étant pleine de superbe et d’orgueil, j’ai peu de condescendance ou volonté de mes sœurs. Deuxièmement. Je répugne souvent avec murmure aux ordonnances et à la conduite de mes supérieurs. Troisièmement. Je refuy [sic] autant que je puis les emplois contrariants de la sainte obéissance à mon humeur.»

De la volonté de Dieu. Exercice XII.

Jésus était uniquement appliqué à la volonté de Dieu son Père, et durant sa vie voyagère, il travailla fidèlement à la sainte exécution de tous ses divins décrets, se rendant très soumis et très obéissant à aa divine conduite.

Sainte Élisabeth imitant Jésus s’appliquait uniquement à faire et suivre la volonté divine, ne se souciant d’autre chose que de contenter le Dieu de son amour. C’est de là qu’elle entra dans le mariage, ayant reconnu que tel était la volonté de Dieu. C’est de là aussi qu’en cette vue elle se réjouissait en toutes ses souffrances et persécutions, et qu’ensuite étant veuve elle se fit religieuse.

«Hélas! Quelle est mon application à la volonté divine. Premièrement. Je suis toute pleine de la mienne et de mon amour-propre. Deuxièmement. Je passe ma vie jour à jour, sans penser à ce que Dieu veut de moi dans mon état et ma grâce de religion. Troisièmement. Je ne cherche qu’à plaire aux créatures et je ne pense pas si je déplais à mon Dieu.»

Du zèle de la gloire de Dieu. Exercice XIII.

Jésus était extrêmement zélé de la gloire de Dieu son père, et en tous les moments de sa vie voyagère il cherchait à le glorifier par des actions, dont la moindre étant d’une dignité infinie le glorifiait plus que tous les bienheureux ne le sauraient glorifié en toute l’éternité. Surtout, remarquez avec quel zèle il chassa du temple ceux qui le profanaient avec leur trafic.

Sainte Élisabeth imitant Jésus fut très zélée de la gloire de Dieu, et l’avançait en tout ce qu’elle pouvait, par l’instruction des peuples, par l’érection d’hôpitaux et de monastères, et par toutes les pratiques possibles d’une très pure vertu.

«Hélas! Qu’elle est en ceci ma disposition en comparaison de la sainte. Premièrement. J’ai peu de sentiments et peu d’amour pour mon Dieu. Deuxièmement. Sa gloire m’est comme indifférente. Troisièmement. Je ne pense qu’à moi et à mes inclinations, et je le déshonore par mes péchés et mes infidélités.»

Des inspirations divines. Exercice XIV.

Jésus était plein de vérité, de lumière, de grâce, et de vie divine, et sa bénite âme était très disposée à tous les mouvements surnaturels, qui procédaient par indivis de sa divine personne et de celle de son père et du Saint-Esprit.

Sainte Élisabeth imitant Jésus vidait son cœur de tous les mouvements de nature, et correspondait promptement aux inspirations divines et mouvements du Saint-Esprit. D’où par lumière de grâce elle s’appliquait toujours à tout ce qui était le plus de Dieu, pure mortification et pure vertu; et sa pratique était en toute occasion d’être fidèle aux motions surnaturelles de la grâce.

«Hélas! Quelle est ma disposition intérieure en comparaison de Sainte Élisabeth. Premièrement. Mon âme est dure et souvent fermée aux inspirations, lumière et touchés du Saint-Esprit. Deuxièmement. Elle est dans le dégoût des vertus divines. Troisièmement. Elle se répand misérablement dans tout ce qui n’est point Dieu.»

Du saint amour de la perfection. Exercice XV.

Jésus aimait uniquement la sainte perfection et comme à raison de sa personne divine il était très parfait dès le premier moment de sa conception, il a travaillé en tous les moments de sa vie, pour la donner à ses élus et nous a envoyé son Saint-Esprit pour l’établir en eux par la pureté de ses divines lumières et de ses divins amours.

Sainte Élisabeth imitant Jésus Christ aimait uniquement la sainte perfection et tendait de toutes ses forces par les mortifications continuelles du corps et de l’esprit, tâchant toujours de faire en tout moment tout ce qui était de la plus grande gloire de Dieu. D’où l’histoire remarque qu’elle était si désireuse de la perfection, que pour y travailler plus fortement et purement, elle se fit religieuse et en professa les vœux solennels, vivant avec ses filles dans une très fidèle pratique de toutes mortifications et de toute vertu.

«Hélas! Quelle est ma ferveur et quel est mon amour de la sainte perfection en comparaison de notre sainte. Premièrement. Je suis toute insensible aux voies de la sainte mortification et de la sainte vertu. Deux. J’aime les satisfactions et les libertés de naissance et de ma nature. Trois. Je corresponds lâchement à la grâce divine et je ne me sens pas cette ferveur de l’esprit de Jésus-Christ.»

De l’amour de la solitude. Exercice XVI.

Jésus aimait la solitude du désert qui le tirait et séparait des créatures, et la solitude du cœur qui l’unissait d’amour à Dieu son Père.

Sainte Élisabeth imitant Jésus se retirait de fois à autre, et autant qu’elle pouvait dans les lieux solitaires pour s’appliquer au recueillement intérieur et à la pure oraison. Et quant à son cœur, il était tellement solitaire aux créatures, aucune n’y pouvait entrer, tant il était uni seul à seul, un à un au Dieu de son amour.

«Hélas! Quelle est ma solitude en comparaison de notre sainte. Un. Je suis vague et répandue parmi les créatures, et tellement dissipée que je n’ai aucun recueillement ni conversion à mon Dieu : La retraite m’ennuie et j’en sors souvent sans nécessité.»

De l’Oraison. Exercice XVII.

Jésus était toujours en oraison et saintement appliqué à la contemplation de Dieu son Père sans en pouvoir être distrait un seul moment.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, employait toute les heures qu’elle pouvait en oraison et contemplation, se levant même la nuit d’auprès le prince son mari pour s’appliquer à la prière, et dormant peu dans son état religieux, pour avoir le temps de se rassasier du pur amour de son divin l’époux dans la sainte lumière de l’oraison.

«Hélas! Quelle est mon oraison, ma contemplation, et ma lumière en comparaison de la sainte. Un. Mon âme est tout occupée du bruit de ses sens et des créatures. : Elle est toute vide par son infidélité de la lumière divine. Trois. Elle est si lâche qu’à la moindre occasion elle quitte sa prière pour courir après ses inclinations et satisfactions naturelles.»

De la vie divine. Exercice XVIII.

Jésus aimait uniquement sa vie divine qu’il avait de toute éternité dans le sein de son Père. Il l’honorait aussi en sa personne divine, et comme il était impeccable, parfait, pure, et saint, il était mort à toute créature, et ne vivait qu’en Dieu, de Dieu, et pour Dieu.

Sainte Élisabeth communiquant à l’esprit de Jésus lui demanda avec grande instance de mourir à toute créature, et de ne vivre qu’avec lui en Dieu, et de Dieu. Ce que lui ayant été accordée, elle pensa mourir de joie et d’amour.

«Hélas! Quelle est ma disposition ceci en comparaison de Sainte Élisabeth. Un. Je travaille fort peu à la pureté intérieure qui fait entrer en la vie divine. : Je suis si impure que je sens fort bien que les créatures vivent en moi et que je vis en elles. Trois. Je suis vide de l’esprit de Jésus-Christ et toute pleine d’amour-propre. Quatre. Je ne peux dire avec vérité comme Saint-Paul, je vis, et non pas moi, mais Jésus vit en moi.»

De la pure union avec Jésus. Exercice XIX.

Jésus Fils de Dieu par les travaux et les souffrances de sa vie voyagère, unissaient à son Esprit, à sa Sainteté, et à sa vie, ses élus, et leur communiquait les saintes lumières et amour de Dieu son Père, pour vivre en eux inséparablement en la communion de ses grâces.

Sainte Élisabeth étant fort fidèle à l’esprit, à la sainteté et à la grâce de Jésus, opérant en son âme, elle tâchait par sa fidélité, mortification et vertu, de s’unir inséparablement à lui qu’elle aimait uniquement, et de toute l’étendue de son cœur. D’où un jour étant en ravissement, et Jésus lui communiquant son glorieux et resplendissant visage, il lui promit de demeurer en elle inséparablement, et elle réciproquement l’assura de ne se séparer jamais de lui, et de lui être à jamais et sans réserve fidèle en pureté d’amour.

«Hélas! Quelle est ma disposition en l’union d’amour, en comparaison de celle de Sainte Élisabeth. Un. J’ai peu de lumière et de sentiment de tous les états de Jésus. Deux. Je fais peu d’usage de sa grâce. Trois. Je communique peu à sa vertu, à sa sainteté, et à son esprit. Quatre. J’ai peu de vrai et fidèle amour pour lui.»

De la communion avec Jésus. Exercice XX.

Jésus aimait si tendrement ses chers disciples qu’après sa résurrection il leur apparaissait souvent pour les purifier et sanctifier par sa bénite et glorieuse conversion, dont ils demeurèrent très fortifiés tout le reste de leur vie.

Sainte Élisabeth communiquant à cet amour que Jésus portait à ses chers disciples, elle en fut visitée souvent, particulièrement dans son état religieux, lui révélant beaucoup de mystères et secrets de la vie divine, et de l’amour divin, dont elle demeurait si vivifiée, et imprimée, qu’il lui semblait que Jésus-Christ vivait en elle, et que toute sa vie naturelle était absorbée dans sa vie divine.

«Hélas! Quelle est ma disposition ceci en comparaison de Sainte Élisabeth. Un. Je suis toute vide de cette image de Jésus-Christ, et de sa divine impression qui vivifie les âmes. Deux. Je tends peu à l’imiter en la pureté de son esprit, et de ses vertus. Trois. Je me remplis et me rassasie de mes inclinations et de mes passions.»

De la communication avec la Sainte Vierge. Exercice XXI.

Jésus en sa vie voyagère, sanctifiant par sa conversation la Sainte Vierge, il lui révélait beaucoup de secrets de ses états, de ses mystères, et particulièrement des voies intérieures de la sainte perfection.

Saint Élisabeth a communiqué plusieurs fois à pareilles faveurs, d’où elle était très savante dans les mystères et dans les états de Jésus. Et en outre elle a mérité d’être souvent visitée de la sainte vierge, qui lui révélait la conduite de sa vie, et ses saintes communications avec Jésus fils du Père éternel, et le sien.

«Hélas! Quelle est ma communication avec Jésus et la Sainte vierge en comparaison de Sainte Élisabeth. Un. J’en suis peu dévote et en est peu de pensée. Deux. Dans mon indévotion et insensibilité, je suis très lâche et tépide à solemniser les mystères et les fêtes de Jésus, et de la Sainte Vierge. Trois. Leurs grâces et lumières me pénètrent très peu.»

De la glorieuse communication avec Dieu. Exercice XXII.

Jésus se transfigurant sur le monde Thabor par une effusion admirable de la gloire de son âme en son saint et pur corps, il ravit ses chers disciples d’admiration, il les remplit de délices et d’amour; d’où saint Pierre demandait à son cher maître de faire là avec lui un Tabernacle éternel et permanent.

Sainte Élisabeth communiquant à la pureté et à la gloire de Jésus, elle entrait souvent en son oraison dans une si haute familiarité et communication avec son Dieu, que demeurant imprimée de la divine lumière, elle en sortait avec une face brillante et lumineuse comme le soleil, dont ses filles demeuraient toutes ravies d’admiration, remplies de joie et pénétrées du divin amour.

«Hélas! Quelle est ma communication avec mon dieu. Un. Je suis si un pure et si pleine des misères que je suis entièrement incapable de l’approcher. Deux. Je suis si tépide et si lâche en mon oraison et en toutes mes prières si vagues et si distraites, que mon âme semble toute fermée à la grâce et à la lumière divine.»

De la dévotion au mystère du lavement des pieds. Exercice XXIII.

Jésus avant que d’accomplir le sacrifice de son précieux corps pour la dernière Cène et celui de la Croix sur le Calvaire, il voulut laver les pieds de ses apôtres, et même du traître Judas, pas acte d’une suprême humilité, et pour les disposer et rendre capable des grâces de l’un et de l’autre sacrifice.

Sainte Élisabeth imitant Jésus par dévotion à ses mystères, s’habillait pauvrement le Jeudi saint, et lavait dans son palais les pieds à douze pauvres, et quelquefois à douze lépreux, baisant leurs ulcères puants et infects avec beaucoup d’humilité, de tendresse et de charité; et par ces actions elle communiquait abondamment à l’esprit de Jésus-Christ son cher et divin époux.

«Hélas! Quelle est mon humilité et ma charité en comparaison de la sainte. Un. Les offices d’une charitable humilité qu’il me faut rendre aux rencontres à mes sœurs me répugne et m’emporte dans les inquiétudes et paroles indiscrètes. Deux. J’ai peu de vraie charité dans leurs besoins. Trois. J’ai grande peine à m’humilier et rendre service à celles qui m’ont fait quelque petit déplaisir.»

De la dévotion à la sainte communion. Exercice XXIV.

Jésus ayant institué par un excès d’amour le sacrement de son précieux corps, il s’en communia le premier avec une sainteté divine, pour sanctifier les communions de ses élus, et les disposer à vivre de sa vie d’amour et de sa vie divine, en laquelle ils entrent autant qu’ils sont purs et fervents.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, et s’unissant à sa pureté et sainteté, elle pratiquait purement et saintement la communion de son précieux corps par la fidélité continuelle d’une généreuse mortification et d’une très pure vertu. D’où l’histoire remarque qu’elle était si dévote se Saint-Sacrement, que l’adorant un jour en la sainte messe, son visage parut resplendissant et brillant, comme un beau soleil, remplissant toute l’église d’une très éclatante et agréable lumière, laquelle sans doute rejaillissait de sa sainte âme unie d’amour à Jésus son divin époux, opérant en elle par la vertu de sa présence. Ajoutez qu’un autre jour, lorsqu’en l’église le prêtre élevait la sainte hostie, elle tomba en un très haut ravissement, dans lequel les mystères du divin amour lui furent si pleinement communiqués qu’elle disait et avouait ne les pouvoir raconter.

«Hélas! Quelle est ma disposition à la communion de ce précieux corps, en comparaison de sainte Élisabeth. Un. Je suis très infidèle en toutes mes obligations. Deux. J’ai très peu de mortification et de vertu. Trois. Je travaille lâchement à la véritable pureté de mon âme pour faire un digne usage des grâces de Jésus qui est sacrifié pour moi au simple autel et en la croix.»

De la dévotion à la sainte passion. Exercice XXV.

Jésus pour satisfaire à la justice de Dieu son Père, et pour accomplir fidèlement ses décrets divins en la rédemption des pécheurs, il lui sacrifia sa vie en croix sur le Calvaire avec un amour autant incompréhensible qu’excessif.

Sainte Élisabeth imitant Jésus et embrassant amoureusement les arrêts de la justice divine, honorait d’un culte particulier le Vendredi saint, auquel notre rédempteur par le pur et digne sacrifice de sa mort lui avait abondamment et dignement satisfait. Elle passait, dit l’Histoire, ce saint jour s’habillant pauvrement et s’exerçant dans toutes les bonnes pratiques de pénitence et mortification, dans les larmes et les tendres ressentiments, des douloureuses souffrances des travaux et de la mort d’un Dieu, et enfin elle se consommait d’amour contemplant celui qui avait fait mourir Jésus très innocent en croix pour les pécheurs.

«Hélas! Quelle est ma dévotion envers la passion de Jésus en comparaison de notre sainte. Un. J’aime ma sensualité et je refuy les pratiques de pénitence. Deux. J’ai peu de sentiment du crucifiement de Jésus. Trois. Je ne pense pas à ma grasse religion et je ne considère pas combien j’ai coûté cher au Fils de Dieu, qui est mort sur le Calvaire en croix pour moi.»

De la haine du péché en la croix. Exercice XXVI.

Jésus avait une horreur extrême du péché, comme étant opposé directement à la sainteté de Dieu, d’où en sa Passion pour en faire une condigne [sic] justice, il voulut souffrir plusieurs agonies et même le terrible délaissement de son Père, mourant en croix pour nos péchés, comme l’objet de ces divines colères.

Sainte Élisabeth imitant Jésus haïssait le péché plus que l’enfer, et était si pure que la moindre imperfection la tourmentait beaucoup. D’où l’Histoire remarque qu’elle mérita de communiquer à cette peine et à son terrible délaissement, souffrant des peines intérieures de toutes sortes et inénarrables, qu’elle porta si purement, appréhendant un jour de n’être pas bien avec son divin époux, il lui témoigna le contraire par le transport miraculeux d’un arbre d’un côté de la rivière à l’autre.

«Hélas! Quelle est ma disposition envers le péché en comparaison de notre sainte Élisabeth. Un. J’ai peu d’horreur du péché. Deux. Je suis facilement la pente de mes inclinations et de mes passions… Je ne sens point en moi un vrai désir de faire justice à mon lieu de mes péchés par les bonnes et solides pratiques de pénitence.»

De la pauvreté des créatures. Exercice XXVII.

Jésus aimait chèrement la pauvreté des créatures, d’où il voulut ville naître vil et abject dans une étable et pratiquer une vie cachée, solitaire, et inconnue. Surtout, remarquez comme il voulut mourir en croix sur le Calvaire dans le délaissement de ses propres disciples.

Sainte Élisabeth communiquant à cet esprit de Jésus-Christ cherchait continuellement à s’appauvrir des créatures, et elle en supporta patiemment et avec joie les délaissements et les persécutions extrêmes, jusqu’à être refusée par ses propres sujets de tout logement et de toute assistance, et à être contrainte de se retirer en une pauvre étable à pourceaux, et à mendier sa vie.

«Hélas! Quelle est en ceci ma disposition en comparaison de la sainte. Un. Je ne puis souffrir le délaissement des créatures. : Je cherche leur secours et leur appui. Trois. Je suis porté à leur complaire.»

Du pur souhait de la mort. Exercice XXVIII.

Jésus en sa vie voyagèrent était comme dans une terre étrangère à l’égard de son âme bienheureuse. Car son lieu naturel était dans le ciel et le sein éternel de son Père, duquel il tirait sa vie divine, et auquel il la référait, d’où ensuite à tout moment il rendait par amour à ce saint retour, souhaitant ardemment l’accomplissement des divins décrets, et la consommation de l’offre de la rédemption, qu’il accomplît en croix sur le Calvaire mourant d’amour, et dans les ardents souhaits de son divin retour au sein du Père éternel.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, souhaita ardemment par pur amour la mort, pour s’abîmer en l’état béatifique dans la vie divine de son divin époux, ce que lui ayant accordée après une grande instance qu’elle lui en fît en son oraison, elle en fut comblée d’une joie incroyable, passant le peu de jours qui lui restaient dans l’occupation de Dieu seul, se préparant par la voie d’amour à mourir saintement en l’union de Jésus, en son amour, et par son amour.

«Hélas! Quelle est ma disposition en cela en comparaison de notre sainte. Un. Mon cœur est tout vide du pur amour, et presque insensible à ce saint exercice. Deux. Je vis comme n’ayant jamais à mourir, ne pensant point de la bonne sorte à mon éternité. Trois. Je suis toute pleine de la vie animale d’Adam et j’ai peu de disposition à mourir dans les actes d’amour divin, m’y exerçant si rarement pendant ma vie.

De la mort en la sainte Pauvreté. Exercice XXIX.

Jésus mourant en croix voulut mourir dans une très haute et suprême pauvreté, étant tout nu, couvert seulement de ses plaies sanglantes, et n’ayant aucune chose temporelle qui pût léguer à sa chère mère, et à ses chers amis, auxquels et à tous ses élus, en baissant sa bénite tête, il leur donna comme par testament d’amour son pur esprit et l’alliance de sa vie divine.

Sainte Élisabeth imitant Jésus, voulut étant religieuse mourir pauvre comme lui, disant qu’elle n’avait aucune disposition de bien temporel, et que depuis sa profession tout appartenait à Jésus-Christ et à ses pauvres, demandant instamment d’être enterrée dans sa pauvre tunique de religion. Et enfin pour obéir à son saint directeur et supérieur, elle donna quelques petites images de la Sainte Vierge à Sophie sa chère fille aînée.

“Hélas! Quelle est ma pauvreté en comparaison de notre Sainte Élisabeth. Un. Je recherche mes nécessités avec inquiétude. : J’aime les délices et l’abondance. Trois. Je ne tends pas à souffrir l’indigence et à mourir bien pauvre, et la plus pauvre des créatures.”

De la disposition à la mort. Exercice XXX.

Jésus étant en croix pour nos péchés, s’humiliait et s’anéantissait d’une manière ineffable devant son Père, comme portant toutes ses divines colères contre les pécheurs. De sorte que ce bon Sauveur mourut également dans l’anéantissement, dans la justice et dans l’amour.

Sainte Élisabeth communiquant à ce saint anéantissement de Jésus, se disposa au jugement particulier de sa mort avec l’esprit de craintes filiales et d’humilité, priant ses filles qu’on la laissât sans demander miséricorde à son Dieu pour ses péchés, et s’occuper dans les actes de pénitence et dans les larmes.

“Hélas! Quelle sera ma mort en comparaison de cette sainte. Un. Je suis toute pleine des ténèbres de mes péchés, et peu pénétrée du Jugement de mon éternité. : Je suis toute remplie d’orgueil et de superbe, au lieu de m’anéantir. Trois. Communiquant peu à l’esprit de Jésus, comme puis-je espérer en maman de communiquer à son divin amour.”

Du combat de la mort. Exercice XXXI.

Jésus voulant porter les tentations de ses élus pour leur communiquer sa vertu et sa force, il permit aux démons de le tenter non seulement dans le désert, mais encore, à ce qu’aucun ne croit pieusement en la Croix, dont l’ennemi de salut et de toute sainteté fut entièrement vaincu, et s’enfuit confus dans son enfer.

Sainte Élisabeth imitant Jésus remporta en sa vie plusieurs victoires du démon tentateur, et particulièrement en sa mort, en laquelle lui apparaissant, elle le chassa en enfer avec empire, étant muni de la force et vertu de Jésus-Christ.

“Hélas! Quel sera mon combat et qu’elle ma force en la mort, en comparaison de Sainte Élisabeth. Un. Ayant été très infidèle toute ma vie, j’ai peu de force de la grâce. Deux. Le démon, à raison de mes mauvaises habitudes, a de grandes entrées chez moi. Trois. Quelle force puis-je espérer de Jésus-Christ que j’aime peu, et à la sainteté duquel je suis opposée par ma vie tépide et négligente.”

De la mort sainte et glorieuse. Exercice XXXII.

Jésus ayant consommé le grand œuvre de notre rédemption monta au ciel, à la vue de sa chère mère et de ses chers apôtres et disciples, accompagné de la cour céleste et de la douce et mélodieuse musique de ses saints anges.

Sainte Élisabeth communiquant à cet état de Jésus, s’en alla au ciel, et trépassa en la compagnie de ses chères filles et religieuses dans la musique des saints anges, qui venaient conduire sa sainte âme à son divin l’époux.

“Hélas! Que puis-je espérer en ma mort en comparaison de Saint Élisabeth. Un. J’ai peu de bonnes œuvres. Deux. Je ne fais pas bons et purs usage des sacrements et des grâces Jésus-Christ. Trois. Je suis toute enveloppée dans ma chair et dans mes sens, et par conséquent je communique peu à la vie de l’esprit, qui nous dispose pour le ciel.”

De la glorieuse sépulture. Exercice XXXIII.

Jésus étant mort en croix dans le mépris des hommes et le délaissement de son Père, il rendit ensuite son sépulcre glorieux par sa très adorable et très admirable Résurrection.

Sainte Élisabeth communiquant à la grâce et à la gloire de Jésus, après avoir souffert intérieurement et extérieurement toutes sortes de peine dans la persécution et le mépris des hommes, elle mérita d’être honorée du ciel après sa mort en sa sépulture, tant par un concours incroyable du monde qu’il a publié sainte, comme par les miracles et signes prodigieux. D’où l’on raconte que même certains oiseaux miraculeux y assistèrent en quantité, se rangeant autour du corps et lui rendant toute sorte de respects.

» Hélas! Quelle sera ma sépulture en comparaison de celle de Sainte Élisabeth. Je ne la souhaite pas miraculeuse. Mais, hélas! Quelle en sera la bénédiction. Un. Vivant lâchement comme je fais, je mérite une mort de punition, et châtiments. Deux. Je suis indigne de la sépulture de la terre sainte. Trois. Mon corps ayant été toujours sensuel, charnel, ennemi de mon Dieu, et l’instrument de toutes sortes d’inclinations et passions criminelles, sera après la mort une charogne puante et infecte, et la pâture des vers.





Méditation abrégée par voie d’amour, de la très adorable Incarnation et bénite Naissance en notre chair du Verbe éternel.

I. (Page 329).

Considérez, que le grand Dieu qui est de soi éternel, infini, incompréhensible, tout-puissant, tout bon, tant beau, tout savant, et infiniment parfait, a pensé à vous de toute éternité, et vous a tellement aimé : un. Qu’il a décrété de se faire homme pour vous et par amour. Deux. Vous a prédestinés en cette future incarnation. Trois. C’est fait votre chef et de tous les prédestinés en cette sainte humanité.

Adorez en amour tous ces objets d’un amour infini qui vous regardent, confondez-vous de votre peu d’amour.

II.

Considérez qu’après la création des anges ceux qui adorèrent le Verbe éternel en sa future Incarnation avec amour ont été sauvés et confirmés en grâce par lui et par amour, et qu’ils l’adoreront à toute éternité, en même esprit et même vue d’amour. Considérez ensuite que les autres qui ne l’ont pas voulu adorer par esprit de superbe et de haine ont été damnés et le haïront éternellement dans le même esprit de superbe et de haine.

Unissez vos adorations d’amour à celles des saints anges en la vue d’une profonde humiliation de vous-même devant le Verbe incarné.

III.

Considérez, que non seulement les saints anges, après leur création adoraient en amour la future Incarnation du Verbe éternel : mais encore que depuis le commencement du monde jusqu’à l’effet d’icelle, tous les saints patriarches, prophètes, et toutes les saintes âmes l’ont adoré de la même sorte, et qu’elle a été par eux prophétisée par des lumières admirables, et souhaitées par des désirs très purs et très purement amoureux.

Souhaitez de connaître et d’aimer cette très adorable Incarnation de la sorte, et exercez-vous dans des actes semblables en l’union des leurs.

IV.

Considérez que la très adorable Trinité disposa la très Sainte Vierge Marie à la maternité de Dieu, par des infusions surnaturelles de pureté, de sainteté et d’amour admirable. Considérez en outre que saint Joseph fut aussi disposé très hautement au mariage de la Sainte Vierge et à la paternité putative très pure de ce petit enfant Dieu. Réjouissez-vous de ces bénites faveurs et remerciez en Dieu, souhaitez la maternité spirituelle de Dieu en votre âme et par esprit d’amour, c’est-à-dire que Dieu soit produit en vous dans le progrès d’une pure perfection.

V.

Considérez les circonstances amoureuses du premier moment de l’Incarnation. Un. La très adorable Trinité envoie par amour le saint archange Gabriel à la Sainte Vierge. Deux. Le dessein du Père éternel lui ayant été déclaré dans une vue d’une très profonde humiliation et abjection de soi-même, elle y consentit par acte d’amour. Trois. En cet acte elle fut sanctifiée d’une grâce inénarrable. Quatre. En cette sanctification le Saint-Esprit forma un petit corps de son très pur sang, sa très belle âme fut créée, et le Verbe éternel fut uni hypostatiquement en affinité d’amour à cette sainte humanité.

Adorez en amour tous ces ressorts inscrutables d’amour, remerciez Dieu de la faveur faite à la Sainte Vierge et à tous les pécheurs.

VI.

Considérez les secrets adorables et les infinités de ce moment. Un. Dieu est infiniment abaissé pour vous et par amour. Deux. L’homme est infiniment élevé étant fait Dieu pour vous et par amour. Trois. Une vierge est faite mère de Dieu. Quatre. L’homme Dieu adora Dieu purement et par un acte d’une dignité infinie, l’aima et le loua de la sorte. Cinq. Il vit en Dieu tout le grand ouvrage de notre rédemption, l’agréa et fit par acte d’amour une oblation de tous les prédestinés au Père éternel.

Admirez et adorez tous ces secrets d’amour, unissez-vous aux actes d’adoration et d’amour de la bénite âme de ce petit enfant Dieu.

VII.

Considérez, comme le temps se passa de la bénite âme de ce Dieu incarné depuis le premier moment de l’Incarnation jusqu’à celui de sa naissance. Un. En acte d’amour et d’adoration envers la divinité. Deux. En acte d’amour vers soi-même, la Sainte Vierge et tous les prédestinés. Trois. En actes de souffrance pour l’accomplissement de notre rédemption.

Adorez ce Dieu homme dans la vue de ces infinités d’amour, et essayez de lui réciproquer selon votre possible par acte de pur amour.

VIII.

Considérez, ce qui se passa durant ce temps en la sainte Vierge et Saint-Joseph. Un. Quelles furent leurs adorations et leurs actes d’amour vers ce saint enfant Dieu, adoré et aimé de tous les saints anges. Deux. Comme la Sainte Vierge en sa grossesse visite en l’esprit de charité sa cousine sainte Élisabeth prête d’accoucher. Trois. Comme le petit saint Jean fut sanctifié dans le ventre de sa mère et adora l’enfant Dieu. Quatre. La fiction et le dessein de saint Joseph de quitter la Sainte Vierge à raison de sa grossesse, laquelle souffrit le tout patiemment jusqu’à tant que le saint archange lui eût révélé la vérité du mystère. Cinq. Comme ensuite ces deux pures âmes s’entretenaient de ce saint enfant Dieu, l’adoraient en vérité et l’aimaient d’actes d’amour très purs et très ardents. Adorez et aimez cet enfant Dieu, en l’union de ces saintes âmes, et confondez-vous de votre peu de pureté et ferveur en ce saint exercice d’amour.

IX.

Considérez, ensuite du commandement de l’Empereur. Un. Comme la Sainte Vierge et Saint-Joseph s’en allèrent seuls de Nazareth en Bethléem dans une grande pauvreté, mendiant leur pauvre vie, étant tous consommés d’amour en la vue de la prochaine naissance en notre chair du Dieu d’amour leur béni enfant. Deux. Comme arrivant en Bethléem ils furent rebutés des hôtelleries pour leur pauvreté. Trois. Comme ils se retirèrent dans une grotte qui servait d’étable, et qui était toute proche de cette petite ville.

Aspirez à cette très haute pauvreté, et en l’union des pauvres Marie et Joseph, aimez le Prince des pauvres l’enfant Dieu.

X.

Considérez les circonstances du moment de la naissance de ce petit enfant Dieu. Un. La Sainte Vierge l’enfanta toute transportée d’amour envers sa divinité et sa sainte humanité. Deux. Il voulut naître en l’acte d’une très haute pauvreté, savoir est tout nu sur la terre nue. Trois. En ce moment cette sainte humanité fut bénie de la très adorable Trinité, et adorée des anges, et des saints Pères qui étaient au Limbes, comme aussi des saintes âmes qui étaient sur la terre, ainsi que l’on peut croire pieusement. Quatre. La Sainte Vierge et saint Joseph pieds nus et têtes nues, prosternés en une posture pauvre, humble et modeste, adorèrent et baisèrent ce cher enfant Dieu, gisant pauvre sur la terre nue. Cinq. La Sainte Vierge le leva entre ses bénites mains, et étant tout nu et pauvre par un acte d’amour inexplicable, en fit avec saint Joseph oblation d’amour à la très adorable Trinité. Six. Elle l’emmaillota et le coucha dans la crèche, où le bœuf et l’âne le réchauffèrent de leurs haleines.

Pratiquez des actes d’amour selon la différence de ces vues d’amour, et aspirez à cette sainte pauvreté.

XI.

Considérez, comme au moment de cette naissance. Un. Cet enfant Dieu adora hautement la très adorable Trinité. Deux. Les saints bergers et ensuite les saints Rois le vinrent adorer. Trois. Comme la Sainte Vierge et saint Joseph s’occupaient envers lui tant à le nourrir qu’a l’adorer et l’aimer. Quatre. Comme la Sainte Vierge le circoncit dans cette grotte. Cinq. Comme à raison de la persécution d’Hérode, elle le porta dans une autre grotte profonde, où elle passa quelque temps avec saint Joseph en une grande pauvreté.

Exercez-vous ès actes d’amour, conformes à ces différents états, et souhaitez la réelle pratique de cette sublime pauvreté de la famille du bon Jésus.

XII.

Considérez, en la sainte humanité de ce divin enfant, communication, non seulement de la personne divine du Verbe éternel; mais encore par elle celle de la divine Essence, et des deux autres divines personnes, le Père éternel et le Saint-Esprit. Comme aussi de toutes les divines perfections, étant vrai de dire que l’homme est Dieu, et tout ce qui est Dieu. Considérez enfin que cet enfant Dieu est notre souverain, ayant tout pouvoir et tout droit sur nous, et qu’il nous a associés à son éternité, dans laquelle il nous fera un particulier objet de béatitude éternelle.

Réjouissez-vous de cette communication faite à la sainte humanité, remerciez-en Dieu, et aspirez à l’union éternelle avec elle, à laquelle il vous a destiné pour toute éternité.

Remarque notable pour s’exciter à la dévotion de l’Incarnation et Naissance de l’enfant Dieu.

Le saint abbé Louis de Blois en son Paradis de l’âme chapitre vingt, dit que la méditation de tout ce qui s’est passé en l’Incarnation et naissance de l’enfant Dieu, fait un bien inconcevable dans les âmes, il y a plus, il assure que la simple lecture de la chose leur communique amour, vertu, et bénédiction.

Deux. Saint-François-d’Assise était extrêmement dévot de ce saint mystère, et enseignait à ses religieux, que cette dévotion était fort efficace pour faire progrès en l’amour divin, et les exhortait de s’y adonner, particulièrement il se préparait à bien faire la fête de Noël deux mois auparavant en jeûnes, veilles, oraisons, mortifications et pratique des vertus; il y a plus, il a fait quelquefois dire la sainte messe en ce saint jour en un lieu disposé en forme d’étable, avec la représentation du saint mystère où il faisait le diacre et prêchait les peuples, nommant toujours le petit Jésus, l’enfant de Bethléem, avec un si grand ressentiment d’amour, que cela est inexplicable, et l’on remarque que la paille et le foin qui avait servi à la cérémonie faisaient plusieurs miracles. L’histoire de l’Ordre ajoute, qu’un jour entendant lire au réfectoire que l’enfant Dieu était né pauvre sur la terre nue, il se leva de table, et s’étant assis à terre il mangea son pain avec beaucoup de larmes; disant qu’il ne pouvait souffrir de se voir pauvre pécheur assis et l’enfant Dieu gisant à terre.

Trois. Saint-Pierre d’Alcantara passait l’Avent en une très pure et très fervente dévotion envers l’enfant Dieu, pratiquant plusieurs austérités, actes de mortifications et de vertu, particulièrement de pauvreté et d’humilité en son honneur; et l’histoire remarque que ce saint en une veille de Noël entendant chanter «Et Verbum caro factum est», s’écria tout transporté d’amour : hélas! Un Dieu se fait homme pour moi et par amour et je ne puis mourir d’amour, et ensuite étant tombé en extase, il vola en l’air comme un aigle, puis s’en alla devant le Saint-Sacrement, où il demeura longtemps suspendu dans cet état.

Quatre. Louis de Grenade rapporte que la sainte dame Marguerite du Château, de l’ordre de Saint-Dominique, fut favorisée de grandes grâces du ciel, pour avoir été extrêmement dévote à la sainte Incarnation et Naissance de l’enfant Dieu, d’où arriva qu’après sa mort l’on trouva en son cœur une pierre précieuse, sur laquelle l’on voit la Sainte Vierge qui adore en l’étable l’enfant Dieu gisant à terre.

Cinq. Un serviteur de Dieu disait que l’on faisait un très grand progrès au pur amour de la Divinité et de la sainte humanité, honorant ce saint mystère par les pratiques suivantes. Un. Jeûnant le saint Avent et faisant quelques autres austérités avec obéissance et discrétion. Deux. S’exerçant dans une grande pureté de conscience. Trois. Communiant disant la messe ou la faisant dire en dans cette vue. Quatre. Pratiquant quelques petites humiliations, prosternations, et baisement de terre devant une image de ce saint mystère.

Cinq. Offrant tous les soirs à l’enfant Dieu un beau grand nombre d’actes de vertu que l’on aurait exercés en la journée, proposant de faire encore mieux le lendemain, remarquez ici que la pauvreté, l’humilité, la pureté et le pur amour sont les vertus de ce saint mystère : c’est pourquoi faites-en les actes extérieurs qui vous seront possibles, et surtout ne manquez pas d’en faire plusieurs intérieurs, par bons désirs et souhaits, comme feraient des nécessités de la sainte pauvreté, des abjections, de l’humilité, des fidélités, de la pureté, et de pouvoir mourir de pur amour pour reconnaître et honorer le Dieu d’amour, qui s’est fait homme pour nous et par amour.

Six. Faisant tous les jours durant le saint Avent, une ou demi-heure d’oraison sur ce sujet. Sept. Lisant avec attention tout ce qui s’est passé ès très sainte Incarnation et Naissance de cet enfant Dieu. Huit. Lisant les trois Évangiles que l’on dit ès messes de ce saint jour avec celui de la veille. Neuf. Offrant au Père éternel plusieurs fois le jour l’enfant Dieu, en l’union des oblations que lui en faisaient la Sainte Vierge et saint Joseph, et même en l’union de la très adorable oblation que ce bénit enfant Dieu faisait de soi-même à la très Sainte Trinité. Mon seigneur et mon Dieu s’est fait homme pour moi et par amour, hélas! Quand l’aimerai-je de pur amour. Fin.

Approbation des théologiens de l’ordre.

Nous soussignés lecteurs en théologie, ayant lu et examiné par commission de notre très révérend Père Provincial divers petit traités méditatifs et spirituels du feu révérend père Chrysostome de Saint-Lô, nous n’y avons rien trouvé de contraire à la foi, et aux bonnes mœurs, mais plutôt qu’ils sont remplis de l’esprit de Dieu, et de cette singulière piété que nous avons toujours reconnu dans l’auteur pendant sa vie, et honoré après sa mort. C’est le témoignage que nous rendons à sa vertu et à ses écrits. À Paris en notre couvent de Nazareth proche le Temple, l’an 1650, le 28 de juillet jour de Sainte Anne mère de la Mère de Dieu.

Frère Martial du Mans, pénitent, et frère Chérubin du Pont de l’Arche, pénitent.



Permission du très révérend Père provincial.

Vu par nous Soussigné Provincial du Tiers ordre de Saint-François de la province de Saint Yves en France, divers petits traités méditatifs et spirituels du feu révérend Père Chrysostome de Saint-Lô, ci-devant Provincial de notre dite Province, ensemble les approbations de deux pères théologiens de notredit Ordre et Province et de deux docteurs de Sorbonne, et considéré l’édification et utilité spirituelle que plusieurs bonnes âmes en pourront retirer. Nous permettons à Mathieu Colombel, imprimeur et libraire à Paris d’imprimer, vendre et distribuer lesdits traités, en vertu du Privilège général, qu’il a plu au Roi concéder par les Lettres Patentes données à Paris le 15 décembre 1646. Fait en notre couvent de Nazareth à Paris près le Temple, ce 22 août 1650.

Frère Oronce de Honnefleur, Ministre Provincial.



Approbations des Docteurs.

Nous soussigné Docteurs en Théologie de la Faculté de Paris, certifions avoir vu, certains petits Traités Méditatifs composés par le révérend Père Chrysostome de Saint-Lô, religieux pénitent, auxquels n’avons rien trouvé contraire à la religion catholique, apostolique et romaine, mais fort propres et utiles aux grandes âmes pour s’exciter à la sublimité de la dévotion qui est la Méditation et vie contemplative. En témoin de quoi nous avons ici mine nos seings manuels ce dernier novembre 1649.

A. De Machy.

Frère Jacques Louvet, Régent en Théologie et prédicateur ordinaire de Sa Majesté.



Privilège du Roi.

Louis par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre [...] Et scellé du grand sceau de cire jaune.



Transport du dit Privilège

Ledit Révérends Père Provincial a choisi Mathieu Colombel, marchant imprimeur et libraire à Paris, pour imprimer les quatre traités qui ensuivent. C’est à savoir, le premier du Temps, de la Mort et de l’Éternité. Le second, de la Désoccupation des Créatures. Le troisième, des dix Journées des motifs de l’Amour Divin. Et le quatrième, Exercice Méditatif sur la vie de sainte Élisabeth. Composé par le susdit feu R. P. Chrysostome, auquel il a cédé et transporté le privilège contenu ci-dessus pour en jouir pour lesdits quatre traités pendant le temps porté par ledit Privilège suivant l’accord fait entre eux, le 24e jour de décembre, l’an du jubilé 1650.







Deux directions



Présentation de Monsieur de Bernières et de Mère Mectilde

Le Père Chrysostome a récolté une belle moisson : autour de lui s’est formée une communauté d’«âmes intérieures», dont les deux plus célèbres furent Mère Mectilde, fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, et Monsieur de Bernières, dont la figure rayonna sur les familiers de l’Ermitage.

Je reprends leurs initiations mystiques telles qu’elles vont paraître prochainement dans deux volumes consacrés à ces disciples «de notre Père Chrysostome».

Monsieur de Bernières précède chronologiquement et spirituellement Mère Mectilde dont il assurera la direction mystique après le décès du Père. Il apparaît ici en premier par la reprise du «Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur...», la seconde moitié de la deuxième partie des «Divers exercices de piété et de perfection», œuvre de Chrysostome reproduite intégralement plus haut. Le «doublon» se présente ici un peu différemment, en cohérence avec l’édition d’une Correspondance de Bernières dont il constitue l’«ouverture».

Les écrits de Mère Mectilde furent fidèlement préservés par ses «filles» bénédictines du Saint-Sacrement. Ils fournissent la seconde initiation, ici reproduite selon l’édition à paraître de ses «Amitiés mystiques».

Auprès de dirigés devenus à leur tour directeurs, femmes et hommes s’agrégèrent, formant deux branches d’une «école» mystique marquée par l’esprit franciscain.









L’initiation de Bernières43

Une correspondance ignorée entre Chrysostome et Bernières est imprimée à la fin de l’ouvrage édité à Caen sous le nom de «Divers exercices de piété et de perfection 44.» Elle couvre la dernière moitié de la seconde partie de l’ouvrage intitulée «Diversités spirituelles». Ces lettres non datées ont échappé à l’attention, car un Bernières discret se fait précéder par d’autres dirigé (e) s sans que son nom apparaisse 45 et une nouvelle pagination est adoptée.

C’est un document extraordinaire qui livre l’intimité des rapports entre les deux mystiques. Aussi D. Tronc l’édite ici en un sous-ensemble précédant le grand corpus chronologique des lettres et maximes 46. On notera la netteté avec laquelle Chrysostome sait répondre aux questions de Bernières qui sont toujours proches des nôtres. Elles sont le plus souvent très concrètes (que faire de nos biens?) et hors de toute considération théorique.

Bernières n’a pas encore atteint à cette date une pleine maturité intérieure. Il va rapidement surmonter ses hésitations et des scrupules, et sera en cela vivement mené et encouragé par «notre bon Père Chrysostome». Voici ce dialogue de lettres dont les pièces sont numérotées; nous ajoutons l’incipit entre guillemets, les titres d’origine étant divers et imprécis.





Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur [reprise]

Autres avis de conduite à diverses personnes. Tant sur l’oraison et contemplation, que sur les pratiques des plus pures vertus chrétiennes, selon l’esprit et la grâce de la perfection évangélique.

1. Lettre. «J’ai lu et considéré la vôtre…»

M., Jésus Maria. J’ai lu et considéré la vôtre, dont je vous remercie très humblement, car l’honneur de votre souvenir m’est très cher. Quant aux choses de votre âme, dont il vous a plu m’écrire; voici mon petit sentiment que je soumets à votre meilleur jugement. 78 47.

1. Cette vocation à l’oraison vous oblige à une grande pureté d’âme et de vertu, car c’est la raison que le lieu où le Dieu tout saint veut reposer, et opérer, soit aussi bien pur, ou tendant à la pureté de perfection sans retenue.

2. Cette vue simple et générale de l’immensité Divine, avec la jouissance de votre volonté, est une parfaite contemplation, et qui selon que vous écrivez, paraît purement passive. Prenez garde si dans ce temps votre volonté est opérante, soit par admiration de l’entendement auquel elle se conjoint, soit par amour, par adoration, ou par quelque autre affection; il n’importe, pourvu qu’il se fasse quelque opération. Ce n’est pas que l’âme ne se trouve quelquefois en cet état, sans pouvoir discerner si elle a opéré, tant elle est passive, et Dieu opère puissamment en elle; il semble en ce que vous écrivez, que vos puissances soient en ce temps passivement en admiration, et en amour 79 dans les coopérations fort simples, et tout cela est fort bon.

3. Vous avez raison de dire que s’abîmer dans Dieu, est autre chose que de s’unir à Dieu, et que vous le sentez ainsi. Sur quoi je vous dirai que selon que vous écrivez, il y a toujours union, mais à raison de l’abondance, votre âme semble passer en une déiformité; et vous connaîtrez mieux cela dans l’expérience, que je ne vous le saurais expliquer avec la science des livres.

4. Dans l’occasion de vos faiblesses, vous vous défendez, vous abîmant dans l’immensité, sans pratiquer un acte formel de vertu, contraire à l’imperfection? À quoi je réponds, que cela se peut, et fort bien; néanmoins il est bon ensuite dans la force de l’âme, de pratiquer tels actes formels de vertu, semblables en quelque façon à celles que vous avez omis, à raison que la perfection consiste en la vertu, et que l’âme y fait progrès par ces pratiques, beaucoup plus que par la pratique 80 susdite.

5. Vous vous étonnez de vos faiblesses au milieu de tant de faveurs; demeurez pacifique dans cette vue, aimant bien fort l’abjection qui vous en provient; ensuite humiliez-vous, puis prenez à tâche de pratiquer les vertus contraires à vos défauts, et laissez votre perfection entre les mains du bon Dieu, qui manifestement vous chérit et demeure en vous.

Courage Monsieur, votre voie est très bonne; souvenez-vous de moi pauvre pécheur, environné et chargé de beaucoup d’affaires, etc.

2. Autres avis au même. «J’ai lu et considéré vos articles…»

M. J’ai lu et considéré vos articles, assurément toutes ces lumières de la beauté d’abjection, tant en Jésus 81 qu’en l’âme du parfait, sont surnaturelles, c’est-à-dire passives, et de la grâce d’oraison. Je vous crois appelé d’une manière particulière, à honorer Jésus-Christ dans ses humiliations, dont la beauté qui vous pénètre, marque une consommation de l’amour de Jésus dans votre âme. Il est bon de cultiver cette vue de la beauté d’abjection, tantôt par la méditation, et tantôt par œuvres.

La vue par laquelle l’âme voit la voie d’abjection et de souffrance, incomparablement plus belle, que celle de douceur et d’amour, est purement surnaturelle, et marque que l’âme passe en un état bien plus parfait, que celui dans lequel elle était auparavant.

Il me semble que votre trait vous attire présentement beaucoup à la Passion, qui est la très inscrutable Abjection de Jésus. Je suis en lui, etc. 82

3. à 14. Voir l’édition supra du «Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur...», seconde moitié de la deuxième partie des «Divers exercices de piété et de perfection», œuvre de Chrysostome.

15. Autres propositions et réponses sur l’oraison, etc.

[I.] M. Proposition. Comment doit-on conseiller les âmes sur la passiveté d’oraison; les y faut-il porter, et quand faut-il qu’elles y entrent, et qu’elles en sont les dangers? 132

Réponse. Ordinairement le spirituel ne doit pas prévenir la passiveté. Je dis ordinairement, d’autant que s’il travaille fortement, il pourrait demeurer quelque peu de temps sans agir, s’exposant à la grâce et à la lumière, et éprouver de fois à autre si telle pauvreté lui réussit.

Benoît de Canfeld en son Traité de la volonté Divine est de cet avis. Je crois néanmoins que celui qui s’en servira doit être discret et fidèle. 2. Le spirituel lâche qui s’expose indiscrètement à la lumière passive, se répand dans l’oisiveté, et dans la distraction, et quelquefois s’il est faible de cerveau, il s’expose à l’illusion.

II. Proposition. J’ai su de vous quelque chose touchant les communions fréquentes, ce qui me fait vous demander comment on s’y doit disposer en esprit d’oraison, lorsqu’on a des affaires.

Réponse. Le spirituel ayant des affaires, s’il en est désoccupé dans l’affection, et qu’il les conduise par principe de vue de Dieu, il se doit contenter 133 du peu de temps que la Divine Providence lui donne. 2. Plusieurs se flattent dans les affaires, et ne tendent pas assez fidèlement à ménager du temps pour l’intérieur. 3. La communion indévote contriste Jésus-Christ.

III. Proposition. Comment peut-on faire suivre l’idée opérante de son oraison dans l’occupation du prochain?

Réponse. Cela doit être différent selon les diverses dispositions naturelles, et surnaturelles des âmes, lesquelles doivent suivre pour présence de Dieu, ce qui paraît plus propre en leur état, sans s’attacher à l’objet de leur oraison. L’âme sera en un temps pénétrée d’une vérité ou objet, et en un autre temps d’une autre vérité et d’un autre objet, en cela il faut observer la liberté d’esprit. L’on peut donc garder l’idée opérante de l’oraison, dans quelques sentiments faciles, et dans les résolutions; si l’objet de l’oraison vous presse de sa lumière, suivez-le, et faites usage d’amour avec discrétion. 134

16. Autre lettre du Père, dirigeant quelque âme à une haute perfection.

M. Jésus soit notre lumière. Les grâces des âmes, et la vocation à la sainte perfection sont très différentes; il importe extrêmement au spirituel de bien examiner à quel état et à quel degré sa grâce paraît; le conduire autrement n’étant pas passif à la conduite Divine, il avance très peu, et demeure dans un centre qui n’est pas conforme au dessein de Dieu. Il faut que le feu se retire à sa sphère, l’air à la sienne, et la terre et l’eau à la leur. Et si le feu voulait se loger dans le centre de la terre, ce serait un désordre répugnant au dessein de la Divinité. Ainsi en va-t-il du spirituel, car s’il paraît par sa grâce être destiné à rendre et demeurer dans un centre élevé de perfection, il fait contre le 135 dessein de Dieu de s’arrêter dans celui qui est bas, terrestre et imparfait.

Je vous ai toujours dit que vous n’étiez pas dans le centre de votre grâce, et de votre perfection, et que votre vocation vous appelait à un état beaucoup plus pur et parfait. Votre grâce va principalement à la contemplation, à laquelle pour soulager votre corps, vous pourrez joindre un peu d’action.

2.48 La grâce vous appelle à la parfaite et pure conformité des différents états et dispositions de Jésus-Christ, et j’ai reconnu cela très clairement, tant par vos dispositions précédentes, que par celles que vous m’avez communiquées depuis peu encore.

Pour donc correspondre parfaitement à la conduite Divine, mon avis serait que vous entrassiez dans l’exécution des propositions que vous m’avez faites; mais il faut que cela se fasse d’une manière bien pure, et conforme aux dispositions de Jésus 136 Christ, et cela est très facile à faire; et je crois que vous n’aurez aucun repos que vous n’en usiez de la sorte, parce que vous ne seriez pas dans le centre de votre grâce.

Comme donc j’ai bien étudié votre grâce, et vos dispositions, je vous dis assurément que Dieu tout bon vous veut pauvre Evangélique, en la manière qui vous a déjà été prescrite; vous devez y tendre et travailler; et cependant souvenez-vous que le diable est bien rusé pour empêcher la pureté de perfection d’une âme.

Adieu cher Frère. Voici le temps d’aimer du pur amour, ne tardez plus. Ce pur Amour ne se peut trouver que dans le cœur évangélique très pauvre sans réserve.

Dieu. Jésus. Marie. Amour. Croix. Pureté. Amen49.





L’initiation de Mectilde50

Mectilde, âgée de vingt-huit ans et demi est depuis dix mois réfugiée en Normandie. Elle a rencontré en juin 1643 Chrysostome par l’intermédiaire de Jean de Bernières, l’un de ses dirigés qui a déjà pris soin d’elle sur le plan matériel et que nous rencontrerons plus tard comme directeur mystique 51 :

Monsieur, mon très cher Frère,

Béni soit Celui qui par un effet de son amoureuse Providence m’a donné votre connaissance pour, par votre moyen avoir le cher bonheur de conférer de mon chétif état au saint personnage que vous m’avez fait connaître.

J’ai eu l’honneur de le voir et de lui parler environ une heure. En ce peu de temps, je lui ai donné connaissance de ma vie passée, de ma vocation et de quelque affliction que Notre-Seigneur m’envoya quelque temps après ma profession. Il m’a donné autant de consolation, autant de courage en ma voie et autant de satisfaction en l’état où Dieu me tient que j’en peux désirer en terre. O que cet homme est angélique et divinisé par les singuliers effets d’une grâce très intime que Dieu verse en lui! Je voudrais être auprès de vous pour en parler à mon aise et admirer avec vous les opérations de Dieu sur les âmes choisies. O que Dieu est admirable en toutes choses! Mais je l’admire surtout en ces âmes-là.

Il m’a promis de prendre grand intérêt à ma conduite. Je lui ai fait voir quelques lettres que l’on m’a écrites sur ma disposition. Il m’a dit qu’elles n’ont nul rapport à l’état où je suis et que peu de personnes avaient la grâce de conduite, ce que je remarque par expérience.

Entre autres choses qu’il m’a dites, et qu’il m’a assurée, c’est que j’étais fort bien dans ma captivité, que je n’eusse point de crainte que Dieu voulût que je sois à lui d’une manière très singulière et que bientôt je serai sur la croix de maladies et d’autres peines. Il faut une grande fidélité pour Dieu.

Je vous dis ces choses dans la confiance que vous m’avez donnée pour vous exciter de bien prier Dieu pour moi. Recommandez-moi, je vous supplie, à notre bonne Mère Supérieure [Jourdaine, sœur de Jean de Bernières] et à tous les fidèles serviteurs et servantes de Dieu que vous connaissez. Si vous savez quelques nouvelles de la sainte créature que vous savez [Marie des Vallées], je vous supplie de m’en dire quelque chose. [...]

On sent que la jeune femme est nature dans sa relation, alternant compte-rendus, exclamations, incertitude présente quant à sa «carrière». Cela changera en passant de la dirigée à la directrice! Pour l’instant la jeune Mectilde a besoin d’être assurée en ce début de la voie mystique.

Le Père Chrysostome apportera donc point par point ses réponses aux questions que se pose la jeune dirigée. Elle lui demande conseil sur son expérience profonde et ardente. Chrysostome lui répond de façon très détachée et froide de façon à ne susciter chez cette femme passionnée ni attachement ni émotion sensible; afin que son destin extraordinaire soit mené jusqu’au bout, il ne manifeste pratiquement pas d’approbation, car il veut la pousser vers la rigueur et l’humilité la plus profonde. La relation faite à son confesseur est rédigée à la troisième personne! – du moins dans ce qui nous est parvenu52.

Premier texte : Relation au Père Chrysostome avec réponses, juillet 1643.

1re Proposition : Cette personne [Mectilde] eut dès sa plus tendre jeunesse le plus vif désir d’être religieuse; plus elle croissait en âge, plus ce désir prenait de l’accroissement. Bientôt il devint si violent qu’elle en tomba dangereusement malade. Elle souffrait son mal sans oser en découvrir la cause; ce désir l’occupait tellement qu’elle épuisait en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui était pas possible de s’en distraire ni de prendre part à aucune sorte d’amusement. Elle était quelquefois obligée de se trouver dans différentes assemblées de personnes de son âge, mais elle y était de corps sans pouvoir y fixer son esprit. Si elle voulait se faire violence pour faire à peu près comme les autres, le désir qui dominait son cœur l’emportait bientôt et prenait un tel ascendant sur ses sens mêmes qu’elle restait insensible et comme immobile en sorte qu’elle était contrainte de se retirer pour se livrer en liberté au mouvement qui la maîtrisait. Ce qui la désolait surtout, c’était la résistance de son père que rien ne pouvait engager à entendre parler seulement de son dessein. Il faut avouer cependant que cette âme encore vide de vertus n’aspirait et ne tendait à Dieu que par la violence du désir qu’elle avait d’être religieuse sans concevoir encore l’excellence de cet état.

Réponse : En premier lieu, il me semble que la disposition naturelle de cette âme peut être regardée comme bonne.

2. Je dirai que dans cette vocation, je vois beaucoup de Dieu, mais aussi beaucoup de la nature : cette lumière qui pénétrait son entendement venait de Dieu; tout le reste, ce trouble, cette inquiétude, cette agitation qui suivaient étaient l’œuvre de la nature. Mais, quoi qu’il en soit, mon avis est, pour le présent, que le souvenir de cette vocation oblige cette âme à aimer et à servir Dieu avec une pureté toute singulière, car dans tout cela il paraît sensiblement un amour particulier de Dieu pour elle.

2e Proposition : cette âme, dans l’ardeur de la soif qui la dévorait ne se donnait pas le temps de la réflexion; elle ne s’arrêta point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être religieuse, rien de plus; aussi tout Ordre lui était indifférent, n’ayant d’autre crainte que de manquer ce qu’elle désirait : la solitude et le repos étant tout ce qu’elle souhaitait.

Réponse : 1. Ces opérations proviennent de l’amour qui naissait dans cette âme, lesquelles étaient imparfaites, à raison que l’âme était beaucoup enveloppée de l’esprit de nature. 2. Nous voyons de certaines personnes qui ont la nature disposée de telle manière qu’il semble qu’au premier rayon de la grâce, elles courent après l’objet surnaturel : celle-ci me semble de ce nombre. Combien que par sa faute il se soit fait interruption en ce qu’elle s’éloignait53 de Dieu.

Le dialogue se poursuit et se terminera sur une 19e proposition : le père Chrysostome est patient!

[...]

17e Proposition54 : Elle entrait dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus souvent adorer son Dieu, ni parler à Sa Majesté. Il lui semblait qu’Il se retirait au fond de son cœur ou pour le moins en un lieu caché en son entendement et à son imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui a perdu son tout; elle cherche et ne trouve pas; la foi lui dit qu’il est entré dans le centre de son âme, elle s’efforce de lui aller adorer, mais toutes ses inventions sont vaines, car les portes sont tellement fermées et toutes les avenues, que ce lieu est inaccessible, du moins il lui semblait; et lorsqu’elle était en liberté elle adorait sa divine retraite, et souffrait ses sensibles privations, néanmoins son cœur s’attristait quelquefois de se voir toujours privé de sa divine présence, pensant que c’était un effet de sa réprobation.

D’autre fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu’elle a mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s’accomplisse en elle selon qu’il plaira à Sa Majesté.

Réponse : Il n’y a rien que de bon en toutes ses peines, il les faut supporter patiemment et s’abandonner à la conduite de Dieu. Ajoutez que ces peines et les autres lui sont données pour la conduire à la pureté de perfection à laquelle elle est appelée et de laquelle elle est encore bien éloignée. Elle y arrivera par le travail de mortification et de vertu.

18e Proposition : Son oraison n’était guère qu’une soumission et abandon, et son désir était d’être toute à Dieu, que Dieu fût tout pour elle, et en un mot qu’elle fût toute perdue en Lui; tout ceci sans sentiment. J’ai déjà dit qu’en considérant elle demeure muette, comme si on lui garrottait les puissances de l’âme ou qu’on l’abîmât dans un cachot ténébreux. Elle souffrait des gênes et des peines d’esprit très grandes, ne pouvant les exprimer ni dire de quel genre elles sont. Elle les souffrait par abandon à Dieu et par soumission à sa divine justice.

Réponse : J’ai considéré dans cet écrit les peines intérieures. Je prévois qu’elles continueront pour la purgation et sanctification de cette âme, étant vrai que pour l’ordinaire, le spirituel ne fait progrès en son oraison que par rapport à sa pureté intérieure, sur quoi elle remarquera qu’elle ne doit pas souhaiter d’en être délivrée, mais plutôt qu’elle doit remercier Dieu qui la purifie. Cette âme a été, et pourra être tourmentée de tentations de la foi, d’aversion de Dieu, de blasphèmes et d’une agitation furieuse de toutes sortes de passions, de captivité, d’amour. Sur le premier genre de peine, elle saura qu’il n’y a rien à craindre, que telles peines est un beau signe, savoir de purgation intérieure, que c’est le diable, qui avec la permission de Dieu, la tourmente comme Job. Je dis plus qu’elle doit s’assurer que tant s’en faut que dans telles tempêtes l’âme soit altérée en sa pureté, qu’au contraire, elle y avance extrêmement, pourvu qu’avec résignation, patience, humilité et confiance elle se soumette entièrement et sans réserve à cette conduite de Dieu.

Sur ce qui est de la captivité dont elle parle en son écrit, je prévois qu’elle pourra être sujette à trois sortes de captivités : à savoir, à celle de l’imagination et l’intellect et à la composée de l’une et de l’autre. Sur quoi je remarque qu’encore que la nature contribue beaucoup à celle de l’imagination et à la composée par rapport aux fantômes ou espèces en la partie intellectuelle, néanmoins ordinairement le diable y est mêlé avec la permission de Dieu, pour tourmenter l’âme, comme dans le premier genre de peines; en quoi elle n’a rien à faire qu’à souffrir patiemment par une pure soumission à la conduite divine; ce que faisant elle fera un très grand progrès de pureté intérieure.

Quant à l’intellectuelle, elle saura que Dieu seul lie la partie intellectuelle, ce qui se fait ordinairement par une suspension d’opérations, exemple : l’entendement, entendre, la volonté, aimer, si ce n’est que Dieu concoure à ses opérations; d’où arrive que suspendant ce concours, les facultés intellectuelles demeurent liées et captives, c’est-à-dire, elles ne peuvent opérer; en quoi il faut que l’âme se soumette comme dessus55 à la conduite de Dieu sans se tourmenter. Sur quoi elle saura que toutes les peines de captivité sont ordinairement données à l’âme pour purger la propriété de ses opérations, et la disposer à la passivité de la contemplation. Sur le troisième genre de peines d’amour divin, il y en a de plusieurs sortes, selon que Dieu opère en l’âme, et selon que l’âme est active ou passive à l’amour, sur quoi je crois qu’il suffira présentement que cette bonne âme sache :

1. Que l’amour intellectuel refluant en l’appétit sensitif cause telles peines qui diminuent ordinairement à proportion que la faculté intellectuelle, par union avec Dieu, est plus séparée en son opération de la partie inférieure.

2. Quand l’amour réside en la partie intellectuelle, ainsi que je viens de dire, il est rare qu’il tourmente; cela se peut néanmoins faire, mais je tiens qu’il y a apparence que, pour l’ordinaire, tout ce tourment vient du reflux de l’opération de l’amour de la volonté supérieure à l’inférieure, ou appétit sensitif.

3. Quelquefois par principe d’amour l’âme est tourmentée de souhaits de mort, de solitude, de voir Dieu et de langueur; sur quoi cette âme saura que la nature se mêlant de toutes ces opérations, le spirituel doit être bien réglé pour ne point commettre d’imperfections; d’où je conseille à cette âme :

1. d’être soumise ainsi que dessus à la conduite de Dieu;

2. de renoncer de fois à autre à tout ce qui est imparfait en elle au fait d’aimer Dieu;

3. elle doit demander à Dieu que son amour devienne pur et intellectuel;

4. si l’opération d’amour divin diminue beaucoup les forces corporelles, elle doit se divertir et appliquer aux œuvres extérieures; que si ne coopérer en se divertissant, l’amour la suit [la poursuit], il en faut souffrir patiemment l’opération et s’abandonner à Dieu, d’autant que la résistance en ce cas est plus préjudiciable et fait plus souffrir le corps que l’opération même. Je prévois que ce corps souffrira des maladies, d’autant que l’âme étant affective, l’opération d’amour divin refluera en l’appétit sensitif, elle aggravera le cœur et consommera beaucoup d’esprit, dont il faudra avertir les médecins. J’espère néanmoins qu’enfin l’âme se purifiant, cet amour résidera davantage en la partie intellectuelle, dont le corps sera soulagé. Quant à la nourriture et à son dormir, c’est à elle d’être fort discrète, comme aussi en toutes les austérités, car si elle est travaillée de peines intérieures ou d’opérations d’amour divin, elle aura besoin de soulager d’ailleurs son corps, se soumettant en cela en toute simplicité à la direction. Sur le sujet de la contemplation, je prévois qu’il sera nécessaire qu’elle soit tantôt passive simple, même laissant opérer Dieu, et quelquefois active et passive; c’est-à-dire, quand à son oraison la passivité cessera, il faut qu’elle supplée par l’action de son entendement.

Ayant considéré l’écrit, je conseille à cette âme :

1. De ne mettre pas tout le fond de sa perfection sur la seule oraison, mais plutôt sur la tendance à la pure mortification.

2. De n’aller pas à l’oraison sans objet. À cet effet je suis d’avis qu’elle prépare des vérités universelles de la divinité de Jésus-Christ, comme serait : Dieu est tout-puissant et peut créer à l’infini des millions de mondes, et même à l’infini plus parfaits; Jésus a été flagellé de cinq milles et tant de coups de fouet ignominieusement, ce qu’Il a supporté par amour pour faire justice de mes péchés.

3. Que si portant son objet et à l’oraison elle est surprise d’une autre opération divine passive, alors elle se laissera aller. Voilà mon avis sur son oraison : qu’elle souffre patiemment ses peines qui proviennent principalement de quelque captivité de faculté. Qu’elle ne se décourage point pour ses ténèbres; quand elle les souffrira patiemment, elles lui serviront plus que les lumières.

19e Proposition : Il semble qu’elle aurait une joie sensible si on lui disait qu’elle mourrait bientôt; la vie présente lui est insupportable, voyant qu’elle l’emploie mal au service de Dieu et combien elle est loin de sa sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en elle assez ordinairement, à savoir : langueur, ténèbres et captivité.

Réponse : Voilà des marques de l’amour habituel qui est en cette âme. Voilà mes pensées sur cet état, dont il me demeure un très bon sentiment en ma pauvre âme, et d’autant que je sens et prévois qu’elle sera du nombre des fidèles servantes de Dieu, mon Créateur, et que par les croix, elle entrera en participation de l’esprit de la pureté de notre bon Seigneur Jésus-Christ. Je la supplie de se souvenir de ma conversion en ses bonnes prières, et je lui ferai part des miennes [T4, p. 641] quoique pauvretés. J’espère qu’après cette vie Dieu tout bon nous unira en sa charité éternelle, par Jésus-Christ Notre Seigneur auquel je vous donne pour jamais.

Dans le deuxième texte infra on note la précision et le soin pris de même pour encadrer la jeune femme (elle n’aura que trente ans à la mort de son directeur). Une liste (cette fois elle atteint trente points!) livre le parfum commun à l’école. Bertot proposera plus tard de façon très semblable un «décalogue» de règles à observer par la jeune madame Guyon (dans une filiation, on n’invente pas).

Nous livrons tout le texte malgré sa longueur, car il est unique par sa précision et sa netteté dans une direction mystique assurée avec fermeté par «le bon Père Chrysostome» : on est infiniment loin de tout bavardage spirituel.

Deuxième texte : Autre réponse du même père à la même âme 56.

Cette vocation paraît : 1. Par les instincts que Dieu vous donne en ce genre de vie, vous faisant voir par la lumière de sa grâce la beauté d’une âme qui, étant séparée de toutes les créatures, inconnue, négligée de tout le monde, vit solitaire à son unique Créateur dans le secret dû.

2. Par les attraits à la sainte oraison avec une facilité assez grande de vous entretenir avec Dieu des vérités divines de son amour.

3. Dieu a permis que ceux de qui vous dépendez aient favorisé cette petite retraite qui n’est pas une petite grâce, car plusieurs souhaitent la solitude et y feraient des merveilles, lesquels néanmoins en sont privés.

4. Je dirai que Dieu par une Providence vous a obligée à honorer le saint Sacrement d’une particulière dévotion, et c’est dans ce Sacrement que notre bon Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, mènera une vie toute cachée jusqu’à la consommation des siècles, que les secrets de sa belle âme vous seront révélés.

5. Bienheureuse est l’âme qui est destinée pour honorer les états de la vie cachée de Jésus, non seulement par acte d’adoration ou de respect, mais encore entrant dans les mêmes états. D’Aucuns honorent par leur état sa vie prêchante et conversante, d’autres sa vie crucifiée; quelques-uns sa vie pauvre, beaucoup sa vie abjecte; il me semble qu’Il vous appelle à honorer sa vie cachée. Vous le devez faire et vous donner à Lui, pour, avec Lui, entrer dans le secret, aimant l’oubli actif et passif de toute créature, vous cachant et abîmant avec Lui en Dieu, selon le conseil de saint Paul, pour n’être révélée qu’au jour de ses lumières.

6. Jamais l’âme dans sa retraite ne communiquera à l’Esprit de Jésus et n’entrera avec lui dans les opérations de sa vie divine, si elle n’entre dans ses états d’anéantissement et d’abjection, par lesquels l’esprit de superbe est détruit.

7. L’âme qui se voit appelée à l’amour actif et passif de son Dieu renonce facilement à l’amour vain et futile des créatures, et contemplant la beauté et excellence de son divin Époux qui mérite des amours infinis, elle croirait commettre un petit sacrilège de lui dérober la moindre petite affection des autres et partant, elle désire d’être oubliée de tout le monde [T4, p. 653] afin que tout le monde ne s’occupe que de Dieu seul.

8. N’affectez point de paraître beaucoup spirituelle : tant plus votre grâce sera cachée, tant plus sera-t-elle assurée; aimez plutôt d’entendre parler de Dieu que d’en parler vous-même, car l’âme dans les grands discours se vide assez souvent de l’Esprit de Dieu et accueille une infinité d’impuretés qui la ternissent et l’embrouillent.

9. Le spirituel ne doit voir en son prochain que Dieu et Jésus; s’il est obligé de voir les défauts que commettent des autres, ce n’est que pour leur compatir et leur souhaiter l’occupation entière du pur amour. Hélas! Faut-il que les âmes en soient privées ! Saint François voyant l’excellence de sa grâce et la vocation que Dieu lui donnait à la pureté suprême, prenait les infidélités à cette grâce pour des crimes, d’où vient qu’il s’estimait le plus grand pécheur de la terre et le plus opposé à Dieu, puisqu’une grâce qui eût sanctifié les pécheurs, ne pouvait vaincre sa malice.

10. L’oraison n’est rien autre chose qu’une union actuelle de l’âme avec Dieu, soit dans les lumières de l’entendement ou dans les ténèbres. Et l’âme dans son oraison s’unit à Dieu, tantôt par amour, tantôt par reconnaissance, tantôt par adoration, tantôt par aversion du péché en elle et en autrui, tantôt par une tendance violente et des élancements impétueux vers ce divin57 objet qui lui paraît éloigné, et à l’amour et jouissance auquel elle aspire ardemment, car tendre et aspirer à Dieu, c’est être uni à Lui, tantôt par un pur abandon d’elle-même au mouvement sacré de ce divin Époux qui l’occupe de son amour dans les manières [T4, p. 655] qu’il lui plaît. Ah! Bienheureuse est l’âme qui tend en toute fidélité à cette sainte union dans tous les mouvements de sa pauvre vie! Et à vrai dire, n’est-ce pas uniquement pour cela que Dieu tout bon la souffre sur la terre et la destine au ciel, c’est-à-dire pour aimer à jamais? Tendez donc autant que vous pourrez à la sainte oraison, faites-en quasi comme le principal de votre perfection. Aimez toutes les choses qui favorisent en vous l’oraison, comme : la retraite, le silence, l’abjection, la paix intérieure, la mortification des sens, et souvenez-vous qu’autant que vous serez fidèle à vous séparer des créatures et des plaisirs des sens, autant Jésus se communiquera-t-Il à vous en la pureté de ses lumières et en la jouissance de son divin amour dans la sainte oraison; car Jésus n’a aucune part avec les âmes corporelles qui sont gisantes dans l’infection des sens.

11. L’âme qui se répand dans les conversations inutiles, ou s’ingère sous des prétextes de piété, se rend souvent indigne des communications du divin Époux qui aime la retraite, le secret et le silence. Tenez votre grâce cachée : si vous êtes obligée de converser quelquefois, tendez avec discrétion à ne parler qu’assez peu et autant que la charité le pourra requérir; l’expérience nous apprendra l’importance d’être fidèle à cet avis.

12. Tous les états de la vie de Jésus méritent nos respects et surtout ses états d’anéantissement. Il est bon que vous ayez dévotion à sa vie servile; car il a pris la forme de serviteur, et a servi en effet son père et sa mère en toute fidélité et humilité vingt-cinq ou trente ans en des exercices très abjects et en un métier bien pénible; et pour honorer cette vie servile et abjecte de notre bon Sauveur Jésus-Christ, prenez plaisir à servir plutôt qu’à être servie, et vous rendez facile aux petits services que l’on pourra souhaiter de vous, et notamment quand ils seront abjects et répugnants à la nature et aux sens.

13. Jésus dans tous les moments de sa vie voyagère a été saint, et c’est en iceux la sanctification des nôtres; car il a sanctifié les temps, desquels il nous a mérité l’usage, et généralement toutes sortes d’états et de créatures, lesquelles participaient à la malédiction du péché. Consacrez votre vie jusqu’à l’âge de trente-trois ans à la vie voyagère du Fils de Dieu par correspondance de vos moments aux siens, et le reste de votre vie, si Dieu vous en donne, consacrez-le à son état consommé et éternel, dans lequel Il est entré par sa résurrection et par son ascension. Ayez dès à présent souvent dévotion à cet état de gloire de notre bon Seigneur Jésus-Christ, car c’est un état de grandeur qui était dû à son mérite, et dans lequel vous-même, vous entrerez un jour avec lui, les autres états [d’anéantissement] de sa vie voyagère n’étant que des effets de nos péchés.

14. L’âme qui possède son Dieu ne peut goûter les vaines créatures, et à dire vrai, celui-là est bien avare à qui Dieu ne suffit58. À mesure que votre âme se videra de l’affection aux créatures, Dieu tout bon se communiquera à vous en la douceur de ses amours et en la suavité de ses attraits, et dans la pauvreté suprême de toutes créatures, vous vous trouverez riche [T4, p. 659] par la pure jouissance du Dieu de votre amour, ce qui vous causera un repos et une joie intérieure inconcevables.

15. Vous serez tourmentée de la part des créatures qui crieront à l’indiscrétion et à la sauvagerie : laissez dire les langues mondaines, faites les œuvres de Dieu en toute fidélité, car toutes ces personnes-là ne répondront pas pour vous au jour de votre mort; et faut-il qu’on trouve tant à redire de vous voir aimer Dieu?

16. Tendez à vous rendre passive à la Providence divine, vous laissant conduire et mener par la main, entrant à l’aveugle et en toute soumission dans tous les états où elle voudra vous mettre, soit qu’ils soient de lumière ou de ténèbres, de sécheresse ou de jouissance, de pauvreté, d’abjection, d’abandon, etc. Fermez les yeux à tous vos intérêts et laissez faire Dieu, par cette indifférence à tout état, et cette passivité à sa conduite, vous acquerriez une paix suprême qui [vous établira dans la pure oraison59] et vous disposera à la conversion très simple de votre âme vers Dieu le Créateur.

17. Notre bon Seigneur Jésus-Christ s’applique aux membres de son Église diversement pour les convertir à l’amour de son Père éternel, nous recherchant avec des fidélités, des artifices et des amours inénarrables. Oh! Que l’âme pure qui ressent les divines motions de Jésus et de son divin Esprit, est touchée d’admiration, de respect et d’amour à l’endroit de ce Dieu fidèle!

18. Renoncez à toute consolation et tendresse des créatures, cherchez uniquement vos consolations en Jésus, en son amour, en sa croix et son abjection. Un petit mot que Jésus vous fera entendre dans le fond de votre âme la fera fondre et se liquéfier en douceur. Heureuse est l’âme qui ne veut goûter aucune consolation sur la terre de la part des créatures!

19. Par la vie d’Adam, nous sommes entièrement convertis à nous-mêmes et à la créature, et ne vivons que pour nous-mêmes, et pour nos intérêts de chair et de sang; cette vie nous est si intime qu’elle s’est glissée dans tout notre être naturel, n’y ayant puissance dans notre âme, ni membre en notre corps qui n’en soit infecté; ce qui cause en nous une révolte générale de tout nous-mêmes à l’encontre de Dieu, cette vie impure formant opposition aux opérations de sa grâce, ce qui nous rend en sa présence comme des morts; car nous ne vivons point à Lui, mais à nous-mêmes, à nos intérêts, à la chair et au sang. Jésus au contraire a mené et une vie très convertie à son Père éternel par une séparation entière, et une mort très profonde à tout plaisir sensuel et tout intérêt propriétaire de nature, et Il va appelant ses élus à la pureté de cette vie, les revêtant de Lui-même, après les avoir dépouillés de la vie d’Adam, leur inspirant sa pure vie. Oh! Bienheureuse est l’âme qui par la lumière de la grâce connaît en soi la malignité de la vie d’Adam, et qui travaille en toute fidélité à s’en dépouiller par la mortification, car elle se rendra digne de communiquer à la vie de Jésus!

20. Tandis que nous sommes sur la terre, nous ne pouvons entièrement éviter le péché. Adam dans l’impureté de sa vie nous salira toujours un peu; nous n’en serons exempts qu’au jour de notre mort que Jésus nous consommera dans sa vie divine pour jamais, nous convertissant si parfaitement [à son Père éternel] par la lumière de sa gloire que jamais plus nous ne sentions l’infection de la vie d’Adam ni d’opposition à la pureté de l’amour.

21. La sentence que Notre Seigneur Jésus-Christ prononcera sur notre vie au jour de notre mort est adorable et aimable, quand bien par icelle il nous condamnerait, car elle est juste et divine, et partant mérite adoration et amour : adorez-le donc quelquefois, car peut-être alors vous ne serez pas en état de le pouvoir faire; donnez-vous à Jésus pour être jugée par lui, et le choisissez pour juge, quand bien même il serait en votre puissance d’en prendre un autre. Hugo, saint personnage, priait Notre Seigneur Jésus-Christ de tenir plutôt le parti de son Père éternel que non pas le sien : ce sentiment marquait une haute pureté de l’âme, et une grande séparation de tout ce qui n’était point purement Dieu et ses intérêts.

22. Notre bon Seigneur Jésus-Christ dit en son Évangile : bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Oh! En effet, bienheureuse est l’âme qui n’a point ici d’autre désir que d’aimer et de vivre de la vie du pur amour, car Dieu lui-même sera sa nourriture, et en la plénitude de son divin amour assouvira sa faim. Prenez courage, la faim que vous sentez est une grâce de ferveur qui n’est donnée qu’à peu. Travaillez à évacuer les mauvaises humeurs de la nature corrompue, et cette faim ira toujours croissant, et vous fera savourer avec un plaisir ineffable les douceurs des vertus divines.

23. Tendez à acquérir la paix de l’âme autant que vous pourrez par la mortification de toutes les passions, par le renoncement à toutes vos volontés, par la désoccupation de toutes les créatures, par le mépris de tout ce que pourront dire les esprits vains et mondains, par l’amour à la sainte abjection, par un désir d’entrer courageusement dans les états d’anéantissement de Jésus-Christ quand la Providence le voudra, par ne vouloir uniquement que Dieu et sa très sainte volonté, par une indifférence suprême à tous événements; et votre âme ainsi dégagée de tout ce qui la peut troubler, se reposera agréablement dans le sein de Dieu, qui vous possédant uniquement, établira en vous le règne de son très pur amour.

24. Il fait bon parler à Dieu dans la sainte oraison, mais aussi souvent il fait bon l’écouter, et quand les attraits et lumières de la grâce nous préviennent, il les faut suivre par une sainte adhérence qui s’appelle passivité.

25. Le spirituel dans les voies de sa perfection est sujet à une infinité de peines et de combats : tantôt il se voit dans les abandons, éloignements, sécheresses, captivités, suspensions; tantôt dans des vues vives de réprobation et de désespoir; tantôt dans les aversions effroyables des choses de Dieu; tantôt dans un soulèvement général de toutes ses passions, tantôt dans d’autres tentations très horribles et violentes, Dieu permettant toutes ces choses pour évacuer de l’âme l’impureté de la vie d’Adam, et sa propre excellence. Disposez-vous à toutes ces souffrances et combats, et souvenez-vous que la possession du pur amour vaut bien que nous endurions quelque chose, et partant soyez à Jésus pour tout ce qu’il lui plaira vous faire souffrir.

26. Derechef, je vous répète que vous soyez bien dévote à la Sainte Vierge : honorez-la dans tous les rapports qu’elle a au Père éternel, au Fils et au Saint-Esprit, à la sainte humanité de Jésus. Honorez-la en la part qu’elle a à l’œuvre de notre rédemption, en tous les états et mystères de sa vie, notamment en son état éternel, glorieux et consommé dans lequel elle est entrée par son Assomption; honorez-la en tout ce qu’elle est en tous les saints, et en tout ce que les saints sont par elle : suivez en ceci les diverses motions de la grâce, et vous appliquez à ces petites vues et pratiques selon les différents attraits. Étudiez les différents états de sa vie, et vous y rendez savante pour vous y appliquer de fois à autre; car il y a bénédiction très grande d’honorer la Sainte Vierge. Je dis le même de saint Joseph : c’est le protecteur de ceux qui mènent une vie cachée, comme il l’a été de celle de Jésus-Christ.

27. La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup pour nous y acheminer, et partant rendez-vous passive à celles que Dieu tout bon vous donnera, et en outre tachez autant que vous pourrez à vous instruire des choses de la sainte perfection par lectures, conférences, sermons, etc., et souvenez-vous que si vous ne nourrissez votre grâce, elle demeurera fort faible et peut-être même pourrait-elle bien se ralentir.

28. L’âme de Jésus-Christ est le paradis des amants en ce monde et en l’autre; si vous pouvez entrer en ce ciel intérieur, vous y verrez des merveilles d’amour, tant à l’endroit de son Père que des prédestinés. Prenez souvent les occupations et la vie de ce tout bon Seigneur pour vos objets d’oraison.

29. Tendez à l’oraison autant que vous pourrez : c’est, ce me semble, uniquement pour cela que nous sommes créés : je dis pour contempler et [pour] aimer; c’est faire sur la terre ce que font les bienheureux au ciel. Aimez tout ce qui favorisera en vous l’oraison, et craignez tout ce qui lui sera opposé. Tendez à l’oraison pas vive, en laquelle l’âme sans violence entre doucement dans les lumières qui lui sont présentées, et se donne en proie à l’amour, pour être dévorée par ses très pures flammes suivant les attraits et divines motions de la grâce. Ne vous tourmentez point beaucoup dans l’oraison, souvent contentez-vous d’être en la présence de Dieu, sans autre opération que cette simple tendance et désir que vous sentez de L’aimer et de Lui être agréable; car vouloir aimer est aimer, et aimer est faire oraison.

30. Prenez ordinairement des sujets pour vous occuper durant votre oraison; mais néanmoins ne vous y attachez pas, car si la grâce vous appelle à d’autres matières, allez-y; je dis ordinairement, car il arrivera que Dieu vous remplissant de sa présence, vous n’aurez que faire d’aller chercher dedans les livres ce que vous aurez dans vous-même; outre qu’il y a de certaines vérités divines dans lesquelles vous êtes assez imprimée, que vous devez souvent prendre pour objets d’oraison. En tout ceci, suivez les instincts et attraits de la grâce. Travaillez à vous désoccuper et désaffectionner de toutes les créatures, et peu à peu votre oraison se formera, et il y a apparence, si vous êtes fidèle, que vous êtes pour goûter les fruits d’une très belle perfection, et que vous entrerez dans les états d’une très pure et agréable oraison : c’est pourquoi prenez bon courage; Dieu tout bon vous aidera à surmonter les difficultés que vous rencontrerez dans la vie de son saint Amour. Soyez fidèle, soyez à Dieu sans réserve; aimez l’oraison, l’abjection, la croix, l’anéantissement, le silence, la retraite, l’obéissance, la vie servile, la vie cachée, la mortification. Soyez douce, mais retenue; soyez jalouse de votre paix intérieure. Enfin, tendez doucement à convertir votre chère âme à Dieu, son Créateur, par la pratique des bonnes et solides vertus. Que Lui seul et son unique amour vous soient uniquement toutes choses. Priez pour ma misère et demandez quelquefois pour moi ce que vous souhaitez pour vous 60.





Extraits de lettres où Mectilde parle de Chrysostome

Les 26 lettres sont de Mectilde sauf une : 6 en 1644, 5 en 1645, 13 en 1646 où meurt Chrysotome, 2 en 1653. Rien de fondamental sauf un profond attachement à l’égard de Chrysostome (Mectilde est encore loin d’avoir achevé un détachement mystique), le transfert de direction que ce dernier confie à Bernières, la récolte difficile de ses écrits auprès de ses confrères du TOR, l’édition entreprise à Paris par Mectilde qui obtiendra trois approbations. Bernières est absent en tant qu’écrivain de lettres, mais il assurera l’édition complémentaire du volume publié à Caen, nettement plus d’intérêt à nos yeux. Voici des extraits de ces lettres61 :

15 février 1644 LMB Saint Maur («Notre bon Père» surchargé).

... Je n’osais m’adresser directement à vous, sachant bien que présentement les affaires du Canada vous occupent, néanmoins j’étais pressée de vous demander par l’entremise de notre bon Frère Monsieur de Rocquelay l’assistance que vous m’avez donnée. Notre bon Père Chrysostome étant toujours surchargé d’affaires je ne l’ose l’importuner. De sorte que je supplie votre charité de souffrir que je m’adresse quelquefois à vous pour en recevoir ce que ma nécessité demande et ce que la gloire d’un Dieu vous oblige de me donner....

31 mars 1644 LMB (Des bons effets d’une direction appréciée).

... Il n’y a rien dans cet écrit que vous puissiez faire transcrire, car de plus de mille personnes vous n’en trouverez point de ma voie ni qui lui soit arrivé tant de choses. Vous n’en verrez qu’un bien petit abrégé en cet écrit, car des grands volumes ne suffiraient pour contenir le tout. J’espère néanmoins que vous en concevez suffisamment pour admirer la bonté de Dieu qui m’a enlevée par les cheveux comme le Prophète. Le bon Père Chrysostome ne se peut tenir de remarquer quelle Providence de Dieu, et combien amoureuse sur une pécheresse comme moi. Toute la répugnance que je puis avoir de la vue de l’écrit, c’est certaines rêveries. [...]

Voilà aussi un petit billet qu’une de mes Sœurs écrit au Révérend Père Chrysostome, je vous supplie de me bien recommander à lui à Dieu encore une fois mon très cher Frère.

13 mai 1644 LMJ (sur les écrits du Père).

À Jourdaine de Bernières... Le ciel vous récompensera de tout et singulièrement du saint petit livre que vous m’avez envoyé. On dit qu’il ne s’en trouve plus d’imprimé. Je vais le faire remettre sous la presse, car j’en désire quantité62. Vous avez fort bien compris dans la lettre de N63 ce que je demande de sa charité, et lesquelles choses il m’a promis. J’excuse le retardement qu’il apporte à me donner ce bien d’autant que je sais qu’il est si fort occupé de Dieu et employé ès œuvres de son service qu’il n’a pas le loisir d’effectuer ce qu’il m’a promis, mais puisque la Divine Providence vous a fait la dépositaire de ces trésors, je vous supplie en l’amour des sacrées plaies de notre très adorable Maître de me faire part des grands biens que vous possédez.

Entre autres choses, il m’a parlé de certains degrés de la parfaite abjection que notre bon Père Chrysostome a fait depuis peu, mais ils ne sont imprimés. Lui ayant dit que j’avais un imprimeur à ma liberté il m’assura qu’il me les enverrait avec la beauté divine et quantité d’autres choses, je ne sais s’il en a perdu le souvenir. Au temps qu’il pourra appliquer son esprit à ces choses, je supplie votre bonté de lui en parler. Cependant, de votre64 [26], soyez-moi favorable et prenez quelque pitié d’une âme dans toutes sortes de privations. Je vous renverrai fidèlement ce que vous m’envoyez après que je l’aurai copié.

19 août 1644 LMR (Visite attendue).

... J’attends cette semaine notre très cher Père Chrysostome. J’attends quelque chose de sa charité pour une de mes sœurs d’ici et pour la Mère Benoîte. Je vous enverrai le tout lorsque je l’aurai, quand Notre Seigneur vous donnera quelque chose ensuite de sa divine soif. Je vous supplie m’en faire part afin qu’avec vous je puisse au mieux qu’il me sera possible désaltérer l’ardeur de mon Jésus et souffrir lors qu’il m’en rendra digne. Je vous laisse tout à lui et pour lui. Je suis/M./Votre etc.

21 octobre 1644 LMR (Voyage à Paris?)

... J’attends cette semaine le bon Père Chrysostome pour l’entretenir sur les pensées d’une retraite que j’ai faite ces jours passés. Je vous enverrai ses sentiments sur ce que j’ai expérimenté. [...] Je vous supplie que notre cher N. se souvienne quelquefois devant Dieu de sa pauvre et indigne Sœur. On m’a dit qu’il devait bientôt venir à Paris. Je m’en réjouis, car certainement notre bon Père viendra à Saint-Maur avec lui. Très cher Frère, tâchez d’être de la partie et notre joie sera grande. Nous parlerons ouvertement de tout ce que nous aimons...

10 décembre 1644 LMR Saint Maur (sur la Mère Benoîte, «une élue»).

Je viens de recevoir une lettre que notre bonne Mère Benoîte vous écrit. Je vous l’envoie vous suppliant de prendre la peine de lui écrire comme vous l’avez reçue. Je pensais vous envoyer la disposition, mais elle est encore entre les mains de notre bon Père Chrysostome. Je promets qu’aussitôt qu’il y aura fait réponse, je vous en enverrai la copie. Vous verrez un excès de la miséricorde divine à la sanctification de cette âme. C’est une élue.

29 janvier 1645 LMR route de Rambervillers (Voyage en Lorraine?)

À Monsieur de Rocquelay. Notre sortie de Paris a été en quelque sorte si précipitée qu’il me fut impossible de vous écrire selon que je l’avais projeté. J’appris de notre très honoré Père Chrysostome qu’il devait venir dans dix jours, mais il n’y avait pas moyen de retarder. Il me promit qu’il se souviendrait de moi dans les saintes conférences que vous ferez ensemble. [...] Je vous écris la présente à Voy, le dimanche 29 janvier 1645. Ce bourg est à 20 lieues de Rambervillers.

Février 1645 LMR Rambervillers («Suppliez-le...»)

... Priez Dieu pour nous, je vous supplie et m’obligez de prendre la peine de présenter nos humbles obéissances à notre bon Père Jean Chrysostome. Suppliez-le d’avoir mémoire de moi devant Notre Seigneur....

11 Août 1645 LMB (Maladie)

... Je vous assure, Mon très cher Frère, que je vais prier Dieu en tous les lieux de ma connaissance pour la conservation de notre bon Père [Chrysostome]. Plus je fais de réflexion sur nos états plus je vois le besoin que nous avons de sa sainte conduite. Nous allons commencer une neuvaine de communions pour cet effet, nous adressant à la sacrée Mère de Dieu qui a tout pouvoir dans le Ciel. Chacune de nous en particulier le demande à Dieu. Je vous supplie, attendant votre réponse dans notre pauvre retraite de Saint-Maur, faites-moi savoir comme il se porte et puis que la divine Providence vous tient à Paris. Tâchez de le faire soulager, Monsieur de Saint-Firmin fut hier ici. Il me dit qu’il avait grand regret de n’être venu à Saint-Maur que vous y étiez. Il désire de vous voir. Il connaît [51] de très bons médecins. Voyez si je le dois prier de les consulter ou si vous prendrez la peine de parler vous-même aux médecins pour leur faire concevoir ses incommodités, il est important qu’ils en sachent les causes. Il me tarde d’apprendre ce qu’ils en auront conclu. Je voudrais être à Paris pour employer ma petite puissance à vous servir en cela. J’écris à monsieur Ameline sans lui parler de son affaire. Je laisse le tout à notre bonne Mère qui en peut parler comme il faut. Communiquez toutes choses à notre cher Père [Chrysostome] et ensemble conclure de ce qu’il convient faire pour la gloire de Dieu, et pour la perfection de celles qui seront destinées à cette œuvre....

25 Septembre 1645 LMB Saint Maur

Je ne vous mande rien de particulier. Je suis trop pressée. Nos humbles et bien affectionnées recommandations à notre cher Père [Chrysostome] lorsque vous le verrez.

5 novembre 1645 LMB (Les assistances reçues)

... Je vous supplie avant que de partir de me recommander à notre très cher et bon Père [Chrysostome], et le remerciez pour moi de tous les soins et [41] les assistances que j’ai reçus de sa bonté. Obligez-le par vos intimes prières d’être toujours mon père et mon cher directeur, puisque notre Seigneur me l’a donné par vous. Faites, je vous supplie, que ce bonheur me soit continué...

10 Février 1646 LMB (Une maladie qui ne paraît pas grave...)

Jésus pauvre65 soit l’objet de votre amour! J’ai reçu une de vos lettres c’est l’unique que j’ai reçue depuis la maladie de notre très cher Père [Chrysostome] [...] Ne vous mettez point en peine de son traitement, nous qui sommes près de lui. Nous en avons bien soin. Il m’a mandé qu’il y avait apparence que sa fièvre le voulait quitter et qu’il s’abandonnait à ce qu’il plairait à notre Bon Dieu d’en ordonner. Il nous fait aussi espérer de le voir dès les premiers beaux jours. Il faudrait que vous fussiez de la partie pour rendre la consolation entière.

26 Mars 1646 LMB (... conduit à l’extrémité?)

Fidélité sans réserve66! Sacrificate sacrificium, etc. Je n’espérais pas vous mander de si tristes nouvelles, mais [98] il ne faut point différer de vous dire que notre très cher Père [Chrysostome] reçut hier au soir l’Extrême-Onction. Aujourd’hui matin, le médecin m’a mandé qu’il était à l’extrémité. Je vous laisse à penser quelle surprise et quel choc j’ai reçu à ces nouvelles. Il sortit d’ici mercredi, fête de notre Bienheureux Père67. Il était en si bonne disposition que j’en étais toute ravie. Il retourna trop tôt pour nous, car venant d’un bon air, le lendemain il retombe dans sa maladie dont les médecins conclurent qu’il lui fallait tirer du sang. Ce qui l’a réduit dans l’extrémité où il est, on n’en attend plus que la disposition de l’ordre divin. Je ne vous puis dire combien une telle perte me touche. Encore, si vous étiez ici pour lui rendre les derniers devoirs comme à notre très cher et très honoré Père!

C’est à présent que nous entrons dans le vrai dépouillement, car il me semblait qu’en le possédant, je jouissais d’une précieuse richesse. Je dirai désormais : «Mon Père qui êtes aux Cieux», puisque je le crois dans la béatitude éternelle s’il meurt. Et je commence déjà à le prier fervemment qu’il me donne secours du ciel comme il l’a fait en la terre pour aller à mon Dieu. J’ai mandé au bon Frère Jean [Aumont]  de vous avertir promptement de tout. Je ne sais s’il l’aura fait. Je finis, attendant des nouvelles de ce saint Père, j’envoie savoir comme il est. Je vous laisse dans la douleur de notre perte. Pour moi, je me sens comme abîmée dans le divin plaisir de mon Dieu avec agrément de toute [99] privation que je ressens très grande pour me donner moyen de me sacrifier de la bonne façon. À Dieu, mon très cher Frère, et pour l’avenir, mon Père et mon Frère. Au saint amour, je suis,/M/Votre, etc.

16 Avril 1646 LMJ. (La mort — Obtenir ses écrits — Une petite ceinture de fer)

À la Mère Jourdaine de Bernières, Supérieure des Ursulines de Caen.

... Je voudrais vous pouvoir dire combien la mort de notre très saint Père Jean Chrysostome me dépouille des créatures. Il me semble que je n’ai plus de secours en terre et que je me dois désormais toute renfermer dans Dieu, où je trouverai celui qu’il a retiré de la terre pour l’abîmer dans l’éternité de son divin amour. Je vois néanmoins que mon dénuement n’est pas entier puisqu’il me reste la chère consolation d’écrire à notre cher Frère et de recevoir ses avis et les vôtres. Notre saint Père nous a instamment recommandé la communication avec grande franchise : ce sont ses dernières paroles que j’observerai toute ma vie à votre endroit et celui de nos deux bons frères. Ce fut l’avis qu’il me donna pour, après sa mort, conserver entre nous son esprit et ses hautes maximes de perfection qu’il nous enseignait de pratiquer. Je suis très aise que l’on vous écrivît sa mort. Le bon Père Elzéar, son bon parent, nous vint voir et se chargea de nos lettres qui vous exprimaient quelque peu de ma douleur. Je ne sais si vous l’avez reçu. Quoiqu’il en soit, ne vous mettez pas en peine de ma santé. Elle sera toujours bonne lorsque je ne désisterai point de me rendre à Dieu. J’écrivis ces jours passés à notre très Cher Frère où je lui mandais que notre saint Père demeurait toujours en abjection dans l’esprit de quelques-uns de leur maison, et Frère Jean m’a mandé qu’il n’en faut point parler.

J’avais prié Monsieur de N. de faire effort pour nous avoir quelques-uns de ses écrits, mais particulièrement celui des attributs divins. Il les a demandés avec trop peu de ferveur et, comme le Provincial lui demandait s’il les voulait voir et lire, j’en fus fâchée, car s’il les eût pris pour quinze jours, je les aurais fait copier. Je vois bien que ce bon M. n’était pas un de ses fidèles enfants. Il faut néanmoins que je fasse un second effort pour les avoir, mais j’attendrai l’avis de notre bon Frère auquel j’ai écrit de ceci. Le Révérend Père Elzéar vous fera bien mieux que moi le récit de la mort de notre digne Père. Je crois qu’il est présentement à Caen.

J’espère être demain ou après sur le tombeau de notre saint Père où certainement je verserai beaucoup de larmes. Je me souviendrai de vous, ma très Chère Sœur, car j’ai une grande confiance à ses prières et, depuis sa mort, j’ai reçu beaucoup de miséricordes et grâces très particulières. Je le prie en mes oraisons et je m’en trouve bien. Frère Jean désire de nous voir. J’apprendrai encore quelque chose de lui. J’ai demandé quelque chose pour conserver comme relique, mais je n’ai pas été digne d’obtenir ce que je désirais. Un peu avant sa mort, il m’avait donné sa petite ceinture de fer qu’il a portée beaucoup d’années. Je la garde bien chèrement et duquel je voulais vous en écrire et à notre cher Frère, mais j’attendais encore pour voir si ma disposition est solide....  

24 Juin 1646 RMR («Un souvenir très particulier» - Projet de publication)

Le jour de la Saint Jean [Baptiste], qui est la fête de notre très cher frère duquel j’ai eu un souvenir très particulier. Dieu seul! Monsieur, Jésus nous soit uniquement toutes choses à jamais! Je me réserve de vous écrire après le départ de notre chère Mère où j’espère avoir plus de loisir qu’à présent. Cependant votre bonté m’oblige de vous écrire ce mot pour vous assurer que j’ai reçu les deux livres que notre très cher Frère [Bernières] nous envoie (par votre bon voisin). Je l’en remercie de tout mon cœur et vous aussi. C’est pour une bonne demoiselle de nos bienfaitrices qui nous les a demandés très instamment. Vous nous avez obligée extrêmement. Je [ne] prétends point vous entretenir par la présente. Je me réserve à vous raconter mes dépouillements qui semblent s’accroître tous les jours, mais d’une manière que je ne sais si je vous la pourrai dire. Je vous supplie de dire à notre très cher et très bon Frère que s’il veut faire imprimer quelque écrit de notre bienheureux Père [Chrysostome)] que monsieur le Curé de Saint-Jean en Grève à Paris me promet telle approbation que je voudrais pour les écrits de ce digne personnage. Que notre cher Frère voie s’il est à propos de faire imprimer la sainte abjection. Une autre personne s’offre à payer les frais qu’il y faudra faire. Je suis dans l’attente de deux témoignages de deux bons prêtres, grands serviteurs de Dieu, qui ont eu connaissance particulière de la béatitude de notre saint Père. Je vous les enverrai si notre Seigneur me rend digne de les posséder. J’ai vu son portrait. On me l’apporta jeudi dernier, mais il a si peu de ressemblance à son original que j’ai prié le peintre d’en faire un autre. Je lui ai dit les défauts que j’y trouvais. Il m’a promis d’y travailler au bref. La vue de son image quoique mal faite m’a extrêmement touchée et causé de si grands respects que s’il eût été bien naturel, je me fusse jetée en terre pour le révérer et le baiser dans un grand sentiment d’humilité, mais il avait si peu de rapport que s’il ne m’eût assuré qu’il l’avait (peint) pour représenter ce saint Père, je ne l’aurais jamais pris pour cela....

7 juillet 1646 RMB (Confiée à Bernières)

... Ayez pitié de mes pauvretés et me prêtez secours pour aller à Dieu. Notre Père [Chrysostome] m’a ordonné d’avoir recours à votre charité et je vous demande l’aide que vous me devez par son saint amour, pour ne point tomber dans une infidélité qui ne se pourrait bonnement réparer....

28 Juillet 1646 RMB Le Bienheureux Grégoire Lopez – Elle se confie à Bernières)

... Je commençai le lendemain que j’ai reçu votre lettre qui était le 20 juillet, la fête du bienheureux Grégoire Lopez68. Je fus extrêmement aise [77] de me pouvoir donner à la puissance et à l’amour de Jésus Christ avec ce grand saint. Notre bienheureux Père [Chrysostome] m’a bien recommandé de l’aimer et de tâcher de l’imiter dans sa haute pureté. Il est vrai que la divine miséricorde m’a fait beaucoup de grâces, mais il faut que vous connaissiez mes infidélités aussi bien que les faveurs que je reçois de notre bon Seigneur. Elles sont extrêmes et la négligence que j’apporte à la grâce est un défaut épouvantable, car il me semble que mon esprit ne devrait plus être ni avoir vie qu’en Jésus-Christ. Je sens un grand désir d’user de la simplicité dont vous nous parlez dans les vôtres pour par icelles avoir moyen d’accomplir les conseils de notre bon Père, mais je vous supplie, avertissez-moi en toute franchise et liberté de ce que vous remarquerez être contraire à l’esprit de Jésus Christ. Vous ne pouvez refuser cette grâce sans offenser sa charité qu’il a mise en vous et qu’il prend plaisir d’y régner....

21 Août 1646 RMB (Bernières saint Ange)

... Je remarque qu’au temps que vous pouvez posséder ce bonheur, je priais plusieurs jours de suite mon saint ange [P. Chrysostome] de faire prier cette sainte pour moi. Hélas, je ne pensais pas pour lors que vous deviez faire l’office de mon Ange.

5 septembre 1646 L 1,34 Pauvres de toutes créatures, ne vivons que de Dieu purement en Dieu. (Union).

Ma très chère Sœur, pauvres de toutes créatures, ne vivons que de Dieu purement en Dieu. Ce doit être à présent là notre principale occupation, puisque ce que nous possédions de plus cher en la terre est tellement en Dieu, qu’il sera éternellement une même chose avec Lui. Nous ne pouvons donc désormais être unis à ce cher père [Chrysostome] que nous ne soyons unis à Dieu. Et c’est ce qui nous doit faire estimer notre privation, puisqu’elle nous conduit à une si parfaite union.

26 Septembre 1646 RMR

J’ai bien de quoi vous entretenir de notre bon Père et de notre cher Ange [Chrysostome et Bernières]. Priez Dieu pour moi de tout votre cœur. Je vous enverrai deux dispositions intérieures bien jolies. À Dieu, mon très cher Frère! Que Jésus vous consomme de son divin amour et nous favorise d’une pauvreté suprême de toutes créatures, d’une souffrance sans consolation d’aucune créature! ...

5 Octobre 1646 RMR (Récolte d’écrits, portrait...)

... J’attends avec affection le traité de la sainte abjection de notre B. P. [Chrysostome]. J’ai un imprimeur tout prêt qui désire avec passion de l’imprimer et deux excellents docteurs qui donneront leur approbation. Voyez si vous voulez prier Monsieur de Barbery d’y joindre la sienne. Si vous m’aviez donné la beauté divine, il y a longtemps que cela serait fait. Je vous supplie, que ce soit au plus tôt et me mandez, s’il vous plaît, si notre très cher frère le veut en petit livre ou en cahier. Envoyez-moi un petit morceau de papier de la largeur et longueur que vous le désirez. Voilà une copie de son portrait que le peintre m’a envoyé, mais je l’ai trouvée si mal rapportant à son original que je l’ai prié d’en faire d’autres et lui ai dit les défauts que j’y remarque. Celui-ci n’en a quasi point de ressemblance. Le second qu’il a fait est beaucoup mieux. J’espère qu’au troisième, il réussira et puis il nous en fera des tableaux à l’huile plus solides que celui-ci. Montrez-le, s’il vous plaît, et leur demandez s’ils ont reçu nos lettres....

23 Octobre 1646 RMB («il me semble que j’ai changé de disposition»)

Dieu seul et il suffit!

... Depuis la mort de notre bon Père [Chrysostome], il me semble que j’ai changé de disposition et je ne sais si vous avez vu quelque petite chose, mais grande pour moi, que j’ai reçue de la divine bonté. Entre autres choses (Je serais trop longtemps à dire le reste), il me fut donné d’entendre que cette année était pour moi une année de miséricorde et, pour vous parler franchement, il ne se passe guère de jours que je n’en reçoive de nouvelles. Je les attribue au mérite et à l’intercession de notre bon Père et admire une chose en lui à mon égard. La première fois que je m’en aperçus fut peu de jours après sa bienheureuse mort. Je me sentis poussée intérieurement de demeurer environ deux heures à genoux, les mains jointes, et mon âme se trouvait dans un si grand respect que je ne pouvais me mouvoir à l’extérieur. Au commencement, je faisais une très humble et très douce prière à notre bienheureux Père de me donner part à son esprit. Enfin je désirais avoir liaison avec son âme, et entrer dans ses fidélités au regard de la grâce, et après cette petite prière je me trouve dans un grand silence. Mon âme adhérait passivement à son lieu et on me tenait en état de recevoir de grandes choses. Dans ce silence et ce grand recueillement de toutes mes puissances, il se fit en mon âme une impression de l’esprit de Jésus Christ et cela se faisait, tout mon intérieur était rempli de Jésus Christ, comme une huile épanchée, mais qui opérait une telle onction, que depuis ce temps-là, il m’en a toujours demeuré quelque sentiment, mais ceci fit des effets tout particuliers en moi....

Pour notre refuge ici, nous vivons comme des enfants attachés à la sainte Providence qui nous subvient en nos besoins. Notre bon Père [Chrysostome] nous a très instamment exhortées en ses derniers jours d’établir ce refuge et d’en faire une retraite d’âmes ordonnées et attirées à l’oraison.

Ne devons-nous pas plus espérer de vous voir, mon très cher Frère? [Ne] viendrez-vous pas visiter le tombeau de notre bon Père [Jean Chrysostome] et par même moyen consoler de votre présence ses pauvres enfants? Je n’espère pas encore retourner en Lorraine, mais si cela est, il faut auparavant que vous me fassiez la grâce de me faire voir la bonne âme de Coutances. Je ne crois pas que Notre Seigneur désagrée cela (sic). J’espère qu’il vous en donnera la pensée. Pour les commodités du voyage, j’y mettrai bon ordre et sans bruit. Il suffirait que vous y trouvassiez pour nous y donner accès.

Le bon Frère Jean [Aumont] vous salue d’une entière affection, et vous remercie de tout son cœur de la peine que vous avez prise pour son dessein. Il est tellement rempli de la divine grâce, à présent, qu’il a perdu tout autre désir.

6 Novembre 1646 RMB («... vous êtes mon bon Frère et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bon Père.»). 

... 3/Je crains de perdre l’esprit d’oraison qu’il semble prendre quelque petit accroissement, celui de pénitence et de sainte pauvreté et abjection que notre bon Père [Chrysostome] nous a si saintement imprimées en notre esprit.

... À Dieu, mon très cher Frère! Voyez avec quelle simplicité je vous écris. Vous le voulez bien, car vous êtes mon bon Frère et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bon Père.

1653 L 3,51 Dieu est mon âme et mon âme est Dieu.

... J’espère d’être bientôt en l’état que la direction du Père Chrysostome avait tant approuvé, et m’avait conseillé de la part de Notre Seigneur. Que N. lui offre, s’il lui plaît, je l’en prie de tout mon cœur, afin que dépouillé de moi-même, je sois revêtu de Jésus-Christ....

1er Décembre 1653 lettre à Monsieur Henri Boudon

Mon très cher frère69 Jésus soit notre unique vie pour le temps et l’éternité. Il y a quelque dix ou douze jours que je suis incommodé d’un gros rhume qui m’a empêché de répondre à vos précédentes dont je vous remercie, ayant reçu beaucoup de consolation à les lire. Je réponds présentement à votre dernière et voici une lettre pour notre chère Mère de St Jean toute conforme a vos intentions que vous lui ferez tenir en la manière que vous le jugerez à propos. Jamais cette bonne mère ne m’a parlé de Madame de Guise.

Lettre datée du 12 avril 1646 de Benoîte de la Passion à Mectilde

à notre révérende Mère Institutrice réfugiée à Saint-Maur :

«Vive l’anéantissement sacré de mon Dieu! Par la lecture de votre lettre, j’ai appris que notre cher Père avait quitté la terre pour aller au ciel. J’eus une grande émotion de cœur qui me continua le long du jour (c’était le dimanche de Quasimodo). Cette émotion contenait en soi une grande ardeur d’esprit, qui brisait quasi les forces du corps. L’espérance, la réjouissance de sa béatitude emportait le dessus sur la tristesse. Au commencement de l’office des morts, je fus outré de nouveau d’une grande tristesse, mais l’intime complaisance au vouloir de ce grand Dieu ne permit point que les larmes coulassent. Il me semblait que mon âme se fondait en dilection du bon plaisir de Dieu. Étant en oraison après Vêpres, il me fut montré comme dans une nuée assez claire, que la perte que nous avons faite se trouvait dans le ciel, qu’on ne pouvait pas dire en vérité l’avoir perdu, que les pertes que l’on fait en Dieu se retrouvent pleinement en Lui.

Vous savez, ma très Chère Mère, combien j’ai perdu, parlant humainement, néanmoins il n’était pas en mon pouvoir d’en faire le sacrifice à ce Dieu d’amour, parce que mon vouloir était tout anéanti dans le vouloir divin. Je ne saurais dire, ma très Chère Mère, l’occupation de mon esprit tout ce jour-là. J’aime autant en béatitude, et même davantage que l’assistance que j’en recevais lorsqu’il était en terre. Il nous peut beaucoup plus servir en ces hauts lieux qu’en cette vallée de larmes. Je suis bien plus près de lui à présent que lorsqu’il était vivant à Paris, parce que nous le trouvons en Dieu.

Il faut que je vous dise, ma Chère Mère, qu’un peu avant la mort, une nuit en dormant il me semblait voir un religieux de l’ordre de Saint-François, grandement vénérable, qui me parlait de Dieu et des choses de la perfection avec beaucoup de dilection pour moi. La nuit suivante, je vis le même religieux dans un lieu où il y avait une grande assemblée de peuple, entr’autres vous y étiez, Chère Mère, et notre Mère Prieure et une religieuse. Ce digne religieux était un peu éloigné de nous et tenait dessous ses pieds un serpent et beaucoup de bêtes venimeuses qui dans mon esprit représentaient le diable, la chair et le monde. Les ayant ainsi subjuguées, il s’en alla avec grande vitesse et agilité dans un lieu très haut et délicieux. Étant dans ce lieu délectable, il regardait toute l’assistance avec une grande douceur. Qu’est ceci, disais-je en moi-même? Ne serait-ce point le Père Chrysostome qui s’en ira bientôt à Dieu? Ma Chère Mère, je vous dis ceci en simplicité, et je n’y fais aucun fondement.



















Marie des Vallées







La Vie Admirable



Choix établi et présenté

par Dominique et Murielle Tronc







Arfuyen







Préface



« Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! … Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort »70.



Marie des Vallées (1590-1656), exerça une profonde influence sur le cercle mystique normand, auquel appartenaient Jean de Bernières (1602-1659) et son jeune associé Jacques Bertot, la mère fondatrice Catherine de Bar, François de Montmorency-Laval futur évêque de Québec, saint Jean Eudes, le baron de Renty... Certains membres du cercle de l’Ermitage de Caen allaient chaque année passer plusieurs jours auprès de « la sainte de Coutances », lui faisant part de leurs difficultés les plus intimes.

Son souvenir resta présent chez leurs successeurs et l’on se recueillit longtemps sur sa tombe. Ce réseau mystique s’étendit jusqu’à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du XVIIe siècle par l’intermédiaire de M. Bertot ; et Mme Guyon, qui s’y rattache, écrit à la fin du siècle au fidèle duc de Chevreuse :

« …pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a fait depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose »71.

Cette confidence résume une vision juste d’une mystique par une autre : l’« innocente » servante, obsédée par la crainte, voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs. Ce don a renforcé des épreuves à l’issue incertaine. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Le jeune jésuite Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du « mal de douze ans » et va de même entreprendre un étrange voyage intérieur72.

« Cela ne fait rien à la chose » ? En effet la sainte servante parvient à un état spirituel permanent qui lui permet de venir en aide à ses visiteurs. L’un d’entre eux, (le futur saint) Jean Eudes, note soigneusement ses « dits ». Son texte est resté dans l’ombre, en vue de le préserver pour permettre sa canonisation, car il fut pris à partie dans une méchante querelle où l’on chercha à le discréditer en rapportant sa dépendance envers la « sœur Marie ».

Signe de vénération, une copie du texte accompagna Monseigneur de Laval au Canada, sur une coquille en bois, dans les conditions aventureuses d’une des traversées maritimes si bien décrites par Marie de l’Incarnation. Redécouvert, le manuscrit revient en France deux siècles plus tard, cette fois sur un bateau en fer. Ayant ainsi traversé avec succès deux fois l’océan, il repose aujourd’hui aux archives eudistes de Paris : cette Vie admirable mérite enfin d’être reconnue. Nous faisons suivre des extraits, qui forment la plus grande partie de ce petit volume, par un bref aperçu des Conseils d’une grande servante de Dieu, oublié, lui aussi, au sein d’un recueil mystique publié tardivement73. Ce bref résumé de la voie mystique vécue dans toute son exigence jette un éclairage vivant sur les entretiens par lesquels la sœur Marie, âgée, rayonnait sur ses visiteurs.

Marie fut ainsi « sauvée » et authentifiée deux fois et dans deux directions différentes : par le premier évêque de Québec, qui emporta de France le manuscrit de la Vie admirable rédigé par Jean Eudes ; puis près d’Amsterdam, par l’éditeur protestant des œuvres de M. Bertot où sont inclut les Conseils.

Certaines pages paraissent aujourd’hui étranges parce qu’elles mettent en évidence l’esprit du temps vécu par une fille de la campagne normande qui a traversé des épreuves intimes extrêmes et se croit possédée, suivant en cela l’opinion de ses proches. Mais le témoignage pénètre plus profond, car sœur Marie atteint le cœur de la vie mystique. Elle se révèle positive et moins portée à la crédulité que certaines des figures religieuses de son époque. Elle présente une « figure de résistante » qui surmonte toute épreuve. En ce qui concerne la forme, la véracité d’une nuit mystique est restituée sur un mode très coloré, souvent proche de celui des visionnaires du Moyen Age. S’en détachent des « songes » de toute beauté.

Le témoignage est admirable par la trajectoire héroïque dans et par une passiveté qui sortira victorieuse du bourbier des sens. Ses « dits » sont à comparer, par leur droiture devant la grandeur divine, à ceux de la grande Catherine de Gênes. De multiples dialogues magnifiques dans leur profondeur transcendent le ciment d’un rapporteur trop sensible aux rites de la piété d’antan. Nous les avons dégagés de leur gangue pour les présenter ici.

Il s’agit bien d’une œuvre maîtresse dont le mérite est de traduire l’élan « implacable » nécessaire à l’achèvement du chemin mystique74. L’appel, qui reste à vivre aujourd’hui sous des formes qui ont évoluées, témoigne d’un Invariant qui transcende époques et croyances. Achevons par un bref aperçu biographique :



La sainte de Coutances

Marie des Vallées naît dans un village de Basse Normandie de parents pauvres. Orpheline de père à douze ans, elle devient servante. Demandée en mariage, elle refuse et se trouve victime, au plan du vécu psychologique, d’un sort jeté sur elle. On la conduit à Rouen auprès de l’archevêque pour des exorcismes solennels :

« On lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe hachée menue, et qu’on lui commanda de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu’on lui faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite ».

La rüe, plante médicinale d’un goût âcre et amer, à l’odeur très persistante, était en effet utilisée contre les ensorcellements.

« Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens en la présence desquelles elle fut dépouillée pour la seconde fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes »75.

L’absence de douleur était un signe suspect : telle était la pratique d’époque des procès en sorcellerie. Rouen héritait d’une Inquisition rodée. Après six mois de prison vécus dans des conditions atroces, elle est déclarée vertueuse et devient servante au service de l’évêché de Coutances. Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession pouvait être interprété comme un manque de foi 76 ». On devine l’effet pervers qui peut s’ensuivre.

A vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte héroïquement un « échange de volonté » (ce qui peut être comparé à la prise en charge par Surin d’âmes en perte). Trop volontaire, elle vit le désespoir des damnés qui sont les objets de « l’Ire de Dieu » et connaît deux épisodes terribles qu’elle nomme « l’Enfer » (1617-1619) et « le Mal de douze ans » (1622-1634) 77 : « Elle dit qu’une des plus grandes peines des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur semblaient des siècles ». (V 2.4 78)

Sortant lentement de cette nuit, elle vivra encore vingt-deux années. Sur ordre de l’évêque, le père Eudes l’exorcise « en grec » en 1641. Puis elle deviendra la conseillère d’un grand nombre de visiteurs. Ainsi « l’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour. » 

D’une grande sagesse, elle évoque pour eux la diversité des chemins spirituels :

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner car si on y fait entrer des personnes qui n’y soient point attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre […] Il ne faut point s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. »

« Comme ils voulaient continuer à lui parler, elle leur dit : La porte est fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites. »79, faisant ainsi écho à un Ruusbroec (1293-1381) qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il sentait la grâce d’inspiration absente.

Les dits que l’on va aborder utilisent des images vives, voire luxuriantes. Ils traduisent une culture visuelle typique de qui n’est pas intellectuel, en utilisant la représentation médiévale du monde qui perdure dans les campagnes. Ces images demeurent ici très bien organisées et veulent assurer la fonction enseignante de paraboles mystiques.

Hors image, le dit demeure sobre, une « flèche de feu » comme chez Catherine de Gênes - sûr indice de la véritable vie mystique opposée à la seule imagination visionnaire : si la « sœur Marie » rapporte un songe c’est pour l’interpréter allégoriquement en vue d’un enseignement spirituel. Et ses réactions vis-à-vis de clercs, ses interactions sociales, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens souvent critique : ne travaille-t-elle pas pour venir en aide aux ensorcelés de toutes origines ?

La vie admirable80.



Possession81

Lorsqu’il demeura constant que la sœur Marie était possédée des malins esprits et qu’elle vint à le savoir82, elle commença, par le raisonnement du Saint Esprit, à parler ainsi en soi-même :

« Pourquoi est-ce que je suis possédée ? D’où vient cela ? Je suis bien certaine que je ne me suis pas donnée à l’esprit malin. Je suis bien assurée que mes parents ne m’y ont pas donnée, car je ne leur en ai jamais donné le sujet. C’est donc que Dieu l’a voulu ainsi, oui sans doute. […] Mais il me faut bien prendre garde à ce que je dois faire pour plaire à Dieu et pour me sauver en l’état où je suis. Me voici entre les mains de l’Église, laquelle n’a point d’autre intention que de me délivrer des démons, si c’est la volonté de Dieu. Que faut-il que je fasse de mon côté ? Il faut que j’obéisse promptement et exactement à tout ce que l’Église me commandera, sans examiner ce qui me sera ordonné et sans me plaindre jamais des choses qui me seront commandées, pour difficiles qu’elles puissent être. »

Rêve de l’Enfer. Sa miséricorde83.

Elle se trouva en esprit enfermé un espace de temps dans une salle où il n’y avait aucune ouverture, par conséquent ni porte, ni fenêtre, et au milieu était l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel elle voyait le feu de l’enfer. La voilà saisie d’une frayeur et d’une angoisse extrême ; elle crie à Notre Dame : « Hélas ! où sommes-nous ? »

Notre Dame se rit et témoigne qu’elle est bien aise de la voir là et dit : « Je vous y ai mise mais je ne vous en retirerai pas. »

Les frayeurs continuaient, lesquelles pourtant ne paraissaient que dans la maison où elle était. Chaque jour le lieu où elle était fondait peu à peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour s’empêcher de tomber dans l’abîme.

Elle criait à Notre Dame : « Est-ce là le chef-d’œuvre de votre puissance ! Quelle cruauté ! Ah ! Je ne puis plus demeurer en cet état. » Enfin quand tout fut fondu sous ses pieds, elle se trouva délivrée. Cela représente l’état malheureux des sorciers, ils sont à présent dans l’état du péché sans en pouvoir sortir, si ce n’est par miracle, tellement que mourir pour eux et tomber en enfer c’est la même chose. Et cette peine qu’elle endurait était pour obtenir de Dieu la conversion des sorciers.

*

Une autre fois comme elle priait pour une pauvre femme ensorcelée, qu’il plut à Notre Seigneur et à Notre Dame la délivrer, il lui fut dit : « Représentez-vous une mère qui a deux enfants malades, l’un n’est malade que d’une fluxion qui lui découle du cerveau et lui cause de grandes incommodités, le médecin lui baille une médecine qui le guérira absolument. Il n’a qu’à souffrir les tranchées84 de la médecine. L’autre est malade d’une grosse fièvre qui lui ôte la raison et le jugement. Il n’a que les paroles et les actions d’un désespéré. Le médecin le regarde comme ne voyant aucune disposition en lui de se servir d’aucun remède et n’y attend que la mort, si Dieu n’y fait un miracle de Sa miséricorde. Le premier est malade par ignorance et fragilité qui procède du péché d’Adam comme du chef, et celui-ci est en état de salut, et partant, il ne faut point s’inquiéter pour lui. Telle est cette pauvre femme. Le second est transformé en diable. Il n’a point d’autre volonté et d’autre intention que celle du diable, et tout ce qu’il fait, c’est pour lui plaire. Celui-là représente les sorciers. » Notre Seigneur ajoute : « Voyez lequel des deux est le plus malade et le plus digne de compassion. » Il dit encore : « Il faut tarir la fontaine, et il n’y aura plus de ruisseau. Il faut convertir les sorciers, et il n’y aura plus de sortilège. »



Une descente en Enfer85.

La sœur Marie […] pria instamment Notre Seigneur qu’Il fît en sorte que les maléfices que les sorciers devaient jeter sur d’autres filles, tombassent sur elle, afin de les en préserver.

« Parce que, disait-elle, me voici entre les mains de l’Église qui m’en délivre par le moyen des exorcismes et des prières qu’elle fait pour moi. » Deux mois ou environ après cette prière, un jour qu’elle ne se souvenait plus de l’avoir faite, Notre Seigneur lui parla en cette façon :

« Voici bien des gens qui vous apportent des présents et qui s’appauvrissent pour vous enrichir.

- Je n’ai que faire de leur présent, dit-elle, ni de leurs richesses ; Vous m’êtes suffisant. Je ne veux rien que vous : mais prenez-les, Vous, les présents en paiement de ce qu’ils Vous doivent.

- Ce n’est pas paiement que cela, dit Notre Seigneur, ils ont mérité des peines éternelles. » Et en disant cela, Il lui fit connaître que ces gens étaient des sorciers qui venaient à elle pour lui jeter des sortilèges et qui s’appauvrissaient par les péchés qu’ils commettaient pour l’enrichir par les souffrances qu’ils lui faisaient porter. Alors toute embrasée du feu céleste de cet amour divin qui est fort comme la mort et inexorable comme l’enfer, elle dit à Notre Seigneur :

« Ils ont mérité, dites-vous, des peines éternelles ; je m’offre à vous pour les souffrir en temps afin qu’ils en soient délivrés pour l’éternité.

- Mais ils ont mérité l’Ire de Dieu, » ajouta Notre Seigneur.

- « Je la porterai bien aussi, répartit-elle, et mille enfers, s’il en est besoin afin que vous leur fassiez miséricorde.

- Oh ! Tu ne sais ce que tu demandes, dit le Fils de Dieu.

- Pardonnez-moi, répondit-elle ; je sais bien ce que je demande, je demande mes frères qui se perdent. J’ai une connaissance certaine que Vous cherchez quelqu’un qui veuille souffrir pour eux les peines d’enfer et l’Ire de Dieu, afin de leur donner l’éternité - car je voyais tous les jours l’Amour divin qui cherchait quelqu’un pour cela - Me voilà ! Prenez-moi ! »

Mais d’abord Notre Seigneur la rebutait comme en la méprisant, mais tant plus Il la méprisait, tant plus elle s’offrait à Lui et Le priait avec plus de ferveur de l’accepter :

« Oh ! disait-elle, si vous saviez le très grand désir que j’ai de souffrir, vous ne diriez pas que je ne sais ce que je demande. Je crains bien que vous n’ayez pas assez de tourments à me donner. »

En ce temps-là, étant un jour dans la chapelle de l’évêché, elle vit en esprit les bons anges des sorciers et elle les entendait pleurant et disant : «C’est grande pitié de voir tant d’âmes qui se perdent : il faudrait dire à leur intention les sept Psaumes pénitentiaux. » Elle sut peu après que par les sept Psaumes, il fallait entendre les peines d’enfer qu’elle devait souffrir. Ensuite de cela, elle continua environ deux ans à prier Dieu avec toutes les instances possibles, qu’Il lui fît souffrir les peines d’enfer, afin d’en préserver les sorciers et pour obtenir ce qu’elle demandait, elle suppliait les saints de prier avec elle et faisait d’étranges pénitences : le tout pourtant, par l’ordre de la divine Volonté, quittant entièrement les linges, se ceignant d’une ceinture de crin portant un cilice, ne mangeant que du pain et ne buvant que de l’eau.

Un jour qu’elle priait avec une grande ferveur pour impétrer de Dieu la grâce susdite touchant les peines de l’enfer, une flamme de feu descendit du ciel sur sa tête en signe qu’elle était exaucée : ce qui fut aperçu par deux hommes dignes de foi86 qui étaient présents et qui l’ont ainsi attesté. Ensuite de quoi elle sentit son cœur embrasé d’un désir très véhément de souffrir les peines susdites.

Sur la fin de ses deux ans87, elle fut huit jours dans de grandes consolations, ensuite de quoi, un jour, comme elle mangeait son petit morceau de pain au retour d’un petit pèlerinage qu’elle venait de faire, lassée de fatigue qu’elle était selon les sens, elle commença à dire en soi-même : « Encore s’il m’était permis d’avoir quelque petit rafraîchissement avec mon pain. »

Elle entendit une voix qui lui dit en esprit d’un ton et d’un accent terribles : « Ce n’est pas tout, il faut bien passer outre, il faut mourir aujourd’hui et descendre en enfer. » Ce qui l’épouvanta étrangement, car alors il ne lui souvenait point du tout ce qu’elle avait demandé à Dieu sur ce sujet.

Elle dit ce qu’elle avait entendu aux ecclésiastiques qui avaient soin d’elle et qui étaient présents, lesquels la voulaient consoler, lui disant que cela ne serait pas : « Si, dit-elle, cela sera : il faut mourir et descendre en enfer, car cela m’a été dit si fortement et en une manière si certaine, que je n’en puis douter. Mais pourtant aidez-moi à prier Dieu qu’Il me donne quelque temps pour faire pénitence. » En disant cela, elle souffrait les angoisses d’une âme qui va être damnée : tout cela dura bien trois heures ou environ. Là-dessus, ils se mettent en prières et elle aussi.

À la fin de la prière, il lui sembla qu’on lui tirait un rideau noir et obscur qui cachait celui qui lui avait prononcé cette horrible sentence, qui était Notre Seigneur, lequel lui dit d’une voix aussi douce et aimable comme la précédente était épouvantable : « Allez, c’est moi qui vous y envoie ! » À cette parole la voilà remplie d’un courage et d’une force si grande qu’il lui semblait qu’elle était capable de porter les tourments de mille enfers. En même temps, elle se trouva d’esprit en enfer, où elle vit les tourments effroyables des damnés et entendit leurs cris et leurs blasphèmes. Néanmoins les trois premiers jours elle ne souffrait rien, mais elle allait et venait en esprit de la terre en enfer et de l’enfer sur la terre, et étant en enfer elle entendit les damnés qui disaient entre eux : « Qui est cette âme qui vient en enfer, et qui en sort aussi ? Nous n’avions jamais vu rien de semblable. » Et là-dessus ils vomissaient mille malédictions contre elle88.

Au bout de trois jours, les diables s’assemblèrent en enfer et amenèrent au milieu d’eux une monstrueuse bête d’une grandeur énorme et d’une laideur épouvantable qu’ils tirèrent du fond de l’abîme. Elle fut présentée devant ce monstre et les démons commencèrent à l’accuser de tous les crimes des sorciers. Cependant elle ne faisait autre chose que de dire : « Dieu véritable, vous savez qu’ils ne disent pas vrai et que je n’ai rien fait de tout cela. » Nonobstant les esprits malins insistent à l’accuser et dire qu’on la leur bâille pour prendre sur elle la satisfaction et le paiement des peines dues à tous ces crimes, si bien qu’elle fut condamnée par cette horrible bête à souffrir tous les tourments que méritent tous les forfaits dont on l’accusait.

Cette sentence ayant été prononcée, voilà qu’elle commença à souffrir premièrement en son esprit et peu après en son corps l’Ire de Dieu et toutes les peines de l’enfer qu’elle désirait en cette façon.



Les peines de l’esprit et la Colère de Dieu89.

La première peine qu’elle souffrit en son esprit, ce fut l’Ire de Dieu qu’elle assure être le plus grand supplice de l’enfer, et que tous les autres quoique très terribles sont néanmoins si légers en comparaison de celui-là que les damnés voudraient souffrir dix mille feux tels qu’est celui de l’enfer pour être délivrés du tourment de l’Ire de Dieu, lequel consiste en ce qu’ils voient Dieu tout embrasé d’Ire et de colère contre eux. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils voient Dieu ainsi irrité et courroucé contre eux, ce qui leur cause un supplice inexplicable, et dont la grandeur est autant incompréhensible que celle de l’Ire d’un Dieu. Les saints voient Dieu et sont en Dieu comme dans un feu d’amour et de charité qui les pénètre, les anime et les enivre du torrent de ses délices inénarrables. Les bienheureux voyant en Dieu comme dans un miroir immense toutes les créatures qui contribuent toutes à leur félicité, les damnés voient aussi en Dieu comme dans un miroir toutes les choses créées qui sont toutes en fureur contre eux. […]

« Je voyais, dit-elle, la terre qui regardait fixement la divine Volonté, comme lui demandant si elle avait agréable qu’elle s’ouvrît pour m’abîmer. Je voyais la mer qui la regardait aussi et qui lui demandait si elle avait agréable qu’elle se divisât en autant de parties qu’elle a de gouttes d’eau, afin que chacun pût exercer sur moi un tourment particulier. Je voyais toutes les autres créatures qui en faisaient de même jusqu’au moindre atome : il n’y en avait pas un, pour petit qu’il fût, qui ne se tint assez fort pour m’écraser et pour me réduire en poudre, si la divine Volonté lui en eût donné l’ordre, afin de venger sur moi les injures faites à son Créateur, c’est-à-dire pour les péchés dont elle s’était chargée. »

Elle voyait même dans le pain qu’elle prenait, l’Ire de Dieu, comme une fourmilière de vers qui seraient dans une pièce de bœuf pourrie. À raison de quoi, ce qu’elle mangeait pendant qu’elle était en enfer, et plusieurs années après, lui causait de grandes douleurs.

« Tous ceux qui sont en enfer, dit-elle, sont aussi animés de l’Ire de Dieu les uns contre les autres, de sorte qu’ils sont remplis d’une haine et d’une fureur implacable qui les rend bourreaux les uns aux autres et qui les porte à se maudire continuellement, à se déchirer et à se torturer les uns les autres.

« Cette même ire de Dieu les anime contre eux-mêmes : elle anime les sens contre l’esprit et l’esprit contre les sens ; ce qui les rend furieux et enragés contre eux-mêmes et fait qu’ils se haïssent, de telle sorte qu’ils sont insupportables à eux-mêmes et qu’ils s’écraseraient et s’anéantiraient s’il était en leur pouvoir.

« Les misérables damnés sont toujours vivants et immortels. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils sont vivants, parce qu’ils sont davantage animés de l’Ire de Dieu qui est l’âme des damnés. Elle les anime et vivifie de telle sorte qu’il me semblait que quand on aurait coupé et haché toutes les parties de mon corps aussi menu que sont les grains de sable de la mer, je ne serais point morte pour cela, mais que chaque partie aurait été aussi pleine de vie comme le tout ensemble.

Si une piqûre d’épingle, dit encore la sœur Marie, était de la nature des peurs d’enfer, elle causerait un mal plus grand que ne seraient tous les maux et tous les tourments que tous les hommes et tous les diables pourraient faire souffrir en ce monde, quand ils emploieraient toute l’étendue de leur fureur et de leur force. La raison est parce que cette piqûre d’épingle serait animée de l’Ire de Dieu ; or l’Ire de Dieu surpasse infiniment toutes les colères et fureurs de tous les hommes et tous les diables, de sorte que, comme la moindre joie du ciel surpasse incomparablement tous les contentements de ce monde, ainsi la plus petite peine de l’enfer surpasse tous les supplices de cette vie.

« Enfin, si un damné paraissait sur la terre, dit-elle encore, et qu’on lui dit : « Vous voilà bien malade et bien affligé, mais savez-vous bien le mal que vous souffrez ? Quel est-il ? » Il répondrait : « Je ne le sais point, je ne le puis dire, car pour le bien connaître et pour l’expliquer, il faudrait pouvoir comprendre ce que c’est que l’Ire de Dieu : « Quis novit potestatem irae tuae et prae timore tuo iram tuam dinumerare ? 90»

Peu de temps après qu’elle fut entrée dans ces supplices, elle vit son esprit qui sortit de l’enfer, en étant revêtu d’une force divine qui lui fut donnée, s’en alla par tout le monde mettre à mort un nombre infini d’ordes bêtes91 qui représentaient les péchés mortels. Puis il revint en son corps à qui il communiqua ses peines. Et ce fut alors que le corps commença à souffrir.

Le plus grand supplice qu’elle souffrait après l’Ire de Dieu, était de la vue qu’elle avait de l’état horrible de son esprit. Elle le voyait si effroyable que ce lui était un tourment indicible de se voir unie avec un monstre si hideux. Elle assure qu’elle eût beaucoup mieux aimé être animée du plus horrible de tous les démons : parce que le plus affreux de tous l’était beaucoup moins que son esprit à cause de tous les crimes dont il s’était chargé et qu’il avait en quelque sorte rendus siens. De là procédaient mille reproches qu’elle faisait lui disant : « C’est toi qui est cause que nous sommes ici ! » Mais elle [le] voyait quelquefois levant un voile dont sa face était couverte, et lui disait avec un visage gai et content et qui était fort beau : « Nous sommes ici, mais c’est Dieu qui nous y a mis. » Alors elle demeurait satisfaite pendant que cette vue durait, mais elle passait bientôt.

Voici une autre peine de l’esprit, laquelle il communiquait aux sens, qui est épouvantable : c’est le désespoir, qui provient, dit la sœur Marie, de ce que les damnés voient que Dieu est éternel et que son Ire demeurera éternellement sur eux et que tous leurs autres tourments dureront autant qu’il sera Dieu et par conséquent qu’ils ne finiront jamais. C’est ce qui les fait désespérer et enrager au dernier point.

Le désespoir, dit-elle, est le roi de l’enfer, parce qu’il règne sur tous les damnés et que c’est en quelque façon le plus grand de tous les supplices de l’enfer, parce que c’est comme un résultat, un composé et un consommé de tous les autres. C’est le père et la source de tous les blasphèmes de l’enfer. Elle le voyait en esprit sous la figure d’un lion enragé qui la tenait toujours enchaînée par le col avec une chaîne de fer, et de fois à autre, il entrait dedans elle par la bouche. C’est pourquoi elle s’adressait à Dieu promptement, lui protestait qu’elle renonçait de tout cœur à tout ce que la langue allait proférer, et le suppliait très instamment de la garder de rien dire en quoi Il fût offensé et de faire en sorte qu’on lui arrachât plutôt la langue de la bouche que de permettre qu’elle proférât aucune parole qui lui déplût. Sitôt que ce monstre était entré en elle, il proférait par sa bouche plusieurs blasphèmes, mais elle n’y avait aucune part puisque c’était malgré elle et contre sa volonté. Et cela ne se faisait jamais devant personne qui en pût être scandalisé, de sorte que s’il entrait un enfant seulement au lieu où elle était, tout cela cessait. Car ce qui est bien remarquable dans toutes les choses étranges qui se sont passées en elle, soit dans l’enfer, soit dans le mal de douze ans92 ou dans les autres maux, jamais Dieu n’a permis qu’il se soit dit ou fait aucune chose capable de scandaliser qui que ce soit. Voilà les peines que l’esprit souffrait dans l’enfer.



La Tentation93.

Durant tout ce temps-là, elle était pendant le jour avec les deux honnêtes ecclésiastiques en la garde desquels elle avait été mise par Mgr de Coutances, et le soir on la menait dans l’évêché où il n’y avait personne du tout, et où elle passait la nuit toute seule. […] Alors elle se résolut de se tuer. Pour cet effet, elle prend un couteau, étend le bras pour se l’enfoncer dans la poitrine. Mais en même temps le bras lui demeura raide comme un bâton, la main lui fut ouverte et le couteau tomba par terre.

Là-dessus Dieu lui ouvrant l’esprit pour un peu de temps, elle commença à faire réflexion sur elle et à discourir ainsi à elle-même :

« Qu’est-ce que ceci ? Où suis-je ? Et en quel état ? Sans doute, je ne suis point encore tout à fait perdue et abandonnée de Dieu. Il a encore soin de moi, puisqu’Il m’empêche de me tuer. »

Puis regardant et considérant le lieu où elle était, elle disait aussi :

« Je suis encore au monde, voici une table, un coffre, un lit. Je suis en une chambre, je suis encore en la terre et par conséquent je puis me sauver. »

Ensuite de cela, elle se met à genoux et fait cette prière et vœu à Dieu :

« Mon Dieu, je m’offre à vous pour porter toutes les peines de l’enfer et tous les tourments que vous avez préparés au péché, et fais vœu de les souffrir en temps94 afin que vous en délivriez mes frères dans l’éternité. »

Ayant fait cette prière, Notre Seigneur la prit en sa main comme l’on prendrait une balle et avec une fureur et impétuosité incroyable, la jeta dans le plus profond de l’enfer. Dans cet instant, la vue qu’elle avait d’être encore au monde et l’espérance de se pouvoir sauver lui furent ôtés et elle s’écria ainsi : « Ah ! C’est maintenant que je suis damnée tout à fait ! » Et alors tous les tourments redoublèrent.



Le colombier d’eau et de feu95.



Durant tout le temps qu’elle fut en enfer, elle ne vit point de quelle manière il était fait quant à la forme et figure extérieure, mais seulement quand elle en sortit. Et voici comme elle le vit et comme elle le représente :

« Imaginez-vous, dit-elle, un puits extrêmement large et profond, dans lequel il y a de l’eau et du feu. L’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut comme l’eau d’un puits, sans être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est horriblement vilaine, puante et froide extrêmement, et plus que toutes les glaces imaginables.

« Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une muraille qui l’environnât : si bien que représentez-vous une muraille de feu tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusqu’au haut, quantité de sièges ou de places disposées comme sont les trous d’un colombier. C’est dans ces sièges de feu qu’elle appelle des chaises que sont les damnés, et les mêmes sièges sont plus ou moins ardents pour chacun d’eux, qu’ils ont plus ou moins commis de péchés. Et après qu’ils ont été quelque temps dans le feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après, ils les rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur à une extrême froideur. Chaque damné demeure dans le siège de feu qui lui est destiné, ceux qui sont plus damnés dans les places plus basses et ceux qui le sont moins en celles qui sont plus hautes. »





Le lit interdit96.

Avant que la sœur Marie entrât dans le mal de douze ans, elle se vit toute nue au pied d’une très belle couche dont la couverture était blanche comme de la neige. Cette couche n’avait point d’autre dessus que le ciel. Elle vit quant et quant97 l’Amour divin qui travaillait en un même temps en un nombre innombrable de divers ouvrages, et il lui dit : « N’entrez pas, ma fille, dans cette couche sans appeler votre Epoux : appelez-Le et s’Il ne vient, je L’appellerai moi-même et Il viendra assurément. Vous ne Le déparagerez98 pas. Votre père est aussi noble que le sien et je vous doterai richement. » Alors elle L’appelle plusieurs fois par de beaux versets de la Sainte Écriture, mais Il ne venait point. Elle tremblait de froid au pied de cette couche. Après L’avoir appelé longtemps, voyant qu’Il ne venait point, elle le va dire à son Père l’Amour divin, lequel L’appelle lui-même, et Il vient aussitôt. Étant arrivé, Il dit à la sœur Marie : « Si vous étiez entrée toute seule dans cette couche, c’est-à-dire dans le mal de douze ans qu’elle figurait, vous y auriez été consumée aussi promptement qu’un brin de paille dans une fournaise ardente. »

Les armes du combat99.

Un jour, pendant ce même temps, étant entièrement enflammée de colère contre le péché, elle se leva sur les pieds et dit : « Donnez-moi des armes offensives et défensives pour combattre le monstre et pour le faire mourir. » Ayant dit cela, elle se trouva armée en esprit d’une longue pertuisane à deux pointes d’or, la poignée d’or et le manche de fer. […] La poignée d’or est l’Amour divin et la Charité divine. Le manche de fer, c’est la sœur Marie et ses souffrances, laquelle est possédée et conduite par l’Amour divin et la Charité, et c’est cette verge de fer dont il est fait mention en ces paroles : « Reges eos in virga ferrea, et tanquam vas figuli confringes eos100 » et dont l’amour et la charité se serviront avec Notre Seigneur et sa sainte Mère pour briser et anéantir le péché.

Le mal de douze ans101.

Il commença en la mi-Carême et comme un carreau de foudre qui lui entra dans le cœur inopinément et lorsqu’elle y pensait le moins, et avec une violence non pareille, ce qui l’étonna étrangement, mais elle se consolait disant en soi-même que ce mal ne serait pas de durée puisqu’il était si violent.

Ce carreau de foudre était l’Ire de Dieu, ainsi qu’elle a su depuis. Le tourment qu’elle lui a fait souffrir était principalement dans l’esprit qui l’avait désiré ardemment. Il était si terrible et si véhément que bien souvent on la voyait pâmée de douleurs et privée de l’usage de ses sens comme une personne qui était enivrée de fiel et qui ne savait où elle était ni ce qu’elle était, ni ce qu’elle faisait, quoique pourtant elle ne fît jamais rien d’extravagant ni qui fût capable de blesser ou de mal édifier personne. Elle dit que ce mal, c’est un enfer tout nouveau que l’Amour divin a fait pour elle, qui surpasse incomparablement en sa rigueur et en ses supplices l’enfer des damnés.

*

Il est rapporté dans la vie de sainte Catherine de Gênes, qu’un jour Dieu lui fit voir la laideur du moindre péché véniel et que cette vue ne dura qu’un moment, mais qu’elle assurait ensuite qu’elle avait vu une chose si effroyable que le sang lui glaça dans les veines, qu’elle fut réduite en l’agonie et qu’en effet elle serait morte de frayeur si Dieu ne l’avait préservée par miracle, afin de raconter aux autres ce qu’elle avait vu. Que si la vue seulement de la difformité de péché véniel opère des effets si étranges, que serait-ce de voir l’horrible monstre du péché mortel ? Et qu’est-ce non seulement de voir, mais de boire à longs traits le venin de tant d’aspics et le fiel de tant de dragons, et d’être accablé sous le faix d’autant de monstres épouvantables comme il y a de péchés au monde, dont le nombre est plus grand que celui des gouttes d’eau et des grains de sable de la mer.

Elle porte les péchés d’autrui102.

Le samedi d’après le jour du saint Rosaire 1646, elle se vit entortillée d’un horrible serpent qui faisait trois tours autour d’elle et élevait sa tête vis-à-vis de sa bouche, et jetait son souffle droit dans sa bouche. Notre Seigneur dit que le serpent représente l’infidélité et que son souffle représente le désespoir duquel elle se trouvait toute remplie. Cinq jours après il ne souffla plus, mais il ouvrit sa bouche et tira sa langue, et il avait les yeux comme hors de la tête et fort enflammés, et la langue et la bouche étaient noires et les dents blanches. Sa langue et sa bouche noires signifiaient que la plupart des paroles des infidèles ne sont que péchés. Les yeux rouges et enflammés pour montrer que l’infidélité n’a d’autre visée que de mener les âmes en enfer ; et les dents blanches pour montrer que leur vie licencieuse qui les dévore leur semble belle et blanche. Outre cela elle vit son cœur entouré de mourons103, de crapauds, de vipères et autres serpents inconnus qui la mordaient, piquaient et dévoraient. Ces ordes bêtes sont les péchés des prêtres qui sont le cœur de l’Église. De plus sa couche lui sembla toute remplie de ces mêmes bêtes de toutes sortes qui ne la mordaient pas ni piquaient mais qui l’infectaient de leur ordure et puanteur, étant couchées avec elle. Ce sont les péchés du commun peuple.

*

Le jour de saint Matthias, Notre Seigneur lui dit : « Mon amour divin vous a chargée des péchés des âmes, il vous a enchaînée de leurs chaînes et liée de leurs liens. Il n’y a que moi seul qui vous en puisse délier par ma puissance absolue. Je brise vos chaînes et romps vos liens. »

*

Le 3 février 1646, elle dit à Notre Seigneur : «Pourquoi est-ce que j’ai une si grande frayeur qui me suit partout ? Quel sujet ai-je de craindre ? J’ai toujours dit la vérité, je n’ai jamais dit un mot que je doive dédire.»

Notre Seigneur lui dit : « Quand je me charge des péchés des hommes, je me charge aussi des appartenances du péché qui sont la frayeur, la crainte, l’ennui et la tristesse, et de là vient qu’il est dit de moi : « Coepit pavere, taedere et moestus esse104 ». C’est que l’âme qui est en péché mortel devrait avoir une grande frayeur de loger chez elle un monstre si épouvantable. Oh ! Qu’elle devrait avoir un grand ennui d’être dans un état si misérable ! Oh ! Qu’elle devrait avoir une grande tristesse d’avoir offensé un si bon Père comme est Dieu ! Mais parce qu’elle est morte, elle est insensible à ses maux.

Quand je vous ai donné les péchés d’autrui, je vous ai donné les appartenances du péché, qui sont ces quatre choses. Il ajoute : « Oh ! Que l’âme qui est en péché mortel est digne de grande compassion. »

Les désolations105.

Un jour, comme la sœur Marie se plaignait à Notre Seigneur de ce qu’il donnait de son vin aux autres, c’est-à-dire de la consolation par le moyen des choses qu’elle dit, et qu’à elle Il ne lui donnait rien : « C’est qu’il est jeûne pour vous, lui dit-il. Quand une dame jeûne en sa maison, elle ne laisse point de donner à boire et à manger aux autres. Vous jeûnez jusqu’au soir : c’est la veille de Noël. »

Une autre fois Notre Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point.

*

Durant le mal de douze ans elle vit deux portes à une chambre. L’une de ces portes était à l’Orient, l’autre à l’Occident. Celle qui était à l’Orient était belle, grande et à deux panneaux, mais elle était fermée. Celle de l’Occident était petite et ouverte, et elle, voyant quantité de personnes qui rentraient en foule et avec empressement par cette porte dans cette chambre, on lui fit entendre que l’Orient signifie les consolations, et l’Occident les désolations, et que, quand la Passion de Notre Seigneur était venue chez elle, elle avait fermé la porte d’Orient et ouvert celle de l’Occident, c’est-à-dire qu’elle avait fermé la porte à toutes sortes de consolations divines et humaines et qu’elle l’avait ouverte à toutes sortes de croix, de souffrances et d’angoisses. La porte des consolations est grande et celle des désolations petite pour montrer que quand le temps de consolation sera venu, Dieu sera bien plus libéral à nous consoler qu’Il n’a été à nous affliger.

*


Entre quantité de maux106 et de tourments que Notre Seigneur a envoyés à la sœur Marie, le plus grand de tous c’est le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance et qui la tourmentait horriblement. « C’était, dit-elle, un monstre épouvantable qui me rongeait le cœur continuellement. » Pendant plus de trente-cinq ans, elle en a été travaillée. Elle se trouvait souvent environnée de ténèbres si épaisses et si horribles qu’elle ne savait où elle était, ni ce qu’elle était, ni s’il y avait une religion, une foi, un Dieu, et ce mal lui a pesé jusqu’à la mort.

Notre Seigneur lui a dit que c’était le plus grand don qu’Il lui eût fait.

« Je hais l’honneur »107.

Un jour la sœur Marie dit : « Notre Seigneur me fit voir une salle dont les murailles, le pavé et le plancher étaient d’or. Contre les murailles étaient des enrichissements d’azur. Dans cette salle étaient plusieurs Ethiopiens qui travaillaient : les uns filaient, les autres tissaient, les autres teignaient, les autres taillaient et cousaient des habits. Ils viennent à moi et me présentent une belle chemise bien blanche, secondement une robe de damas blanc, troisièmement une robe de pourpre. Je les renvoie bien rudement et me retire près de la cheminée et me mets à pleurer de douleurs de ce qu’on m’avait offert ces robes.

Là-dessus, Notre Seigneur vint qui me dit : «Pourquoi avez-vous refusé ces robes ? J’ai fait ces oeuvres d’un royaume étranger, pour l’amour de vous, prenez-les !

- A moi, répondis-je, telles robes ! Je ne les prendrai point. C’est comme si vous en vouliez revêtir un âne, cela n’est pas à mon usage. Vous avez tant de belles princesses dans le ciel à qui elles conviendront mieux qu’à moi. Donnez-les à quelques-unes.

- Elles sont faites pour vous.

- N’importe, je ne les prendrai point.

- Prenez-les pour l’amour de moi, dit Notre Seigneur, si vous ne les prenez pas, vous ne m’aurez pas pour époux.

- Je ne vous aurai donc point, telles robes ne me sont pas propres.

- Je revêtirai votre âme, dit Notre Seigneur, de la lumière de gloire, moyennant laquelle ces robes vous siéront fort bien.

- Je subirai plutôt de n’aller jamais au ciel que de consentir que j’en sois revêtue. Ne savez-vous pas bien combien je hais l’honneur et les choses qui paraissent et éclatent ? »

Là-dessus, Il s’en va aux ouvriers leur disant : « Ne les lui présentez plus. Tels sont les enfants de mon père : ils veulent bien aller au combat mais ils ne veulent point de récompense. »

Un peu après, Il revient : « Pourquoi ne prenez-vous point ces robes ? Je veux par ce moyen donner une joie accidentelle à mes saints. »

Je persiste à dire que je n’en veux point. Là-dessus il me mène en esprit au ciel. Je m’adresse à tous les saints et les prie d’intercéder pour moi auprès de Notre Seigneur à ce qu’Il ne me commande point de prendre ces robes. Ils me répondent que telle est Sa volonté, à raison de quoi je consentis à les prendre.

*

La salle, c’est le cœur de la sœur Marie. La chemise, c’est son innocence, la robe rouge, c’est le martyre qu’elle a souffert, la robe blanche, c’est la pureté virginale. Les Ethiopiens sont les diables qui, par les souffrances qu’ils lui ont fait endurer, ont servi à teindre et embellir ces robes. La robe blanche qui signifie la pureté virginale, laquelle est extrêmement agréable à Dieu, suit l’Agneau partout où il va. Mais les moindres choses qui lui sont contraires, la salissent.

Trois degrés de perfection108.

« Notre Seigneur me fit voir trois degrés de perfection, dit la sœur Marie.

Le premier. Je me voyais debout et encore toute vivante, et j’entendais Notre Seigneur qui me disait avec un visage tout riant : « Venez, mon épouse, je vous donnerai mon repos et vous couronnerai de gloire. » Mais jetant les yeux pour découvrir à sa contenance ce qu’Il désirait le plus de moi, ou que j’allasse au ciel ou que je descendisse en enfer, je reconnus qu’il avait plus agréable que je descendisse en enfer pour y souffrir pour sa gloire, à quoi je me résolus, et Notre Seigneur témoigna grande joie de l’usage que je fis en ceci de ma volonté pour faire cette élection. Et voilà le premier degré de perfection qui consiste en une parfaite conformité de notre volonté à celle de Dieu en tout ce qui lui est le plus agréable.

Le deuxième degré. « Je me voyais quelques années après comme une personne malade, languissante et agonisante, à la mort. Je voyais toutes les choses qui étaient en moi agoniser et mourir l’une après l’autre. L’esprit s’en alla le premier, la mémoire suivit après, puis l’entendement ; et tous avant que de s’en aller, venaient dire adieu à la volonté comme à leur reine et lui disaient qu’ils allaient trouver l’époux. La volonté partit ensuite et depuis je ne les ai plus revus, je ne sais où elles se sont. Pendant que j’étais dans cet état d’agonie, Notre Seigneur me disait : « Mon épouse, voulez-vous quelque chose, voulez-vous demeurer comme vous êtes ou si vous voulez, venir en ma gloire ? » Mais à tout cela je répondais que j’étais bien malade et que je n’étais point en état de faire aucun choix et qu’Il choisît pour moi ce qu’il Lui plairait. Et c’est le deuxième degré de perfection, dans lequel la volonté est encore vivante, mais elle ne fait plus d’élection : elle ne produit plus aucun acte comme étant déjà fort malade d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il Lui plaît.

Le troisième degré. « Quelque temps après, je n’avais plus de vie ni de sentiments de rien. Je ne me voyais plus et je disais à Notre Seigneur : « Je ne sais ce que cela veut dire : vous me promettez, vous me donnez, dites-vous, les plus belles choses du monde et je n’en sens rien, je n’en vois rien et je n’en crois rien !

- Est-ce que vous êtes, dit-il, dans le néant ?

- Qu’est-ce que être dans le néant ?

- Je m’en vais vous le dire. Imaginez-vous un roi qui est mort. On le mène dans une chambre bien tapissée et pleine de fleurs et de senteurs très agréables avec un appareil royal : il n’en voit rien, il n’en sent rien. On le prend, on le porte dans un cloaque ou bien on le jette aux chiens et aux corbeaux qui le déchirent et le mangent : il ne sent point tout cela non plus qu’auparavant. Quand on le porterait dans le ciel et qu’il serait au milieu des délices du paradis, il serait insensible à tout cela. Voilà ce que c’est que d’être anéanti. Voilà l’état dans lequel vous êtes, qui est le troisième degré de perfection. »

Depuis ce temps-là, je ne me suis point retrouvée : je ne sais où je suis, si je suis morte ou vivante, en la terre ou au ciel. »

Le dénuement109.

Un jour elle vit Notre Seigneur et Notre Dame qui étaient prêts de partir pour aller quelque part. Je commençais à dire à Notre Seigneur que je voulais aller avec eux.

- Non, me dit-il, vous ne viendrez point.

- Pardonnez-moi, j’irai partout où vous irez. [106v]

- Vous ne pourriez nous suivre à pied, répliqua Notre Seigneur, car je vais à cheval et je porterai ma mère en trousse.

- Si ferai, répondit la sœur Marie, je vous suivrai bien.

- Je vous assure, dit le Fils de Dieu, que si vous ne pouvez suivre, je vous attacherai par les cheveux à la queue de mon cheval.

- Comment, disait la Sainte Vierge, attacher une épouse à la queue de votre cheval par les cheveux ?

- Oui, je l’y attacherai, aussi pourquoi veut-elle venir ? Faut-il dit qu’elle nous suive partout où nous allons ?

- N’importe, redisais-je, faites ce que vous voudrez, mais je vous suivrai partout où vous irez. »

Voici l’explication de cette figure que Notre Seigneur en donna : « Ce cheval est mon Amour divin qui m’a apporté en la terre et qui m’a fait faire tout ce que j’ai fait. Je porte ma mère en trousse, car elle m’a suivi partout en mes divines vertus et perfections. Personne ne nous peut suivre parfaitement, s’il n’est attaché à la queue de mon cheval, comme je vous y ai attachée par les cheveux, car j’ai attaché toutes vos pensées, désirs et inclinations et affections représentées par les cheveux, aux pensées, désirs et inclinations de mon Amour divin. »



Le don du Cœur110.

Un jour Notre Seigneur lui [109] ayant donné un rosaire à dire, Il lui parla en cette façon : « Je vous ai donné un rosaire : mais que me donnez-vous ?

- Je vous donne mon cœur, dit-elle.

-Vous me donnez votre cœur, dit Notre Seigneur. Il est à moi : ce n’est point d’aujourd’hui que vous me l’avez donné : il y a longtemps que j’en ai pris possession et que j’y fais ma demeure. Mais vous êtes semblable à un pauvre à qui le roi a donné une pièce d’or, en suite de quoi il lui dit : « Voilà un don que je vous ai fait : mais vous, que me donnez-vous ? - Sire, répond le pauvre, je vous donne votre palais royal. - Le roi réplique : Il est à moi, vous ne me donnez rien - Il est vrai, sire, il est à vous, mais s’il était à moi, je vous le donnerais. »



Anéantissement mystique111.

Un jour voyant son bon ange, elle le pria de demander pardon à Dieu pour elle de ses péchés. Notre Seigneur et Notre Dame y étaient qui disaient : « Il faut qu’elle meure. » Elle demanda temps de faire pénitence. Mais ils disaient toujours : « Il faut qu’elle meure. » Elle sut par après que cela s’entendait de la mort à soi-même.

*

Ç’a été dès le commencement de ses souffrances qu’elle a commencé d’entrer dans la mort et dans l’anéantissement. Toutes les puissances de son âme, les passions, les sens intérieurs et extérieurs furent malades et ensuite vinrent à mourir. L’esprit qui est la partie suprême de l’âme qu’on appelle mens, fut le premier qui s’en alla dans le néant, puis la mémoire et par après la volonté, puis les passions, l’irascible et la concupiscible, les sens intérieurs et extérieurs. La raison fut la dernière qui s’en alla.

« Lorsque la mémoire était malade et que je l’appelais, dit la sœur Marie, ou que je me voulais ressouvenir de quelque chose, quelquefois Notre Seigneur répondait pour elle ; quelquefois aussi lorsque je parlais à Notre Seigneur, la mémoire répondait pour Lui, afin de montrer par là qu’elle était transformée en Lui. Et le même arrivait à l’entendement et à la volonté ; mais depuis qu’elles sont mortes et qu’elles s’en sont allées, je ne les ai ni vues ni ouïes, non plus que les passions et les sens. »

Cette mort, et anéantissement de toutes ses puissances, consiste en ce qu’elles n’ont point d’action par elles-mêmes, non plus que si elles n’étaient point, n’agissant plus que par l’esprit de Jésus-Christ souffrant, qui est en elle vivant. À raison de quoi, elle dit que la Passion de Notre Seigneur est l’âme qui l’anime. Lorsque la raison s’en alla, elle l’entendit parler ainsi à Notre Seigneur : « Mon créateur, je vous ai servi [118v] et honoré dans l’enfer : si vous avez agréable, j’irai vous servir et honorer dans le néant. » Et ayant dit cela elle s’en alla au néant et anéantissement de toutes ses puissances. Cela ne s’est pas fait tout d’un coup, mais en plusieurs années, y ayant beaucoup de temps et d’intervalle entre chaque puissance.

*

Pendant ce même temps, il se fit un jeu entre l’amour divin et la même volonté. C’est le nom que lui-même a donné à ceci qui consistait à ce qu’elle disait à Dieu comme saint Augustin : « Si j’étais Dieu et que vous fussiez ce que je suis, je me voudrais dépouiller de ma divinité pour vous la donner, et ainsi cesser d’être Dieu pour être ce que je suis, et que vous cessassiez d’être ce que je suis pour être ce que vous êtes. » Et ceci s’appelle un jeu parce que, lorsque l’âme entre dans la déification et que l’amour divin l’anéantit en elle-même, il se joue d’elle, parlant en sa personne et disant : Si j’étais Dieu ... etc. Et ceci est une des choses desquelles il lui est impossible de douter qu’elle ne soit véritable, laquelle fait voir la transformation en Dieu et la déification.

*

Le 20 juillet 1653, j’ai entendu la sœur Marie, laquelle toute enivrée d’amour vers la divine Volonté, parlait ainsi112 : « Je me suis donnée à la très adorable volonté de Dieu. Je veux aller partout où il Lui plaira. Si elle a agréable de m’envoyer au néant, me voilà toute prête de partir pour y aller, mais il n’est pas nécessaire qu’elle m’y mène, c’est assez qu’elle me commande d’y aller. Je lui obéirai de bon cœur et avec joie. J’ai pourtant une requête à lui présenter avant que de partir : c’est que je demande un peu de temps pour rendre grâce à Dieu de l’être qu’Il m’a donné, de tous les dons qu’Il m’a faits depuis que je suis au monde. Cela étant fait, je suis toute prête de partir pour aller au néant. On me dira que je sais bien que Dieu ne m’y enverra pas, mais je répondrai que non, que je ne sais point cela. Qui aurait cru qu’Il m’aurait envoyée en enfer toute vivante ! Il est tout-puissant. Il fera ce qu’il Lui plaira de moi. Je n’ai qu’une chose à faire, obéir à la très adorable volonté de Dieu. »

Là-dessus, Notre Seigneur lui fait plusieurs interrogations : « Si vous allez au néant, n’avez-vous point de regret de quitter ma mère ?

- Nenni.

- N’avez-vous pas bien de la peine à ne plus voir la divine Justice que vous aimez tant, l’Amour divin, la Charité et les autres divins attributs ?

- Nullement.

- La divine Volonté pour laquelle vous avez tant de tendresse ne vous donnera-t-elle pas quelque regret de la quitter pour jamais ?

- Non, pourvu que je lui obéisse, c’est tout ce que je veux.

- Mais ne voulez-vous pas que je la prie de vous laisser dans l’être ?

- Non, car je désire qu’on la laisse dans sa pleine liberté de faire de sa créature ce qu’Il lui plaira. Je n’ai rien à faire que de lui obéir exactement. C’est mon paradis, tout le reste ne m’est rien, je n’ai ni goût, ni affection, ni sentiment pour aucune autre chose, non plus que si j’étais une pierre. » Elle disait toutes ces choses avec une vérité très cordiale, très profonde et très solide, ce qui fait voir comment elle est dépouillée de soi-même de toutes choses et en quelle manière la divine Volonté est régnante.

*

L’an 1654, le 30 mars, ce qui avait été prédit le 20 juillet de l’année précédente touchant l’expiravit des sens fut accompli113. Ensuite de quoi la sœur Marie demeura morte à soi-même et à toutes choses, même selon les sens d’une manière merveilleuse et inexplicable.

« Je ne sais ce que je suis devenue, je suis tout à fait perdue », disait-elle. « Je ne sais d’où je viens et où je vais, je ne sais où je suis ni ce que je suis, si je suis une créature ou un néant. Il n’y a que Dieu seul qui sait le lieu où je suis. »



La bague fontaine de lumière114.

Une autre fois, Notre Seigneur lui fit voir son beau verset115 sous la figure d’une pierre précieuse enchâssée dans une bague. Cette pierre précieuse est le Saint-Sacrement, la bague c’est la sœur Marie. Elle vit la très Sainte Trinité qui arracha la pierre de la bague, mit la bague dans le feu et dans la pierre précieuse une fontaine de lumière, et après que la bague fut purifiée dans le feu et raffinée jusqu’à vingt-quatre carats, la Sainte Trinité remit dans la bague la pierre précieuse avec la source de lumière, et redonna la bague à la sœur Marie.

Lorsqu’elle l’eut, elle dit à Notre Dame : « J’ai un beau présent à vous faire, c’est une bague digne de la Mère de Dieu. »

Notre Dame lui dit : « Gardez-la : j’en ai une semblable que mon époux l’Amour divin m’a donnée.

- Vous en aurez donc deux, dit la sœur Marie, car je vous la donne.

- Non, dit la Sainte Vierge, vous ne pouvez pas la donner car elle tient au bras.

- Coupez-le, dit la sœur Marie.

- Nenni, dit Notre Dame : le bras est à moi, c’est celui de mon Fils, il m’appartient premier qu’à vous. »

Alors la sœur Marie demeura confuse, et connut en effet que c’était le bras de Notre Seigneur où était la bague, qu’elle croyait être le sien.

Un grand feu caché sous la cendre116.



Pendant qu’elle était prisonnière dans un cachot à Rouen, quelqu’un se présenta devant la petite fenêtre du cachot, se moquant d’elle. Auquel elle répondit en cette façon : « Là, là, dit-elle, il y a pourtant un grand feu caché sous la cendre. Lorsqu’il sera découvert, il embrasera tout. » Elle dit ceci sans entendre ce qu’elle disait, mais environ quarante ans après, Notre Seigneur lui dit qu’un grand torrent d’eau a passé par-dessus le feu et sur la cendre, sans la mouiller en aucune façon, que le feu a toujours pris accroissement sous la cendre, que le temps est venu que l’on le va découvrir, qu’il reste encore quelque peu de moiteur, qu’il sèchera en un instant, et que ce feu est l’amour de la charité qui est en elle. La cendre est la honte, l’ignominie et le mépris qu’elle a souffert, le torrent c’est l’Ire de Dieu qu’elle a portée.

Un petit ver117.

Un jour, comme elle cherchait ce qu’elle était, car « encore suis-je quelque chose », disait-elle en soi-même, Notre Seigneur lui voulant faire connaître qui elle était, lui fit voir en esprit un petit ver de terre dans son petit trou, lequel de temps en temps faisait sortir sa petite tête hors de son trou, disant à Dieu : « Je vous adore, mon Créateur, et je vous remercie de ce que vous m’avez donné l’être et la vie : ayez pitié de l’ouvrage de vos mains. » Puis il se retirait. «Voilà ce que vous êtes selon la chair et les sens », dit Notre Seigneur, car selon l’esprit vous n’êtes point ce que le petit ver est entre les animaux pour l’estime dans l’esprit des créatures raisonnables, c’est-à-dire que comme c’est le plus contemptible et le dernier de tous les animaux, ainsi est-ce de cela. Mais, dit la sœur Marie, une vérité infaillible est comme un article de foi. L’être et la vie, c’est Notre Seigneur Jésus-Christ que Dieu nous a donné. Car il n’y a que Lui qui soit et qui vive et il est notre être et notre vie car sans Lui nous ne sommes rien.

Trois oiseaux118.



Notre Seigneur lui fit voir une fois trois oiseaux qui représentent le parfait usage qu’on doit faire des trois puissances de son âme. Le premier était un paon qui étendait et regardait ses plumes, puis venant à jeter les yeux sur ses pieds, il les resserrait. Le second était un aigle qui regardait fixement le soleil, et lorsqu’il voyait ses petits aiglons dans quelque danger, il venait fondre en terre pour les ramasser et pour les délivrer du péril. Le troisième était une colombe qui était sans fiel et qui se paissait sur le bord des torrents.

Le paon, c’est la mémoire des serviteurs de Dieu qui regardent et contemplent Ses dons, grâces et bienfaits, représentés par les belles plumes du paon. Mais après cela, ils jettent les yeux sur leurs pieds, c’est-à-dire sur leur néant, ensuite de quoi il resserrent leurs plumes et réfèrent tout à Dieu. L’aigle est leur entendement, qui regarde Dieu fixement par la contemplation de Ses mystères et de Ses divines perfections ; mais lorsqu’il voit ses petits, c’est-à-dire ses sens, être en péril de tomber dans quelque faute, il vient fondre en terre, c’est-à-dire, il s’abaisse pour les retirer du danger. La colombe, c’est leur volonté qui est sans fiel, c’est-à-dire sans péché et qui se paît sur le bord des torrents des peines et des souffrances de cette vie. Et j’entendais Notre Seigneur qui disait qu’Il aimait mieux sa colombe que les deux autres. « Ô ma colombe, disait-il, ô ma colombe sans fiel. » Tout ceci représente l’état de la sœur Marie quoiqu’elle ne le dise pas.

Le chandelier d’or119.

L’an 1645, la sœur Marie vit dans la main droite de Notre Seigneur un chandelier d’or à trois branches en forme de triangle. En chacune des branches il y avait un cierge blanc. Sur l’un de ces cierges, ces paroles étaient imprimées : Ecce nova facio omnia. Sur le second : Veritas Domini manet in aeternum. Sur le troisième : Voluntas Dei quodcumque voluit fecit120. Au milieu de ce triangle il y avait un encensoir fort noir et si épouvantable à voir qu’on ne le pouvait regarder sans frayeur. On ne voyait point de feu dans cet encensoir, mais bien une grosse fumée composée de toutes sortes de parfums aromatiques, laquelle sortant de l’encensoir, se recueillait et ramassait ensemble et faisait comme une verge fort droite et partout égale qui s’élevait tout droit au ciel. Il ne s’en séparait ni écartait aucune partie, demeurant toute ramassée sans que personne sentît rien de la bonne odeur qui était dans cet encensoir ni dans cette fumée. Mais lorsqu’elle entrait dans le ciel, elle s’épandait de tous côtés et y rendait une odeur extrêmement agréable à tous les habitants du paradis. Il lui fut commandé de mettre le chandelier sur la tête de celui que Notre Seigneur a choisi pour être son vicaire121 en disant ces trois versets :

La bonté qui sans fard en simplesse chemine

Accourt devant la foi, sa compagne divine.

La paix d’autre côté

Tient justice embrassée et la baise et la serre,

La blanche vérité germera de la terre

Et justice du ciel épandra sa clarté122.

[…]

La paix ses trésors versera

La lune plus ne sera123.

Il vient juger la terre et gouverner le monde.

Par sa droite

A tous les habitants de la machine ronde

Suivant la vérité.

Coudre le ciel et la terre124.



Une autre fois, elle vit Notre Seigneur enfiler une aiguille d’une fort longue aiguillée de fil et elle lui demanda : « Qu’en voulez-vous faire ? »

Il dit : « C’est pour coudre le ciel et la terre, mais il faut que ce soit vous qui les cousiez. »

Elle dit : « Je ne saurais faire cela. »

« Il faut donc que ce soit ma Mère », dit Notre Seigneur. Mais la Sainte Vierge s’en excusa aussi. Alors Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Vous ferez bien cela. Tenez, voilà l’aiguille : je vous conduirai la main et ma mère tiendra la couture droite : et ainsi nous coudrons tous trois»

« Ô Amour ! »125.



Une nuit la sœur Marie ne pouvant dormir, Notre Seigneur lui dit : « Disons quelque chose.

- Dites ce qu’il vous plaira », dit la sœur Marie.

Alors il commença à dire : « Ô amour ! »

Et il lui faisait répondre : « Ô excès ! »126. Ils dirent ainsi longtemps, puis Notre Seigneur changea et dit : « Ô excès ! » Et lui fit répondre : « Ô amour ! »

Et la plus grande partie de la nuit se passa en disant cela.

L’Abbaye de perfection et ses règles127.



Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes et par conséquent à la pratique de toutes les vertus qui est déjà une grande perfection. Car ce que l’or est entre les métaux, la connaissance de soi-même l’est entre les moyens qui conduisent à la perfection.

Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour divin qui contient sept articles :

Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.

Le second de marcher sur les eaux à pied sec.

Le troisième d’habiter parmi les couleuvres, serpents et autres bêtes venimeuses, sans en être endommagé.

Le quatrième de vivre dans la mort.

Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre.

Le sixième d’être chargé de chaînes et de liens pour aller plus vite.

Le septième de s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.



Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.

Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et non point d’arrêt.

Habiter parmi les serpents sans être piqué, c’est se trouver parmi les occasions de pécher et y être assiégé de tentations sans y consentir.

Vivre dans la mort, c’est entrer dans l’enfer si Dieu le voulait et y conserver la charité de Dieu et du prochain.

Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde.

Être enchaîné pour mieux courir, c’est porter la peine du péché d’autrui pour aller promptement à Dieu.

S’abstenir de tout aliment pour se mieux engraisser et fortifier, c’est se priver de toute consolation divine et humaine pour être plus agréable à Dieu.

Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. Aussi Notre Seigneur a dit que dans ce chemin, Il soutient l’âme pour la faire marcher et que Notre Dame ne la quitte point. Il a dit aussi que pour garder cette règle, il n’y a qu’une chose à faire qui est d’avoir toujours les yeux fixés sur la [149] divine Volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre. C’est ce qu’a toujours fait la sœur Marie et c’est ici la règle que l’Amour divin lui a toujours fait garder très exactement.

Le froment du chemin128.

L’an 1644, le 30 mai, la sœur Marie étant devant le Saint Sacrement, Notre Seigneur après plusieurs autres discours lui dit : « Si je vous disais que les grands chemins abondent en froment et que les campagnes sont stériles, que diriez-vous ?

- Je vous dirai, dit-elle, que ce serait un grand miracle.

- J’entends, dit-Il, les grands chemins par où passent les carrosses, les charrettes, les hommes et les bêtes.

- Mais si on voyait ce froment, répartit-elle, passerait-on ainsi par-dessus ? »

Notre Seigneur répondit : « Les hommes sont aveugles et ne voient point que ce froment a pris la nature de la palme. Plus on l’abaisse et on le foule au pied, et plus il s’engraisse, se relève plus haut et en rapporte plus de fruits. »

La Force divine, la Grâce et la Joie129.



Un jour elle entendait trois dames qui chantaient mélodieusement ces paroles de la Genèse : « Terribilis est locus iste, non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli130» Ces trois dames étaient la Force divine, la Grâce et la Joie. Après avoir chanté, elles dirent qu’elles iraient ainsi chanter à toutes les âmes dans lesquelles le péché était, que la force divine le briserait par la contrition, que la grâce le jetterait dehors et que la joie le mettrait à la voirie. Elles ajoutèrent que le lieu où elles étaient alors, c’est-à-dire la sœur Marie, était terrible parce qu’on y massacrait le péché, que ce lieu était la maison de Dieu, parce que Dieu y était honoré et loué comme dans son temple et y résidait actuellement et effectivement, et qu’il était la porte du Ciel parce que l’entrée du Ciel serait donnée par son entremise.

L’étable aux pourceaux, la maison du soleil, le château de Jésus131.



L’an 1644, le deuxième jour de l’Avent, la sœur Marie dit à Notre Seigneur : « Je scandalise plusieurs et plusieurs me troublent : mettez-moi en lieu où cela ne soit plus. »

Notre Seigneur lui répondit : « Je vous donnerai un lieu que les hommes ne connaissent pas, et défendrai à toutes les créatures de vous éveiller. »

Cependant Il lui fit connaître la cause de ce trouble par cette similitude : « Un roi met son trésor dans une étable à pourceaux. Il y met un coffre de bois, il y enferme sa couronne, ses plus riches pierreries et grande quantité de pièces d’or. Le roi y vient avec la reine, laquelle a la clé du coffre. Les courtisans en entendent parler ; ils s’en étonnent, demandent à la porchère si elle a vu le roi et la reine entrer dans cette étable. Elle assure que oui et qu’elle n’en peut douter, tant ils ont de majesté. Les courtisans n’en croient rien et disent que c’est un plaisant qui, pour la tromper, et par elle plusieurs autres, lui donne cette illusion. Elle croit plutôt ces courtisans que son jugement et c’est ce qui la trouble.

L’étable à pourceaux est son corps ; les pourceaux sont les démons. Le coffre, c’est son cœur ; la couronne, c’est la Passion de Notre Seigneur en elle ; les pierreries sont ces paroles que Dieu lui dit, et les pièces d’or sont les dons faits et à faire à plusieurs.

Un jour étant devant l’autel de Notre Dame du Puits, elle pleurait et se plaignait à Notre Seigneur, lequel lui dit : « Ah ! Que j’ai bien choisi et que j’ai bien mis mon trésor en lieu d’assurance : Je l’ai mis dans l’étable à pourceaux, personne ne l’y viendra chercher.

Un jour la Sainte Vierge parlant à la sœur Marie lui dit : « Qui êtes-vous ?

- Je n’en sais rien », répondit-elle.

- « Vous n’en savez rien, mon épouse ? », répliqua Notre Seigneur, « Je m’en vais répondre pour vous ».

Alors Notre Dame demanda derechef à la sœur Marie : « Qui êtes-vous ?

- Je suis, dit-elle, la maison du soleil.

- Qui êtes-vous encore ?

- Le château de Jésus.

- D’où venez-vous ?

- Du Liban.

- Qu’en venez-vous de faire ?

- Je viens d’un grand festin où mon époux et moi étions invités.

- Quelle viande y avait-il ?

- Des consommés.

- Qu’est-ce qui servait à table ?

- Les excès.

- Où est maintenant votre époux ?

- Il s’est aller coucher sur sa couche nuptiale.

- Quelle est sa couche nuptiale ?

- C’est moi qui suis sa croix, car c’est lui qui souffre en moi.

- Ô, dit la Sainte Vierge, voilà trois beaux noms : la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale. Quand se lèvera-t-il ?

- Je n’en sais rien.

- Allez donc lui demander. »

Et revenant à Notre Dame, elle lui dit : « Ma mère, Il m’a dit qu’Il se lèvera au chant du coq. »

Alors Notre Dame toute ravie de joie commença à dire : « Au chant du coq. Rendez-lui grâce, ma fille, de ce qu’il se lèvera au chant du coq et dites pour cette fin à nud-genoux trois fois le Magnificat. » Ce qu’elle fit. La Sainte Vierge continuant lui dit : « Qui est-ce qui vous a menée au Liban ?

- C’était mon père.

- Qui est votre père ?

- C’est l’amour divin.

- Désirez-vous rien de moi ? Que me demandez-vous ?

- Je vous demande toutes les roses de votre jardin.

- Qu’en voulez-vous faire ?

- Je veux en faire de l’eau de rose, afin d’en faire des salades avec des pommes et du vin pour me guérir d’une maladie incurable.

- Je vous donne la clé de mon jardin et toutes les roses qui y sont. J’en serai très aise que vous soyez guérie. »

La salle du château132.



Le 18 février 1645, […] Notre Seigneur lui demanda : « Voulez-vous voir ce que Je fais ? » Elle répondit : « Nenni. » Nonobstant cela, Il dit à Notre Dame : « Ma mère, faites-la entrer. »

Étant entrée, elle vit une salle carrée qui était dans un château. Le plancher, le pavé et les murailles étaient rouges. Sur le pavé il y avait une croix bleue. Au milieu de la salle était une table ronde, couverte d’un tapis de satin blanc. La table était soutenue au milieu d’une colonne de marbre gris et de trois autres pieds qui étaient d’albâtre, disposés en triangle, et la table était d’aimant. Tout alentour de la salle il y avait des bouteilles depuis le pavé jusqu’au plancher, en divers étages. Depuis le bas jusqu’au milieu, elles étaient de terre remplie d’eau-de-vie, et celles d’en haut étaient de cristal remplies d’eau de rose. Le tapis était tout couvert d’écriture, laquelle était de trois sortes : la première ligne était des OO en lettres d’or, dont l’encre était prise dans un cornet rouge ; la seconde ligne était de chiffres et lettres d’azur dont l’encre était prise dans un cornet de lumière ; la troisième ligne était des AA en lettres rouges dont l’encre était prise dans un cornet d’azur. Notre Seigneur écrivait lui-même toutes ces choses avec son doigt. On voyait dans la salle cinq portes pour entrer dans cinq appartements, et sur chacune il y avait un beau pot de fleurs. Notre Dame lui dit que dans ce château, il y avait une fort belle chapelle qu’elle ne vit point, que dans cette chapelle il y avait trois encensoirs d’or enrichis de perles et cinq autres d’argent qui étaient toujours fumants, et que Notre Seigneur avait le plus beau chasuble du monde. Elle dit aussi qu’il y disait tous les jours la messe et se sacrifiait lui-même pour le salut des âmes.

Ensuite Notre Dame donna cette interprétation :

La table d’aimant représente l’humanité de la sœur Marie qui attire les âmes à la pénitence. La colonne de marbre représente la foi, les pieds représentent l’espérance, l’humilité et la crainte de Dieu. Les trois puissances étaient représentées par les trois cornets : le rouge la volonté, le lumineux [l’or] l’entendement, et le bleu la mémoire. Le rouge de la volonté représente l’embrasement de l’Amour divin. La lumière de l’entendement représente la connaissance de la divine Volonté. Le bleu de la mémoire représente que la mémoire ne se remplit que de choses célestes. Les OO en lettres d’or représentent l’amour. Les AA en lettres rouges représentent les souffrances, et les chiffres bleus représentent les excès de souffrances tant en qualité qu’en quantité, et le grand nombre de ceux qui en doivent recevoir les fruits.

Les bouteilles d’en-bas qui sont de verre, remplies d’eau-de-vie, représentent la contrition qu’auront les personnes du commun que Notre Seigneur appellera à pénitence, et celles d’en haut de cristal, remplies d’eau de rose, représentent les personnes des qualité qui se convertiront et attireront par la bonne odeur de leur conversion tout le monde. Les cinq pots de fleurs qui sont sur les cinq portes de la salle, sont les cinq sens de la sœur Marie, le reste n’est point expliqué. Mais il est assuré que la chapelle et les autres choses qui sont dans cette figure représentent l’état de la sœur Marie selon le corps et selon l’esprit.

La main noire133.

Un peu après, comme elle passait devant le Saint-Sacrement, Notre Seigneur lui dit : «Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose. » Alors elle vit dans le Saint-Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable que la main. Notre Seigneur ayant levé un coin de cette enveloppe, elle aperçut une pierre précieuse cachée là-dedans, grosse comme un petit oeuf qui jetait des rayons de lumière extrêmement brillants. Cette pierre précieuse était entourée de bandelettes qui pourtant ne la couvraient pas toute, et elle vit que cette pierre précieuse voulait sortir et comme s’échapper pour aller ailleurs. Mais cette main la retenait dedans soi.

« Qu’est-ce que tout cela, dit la sœur Marie. Qui est cette main qui est si noire ? - C’est la mienne, » dit Notre Seigneur, et il ajouta au nom de sa main : « Je suis noire, mais je suis belle.

- Mais qu’est-ce que votre main ? - C’est mon divin Amour, répondit Notre Seigneur

- Mais d’où vient qu’il est si noir ? - C’est le gant dont elle est couverte qui est ainsi noir.

- Quel est ce gant ? - C’est l’Ire de Dieu.

- Qu’est-ce que cette pierre précieuse que vous tenez en votre main ?

- C’est votre beau verset134, c’est une fontaine de lumière, c’est la Sapience éternelle que vous avez vue autrefois marcher dans votre chair et dans votre sang avec des démarches si belles et si ravissantes qu’il n’y a ni esprit humain ni angélique capable de les exprimer. Enfin, cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en vous, Je vous soutiens comme cette pierre précieuse porte et soutient ces petites bandelettes. C’est moi qui souffre en vous et qui vous porte et soutient au milieu de tous vos maux qui sont tels qu’ils vous consumeraient et anéantiraient en un moment si Je ne vous soutenais.

- Qu’est-ce que cette enveloppe qui couvre cette pierre précieuse ?

- C’est la coulpe du péché dont vous êtes couverte et environnée, que l’Ire de Dieu, représentée par ce gant, regarde et poursuit perpétuellement. Car il y a cette différence entre la Charité et la Miséricorde, la Justice et l’Ire de Dieu, que la Charité couvre et cache le péché, afin qu’on ne le voit point, et la Miséricorde ne le regarde point du tout, mais elle excuse tout. La Justice regarde la peine due au péché, lorsque la coulpe est effacée par la pénitence et elle demande d’être payée, et elle poursuit toujours le péché jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite.

Mais l’Ire de Dieu regarde la coulpe partout où elle est, et la poursuit sans cesse et sans rémission jusque dans l’enfer et à toute extrémité, de sorte qu’il y a une guerre continuelle entre le péché et l’Ire de Dieu qui est Dieu même. Car le péché veut anéantir Dieu, et Dieu veut détruire le péché ou du moins le persécuter sans cesse, lorsque le pécheur empêche par sa malice qu’il ne soit détruit. De là vient que l’Ire de Dieu représentée par ce gant qui couvre la main de Notre Seigneur est noire et épouvantable au péché et au prochain. Mais le péché qui est représenté par cette enveloppe dont la pierre précieuse est couverte, est presque infiniment, dit la sœur Marie, plus noir et plus effroyable que l’Ire de Dieu. Car l’Ire de Dieu est infiniment belle, bonne et sainte, et la coulpe infiniment laide, horrible, maligne et détestable.

- Mais où est-ce que veut aller cette pierre précieuse qui veut sortir et s’échapper ?

- Elle veut retourner d’où elle est venue, dit Notre Seigneur, c’est-à-dire au sein de mon Père éternel.

- Et lorsqu’elle y retournera, y portera-t-elle ces petites bandelettes ?

- Oui, elle les y portera. » Ces bandelettes sont les sens de la sœur Marie.

- « Et que fera-t-on de cette enveloppe si noire et si effroyable ?

- Nous la jetterons dans le feu de l’Amour divin dans lequel tous les péchés du monde seront brûlés et consumés au temps de la grande mission de conversion générale.



« Où est votre cœur ? »135.



L’an 1652, comme on célébrait une messe solennelle en l’honneur de la B. Vierge, lorsque le prêtre vint à dire : « Sursum corda », Notre Seigneur parlant à la sœur Marie qui assistait à cette messe lui dit : « Où est votre cœur ?

- Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un.

- Je m’en vais vous le faire voir », ajouta Notre Seigneur, et en disant cela il tira un cœur de sa poitrine, qui était tout embrasé et entouré de flammes. Le tenant en sa main et le montrant à la sœur Marie, Il lui dit : « Voilà votre cœur.

- Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre.

- Il est vrai, dit Notre Seigneur, c’est le mien et c’est celui de ma sainte Mère, et c’est le vôtre aussi car je vous l’ai donné.

- Oui, dit la Sainte Vierge, c’est le cœur de mon Fils et le mien tout ensemble, car mon Fils et moi nous n’avons qu’un même cœur. Mais c’est votre cœur pareillement, car mon Fils et moi nous vous avons donné notre cœur.

- Mais, dit la sœur Marie, je n’ai pas de cœur.

- Qu’en avez-vous fait ? », répliqua Notre Seigneur.

- « Je l’ai donné aux hommes, répondit-elle, et ils l’ont tout couvert de glace, et même ils l’ont tout converti en un glaçon, et le soleil venant à darder ses rayons sur ce glaçon, il l’a fait fondre en eau et l’a anéanti si bien qu’il n’y est rien demeuré, et ainsi je n’ai point de cœur.

- Il est vrai, j’ai donné mon cœur aux hommes, dit Notre Seigneur, et vous leur avez aussi donné le vôtre quand vous vous êtes offerte à porter leurs péchés, et il a été changé en un glaçon par ces mêmes péchés, et le soleil de l’Amour divin l’a fait fondre et liquéfier en larmes de contrition et l’a anéanti ; mais je vous ai donné le mien en la place, et celui de ma sacrée Mère.

Les aveugles font le procès au soleil136.



Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : «Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

- Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

- Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerai arrêt en l’excès de mon Amour. » Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. »

Les états par lesquels elle a passé137.



Animée et embrasée de joie, elle marche à grands pas, elle entre en cette rue et passe généreusement à travers les épines, broussailles et ronces, qui déchirent son habit de toutes parts et son corps et le mettent tout en sang. En marchant elle se tourne quelquefois vers la divine Justice qui la tient par la main, et lui parle ainsi : « Tu me sers de parois, de garde et de franchise, ta droite me soutient, ta faveur m’autorise, tu m’ouvres les chemins assurés désormais, tu fais que mes talons ne vacillent jamais. »

Elle s’avance et vient au commencement d’une rue pleine de fournaises ardentes au travers desquelles elle passe sans se soucier ni des flammes ni des brasiers qui la brûlent et la mettent toute en feu. Elle trouve l’Amour et la Charité déguisés mais d’une autre manière, à qui elle demande : « N’avez-vous point vu celui que mon cœur aime ? » Ils lui répondirent : « Personne n’a passé ce chemin depuis lui. Si vous vous fussiez hâtée d’un pas, vous le teniez. » Elle s’avance toujours et la divine Justice la tient sous les aisselles avec une grande douceur. À la sortie de ces fournaises, dans une campagne, elle trouve derechef l’Amour et la Charité toujours déguisés, à qui elle demande son bien-aimé. Ils lui répondirent qu’ils le venaient de voir passer et qu’elle vît ses vestiges. Pendant qu’elle était dans cette campagne, elle n’entendait pas la voix de son époux. Ayant passé outre, elle arrive à un grand étang dont l’eau était pleine de serpents, mourons, crapauds et toutes sortes de bêtes venimeuses. L’Amour et la Charité marchaient sur les eaux, qui passaient bien à leur aise et toujours déguisés en quelque autre manière.

À l’autre côté de l’étang, elle vit Notre Seigneur qui l’appelle et lui dit plusieurs fois : « Ne passez pas au travers de cet étang, mais prenez le tour. » Il disait cela quasi more invitantis138 :

« Je n’ai que faire de prendre le tour, je veux aller tout droit à vous.

- Je vous assure, dit Notre Seigneur, que jamais personne n’a passé par là que moi.

- Puisque vous y avez passé, répliqua-t-elle, je passerai aussi » et ayant dit cela, elle se jette dans cet étang comme une folle. Sitôt qu’elle y est, elle se voit en esprit toute environnée de bêtes venimeuses depuis les pieds jusqu’à la tête, au- dedans et au-dehors, en sorte qu’il n’y avait aucune partie en elle qui n’en fût toute couverte.

Elle sort de l’étang et se voyant en cet état, elle souffre un tourment indicible, on la remet dans l’étang : elle le traverse et arrive au bord là où la Justice, l’Amour et la Charité l’amènent à la chambre de Notre Seigneur. On lui change ses habits ; Notre Seigneur la fait asseoir à table auprès de Lui, et après le repas on la mène dans un cabinet pour y prendre son repos.

Voilà un abrégé et une figure des états dans lesquels elle a été, dont voici quelques explications : la rue pleine d’épines, de ronces et de broussailles, ce sont les sortilèges de cinq ans. Les fournaises sont l’enfer. La campagne où elle se repose un peu, ce sont les trois ans qui ont précédé le mal de douze ans. L’étang plein de bêtes venimeuses, c’est le mal de douze ans durant lequel elle a porté les péchés d’autrui représentés par les bêtes. Le reste n’est point expliqué.

« Le soleil a été condamné »139.



En l’année 1653, au mois de juin, Notre Seigneur parlant à la sœur Marie lui dit : « J’ai un petit secret à vous dire.

- Je [ne] désire point le savoir, vous me ferez grand plaisir de garder vos secrets, car je crains de les profaner.

- Pourtant je veux vous le dire. » Deux jours après, Il lui dit : « Mon secret est que je veux vous faire connaître.

- Me faire connaître ? , dit-elle, ne vous amusez point à cela, mais, je vous en prie, faites-Vous connaître Vous-même, car on ne Vous connaît point.

- Oui, Je me ferai connaître à tout le monde selon le grand désir que vous en avez, car Je suis la vérité que vous désirez tant de connaître : le grand désir que vous en avez est pour tous ceux qui ne la connaissent point. Votre désir sera accompli, ils la connaîtront. Le soleil a été condamné à donner des yeux aux aveugles. Les aveugles sont tous ceux qui ne Me connaissent point : je leur donnerai des yeux par lesquels ils connaîtront le soleil et verront sa lumière.

- Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?

- Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à tous, et la lumière du soleil, c’est la foi. Me promettez-vous pas de croire, ajouta le Fils de Dieu, quand j’aurai donné des yeux aux aveugles ?

- Oui, répondit la sœur Marie, je vous promets de croire, je croirai assurément. » Ensuite de quoi, elle demeura deux jours exempte des frayeurs qu’elle a d’être trompée et dans une grande certitude que tout ce qui se passe en elle est de Dieu.

Elle Lui arrache les foudres140.

L’an 1655 durant le mois de février, la sœur Marie se vit dans un petit sentier fort étroit par lequel personne n’avait jamais passé. Elle crut qu’il y avait une fournaise ardente au bout de cette sente. On lui dit que c’était la fournaise de l’Amour divin et qu’elle passerait au travers. Que lorsqu’elle en serait sortie, elle verrait Notre Seigneur en qualité de roi, assis sur son lit de Justice, ayant les mains pleines de carreaux de foudre pour les lancer sur la tête des pécheurs. Qu’elle se présenterait devant lui après avoir passé par cette fournaise, et que, la voyant embrasée de son divin Amour, Il l’appellerait à Soi, qu’elle irait à Lui sans aucune crainte, qu’elle Lui arracherait les foudres des mains, qu’elle les lierait ensemble avec une chaîne d’or, qui représente toutes les vertus enchaînées les unes avec les autres, et qu’après tout cela, elle entonnerait un cantique si charmant qu’Il en demeurerait tout ravi, et qu’Il oublierait tous les châtiments qu’il voulait exercer sur les pécheurs.

Les excès141.

L’an 1643, le 10 décembre, comme elle venait de complies des pères Jacobins, passant proche l’église cathédrale, elle demanda permission à Notre Seigneur d’y entrer. Il le lui commanda et de dire un beau verset :

- « Quel est ce beau verset ? » Lui dit-elle. [189]

- « Cherchez-le et vous le trouverez », répliqua Notre Seigneur.

Elle cherche dans son esprit et tout à coup elle s’avise de dire ces paroles qui lui furent mises dans l’esprit et dans la bouche : « Mon époux vient et je m’en vais au-devant de lui. » Et elle s’en va disant et redisant sans cesse ces mêmes paroles, jusqu’à ce qu’elle soit devant l’autel de sainte Anne.

« Il est vrai, dit Notre Seigneur, votre époux vient et vous le rencontrerez assurément dans une petite sente où il vous attend et où il se tient caché pour vous surprendre en passant, et lorsque vous y penserez le moins. 

- « Fidelis et verax sponsus meus in omnibus promissionibus suis142 », répliqua-t-elle.

- Mais quel chemin prendrez-vous pour aller au-devant de votre époux ?

- J’y vais, répondit-elle, par les excès !

- Et quelle est votre monture ? , dit le Fils de Dieu.

- Ce sont les épines, les ronces et les chardons. »

- Il est vrai, les épines sont l’Ire de Dieu dont les piqûres sont les malédictions. Les ronces sont les hommes qui vous affligent, les uns par les honneurs et par les louanges, les autres par le mépris et par les blâmes qu’ils vous donnent ; pour les chardons... Vous ne saurez pas encore l’explication. »

La destruction du monstre pécheur143.

L’an 1644, le 23 octobre, la sœur Marie étant dans l’église cathédrale de Coutances, durant les prières que l’on chantait en une procession publique, fut surprise subitement d’un désir ardent de faire un vœu, à savoir de ne partir point de cette vie que péché ne fut anéanti par tout le monde. Et elle pria Notre Seigneur et Notre Dame de faire ce vœu-là pour elle, mais ils ne le firent point et l’empêchèrent de le faire.

Là-dessus la divine Volonté survint, qui dit : « Je marcherai à la tête de l’armée, je dévorerai ce monstre, je lui écraserai la tête, je jetterai sa cervelle au chien, je lui arracherai le cœur et le jetterai dans le feu. » La divine Justice dit : « Nous ne faisons qu’attendre l’Amour et la Charité pour partir et aller contre ce monstre. » Notre Dame dit à la sœur Marie : « Vous êtes le carrosse dans lequel sont ces dames ». La sœur Marie demanda qui était le carrossier. Notre Dame dit que c’était la Vérité. Elle dit que jamais elle n’avait vu la Justice et la divine Volonté assises dans sa tête jusqu’à ce coup, et qu’elle y avait vu une fois la Toute-puissance. La Sainte Vierge lui dit que le baiser que la divine Justice lui avait promis ci-devant était le désir d’anéantir le péché et d’ôter toute laideur.

*

Un jour144 la sœur Marie vit en esprit un feu composé de plusieurs flammèches ou étincelles qui s’éparpillaient et tombaient en terre au commencement, puis après elles se ramassaient comme en forme de plusieurs essaims de mouches à miel qui donnaient droit de la terre au ciel et allaient lécher la voûte du ciel. Après cela, elles se séparaient les unes des autres, environ d’une coudée de distance.

Le 3 janvier 1645, on lui donna l’interprétation de ce feu et Notre Seigneur dit que ce n’est point le feu de l’Amour divin qui est dans l’esprit, ni le feu de la tribulation, mais que c’est le feu de la haine du péché qui est dans l’irascible par laquelle on s’embrase de colère contre le péché pour l’anéantir. Ce feu est grand ou petit dans une âme à proportion que l’Amour divin y est grand ou petit. Voilà pourquoi ce feu dans les commencements de la vie de la sœur Marie s’éparpillait et regardait le péché dans quelques âmes particulières seulement, lorsque l’Amour divin n’était pas si parfait en elle ; mais quand l’Amour divin s’y est perfectionné, ce feu s’est rassemblé pour regarder le péché en général.

Le bois dont ce feu s’entretient, c’est la charité divine que l’on a pour le salut des âmes. La fumée qui en sort sont les prières par lesquelles on demande à Dieu l’anéantissement du péché. Il lèche la voûte du ciel sans y entrer, parce que l’on voudrait bien que tous les habitants du ciel fussent embrasés de feu pour venir fondre ici-bas et anéantir le péché. Le brasier de ce feu, c’est l’irascible de celui qui en est épris. La cendre qui en procède, c’est une profonde et abyssale humilité, avec laquelle et les larmes de la contrition, se fait la lessive pour blanchir les âmes qui sont en péché. Les flammèches maintenant ramassées se sépareront dans le temps que Dieu a déterminé pour aller dans les âmes particulières y mettre le feu de la haine du péché.

Les armées et leurs combattants145.

L’an 1645, le 5 mai, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Mon amour divin va lever des armées pour faire la guerre au péché. Il a commandé à toutes les vertus de lever chacune une armée. Toutes les vertus se sont présentées devant la sainte Trinité pour lui demander des dons, des grâces et des bénédictions et des inspirations, comme autant de soldats : ce qu’elles ont obtenu. Après cela, elles se sont adressées à chacun des saints qui ont excellé en elles, pour obtenir le secours de leur prières et de leur mérites comme autant de soldats.

À la tête de l’armée, marcheront deux amazones et braves guerrières, qui sont la grâce prévenante et la grâce efficace. La grâce prévenante frappera à la porte du pécheur : si on lui ouvre, elle entrera et fera entrer les vertus contraires aux péchés qui sont dans son âme avec toute son armée. Mais si l’obstination et l’endurcissement barrent la porte, la grâce efficace viendra, qui étant armée de la force divine brisera la porte et entrera et fera entrer les vertus susdites avec son armée, et étant entrée, elle tuera tous les péchés qui seront dans l’âme et y établira son règne. Notre Seigneur dit encore que saint Michel aurait la conduite de toutes ses armées et que saint Gabriel aurait seulement la charge des canons.

Une autre fois, la sœur Marie vit trois vertus qui tenaient conseil pour aller attaquer leurs ennemis et pour les détruire. L’Humilité parla la première et dit qu’elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût terrassé l’Orgueil sous ses pieds et qu’ensuite elle le mangerait et le tournerait en sa substance, de sorte que quand on le chercherait, on ne trouverait plus que l’Humilité, et que l’Orgueil régnait par tyrannie, mais que pour elle, elle est la fille légitime du roi.

La Pureté virginale parla ensuite et dit qu’elle était altérée du sang de son ennemi et que jamais sa soif ne s’étancherait qu’elle ne l’eût bu. Et la Chasteté dit qu’elle avait grande faim de la chair de son ennemi et qu’elle ne rassasierait point qu’elle ne l’eût mangé et converti en sa substance et que là où on le chercherait on n’y trouverait plus que la chasteté. Mais elles conclurent qu’il leur fallait des armes à feu pour combattre de loin, parce que cet ennemi a l’haleine si puante que l’on ne saurait si peu l’aborder qu’elle n’infecte. Après, la Sobriété dit qu’elle dévorerait aussi son ennemi et le tournerait en sa substance.

La sœur Marie vit un jour une grande troupe de belles filles de quinze ans qui allaient en procession à deux choeurs depuis la chambre où elle était jusqu’à la chapelle Notre Dame de la Roquette, avec des couteaux à la main, disant qu’elles allaient tuer le péché. Devant elle marchait l’Amour divin avec une faux pour faucher tous les plaisirs qui ne sont point de Dieu, et la Charité avec une fourche pour les ferrer. Ces jeunes filles ce sont les douleurs qui la doivent quitter pour aller trouver ceux qui seront en péché mortel, afin de le tuer en eux.

L’an 1645, le 11 novembre, elle s’offrit à Notre Seigneur comme instrument de la grâce divine pour faire ce qu’il lui plairait. Notre Seigneur lui dit : « Si j’étais en l’état où vous êtes, pour servir à la grâce divine d’instrument, Je voudrais être une flèche empoisonnée dont elle se servît pour transpercer le péché. » Notre Dame dit : « Moi, je voudrais être une fournaise ardente dans laquelle tous les péchés fussent jetés et consumés comme des épines et broussailles. »

Conversion générale146.

Un jour la sœur Marie étant détenue au lit, elle vit Notre Seigneur et sa sainte Mère qui apportaient une femme morte et « qu’ils mirent en mon lit auprès de moi. » Et s’en étant allés,  ils amenèrent une seconde femme qui se donnait plusieurs coups de couteau à pain dont elle se tuait.

La sœur Marie leur dit : « Empêchez-la qu’elle ne se tue pas. »

Ils répartirent : « Elle est libre qu’elle se tue si elle veut ; faites-lui place auprès de vous. »

 « Et ils la mirent dans le lit auprès de moi. Ils en amenèrent encore une troisième qui avait les pieds et les mains percés et dirent que le diable et le péché l’avait mise en croix, dont ils l’avaient descendue. Et ils me commandèrent aussi de la mettre auprès de moi dans mon lit avec les deux autres. Après cela je vis un ange portant une bûche de bois fendue en trois parties dont une partie était sur son épaule droite avec une pochette147 de charbon pendue au bois, une autre sur son épaule gauche avec une semblable pouchette de charbon, la troisième sur sa tête sans charbon. Étant arrivé, il mit ses trois bûches sur ces trois femmes et une de ces pouches de charbon à la tête, l’autre aux pieds. Et Notre Seigneur et sa sainte Mère dirent qu’il y fallait mettre le feu pour refondre les trois femmes et n’en faire qu’une des trois. »

La première femme est la gentilité qui est morte à Dieu. La deuxième, c’est l’hérésie qui se tue d’un couteau à pain, c’est-à-dire, de la science avec laquelle on distribue le pain de l’Ecriture sainte et qui lui devrait servir de pâture, laquelle science est représentée par le couteau avec lequel les pères distribuent le pain à leurs enfants. La troisième, c’est l’Église qui est crucifiée pour les péchés de ses enfants, mais Notre Seigneur et sa sainte Mère la détacheront de cette croix.

La première bûche qui est mise sur la première femme, c’est l’Amour divin avec lequel Notre Seigneur la convertira. La deuxième, c’est la Charité divine avec laquelle Il convertira la seconde. La troisième bûche qui est mise sur la troisième femme, c’est-à-dire sur l’Église, c’est la divine Justice avec laquelle Dieu la purifiera. Il n’y a point de charbon avec celle-ci parce que l’Église sera sévèrement punie. L’ange qui porte le bois, c’est l’ange du grand conseil.

Ces trois femmes sont mises dans mon lit qui représente la Passion et la croix de Notre Seigneur, c’est-à-dire qu’elles seront mises dans la tribulation pour y être purifiées. Les deux sacs sont l’Amour divin et la Charité divine qui refondront ces trois femmes. On met le feu à tout cela pour les purifier et consumer et pour n’en faire qu’une de trois, ce qui signifie que Notre Seigneur ne fera qu’une Église de tout le monde et qu’il n’y aura qu’une foi et une loi.

Un message aux quatre éléments148.

L’an 1644, le dernier de décembre, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie d’aller faire un message de sa part aux quatre éléments. Aussitôt se trouvant animée extraordinairement en son esprit, elle s’en va aux quatre éléments et leur parla en cette façon et en ces mêmes termes: « O terre, ô eau, ô air, ô feu ! Celui qui est m’a envoyé vers vous pour vous dire qu’Il vous commande que vous prépariez ses voies parce qu’Il veut venir faire la visite de Ses créatures.

- Nous connaissons bien Celui qui est, mais qui êtes-vous qui vous dites envoyée de Sa part ?

- Je suis, répondit-elle, une flèche empoisonnée qui vient pour faire mourir le péché.

- Ô, que vous êtes la bienvenue, » dirent-ils.

« Il a fait un grand ravage dans ce pays ici. Il a congelé, dit la terre, et refroidi mes parterres, mes campagnes et mes prairies. Peu de fleurs ont échappé149 sa froidure : il a empoisonné la racine de mes arbres. La plupart en sont morts, les autres se vont desséchant, peu ont échappé son poison.

Il a troublé mes ondes, dit l’eau : au lieu de laver, elles salissent. Il a empoisonné mes fontaines et les a rendues amères et mortifères.

Il a empesté, dit l’air : ceux qui me respirent en meurent. Peu en échappent.

Par son souffle, dit le feu, il a éteint mes flammes : il a jeté du soufre dans mes brasiers qui les rend puants et infects. »

Après cela, la sœur Marie dit à la terre : « Celui qui est vous commande de faire reverdir vos parterres, vos campagnes et vos prairies et de les diaprer d’une infinité de fleurs, afin qu’elles embaument l’air de leur suaves odeurs. Il vous commande de revêtir vos arbres de feuilles, de fleurs et de fruits, depuis le plus haut cèdre du Liban jusqu’à la moindre ronce. Et vous, eau, Il vous commande de laver tout ce qui est sale et de le rendre blanc comme de la neige et de mettre du bois dans vos fontaines pour les rendre douces et potables. Et vous, air, Il vous commande de dissiper vos nuages et de vous rendre clair, luisant et serein. Et vous, feu, il vous commande de purifier l’or et l’argent et de brûler la paille. »

Les habits150.

Le 9 février 1645, la sœur Marie se trouva dans une salle où elle vit Notre Seigneur tailler des habits de plusieurs sortes, à savoir de toile, de laine grise et de laine blanche.

Ceux de toile sont pour les laboureurs, c’est-à-dire pour ceux qui labourent leur terre et la disposent à recevoir la semence de la grâce par diverses œuvres de mortifications extérieures, et ne travaillent pas tant à leur intérieur. Ceux-là ne seront revêtus que de grosse toile. Les autres seront vêtus de laine grise, ce qui signifie la mortification extérieure et intérieure. Les autres de laine blanche, ce qui signifie les vertus.

Notre Dame faufilait151 les habits, et les Vertus les cousaient. L’Humilité était assise sur le pavé où elle cousait et taillait des souliers. La Foi et l’Espérance forgeaient, celle-là des couteaux, des poignards et des épées, et celle-ci des éperons dorés et argentés, de cuivre et de fer blanc. Les trois Puissances de l’âme de la sœur Marie forgeaient aussi.

L’Amour divin présentait à l’entendement des lames d’or, qui sont des afflictions, et l’Entendement les présentait à la Volonté pour en faire de la monnaie, et la Mémoire soufflait le feu en ce qu’elle fournissait quelques exemples des souffrances de Notre Seigneur et des saints. Et ensuite, la Volonté présentait les pièces de monnaie pour la rédemption des captifs.

Dans la même salle, il y avait des monstres qui avaient une forme humaine depuis la tête jusqu’à la ceinture, et en bas ils étaient velus et avaient une queue de bête. Leurs pieds et leurs mains étaient armés de griffes. Ils avaient des cornes à la tête et des yeux étincelants de fureur et de rage. Ils lui dirent : « Votre Epoux nous a commandé de faire des disciplines pour discipliner nos religieux, c’est-à-dire les sorciers. »

Il y avait encore des petits Ethiopiens qui grinçaient les dents et qui jetaient leurs yeux hors la tête et faisaient des gestes de folie. Ceux-ci lui dirent : « Votre Epoux nous a commandé de faire des verges pour châtier les rageants152. »

Les habits dont il est parlé ci-dessus sont les dons et les grâces dont Notre Seigneur revêtira ceux qui seront convertis.

La Divine Volonté153.

Un jour, elle vit la divine Volonté comme une grande dame très majestueuse, mais d’un visage fort austère, et auprès d’elle, il y avait une vieille femme fort triste qui tenait une écuelle de bois à la main. Au même temps elle aperçut Notre Seigneur et sa sainte Mère, et au milieu d’eux, une jeune fille fort belle, agréable et d’un visage très gai et très joyeux, qui partit d’avec Notre Seigneur et Notre Dame pour venir à elle, mais la sœur Marie lui tourna le dos comme aussi à Notre Seigneur et à Notre Dame, et s’en va vers la vieille qui était au pied de la divine Volonté, laquelle remplissant son écuelle d’eau, la baille à la sœur Marie qui la but entièrement.

Cette vieille représente la tristesse et l’affliction, et la jeune fille, la joie et la consolation. L’écuelle pleine d’eau représentait les larmes que la sœur Marie avait à répandre. Elle quitte Notre Seigneur et Notre Dame avec les consolations, pour suivre la divine Volonté parmi les désolations. Elle dit quelquefois à Notre Seigneur : « Je vous aime bien, mais pourtant si vous m’envoyiez maintenant votre paradis et que vous ne commandassiez d’y entrer pour y être éternellement avec vous et pour y jouir de toutes les joies et félicités que vous y possédez, et que la divine Volonté me dit que j’allasse en enfer, je vous assure que je vous quitterais vous et votre paradis, et que je me jetterais tout à l’heure au milieu des feux de l’enfer.

- Vous ne m’aimez donc point ?, dit Notre Seigneur.

- Si ce n’est point vous aimer que de faire ainsi, répondit-elle, je ne vous aime donc point, car je ferais cela, et je ne puis avoir d’autres sentiments.

- Non ! répliqua Notre Seigneur, ce n’est pas que vous ne m’aimiez, mais c’est que vous aimez davantage ma divinité que mon humanité, car la divine Volonté, c’est ma divinité, et c’est elle qui règne sur moi et à laquelle je suis assujetti aussi bien que vous. »

*

Notre Seigneur lui dit un jour : « Faites un vœu.

- Et de quoi ? Lui dit-elle.

- De faire en tout et partout la divine Volonté, répliqua-t-il.

- Oui, mais je crains, ajouta-t-elle, de ne la connaître pas toujours.

- Vous ne serez point obligée à ce vœu, répartit Notre Seigneur, que quand vous la connaîtrez si clairement qu’il vous sera impossible d’en douter. »

L’an 1641, en la fête de tous les saints, elle entendit Notre Seigneur criant à haute voix : « O ma Mère, l’excès de mon amour ne me permet plus de retenir mes secrets.

- O mon Fils, répondit Notre Dame par trois fois, gardez-vous bien de dire vos secrets, sans en demander conseil à votre épouse. »

Alors il se retourna vers moi disant par trois fois : « O épouse, voulez-vous que je vous dise mes secrets ?

- A quoi je répartis aussi par trois fois : « Fiat voluntas tua.

- O Me voilà arrêté, dit-il. Quoi ! Ne voulez-vous point savoir mes secrets ?

- Non, je ne veux rien savoir que ce qu’il plaira à votre divine Volonté que je sache. » Là-dessus Il se tut pour cette heure-là. Mais peu de jours après Il me déclara ses secrets et me recommanda de les dire à quelqu’un, et me dit qu’il fallait lever entièrement le voile de dessus ma face, afin que celui-là connût la beauté de son épouse.

Notre Seigneur dit quelquefois à la sœur Marie154 : « Regardez-moi en face.

- Je ne sais ce que c’est que de vous regarder en face.

- Me regarder en face, répondit le Fils de Dieu, c’est regarder ma divine Volonté pour la suivre partout.

- Toutes les créatures nous font cette leçon, dit-elle, et même celles qui sont inanimées et insensibles » (car Dieu lui a fait voir plusieurs fois qu’elles regardent toutes, fixement et perpétuellement, la divine Volonté, attendant ses ordres pour les exécuter ponctuellement et au moment qu’elle a déterminé, et qu’elles haïssent tout ce qu’elle hait et aiment tout ce qu’elle aime, tant elles ont de conformité à ses divines dispositions, parce qu’il n’y a point de péché en elles qui les détourne ou éloigne un tant soit peu de leur premier principe, qui est la très adorable Volonté de Dieu.) »

*

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place, que feriez-vous ?

- Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable Volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.

- Mais si l’adorable Volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?

- Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.

- Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?

- Je vous assure qu’oui.

- Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ?

- Oui, je vous y laisserais.

- Ne vous étonnez donc pas si je vous y laisse, répliqua Notre Seigneur, car je ne fais rien que ce que la divine Volonté m’ordonne. Après cela, si elle voulait, dit encore Notre Seigneur, que vous me fissiez tout plein de petites promesses sans les accomplir, le feriez-vous ?

- A cela, dit-elle, je ne sais que répondre, sinon que je n’ai jamais rien promis à personne que je ne l’ai accompli.

- Aussi ne vous ai-je rien promis qui ne soit véritable et qui ne s’accomplisse. Mais ma divine Volonté a suspendu plusieurs effets de mes promesses qui s’accompliront en leur temps. »

*

L’an 1646, le 22 janvier, Notre Seigneur lui dit155 : « Ceux qui me donnent leur cœur pour y faire ma demeure, je leur donne mon paradis pour y faire la leur. Ceux qui se donnent à moi, je me donne à eux. Ceux qui me donnent leur volonté, je leur donne la mienne, mais il y en a très peu qui me la donnent.

- Tant de religieux et de religieuses qui font vœu d’obéissance, ne vous la donnent-ils pas ?

- Ils me la donnent pour me servir à gages et pour avoir les couronnes et les dignités du paradis, et travaillent à qui pourra atteindre plus haut. Mais les plus parfaits me donnent leur volonté, non pour m’en servir, mais pour la détruire et pour l’anéantir, de sorte que quand leur volonté se présente en quelques-unes de leurs actions pour y avoir part, ils l’écrasent sous leurs pieds ; et ceux-là ne regardent en tout ce qu’ils font que ma divine Volonté et ne craignent rien que de lui déplaire, et n’ont aucun égard au paradis ni à l’enfer, et c’est à ceux-là que je donne ma divine Volonté pour la leur.

*

Il lui arrive souvent156, ainsi qu’il est aisé de remarquer en ses écrits, qu’elle dit beaucoup de choses par des mouvements extraordinaires qui ne sont point d’elle, sans qu’elle y puisse résister, et quelquefois sans entendre ce qu’elle dit et même sans savoir ce qu’elle a dit par après.

Or un jour ayant demandé à Notre Seigneur d’où venait cela, Il lui dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine Volonté qui vous anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses157. »

Le jardin de l’Amour divin158.



La sœur Marie assure qu’il n’y a rien de si terrible que l’Amour divin et que tout ce que la divine Justice lui a fait souffrir n’est rien en comparaison des tourments que l’Amour divin lui a fait porter : « J’aime, dit-elle, tendrement la divine Justice, car je la trouve douce, belle, agréable. Mais l’Amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais Il frappe bien rudement. Je tremble quand je Le vois. Quand on se plaint à Lui, Il ne fait qu’en rire ; on ne sait où Il va ni où Il mène ; Il se fait suivre à l’aveugle. »

Environ le temps des sortilèges qui durèrent cinq ans159, l’Amour divin que la sœur Marie appelle son père et qui la menait toujours par la main comme un père mène son petit enfant, lui donna un beau jardin tel qu’il est ici décrit : la forme et la figure de ce jardin est un triangle et comme un cœur. Il est environné tout autour d’une haie de grosses et piquantes épines fort hautes et épaisses. La porte est de bois de cèdre dont la serrure et la clé sont d’or. Tout autour de la haie, par dedans, il y a quantité de violettes. Au deçà de la violette, il y a quinze beaux pommiers, cinq de chaque côté, tous chargés de belles pommes, et en si grande abondance qu’il y paraît plus de pommes que de feuilles. Au deçà des pommiers il y a quinze palmiers. Entre tous ces palmiers il y a une vigne attachée à des échalas160 toute chargée de raisins. À un des côtés du jardin, devant la porte, il y a un très beau rosier. À l’autre côté, il y a un olivier chargé d’olives. Au pied de l’olivier une fontaine ou lavoir. Au milieu du jardin il y a un sépulcre dans lequel est un mort : de la tête de ce mort sort un cèdre qui est merveilleusement haut.

Ce jardin s’appelle le jardin de l’Amour divin, parce que c’est lui qui l’a planté par la sœur Marie. Ce cœur dont il porte la figure, c’est son cœur. Les épines représentent les douleurs et les peines qu’elle a souffertes. La violette, c’est le symbole de l’humilité. Les pommiers chargés de pommes signifient les païens qui se convertiront et qui porteront beaucoup plus de fruits après leur conversion que ne font pas les chrétiens. Le raisin de la vigne signifie l’amour et la charité.

Les palmiers, ce sont les prédicateurs qui travaillent à la conversion des âmes, comparés à la palme, parce qu’ils remporteront le victoire sur le péché. Mais pour monter à la palme, c’est-à-dire pour prêcher efficacement, il faut être enivré de l’amour de Dieu et de la charité du prochain : c’est ce qui est signifié par le raisin qui est au pied du palmier.

L’olivier, c’est la miséricorde que Dieu exercera vers les pécheurs. Le lavoir, c’est la pénitence ; le rosier qui paraissait couvert de glace et de neige comme au temps d’hiver, et qui sera tout couvert de roses au temps de la conversion générale, c’est la vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Lesquelles seront comme autant de belles roses qui s’épanouiront lorsque Notre Seigneur manifestera son ouvrage et qui embaumeront tout le monde de leur suave odeur.

Le corps mort qui est dans le sépulcre, c’est la sœur Marie qui est dans un état de mort et d’anéantissement. Le cèdre qui sort de sa tête, c’est la divine Volonté qui est vivante et régnante en elle. La porte, qui est de bois de cèdre et incorruptible, c’est la grâce divine. La serrure, c’est la Charité divine, et la clé c’est l’Amour divin sans lequel on ne peut entrer dans ce jardin.

*

Un jour la sœur Marie étant animée de la charité, s’écria161 : « Ô terre, terre, pourquoi me tiens-tu prisonnière dans ce monde ? » Il lui semblait qu’elle voyait la terre comme le fond de sa main et qui lui semblait comme un cachot.

Après cela on lui répondit : « Le ciel est fermé.

- Je parlerai donc à la terre. »

On répliqua : « Le silence est imposé à la terre. »

« Ensuite je vis la divine Justice qui venait du ciel pour visiter ses fermes en ce monde ici et faire payer ses fermiers de quantité de deniers dont ils lui étaient redevables. Elle était suivie du torrent de l’Ire de Dieu pour submerger tout le monde à cause de ses péchés. Elle avait un glaive, des flèches et un foudre qu’elle portait à la main. Au même temps, je vis la Charité divine qui allait au-devant et qui la pria de venir faire la collation chez elle. Elle y alla, et la Charité enivra la Justice de son vin, si bien qu’elle s’endormit. Pendant qu’elle dormait, la Charité alla aussitôt mettre des bondes à son torrent, afin d’empêcher qu’il ne se débordât pour noyer tout le monde.

Elle prit son glaive et ses flèches et les enivra de sang innocent, les ayant plantés dans le cœur de la sœur Marie. Elle lui arracha aussi le carreau de foudre qu’elle tenait à la main et elle le donna à l’Amour divin qui le bénit et le convertit en un flambeau d’amour. […]

Qu’est-ce que tout cela ? C’est que la divine Justice était prête de perdre tout le monde à cause de ses péchés ; mais la divine Charité lui a fait une collation, qui sont les souffrances de la sœur Marie, du sang de laquelle le glaive et les flèches de la divine Justice ont été enivrés. Le foudre, c’est l’Ire de Dieu que méritent les pécheurs. Le torrent, c’est celui dont il est parlé ailleurs, qui contient sept rivières. Lequel représente les peines et les coulpes tout ensemble, dont les deux bondes seront levées après que Notre Seigneur l’aura béni et converti ainsi qu’il est dit en son lieu, pour inonder toute la terre d’un déluge de grâces et de bénédictions.

Avec la divine Justice162.



En la même année, le 19 octobre, étant aux Complies aux Jacobins dans la chapelle du saint Rosaire, la divine Justice lui vint en mémoire. Elle l’adora et la remercia de toutes les faveurs qu’elle lui avait faites.

« Que demandez-vous ? dit la même Justice.

- Je n’ose rien vous demander de peur de vous déplaire.

- Demandez et vous recevrez.

- Je vous demande une quittance pour quelqu’un qu’elle nomma.

- Oui, dit-elle, je vous la donnerai, mais il faut qu’il lui en coûte quelque chose. »

Elle ajouta : « Disposez-vous, je veux venir demeurer avec vous.

- Vous avez demandé : avec moi ?

- Je veux demeurer avec vous.

- J’aime ceux qui m’aiment, c’est une chose bien rare de m’aimer uniquement et sans crainte. Les bons me craignent et les méchants me haïssent. Disposez-vous.

- Je ne sais aucune disposition.

- Levez-vous, dit la divine Justice, comme une belle aurore qui appelle le soleil»



Le jardin du Saint Sacrement163.



L’an 1645, le douze janvier, Notre Seigneur et Notre Dame étaient dans un jardin […] voyez comme elle le dépeint.

La porte est de fin or pour [montrer], ainsi qu’on lui a expliqué, que ceux qui sont dans le Saint Sacrement sont déifiés ; car on reçoit Notre Seigneur en soi par la communion, mais on est reçu en Lui par la déification, et c’est ce qui est signifié par ce jardin dans lequel entrent ceux qui sont déifiés. Aussi y a-t-il écrit sur la porte : « Il n’entre ici que des rois, c’est-à-dire des personnes revêtues de la royauté et des divines qualités de Jésus par une parfaite transformation et véritable déification. » Près de la porte du jardin il y a une table ronde de jaspe, qui représente le Cœur de Notre Seigneur. Les anges mirent dessus un doublier164 qui représente le cœur de Notre Dame. Sur le doublier, ils mirent un beau pain blanc qui représente la Divinité de Notre Seigneur. Autour du pain, ils mirent trois coupes d’or qui représentent les trois puissances de son âme. Autour des trois coupes, cinq vases de cristal qui représentent les cinq sens intérieurs. Autour des cinq vases, cinq autres de cristal, plein de vin vermeil, qui représentent les cinq sens extérieurs. Aux deux côtés, deux vases de terre blanche pleins de vin blanc, l’un desquels bouillonnait, qui représente l’Irascible, et l’autre le Concupiscible.

Les divins attributs s’assoient à cette table. La divine Justice dit, parlant à Notre Seigneur de la sœur Marie : « Faites approcher cet enfant, et qu’on lui donne son repas. » Mais l’Amour divin dit : « Elle jeûne aujourd’hui. » Et la Volonté divine dit à Notre Dame : « Allez la mener au jardin : on lui donnera demain son repas. » Elle la mena à l’entour du jardin dont la clôture est de rosiers tous chargés de roses rouges et blanches. Le fond du jardin est tout semé de fleurs de toutes sortes et fort odoriférantes. Dans ce jardin il y a sept ceintures d’arbres.

La première est d’un arbre fort haut et droit, les fruits duquel sont gros comme des pains d’un sou, et comme de couleur de pourpre dont le goût et si délicieux que ceux qui en mangent meurent à tout autre goût du ciel et de la terre. Dans ce fruit il y a trois pépins qui se mangent insensiblement avec les fruits, et étant mangés, ils germent dans le cœur, y prennent racine et y fructifient. Ces trois pépins sont la force divine, la grâce divine, la patience divine. Manger ce fruit, c’est désirer ardemment les souffrances. Notre Dame nomme cet arbre l’arbre de vie.

Les quatre ceintures suivantes sont de pommiers dont les pommes sont douces et amères, pâles d’un côté et rouges de l’autre, qui signifient mourir à soi pour vivre à Dieu.

La sixième ceinture est de palmes qui représentent la victoire. Au pied de ces palmes, il y a des vignes chargées de raisins dont on ne fait point de vin mais qui contiennent toutes les délices du paradis, et dont un seul grain est capable de ressusciter les morts. Les raisins représentent les communions.

La septième ceinture est de sept cèdres, lesquels représentent la divine Volonté.

Au milieu du jardin, il y a une belle fontaine dont l’eau représente la Sapience divine, et de cette fontaine partent sept ruisseaux qui sont les sept dons du Saint-Esprit, et chaque ruisseau va donner à chaque cèdre et arrose tout le jardin. A l’entour de la fontaine et des deux portes des ruisseaux, il y a des lys blancs qui représentent la pureté.

Cela n’est point expliqué, mais il est aisé à conjecturer que ce n’est autre chose que l’état de la sœur Marie qui est écrit en tout ce jardin.

*

L’an 1646, le dixième de septembre, comme la sœur Marie était à une messe haute qui se disait devant Notre Dame du Puits, la Sainte Vierge lui dit165 : « Suivez-moi ! » Et à l’instant elle se trouva dans un grand jardin carré, lequel était fermé d’une grande haie d’épines noires. Au-dedans, tout autour du jardin, il y avait une double haie de rosiers chargés de roses. Auprès, il y avait tout alentour un grand bordage166 tout rempli de toutes sortes de belles fleurs bien épanouies et bien odoriférantes. Le fond du jardin était tout d’argent poli. Aux quatre coins, quatre belles fontaines d’eau vive, et au milieu une belle fontaine d’or, laquelle était enchâssée dans de l’or, où il y avait deux grands tuyaux, dont l’un jetait le vin, droit en haut, et l’autre était recourbé en bas, et le vin tombait en plusieurs bassins d’or qui étaient autour de la fontaine.

Les quatre fontaines d’eau vive envoient chacune un ruisseau qui se vont communiquant l’un l’autre en forme de croix, faisant un doux murmure qui compose une musique fort agréable. Puis après s’être communiqués, ils se viennent tous rendre autour de la fontaine du milieu et lui demandent de son vin, et la fontaine libérale abaisse tous ses bassins et verse tout son vin dans ces quatre ruisseaux qui s’en vont ainsi, chargés de vin, à leur fontaine, dans le même ordre qu’ils sont venus, chantant toujours très mélodieusement. Ces quatre fontaines, après avoir reçu ce vin, renvoient derechef leurs ruisseaux d’eau pour demander encore du vin, ce qu’elles continuent toujours de faire, et elles ont chacune un tuyau d’argent par le moyen duquel elles communiquent l’eau et le vin mêlés ensemble à ceux qui sont hors du jardin. […]

Elle vit encore de belles jeunes filles revêtues de toutes sortes de couleurs qui s’en allaient boire à la fontaine de vin, et Notre Seigneur leur disait : « Buvez et vous enivrez, il n’y a point d’excès. » Après cela tous ces personnages disparurent, et Notre Dame aussi, qui les lui avait fait voir, si bien que la sœur Marie demeura toute seule près de la fontaine de vin. Mais Notre Seigneur lui parut derechef, revêtu de blanc avec le jeune homme revêtu de fin lin, et elle vit aussi un personnage revêtu de noir, ayant un voile noir sur la tête, qui passait par devant elle. Elle demanda à Notre Seigneur qui était ce personnage qui passait.

Notre Seigneur répondit : « C’est votre esprit.

- Pourquoi est-il revêtu de noir en ce lieu-ci ? »

Notre Seigneur répondit : « C’est qu’il porte le deuil de ses frères qui sont morts. Il s’en va à son oratoire prier Dieu pour eux. »

Elle lui demanda aussi : « Qui est ce beau jeune homme revêtu de fin lin ?

Notre Seigneur répondit en souriant : « C’est l’honneur. »

Elle répliqua : « L’honneur de notre pays n’est pas fait comme celui-là ; il n’est pas si beau. »

Il répondit : « Il y a autant de différence entre l’honneur du monde et celui-ci, qu’il y a entre le vrai Dieu et les idoles. »

Elle pria Notre Seigneur de lui donner une petite goutte de vin de cette fontaine, et Il la rejeta en souriant et pourtant lui disant : « Retirez-vous d’ici », mais plus elle s’approchait de Lui.

Voici l’explication que Notre Seigneur lui donna de toutes ces choses : le jardin carré représente l’humanité sainte de Notre Seigneur contenue dans le Saint Sacrement de l’autel. Les épines noires qui ferment le jardin représentent les châtiments et les malédictions de ceux qui s’en approchent indignement. Les roses des rosiers représentent l’amour et la charité, et toutes les autres fleurs représentent les autres vertus qui sont renfermées dans le Saint Sacrement.

Le fond du jardin d’argent poli représente la pureté de l’humanité de Notre Seigneur. Les quatre fontaines d’eau vive représentent les quatre plaies des mains et des pieds ; la cinquième, de vin, représente la plaie du cœur. L’eau vive représente les grâces, dons et bénédiction que Notre Seigneur nous a mérités par sa Passion, et le vin représente le grand Amour et la grande Charité de Notre Seigneur. Le tuyau qui est en haut, c’est l’Amour qu’il a pour son Père ; celui qui se recourbe en bas, c’est la Charité qu’il a pour nous.

Les ruisseaux d’eau demandent du vin pour enivrer d’Amour et de Charité ceux qui communient dignement qui sont hors le jardin, c’est-à-dire tous les chrétiens qui ne sont pas dans la déification. […] Les frères de ce personnage vêtu de noir sont les âmes mortes par le péché. L’habit noir représente la peine due à leurs péchés, dont il est chargé. Son oratoire, c’est son corps, et ses prières sont ses souffrances.

Tant plus que Notre Seigneur la rejetait, tant plus elle s’approchait de Lui, ce qui signifie que plus il semble rejeter les âmes qu’il aime, plus il les attire à soi, et plus elles s’approchent de Lui.

L’arbre émondé167.



Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse168, travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter169 toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines ». Elle continue, fait la même plainte plusieurs fois et entend la même réponse.

En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit : « Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il en sort du sang.

Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec colère : «Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle lui commanda d’essarter comme devant, avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset :« Sequar quocumque ierit »170. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en haut par le moyen des estocs171 qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle.

Elle se trouva après cela au pied de l’arbre, près de la Sainte Vierge. Cet arbre émondé avait des rejetons de feuilles et elle se servait des estocs comme d’échelons pour monter. Quand au premier arbre, la Sainte Vierge lui bailla l’échelle qu’elle avait apportée, dont les échelons étaient de cordes et les deux côtés de bois, pour monter. Elles passèrent outre, et toujours la Sainte Vierge lui commanda d’essarter. Elles arrivent à un arbre tout sec. La Sainte Vierge lui donna sa hache, et elle, avec sa bêche, commença à fouiller la terre pour découvrir les racines de loin tout autour, et lui commande de couper les racines avec sa hache.

Quand elles furent coupées, la Sainte Vierge donna un coup de pied à l’arbre et le fit tomber, le sommet le premier, en bas, dans un profond abîme qui se trouva là. Elle demanda à la Sainte Vierge ce que voulaient dire toutes ces énigmes ; mais on ne lui a point expliqué. La sœur Marie dit que ce grand arbre signifie le Saint Sacrement, et un grand buisson de ronces qui étendait ses branches extrêmement loin, un grand seigneur très méchant qui avait des intrigues et correspondances fort éloignées.



Les saints au travail172.

On l’a vue plusieurs fois toute enflammée et toute transportée, parler en cette façon : « Oh ! Si la porte du Paradis m’était ouverte, j’y entrerais, non pas pour y jouir de la gloire et pour y demeurer, mais pour en faire sortir tous les apôtres et tous les saints, et pour les faire venir en ce monde afin de s’employer à détruire ce monstre qui est le péché et à sauver les âmes. » […]

Quelque temps après cela, étant à l’Église, elle dit à Notre Seigneur : « Permettez-moi de saluer le Saint Sacrement.

- Oui, dit-il, je vous le permets. » Et au même temps, il ajouta : « Voici mes deux apôtres saint Pierre et saint Paul que vous menacez tant de faire sortir du Paradis.

- Mais aussi, c’est grande pitié, dit-elle, de voir tant d’âmes qui se perdent. Qu’est-ce que tous vos apôtres, vos saints font qu’ils ne viennent nous aider à faire mourir le péché et à sauver les âmes ?

Catherine de Gênes & Gertrude173.



La sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour sensible, ce qui n’est point en la sœur Marie. Elle a passé ainsi, dès le commencement, par les plus hauts degrés de la contemplation que sainte Thérèse écrit dans ses livres, ainsi qu’il sera rapporté plus amplement dans le livre suivant. « Sainte Thérèse va doucement et s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade (c’est son mot) : témoins ces grands désirs que j’ai eue de l’enfer ».

Sainte Gertrude demande quelquefois des récompenses et des consolations ; cela est insupportable à la sœur Marie.

Mais sainte Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut, elle ne veut pas même des Indulgences. Demandez-lui comme elle veut être : « Comme je suis, dira-t-elle, et non autrement, parce que Dieu veut que je sois ainsi. » Et voilà ce que la sœur Marie aime. C’est pourquoi elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur. Cette sainte haïssait l’amour-propre plus que l’enfer et disait qu’un seul grain d’amour-propre, quoiqu’il n’y en eût pas plus gros qu’un grain de moutarde, serait capable d’empoisonner tout le monde. Elle disait aussi que si une seule goutte d’amour divin tombait dans l’enfer, il le changerait en un Paradis et convertirait tous les diables en des anges.

L’Église et l’état où elle est174.



Un jour, la sœur Marie entendait Notre Seigneur qui disait : « Le soleil s’est éclipsé, la lune s’est couverte d’un voile noir, les étoiles ont perdu leur lumière. » Il dit ensuite que ce soleil dont Il parlait était tous les ecclésiastiques depuis le premier jusqu’au dernier, que la lune signifiait les nobles et les officiers, et que les étoiles représentaient tous ceux qui sont attachés par la foi au ciel de l’Église.

*

Un jour, ayant la messe en la chapelle des vicaires, Notre Seigneur lui parut fort triste et lui dit175 : « Mon épouse est devenue lépreuse. Je lui dis qu’elle s’aille laver sept fois au fleuve du Jourdain et qu’elle deviendra belle et blanche comme un petit enfant. Voici une belle chemise que ma mère m’a donnée, allez [la] lui porter et qu’elle la revête à la sortie de l’eau. »

Ensuite Notre Seigneur lui expliqua ceci en cette façon : son épouse, c’est l’Église ; la lèpre, c’est le péché ; le Jourdain, c’est la pénitence ; elle doit s’y laver sept fois pour y être purgée des sept péchés mortels. La chemise, c’est l’humanité de Notre Seigneur ; elle se revêt de cette chemise à la sortie de l’eau, c’est-à-dire après la pénitence par le don de la grâce méritée par la Passion de Notre Seigneur. Lui porter cette chemise, c’est lui aider à faire pénitence par prières, jeûnes, larmes et souffrances : c’est ce que fait la sœur Marie.

Pour sauver tout le monde176.



- Mais si, pour sauver tout le monde, dit Notre Seigneur, il fallait consentir un péché, ne le feriez-vous point, vous qui avez tant d’amour pour les âmes ?

- Non, dit-elle, quand il faudrait racheter une infinité de mondes.

- Mais si j’étais moi-même dans l’enfer, ne le feriez-vous point, pour m’en retirer ?

- Non, je n’en ferai rien.

- Si à faute de cela Mon humanité devait être anéantie, souffririez-vous qu’elle le fût ?

- Oui, je le souffrirais, plutôt que de contrevenir en la moindre chose du monde à la divine Volonté.

- Mais quoi ! dit Notre Seigneur, s’il y allait de Dieu même, que feriez-vous ?

- Je vous dis, répliqua-t-elle, que, quand par impossibilité Dieu devrait être anéanti, je ne pourrais pas consentir aucun péché, si petit qu’il fût, c’est une chose impossible.

- Ô, dit Notre Seigneur, voilà le « clamans voce magna ». Il ne reste plus que ce mot « expiravit».177

*

Elle a été un temps178 dans un désir extrême de la mort qui faisait qu’elle l’appelait sans cesse : « O mort, ô belle mort, venez, venez, promptement, ô glorieuse mort, ô triomphante mort. » Elle ne savait pourquoi elle avait ce désir, car ce n’était ni par ennui de souffrir, ni par désir d’aller en Paradis. [302] Faisant réflexion là-dessus, elle dit à Notre Seigneur : « Pourquoi est-ce que je désire tant la mort, d’où vient ce désir ?

- C’est moi, dit-Il, qui vous l’ai donné : c’est ma Passion qui désire en vous la mort de tous les péchés, car c’est le fruit de ma Passion qu’ils soient tous détruits et anéantis avec tous les plaisirs, vanités et autres choses qui sont contraires à ma divine Volonté. »

Un jour Notre Seigneur lui ayant demandé ce qu’elle désirait le plus :

« La Vérité », dit-elle.

- « Ce n’est point cela », dit Notre Seigneur.

- « C’est donc vous », dit-elle.

- « Non, ce n’est point moi que vous désirez le plus. » Le lendemain, Il lui dit que ce qu’elle désirait le plus, était l’anéantissement du péché, et elle connut en vérité que cela était ainsi.

Contre l’orgueil179.



Elle a connu une femme qui employait son bien en œuvres de miséricorde, à ensevelir les morts, visiter les malades et à nourrir et assister les pauvres. Elle jeûnait si austèrement qu’elle ne prenait qu’un repas en deux jours, et ce, de pain et d’eau. Elle faisait grand nombre de prières et y employait souvent tout le jour et une grande partie de la nuit. Elle ne portait point de linge. Elle recevait des injures en pleine rue sans aucun ressentiment, et un jour une bien pauvre femme lui bailla un soufflet qu’elle souffrit avec une grande patience.

La sœur Marie pria pour elle et, dans ses prières, on lui fit connaître qu’elle était coupable d’orgueil et en état de perdition, et que le sujet de son orgueil était ses austérités à cause desquelles elle s’estimait beaucoup. Elle demanda pardon pour elle et on lui demanda ce qu’elle voudrait faire pour l’obtenir. Elle se soumit à tout faire pourvu qu’elle lui obtînt la grâce de communier dignement. On la lui accorda à condition que de nuit elle ferait la procession autour la cathédrale à nu-genoux et qu’elle souffrirait tous les mauvais traitements qui lui devaient arriver à cette occasion : ce qu’elle fit et souffrit d’être huée de tout le monde comme quelque loup-garou ou sorcière, parce qu’elle avait la tête enveloppée de peur d’être connue. Elle y fut plus d’une heure.

Ensuite de cela, cette femme ne put plus faire ses austérités accoutumées, particulièrement ses jeûnes de deux jours. Elle jeûna les jeûnes de l’Église, reprit le linge et ne fit plus tant de prières et le tout d’elle-même, parce qu’elle devint infirme et perdit cette dévotion sensible qui lui faisait faire tant de prières. Notre Seigneur lui envoya cette infirmité qui lui ôta le pouvoir de jeûner, afin de lui ôter la vanité et son orgueil. […]

Contre l’amour-propre, la vanité et l’orgueil180.



Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que l’amour-propre, la propre excellence et la vanité font de grands dégâts parmi les personnes qui font profession de dévotion et que l’orgueil en damne plusieurs. […]

La vanité ne cherche qu’à empoisonner et faire mourir Notre Seigneur. Elle l’empoisonne, l’affaiblit et le rend malade par les actions qu’elle fait faire à l’âme par esprit de vaine gloire, et elle le fait mourir lorsqu’elle le conduit jusqu’à l’orgueil. Voilà les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et non régnant, car Il est en elles en qualité de pensionnaire seulement et non pas comme maître de la maison. C’est l’amour-propre et la propre excellence qui y dominent et qui en sont les maîtres.

Mais l’âme fidèle prend un grand coutelas qui est la haine de soi-même, et d’un seul coup elle tranche la tête à tous deux, et alors la vanité s’enfuit. Le diable la voulant faire rentrer par une autre porte vient là-dessus et dit à l’âme : « Ô que vous avez bien fait ! » Mais comme elle l’aperçoit, elle le connaît et le chasse promptement en s’humiliant dans le plus profond de son néant, et référant à Dieu tout l’honneur et toute la gloire.

Les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et régnant, ce sont celles qui ne désirent rien en ce monde et en l’autre que de suivre en tout et partout Sa très adorable Volonté, et dans lesquelles l’amour-propre et la propre excellence et la vanité sont anéantis, ou pour le moins tellement affaiblis qu’ils ne dominent pas, mais Notre Seigneur qui est le maître de la maison et qui y règne plus ou moins, selon les divers états de grâce et d’amour qui s’y rencontrent, car où il y a plus d’amour divin et moins d’amour-propre, il y règne plus parfaitement.

Ceux qui font de bonnes actions avec intention non de plaire à Dieu, mais d’accroître leur mérite, ils auront récompenses comme serviteurs. Ceux qui font bien sans espoir de salaire sont comme mes enfants qui auront part à ma gloire, comme qui mettrait une goutte d’eau en la mer aura part à la mer, mais ceux qui se vantent de ce qu’ils n’ont pas fait, Il se vengera d’eux comme ceux qui dérobent l’eau de la mer.

Une femme fort éplorée181.



L’an 1646, le samedi de Pâques, on lui fit voir une femme fort éplorée et affligée. Elle fit ce qu’elle put pour se détourner de cette vue, mais il lui fut impossible. Elle vit donc cette femme qui avait la mamelle droite extrêmement enflée et enflammée, laquelle elle regardait en pleurant amèrement et disant qu’elle lui causait une grande douleur.

La sœur Marie demanda à Notre Dame d’où venait cette enflure et cette inflammation qui faisait souffrir tant de douleurs à cette femme. «C’est, dit-elle, qu’elle a la mamelle pleine de sang. » Alors Notre Dame prit une grande feuille verte, la bailla à la même femme et lui dit : «Prenez cette feuille et la mettez sur votre mamelle, elle en ôtera l’inflammation et la douleur et en fera sortir le sang, et quand elle sera vide de sang, je la remplirai de lait. » Cette femme ayant mis cette feuille sur son sein, Notre Dame la lui enveloppa d’un beau linge blanc.

Ensuite de cela, la sœur Marie demanda à Notre Dame quelle était cette femme. « C’est l’Église », dit-elle.

« Qu’est-ce que la mamelle de l’Église ?

- Ce sont tous les ordres religieux qui sont dans l’Église. Au temps qu’ils étaient unis ensemble par l’amour et la charité et qu’ils n’étaient qu’un cœur et une âme, ils remplissaient la mamelle de l’Église de lait, ce qui signifie le bon exemple qu’ils donnaient en ce temps-là par la sainteté de leur vie, et l’Église en allaitait les pécheurs et les attirait à pénitence et dévotion. Mais maintenant, ajouta Notre Dame, ô malheur ! Une harpie est entrée dans tous les Ordres qui leur ôte le pain de la main et de la bouche et les fait languir de faim, et la plus grande partie en sont morts. Cet harpie est l’envie qu’ils ont les uns contre les autres, laquelle leur ôte l’amour et la charité qui sont le vrai pain de vie qu’elle leur arrache de la bouche et de la main, en leur ôtant de la bouche et de la main les paroles et les actions de charité qu’ils devraient dire et faire les uns au regard des autres, et elle y met à la place la haine et l’animosité, et c’est le sang dont cette mamelle est remplie. »

Le sucre de monsieur de Bernières182.



Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut, il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter ; mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué ; mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint point.

Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. »

Le monde183.



Un jour Notre Seigneur fit voir à la sœur Marie un arbre qui était au milieu d’une belle plaine herbue et verdoyante. Il était fort haut et s’élevait en pointe. Au bas il était fort touffu et étendu. Les feuilles en étaient parfaitement belles, mais au derrière il y avait un hameçon caché et toutes les feuilles tremblaient. Cet arbre, c’est le monde, les feuilles sont les voluptés différentes dont le diable se sert pour accrocher les âmes. Elles sont tremblantes parce qu’elles sont honteuses. Ce fut Notre Seigneur qui donna cette explication.

En l’année 1644, elle disait souvent : « Hélas ! Où sommes-nous ? Nous sommes dans un désert où on ne voit personne, où on n’entend que des bêtes qui hurlent. » On lui fit entendre que ce désert, c’est le monde parce que l’on n’y voit plus que fort peu d’hommes et qu’il n’est presque plus habité que de bêtes, c’est-à-dire de personnes qui mènent une vie brutale.

Mon esprit s’en est allé au néant184.



L’an 1653, le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. Il y a quelque temps que Notre Seigneur m’avait dit qu’Il me donnerait un baiser de Sa divinité, et Il m’a dit depuis que ce grand amour de mon esprit au regard de Sa divine Volonté est le baiser de Sa divinité. Aujourd’hui Il me disait : « Si votre esprit revenait, le voudriez-vous point ?

- Non !

- Pourquoi cela ?

- Parce que je ne le puis aimer.

- Pourquoi cela ?

- Parce que je ne veux aimer que Dieu seul. Quand j’aurais l’amour de tous les séraphins, de tous les saints et de toutes les créatures, je n’en voudrais pas donner la moindre étincelle à mon esprit.

- Mais si je vous commandais de l’aimer ?

- Vous ferez ce qu’il Vous plaira, mais il m’est impossible de donner à une créature l’amour qui n’est dû qu’au Créateur, et je sais bien que vous ne commandez jamais des choses impossibles.

- Mais si Je disais que Je veux votre esprit et que Je ne vous veux pas si vous ne voulez le recevoir et l’aimer, et qu’ainsi il faut que vous vous en alliez au néant si vous ne voulez pas l’aimer ?

- Je vous dirai que j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle de l’amour que je dois à Dieu seul. Je veux bien vivre avec lui pour le servir et lui obéir, et non pas pour l’aimer, si ce n’est en la manière que j’aime les saints et que j’aime toutes les bonnes choses, mais non pas de l’amour duquel je dois aimer Dieu. C’est un amour déiforme qui n’appartient qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne œuvre ni souffrance quelles qu’elles soient, quand elle égalerait celles de l’enfer, voire même quand une personne souffrirait tous les tourments que toutes les créatures qui ont été, sont et seront, pourraient endurer, elle ne pourrait jamais le mériter. Il n’appartient qu’à Dieu seul, car il n’est pas permis d’aimer de cet amour-là ni les anges, ni les saints, ni la Sainte Vierge, ni même Notre Seigneur en tant qu’homme, ni aucune chose créée quelle qu’elle puisse être.

Je l’appelle un amour déiforme parce qu’il est marqué du caractère de Dieu. Il porte les signes et les sceaux de Dieu, et ces sceaux sont les divins attributs dont ils portent l’impression, afin qu’on sache qu’il n’appartient qu’à Dieu et à ses divins attributs. Cet amour est dans les sens, et néanmoins il n’est point sensible : c’est un des effets de mon beau verset qui m’a été donné depuis un si long temps et qui ne m’a été donné que pour mes sens. Ce sont ces belles démarches de la divine Sapience dans ma chair et dans mon sang que j’ai vues il y a si longtemps et desquelles j’étais bien assurée qu’il était impossible qu’un autre que la Sapience éternelle en peut faire de semblables. Elle a fait ces démarches dans ma chair et dans mon sang, lorsqu’elle en a pris possession. C’est elle qui a mis cet amour déiforme dans mes sens et qui les marque de ses signes et de ses sceaux. C’est ce baiser de l’humanité de Notre Seigneur qu’Il avait promis de donner à mes sens, car c’est ainsi que les sens aiment la Divinité. C’est la plus haute disposition qu’ils puissent avoir pour se préparer au mariage divin qui se doit faire entre les sens de Notre Seigneur et eux. Je n’eusse jamais cru que les sens eussent été capables de choses si grandes. Aussi ils sont tout honteux et tout tremblants de voir qu’on les veuille élever à une chose si grande, et s’en excusent et disent qu’ils n’aspirent pas là, qu’ils ne demandent pas cela, qu’ils ne le désirent [340v] pas. Mais Dieu fait ce qui Lui plaît. Ce sont ici des vérités véritables dont je porte une impression si forte qu’il m’est impossible d’en douter ni de parler autrement. »

La sœur Marie a dit toutes ces choses en la façon qu’elles sont ici écrites.

*

Notre Seigneur lui a fait connaître la différence entre celui qui agit par amour propre et celui qui agit pour l’amour de Dieu185, c’est-à-dire qui ne désire autre chose que de Lui plaire et Le suivre en tout et partout Sa divine volonté. Celui-là ressemble à un voyageur qui, dans un chemin beau et droit, court promptement et se dépouille tout nu pour aller plus vite ; et celui qui agit par intérêt, ressemble à un homme qui marche dans un dédale et qui avec cela se charge de tout ce qu’il rencontre qui lui peut être utile en toutes les occasions qui s’offrent. Il ne regarde pas ce qui est plus agréable à Dieu, mais ce qui lui sera plus utile et plus méritoire. Tous les chemins lui sont bons pourvu qu’il y ait à gagner pour lui. Un tel homme avance fort peu et travaille beaucoup. Ceux qui marchent par le premier chemin sont vrais enfants de Dieu. Ceux qui marchent par le second sont des serviteurs à gages.

Dévotion sensible & sécheresse186.



Le 17 novembre 1645, Notre Seigneur lui ordonna de dire un rosaire. Ce qu’elle fit. Quand elle l’eut dit, Il revint et lui dit : « Vous n’avez point de dévotion.

- Non, dit-elle, car vous ne m’en avez pas donné. »

- Ensuite de cela, Il lui dit : « Je veux vous faire voir la différence qu’il y a entre deux âmes dont l’une prie avec dévotion sensible, l’autre avec sécheresse, par cette similitude. Représentez-vous deux peintres auxquels un roi a ordonné de remettre en couleur deux siennes images que lui-même avait peintes, mais elles avaient été salies, gâtées et décolorées. Il leur a donné à tous deux de l’eau qui est nécessaire pour les décrasser ; il leur donne aussi à chacun une pièce d’or pour acheter des couleurs nécessaires, et à chacun un pinceau pour les appliquer. Mais il y a entre eux cette différence, que leur roi loge l’un de ces peintres dans son palais, le fait manger à sa table et l’honore souvent de sa présence pendant qu’il travaille, et lui donne la consolation de son entretien. L’autre peintre travaille tout seul en son logis au cœur de l’hiver et dans la rigueur du froid. Ils font également bien l’un et l’autre. Lequel est-ce des deux qui mérite plus de récompense ? Sans doute c’est le dernier. »

Les images sont les âmes souillées du péché. L’eau, c’est la contrition. La pièce d’or, c’est le franc arbitre. « Ô la belle pièce d’or », disait Notre Seigneur. Les couleurs sont la vraie foi, la vraie espérance et les autres vertus. Le pinceau, c’est la grâce. Le premier des deux peintres, c’est celui qui en bien faisant a une dévotion sensible, le second est celui qui travaille avec sécheresse. Lequel est-ce des deux qui plaît davantage à Dieu ? C’est le second. Mais malheur à celui qui jette le pinceau et qui laisse fouler au pied l’image du grand roi !

Contemplation187.



Auparavant qu’elle vînt à Coutances, elle ne savait pas lire, mais lorsqu’elle y fut, on lui apprit à lire. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s’appelle la Règle de la Perfection, qui est divisé en trois parties188. La troisième partie traite de la plus haute contemplation et les deux premiers enseignent les moyens dont on peut se servir pour y arriver.

Lorsqu’elle eut ce livre, elle ne savait que lire très imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins lorsqu’elle vint à l’ouvrir, elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie, et qui plus est, elle l’entendait fort bien. Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres, d’autant qu’elle n’en avait que faire, Dieu ne l’ayant point fait passer par ce chemin-là pour la conduire à la perfection où elle était arrivée et qui était décrite dans cette troisième partie.

*

Un jour qu’elle était dans l’église environnée d’enfants qui faisaient du bruit et qu’elle s’en plaignait, Notre Seigneur lui dit189 : « Allez-vous en à la porte du chœur, là où tout le monde passe : Je vous y parlerai avec autant de tranquillité que si vous étiez dans une profonde solitude. » Elle y alla et quoiqu’elle fût environnée, poussée, pressée et heurtée de tous côtés, Notre Seigneur lui parla, et elle L’entendit avec autant de paix que si elle avait été ravie, pour donner à entendre qu’avec l’aide de Dieu on peut être recueilli en tout lieu et en tout temps, et que sans lui tous nos efforts sont vains.

*

Étant allée un jour à Notre Seigneur pour lui demander quelque chose, Il lui dit190 : « Retirez-vous », c’est-à-dire, détournez votre esprit de cela. Elle s’en va.

Il la rappelle, disant : « Venez ici : J’ai un mot à vous dire. »

Elle revient : « Eh bien ! Que demandez-vous? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?

- Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.

- Voulez-vous la contemplation ?

- Non.

- Quoi donc ?

- Je demande la connaissance de la Vérité !

- Savez-vous bien à qui vous ressemblez ? A un pèlerin ou voyageur qui est tellement lassé qu’il ne peut faire un pas qu’il ne demeure sur la place, tellement altéré qu’il est prêt de mourir de soif si on ne lui donne à boire, tellement affamé que la faim lui va étouffer le cœur si on ne lui donne à manger. Cependant voici venir quelqu’un qui lui dit : « Mon ami, voulez-vous voir un beau jardin qui est ici proche ? Vous y verriez de belles allées, de belles salles vertes et des parterres tout pleins de fleurs dont la vue et l’odeur sont bien agréables.

- Hélas ! dirait-il, ce n’est pas ce qu’il me faut à moi, qui ne fais qu’attendre le repos, le repas ou la mort.

- Mais je ne sais ce que c’est que tout cela, dit la sœur Marie, qu’est-ce que c’est que cette méditation et cette contemplation ?

- La méditation, c’est la considération des oeuvres de Dieu et de ses Mystères représentés par les allées et salles vertes du jardin. La contemplation est représentée par le parterre plein de fleurs. Et il y en a de trois sortes. La première est la spéculation des divins attributs que l’entendement présente à la volonté, laquelle se porte à les aimer ardemment ; mais celle-ci est fort périlleuse car souvent l’amour-propre et la vanité s’y mêlent : la vanité flatte les contemplatifs et leur fait croire qu’ils sont bien plus saints que les autres, et lorsqu’il se présente quelque occasion de faire ou de souffrir quelque chose de grand pour Dieu, l’amour-propre leur fournit des raisons fort subtiles pour s’en excuser, comme : « Je perdrais ma réputation », ou : « Je ne crois pas que ce soit la volonté de Dieu que je fasse cela », et autres semblables défaites.

« La deuxième contemplation est beaucoup meilleure, plus sûre, plus parfaite et plus agréable à Dieu. Celle-ci consiste à regarder toujours la divine Volonté pour la suivre partout, à l’exemple du Fils de Dieu qui a très parfaitement accompli en toutes choses la Volonté de son Père, sur lequel il faut souvent jeter les yeux, considérant comme Il a suivi la divine Volonté en la pratique de toutes les vertus et en toutes ses pensées, paroles et actions, afin de l’imiter en cela. Il n’y a jamais de péril en cette contemplation. La première a un plus beau visage, mais celle-ci est plus noble, plus riche et plus parfaite.

« La troisième contemplation, c’est lorsque la propre volonté est entièrement anéantie et transformée en la divine Volonté.

*

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation ; ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour191.

Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’ils lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.

« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente : celle des croix est bien plus noble et plus royale, parce que c’est celle par laquelle le Roi des rois a marché. Il est vrai que celle-là est toute couverte de fleurs, et celle-ci d’épines, mais celle-ci est bien plus courte que celle-là. »

[…]

La sœur Marie, ayant dit ces choses et plusieurs autres aux personnes susdites et ayant répondu et satisfait suffisamment à toutes leurs propositions durant 15 jours, comme ils voulaient continuer à lui parler sur le même sujet, elle leur dit : « La porte est fermée, je n’entends plus rien à tout ce que vous me dites.

« Et en effet, dit-elle, il me semblait qu’ils me parlaient un langage étranger. Je n’y entendais plus rien et n’y voyais plus goutte, parce que la lumière qu’on m’avait donnée pour leur parler, s’était entièrement retirée. »

Le jardin des contemplatifs192.



Un jour193, la sœur Marie se sentant fort pressée de la faim qui n’était pas naturelle, elle s’en va à sa mère la Sainte Vierge pour la prier de lui donner quelque chose à manger. Elle la voit venir qui lui apporte une branche de cerises qu’elle met sur la table. C’était une figure de plusieurs personnes de piété qu’elle lui devait bientôt amener. La sœur Marie lui demande : «D’où venez-vous ?

- Je viens, dit-elle, de mon beau jardin.

- Où est-il ? , dit la sœur Marie.

- Il est au terroir d’Eden, répond Notre Dame.

- Je voudrais bien y aller, ajouta la sœur Marie.

- Venez, répartit la Sainte Vierge, je vous y ferai entrer.

Ayant dit cela, elle marche devant, la sœur Marie la suit. Elles arrivèrent à la porte que la Sainte Vierge ouvrit, puis entre la première et la sœur Marie après elle. Étant entrée, elle le contemple, et voici ensuite comment comme elle le décrit :

« Il y a des cerisiers et des pruniers chargés de prunes et de cerises. Au-delà des cerisiers et pruniers sur le bord du jardin, il y a une haie d’épines, de ronces et broussailles, et au-dehors rien que ténèbres et horreurs. Au pied des pruniers et cerisiers, il y a quantité de framboises. Au-deçà des pruniers et des cerisiers, il y a une grande allée qui environne le jardin et qui est toute couverte de violettes. Dans le jardin, il y a trois autres allées couvertes semblablement de violettes, mais de violettes doubles, qui sont bien plus doubles et odoriférantes que celle de l’allée qui est tout autour du jardin. Il y a un pommier chargé de belles pommes. Il y a aussi plusieurs parterres dans lesquels il y a des carreaux de toutes sortes de fleurs, comme de roses, de lys, d’œillets et autres semblables.

Les divins Attributs se promènent dans le jardin de cette façon. La Justice et la Miséricorde se promènent ensemble dans une allée. Dans une autre allée la Toute- Puissance et la Divine Volonté ; et l’Amour divin avec la Charité divine dans une autre. Et tous ces divins Attributs prennent un grand contentement à marcher sur les violettes dont les trois allées qui sont dans le jardin sont toutes couvertes, et à mesure qu’ils les foulent de leurs pieds sacrés, elles se rehaussent et deviennent plus belles et plus odoriférantes qu’auparavant.

« Notre Seigneur et Notre Dame se promènent ensemble dans l’allée qui environne le jardin, la Sainte Vierge étant appuyée sur le bras de son Fils, et tous deux cheminent avec des démarches si belles et si agréables que cela ne se peut exprimer, et s’en vont chantant : « Fulci me floribus quia amore langueo194 » et disant aux cerises : « Engraissez-vous et mûrissez afin que nous vous mangions et convertissions en notre substance. » Les divins Attributs jettent aussi plusieurs regards sur les cerises et sur les prunes. » 

« Le jardinier de ce jardin, c’est la Sapience Éternelle qui a trois travaillants pour lui aider, à savoir : la Force, la Grâce et la Patience divine. La Force divine fouit et remue la terre pour la disposer à recevoir la semence. La Grâce divine la sème et la Patience l’engraisse, la herse et couvre la semence. »

Voilà la forme et la figure de ce jardin, dont l’explication ne fut point donnée aussitôt mais quelque temps après. Notre Seigneur la donna en cette façon qui n’est point la principale mais la littérale, et dit qu’il y en avait bien d’autres plus relevées qu’Il n’a point dites. Ce jardin est le jardin de Notre Seigneur et de Notre Dame et le jardin des Contemplatifs. Il est situé au terroir d’Eden, c’est-à-dire dans une terre grasse et fertile, proche d’un autre jardin qui s’appelle le Paradis terrestre ainsi qu’il sera dit à la fin.

La branche de cerises que la Sainte Vierge apporta, représente le père E[udes] et ses frères qui ont été amenés ici par elle et qui furent tirés alors du cerisier pour passer au prunier, c’est-à-dire, qui furent confirmés en grâce, car les cerises sont les figures des bons chrétiens qui commencent à entrer à la perfection.

La chair de la cerise représente le corps qui est extrêmement fragile et facile à corrompre. Le noyau signifie l’âme qui est plus forte à résister aux tentations. Lorsqu’ils quittent le monde, ils montent au cerisier et Notre Seigneur leur aide à monter. La cerise a une petite aigreur qui la rend plus agréable au goût, ce que marque la peine que les bons chrétiens ressentent en quittant le monde auquel ils étaient attachés, ce qui les rend d’autant plus agréables à Dieu qu’ils ressentent davantage de peine à y renoncer pour l’amour de Lui.

Pendant qu’ils demeurent dans le cerisier, ils sont comme dans le noviciat de la vie chrétienne, mais pour faire profession, ils passent dans le prunier et deviennent prunes, c’est-à-dire, ils sont profès dans la vie et perfection chrétienne et sont confirmés en grâce, ce qui est signifié en ce que les prunes sont beaucoup plus fortes et plus fermes que les cerises. Ceux qui passent des cerisiers aux pruniers commencent à entrer dans la transformation et lorsqu’ils sont bien mûrs, Notre Seigneur et Notre Dame les mangent et les convertissent en leur substance, et ainsi ils entrent dans la déification, n’ayant plus qu’un esprit, qu’un cœur, qu’une volonté avec Dieu et étant revêtus des qualités et perfections de Dieu.

Les framboises sont les petites [actions] faites pour Dieu avec bonne intention, desquelles Notre Seigneur et Notre Dame se repaissent. Aussi les épines et les ténèbres qui sont hors le jardin sont les méchants qui sont en péché mortel.

Les trois allées qui sont dans jardin sont les trois puissances de l’âme de Notre Seigneur et de Notre Dame. La violette, c’est leur humilité dont ils sont remplis.

L’allée qui environne le jardin et qui est comme l’extérieur du jardin représente les sens intérieurs et extérieurs du Fils de Dieu et de sa sainte Mère. La violette n’est pas ici si belle comme dans les trois allées parce que ce qu’on a de l’extérieur de l’humilité de Notre Seigneur et de Notre Dame, était beaucoup moindre que ce qui était dans leur intérieur.

L’allée dans laquelle la divine Justice et la divine Miséricorde se promènent, c’est la mémoire, d’autant que la Justice et la Miséricorde comprennent toutes les œuvres de Dieu et que la mémoire les doit aussi contenir et conserver. La Toute-Puissance divine et la Volonté divine se promènent dans une autre allée qui signifie l’entendement, car c’est le propre de l’entendement de contempler les choses grandes et hautes comme sont la Toute- Puissance et la Volonté divine. L’allée dans laquelle l’Amour divin et la Charité sont, c’est la volonté, parce que c’est le propre de la volonté d’aimer. […]

Le soin du prochain195.



Un pauvre homme de Coutances se rompit le col en descendant la montée de sa maison et mourut à la place sans recevoir aucun sacrement. La sœur Marie l’ayant su, elle s’en alla prier Dieu pour lui ; et Il lui fit connaître qu’il était sauvé parce qu’Il approuvait les bonnes actions. Et en effet s’en étant informée de ses voisins quelle était sa vie, ils lui dirent que c’était un bon simple homme qui prenait plaisir à voir faire des actes de dévotion à ses voisins et qui disait ordinairement : « Dieu leur fasse la grâce de faire prière qui Lui soit agréable. » Sur quoi Notre Seigneur dit à la sœur Marie que cela était cause de son salut et que ceux qui se réjouissent de voir les autres faire des actions de vertu et qui les approuvent, participent au fruit de leurs bonnes œuvres.

*

Notre Seigneur a aussi fait connaître qu’une pauvre fille de Coutances nommée la Bouffonne, et qui avait été vilaine et ivrognesse, serait sauvée pour avoir assisté une petite orpheline de cinq à six ans que des religieux avaient fait enlever de devant leur porte croyant qu’elle avait la peste, et il lui fut dit que ceux-là avaient refusé une belle robe rouge et l’avaient laissée prendre à cette pauvre fille par cet acte de charité qu’elle avait pratiqué.

*

Lorsqu’elle était en enfer196, dans un intervalle de huit jours, elle vit l’Amour divin qui était caché derrière un rideau, d’où il lui fit voir un doigt seulement avec lequel il lui montra un nombre innombrable d’âmes telles qu’elles sont quand elles sortent de la main de Dieu avant que de tomber dans le péché originel, et elle les voyait ornées d’une si grande et admirable beauté que tous les hommes de la terre ne sont point capables de la comprendre ni de l’exprimer. « Ô, disait-elle alors, je ne m’étonne pas si Dieu est descendu du ciel pour racheter de si belles créatures ! » Elle eût voulu et elle demandait à Dieu de souffrir toutes les peines d’enfer jusqu’au jour du Jugement et au-delà pour empêcher qu’une seule de ces âmes ne tombât dans le péché originel, - à quoi on ne répondit mot, - tant elle était enivrée de cette beauté : elle lui semblait si ravissante qu’à peine pouvait-elle croire, par manière de dire, que la beauté même de Dieu fût plus grande.

Cette vision était seulement intellectuelle et elle dura huit jours sans interruption, durant lesquels elle disait : « Ô beauté incompréhensible des âmes, ô admirable beauté ! Tout ce qu’il y a de beau et d’éclatant dans toutes les créatures n’est que ténèbres et laideur en comparaison. Ô quelle est cette beauté ? Est-elle comme celle du soleil et des étoiles ? Non, ce n’est rien dire que cela ! Qu’est-ce donc ? Je n’en sais rien, car elle est si merveilleuse qu’il n’y a point de paroles ni de comparaisons capables d’en exprimer la moindre partie» , et cette vision lui est une vérité infaillible et dont elle ne peut douter.

*

Un jour197, se plaignant à Notre Seigneur de ce qu’elle avait extrêmement faim de souffrir pour Son amour et pour le salut des âmes, Il lui dit qu’Il lui voulait faire une collation. Au même temps elle vit une table couverte de mets très délicieux, Notre Seigneur étant assis d’un côté et la Sainte Vierge au bout. Il lui dit : « Mettez-vous de l’autre côté vis-à-vis de moi.

- Non, dit-elle, je ne m’y mettrai point.

- Pourquoi ? répondit Notre Seigneur.

- C’est que je ne veux pas qu’il y ait rien entre Vous et moi, je veux être auprès de Vous.

- Il n’y a que la table entre nous deux, dit le Fils de Dieu.

- Je le sais bien, répliqua-t-elle, et ce que c’est que Votre table. Ce sont des consolations, mais je n’en veux point, je n’en veux pas. Je Vous aime uniquement et tout seul, et non point Vos douceurs et Vos délices ; car quand Vous n’auriez que les peines d’enfer à me donner, je Vous aimerais mieux seul avec les peines que cent mille paradis sans Vous.

- Le moyen donc de faire, ajouta Jésus-Christ, si vous ne voulez pas vous mettre en cette place, car il n’y en a point d’autre. Voulez-vous que Je fasse lever ma sainte Mère pour vous mettre à sa place ?

- Non, dit la sœur Marie.

- Voulez-vous être au-dessus de moi ?

- Non.

- Quoi donc ? dit Notre Seigneur.

- Je sais bien ce que je ferai, dit la sœur Marie, je me mettrai sous la table à vos pieds et aux pieds de ma Mère, et je les embrasserai et les mettrai dans mon sein. » Ce qu’elle fit aussitôt.

Alors Notre Seigneur dit : « Je jure par moi-même que vous ne serez point là. » Ce qui marque l’anéantissement qui fait que l’on n’est point, mais que c’est Notre Seigneur qui est tout.

Au même temps, elle se retira, disant toujours : « Je ne me mettrai point vis-à-vis de Vous, mais je sais bien où je me placerai, j’irai derrière Vous.» Ayant dit cela, elle s’en alla derrière Lui. Ensuite elle entendit qu’être derrière Notre Seigneur, c’est être en enfer, qui était ce qu’elle désirait, d’autant que la divine Volonté l’y appelait, et qu’elle aimait mieux être en enfer avec la divine Volonté que d’être proche de Notre Seigneur avec toutes les consolations représentées par la table ; comme aussi qu’embrasser Ses pieds et ceux de Sa sainte Mère et les mettre en son sein, signifiait qu’elle avait mis en son cœur les affections et les désirs, représentés par les pieds, que Lui et sa sainte Mère ont pour le salut des âmes.

*

Un jour étant dans l’Église des Jacobins198, en la chapelle du Saint Rosaire, elle commença à dire par un mouvement extraordinaire, parlant à Notre Seigneur : « Ô que me donnerez-vous, mon Époux ? Ô que me donnerez-vous ?

- Et qu’avez-vous trouvé, mon épouse, qui soit à moi ? » répondit le Fils de Dieu.

Là-dessus, elle demeura muette, ne sachant que dire. Elle s’en va à la Sainte Vierge lui dire ce que son Epoux lui avait dit et qu’elle ne savait que lui répartir.

« Ma fille, dit la Sainte Vierge, dites-Lui que vous avez trouvé sa couronne.

- Et où l’avez-vous trouvée ? » répliqua le Fils de Dieu. Ne sachant encore que répondre, elle eut recours à sa mère qui lui dit : « Dites-lui que vous l’avez trouvée dans la mer.

- Ma mère, je ne lui dirai point cela.

- Dites-lui donc que vous l’avez trouvée dans l’abîme et dans la mer.

- Je ne dirais point encore cela.

- Allez, répartit la Sainte Vierge, dites-lui que vous l’avez trouvé dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

- Il est vrai, dit le Fils de Dieu, je l’y avais perdue.»

Sa charité199.



- Elle est bien savante, dit Notre Seigneur. Mais voici une troisième question qui est plus difficile que les autres. Lorsqu’un homme a promis à une femme de l’épouser, s’il en veut épouser une autre, il fait un présent à la première et si elle le quitte volontairement, il est libre d’épouser l’autre. Il est vrai que Je vous ai promis de vous épouser, mais si vous me voulez quitter volontairement, Je vous ferai un présent. Or Je vous demande ce que vous aimez le mieux, de moi ou de mon présent ?

- Quel est ce présent ? dit la sœur Marie.

- C’est une flèche empoisonnée, dit Notre Seigneur, pour faire mourir le péché, et une grâce efficace par laquelle vous pouvez convertir autant d’âmes que vous voudrez.

- C’est ce que je veux, répliqua-t-elle, et cela étant, je les convertirai toutes.

*

Un homme et une femme ayant été surpris en adultère200, et tout le monde et même les prêtres s’étant assemblés pour les voir passer, comme on les menait en prison, pour se moquer d’eux au lieu d’en avoir compassion et d’être devant le Saint Sacrement prier Dieu pour leur salut, la sœur Marie vint à passer par là et voyant cela, elle fut saisie d’un mouvement extraordinaire de charité et s’en alla à l’église prier Notre Seigneur qu’Il leur pardonnât et Lui protester qu’elle ne partirait point de là qu’Il ne l’eût assurée de leur salut, ce qu’Il fit.

Partages201.



Un jour, après la sainte communion, durant le temps des sortilèges, se trouvant tout enivrée de l’Amour divin et de consolations célestes, elle commença à dire à Notre Seigneur par un mouvement extraordinaire : « Attendez, je vous prie, j’ai peur de m’en faire accroire et de m’attribuer ce qui ne m’appartient pas. Faisons des partages afin que chacun sache ce qui est à lui et ne s’approprie rien et ne dérobe rien du bien d’autrui. Prenez ce qui est à vous et me donnez ce qui est à moi

- Oui-dà, dit le Fils de Dieu, Je m’en vais vous donner ce qui vous appartient. Vous avez trois partages. Le premier est le néant duquel vous êtes tirée. Le second, c’est le péché car de vous-même et comme fille d’Adam, vous êtes capable de toutes sortes de péchés et même vous n’êtes rien que péché. Le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles qui sont dûes aux péchés que vous auriez commis, si Dieu ne vous en eût préservée. Voilà ce qui est à vous. Tout le reste est à moi, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de bon en la nature, en la grâce, en la gloire, m’appartient. »

Depuis cela, quand Notre Seigneur lui dit : « Vous êtes ceci, Je vous donnerai telle ou telle grâce, Je vous ferai telle ou telle faveur », elle lui répond aussitôt : « Attendez, je vous en prie ; je m’en vais un peu voir mes partages. Mon premier partage est le néant, le second est le péché, le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles. Au reste je suis l’ouvrage de vos mains : l’ouvrier qui a fait un ouvrage ou le peintre qui a fait un tableau, le peut embellir, orner et enrichir comme bon lui semble. Aussi vous ferez de votre ouvrage tout ce qu’il vous plaira. À vous seul en sera la gloire. Pour moi, je proteste en la face du ciel et de la terre que je n’ai rien de quoi je me puisse glorifier, sinon le néant, le péché, l’Ire de Dieu et les peines éternelles. »

La violette202.



Un jour, elle vit le Roi se promener dans ses parterres et qui marchait sur des violettes très belles et très odoriférantes, entre lesquelles s’étant baissé, il en prit une et la mit dans son sein. Ce que voyant [402v] plusieurs lys, roses et autres belles et grandes fleurs, elles s’en scandalisèrent, disant que si le roi avait à cueillir quelques fleurs, ce devait être des leurs qui étaient plus grandes et plus belles. L’œillet qui voyait tout ce qui se passait, disait que le Roi était le maître de son jardin et qu’il était libre de faire de ces fleurs tout ce qu’il lui plairait.

Contre l’honneur203.



Elle a une haine inconcevable contre l’honneur. Un jour Notre Seigneur lui disait : «Vous haïssez beaucoup l’honneur. Je vous veux accorder ensemble.

- Non, dit-elle, je ne veux point d’accord avec lui.

- Mais l’honneur, répartit le Fils de Dieu, est mon homme de chambre qui m’accompagne partout et je ne veux pas qu’il y ait de haine entre mes domestiques. Je désire vous réconcilier ensemble.

- Point du tout, dit-elle, je ne veux jamais de réconciliation avec l’honneur. »

Notre Seigneur lui parla ainsi afin que par ses réponses l’on connaisse ses dispositions.

Un religieux de grande vertu ayant écrit à la sœur Marie une lettre dans laquelle il se plaignait de la propre excellence et estime de soi-même, la priant de demander à Dieu qu’Il le gardât de cette tentation, comme elle eut entendu la lecture de cette lettre, elle dit à Notre Seigneur : « Mais que veut dire que ces grands personnages se plaignent de leur propre excellence ? Ceux qui enseignent les autres ne savent-ils pas bien qu’ils ne sont rien ?

- Oui, lui répondit-il, ils savent bien cela, et me réfèrent les grâces qu’ils ont reçues de moi. Mais néanmoins chacun d’eux pense ainsi en soi-même : « Encore suis-je l’instrument de Dieu et un instrument libre qui pourrait résister. » Et par ces pensées, ils prennent quelque complaisance en eux-mêmes et en l’honneur qu’on leur fait, et de leur dire qu’il faut fouler l’honneur aux pieds et l’avoir en horreur, c’est comme qui dirait à un homme qu’il essuyât ses souliers avec de la soie, car les honneurs et applaudissements sont doux comme de la soie, de laquelle ils ne peuvent pas facilement se persuader qu’il faille toucher ses souliers.

- Je vous assure, disait-elle là-dessus, que je ne voudrais pas toucher mes souliers de l’honneur, car pour faire cela, il y faudrait toucher avec mes mains. Mais j’y voudrais sauter avec mes pieds pour l’écraser comme un serpent.

Se revêtir du soleil204.



L’an 1646, le 26 février, Notre Seigneur parla ainsi à la sœur Marie : « Oh ! Qu’heureuse est l’âme qui se dépouille des ténèbres pour se revêtir du soleil !

- Qu’est-ce, dit-elle, se dépouiller des ténèbres et se revêtir du soleil ?

- C’est sortir de son ignorance et entrer en la connaissance de Dieu. De la connaissance de Dieu procède une lumière par laquelle l’âme se connaît soi-même : plus elle connaît Dieu, plus elle L’aime, et plus elle se connaît soi-même, plus elle se hait.

*

Un certain ayant prié la sœur Marie de lui obtenir trois vertus, elle s’adressa à Notre Seigneur pour les lui demander. Voici ce que Notre Seigneur lui répondit : « Quelqu’un passant par devant un fruitier demanda au jardinier du fruit de trois arbres de son jardin. Le jardinier lui en donna. Mais n’eût-il pas mieux fait de demander la clef de ce jardin pour prendre de tous les fruits du fruitier à son appétit et pour en manger à son aise ? » Le fruitier sont toutes les vertus. Ne demander du fruit que de trois arbres, c’est ne demander que trois vertus. Il vaut mieux aller au jardinier qui est Jésus-Christ et lui demander la clef du fruitier, qui est la vraie connaissance de soi-même. Celui qui l’a, possède toutes les vertus.

Humilité205.



En une autre occasion, Il lui dit encore : «Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon oeuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette, et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser. »

« La vraie et parfaite humilité […] tient à sa main droite un grand miroir et à sa main gauche des balances. Quand elle est assise à la contemplation, elle voit dans ce miroir que Dieu est tout et qu’elle n’est rien. Quand elle est debout en action, elle tient ses balances où il y a écrit dans les deux bassins : « Celui qui s’exalte humilie Dieu, celui qui s’abaisse exalte Dieu. »

De la perfection206.



Notre Seigneur dit un jour à la sœur Marie que dans le chemin de la perfection, il y a un grand nombre de degrés à monter pour y arriver ; qu’elle consiste à se dépouiller de soi-même et entrer en son néant, que le néant est la maison des parfaits ; qu’appeler quelqu’un à la perfection, c’est lui aider à se dépouiller et à s’anéantir et qu’il y a peu de gens qui y arrivent, parce que la plus grande partie meurt en chemin.

L’an 1645, le 14 janvier, Notre Seigneur lui dit : « J’ai un anneau au doigt qui me blesse, je le jetterai au feu. » Il lui dit que cela s’entendait de tous les ordres religieux de l’un et l’autre sexe qui doivent être purifiés dans le feu de la tribulation. Ensuite il dit d’une voix fort élevée : « O ma Couronne ! Les pierres précieuses s’en désunissent et détachent ! » Puis il ajouta que Sa couronne était Sa divinité et que les pierres précieuses sont certaines âmes choisies qui s’unissent à Lui par une droite intention : premièrement, de ne regarder que Dieu seul en toutes leurs actions ; deuxièmement, de n’aimer que Dieu seul ; troisièmement, de ne désirer que Lui seul. Et qui dans cette union se cimentent lorsque, se regardant elles-mêmes, premièrement elles se haïssent, deuxièmement elles se dépouillent, troisièmement elles s’anéantissent. Et dans ces six choses : premièrement ne regarder, deuxièmement n’aimer, troisièmement ne désirer que Dieu, quatrièmement se haïr, cinquièmement se dépouiller, sixièmement s’anéantir, consiste l’abrégé de la perfection par laquelle les âmes se transforment en Dieu et se déifient. Or les susdites pierres précieuses se désunissent et se détachent de ladite couronne lorsqu’elles aiment quelque chose avec Dieu.

*

En la même année 1645, le 29 janvier, Notre Seigneur lui dit encore207 : « J’ai donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée de trois ingrédients : donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie humaine et recevoir Sa vie divine, laquelle on reçoit à mesure qu’on lui donne la sienne. À mesure que l’homme meurt à soi-même, c’est-à-dire à son esprit, à sa volonté, à ses passions et à ses sentiments, il vit de Mon esprit, de Ma volonté, de Mes passions, de Mes sentiments. Et quand il est tout à fait mort à soi-même et à la vie humaine, il ne vit plus que de Dieu et il n’y a plus rien en lui que de divin ; et quand cela est, il se présente à Dieu ayant en soi Ma vie et tous Mes mérites, et lui demande hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer. Voilà le plus court chemin de la perfection. »

*

Dans le chemin de la perfection, dit la sœur Marie, il y a autant de différence entre ceux qui cheminent, comme il y a entre ceux qui ont la qualité de nobles, car comme il y a des gentilshommes fort pauvres et d’autres fort riches, ainsi y en a-t-il dans le chemin de la perfection qui ont peu de richesses spirituelles et il y en a qui en ont beaucoup.

Mais il y a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur vie, ils vivent de la vie de Dieu et quand ils sont tout à fait morts à eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois.

Quatre degrés d’union208.



Le premier est de ceux qui sont tantôt en grâce, tantôt en péché. Ce sont des serviteurs qui vont et viennent, c’est-à-dire qui quittent leur maître après l’avoir servi un temps. Puis étant revenus, ils s’en retournent derechef et demeurent toujours ainsi dans cette inconstance. Cela s’appelle non pas union, mais comme union, quasi-union.

Le deuxième qui s’appelle union est de ceux qui sont en grâce et qui ne retournent point au péché, figurés par des serviteurs qui se donnent à leur maître pour toujours, mais pour le servir en ministres communs et ordinaires.

Le troisième qui se nomme transformation est pour les plus avancés, c’est pour les domestiques du Roi qui approchent sa personne de plus près et qui participent à la dignité royale représentée par l’eau mêlée avec le vin, laquelle participe beaucoup aux qualités du vin, mais qui n’est pas encore changée entièrement en vin, elle ne s’en peut plus séparer.

Le quatrième qui s’appelle déification, est pour les âmes parfaites. Elle est représentée par le changement entier de l’eau en vin. C’est le lit qui n’en peut plus tenir qu’un ; ce sont les épouses du roi qui entrent dans sa couche royale et qui ne sont qu’un avec lui : « Qui adhaeret Deo bonus sponsus est. » Dans la transformation, l’âme n’est pas encore détruite, elle s’y trouve encore. Dans la déification, tout est anéanti : il n’y a plus que Dieu.

*

L’an 1647, la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle209 : « Audience, audience, ô grande mer d’Amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.

La sœur Marie demanda : « Quelle est cette voix?

- C’est la voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée à la perfection, laquelle est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est revêtue et embrasée d’Amour et de Charité, et qui crie par les grands désirs qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée ; mais Je la laisse dans ce divin feu, afin de la purifier encore davantage. »

La goutte de rosée montre combien l’âme, pour sainte et parfaite qu’elle puisse être, est petite au regard de la mer immense de la Divinité ; et ce que Dieu la laisse encore dans ce feu nonobstant la grande pureté qu’elle a déjà, - qui est signifiée par la rosée, - donne à entendre combien il faut que l’âme soit pure pour être entièrement transformée en Dieu et purifiée.













Conseils210



Cette Servante de Dieu étant consultée par un Serviteur de Dieu, elle lui dit d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est en chemin ; qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des beaux sentiments, que ce n’est point là sa voie. Elle l’a connu par son discours, c’est le tout pur rayon211. Il faut bien se donner de garde de ruiner son corps. Il y a peu d’âmes arrivées au divin rayon ; quelquefois l’union est couverte de cendre par les actions extérieures et autres choses : ce n’est rien, on n’est point désuni pour cela. Que c’est une chose rude aux pauvres sentiments de tirer de leur opération naturelle et de passer en Dieu.

*

Elle a dit qu’elle ne peut rien faire ni penser, sinon demeurer dans sa maison qui est le néant. Il lui prend des désirs de connaître la vérité, mais elle est mise en sa maison : elle ne saurait prier, ni rien faire que comme on le veut. Les Dames, qui sont le mépris et la souffrance, etc., préparent la maison pour l’anéantissement, et elles ne s’en vont pas : quoi qu’il soit fait, elles demeurent comme en Notre Seigneur Jésus-Christ.

*

Elle m’a dit quantité de fois : « Vous voilà en beau chemin, Dieu vous y conduise. Que voilà un beau chemin ! Que Dieu est bon ! » Elle m’a dit que l’anéantissement est très long ordinairement, et que bien souvent on ne sait où on est ; et que l’on n’a pas moins pour cela : au contraire l’incertitude et les peines font bien avancer ; enfin c’est une grande grâce que l’anéantissement.

Les sécheresses sont dans les sens, et Dieu est dans le fond qui est immobile, et ne se retire pas. Et comme Dieu ne se retire pas du commun, que par le péché mortel, aussi ne se retire-t-il pas quand il a donné le don, et les obscurités n’empêchent pas que Dieu n’y soit, et par conséquent que l’oraison n’y soit : Dieu, par le don d’anéantissement, se donne, mais peu à peu il croît en l’âme dans l’anéantissement […] La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il y a rien.

Il lui fut dit que la chambre du Roi était l’humilité, et que la fenêtre par où venait la lumière divine dans la chambre, était la connaissance de soi-même. Nous avons parlé du pur amour, et que l’âme qui aime, a tout […] Plus on s’anéantit, plus on se transforme ; et il n’y a qu’à laisser Dieu faire.

*

Elle ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire : il faut qu’elle demeure dans son néant, et qu’elle souffre tout. Elle approuve que l’âme aille très souvent dans ce néant : l’âme n’y a rien et fait l’oraison dans son néant et son rien. Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. C’est un lait dont Dieu repaît notre âme, c’est un bonheur inestimable ; mais il ne faut pas vouloir y faire entrer les autres. Car comme c’est une opération de Dieu, si Dieu ne les y appelait, Il n’y opérerait pas, et par conséquent on serait inutile.

*

La sœur Marie nous a assuré derechef que notre foi est de Dieu, que c’est un don et un grand don, et rare ; peu de personne marchent en ce chemin. Elle l’appelle voie miraculeuse, l’âme y expérimente les excès du divin Amour. […] Que les âmes sont mal instruites de croire perdre leur union dans l’état obscur et nu, c’est au contraire où elle s’augmente.

*

Au commencement, Jésus-Christ se communique dans les sens, et puis dans le fond, où il réside spirituellement, et le pur esprit de l’homme demeure caché en lui, les sens n’apercevant pas cette demeure de Dieu, et ne recevant aucune communication sensible : on les enferme dans la maison du Néant, où ils vivent dans une désolation et sécheresse extrême. […] Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivé : elle est contente de son Néant, il lui est toutes choses, et sa nourriture est de Dieu seul qui prend et plaisir et goût singulier de l’instruire de cet état ; enfin Jésus-Christ se manifeste à elle. Quand une âme s’aperçoit qu’elle est arrivée à Dieu, elle devient extrêmement humble car les grands dons de Dieu humilient grandement ; et comme en cet état on le connaît beaucoup, on se connaît aussi beaucoup soi-même.

*

Comme je lui ai parlé de mon changement d’état pour le prochain, elle m’a dit que c’est que mon état intérieur se retire vers le saint et pur Esprit, et qu’au contraire les sens s’épanouissent vers le prochain ; ce que j’ai vu être très véritable. […] Dieu donne à l’âme dans cet état un désir et une faim au commencement de le trouver, et ensuite de se perdre et consommer en lui, qui ne se perd et éteint jamais ; et plus elle va, plus elle croît, et c’est la goutte d’eau qui lui fut montrée, désirant se perdre dans l’océan ; et Dieu cependant la fait souffrir et désirer davantage, afin de la faire plus perdre et abîmer. Elle dit qu’il n’y a rien qui soit capable d’éteindre ni d’adoucir les désirs qui sont en cet état, que la possession de la chose : quand vous convertiriez tout le monde, et feriez toutes les belles choses, si vous ne venez à posséder, ce n’est pas une paille dans un incendie.

NOTE SUR LE PRÉSENT TEXTE

Jean Eudes rencontre Marie des Vallées en 1641. Elle a entamé la paisible et dernière partie de sa vie. Le visiteur relate en détails les révélations de la « voyante de Coutances » dans sa Vie admirable en 10 livres rédigée en 1655. Le « manuscrit de Québec », intitulé La vie admirable de Marie des Vallées et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle… est une copie de cette première relation perdue. Il n’a jamais été édité par crainte de voir la réputation de son rédacteur mise en cause. Quelques extraits utilisés par des biographes modernes satisfont surtout une curiosité envers l’étrange, ce qui a fait méconnaître la grandeur de la mystique. Ils sont abondants au seul début d’un manuscrit par ailleurs difficile à déchiffrer. D’autres sources existent dont le manuscrit Renty 3177 de la Mazarine, intitulé Admirable conduite de Dieu, l’Abrégé rédigé en 1653 par le P. Eudes, etc. L’étude comparative entre toutes les sources reste à faire. Nous éditerons prochainement le « manuscrit de Québec » complet.

Nous adjoignons en fin du présent volume de brefs extraits des « Conseils d’une grande servante de Dieu ». Ils figurent en annexe du vol. II du Directeur mystique préparés par madame Guyon et édités en 1726.





Correctif à apporter au pdf « Marie des Vallées »,

D. et M. Tronc, juin 2013 :



Page 8 ligne 8 : a faits

Page 11 dernière ligne : ont évolué

Page 12 dernière ligne : desquels

Page 14 2e § ligne 2 : chemins spirituels : « Ce n’est pas… devient par ajout

chemins spirituels dont la voie passive : « Ce n’est pas

Page 26 note numéro 17 : remplacer le numéro par 16 (car il s’agit des deux hommes « dignes de foi » du §1)

Page 27 : note numéro 18 : remplacer le numéro par 17 (car il s’agit de la date de « la fin de ses deux ans » 2e § de la page précédente ; on retrouve bien l’ordre normal des notes : …16, 17, 18 de la page suivante…)

Page 32 ligne 4 : dit-elle encore en romain : dit-elle encore

Page 74 avant-dernier § ligne 4 : et non point devient : et n’ont point

Page 89 ligne 2 : Bienheureuse

Page 96 3e § : ajouta le Fils de Dieu en romain : ajouta le Fils de Dieu

Page 108 ligne 4 : Croix

Page 111 note 77 : et la leur faire en : et a leur faire (suppression du l !)

Page 137 2e § : Saint Sacrement

Page 143 ligne 5 : voilà le en italiques : voilà le

Page 153 sq. : Ne faut-il pas utiliser les italiques dans le dialogue qui suit pour les paroles de Marie ?

Page 165 lignes 1 et 2 : rencont-rent en rencon-trent

Page 178 ligne 1 : Église en église

Page 181 lignes 5 et 6 : Saint Sacrement

Page 207 2e § : supprimer « Il n’a jamais été édité….difficile à déchiffrer. » (soit toute la fin du §)

Et remplacer par : Elle vient d’être récemment mise à la disposition des chercheurs ainsi que deux textes complémentairesnote n.

Note n La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Textes présentés par Dominique Tronc et Joseph Racapé, cjm, Avec la collaboration de la Congrégation des Eudistes, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, collection « Sources mystiques », 2013, 693 pages.



xxxxx est le volume … de la collection

Les Carnets Spirituels.







En couverture :



La Vie Admirable de Marie des Vallées

et son Abrégé

RÉDIGÉS par Jean Eudes


suivis de

Conseils d’une grande servante de Dieu











Sources mystiques



Centre Saint-Jean-de-la-Croix



En page de titre :


La Vie Admirable de Marie des Vallées

et son Abrégé

RÉDIGÉS par Jean Eudes



suivis de

Conseils d’une grande servante de Dieu







Textes présentés et édités par

Dominique Tronc & Joseph Racapé, cjm



AVEC LA COLLABORATION DE LA CONGRÉGATION DES EUDISTES



Centre Saint-Jean-de-la-Croix

Collection « Sources mystiques »

2013



Marie des Vallées, possédée par Dieu



La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […]: « Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! [] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort. (Julien Green212)



Marie des Vallées exerça une profonde influence sur le cercle mystique normand, auquel appartenaient saint Jean Eudes, le baron de Renty, Jean de Bernières et son jeune associé Jacques Bertot, Mechtilde-Catherine de Bar (la Mère fondatrice du Saint-Sacrement), François de Montmorency-Laval (le futur évêque de Québec), ainsi que sur des figures venant d’autres horizons213. Certains membres du cercle allaient chaque année passer plusieurs jours auprès de « sœur Marie » lui faisant part de leurs difficultés les plus intimes pour être conseillés.

Puis son souvenir resta très présent chez leurs successeurs, et l’on se recueillait sur sa tombe, dans la cathédrale de Coutances. Ainsi Madame Guyon, qui se rattache à ce réseau mystique – il s’étendit jusqu’à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du siècle par l’intermédiaire de Monsieur Bertot – écrit à la fin du siècle au duc de Chevreuse :

... pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre, mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose214.

Cette confidence résume une vision juste d’une mystique par une autre : l’« innocente » servante, obsédée par la crainte voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs (dont un vrai sorcier ?). Ce don a renforcé des épreuves « nocturnes » à l’issue incertaine. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Le célèbre jésuite Jean-Joseph Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du « mal de douze ans » et va lui aussi entreprendre un étrange voyage intérieur215.

« Cela ne fait rien à la chose », nous dit la mystique de la fin du grand siècle ? En effet la sainte servante parvint à un état apostolique stable qui lui permit de venir en aide à ses visiteurs. L’un d’entre eux, saint Jean Eudes, nota soigneusement les « dits de la sœur Marie ». Son texte est resté dans l’ombre, en vue de préserver le saint, car il fut pris à partie dans une méchante querelle où l’on chercha à le discréditer par une supposée dépendance216.

Signe de vénération, une copie du texte accompagna Monseigneur de Laval au Canada, sur une coquille en bois, dans les conditions aventureuses d’une des traversées maritimes si bien décrites par Marie de l’Incarnation. Redécouverte, elle revint en France deux siècles plus tard, cette fois sur un bateau en fer. Ayant ainsi traversé avec succès deux fois l’océan, le « manuscrit de Québec » repose depuis lors aux archives eudistes de Paris : il mérite bien d’être enfin transcrit, toute controverse atténuée : sa Vie admirable constitue le corps de notre volume.

Nous avons fait suivre ce recueil par l’Abrégé de la vie, œuvre de saint Jean Eudes rédigée à l’occasion de l’enquête diocésaine portant sur sa dirigée : il justifie avec vigueur et profondeur la sainte servante auprès des autorités religieuses de son temps.

Enfin le volume s’achève par des Conseils d’une grande servante de Dieu, qui figurent au sein d’un recueil mystique publié tardivement217. Cet admirable résumé de la voie mystique vécue dans toute son exigence jette un éclairage vivant sur les entretiens par lesquels « sœur Marie », âgée, rayonnait sur ses visiteurs. Il offre au lecteur en recherche spirituelle de lire avec attention, avec bienveillance et ouverture, un complément précieux au long et parfois étrange périple raconté dans la Vie admirable.

Marie fut ainsi « sauvée » et authentifiée deux fois, dans deux directions bien différentes : par le premier évêque de Québec, qui emporta de France un manuscrit de la Vie admirable rédigée par saint Jean Eudes ; par l’éditeur Pierre Poiret des œuvres de Monsieur Bertot incluant des Conseils dont nous ne connaissons pas l’auteur.

D’autres textes manuscrits restent à étudier dont certains attribués à Gaston de Renty, mais aucun n’approche la richesse de cette Vie admirable. On sait que d’autres membres du cercle mystique réunis autour de Monsieur de Bernières visitèrent la sœur Marie, tel Boudon218.

Certaines pages paraîtront étranges parce qu’elles mettent en évidence l’esprit du temps vécu par une fille de la campagne normande ayant traversé des épreuves intimes extrêmes et se croyant possédée. Elles témoignent de la peur des diables, comparable, s’il faut citer un exemple actuel, à celle de fidèles du vaudou. Parfois le « dieu-monstre » paraît se repaître de la douleur des hommes en expiation de leurs péchés. Nuit et dépression associée sont renforcées par la crédulité de proches, voire par l’effet dévastateur d’une crucifixion mal interprétée. On ne peut que compatir à la souffrance inutile qui s’ajoute alors à celle de toute purification intérieure.

Mais le témoignage, attentivement lu, pénètre beaucoup plus profond, car sœur Marie atteint directement le cœur du message chrétien. Elle se révèle plus positive et moins portée à la crédulité que certaines des figures religieuses de l’époque. Elle présente une « figure de résistante » qui surmonte toute épreuve. En ce qui concerne la forme, la véracité descriptive d’une nuit mystique est restituée sur un mode très coloré, souvent proche de celui de visionnaires du moyen âge, dont se détachent des rêves de toute beauté.

Le témoignage demeure admirable par la trajectoire héroïque dans et par sa passive219 qui sortira victorieuse d’un bourbier des sens, et par des « dits » que l’on ne peut comparer, dans leur droiture parfaite devant la grandeur divine, qu’à ceux de la grande Catherine de Gênes. Si le début de la biographie est par trop peuplé de diables, la seconde partie (d’une nouvelle main qui commence au livre 4), offre de multiples dialogues magnifiques dans leur profondeur ; diamants dans une gangue, ils transcendent le ciment du rapporteur parfois sensible aux rites d’une piété d’antan.

Il s’agit d’une œuvre maîtresse dont le premier mérite est de traduire l’élan « implacable » nécessaire à l’achèvement du chemin mystique220. L’appel reste à vivre aujourd’hui sous des formes qui ont évolué. Il témoigne d’un Invariant qui transcende époques et croyances.

La sainte de Coutances

Marie des Vallées (1590-1656) est née de parents pauvres dans un village de basse Normandie. Orpheline de père à douze ans, elle devint servante. Demandée en mariage, elle refusa et fut la victime d’un sort jeté sur elle par une sorcière. Son entourage et l’évêque lui-même finirent par se convaincre qu’elle était possédée du démon. On la conduisit à Rouen auprès de l’archevêque pour des exorcismes solennels :

… on lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe hachée menue, et qu’on lui commanda de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu’on lui faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite. […]

La rüe, plante médicinale d’un goût âcre et amer, à l’odeur très persistante, était utilisée contre les ensorcellements.

Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens en la présence desquels elle fut dépouillée pour la seconde fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes221.

L’absence de douleur est un signe suspect. Telle est la pratique des procès en sorcellerie. Rouen héritait d’une inquisition rodée, et cela avant même le célèbre procès de Jeanne en 1431.

Après six mois de prison vécus dans des conditions atroces, Marie est déclarée vertueuse (mais toujours sous l’emprise des diables222). Elle habite à l’évêché de Coutances, puis devient servante du curé Le Rouge et de l’abbé Potier ; elle est alors dirigée par M. Le Pileur, vicaire général.

Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession pouvait être interprété comme un manque de foi223 ». On devine l’effet pervers qui peut s’ensuivre.

À vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte un « échange de volonté » suivant en cela la seule porte de sortie possible :

… si ma propre volonté est anéantie et que celle de Dieu me soit donnée en la place, je ne l’offenserai plus, car il n’y a que ma propre volonté qui puisse faire le péché. C’est pourquoi je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me donne à la très adorable volonté de mon Dieu, afin qu’elle me possède si parfaitement que je ne l’offense jamais. (Vie 1.9)

Probablement trop volontaire, elle vit le désespoir des damnés, objets de « l’Ire de Dieu », et connut deux épisodes terribles qu’elle nomma « l’Enfer » (1615-1618) et « le Mal de douze ans » (1621-1633)224 :

Elle dit qu’une des plus grandes peine des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur semblaient des siècles. (Vie 2.4)

Alors, elle se résolut de se tuer. Pour cet effet elle prend un couteau […] Dieu lui ouvrant l’esprit : […] Où suis-je ? […] Je suis encore au monde, voici une table, un coffre, un lit. Je suis en une chambre, je suis encore en la terre et par conséquent je puis me sauver. (Vie 2.5)

Elle sort lentement de cette nuit et vivra encore vingt-deux années. Sur ordre de l’évêque, le père Jean Eudes l’exorcise « en grec » en 1641. Elle deviendra progressivement la conseillère d’un grand nombre de visiteurs :

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour. Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. (Vie 9.6.2)

D’une grande sagesse, elle évoque alors la diversité des chemins spirituels :

Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait entrer des personnes qui n’y soient point attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre […] Il ne faut point s’imaginer qu’il n’y a que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut point penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente…

Comme ils voulaient continuer à lui parler, elle leur dit : « La porte est fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites. » (Vie 9.6.2)

Faisant ainsi écho à Ruusbroec qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il sentait la grâce d’inspiration absente.

Sa biographie comporte trois périodes de durées comparables : jeunesse et possession avec des épreuves extérieures associées (maltraitances de jeunesse, prison et procès à Rouen) jusqu’à vingt-cinq ans, période d’épreuves intérieures jusqu’à quarante-quatre ans (enfer, mal de douze ans, 1615-1634), normalisation progressive et apostolat jusqu’à la mort arrivée à l’âge assez avancé de soixante-six ans (1634-1656).

Le côté excessif des possessions et du désespoir a-t-il été exagéré dans les comptes rendus de témoins en contact avec une malade sans médecins ? C’est une hypothèse basée sur un grand écart que nous ressentons entre la qualité des « dits » attribuables à sœur Marie avec certitude et certains des développements qui leur sont associés.

Les dits utilisent des images vives, voire luxuriantes, et traduisent une culture visuelle typique de qui n’est pas un intellectuel, utilisant la représentation médiévale du monde. Ces images demeurent bien organisées et sont associées pour assurer avec succès la fonction enseignante de véritables paraboles mystiques. Hors image, le dit demeure sobre, « flèche de feu » comme chez Catherine de Gênes, sûr indice de la vraie mystique opposée à la visionnaire (qu’elle ne veut pas être : si elle rapporte un rêve c’est pour l’interpréter allégoriquement de suite à fin d’enseignement spirituel). D’autre part ses interactions sociales, ses réactions vis-à-vis de clercs, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens critique : ne travaille-t-elle pas pour deux types de sorciers, ceux d’Église comme les autres ? Les apports du biographe soulignent souvent l’extrême : car il s’agit de vanter l’héroïcité face aux défis infernaux.

Une progressive emprise de Dieu

Les rêves ou « songes » de Marie des Vallées sont d’une étonnante intensité. Au commencement ils expriment son angoisse liée aux suspicions de sorcellerie, en évoquant un monde infernal. Par la suite, ils traduiront l’ouverture vers le monde divin. Commençons par son antipode :

Elle se trouva en esprit enfermée un espace de temps dans une salle où il n’y avait aucune ouverture, par conséquent ni portes ni fenêtres, et au milieu était l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel elle voyait le feu de l’enfer… Chaque jour le lieu où elle était fondait peu à peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour s’empêcher de tomber dans l’abîme. Elle criait à Notre Dame : Est-ce là le chef d’œuvre de votre puissance ? Quelle cruauté ! Ah ! Je ne puis plus demeurer en cet état. Enfin quand tout fut fondu sous ses pieds, elle se trouva délivrée. (Vie 1.8)

De même :

Imaginez-vous, dit-elle, un puits extrêmement large et profond, dans lequel il y a de l’eau et du feu. L’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut […] sans être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est horriblement vilaine, puante et froide extrêmement et plus que toutes les glaces imaginables. Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une muraille qui l’environnât. Si bien que représentez-vous une muraille de feu tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusques au haut, quantité de sièges ou de places disposées comme sont les trous d’un colombier. C’est dans ces sièges de feu qu’elle appelle des chaises que sont les damnés, et les mêmes sièges sont plus ou moins ardents pour chacun d’eux, qu’ils ont plus ou moins commis de péchés. Et après qu’ils ont été quelque temps dans le feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après ils les rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur à une extrême froideur… (Vie 2.6)

Au-delà de cette veine imaginative, ses dits sont sobres et montrent un esprit très clair : « au premier degré, la volonté cherche à devenir conforme à celle de Dieu (Vie 4.2) » ; puis la volonté « ne fait plus d’élection ; elle ne produit plus aucun acte, comme étant déjà fort malade d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il lui plaît (Vie 4.2) » ; au troisième degré, la volonté est morte, anéantie : elle n’a plus de vie ni de sentiment ; c’est Dieu qui agit ; ailleurs elle parle à ce sujet de « vivre hors de son être, d’une vie inconnue à celui qui la possède (Vie 9.4) ».

Elle évoque brièvement la sécheresse mystique…

Notre Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point. (Vie 3.8)

… distincte de la dépression selon ce qu’elle en laisse paraître :

Et il ne faut point penser que cela vienne de quelque humeur mélancolique fâcheuse dont elle soit pétrie, car au contraire elle est sanguine de son tempérament et par conséquent elle est joviale, douce, facile, condescendante et obligeante tout ce qui se peut. (Vie 3.9)

Elle souligne l’utilité de l’épreuve par une formule paradoxale et abrupte :

Le plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance. (Vie 3.8).

Car elle n’est rien en elle-même – mais habitée par Dieu :

Qu’êtes-vous donc ? Dit-Il.

Alors venant à se regarder, elle ne trouve rien.

Notre Seigneur lui dit : […] C’est moi qui suis vivant en vous… (Vie 4.8.1)

Le péché disparaît avec toute propriété, ce qu’elle exprime par un dialogue :

Elle dit souvent à Notre Seigneur : En vous cherchant je me suis perdue, et Notre Seigneur lui répond quelquefois : Eh bien avez-vous perdu au change ? Je me suis mis en votre place. Et quand elle s’examine pour trouver en elle quelque péché, Il lui dit : Me croyez-vous capable de pécher ? S’il y a du péché en vous, c’est moi qui l’ai commis. (Vie 6.13.1)

Elle insiste sur la seule possibilité qui lui reste de laisser Dieu opérer, bien au-delà des moyens humains disponibles dans une abbaye d’ici-bas, utilisant un jeu de paradoxes qui souligne notre incapacité naturelle :

Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes […] ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’Amour divin qui contient sept articles : Le premier est d’allumer le feu dans l’eau. Le second de marcher sur les eaux à pied sec. Le troisième d’habiter parmi les couleuvres, serpents et autres bêtes venimeux sans en être endommagé. Le quatrième de vivre dans la mort. Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. Le sixième d’être chargé de chaînes et de liens pour aller plus vite. Le septième de s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.

Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : Allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances… Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher […] Faire la guerre à Dieu et Le vaincre c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et Le fléchir à miséricorde. Être enchaîné pour mieux courir, c’est porter la peine du péché d’autrui pour aller promptement à Dieu. […] Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme […] il n’y a qu’une chose à faire c’est d’avoir toujours les yeux fixés sur la divine volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre. (Vie 4.10-11)

Il faut passer par la nuit de la purification pour atteindre un Dieu pourtant proche, comme le décrit ce dialogue construit autour d’une image forte et qui reprend probablement le déroulement d’un rêve mystique :

Notre Seigneur lui dit : Que cherchez-vous ?

– C’est vous que je cherche, il y a si longtemps et je ne vous trouve point […]

­– Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose.

Alors elle vit dans le Saint Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable que la main. Notre Seigneur ayant levé un coin de cette enveloppe, elle aperçut une pierre précieuse cachée là-dedans, grosse comme un petit œuf qui jetait des rayons de lumière extrêmement brillants. Cette pierre précieuse était entourée de bandelettes qui pourtant ne la couvraient pas toute, et elle vit que cette pierre précieuse voulait sortir et comme s’échapper pour aller ailleurs. Mais cette main la retenait dedans soi.

– Qu’est-ce que tout cela, dit la sœur Marie. Qui est cette main qui est si noire ? […]

C’est mon divin amour, répondit Notre Seigneur […]

Quel est ce gant ?

– C’est l’Ire de Dieu […] cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en vous, Je vous soutiens. (Vie 4.9.19)

Un autre beau dialogue joue sur le paradoxe de la lumière et de l’aveuglement :

Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

– Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

– Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerait arrêt dans l’excès de mon amour. Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. Au même temps que Notre Seigneur parla du procès des aveugles, la grâce divine descendit… (Vie 5.2.4)

Elle exprime ainsi la maternité spirituelle :

Vous êtes suspendue entre le ciel et la terre, car vous n’avez consolation ni du ciel ni de la terre et vous êtes en travail d’enfant […] vous enfanterez la joie. (Vie 5.6.6)

La divine volonté revient très souvent :

Elle dit qu’elle regarde la divine volonté comme sa reine et qu’elle se comporte avec elle avec grande soumission et respect et qu’elle ne prend aucune familiarité avec elle, et que son occupation ordinaire et continuelle est de chercher les moyens de faire en toutes choses ce qu’elle veut avec promptitude et fidélité. (Vie 6.2.5)

La grandeur divine se manifeste par un amour rigoureux :

Mais l’amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais il frappe bien rudement. Je tremble quand je le vois. Quand on se plaint à lui, il ne fait qu’en rire ; on ne sait où il va ni où il mène ; il se fait suivre à l’aveugle. (Vie 6.4)

Les étapes de la voie sont détaillées dans un songe mystique qui a pour cadre une forêt. Il décrit de façon imagée le travail de purification, le cheminement sur la voie mystique de la foi nue sous la forme d’une montée suivie d’un envol spirituel, enfin la nuit inattendue :

« Frappe sur ces branches ! » Elle frappe, il en sort du sang. […] Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. […] Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’au haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle (Vie 7.1.4),

car on rencontre Dieu en faisant l’expérience du néant :

C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. […]

Aujourd’hui, Il me disait : Si votre esprit revenait, [ne] le voudriez-vous point ?

-- Non […] j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle de l’amour que je dois à Dieu seul. […] C’est un amour déiforme qui n’appartient qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne œuvre ni souffrance quelle qu’elle soit225.

Dans les Conseils, elle souligne que demeurer dans la « maison du néant » assure la passiveté qui permet à Dieu de « faire son ouvrage » :

Ce ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche. (§11)

Dieu dès le premier degré prend l’âme par la main et la conduit ; elle n’a qu’à demeurer passive et Dieu fait son ouvrage. (§12)

La sœur Marie [...] très souvent n’aperçoit point même Dieu dans son fond, il se cache, et elle le laisse cacher, sans vouloir qu’il se manifeste plus clairement ; car elle ne peut choisir : toute sa capacité est de laisser faire Dieu. (§20)

Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivée : elle est contente de son néant, il lui est toutes choses. (§22)

La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien. (§4)

Ce néant, c’est elle-même qui doit s’effacer devant Dieu, partout présent, si proche qu’Il ne peut être vu :

« Depuis qu’Il lui fit voir qu’elle n’était rien et qu’Il était tout en elle, Il est toujours demeuré dans son cœur. C’est là qu’elle Le trouve et qu’elle Le voit d’une manière qui est sans nulle forme ni figure. » (Vie 9.6.2)

Quand elle donne conseil à ses amis, elle souligne combien il est illusoire d’attribuer quelque importance à ce que l’on réalise par volonté propre, par une comparaison entre nos enfantillages et la puissance divine (c’est ici Dieu qui parle) :

Voulez-vous que je vous fasse voir de quelle façon vous augmentez Ma gloire ? Dites-moi une chose : voilà un petit enfant qui prend de l’eau dans le creux de sa main ou au bout de son doigt et qui la jette dans la mer, accroît-il de beaucoup l’eau de la mer ? […] Il y en a d’autres qui retiennent toute l’eau dans leur main au lieu de la jeter dans la mer et ce sont ceux qui font quelques bonnes actions, mais qui Me les dérobent par vanité.

« En une autre occasion, Il lui dit encore : Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite bûchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser.  (Vie 10.4)

Un dense résumé d’une vie mystique :

J’ai donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée de trois ingrédients, donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie humaine et recevoir Sa vie divine laquelle on reçoit à mesure qu’on lui donne la sienne […] Et quand il est tout à fait mort à soi-même et à la vie humaine, il ne vit plus que de Dieu et il n’y a plus rien en lui que de divin, il se présente à Dieu ayant en soi Ma vie et tous Mes mérites, et lui demande hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer. Voilà le plus court chemin de la perfection. (Vie, 10.3.1)

… est suivi d’un encouragement sous la forme d’une certitude d’un achèvement sans distinction de qualités propres :

Il y a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur vie, ils vivent de la vie de Dieu, et quand ils sont tout à fait morts à eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois. (Vie 10.9.1)

En résumé, son orientation spirituelle consiste en une soumission totale, aimante, absolument désintéressée, à la volonté de Dieu, sans avoir aucun égard ni au mérite ni à la récompense, ce qui n’exclut pas un dialogue d’égal à égal avec les médiateurs Jésus-Christ et sa Mère. Elle porte les peines d’autrui dans un désir profond de leur salut, « pour enfanter la joie ».

Au sein d’une tradition mystique

Elle apprend à lire et goûte Benoît de Canfield, apprécie Thomas Deschamps226 (comme l’apprécia également Jean de Saint-Samson), mais fait une réserve pour Thérèse (comme le fit madame Acarie à son premier contact par lecture seule), qui lui paraît placer trop haut un sensible qui précède la nuit. Cette discrimination qui témoigne de son expérience mystique est attestée ainsi :

Auparavant qu’elle vint à Coutances, elle ne savait pas lire, mais lorsqu’elle y fut, on lui apprit à lire. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s’appelle : la Règle de la Perfection qui est divisé en trois parties. La troisième partie traite de la plus haute contemplation et les deux premiers enseignent les moyens dont on peut se servir pour y arriver.

Lorsqu’elle eut ce livre, elle ne savait que lire très imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins lorsqu’elle vint à l’ouvrir, elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie, et qui plus est, elle l’entendait fort bien. Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres, d’autant qu’elle n’en avait que faire, Dieu ne l’ayant point fait passer par ce chemin là pour la conduire à la perfection où elle était arrivée et qui était décrite dans cette troisième partie.

Notre Seigneur lui donna encore un autre livre composé par un prêtre nommé Thomas Deschamps, intitulé les Fleurs de l’Amour Divin ou le Jardin des Contemplatifs, là où l’on voyait plusieurs choses de très haute perfection […] quand elle lisait ce que sainte Thérèse a écrit dans ses livres touchant la plus sublime contemplation, elle s’étonnait de ce que cette sainte en faisait tant d’états, parce qu’elle croyait que cela était commun à tout le monde. (Vie 9.6)

Elle se sent très proche de Catherine de Gênes :

La sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour sensible… Sainte Thérèse va doucement et s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade, (c’est son mot) : témoins ces grands désirs que j’ai eus de l’enfer […] sainte Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut […] C’est pourquoi elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur. (Vie 7.5)

Elle exerce une profonde influence sur saint Jean Eudes, qui défend son souvenir avec constance, comme un bien majeur qu’il ne peut trahir. Il notera : « J’eus le bonheur de commencer à connaître la sœur Marie des Vallées, par laquelle sa divine Majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées227. » Car seule une intime certitude de la circulation de grâce, associée aux rapports visibles, permet d’être fidèle à des personnes dont on ne partage pas forcément les caractères particuliers ; il en sera de même entre Madame Guyon et Fénelon.

Une autre influence dont on possède la trace écrite concerne le baron de Renty :

Nous vous avons bien recommandée à cette bonne âme [sœur Marie], quoi qu’elle ne vous ait pas oubliée depuis la première fois, elle vous est fort liée.

Elle lui donne « la clef qui ouvre le chemin que j’ai marché en cette vie » :

Dans ce chemin l’amour divin consomme l’âme en lui-même, et la transforme en Dieu ; il l’anéantit et la déifie, et n’y demeure que Dieu seul vivant et régnant. Voilà la dignité…228 

Renty vient la voir en 1642.

Dominique Tronc




Saint Jean Eudes, témoin fidèle


Avant-Propos

Le but de cet ouvrage n’est pas de traiter le cas de Marie des Vallées, ni de répondre aux polémiques engagées à son sujet par les adversaires du père Eudes, comme Charles Du Four, en 1674, dans une Lettre à un Docteur de Sorbonne. Le chanoine Eugène Lelièvre (1872-1949) avait réuni une documentation importante sur Marie des Vallées ; mais ses copies des manuscrits sont trop fautives pour être utilisées.

On a seulement voulu transcrire le plus fidèlement possible le manuscrit de Québec, qui constitue la principale source de la Vie admirable de Marie des Vallées, dont l’original est perdu.

Du vivant de Marie des Vallées – en 1655, comme l’indique le folio 9 du manuscrit – le P. Eudes avait composé un ouvrage divisé en 10 livres (c’est le ms de Québec). Après la mort de Marie des Vallées, c’est-à-dire après le 25 février 1656, deux autres livres ont été ajoutés. Voir l’article du P. Charles Berthelot du Chesnay, paru en janvier-février 1956 dans la revue eudiste Notre vie, pages 7 à 14.

On peut considérer le manuscrit de Québec comme valable, puisque Monseigneur de Laval, ami du Père Eudes, l’avait emporté à Québec en 1659.

Le P. Ange Le Doré, supérieur général des eudistes, qui travaillait au procès de canonisation du fondateur des eudistes, fit lui-même et fit faire des recherches à Québec. Le 6 mai 1894, Monseigneur Hamel, bibliothécaire de l’université Laval, finit par retrouver le manuscrit. Il écrit au P. Le Doré : « Deo gratias ! Le manuscrit du Vén. P. Eudes sur Marie des Vallées est retrouvé. » Il fut donné au P. Le Doré « avec l’assentiment du recteur de l’université Laval, Mgr Paquet, et celle de S. E. Mgr Bégin, Archevêque de Québec ». Il est conservé à Paris aux Archives des Eudistes.



La renommée d’une dirigée

Au XVIIe siècle, Marie des Vallées (1590-1656) avait une certaine renommée, surtout en Normandie et dans les environs de Coutances, sa région natale, où elle était considérée comme une « sainte » femme, et une conseillère spirituelle avisée, par beaucoup de personnes notables. On peut citer entre autres : Gaston de Renty (1611-1649) ; Jean de Bernières (1602-1659) ; la mère Mechtilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar) (1614-1698), fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement ; Catherine de Saint-Augustin ; Simone de Longprey (1632-1668 à Québec), moniale hospitalière de la Miséricorde, béatifiée le 23 avril 1989 ; Mgr François de Montmorency-Laval (1623-1708), premier évêque de Québec, béatifié le 22 juin 1980 ; Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679), vicaire apostolique de Cochinchine, etc.

Autres preuves de la notoriété de Marie des Vallées, le parrainage de la cloche du séminaire de Coutances, sur laquelle on lit : « +1655 iai este nommee Marie par Marie des Vallers et par Mre Jean de Berniere ». De même son inhumation dans la chapelle du séminaire de Coutances, le 4 novembre 1656 ; en 1919, ses restes furent exhumés et inhumés dans la cathédrale de Coutances, près de l’autel de Notre-Dame du Puits, avec cette inscription : « Sœur Marie des Vallées | 1590-1656 ».

Pourtant, dès le XVIIe siècle, certaines gens, en particulier des jansénistes, critiqueront avec violence, ou ridiculiseront Marie des Vallées et son directeur spirituel Jean Eudes : Charles Du Four, chanoine de Rouen ; le Moine de Barbery ; Abraham Bazire, vicaire général à Coutances (?-1674), et d’autres.

Jean Eudes lui-même était d’une grande prudence à ce sujet. La vie admirable de Marie des Vallées n’était pas destinée à la publication. Quelques rares copies manuscrites furent réservées à des amis. Les lettres que nous avons de lui nomment Marie des Vallées « N. » ou « l’Aigle ».

C’est par prudence également que les premiers biographes eudistes du P. Eudes supprimeront tout ce qui concernait Marie des Vallées, ou la Compagnie du Saint-Sacrement. Ainsi Pierre Hérambourg (1661-1720) « retranche tout ce qui aurait pu paraître extraordinaire » ; de toute façon son œuvre ne fut pas imprimée. Pierre Costil (1669-1749), l’annaliste de la Congrégation, dans une biographie et dans les Annales, ne passe pas sous silence la question de Marie des Vallées, mais ces œuvres ne sont pas destinées au public, elles sont réservées à ses confrères.

Julien Martine (1669-1745) écrit une « Vie du R. P. Eudes » restée manuscrite jusquen 1880 ; elle paraît alors « revue et corrigée ».

Il faut attendre 1868 et l’ouverture à Bayeux du procès diocésain en vue de la béatification du P. Eudes, puis 1874 l’ouverture du procès romain, pour qu’on examine en détail tous les écrits du P. Eudes et tous ceux de ses adversaires, et donc aussi tous les écrits concernant Marie des Vallées. Examen qui aboutit le 25 avril 1909 à la béatification du P. Eudes, à Rome, puis à sa canonisation, le 31 mai 1925.

Les manuscrits 68 de Cherbourg et 6980 de Vienne (Autriche)

Après avoir composé, en 1655, un ouvrage en 10 livres sur « la vie admirable de Marie des Vallées » (ms de Québec), le P. Eudes ajoute, comme il le dit dans une lettre du 2 janvier 1675, des « éclaircissements ». C’est une réflexion théologique sur le cas de Marie des Vallées. Ils se trouvent dans l’Abrégé de la vie et de l’état de Marie des Vallées (que nous publions à la suite de la Vie admirable), conservé dans deux manuscrits, le ms. 68 de la bibliothèque de Cherbourg, et le ms Hohendorf[f] 6980 de la bibliothèque nationale de Vienne (Autriche) 229.

Les deux manuscrits, d’une écriture du XVIIe siècle, sont identiques, mis à part quelques variantes minimes et sans conséquence, signalées en notes. Contrairement à ce qui est affirmé parfois, « Vienne » ne copie pas « Cherbourg ». Ce qui le prouve, c’est la mention marginale à gauche, à la première page de « Vienne » : « Coppie [sic] page 1 recto sur l’original » et la numérotation des pages de l’original, toujours dans la marge gauche, ne correspond pas du tout à la numérotation des pages de « Cherbourg ».

Deux lettres de saint Jean Eudes

Il nous a semblé utile d’ajouter ici deux lettres de Jean Eudes, datées de 1675, et que l’on trouve dans les Œuvres Complètes, au tome XI, livre troisième, p. 111-114, Lettres LVI et LVII. Elles éclairent en effet son rôle auprès de Marie des Vallées. En témoigne sa déclaration adressée à Mgr de Nesmond, évêque de Bayeux. Elle éclaire l’esprit de prudence et les contraintes surmontées lors des rédactions successives de la Vie admirable et de son Abrégé – donc le crédit que l’on est en droit d’accorder à ces deux sources biographiques importantes.



Joseph Racapé, cjm



Lettre LVI : À M. Trochu, aumônier de Mgr de Ligny, évêque de Meaux, qui avait écrit à M. de la Haye, Supérieur du séminaire de Caen, au sujet des bruits qu’on faisait courir sur le P. Eudes, par rapport à Marie des Vallées.

De Caen, ce 2 janvier 1675

M. de la Haye étant absent, j’ai ouvert la lettre que vous lui aviez écrite, pour y répondre. Je vous rends mille grâces, mon cher Monsieur, de toutes les bontés que vous avez pour notre petite Congrégation, dont je vous demande la continuation pour l’amour de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère.

Je ne suis pas surpris, Monsieur, des calomnies qu’on fait courir contre nous, car il semble que tout l’enfer est déchaîné contre nous. Mais le moindre de mes péchés en mérite mille fois davantage, et je ne doute point que Notre Seigneur n’en tire sa plus grande gloire. Je le supplie de tout mon cœur de faire miséricorde à tous les médisants et calomniateurs.

C’est une chose étrange de dire et de croire que des prêtres, qui font profession de vivre en la crainte de Dieu, soient si aveugles, si insensés, et dans une impiété si détestable, que de dire des prières et des salutations, de faire un office particulier, et de célébrer des messes et des fêtes pour honorer le cœur d’une pauvre fille morte depuis dix ans230, qui n’est ni canonisée, ni béatifiée, ni quoi que ce soit. Ne voit-on pas que toutes les paroles de la salutation231, toutes les antiennes, répons et hymnes, et les leçons de l’office et de la Messe s’adressent au Cœur de la sainte Vierge ?

C’est une calomnie très fausse et très noire, que cette bonne fille fût sorcière, et qu’elle ait été condamnée comme telle par arrêt du Parlement. Toutes les autres choses qui sont dans votre lettre sont aussi très fausses, dont on a farci un libelle diffamatoire qu’on a fait contre moi, qui est plein de choses tirées des écrits que j’ai faits de la vie de cette bonne fille. Mais on en a usé comme les huguenots font des livres qui se font par les catholiques sur les points controversés, prenant seulement les objections, et laissant les réponses à part. Ainsi l’auteur de ce libelle a pris ce qu’il y a de difficile et qui peut choquer, dans la lecture de ces écrits touchant la sœur Marie, sans y ajouter les éclaircissements que j’y ai donnés. Outre cela, il a encore inséré plusieurs choses ridicules, qu’il a prises en d’autres écrits que je n’ai pas faits...

Lettre LVII : à Mgr de Nesmond, évêque de Bayeux. Sur ses rapports avec Marie des Vallées. [1675]

Je soussigné, prêtre du Séminaire de Caen, déclare à Monseigneur l’illustrissime et Révérendissime Évêque de Bayeux, mon Prélat, qu’il y a plusieurs années, qu’ayant été obligé par les ordres de Mgr de Matignon, pour lors évêque de Coutances, de prendre la conduite de Marie des Vallées, native de son diocèse, j’ai cru qu’il était de mon devoir, pour rendre un compte exact de l’esprit et intérieur de cette fille, de recueillir et de mettre en écrit tout ce que j’ai pu apprendre, tant de plusieurs personnes d’une doctrine et d’une piété singulière, qui l’avaient connue ou dirigée plusieurs années avant moi, que de ce qui est venu à ma connaissance depuis que j’en ai pris la conduite ; mais qu’en cela je n’ai point eu l’intention d’en composer un livre pour le publier ni de donner ces choses pour des vérités indubitables, mais seulement comme des mémoires et comme un récit sur lequel mes Supérieurs puissent porter tel jugement qu’il leur plairait. Que si j’y ai ajouté en quelques endroits des réflexions, ce n’a été que pour leur proposer de quelle façon ces choses se pourraient expliquer et entendre, mon dessein n’étant point que d’autres vissent ces écrits. De sorte que, s’ils se trouvent aujourd’hui en d’autres mains, comme j’entends que quelques personnes disent en avoir, cela est arrivé par la négligence ou par l’infidélité de quelques-uns de mes amis auxquels je les avais confiés sous la bonne foi, pour les voir seulement en leur particulier, qui en ont pris ou laissé prendre des copies à mon insu et contre ma volonté. Ensuite, quelques gens mal intentionnés, non seulement les ont confondus et mêlés avec d’autres écrits qui avaient déjà été faits par d’autres personnes sur le même sujet, mais encore les ont tronqués et altérés en plusieurs endroits, pour avoir lieu de leur donner des interprétations sinistres et criminelles.

Après tout, je reconnais que je ne suis pas impeccable ni infaillible, mais que, de moi-même, je serais capable de tomber en toutes sortes d’erreurs, si la Bonté divine ne m’en préservait ; et je reconnais, avec le grand saint Augustin, que je suis redevable à la grâce de Dieu, non seulement du peu de bien que j’ai tâché de faire, mais encore de tout le mal que je n’ai point fait.

Au reste, s’il se trouve, dans les écrits qui sont véritablement de moi, quelque expression trop forte, ou quelque proposition qui ne soit pas entièrement conforme à la doctrine commune de l’Église, je suis prêt et disposé à la rétracter sincèrement de bouche et par écrit, et à soumettre tout ce que j’ai écrit et tout ce que j’écrirai jamais au jugement et à la correction de la très sainte Église catholique, apostolique et romaine, et spécialement de Monseigneur mon Évêque, entre les mains duquel j’ai remis tous mes écrits, afin qu’il en juge et qu’il en ordonne en la manière qu’il plaira à Dieu de lui inspirer, et me soumets entièrement à son jugement.

Fait à Caen, ce 25e jour de juin 1675

JEAN EUDES, prêtre.

Avertissement

Nous accompagnons le texte principal de la Vie admirable de notes dont certaines mettent en valeur les psaumes dans la belle et savoureuse traduction de Desportes232, que « sœur Marie » devait probablement connaître par cœur. On nous affirme en effet :

Surtout la sœur Marie a une dévotion particulière pour le psautier qu’elle a en français de la version de M. Desportes. Après le saint rosaire, c’est ce qu’elle aime le plus. Dès le commencement de ses souffrances, Notre Seigneur le lui donna pour directeur. Et en effet tous les états où elle se trouve, toutes les choses qui lui arrivent ou qui se passent en elle, toutes ses dispositions sont très clairement exprimées et à la lettre dans les psaumes de Desportes. Notre Seigneur lui met plusieurs versets [348] dans l’esprit selon les différents états où elle est, quelquefois des psaumes entiers. Elle dit que le psautier est la cave à vin de Notre Seigneur et qu’il est tout plein de vin céleste, de mystères et de secrets divins. C’est une consolation particulière de la voir et de l’entendre quand elle parle de son psautier ou qu’elle en chante quelque chose. Elle paraît toutes enivrée de ce nectar délicieux et elle invite les autres à en boire avec tant d’efficace qu’elle les enivre aussi avec elle. (Vie 9.5.1)

Nous modernisons peu l’orthographe et ajoutons la ponctuation. Un problème propre à la Vie admirable provient d’une séparation peu tranchée entre les « dits » attribués mot pour mot à sœur Marie et leur résumé ou le contexte explicatif apporté par le rédacteur Jean Eudes. Nous avons opté pour la mise en forme suivante.

Les paragraphes sont revus et multipliés dans le cas des formes dialoguées (ils sont absents dans le manuscrit). De telles formes dialoguées, si vivantes par ce qui s’apparente souvent à un affrontement, à l’image du livre de Job, seront ainsi plus facilement appréciées. Lorsqu’ils font partie de dialogues, les « dits » attribués à la sœur Marie, à Jésus et à sa Mère seront délimités avec une précision accrue par l’emploi des guillemets.







LA VIE ADMIRABLE DE MARIE DES VALLÉES, ET DES CHOSES PRODIGIEUSES QUI SE SONT PASSéES EN ELLE233

 

Livre 1.

Contenant ce qui s’est passé en elle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans.

Chapitre 1er. Sa vie et sa disposition depuis sa naissance jusques à l’âge de dix-neuf ans, et comme elle a été instruite, conduite et protégée de Dieu.

Marie des Vallées est née en la paroisse de Saint-Sauveur Landelin au diocèse de Coutances en l’an 1590 le 25 février. Son père était un pauvre laboureur, de la même paroisse, nommé Julien des Vallées, et sa mère, Jacqueline Germain, qui était de la paroisse de Catz, proche Carentan. Elle n’a eu aucune instruction au lieu de sa naissance, [1v]234 ni de la part de ses parents qui n’étaient pas méchants, mais fort ignorants, ni de la part d’aucune autre personne. Car ceux qui par leur condition étaient obligés de travailler au salut des âmes de cette paroisse, faisaient profession de les perdre, ou étaient en réputation de la plus haute malice et impiété qui puisse être. à raison de quoi, l’ignorance des choses du salut et les plus horribles vices y régnaient au dernier point. La virginité y était en telle opprobre et la chasteté si décriée que l’on avait persuadé au simple peuple qu’il y avait des supplices préparés en l’autre monde pour les filles qui ne se mariaient point, et qu’il valait mieux que celles qui ne trouvaient point parti eussent des enfants de quelque façon que ce fût que de n’en avoir point. Jugez de là quel exemple et quelle instruction cette pauvre fille pouvait avoir en ce lieu. Mais Notre Seigneur l’ayant choisie de toute éternité pour faire en elle des choses hautes et relevées a voulu Lui-même être son [2] Maître, son directeur et son protecteur. Car premièrement Il l’a instruite Lui-même d’une façon extraordinaire. Secondement, il l’a mise de bonne heure et l’a conduite dans la voie par laquelle Il avait dessein de la faire marcher, et en troisième lieu, il l’a prise en sa protection spéciale comme nous verrons maintenant. Ce sont trois choses à remarquer. Dans le premier état de sa vie, c’est-à-dire depuis sa naissance jusqu’au temps qu’elle a commencé d’être possédée du démon à l’âge de dix-neuf ans, ce sont trois marques bien visibles de l’élection très particulière que la divine Bonté en a faite.

J’ai dit en premier lieu que Dieu l’a instruite Lui-même et d’une façon merveilleuse, parce que dès les premières années de son enfance, Il a imprimé dans son âme toutes les vertus chrétiennes en un haut degré.

1°. Il lui a donné dès lors un très grand désir de suivre en tout et partout sa très adorable Volonté, ce qu’elle a toujours fait très fidèlement, et elle n’a aucune connaissance d’y avoir jamais manqué, quoiqu’elle [2v] se soit examinée plusieurs fois sur ce sujet et avec toute la rigueur possible. Dieu lui faisait en ceci une merveilleuse faveur, car lorsqu’il se présentait quelque occasion où elle était en doute de ce qu’elle devait faire, elle avait recours à la prière en cette façon : « Mon Dieu, disait-elle, je ne désire autre chose que de faire votre sainte Volonté ; si telle chose vous est agréable, donnez-moi le moyen et la grâce de la faire, sinon ôtez-m’en la volonté et le pouvoir. » Ensuite de quoi elle se trouvait remplie d’une grande affection pour les choses que Dieu voulait d’elle et avait facilité à les faire. Au contraire elle sentait une forte aversion pour celles qui ne Lui étaient pas agréables, et même elle était quelquefois empêchée extérieurement de les mettre en exécution.

2°. Notre Seigneur lui donna une dévotion très singulière au regard de sa sainte Mère, à laquelle elle avait recours en tous ses besoins.

Mais surtout elle la priait de la prendre en sa protection pour ce qui regarde la pureté, afin de la préserver de tout ce qui y est contraire. « Je regardais la divine Volonté [3] comme ma règle et la très Sainte Vierge comme ma supérieure, ma mère et ma protectrice.

3°. Celui qui est toute charité lui communiqua une charité très sincère et très cordiale vers le prochain, qui la faisait vivre de telle sorte, tant au regard de ceux avec qui elle demeurait qu’au regard de ses voisins, qu’elle ne donnait jamais sujets de plainte à personne. Au contraire elle gagnait le cœur de tout le monde, car elle prenait un grand soin de n’incommoder et de n’offenser personne, ni de fait, ni de paroles, mais de se rendre prompte de servir un chacun et de l’assister. Lorsqu’elle voyait quelqu’un en discorde, elle n’avait point de repos qu’elle n’eût procuré leur réconciliation, se servant pour cet effet de plusieurs industries que la charité lui suggérait. Enfin elle s’efforçait de faire à un chacun tout le bien qu’elle pouvait. Aussi tous ses voisins l’aimaient tant, que quand elle fut réduite par sa possession en état de ne pouvoir plus gagner sa vie, ils se cotisèrent tous volontairement pour la nourrir. [3v]

4°. Notre Seigneur lui grava dans le cœur une si grande affection pour la pureté, que l’erreur de la paroisse où elle demeurait lui ayant fait croire qu’il était nécessaire que toutes les filles fussent mariées, elle pria Notre Seigneur de lui donner quelqu’un avec qui elle pût vivre dans une parfaite continence et conserver sa virginité. Ensuite de quoi lorsqu’il se présentait quelqu’un qui la recherchait en mariage, elle faisait cette prière : « Mon Dieu, si c’est celui que vous m’avez choisi pour vivre avec lui en la façon que je vous ai demandée, donnez-moi la grâce de l’aimer autant que vous voulez que je l’aime, sinon faites que je l’aie en aversion. » Après cela, elle sentait une aversion au regard de celui-là et ainsi au regard de plusieurs autres qui la recherchaient en mariage.

5°. L’Esprit de Dieu lui imprima dans l’âme une haine indicible contre l’honneur et un amour incroyable de l’abjection avec une très basse estime et une grande défiance de soi-même. C’est ce qui la faisait trembler et pleurer lorsqu’elle entendait parler de quelque fille qui était tombée en faute. « Hélas ! disait-elle, fondant en larmes, je [4] suis bien assurée que ce malheur m’arrivera parce que je ne suis pas moins fragile ni moins capable de faillir que les autres. »

6°. On lui donna aussi une forte haine du mensonge et de tout ce qui est contraire à la simplicité, sincérité et candeur, et une puissante inclination pour la vérité en ses paroles et pour la fidélité en ses promesses. Lorsqu’elle avait promis quelque chose à quelque autre petite fille, elle n’avait point de repos qu’elle n’eût accompli sa promesse.

7°. Elle a toujours été très obéissante à ses parents et à tous ceux qui l’ont gouvernée tant en son enfance qu’au reste de sa vie. Enfin, j’ai été sur le lieu de sa naissance, et où elle a été nourrie et élevée et j’ai vu plusieurs personnes qui l’ont connue et même avec qui elle a demeuré avant qu’elle vînt à Coutances, desquelles je me suis informé soigneusement de la vie qu’elle a menée en ce temps-là, et toutes m’ont assuré qu’on ne l’a jamais vue dans les désordres du monde, que jamais on ne lui a vu faire aucune action répréhensible, ni entendu dire aucune parole mauvaise, mais au contraire qu’elle était pleine de charité, de patience et de douceur, d’humilité et de [4v] soumission, et qu’elle aimait beaucoup à prier Dieu, à faire toutes sortes de bonnes œuvres et à empêcher autant qu’elle pouvait que Sa divine Majesté ne fût offensée. Voilà comme Dieu l’a instruite.

J’ai dit en second lieu qu’Il l’a fait entrer de bonne heure et qu’Il l’a conduite dans la voie par laquelle Il avait dessein de la faire entrer, qui est une voie de peines et de souffrances, car Il a commencé dès son enfance de l’exercer dans la patience. Elle n’avait que onze à douze ans quand son père mourut. Depuis sa mort, elle endura les misères et incommodités d’une très grande pauvreté, jusques là qu’elle fut vue plusieurs fois réduite à n’avoir pas de pain à manger des semaines tout entières.

Sa mère s’étant remariée, elle tomba sous la tyrannie d’un beau-père nommé Gilles Capelain, boucher demeurant à Périers qui était un homme barbare, cruel et furieux, lequel maltraitait extraordinairement sa mère, et non content de cela, il déchargeait aussi souvent sa rage sur elle, et quoiqu’elle ne lui en [5] donnât aucun sujet, il ne laissait pas, après qu’il avait outragé sa mère au dernier point, de la battre aussi à coups de bâton, et avec tant de cruauté qu’il la rendait toute noire et meurtrie de coups, et néanmoins après tout cela, elle a tant de charité pour cet inhumain, qu’elle n’a cessé de prier Dieu pour lui jusqu’à ce qu’elle ait obtenu son salut de Sa divine miséricorde.

Sa mère en ayant pitié, l’obligea à sortir d’avec elle et de chercher quelque lieu à se mettre en qualité de servante, mais elle trouva encore pis, quoiqu’en une autre manière, car on la mit dans une maison en la paroisse de saint Pèlerin proche Carentan, qui était un vrai enfer et dont le maître et la maîtresse étaient pires que des démons, menant une vie que je n’ose décrire sur le papier tant elle est infâme et détestable. Pendant qu’elle demeurait en cette maison, elle y souffrit des peines que Dieu connaît, mais elle en sortit le plus tôt qu’il lui fût possible.

De là, elle revint chez son tuteur en la paroisse de Saint-Sauveur Lendelin où elle commença à être possédée, mais parce qu’il y avait souvent des dissensions entre quelques-uns de cette [5v] maison, et qu’elle aimait beaucoup la charité et la paix, après avoir fait tout son pouvoir pour la pacifier, n’y ayant pu venir à bout, elle se retira de ce lieu et alla demeurer avec une pauvre femme mariée dans la même paroisse.

Ayant été quelque temps avec cette femme, elle reconnut qu’elle avait un infâme commerce avec un gentilhomme du lieu, chez qui elle allait souvent et là où son mari même l’envoyait souvent, à cause de la pauvreté où ils étaient. À raison de quoi la sœur M [arie]235 parla à cette femme et lui dit qu’elle était résolue de la quitter, si elle ne voulait renoncer à son péché. Ses paroles eurent tant d’effet sur elle qu’elle se convertit entièrement en sorte que son mari ne put jamais l’obliger d’y retourner, nonobstant tous les efforts qu’il y fît. Voilà comme Dieu a commencé de la faire entrer dès son enfance et de la faire marcher dans la voie des souffrances, si bien qu’elle peut dire avec le Fils de Dieu : Pauper sum ego et in laboribus a juventute mea. (Ps. 87, 16)236.

Je dis en troisième lieu que dès ce temps-là Dieu l’a prise en Sa protection spéciale, ce qui se voit manifestement par le soin qu’Il a eu de la conserver parfaitement dans sa pureté virginale au milieu de plusieurs grands périls, où Il a permis qu’elle [6] se soit rencontrée, afin de l’en délivrer miraculeusement ; mais entre autres, elle en a échappé trois, desquels elle ne pouvait sortir sans une assistance extraordinaire de Sa bonté.

Toutes ces choses font voir très clairement que cette personne a été pourvue dès ses plus tendres années des plus rares bénédictions du ciel, qu’elle a toujours été en la main et en la protection de Dieu d’une façon qui n’est point commune et qu’il l’a instruite et conduite lui-même d’une manière admirable. Ce qui se verra encore plus manifestement ci-après.

Chapitre second. De la manière qu’elle a été possédée corporellement par les malins esprits.

La sœur Marie ayant demeuré plusieurs années en diverses maisons comme servante, et étant revenue chez son tuteur de la paroisse de Saint-Sauveur Lendelin, elle y fut recherchée de plusieurs jeunes hommes qui la voulaient épouser, et entre autres, il y en avait un à qui ses parents la voulaient donner en mariage. Mais elle, l’ayant rebuté ainsi que plusieurs autres, il eut recours à une sorcière qui depuis, ayant été convaincue de sortilèges, fut brûlée à Coutances. Cette sorcière lui [6v] donna un maléfice qu’il jeta sur la sœur Marie. Étant allée avec d’autres filles et femmes en pèlerinage à saint Marcou en la paroisse de la Pierre qui est proche de celle de saint Sauveur Lendelin, elle y rencontra ce jeune homme, lequel passant proche d’elle dans une foule de peuple, la poussa, et au même instant, elle se sentit frappée d’un mal étrange et s’en retourna malade chez elle horriblement, là où étant arrivée, elle tomba comme pâmée, et ayant la bouche ouverte d’une façon affreuse, elle commença à jeter des cris et hurlements effroyables et à souffrir des tortures et des supplices si violents et si continuels qu’elle assure que durant trois ans qu’elle demeura aux champs depuis cet accident, elle ne croit point avoir dormi une heure de temps. Tous les remèdes humains qui y furent employés pour la soulager dans les maux extrêmes qu’elle souffrait étant sans effet, on commença de douter qu’il ne procédassent de l’opération du diable. Là-dessus on la mena à Coutances en 1612 dans la semaine de Pâques. On la présenta à son évêque qui était pour lors monseigneur de Briroy. Il la fait exorciser, on y voit toutes les marques d’une véritable possession. Il envoie [7] des hommes intelligents dans la paroisse pour y faire information de sa vie et de celles de ses parents, afin de connaître si eux ou elle n’avaient point donné sujet à l’esprit malin de la posséder, soit en la lui donnant par quelque colère, soit en commettant quelque autre faute, en punition de laquelle Dieu aurait permis ou ordonné cette affliction tant sur la fille que sur le père et sur la mère. Mais après un soigneux examen, on ne put rien trouver de semblable. On continua donc à l’exorciser. On connaît de plus en plus qu’elle est possédée, ce qui a été confirmé depuis en diverses occasions, spécialement lorsqu’elle était à Rouen en 1614, là où elle fut exorcisée en grec et en hébreu, tant par monseigneur l’archevêque de Rouen que par plusieurs grands docteurs qui tous ont affirmé que la possession était véritable, et en 1641, par l’ordre des supérieurs je l’exorcisai aussi en grec237. Quoique les démons ne me répondissent pas en grec, néanmoins ils faisaient des réponses conformes aux demandes qu’on leur faisait et accomplissaient ponctuellement ce qu’on leur commandait de la part de Dieu et en vertu [7v] de l’autorité de l’Église.

Chapitre troisième. Ce qu’elle fit quand elle eut connaissance qu’elle était possédée des malins esprits.

Lorsqu’il demeura constant que la sœur Marie étais possédée des malins esprits et qu’elle vint à le savoir238, elle commença, par le raisonnement du Saint-Esprit, à parler ainsi en soi-même :

« Pourquoi est-ce que je suis possédée239 ? D’où vient cela ? Je suis bien certaine que je ne me suis pas donnée à l’esprit malin. Je suis bien assurée que mes parents ne m’y ont pas donnée, car je ne leur en ai jamais donné le sujet. C’est donc que Dieu l’a voulu ainsi, oui sans doute. Il a connu de toute éternité l’état et la condition qui m’était la plus propre pour mon salut. S’Il en eût prévu un autre qui m’eût été plus nécessaire et plus convenable que celle-là, Il me l’aurait donné. Si ç’avait été meilleur pour moi de me faire Religieuse, Il m’aurait fait cette grâce. S’Il avait prévu que j’eusse mieux fait mon salut, étant une grande reine, Il m’aurait mise dans cette condition, car Il est infiniment bon, et rien ne Lui est impossible. Mais puisque je suis avec les diables, et en leur possession selon le corps [8] et que ni mes parents ni moi n’y avons rien contribué, c’est une marque que c’est Dieu même qui a choisi pour moi cet état, comme celui qui m’est plus propre pour mon salut. C’est pourquoi je l’accepte de tout mon cœur et pour l’amour de Celui qui me l’a donné. J’y veux vivre et mourir si tel est Son bon plaisir et je ne voudrais pas changer ma condition avec celle de la plus grande reine du monde.

« Mais il me faut bien prendre garde à ce que je dois faire pour plaire à Dieu et pour me sauver en l’état où je suis. Me voici entre les mains de l’Église, laquelle n’a point d’autre intention que de me délivrer des démons, si c’est la volonté de Dieu. Que faut-il que je fasse de mon côté ? Il faut que j’obéisse promptement et exactement à tout ce que l’Église me commandera, sans examiner ce qui me sera ordonné et sans me plaindre jamais des choses qui me seront commandées, pour difficiles qu’elles puissent être. »

Voilà son raisonnement et ses résolutions qu’elle accomplit très fidèlement sans y manquer jamais, quoi qu’on lui fît faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait [8v] mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe240 hachée menue, et qu’on lui commandait de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait, et lorsqu’on lui faisait boire des241 douze verres d’eau bénite tout de suite.

Sur ce fait, je dirai une chose qui fait voir l’impuissance et la faiblesse des démons. On lui commanda d’aller puiser de l’eau qu’on bénissait ensuite pour l’usage des exorcismes. Lorsqu’elle l’avait tirée d’un puits où elle la puisait, et qu’elle apportait deux grandes cruches de terre en ses deux mains qui en étaient remplies, les démons, qui étaient en elle, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour les lui faire casser afin de répandre l’eau, et pour cet effet, ils l’agitaient en diverses manières, tantôt la faisant aller d’un côté, tantôt de l’autre, et elle leur disait, parlant à eux : « Vous faites bien voir le peu de pouvoir que vous avez. Je vous mets au pis faire, et vous défie de faire seulement toucher mes deux cruches l’une contre l’autre. » Cela les faisait enrager et ils étaient contraints de la laisser. De là vient qu’elle dit qu’il n’y a rien au monde qu’elle craigne moins que les malins esprits. Que ce sont [9] les plus impuissantes de toutes les créatures et qu’elle craindrait plus un chien ou quelque autre bête que tous les diables ensemble242. Qu’ils sont moins à appréhender que des mouches, parce qu’ils sont tellement liés qu’ils ne peuvent rien que ce que Dieu leur permet expressément.

Chapitre 4. Ce qu’elle a souffert de la part des démons par la possession.

Depuis l’an 1609 qu’elle est possédée jusques à l’année présente 1655, Dieu a permis aux démons de lui faire souffrir de grandes peines. Car outre qu’ils l’ont battue et souffletée avec ses propres mains plusieurs fois, ils remplissent et empoisonnent, ainsi qu’elle parle, son sang, ses veines, son cœur et tous ses sens, de leur furie et de leur rage. Ils la mettent à la torture et la font souffrir étrangement en toutes les parties de son corps, de telle sorte, dit-elle, « que je regarde quelquefois dans mes mains si je n’y verrais point leurs griffes, quoique je sache fort bien que ce sont des esprits qui n’ont rien [9v] de corporel. Mais c’est qu’ils me font souffrir les mêmes tourments que si effectivement ils avaient des griffes matérielles et sensibles avec lesquelles ils me perçassent les mains et me déchirassent les membres. » Elle assure néanmoins que les moindres de ses peines sont celles qu’elle a portées de la part des démons. Elle les a défiés et provoqués beaucoup de fois lorsqu’ils la maltraitaient, parlant à tous en la personne d’un seul en cette façon : « Est-ce là tout ce que tu peux faire ? tu n’as pas grande force ! Vois-tu, me voilà : fais tout le pire que tu pourras. N’attends pas que Dieu te commande de me frapper, c’est assez qu’Il te le permette. Garde-toi bien d’omettre la moindre des peines qu’Il te permettra de me faire endurer. Car je Le prie de tout mon cœur que toute son Ire243 tombe sur toi et qu’Il redouble tous tes supplices, si tu en a laissé la plus petite partie, mais prends bien garde à ce que tu feras ! Tu es un lion et je ne suis qu’une misérable fourmi. Quand le lion vaincrait la fourmi, on se moquerait encore de lui de s’être armé pour combattre une si faible et si chétive bête. Mais si la fourmi surmonte le [10] lion, comme elle fera assurément, parce qu’elle est fortifiée de la grâce de Dieu, la confusion en demeurera éternellement sur le lion. N’es-tu donc pas bien insensé de faire ce que tu fais ? Fi, fi, de la bête à dix cornes ! » Pendant qu’elle disait cela, le diable enrageait et demeurait confondu.

« Une chose qui me console, dit-elle, quand ils me tourmentent, c’est qu’ils ne font point de péché. Car n’ayant plus de liberté, ils ne sont plus en état de mériter ni de démériter. »

Chapitre 5. Ce qu’elle a souffert de la part des hommes, spécialement pendant qu’elle a été prisonnière à Rouen.

[1.]244 Quoique les grâces extraordinaires que la divine Bonté a communiquées à la sœur Marie soient connues de très peu de personnes, néanmoins elle a toujours été regardée comme une fille de grande vertu et d’une piété singulière. Mais cela n’a pas empêché qu’elle n’ait souffert beaucoup de peines, de traverses et de mépris ; et des contradictions de [10v] plusieurs personnes particulières, qu’elle a toujours reçues comme de la main de Dieu et portées avec une merveilleuse patience, une parfaite soumission à la volonté de Dieu, une profonde humilité et une grande charité vers ceux dont Dieu s’est servi pour l’affliger. Mais surtout il n’est pas croyable combien de maux elle endura pendant six mois qu’elle fut prisonnière à Rouen pour le fait que je vais dire.

L’an 1614 qui était la seconde année des exorcismes qui ont été faits sur la sœur Marie, il arriva que les démons ayant dit qu’ils sortiraient un certain jour et ne l’ayant pas fait, comme on leur en demanda la cause, ils répondirent que c’était un certain homme qu’ils nommèrent et qu’ils accusèrent d’être sorcier, qui y mettait empêchement. On ne doit pas croire pour cela que cet homme fût sorcier, mais Dieu permit ceci au démon pour faire naître une nouvelle occasion de souffrance à la sœur Marie. Car cet homme qui était puissant, sachant ce qui avait été dit de lui, entra dans une grande colère contre elle, enfin alla à Rouen, là où il l’accusa elle-même au parlement d’être sorcière, et prévint si bien l’esprit des juges qu’ils la mirent en prise de corps. Monseigneur de [11] Coutances, ayant appris ces nouvelles et connaissant bien son innocence, n’attendit pas qu’on la vint prendre, mais il l’envoya lui-même à Rouen, où elle fut conduite par ses parents, y allant très volontiers et avec joie parce qu’elle voyait que c’était la volonté de Dieu. Étant arrivée à Rouen, elle se rendit prisonnière et y demeura depuis la fête de saint Jean-Baptiste jusqu’à la fête de la Conception Immaculée de la très Sainte Vierge. Elle y souffrit des maux indicibles.

Car premièrement, après avoir été six semaines dans la prison de la Cour de l’Église, où elle fut traitée fort charitablement par le concierge et sa femme, on la mena dans la prison du Parlement, où on la mit dans un cachot fort obscur.

Secondement, on l’exorcisa souvent dans la chapelle de la prison. Dieu permit qu’un jour un religieux cordelier y étant venu pour l’exorciser, les esprits malins ne parurent point. à raison de quoi il commença à déclamer contre elle devant une grande troupe de personnes qui étaient présentes et à dire qu’elle n’était point possédée, mais que c’était une trompeuse, une publique245 et une sorcière, ce qui excita tout le monde et même les autres prisonniers à la siffler, à la montrer du doigt et à la maltraiter de plusieurs manières. De sorte que depuis cela [11v] lorsqu’on la menait du cachot à la chapelle ou de la chapelle au cachot, elle était huée, moquée et chargée d’injures et d’opprobres comme une infâme et une sorcière, et qui plus est, elle était battue et outragée cruellement. Car il y avait une certaine femme qui en la menant et la ramenant la battait sans cesse avec une serviette qu’elle tenait à la main, qui était mouillée et tortillée en forme d’une grosse corde dont elle la frappait sur le visage.

Troisièmement le Parlement ordonna qu’elle serait dépouillée et rasée partout pour chercher les marques du diable, et pour reconnaître si elle était vierge, et en effet elle fut dépouillée toute nue par deux fois et piquée avec des aiguilles et des alènes par tout le corps, mais on trouva qu’elle était vierge et qu’elle n’avait aucune des marques que l’on cherchait. Ce qui est étrange, c’est qu’au lieu d’envoyer quelque matrone ou sage-femme pour la visiter, on y envoya un chirurgien qui à la vérité était un bon vieillard fort sage et fort charitable qui lui parla et la traita fort doucement ; mais toujours c’était un homme. Cette pauvre fille, qui avait un amour indicible pour la pureté et une horreur [12] incroyable de tout ce qui lui était contraire, demeura bien étonnée quand elle vit et qu’elle sut la cause pour laquelle il venait, et l’ayant appris de lui, elle lui dit :

« Comment, Monsieur, faut-il que ce soit un homme qui fasse cela ? Est-il possible que dans Rouen il n’y ait point de femme capable de faire une chose semblable ?

 – Ma fille, lui répondit le vieillard, la justice le veut ainsi.

 – Est-il vrai que la justice le veut ainsi ?

 – Oui, répliqua-t-il.

 – Ah ! répartit-elle, puisque la justice le veut, c’est que Dieu le veut, et puisque Dieu veut que j’aie cette confusion, je le veux aussi. »

Et en disant cela, elle commença à se dépouiller avec une merveilleuse générosité. Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et après midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens, en la présence desquels elle fut dépouillée pour la seconde fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes.

Quatrièmement246. Elle fut traitée de la Justice avec tant de rigueur à cause de la mauvaise impression qu’on avait mise dans l’esprit des juges, que [12v] c’était une sorcière, une publique et une trompeuse, qu’il fut défendu à toutes sortes de personnes, tant à celles qui étaient dans la prison qu’à celles qui n’y était pas, de lui parler ni de l’assister aucunement, à peine d’être mis dans une basse-fosse les fers aux pieds.

Cinquièmement. Il semblait que tous les hommes, grands et petits, prêtres et laïcs, religieux et séculiers, filles et femmes étaient convertis en fureur contre elle sans aucun sujet, car il n’y avait personne qui pût dire qu’elle l’ait offensée, de fait ou de parole ou de quelque autre manière. Les uns la bafouaient comme une sorcière, une débauchée et une très méchante créature. Les autres disaient qu’elle faisait la possédée pour enrichir ses parents de l’argent qu’elle gagnait. Plusieurs autres lui venaient dire qu’on l’allait brûler toute vive.

Il y avait un prêtre qui venait tous les jours célébrer la sainte messe en la prison, qui auparavant que de la dire, et après l’avoir dite, se mettait vis-à-vis d’elle et lui chantait mille pouilles ; le cordelier aussi, dont nous [13] avons parlé, la tourmenta étrangement par menaces, injures et malédictions. Les prisonniers mêmes la haïssaient et persécutaient, spécialement depuis que le cordelier avait déclaré publiquement dans la prison qu’elle feignait d’être possédée et qu’elle ne l’était point, et qu’elle n’était qu’une trompeuse et une infâme. Quelque temps après, comme elle fut exorcisée derechef dans la chapelle de la prison, les démons se manifestèrent si visiblement que tout le monde reconnut qu’elle était véritablement possédée, ce qui fit que les prisonniers ne l’avaient plus tant en horreur comme ils l’avaient auparavant.

Sixièmement. Dieu lui envoya une affliction plus grande que toutes les autres précédentes, car étant entrée dans le cachot, elle fut prise d’une si grande frayeur qu’elle ne pouvait durer dans le doute où elle était que ce mal fût naturel ou qu’il vînt de Dieu. Elle le supplia de lui ôter trois jours durant si c’était Lui qui lui eût envoyé, mais, s’il était naturel, qu’Il [lui] eût agréable247 de la laisser en cet état. La prière achevée, la frayeur cessa le temps qu’elle avait demandé, et [elle] fut dans une grande paix et tranquillité, au bout desquelles elle rentra dans ce premier état de frayeur qui lui dura [13v] pendant tout le cours de sa prison.

Parmi tant de maux et d’afflictions, Dieu qui n’abandonne jamais les siens, lui suscita quelques personnes, qui la consolaient, défendaient et lui fournissaient toutes les choses qui lui étaient nécessaires. Et après toutes ces persécutions et calomnies, Il la justifia et la délivra de toutes ses tribulations, car ayant été visitée, elle fut trouvée vierge.

2.248 Il demeura constant et hors de doute qu’elle était possédée, car elle fut exorcisée en grec et en hébreu par monseigneur l’archevêque de Rouen et par plusieurs autres docteurs, et les démons répondaient conformément aux demandes qu’on leur faisait ; joint que la possession parut si clairement par plusieurs autres effets qui ne pouvaient procéder que des esprits malins, qu’il était impossible d’en douter.

3. Afin de faire voir qu’il n’était pas vrai qu’elle fît la possédée pour gagner de l’argent, Dieu ne permit jamais qu’elle en prît de personne. Quelques-uns lui en jetaient dans son cachot, mais les démons l’agitaient continuellement jusqu’à ce qu’on l’eût ôté.

D’autres lui jetaient plusieurs poires, après avoir caché des sous dans quelques-unes, mais les malins esprits se servant de ses mains choisissaient [14] entre les autres celles où étaient les sous, et les rejetaient à ceux qui les lui avaient jetées.

4. Quoique les juges eussent été préoccupés et puissamment sollicités contre elle, la vérité néanmoins surmonta le mensonge. Son innocence prévalut contre la calomnie et la Cour, par un arrêt, ordonna qu’on la ramenât à son évêque pour être exorcisée.

Chapitre 6. Ce qu’elle a souffert de la part des sorciers.

Depuis le jour qu’elle fut possédée des malins esprits, elle souffrit étrangement l’espace de cinq ans par les maléfices des sorciers : spécialement les deux dernières années durant lesquelles il ne se passait quasi point de jour qu’ils ne lui jetassent quelques nouveaux sortilèges et quelquefois plusieurs en un jour. Les peines qu’elle a portées de cette part surpassent beaucoup celles qu’elle a endurées de la part des hommes et de la part des démons, car les sorciers, dit-elle, joints avec les diables, ont beaucoup plus de pouvoir de faire souffrir que les hommes ou les diables seuls. Les sortilèges forcent quasi au péché, parce que les démons sont unis à la malice des sorciers [14v] et exécutent leurs intentions. C’est ce qu’elle a expérimenté plusieurs fois, mais spécialement dans les occasions suivantes :

Auparavant qu’elle vînt à Coutances, ses parents la voyant extrêmement travaillée par le premier maléfice qui lui fut jeté, et ne connaissant point la qualité de son mal, la menèrent chez un malheureux ecclésiastique qui se mêlait de donner des remèdes aux malades qui s’adressaient à lui : lequel l’eût perdue, si Dieu ne l’eût délivrée du précipice au bord duquel elle se trouva, et ce, par une merveilleuse industrie qu’Il lui inspira, au moyen de quoi elle fut affranchie de la gueule de ce loup.

Mais, enrageant de ce que cette proie lui était échappée des griffes, et que sa tutrice qui l’avait menée chez lui ne la quittait jamais, il lui jeta un charme très violent (car c’était un insigne magicien). Ce charme avait deux effets : l’un, au regard de la sœur Marie, pour la forcer de l’aller trouver, et ce avec tant de violence et de rage, qu’afin d’y résister, elle se frappait à grands coups et s’arrachait les cheveux de la tête. L’autre charme était au regard de la tutrice, qui se nommait Jacqueline Beurrye qui [15] avait pour elle le soin et la qualité d’une véritable mère et qui pour lors était couchée dans un même lit avec elle (car c’était la nuit que le sortilège fut jeté), à savoir de l’endormir si profondément qu’il fut impossible à la sœur Marie de l’éveiller, ni en criant, ni en la pinçant, ni en la tournant d’un côté et d’autre. Cette pauvre fille, ne trouvant aucun remède à un si fâcheux mal, fut inspirée de Dieu d’avoir recours à son refuge ordinaire, qui était la très Sainte Vierge. Elle lui adresse donc ses prières et fait vœu de l’aller saluer à l’église de Notre-Dame de la Délivrande, auprès de Caen, et au même instant la bonne femme s’éveilla, et la sœur Marie fut entièrement garantie de la malignité de ces charmes.

Allant à Rouen, au premier gîte qu’elle fit sur le chemin, qui fut au château de la Motte appartenant à Mgr de Coutances, on lui jeta pendant la nuit un horrible sortilège tendant à la corruption et à lui faire perdre le trésor incomparable de sa virginité, afin de la faire passer pour une infâme et de la marquer d’une qualité qui est inséparable de la fourberie, à savoir l’impudicité, et par [15v] ce moyen de persuader aux juges plus facilement qui elle était, lorsqu’ils sauraient qu’elle n’était pas vierge. Et en effet ce fut à cette fin qu’ils ordonnèrent qu’elle serait visitée. Quoique ce sortilège la fît beaucoup souffrir, il n’eut pourtant point l’effet que prétendait le magicien qui [le] lui jeta, non plus qu’un très grand nombre d’autres qui lui furent jetés par d’autres sorciers, comme nous verrons ci-après.

Étant arrivée de Rouen à Coutances, on y recommença les exorcismes, et parce qu’elle sentait encore les effets du susdit sortilège qui lui avait été jeté à la Motte, l’exorciste commanda au diable en la vertu de Jésus-Christ de détruire lui-même son ouvrage et de faire cesser la malignité de ces charmes. Mais il répondit que la fille n’en serait point délivrée, et que même elle ne boirait ni mangerait que le magicien ne parût devant elle. Et en effet il fut impossible de lui faire rien prendre depuis ce temps-là jusqu’à ce que le magicien fût venu. Les démons l’empêchaient de manger par l’ordre de Dieu. On cherche le magicien (que le diable nomma) par l’ordre de Monseigneur, on est trois jours sans pouvoir le rencontrer. [16] Enfin l’ayant trouvé, on l’amène. Il paraît devant la fille. Le démon lui parle et lui maintient que c’est lui qui lui a jeté ce charme. Après qu’il eut longtemps contesté que ce n’était pas lui et que le malin esprit insista et assura que c’était lui, il lui dit à la fin : « Si je lui ai donné quelque chose, qu’elle me le rende.

 — Oui dà, répond le démon, elle te le rendra tout.

— Maintenant qu’on me donne un plat », et comme on en eut présenté un, elle jeta par la bouche une certaine matière telle qu’est celle dont la cervelle de l’homme est composée.

« Voilà le charme, dit l’esprit malin, il est fait de la cervelle d’un petit enfant. »

Et certainement on ne pouvait pas dire que cela vînt d’aucun aliment qu’elle eût pris, puisqu’il y avait trois jours qu’elle n’avait ni bu, ni mangé. Dieu l’ayant ainsi permis, afin que l’on reconnût cette vérité.

Voici un autre sortilège beaucoup plus terrible que le précédent qui lui fut envoyé de Paris un peu après son retour de Rouen. Un certain marchand de Coutances étant allé à Paris, comme il s’en revenait au sortir de la ville, il entend venir après lui des cavaliers fort bien montés et bien couverts, qui l’ayant [16v] abordé, lui demandèrent d’où il était et où il allait.

« Je suis de Coutances, leur dit-il, et j’y vais.

— N’y a-t-il point ajoutèrent-ils, une pauvre fille possédée ?

— Oui, et c’est grande pitié des tourments qu’elle souffre.

— C’est de quoi nous avons entendu parler », dit l’un de ces cavaliers, et ce qui nous a tellement touchés de compassion qu’ayant appris que vous étiez de ce pays-là, nous sommes courus après vous pour vous donner cette petite boîte dans laquelle il y a des reliques de sainte Geneviève dont on a descendu la châsse les jours passés. Tenez, emportez-là avec vous bien soigneusement, et quand vous serez à Coutances, dites qu’on la donne à cette pauvre fille et qu’on la mette sur elle. 

Cela dit, les cavaliers s’en retournèrent à Paris, et le marchand arrivant à Coutances, bailla la boîte à ceux qui étaient auprès de la sœur Marie, et Dieu permit qu’ils la lui apliquèrent sans regarder ce qui était dedans. Mais elle sentit bientôt ce que c’était.

Car cette fausse relique, qui était un véritable sortilège, tendait à trois effets : premièrement, à la porter dans les plus exécrables blasphèmes de l’enfer. [17] Secondement, à la jeter dans les plus infâmes saletés et dans les plus puantes abominations qui puissent être et avec les personnes les plus perdues et les plus gâtées de ce sale et vilain péché.

Troisièmement, à l’exciter au meurtre et au massacre, la poussant à étrangler, à écorcher, à démembrer et à dévorer tout le monde. Et en outre elle fut possédée d’un nouveau démon qui se nomma Kerigno. Sa prétention était de l’obliger à faire quelque action répréhensible et criminelle afin d’avoir sujet de la décrier, de l’accuser et de la faire derechef tomber entre les mains de la Justice pour la faire châtier et pour l’exterminer entièrement. Mais tout cela ne servit qu’à faire paraître davantage la protection de Dieu sur cette créature, lequel par la vertu de son bras anéantit tous les effets de ces charmes et rendit vains et inutiles tous les efforts des puissances infernales.

Cela donna occasion à la sœur Marie de prier Notre Seigneur de faire miséricorde aux sorciers et de demander à souffrir pour eux un temps les peines qu’ils méritaient de souffrir dans l’éternité ainsi qu’il est raconté ailleurs plus [17v] amplement.

Mais tant plus qu’elle s’efforçait à leur faire du bien, tant plus ils cherchaient de lui faire du mal, en voyant que tous leurs charmes et toutes leurs machines diaboliques n’étaient point assez forts pour la faire tomber dans le péché, et pour lui ravir la grâce de Dieu. Ils entreprirent pour le moins de lui ôter la réputation et de la décrier : qui est un des effets de leur malice contre les personnes, et les choses qui honorent Dieu. Car je connais un homme qui a été malheureusement engagé dans ce détestable parti l’espace de dix ans et qui s’est trouvé plusieurs fois dans leurs assemblées nocturnes, lequel s’en étant retiré par un effet extraordinaire de la divine miséricorde, m’a assuré que quand il se fait quelque ouvrage de la terre qui est à la gloire de Dieu, ses plus grands ennemis qui sont les sorciers tiennent conseil pour aviser aux moyens de l’empêcher, ou de le détruire, ou de l’affaiblir, ou tout au moins de le mettre en mauvaise odeur devant les hommes afin qu’il produise moins de fruit. C’est ce [18] qu’ils ont essayé de faire au regard de l’œuvre que la divine Bonté a faite en la sœur Marie. Car on a vu une méchante fille suscitée et députée comme il est très probable par cette troupe infernale, laquelle s’en allait dans les lieux et dans les villes voisines de Coutances, comme au Mont-Saint-Michel, à Saint-Malo en Bretagne et en plusieurs autres endroits, là où elle se faisait appeler Marie des Vallées, disant qu’elle était la possédée de Coutances, et partout où elle se rencontrait, elle dérobait et faisait d’autres actions méchantes, qu’elle avouait après très facilement et quand on lui demandait pourquoi elle les avait faites, elle n’apportait point d’autres excuses sinon que c’était le diable qui l’avait trompée.

Elle passait bien plus outre, car elle disait qu’il lui était arrivé un grand malheur, à savoir qu’elle s’était donnée au diable et que c’était la raison pour laquelle elle était en sa possession, et que même elle en portait le caractère et la marque. Et en effet, elle la faisait voir en ses cheveux, un peu au-dessus du front. Car j’ai vu une personne de grande probité et de fort bon sens qui m’a assuré que pendant quinze jours cette malheureuse créature [18 v] séjourna en la ville de Saint-Malo. Elle lui montra cette marque, et que, pour en faire l’épreuve, elle y appliqua une aiguille de tête fort longue, qu’elle y fit entrer presque toute sans qu’il en sortît du sang et sans qu’elle témoignât aucun sentiment de douleur. Ce qui fait conjecturer et avec fondement qu’elle était sorcière puisqu’elle portait si visiblement la marque que le diable a coutume d’imprimer en ceux qui lui appartiennent en cette damnable qualité. La personne qui l’a entendue de sa bouche et qui a vu ce caractère m’a assuré qu’elle se faisait appeler Marie des Vallées, déclarant à tout le monde qu’elle était la possédée de Coutances. Et cependant c’est une chose très certaine que jamais la sœur Marie n’a été à Saint-Malo.

Je passe plusieurs autres fourberies et malices que cette méchante fille a faites en d’autres lieux pour la diffamer, lesquels ont été avérées et reconnues avec autant de certitude que la précédente. Toutes ces choses font voir la rage extrême dont l’enfer a toujours été animé contre cette bonne fille, ce qui n’est pas une petite preuve qu’elle est fort aimée [19] du ciel, puisque l’enfer la hait tant et que les principaux membres de Satan, qui sont les sorciers, lui ont fait une guerre si cruelle, dans laquelle étant fortifiée de la vertu d’en haut, elle a toujours remporté la victoire.

Chapitre 7. Les remèdes dont l’Église se servait pour détruire les maléfices et comme elle en fut entièrement délivrée.

Pendant qu’elle était persécutée par les sorciers et travaillée par les maléfices qu’ils lui jetaient tous les jours, sitôt qu’elle sentait l’effet de quelque nouveau sortilège, elle le faisait connaître aux exorcistes, lesquels commandaient au démon par les exorcismes de déclarer le remède dont il fallait se servir pour le détruire ; et quoiqu’ils fissent beaucoup de résistance, ils étaient néanmoins forcés de le dire. Et tantôt ils disaient qu’il fallait y employer de l’eau grégorienne ainsi appelée parce qu’elle a été instituée par saint Grégoire le Grand et il n’appartient qu’à un évêque de la bénir ; tantôt du sel béni ; une autre fois [19 v] de l’huile sainte dont on oint ceux que l’on baptise, une autre fois quelque chose bénite par l’Église. Si bien que toutes les choses que l’Église a coutume de bénir y furent employées, et elles ne manquaient jamais d’anéantir les charmes dont il paraissait souvent des marques visibles et extérieures, ainsi qu’il arriva un jour lorsqu’après avoir reçu un maléfice qui la tourmentait étrangement et dont l’effet était de l’embraser du feu de la concupiscence, les démons furent contraints par la vertu de l’exorcisme de dire que les remèdes à ce sortilège étaient de la mettre dans un vaisseau plein d’eau grégorienne. Ce qui fut fait. Et au même temps qu’elle y fut, le charme fut détruit, et l’eau qui était claire et nette auparavant se trouva toute pleine d’un nombre innombrable de petits vers dont le monde demeura étonné.

Les maléfices ont duré cinq ans. Après avoir souffert pendant cinq ans les tourments d’un très grand nombre de maléfices et qui souvent étaient si atroces que ceux qui la voyaient en cet état en pleuraient de compassion, voici enfin comment elle en fut délivrée. [20]

Un jour, comme elle se présentait à la sainte communion dans la chapelle de l’évêché, elle en fut empêchée de telle sorte qu’il lui fut impossible de communier ; et Notre Seigneur lui dit en esprit qu’il voulait qu’on la mît coucher dans une petite salle où il y avait une cheminée, tout proche de la chapelle. Elle dit cela à M. de Jugainville, son exorciste, qui le proposa à Mgr de Coutances, lequel d’abord ne voulut pas y consentir parce qu’il craignait que les sorciers ne la fissent mourir si on l’abandonnait ainsi toute seule à leurs mains en ce lieu-là. Cependant elle ne pouvait communier et lorsqu’elle se présentait à la table de Notre Seigneur les démons l’en empêchaient. On leur commanda par les exorcismes d’en dire la raison. Ils répondirent que c’était l’ordre de Dieu et qu’elle ne communierait point qu’on ne l’eût mise à coucher dans le lieu susdit. À raison de quoi, monseigneur ayant assemblé son conseil pour délibérer ce qu’il fallait faire, il fut conclu qu’elle irait coucher tous les soirs dans cette petite salle et qu’on la confierait ainsi à la garde de Dieu. Ce qui fut fait. Ensuite de quoi elle communia librement dès le lendemain et tous les sortilèges cessèrent, et depuis ce temps-là les [20 v] sorciers n’eurent aucun pouvoir sur elle quoiqu’ils fissent tous leurs efforts pour l’inquiéter et intimider. Car après qu’elle s’était retirée dans la chapelle, ils frappaient contre la porte et faisaient un très grand bruit, comme qui aurait jeté de grosses pierres à l’encontre. Ce qui ayant été dit aux ecclésiastiques qui avaient soin d’elle, ils en voulurent avoir l’expérience, et pour cet effet l’un d’eux, étant venu dans la chapelle, il entendit ce bruit, lequel ne pouvait venir d’ailleurs que des sorciers, car lors il ne demeurait personne dans l’évêché, l’évêque faisant sa demeure en une autre maison. Outre cela, elle voyait quelquefois un grand nombre de pointes d’épées toutes nues qui passaient l’une dans l’autre comme s’il y eut eu plusieurs hommes escrimant les uns contre les autres, et cela tout proche de sa tête, par-dessus, en sorte qu’elle était obligée de marcher la tête baissée pour passer par dessous les épées, et lorsqu’elle était couchée, elle entendait des personnes qui marchaient contre le bord de son lit aussi pesamment et sensiblement que s’ils avaient eu des sabots, mais ils ne la touchaient point, ni ne lui faisait aucun mal [21] et toutes ces choses ne l’épouvantaient point du tout, parce qu’elle savait que tous les démons et tous les sorciers ensemble ne lui pouvaient faire aucun déplaisir que par la permission de Dieu, et qu’elle était prête d’accepter de bon cœur tout ce qu’il leur permettrait de lui faire souffrir. Avant que de se coucher, elle prenait une lampe d’une main avec un vase où il y avait de l’eau bénite, et de l’autre un aspersoir avec lequel elle s’en allait aspergeant tous les endroits de la chapelle, de sa salle, et d’une autre plus grande salle qui en était proche et où elle entendait beaucoup de bruit. Puis elle prenait son repos en paix. Ayant fait cela quelque temps, elle demeura entièrement délivrée de tous les maléfices des sorciers.

Chapitre 8. L’état misérable des sorciers.

Avant que de quitter cette matière qui regarde les sorciers et les sortilèges, je mettrai ici quelque chose de ce que Notre Seigneur a fait voir à la sœur Marie de l’état épouvantable auquel sont [réduites] ces misérables personnes. [21v]

Un jour Notre Seigneur lui promit de faire une œuvre de sa Toute-puissance et pour cet effet, Il lui ordonna de dire un rosaire tous les jours durant l’octave de la fête du Saint Rosaire. Elle se trouva en esprit enfermé un espace de temps dans une salle où il n’y avait aucune ouverture, par conséquent ni porte, ni fenêtre, et au milieu était l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel elle voyait le feu de l’enfer. La voilà saisie d’une frayeur et d’une angoisse extrême ; elle crie à Notre Dame : « Hélas ! où sommes-nous ? »

Notre Dame se rit et témoigne qu’elle est bien aise de la voir là et dit : « Je vous y ai mise, mais je ne vous en retirerai pas. »

Les frayeurs continuaient, lesquelles pourtant ne paraissaient que dans la maison où elle était. Chaque jour le lieu où elle était fondait peu à peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour s’empêcher de tomber dans l’abîme.

Elle criait à Notre Dame : « Est-ce là le chef-d’œuvre de votre puissance ! Quelle cruauté ! Ah ! Je ne puis plus demeurer en cet état. » Enfin quand tout fut [22] fondu sous ses pieds, elle se trouva délivrée. Cela représente l’état malheureux des sorciers, ils sont à présent dans l’état du péché sans en pouvoir sortir, si ce n’est par miracle, tellement que mourir pour eux et tomber en enfer c’est la même chose. Et cette peine qu’elle endurait était pour obtenir de Dieu la conversion des sorciers.

En l’an 1642, on lui fit mettre sous les pieds de l’Amour divin, représentés par les pieds de son lit, un chapelet qu’on lui fit enfiler de soie rouge et y mettre deux petits agneaux, dont l’un représentait la divine Volonté et l’autre Notre Dame avec une médaille neuve qui représentait l’Église sur laquelle il fallait que le Saint Sacré Cœur fut imprimé. Il y avait aussi une croix au commencement qui représentait Notre Seigneur ; les gros grains sa Passion, et les petits grains tous les saints du ciel. Il lui fut dit que c’était le chapelet des sorciers.

Deux ans après, le sixième jour de l’année 1644, la Charité divine reprit ce chapelet pour la sœur Marie. On le pendit à son côté gauche. Ce qui arriva en cette manière. La sœur Marie étant dans l’église, Notre Seigneur lui dit :

« Si je vous donnais une couronne, la diriez-vous ?

– Très volontiers, répondit la sœur Marie.

– Allez quérir le chapelet des sorciers. » [22v]

Après qu’on l’eut apporté, on lui fit dire en cette façon : Sur la croix et sur le crucifix, dites douze fois le verset : Exsurgat Deus et dissipentur inimici ejus : et fugiant qui oderunt eum a facie ejus249. Sur le petit Agnus250 de la Volonté de Dieu, dites trois fois : Voluntas Dei quodcumque voluit fecit. Sur le petit Agnus de Notre-Dame, dites trois fois : Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente cordis sui251. Sur les gros grains qui représentent la Passion, [dites] le Vexilla252 tout du long. Sur les petits grains qui sont tous les saints : Exurge, Domine, in ira tua et exaltare in finibus inimicorum tuorum, en lui faisant dire de la version de Desportes :

Ha ! Lève toi, Seigneur, en ton ire allumée,

Fais voir haute ta force à la troupe animée,

De mes haineux domptés Seigneur réveille-toi

Et garde en ma faveur le décret de ta loi253.

Et sur la médaille qui représente l’Église, le Veni Creator, tout du long, parce qu’elle appelle le Saint-Esprit pour convertir les sorciers. »

Le lendemain Notre Seigneur lui représente l’état auquel seront les sorciers après leur conversion, par la manière suivante de dire le chapelet. Sur le crucifix, [23] Beata nobis gaudia, tout du long. Sur l’Agnus de Notre-Dame, Fecit mihi magna qui potens est, et sanctum nomen ejus. Sur les gros grains, Pater noster, etc. Et sur les petits, Ave Maria, etc. parce qu’ils seront enfants de l’Église ; sur la médaille qui représente l’Église, le Te Deum laudamus et trois fois le Magnificat, parce que l’Église se réjouira et remerciera Dieu de leur conversion. Ce chapelet était dans une bourse en cuir, qui représente la sœur Marie, parce que tous les sorciers étaient en elle, à raison qu’elle les a plaigés254. L’amour divin les avait mis sous les pieds comme les ayant abandonnés, mais la charité les reprend parce qu’elle les veut sauver.

Une autre fois comme elle priait pour une pauvre femme ensorcelée, qu’il plut à Notre Seigneur et à Notre Dame la délivrer, il lui fut dit : « Représentez-vous une mère qui a deux enfants malades, l’un n’est malade que d’une fluxion qui lui découle du cerveau et lui cause de grandes incommodités, le médecin lui baille une médecine qui le guérira absolument. Il n’a qu’à souffrir les tranchées255 de la médecine. L’autre est malade d’une grosse fièvre qui [23v] lui ôte la raison et le jugement. Il n’a que les paroles et les actions d’un désespéré. Le médecin le regarde comme ne voyant aucune disposition en lui de se servir d’aucun remède et n’y attend que la mort, si Dieu n’y fait un miracle de Sa miséricorde. Le premier est malade par ignorance et fragilité qui procèdent du péché d’Adam comme du chef, et celui-ci est en état de salut, et partant, il ne faut point s’inquiéter pour lui. Telle est cette pauvre femme. Le second est transformé en diable. Il n’a point d’autre volonté et d’autre intention que celle du diable, et tout ce qu’il fait, c’est pour lui plaire. Celui-là représente les sorciers. » Notre Seigneur ajoute : « Voyez lequel des deux est le plus malade et le plus digne de compassion. » Il dit encore : « Il faut tarir la fontaine, et il n’y aura plus de ruisseau. Il faut convertir les sorciers, et il n’y aura plus de sortilège. »

Chapitre 9. De l’échange qui s’est fait de la volonté de la sœur Marie avec celle de Dieu.

[24] Entre quantité de choses merveilleuses qui se sont passées en la sœur Marie, une des principales est l’échange que Dieu lui a fait faire de sa volonté avec la Sienne : ce qui s’est passé en cette façon.

Quatre ans ou environ après le commencement de sa possession, Dieu lui inspira une si grande haine du péché, et un désir si ardent de n’offenser jamais Sa divine majesté, qu’elle affirme qu’il n’y a que Lui seul qui connaisse combien ce désir était puissant, et combien cette haine était forte. Et elle assure que cette impression lui est demeurée dans le fond de son esprit, et qu’elle y demeurera éternellement, et qu’il lui est impossible de douter qu’elle ne soit de Dieu. Ce désir provenait de l’horreur inconcevable qu’elle avait du péché et de l’amour très pur qu’elle portait à Dieu. Car elle ne craignait pas le péché, ni ne désirait pas d’en être délivré entièrement, pour l’appréhension qu’elle eût de l’enfer, et des châtiments qui lui sont préparés soit en ce monde, soit en l’autre. Au contraire, elle faisait cette prière à Dieu : « Vous connaissez par votre infinie sapience, lui disait-elle, tous les péchés dans lesquels je tomberai durant tout [24v] le cours de ma vie, si vous ne m’en préservez par votre grande miséricorde. Je vous supplie de me faire souffrir toute la peine qui leur serait due en rigueur de Justice, voire au double et au centuple, si vous voulez, et me gardez de la coulpe256. » Elle fit cette prière à Dieu près de deux ans avec une dévotion et ferveur indicible.

Ce qui la confirma dans ce désir et dans cette prière, fut un livre du révérend père Coton257, jésuite, intitulé : Manuel de dévotion, où sont contenues plusieurs oraisons, colloques, aspirations, prières, etc., qui lui tomba entre les mains, dans lequel elle rencontra cette oraison, vers le commencement du livre et qui est telle :

Protestation première.

« Je sais à mes dépens et à mon grand dommage combien je suis préjudiciable à moi-même, et combien grande est ma fragilité, d’où j’ai toutes les occasions de craindre qu’au partir d’ici, je démente mes vœux et ne fasse le contraire de ce que je viens de promettre. Ô Dieu très puissant et immuable, ayez pitié de votre frêle ouvrage ; étendez votre main forte et votre bras invincible pour le secours de l’ouvrage de vos doigts. Ne permettez pas qu’une créature dont l’acquisition vous a été si pénible, [25] vous soit si facilement et tant indignement enlevée. Si ma volonté y est requise, la voilà entre vos mains. Je vous la donne et redonne irrévocablement. Et puisqu’il n’y a rien de mieux acquis que ce qui est donné, ô Dieu de mon cœur ! Commandez que le don qu’il Vous a plu me faire de vous-même, autorise celui que je vous fais de moi-même, et que cette donation tant entre vivants qu’à cause de votre mort soit tellement insinuée258 et insérée au registre de votre éternité, que quand je le voudrais, elle ne puisse être révoquée, car telle est par votre grâce la disposition de ma dernière volonté.

2. En effet serait-il bien raisonnable qu’une mauvaise volonté passagère pût annuler une résolution déterminée et préalablement prise avec tant de résolution.

3. Je proteste avec tous les ressorts de ma volonté, avec tous les efforts de mon franc arbitre, et avec toute la possible plénitude de mon consentement, que je ne veux vous offenser en chose quelconque, veux être vôtre totalement. Je veux sans exception tout ce que vous voulez, et déteste tout ce que vous détestez ; et s’il en prend autrement, s’il arrive que je me recherche moi-même, que je fasse rapine259 en l’holocauste et [25v] que je commette ou omette chose aucune contre votre bon plaisir, ce sera une surprise et dérobée volonté, du tout contraire à ce que vous me faites la grâce de vouloir lorsque je suis en mon sens et maître, par votre assistance, de mon consentement.

4. Et quand ainsi serait, que par fragilité extrême, à l’ombre de laquelle mon âme tremble de crainte, je portasse mon consentement au contraire de ce que vous voulez, ne permettez pas, ô Dieu de vérité et de bonté infinie, que telle faute me soit imputée, attendu que j’y renonce dès maintenant comme dès lors, et que le consentement qui est autorisé du vôtre, et dont vous êtes l’auteur doit prévaloir à celui qui n’est mien que par malheur et duquel l’instigateur et premier moteur est l’ennemi de votre gloire et de mon salut. »

Seconde protestation.

« Les âmes bienheureuses qui voient votre face, non seulement ne peuvent pécher, mais elles sont nécessitées à vous aimer, et à ne cesser jamais en ce noble exercice, et néanmoins elles ne laissent d’avoir leur libre volonté, tant il est vrai que vos œuvres ne se [26] détruisent point l’une l’autre, et que la grâce et la gloire ne gâtent pas, ains260 perfectionnent la nature.

2. Et si pouvoir faillir est l’une des appartenances de ma présente condition serve et esclave du péché, n’est-ce pas assez que je l’aie commis ingrat et misérable que je suis tant de fois, sans qu’il faille toujours faire preuve de ma misère au préjudice de votre honneur et gloire ? Hélas ! Mieux serait pour moi de n’être plus que d’être comme je suis et continuer de vous donner tant de peine.

3. L’amour de moi-même me rend ennemi de moi-même, et fait qu’en me cherchant je me perds, et en me trouvant je m’égare. Je renonce donc à telle amitié et la déteste avec autant de haine, et tout autant de force que je me suis aimé jusqu’à maintenant et que je pourrai ci-après, par mes mauvaises habitudes, aimer et rechercher moi-même.

4. Allouez, mon Dieu, cette déclaration de volonté et recevez en votre jugement et sur le compte que vous tenez de mes actions, paroles et pensées, telles affections comme autant d’afflictions, [26v] telles inclinations comme autant d’aliénations, telles recherches comme autant de fautes, et tels tacites consentements comme autant d’expresses résistances.

5. Mais d’autant, ô vérité suprême, que vous ne pouvez juger des choses, ni les prendre ici autrement qu’elles sont, et que si je me recherche, il faut que vous le connaissiez : je veux qu’il [en] soit ainsi, mais à condition, mon Dieu et non autrement, que vous regardiez désormais comme chose vôtre, et que vous m’imputiez l’amour de moi-même comme une affection portée et exercée à l’endroit d’une chose qui est purement vôtre. Ainsi le fils acquiert à son père tout ce qu’il acquiert, pendant qu’il est sous sa puissance. Ainsi l’esclave acquiert au profit de son maître tout ce qu’il peut acquérir durant sa servitude.

6. Désormais donc tout le soin que j’aurai de me vêtir, nourrir et entretenir ; toutes les affections, réflexions, tours et retours que j’aurai en moi, de moi et sur moi-même, toutes les forces, toutes les joies, toutes les craintes, toutes les tristesses, toutes les complaisances expresses et interprétées, bref, tout l’attirail de ma passagère vanité et du soin de moi-même, [27] tout cela mon Dieu, dorénavant sera affecté, s’il vous plaît, à la manutention et conservation de chose qui est vôtre, ni plus ni moins que je l’exercerais à l’endroit d’un pauvre de l’hôpital ou de quelque autre créature, dont le soin et la conduite prise avec cette diligence et charité vous seraient très agréables. Allouez-le, ô mon Dieu ! Recevez-le, ô mon Père, ô Seigneur débonnaire, par les mérites de Celui de qui les actions, paroles et pensées ne forligneront261 jamais de Votre volonté. Il a vécu pour moi, Il est mort pour moi : ainsi je mourrai à moi et je vivrai en Lui, et ma vie cachée en Lui paraîtra devant vous comme Sienne, et tout le soin que j’en aurai ne sera plus comme de chose mienne, et s’il m’est imputé, ce sera, ô l’unique de mon âme, comme de chose vôtre. Et quel autre moyen, Dieu de mon âme, y aurait-il, de couper cet hydre très horrible de l’amour de moi-même, attendu sa malicieuse ressource.

7. J’atteste donc et proteste derechef, devant le ciel et la terre, les anges et [27v] les hommes, que je ne veux plus vous offenser, ô Dieu ! Dieu de mon âme et seul propriétaire de mon cœur. Que si par fragilité je retombe, hélas ! mon doux Seigneur, ne l’imputez point à votre pauvre créature, car j’y renonce et y résiste comme à une surprise maudite. Et au contraire avec toute l’étendue, force et plénitude de mon consentement, je vous offre mes paroles, mes pensées, mes actions, ma vie, ma mort, le temps et l’éternité : et ce par Jésus-Christ qui est votre cher Fils et notre Frère, auquel avec vous et le bienheureux Saint-Esprit, soit à jamais honneur, louange et gloire. Ainsi soit-il. »

C’est la prière que le R. P. Coton, qui était un saint homme, faisait pour lui-même et qu’il a rendue publique et mise entre les mains des fidèles, afin que chacun la puisse faire pour soi-même.

C’est ce que la sœur Marie fit durant près de deux ans tous les jours devant le très Saint-Sacrement avec une très fervente dévotion. [28] Ensuite de quoi, elle vit la divine Volonté, par une vision non pas corporelle ou imaginaire, mais purement intellectuelle. Car elle la vit, non point sous une forme, figure ou image, mais comme une vérité présente (ce sont ses propres termes) et avec une si grande certitude et clarté que ce que nous voyons des yeux corporels ne nous paraît pas si clairement, et qu’il lui était impossible de douter que ce ne fut la très adorable volonté de Dieu, laquelle lui parla en cette façon :

« Vous demandez à Dieu qu’Il vous ôte votre liberté, et qu’Il prenne votre volonté, et qu’Il vous donne la Sienne, afin que vous n’en ayez plus d’autre, et avec cela vous désirez communier souvent ? Mais si on vous ôte votre volonté et que l’on mette celle de Dieu en la place, vous ne feriez plus rien de ce que vous voulez ! Vous ne communieriez pas quand vous le souhaiteriez, et même je pourrais bien vous ôter tout à fait la sainte communion. C’est pourquoi, pensez bien à ce que vous demandez ! La sainte communion est le grand chemin royal du paradis, par lequel tous les saints [28v] ont marché, et celui dans lequel vous désirez entrer est très difficile et très pénible : regardez donc ce que vous avez à faire ! »

Là-dessus, elle commença à raisonner ainsi en soi-même :

« La divine volonté est Dieu. La sainte communion est aussi Dieu ! Mais quand je communierais tous les jours, je puis encore pécher avec cela, et si ma propre volonté est anéantie et que celle de Dieu me soit donnée en la place, je ne l’offenserai plus, car il n’y a que ma propre volonté qui puisse faire le péché. C’est pourquoi je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me donne à la très adorable volonté de mon Dieu, afin qu’elle me possède si parfaitement que je ne l’offense jamais. »

Après cela arriva la fête de la Conception de la bienheureuse Vierge en laquelle elle sentit un désir extraordinaire de communier et elle communia en effet. Mais ensuite il lui fut impossible de communier sacramentellement : elle communiait néanmoins spirituellement, et elle recevait et ressentait en soi tous les effets et tous les fruits de la sainte communion, [29] tout de même qu’elle faisait lorsqu’elle communiait sacramentellement, à savoir, un très ardent et très pur amour de Dieu, un désir presque infini de suivre en tout et partout sa très adorable Volonté, une très grande charité pour le prochain, un amour tendre et sensible pour tous ceux dont elle avait quelque déplaisir, un zèle dévorant pour le salut des âmes, une affection incompréhensible pour les souffrants, un extrême mépris de soi-même, une horreur inconcevable du péché, une haine irréconciliable contre l’honneur et un détachement entier de toute chose.

Un an s’écoula pendant lequel elle ne put communier qu’en cette façon, parce qu’elle ne faisait pas ce qu’elle voulait ; la divine Volonté ayant pris possession d’elle. Elle n’était pas encore néanmoins confirmée en cet état, de sorte qu’il lui était encore libre d’en sortir, car Dieu lui voulut donner cette année pour choisir et pour délibérer ce qu’elle avait à faire sur cet échange qu’elle désirait [29v] qui se fit de sa volonté avec la sienne.

Cette année étant expirée, la divine Volonté lui parut derechef en la même manière que la première fois, qui lui parla ainsi :

« Voici l’heure qu’il faut définir et arrêter ce que vous avez tant demandé, à savoir que l’on vous ôte votre volonté pour vous donner celle de Dieu. Considérez bien ce que vous avez à faire ! Car c’est un contrat qui se va passer ! Avant qu’il soit fait, vous êtes libre de faire ce que vous voudrez, mais quand il sera passé, vous n’aurez plus de liberté, vous ne pourrez ni dire, ni penser, ni vouloir que ce qu’il Me plaira. Si je veux, je vous ôterai la sainte communion et vous ferai marcher par un chemin épouvantable. Le chemin de la sainte communion est tout couvert de fleurs et de roses, tout plein de grâce et de bénédiction et de consolations divines, mais je vous mènerai par un chemin tout rempli d’épines, de croix et de souffrances : je pourrais même bien vous faire aller servir les diables en enfer. »

« Enfin, dit la sœur Marie, la divine Volonté me fit voir tant de peines, tant d’angoisses, tant de douleurs, tant de tourments si effroyables [30] qu’il me faudrait endurer dans le chemin par lequel elle me conduirait, si je la choisissais, que je fus saisie d’une telle frayeur que tout le corps me tremblait d’une façon extraordinaire, ce qui n’empêcha point pourtant que je ne fisse ma réponse en cette sorte : “Je n’ai qu’une chose à dire, qui est que je hais tant le péché que je suis prête de souffrir autant d’enfer que Dieu en peut faire s’il en est besoin, afin qu’il n’ait jamais de part en moi. Pour cet effet, connaissant qu’il n’y a que ma volonté qui le puisse produire, je la renonce de toutes mes forces, et quoi qu’il puisse m’en arriver, je choisis la très adorable volonté de Dieu, et me donne à elle autant que je puis, afin qu’elle établisse son règne en moi si parfaitement que le péché n’y entre jamais. Je me réserve seulement une seule chose, qui est d’obéir en tout ce qui me sera possible à l’Église et que si j’y manque en quelque chose, il n’y aura que l’impossibilité qui m’y puisse forcer, car je ferai toujours de ma part tout ce qui sera en ma puissance pour suivre tous ses ordres.” » [30v]

Chapitre 10. Des choses qui se sont ensuivies du susdit262 échange, dont la première est qu’elle est privée de sa liberté.

Du susdit échange plusieurs choses considérables se sont ensuivies entre lesquelles j’en remarquerai ces deux principales. La première est que depuis cela, c’est-à-dire que depuis environ quarante ans, elle n’a eu aucune liberté ni en son extérieur, ni en son intérieur : car pour l’extérieur elle ne peut pas, ni prier quand elle veut, ni pour qui elle veut, ni aussi longtemps qu’elle voudrait, ni dire les prières qu’elle souhaiterait ; et il en va de même de son boire et de son manger, de son vêtir, de son lever, de son coucher, d’aller, de venir et ainsi du reste, la divine Volonté lui réglant toutes ces choses, et n’étant pas en son pouvoir de remuer le pied, la main ou la langue pour faire ou dire autrement que ce qu’elle lui ordonne. Et de cela il y a un exemple semblable en sainte Catherine de Gênes, car il est rapporté au livre I de ses Dialogues, chapitre 13, que Dieu la réglait au boire, au [31] manger et en toutes choses.

Mais ce qui regarde l’intérieur est bien plus admirable, car elle est tellement privée de la liberté d’user des puissances de son âme qu’elle ne peut pas ni se souvenir de ce qu’elle voudrait, selon la volonté des sens, ni penser, ni vouloir aucune chose pour bonne et pour sainte qu’elle puisse être, sinon quand la divine Volonté le veut et l’y applique. Par exemple quelquefois quand elle veut penser à la Passion de Notre Seigneur il n’est pas en son pouvoir de le faire :

« J’en suis empêchée, dit-elle, comme une personne qui voudrait entrer dans une chambre, et à qui on dirait : “Retirez-vous”, lui fermant la porte quand et quand. Et d’autres fois quand je suis dans l’extrémité de mes angoisses, et que j’ai plus besoin de consolation qu’à l’ordinaire, on ouvre la porte et on me dit : “Venez, venez ici.” Alors j’entre librement, et il m’est permis de penser à quelque mystère de la Passion, mais peu de temps, car j’y aurais de la consolation et il faut que je souffre. On ne me permet cela que dans ma grande et quasi extrême nécessité, puis on me fait sortir, et on me ferme la porte, m’ôtant le [31v] pouvoir d’y penser davantage. »

Ainsi, quand elle veut penser à la divine Justice qu’elle aime extrêmement, ou à quelque autre des divins attributs, ou à quelque autre mystère, ou vérité chrétienne, il ne lui est pas possible de le faire, sinon quand elle y est appliquée par la divine Volonté. Dans les craintes où elle est d’être trompée et dans le désir extrême qu’elle a de connaître la vérité, elle a prié cent et cent fois Notre Seigneur avec abondance de larmes, de lui permettre de prononcer une fois seulement en esprit son saint nom de Jésus, c’est-à-dire de former une pensée de ce saint nom, en témoignage que les choses qui se passent en elle sont fausses en tout ou en partie, et que si Il lui donne cette permission elle croira comme un article de foi que ce sont toutes tromperies, et jamais il ne lui a été possible de le prononcer ni de cœur, ni de bouche pour ce sujet, c’est-à-dire d’y penser à cette intention. Mais pour témoigner que tout est de Dieu, il lui est toujours permis de le prononcer et d’esprit et de cœur tant qu’elle veut.

Il en va tout de même de la volonté comme de [32] l’esprit et de la mémoire. Par exemple, quoiqu’elle ait un amour indicible pour le très Saint Sacrement néanmoins depuis trente-trois ans ou environ qu’elle n’a pu communier, il n’était pas en son pouvoir de le vouloir.

Elle ne laissait pas de faire à l’extérieur tous les efforts pour s’y disposer, afin d’obéir à l’Église, mais d’en former un seul acte de la volonté à cette intention, il ne lui a pas été possible ; et lorsque le temps s’est approché auquel Dieu voulait qu’elle communiât, elle en a eu une très forte volonté et un très grand désir quelque temps auparavant.

Pour ce qui touche la mémoire, j’en ai vu l’expérience plusieurs fois, spécialement au temps de la première mission qui se fit à Coutances. Ce fut lors qu’elle fut obligée et comme forcée de me dire quantité de choses que j’ai écrit, parce qu’elles sont pleines d’instructions très saintes et très utiles, à raison de quoi Notre Seigneur l’a forcée, s’il faut parler ainsi, de les dire : je dis qu’Il l’a forcée, car elle a toujours eu une très grande répugnance à parler de ces choses et elle n’en a jamais parlé à personne que par contrainte et elle m’a [32v] assuré plusieurs fois que s’il avait été en son possible de ne m’en parler point, qu’elle ne m’en aurait jamais dit mot, et tant s’en faut qu’elle y prenne quelque satisfaction ou complaisance ; qu’au contraire ce lui est un tourment beaucoup plus grand qu’on ne peut dire, ainsi qu’il paraît visiblement en son visage et ses larmes, et en ses plaintes. Or, afin de l’entendre je la voyais une ou deux heures tous les jours, et Dieu lui mettait autant de ces choses en la mémoire qu’elle m’en pouvait dire, tantôt plus tantôt moins, selon la mesure du temps que je pouvais y employer raisonnablement sans préjudice des exercices de la mission263. Et cela demeurait en sa mémoire jusqu’à ce qu’elle me l’eût dit, et ce lui était un poids fort pesant et qu’elle supportait avec peine, pour l’obliger de s’en décharger en me le disant. Et lorsqu’elle m’avait dit ce qui lui était mis pour ce jour dans la mémoire, elle n’avait aucun souvenir des autres choses qui s’étaient passées en elle, quoiqu’elles fussent en très grand nombre. Mais le jour suivant [33] on lui en mettait encore une certaine quantité conformément au temps que je pouvais être avec elle et cela se fit quinze jours ou environ264.

Par toutes ces choses, on voit manifestement qu’elle n’a point la liberté d’user des puissances de son âme et qu’elles sont mortes et anéanties en elles-mêmes, n’ayant ni action ni mouvement que par la divine Volonté qui est parfaitement vivante et régnante en elle.

Chapitre 11. De la seconde chose qui s’est ensuivie du sudit échange, qui est la privation de la sainte communion.

La seconde chose qui est procédée de l’échange de la volonté, est que depuis que cela s’est fait, elle a été environ trente-quatre ans sans pouvoir communier, car lorsqu’elle était à la sainte Table et que le prêtre venait à s’approcher d’elle pour lui donner le Saint Sacrement, les malins esprits dont elle était possédée y mettaient empêchement, soit en la faisant tomber par terre, soit en lui détournant la tête [33v] ou par quelque agitation de son corps de sorte que durant ce temps-là, jamais personne, ni évêque ni prêtre ne lui a pu donner la sainte hostie, nonobstant que tous les soins, toutes les diligences et tous les efforts imaginables y aient été employés tant de sa part que de la part de l’Église. De son côté, elle n’a rien omis de tout ce qu’elle pouvait faire pour s’y disposer.

D’un autre côté, on a employé durant un long temps quantité de prières, de jeûnes, d’aumônes, de pèlerinages, d’exorcismes, selon toute la puissance que Dieu donne à son Église sur les démons, afin de lever l’empêchement qu’ils y apportaient. On lui a fait faire un très grand nombre de pèlerinages en plusieurs lieux de dévotion, comme à Saint-Michel et à Notre Dame de la Délivrande, là où on l’a menée une fois tous les ans, près de quinze ans consécutivement, et là on l’exorcisa devant l’image de la Sainte Vierge, et en tous ses voyages elle était toujours accompagnée de plusieurs saints ecclésiastiques, à la conduite desquels elle avait été commise par son évêque et d’un bon nombre d’autres personnes laïques de grande piété tant de l’un que de l’autre sexe265. Et tout cela se faisait avec [34] grande dévotion, tant en allant qu’en revenant et afin d’obtenir de Dieu qu’elle pût communier, si tel était son bon plaisir. De plus pour cette même fin on fit des exorcismes tous les jours l’espace d’un an tout entier devant le Saint-Sacrement avec toutes les meilleures préparations et dispositions qu’on y pouvait apporter, et employant toute l’autorité, la vertu et le pouvoir qu’a l’Église sur les démons pour leur commander de la laisser communier. Mais ils répondaient et affirmaient toujours qu’ils ne pouvaient pas obéir à ce commandement, parce que c’était par l’ordre de Dieu qu’ils l’en empêchaient, et quand on leur en demandait la cause, ils disaient qu’ils n’en avaient pas connaissance et qu’ils n’étaient pas entrés dans les desseins de Dieu.

Mais le quatrième de décembre de l’an 1644, « le Père éternel (lui dit Notre Seigneur) vous regarde comme coupable de tous les crimes de ceux que vous avez plégés266 », et que c’était la cause pour laquelle Il versait sur elle tant de malédictions et avait commandé à toutes les créatures de lui faire souffrir quelque mal pour prendre vengeance des péchés dont elle était chargée, et que c’était l’une des [34v] causes pour lesquelles elle ne communiait pas267. [36]

Livre 2. Les désirs extrêmes qu’elle a eus de souffrir, et tout ce qui concerne l’enfer dans lequel elle a été.

Chapitre 1.

Lorsque Dieu mit dans le cœur de la sœur Marie ces grands désirs d’être entièrement séparée du péché, dont il a été parlé, Il y imprima aussi les désirs de souffrir si puissants et si ardents qu’il n’y a point de paroles qui les puisse exprimer, ni d’esprit humain qui soit capable de les comprendre. Car c’est la conduite ordinaire de la Divine Majesté, quand Il appelle une âme à de grandes souffrances, de lui en donner de grands désirs auparavant. Il a fait passer la sœur Marie ainsi qu’on le verra dans la suite de cette histoire, par des peines inouïes et inconcevables : aussi lui a-t-il donné des désirs de souffrir qui ne sont point imaginables. Si je les déclarais par mes paroles, on croirait que je parlerais [36v] avec hyperbole et exagération, c’est pourquoi j’emploierai ici ses termes mêmes :

« Je suis très assurée, dit-elle avec une grande sincérité, qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse connaître la grandeur et l’étendue des désirs que j’avais de souffrir lorsque je lui demandais la peine d’enfer : ils étaient si ardents que j’en étais toute dévorée et croyais ne pouvoir pas vivre sans souffrir. La pensée seule des souffrances me donnait un contentement incroyable. Si j’avais eu mille paradis, je les aurais donnés pour des souffrances. Je suis bien assurée que tous les bienheureux qui sont au ciel ne peuvent pas plus aimer leur béatitude, et qu’ils ne pourraient pas la désirer davantage s’ils ne la possédaient pas et qu’ils la connussent néanmoins comme ils font, que j’ai aimé les plus horribles tourments et que j’ai désiré de les endurer, tant pour être affranchie de la coulpe du péché, qu’afin de préserver mes frères les hommes des peines éternelles qui leur sont préparées dans l’enfer comme aussi de détruire le péché dans une [37] seule âme : car il n’y a point d’enfer que je ne souffrisse de bon cœur afin d’obtenir de Dieu la contrition pour une seule personne qui serait dans un seul péché mortel. J’ai une connaissance infaillible que ces désirs si véhéments n’étaient pas dans les sens, mais qu’ils étaient gravés dans le plus profond de l’esprit. Les sens ne demandent point à souffrir et ne sont pas capables de semblables désirs, c’est-à-dire de désirs si profonds, si puissants, si fermes, si invariables et de si longue durée. C’était l’esprit qui désirait d’aller en enfer, et qui après l’enfer désirait d’aller dans le mal de douze ans. Je le voyais comme sortant hors de moi-même et disant dans une ardeur extrême qu’il avait de souffrir : Paratum cor meum, Deus, paratum cor meum268. Enfin ces désirs si embrasés que j’étais bien certaine que toutes les puissances humaines et angéliques du ciel et de la terre et de l’enfer n’étaient pas capables de me faire souffrir autant que je le voulais, et qu’il n’y avait que la toute-puissante main de Dieu qui eût ce pouvoir : encore à peine pouvais-je croire que Dieu même pût rassasier la faim et la soif [37v] infinie que j’avais de souffrir. » Ce sont les paroles de sœur Marie.

Il ne faut point s’étonner si ces désirs étaient si ardents et en quelque façon infinis puisqu’ils sortaient de la haine comme infinie qu’elle a contre le péché et de l’amour inconcevable qu’elle porte à Dieu et aux âmes. Voire ils prennent leur origine dans son esprit, c’est-à-dire dans Notre Seigneur Jésus-Christ qui est son esprit ainsi que l’on verra ci-après. C’était Notre Seigneur qui désirait de souffrir et d’accomplir en elle ce qui manque à sa Passion, ainsi que parle saint Paul. Ces désirs de la sœur Marie étaient une extension et une continuation des désirs infinis que le Fils de Dieu avait de pâtir lorsqu’il était sur la terre, dont il a fait connaître quelque chose lorsqu’il a dit : « J’ai été baptisé d’un baptême, c’est-à-dire du baptême de mon sang, et comment est-ce que je suis pressé par les désirs extrêmes que j’en ai. De sorte que la sœur Marie a été conforme à Notre Seigneur dans les désirs infinis qu’Il a eus d’endurer, comme elle Lui a été conforme dans ses douleurs incompréhensibles. De là vient [38] qu’un jour, après lui avoir fait dire plusieurs fois ces paroles : Cupio dissolvi et esse cum Christo269, Il lui fit connaître ensuite le sens et l’intention selon laquelle Il les lui avait fait dire en cette façon : Cupio dissolvi, c’est-à-dire, je désire d’être détaché de toutes les choses créées ; et esse cum Christo, et d’être avec Jésus-Christ souffrant pour souffrir avec Lui comme Il a souffert. Certainement il faut bien dire que la faim que cette véritable épouse de Jésus-Christ souffrant avait de pâtir avec Lui et pour Lui fut merveilleusement grande puisque, comme l’on verra dans la suite de cette histoire, non seulement tous les tourments des damnés ne la rassasiaient point, mais ne firent que l’augmenter. En témoignage de quoi, lorsqu’elle était au milieu des feux dévorant de l’enfer, toutes les furies infernales qui la tourmentaient en diverses manières s’étant présentées à elle pour demander leur congé, ainsi qu’il sera raconté plus amplement en son lieu, et lui ayant déclaré qu’elles avaient ordre de Dieu de s’en aller si elle les voulait congédier, et la laisser libre et affranchie de toutes sortes de peines, elle leur fit cette réponse :

« Puisqu’il est [38v] en mon choix de vous envoyer ou de vous retenir, je vous défends absolument de vous en aller, et vous commande de demeurer ici et d’y faire votre office jusqu’à ce que Celui qui vous a ordonné d’y venir, vous ordonne d’en sortir. »

On reconnaît par là que les souffrances étaient comme son centre et que l’enfer était comme son paradis, tant elle était affamée de souffrir.

« Chargez, chargez, disait-elle, au milieu des plus horribles tourments. Grâce à Dieu, nous en pouvons autant porter que Dieu en peut faire », parce que Celui qui l’a choisie pour lui faire porter des peines en quelque façon infinies et qui avait imprimé en elle des désirs comme infinis de les souffrir, la revêtait et l’animait de Sa force divine qui est infinie. C’est de cette force qu’il est parlé au Cantique des Cantiques : Fortis est ut mors dilectio, dura sicut infernus aemulatio270. C’est ici que l’on peut dire : Aquae multae non potuerunt extinguere charitatem, nec flumina obruent illam271. Toutes les eaux de toutes sortes de tribulations qui sont débordées de tous côtés, du ciel, de la terre, de l’enfer, de la part des hommes, de la part des sorciers, de la part de Dieu même ; [39] toutes les peines infernales, tous les supplices du mal de douze ans, tous les flots de l’Ire de Dieu dans son débordement, et tous les ennuis, douleurs, angoisses et les tourments presque innombrables de soixante et six ans n’ont point été capables d’éteindre la soif très ardente de souffrir, que l’amour et la charité ont allumée dans cette âme ; l’amour, dis-je, qu’elle a pour Dieu et la charité qu’elle a pour les âmes. Car encore que ces désirs si véhéments de pâtir ne soient point toujours actuels en elle, ils y sont pourtant toujours habituellement et radicalement, quand Dieu ne la fait pas tant souffrir, et qu’Il lui donne un peu de relâche et de trêve, ils ne paraissent pas et sont comme endormis : mais lorsqu’Il la veut préparer à quelque nouvelle affliction Il les réveille et les enflamme plus ou moins, à proportion du mal qu’elle doit souffrir.

Chapitre 2. Elle désire ardemment et demande avec instance les tourments de l’enfer afin d’en garantir les sorciers : elle y descend et y est condamnée à souffrir les supplices qu’ils méritent.

[39v] La sœur Marie ayant connu par une expérience de cinq ans quelle est la malignité des sortilèges, quels sont leurs effets véritables, et quel est le péril où se rencontrent les personnes qui en sont atteintes, et sachant qu’il y avait plusieurs filles dans la paroisse dont elle était qui se perdaient par ce moyen diabolique, touchée de compassion et poussée par une charité incomparable, elle pria instamment Notre Seigneur qu’Il fît en sorte que les maléfices que les sorciers devaient jeter sur d’autres filles, tombassent sur elle, afin de les en préserver.

« Parce que, disait-elle, me voici entre les mains de l’Église qui m’en délivre par le moyen des exorcismes et des prières qu’elle fait pour moi. »

Deux mois ou environ après cette prière, un jour qu’elle ne se souvenait plus de l’avoir faite, Notre Seigneur lui parla en cette façon :

« Voici bien des gens qui vous apportent des présents et qui s’appauvrissent pour vous enrichir.

— Je n’ai que faire de leur présent, dit-elle, ni de leurs richesses ; Vous m’êtes suffisant. Je ne veux rien que vous : mais prenez-les, Vous, les présents en paiement [40] de ce qu’ils Vous doivent.

— Ce n’est pas paiement que cela, dit Notre Seigneur, ils ont mérité des peines éternelles. »

Et en disant cela, Il lui fit connaître que ces gens étaient des sorciers qui venaient à elle pour lui jeter des sortilèges et qui s’appauvrissaient par les péchés qu’ils commettaient pour l’enrichir par les souffrances qu’ils lui faisaient porter. Alors tout embrasée du feu céleste de cet amour divin qui est fort comme la mort et inexorable comme l’enfer, elle dit à Notre Seigneur :

« Ils ont mérité, dites-vous, des peines éternelles ; je m’offre à vous pour les souffrir en temps afin qu’ils en soient délivrés pour l’éternité.

– Mais ils ont mérité l’Ire de Dieu, ajouta Notre Seigneur.

– Je la porterai bien aussi, répartit-elle, et mille enfers, s’il en est besoin afin que vous leur fassiez miséricorde.

– Oh ! Tu ne sais ce que tu demandes, dit le Fils de Dieu.

– Pardonnez-moi, répondit-elle ; je sais bien ce que je demande, je demande mes frères qui se perdent. J’ai une connaissance certaine que Vous cherchez quelqu’un qui veuille souffrir pour eux les peines d’enfer et l’Ire de Dieu, afin de leur donner l’éternité – car je voyais tous les jours l’Amour divin qui cherchait [40v] quelqu’un pour cela. Me voilà ! prenez-moi ! »

Mais d’abord Notre Seigneur la rebutait comme en la méprisant, mais tant plus Il la méprisait tant plus elle s’offrait à Lui et Le priait avec plus de ferveur de l’accepter :

« Oh ! disait-elle, si vous saviez le très grand désir que j’ai de souffrir, vous ne diriez pas que je ne sais ce que je demande. Je crains bien que vous n’ayez pas assez de tourments à me donner. »

En ce temps-là, étant un jour dans la chapelle de l’évêché, elle vit en esprit les bons anges des sorciers et elle les entendait pleurant et disant : « C’est grand pitié de voir tant d’âmes qui se perdent : il faudrait dire à leur intention les sept Psaumes pénitentiaux. » Elle sut peu après que par les sept Psaumes, il fallait entendre les peines d’enfer qu’elle devait souffrir. Ensuite de cela, elle continua environ deux ans à prier Dieu avec toutes les instances possibles, qu’Il lui fit souffrir les peines d’enfer, afin d’en préserver les sorciers et pour obtenir ce qu’elle demandait, elle suppliait les saints de prier avec elle et faisait d’étranges pénitences [41] : le tout pourtant, par l’ordre de la divine Volonté, quittant entièrement les linges, se ceignant d’une ceinture de crin, portant un cilice, ne mangeant que du pain et ne buvant que de l’eau.

Un jour qu’elle priait avec une grande ferveur pour impétrer de Dieu la grâce susdite touchant les peines de l’enfer, une flamme de feu descendit du ciel sur sa tête en signe qu’elle était exaucée : ce qui fut aperçu par deux hommes dignes de foi272 qui étaient présents et qui l’ont ainsi attesté. Ensuite de quoi elle sentit son cœur embrasé d’un désir très véhément de souffrir les peines susdites.

Sur la fin de ses deux ans273, elle fut huit jours dans de grandes consolations, ensuite de quoi, un jour, comme elle mangeait son petit morceau de pain au retour d’un petit pèlerinage qu’elle venait de faire, lassée de fatigue qu’elle était selon les sens, elle commença à dire en soi-même : « Encore s’il m’était permis d’avoir quelque petit rafraîchissement avec mon pain. »

Elle entendit une voix qui lui dit en esprit d’un ton et d’un accent terribles : « Ce n’est pas tout, il faut bien passer outre, il faut mourir [41v] aujourd’hui et descendre en enfer. » Ce qui l’épouvanta étrangement, car alors il ne lui souvenait point du tout ce qu’elle avait demandé à Dieu sur ce sujet.

Elle dit ce qu’elle avait entendu aux ecclésiastiques qui avaient soin d’elle et qui étaient présents, lesquels la voulaient consoler, lui disant que cela ne serait pas : « Si, dit-elle, cela sera : il faut mourir et descendre en enfer, car cela m’a été dit si fortement et en une manière si certaine, que je n’en puis douter. Mais pourtant aidez-moi à prier Dieu qu’Il me donne quelque temps pour faire pénitence. » En disant cela, elle souffrait les angoisses d’une âme qui va être damnée : tout cela dura bien trois heures ou environ. Là-dessus, ils se mettent en prières et elle aussi.

À la fin de la prière, il lui sembla qu’on lui tirait un rideau noir et obscur qui cachait celui qui lui avait prononcé cette horrible sentence, qui était Notre Seigneur, lequel lui dit d’une voix aussi douce et aimable comme la précédente était épouvantable : « Allez, c’est moi qui vous y envoie ! » À cette parole la voilà [42] remplie d’un courage et d’une force si grande qu’il lui semblait qu’elle était capable de porter les tourments de mille enfers. En même temps, elle se trouva d’esprit en enfer, où elle vit les tourments effroyables des damnés et entendit leurs cris et leurs blasphèmes. Néanmoins les trois premiers jours elle ne souffrait rien, mais elle allait et venait en esprit de la terre en enfer et de l’enfer sur la terre, et étant en enfer elle entendit les damnés qui disaient entre eux : « Qui est cette âme qui vient en enfer, et qui en sort aussi ? Nous n’avions jamais vu rien de semblable. » Et là-dessus ils vomissaient mille malédictions contre elle.

Au bout de trois jours, les diables s’assemblèrent en enfer et amenèrent au milieu d’eux une monstrueuse bête d’une grandeur énorme et d’une laideur épouvantable qu’ils tirèrent du fond de l’abîme. Elle fut présentée devant ce monstre et les démons commencèrent à l’accuser de tous les crimes des sorciers. Cependant elle ne faisait autre chose que de dire : « Dieu véritable, vous savez qu’ils ne disent pas vrai et que je n’ai rien fait de tout [42v] cela. » Nonobstant les esprits malins insistent à l’accuser et dire qu’on la leur bâille pour prendre sur elle la satisfaction et le paiement des peines dues à tous ces crimes, si bien qu’elle fut condamnée par cette horrible bête à souffrir tous les tourments que méritent tous les forfaits dont on l’accusait.

Cette sentence ayant été prononcée, voilà qu’elle commença à souffrir premièrement en son esprit et peu après en son corps l’Ire de Dieu et toutes les peines de l’enfer qu’elle désirait en cette façon.

Chapitre 3. Les peines de l’esprit. L’Ire de Dieu.

La première peine qu’elle souffrit en son esprit, ce fut l’Ire de Dieu qu’elle assure être le plus grand supplice de l’enfer, et que tous les autres quoique très terribles sont néanmoins si légers en comparaison de celui-là que les damnés voudraient souffrir dix mille feux tels qu’est celui de l’enfer pour être délivrés du tourment de l’Ire de Dieu, lequel consiste en ce qu’ils voient Dieu tout embrasé d’Ire et de colère contre eux. [43] Tant plus ils sont damnés, tant plus ils voient Dieu ainsi irrité et courroucé contre eux, ce qui leur cause un supplice inexplicable, et dont la grandeur est autant incompréhensible que celle de l’Ire d’un Dieu. Les saints voient Dieu et sont en Dieu comme dans un feu d’amour et de charité qui les pénètre, les anime et les enivre du torrent de ses délices inénarrables. Les bienheureux voyant en Dieu comme dans un miroir immense toutes les créatures qui contribuent toutes à leur félicité, les damnés voient aussi en Dieu comme dans un miroir toutes les choses créées qui sont toutes en fureur contre eux. C’est ainsi que la sœur Marie les voyait : elle voyait la Sainte Vierge qui avait plus d’indignation contre elle que tous les anges et les saints ensemble. Elle voyait les plus grands saints du ciel sans les discerner pourtant qui étaient plus animés de colère contre elle que tous ceux qui étaient au-dessous d’eux, et ainsi des autres bienheureux. Parmi ceux de la terre, elle voyait que ceux qui avaient beaucoup de grâces la haïssaient beaucoup et que ceux qui la haïssaient peu en avaient peu. Elle en voyait quantité qui ne faisaient que la regarder un [43v] peu de travers, et de ceux-là elle ne s’en souciait pas beaucoup parce qu’ils ne lui faisaient point grand mal, et c’étaient ceux qui étaient en la grâce de Dieu, mais en un degré fort bas et proche de la chute. Elle voyait aussi toutes les autres créatures, l’air, le feu, l’eau, la terre, les pierres et toutes les autres choses sensibles et insensibles, animées et inanimées, qui étaient en fureur contre elle, et qui ne faisaient qu’attendre l’ordre de Dieu pour exercer sur elle les vengeances de son Ire.

« Je voyais, dit-elle, la terre qui regardait fixement la divine Volonté, comme lui demandant si elle avait agréable qu’elle s’ouvrît pour m’abîmer. Je voyais la mer qui la regardait aussi et qui lui demandait si elle avait agréable qu’elle se divisât en autant de parties qu’elle a de gouttes d’eau, afin que chacun pût exercer sur moi un tourment particulier. Je voyais toutes les autres créatures qui en faisaient de même jusqu’au moindre atome : il n’y en avait pas un, pour petit qu’il fût, qui ne se tint assez fort pour m’écraser et pour me réduire en poudre, si la divine Volonté lui en eût donné l’ordre, afin de venger sur moi les injures faites [44] à son Créateur », c’est-à-dire pour les péchés dont elle s’était chargée.

Elle voyait même dans le pain qu’elle prenait, l’Ire de Dieu, comme une fourmilière de vers qui seraient dans une pièce de bœuf pourrie. À raison de quoi, ce qu’elle mangeait pendant qu’elle était en enfer, et plusieurs années après, lui causait de grandes douleurs.

« Tous ceux qui sont en enfer, dit-elle, sont aussi animés de l’Ire de Dieu les uns contre les autres, de sorte qu’ils sont remplis d’une haine et d’une fureur implacables qui les rend bourreaux les uns aux autres et qui les porte à se maudire continuellement, à se déchirer et à se torturer les uns les autres.

« Cette même ire de Dieu les anime contre eux-mêmes : elle anime les sens contre l’esprit et l’esprit contre les sens ; ce qui les rend furieux et enragés contre eux-mêmes et fait qu’ils se haïssent, de telle sorte qu’ils sont insupportables à eux-mêmes et qu’ils s’écraseraient et s’anéantiraient s’il était en leur pouvoir.

« Les misérables damnés sont toujours vivants et immortels. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils sont vivants, parce qu’ils sont davantage [44v] animés de l’Ire de Dieu qui est l’âme des damnés. Elle les anime et vivifie de telle sorte qu’il me semblait que quand on aurait coupé et haché toutes les parties de mon corps aussi menu que sont les grains de sable de la mer, je ne serais point morte pour cela, mais que chaque partie aurait été aussi pleine de vie comme le tout ensemble. Si une piqûre d’épingle, dit encore la sœur Marie, était de la nature des peurs d’enfer, elle causerait un mal plus grand que ne seraient tous les maux et tous les tourments que tous les hommes et tous les diables pourraient faire souffrir en ce monde, quand ils emploieraient toute l’étendue de leur fureur et de leur force. La raison est parce que cette piqûre d’épingle serait animée de l’Ire de Dieu ; or l’Ire de Dieu surpasse infiniment toutes les colères et fureurs de tous les hommes et tous les diables, de sorte que, comme la moindre joie du ciel surpasse incomparablement tous les contentements de ce monde ainsi la plus petite peine de l’enfer surpasse tous les supplices de cette vie. [45]

« Enfin, si un damné paraissait sur la terre, dit-elle encore, et qu’on lui dit : “Vous voilà bien malade et bien affligé, mais savez-vous bien le mal que vous souffrez ? Quel est-il ?”, il répondrait : “Je ne le sais point, je ne le puis dire, car pour le bien connaître et pour l’expliquer, il faudrait pouvoir comprendre ce que c’est que l’Ire de Dieu : Quis novit potestatem irae tuae et prae timore tuo iram tuam dinumerare274 ?”. »

Peu de temps après qu’elle fut entrée dans ces supplices, elle vit son esprit qui sortit de l’enfer, en étant revêtu d’une force divine qui lui fut donnée, s’en alla par tout le monde mettre à mort un nombre infini d’ordes bêtes275 qui représentaient les péchés mortels. Puis il revint en son corps à qui il communiqua ses peines. Et ce fut alors que le corps commença à souffrir.

Le plus grand supplice qu’elle souffrait après l’Ire de Dieu, était de la vue qu’elle avait de l’état horrible de son esprit. Elle le voyait si effroyable que ce lui était un tourment indicible de se voir unie avec un monstre si hideux. Elle assure qu’elle eût beaucoup mieux aimé être animée du plus horrible [45v] de tous les démons : parce que le plus affreux de tous l’était beaucoup moins que son esprit à cause de tous les crimes dont il s’était chargé et qu’il avait en quelque sorte rendus siens. De là procédaient mille reproches qu’elle faisait lui disant : « C’est toi qui es cause que nous sommes ici ! » Mais elle [le] voyait quelquefois levant un voile dont sa face était couverte, et lui disait avec un visage gai et content et qui était fort beau : « Nous sommes ici, mais c’est Dieu qui nous y a mis. » Alors elle demeurait satisfaite pendant que cette vue durait, mais elle passait bientôt.

Voici une autre peine de l’esprit, laquelle il communiquait aux sens, qui est épouvantable : c’est le désespoir, qui provient, dit la sœur Marie, de ce que les damnés voient que Dieu est éternel et que son Ire demeurera éternellement sur eux et que tous leurs autres tourments dureront autant qu’il sera Dieu et par conséquent qu’ils ne finiront jamais. C’est ce qui les fait désespérer et enrager au dernier point. [46]

Le désespoir, dit-elle, est le roi de l’enfer, parce qu’il règne sur tous les damnés et que c’est en quelque façon le plus grand de tous les supplices de l’enfer, parce que c’est comme un résultat, un composé et un consommé de tous les autres. C’est le père et la source de tous les blasphèmes de l’enfer. Elle le voyait en esprit sous la figure d’un lion enragé qui la tenait toujours enchaînée par le col avec une chaîne de fer, et de fois à autre, il entrait dedans elle par la bouche. C’est pourquoi elle s’adressait à Dieu promptement, lui protestait qu’elle renonçait de tout cœur à tout ce que la langue allait proférer et le suppliait très instamment de la garder de rien dire en quoi Il fut offensé et de faire en sorte qu’on lui arrachât plutôt la langue de la bouche que de permettre qu’elle [ne] proférât aucune parole qui lui déplût. Sitôt que ce monstre était entré en elle, il proférait par sa bouche plusieurs blasphèmes, mais elle n’y avait aucune part puisque c’était malgré elle et contre sa volonté. Et cela ne se faisait jamais devant personne qui en put être scandalisé, de sorte que s’il [46v] entrait un enfant seulement au lieu où elle était, tout cela cessait. Car ce qui est bien remarquable dans toutes les choses étranges qui se sont passées en elle, soit dans l’enfer, soit dans le mal de douze ans ou dans les autres maux, jamais Dieu n’a permis qu’il [ne] se soit dit ou fait aucune chose capable de scandaliser qui que ce soit. Voilà les peines que l’esprit souffrait dans l’enfer.

Chapitre 4. Les peines des sens.

La première et la plus grande des peines qu’elle souffrait en ses sens, c’était celle du feu, duquel elle assure qu’il était si ardent que le feu de ce monde-ci n’est que rosée et rafraîchissement en comparaison. Elle sentait en son cœur une fournaise de feu si embrasée qu’elle disait en soi-même : « D’où vient que ce feu ne me consume point ? » Mais on lui dit qu’il n’était point consumant et que s’il l’était, il réduirait en un moment les plus hautes montagnes en cendres.

Le tourment du feu était suivi de celui de l’eau, dans laquelle on la jetait, mais c’est une eau qui est si extrêmement froide [47] que les glaces les plus froides de la terre sont du feu en comparaison. Puis ayant été quelque temps dans cette eau, on la remettait dans le feu et du feu dans l’eau et ainsi successivement.

Sitôt qu’elle fut en enfer, elle vit venir à soi plusieurs furies infernales qui entrèrent en elle et qui en prirent possession :

1. Le désespoir dont il a été parlé.

2. La faim, car elle commença à souffrir une faim si horrible qu’il lui semblait que si toute la terre eût été convertie en un pain et qu’on lui eût permis de le manger, cela n’eût pas été suffisant à la rassasier. Les diables lui faisaient manger des bêtes qui représentaient les péchés pour lesquelles elle souffrait.

3. La soif extrême qu’elle endurait était si ardente qu’il lui semblait que toutes les eaux de toutes les fontaines, des rivières et de la mer n’eussent pas été capables de l’éteindre et qu’elle eût été bienheureuse si on lui eût permis d’avaler un peu de boue dans laquelle les pourceaux se vautraient. Et cependant, durant tout le temps qu’elle fut en enfer (cela dura plus de deux ans) [47v] il ne lui fut point permis de boire du tout, mais seulement de manger chaque jour trois quarterons276 de pain qu’elle trempait dans l’eau et après qu’il s’était un peu amolli, elle le pressait entre ses mains pour en faire sortir l’eau. Il lui arriva une fois de prendre un peu d’eau dans le creux de sa main et d’en avaler quelques gouttes, mais pendant que cette eau fut dans son estomac, elle lui causa des tourments indicibles et enfin elle la rejeta par la bouche en forme de toile d’araignée et qui parut ainsi aux yeux de ceux qui étaient présents.

4. Son odorat intérieur et extérieur souffrait la peine d’une puanteur insupportable, procédant de tous les péchés des diables et des damnés, lesquels dit-elle, sont autant de charognes très puantes.

5. Elle ne voyait en esprit que des monstres horribles et des ombres noires et affreuses.

6. Elle dit qu’une des plus grandes peine des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur semblent des siècles.

Dans toutes ces peines, elle ne se souvenait [48] pas de la demande qu’elle avait faite à Dieu de souffrir les peines de l’enfer, mais elle croyait effectivement être perdue pour jamais, sinon dans quelques intervalles qu’on lui donnait quelquefois pendant lesquels elle voyait bien qu’elle ne l’était pas, mais cela durait fort peu de temps.

Ses tourments ne paraissaient pas beaucoup à l’extérieur. Dieu voulut néanmoins qu’il en parût un jour quelque chose, mais cela dura fort peu, car c’était une chose si horrible et si effroyable que personne ne l’eût pu souffrir, si elle eût duré plus longtemps. Les démons déclaraient les maux qu’elle souffrait, disant qu’elle était aussi malade qu’eux et qu’ils n’eussent jamais pensé qu’une personne vivant encore sur la terre eût été capable de porter les tourments de l’enfer.

Enfin elle assure que tout ce qu’elle peut dire sur ce sujet n’est rien en comparaison de ce qu’elle a vu et expérimenté. [48v]

Chapitre 5. De plusieurs autres choses qui lui arrivèrent pendant qu’elle était en enfer.

Durant tout ce temps-là, elle était pendant le jour avec les deux honnêtes ecclésiastiques en la garde desquels elle avait été mise par Mgr de Coutances, et le soir on la menait dans l’évêché où il n’y avait personne du tout, et où elle passait la nuit toute seule. Un soir comme ils l’y conduisaient, elle leur dit qu’elle se tuerait pendant la nuit. Nonobstant cela, ils la recommandèrent à Notre Seigneur et la laissèrent toute seule, dans la connaissance qu’ils avaient qu’elle était en la garde de Dieu. Alors elle se résolut de se tuer. Pour cet effet, elle prend un couteau, étend le bras pour se l’enfoncer dans la poitrine. Mais en même temps le bras, lui demeura raide comme un bâton, la main lui fut ouverte et le couteau tomba par terre.

Là-dessus Dieu lui ouvrant l’esprit pour un peu de temps, elle commença à faire [49] réflexion sur elle et à discourir ainsi à elle-même :

« Qu’est-ce que ceci ? Où suis-je ? Et en quel état ? Sans doute, je ne suis point encore tout à fait perdue et abandonnée de Dieu. Il a encore soin de moi, puisqu’Il m’empêche de me tuer. »

Puis regardant et considérant le lieu où elle était, elle disait aussi :

« Je suis encore au monde, voici une table, un coffre, un lit. Je suis en une chambre, je suis encore en la terre et par conséquent je puis me sauver. »

Ensuite de cela, elle se met à genoux et fait cette prière et vœu à Dieu :

« Mon Dieu, je m’offre à vous pour porter toutes les peines de l’enfer et tous les tourments que vous avez préparés au péché, et fais vœu de les souffrir en temps277 afin que vous en délivriez mes frères dans l’éternité. »

Ayant fait cette prière, Notre Seigneur la prit en sa main comme l’on prendrait une balle et avec une fureur et impétuosité incroyable, la jeta dans le plus profond de l’enfer. Dans cet instant, la vue qu’elle avait d’être encore au monde et l’espérance de se pouvoir sauver lui furent ôtés et elle [49v] s’écria ainsi : « Ah ! C’est maintenant que je suis damnée tout à fait ! » Et alors tous les tourments redoublèrent.

Il ne faut pas s’étonner de cette action qu’elle fit en prenant un couteau pour se tuer ; car outre que cela n’était point volontaire, on peut dire que Dieu le permettait pour donner à connaître l’excès du mal qu’elle souffrait, vu qu’elle était alors dans l’état d’une âme damnée et qu’elle portait en soi les sentiments et inclinations des damnés qui sont pleins de rage contre Dieu et qui sont pleins de fureur contre eux-mêmes : ce qui les porte à désirer la mort et à se la donner s’ils pouvaient.

Que Dieu l’a choisie pour porter les péchés d’autrui : à raison de quoi elle a portée durant l’enfer et durant le mal de douze ans les sentiments et inclinations et toutes sortes de péchés. Or, en cette occasion, elle a porté les sentiments de ceux qui sont dans le désespoir et qui se tuent eux-mêmes.

Dans les intervalles qu’elle avait de fois à autres, durant lesquels elle connaissait bien qu’elle n’était pas damnée, elle suppliait Notre Seigneur [50] que, s’il lui arrivait de lui demander qu’Il la délivrât de ses peines, Il ne l’écoutât point, tant elle désirait souffrir pour Son amour et pour le salut des âmes.

Un jour toutes les furies de l’enfer, c’est-à-dire la faim, la soif, le désespoir, la rage, la mort et tous les autres maux qui la tourmentaient horriblement se présentèrent à elle, et lui dirent que Dieu leur avait commandé de lui demander leur congé, et que si elle voulait les congédier, elles avaient ordre de Lui de se retirer et de la laisser libre et affranchie de toute peine. La soif lui montrait une fontaine qui jetait son eau fort haut et une eau très claire et très belle. La puanteur lui offrait des odeurs très agréables, le désespoir lui présentait l’espérance et ainsi des autres ; et toutes lui disaient qu’elle jouirait désormais de toutes ces choses, si elle voulait leur donner congé. Mais elle leur disait : « Dieu soit loué ! Je croyais que tout fût perdu pour moi, mais à ce que je vois, il me reste encore la liberté de vous renvoyer ou de vous retenir. Je vous défends absolument de vous en aller [50v] et vous commande de demeurer et de faire votre office jusqu’à ce que Celui qui vous a ordonné d’y venir vous ordonne d’en sortir. »

Voici encore une autre chose qui lui arriva durant les peines de l’enfer. Un jour dans un redoublement de ses maux et particulièrement du feu, elle dit qu’il était si enflammé qu’il sortait de son cœur je ne sais combien de coudées de haut. Cherchant quelque remède et quelque rafraîchissement et n’en pouvant trouver, car le vent et l’eau, au lieu de la soulager l’échauffaient davantage, elle pria M. Potier, y étant portée extraordinairement, de lui allumer un bon feu et clair, parce qu’il n’y avait que le feu entre toutes les créatures qui lui donnât quelque rafraîchissement et qui ne lui faisait point ressentir l’Ire de Dieu. M. Potier lui en ayant fait un comme elle le désirait, elle se coucha tout proche et en approcha sa tête et son visage comme en se plaignant à lui de l’état où elle était et en lui demandant quelque soulagement. Elle vit en même temps au milieu de la flamme le visage d’un personnage qui était [51] celui de l’Amour divin, pleurant de compassion qu’Il avait de ses peines et si abondamment que ses larmes faisaient une mer. Alors elle fut grandement soulagée et commença à dire : « Oh ! C’est ainsi qu’il faut avoir compassion de moi, mon mal et mes peines sont si grands qu’il faut une mer de larmes pour les pleurer dignement. » Mais tout aussitôt, voilà venir la Sainte Vierge, laquelle se servant des mains de la sœur Marie dissipa et éparpilla le feu, disant avec colère : « Comment vous vous arrêtez à la consolation et mon Fils est seul à souffrir dans les feux de l’enfer ! » Elle [la Sainte Vierge] voulait dire que puisque Notre Seigneur souffrait en sa personne les peines de l’enfer, elle [la sœur Marie] était indigne de toute consolation. On lui fit connaître pour lors que si tous les hommes du monde fussent morts de compassion de la voir souffrir, cette compassion eut été encore trop petite, mais que les larmes de l’Amour divin qui faisaient une mer, définissaient mieux l’excès de ses douleurs. [51v]

Chapitre 6. Description de l’enfer et comme la sœur Marie en sortit.

Durant tout le temps qu’elle fut en enfer, elle ne vit point de quelle manière il était fait quant à la forme et figure extérieure, mais seulement quand elle en sortit. Et voici comme elle le vit et comme elle le représente :

« Imaginez-vous, dit-elle, un puits extrêmement large et profond, dans lequel il y a de l’eau et du feu. L’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut comme l’eau d’un puits, sans être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est horriblement vilaine, puante et froide extrêmement, et plus que toutes les glaces imaginables.

« Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une muraille qui l’environnât : si bien que représentez-vous une muraille de feu tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusqu’au haut, quantité de sièges ou de places disposées comme sont [52] les trous d’un colombier. » C’est dans ces sièges de feu qu’elle appelle des chaises que sont les damnés, et « les mêmes sièges sont plus ou moins ardents pour chacun d’eux, qu’ils ont plus ou moins commis de péchés. Et après qu’ils ont été quelque temps dans le feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après, ils les rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur à une extrême froideur. Chaque damné demeure dans le siège de feu qui lui est destiné, ceux qui sont plus damnés dans les places plus basses et ceux qui le sont moins en celles qui sont plus hautes. »

Mais la sœur Marie ne demeurait pas toujours en une place, car après avoir été quelque temps en l’une de ces chaises de feu, on la mettait en une autre, et ainsi elle en occupa un très grand nombre les unes après les autres, et les tourments qu’elle souffrait en chaque lieu étaient tous différents, selon la différence des péchés de ceux pour lesquels on les lui faisait souffrir, de sorte qu’elle trouvait le feu plus ardent en quelques places qu’aux autres. [52v] Et il s’en trouvait quelquefois plusieurs tout de suite, où elle souffrait quasi également, et on lui disait que c’était pour des personnes qui étant égales en démérite, avaient mérité un même supplice.

L’enfer est plein de quantité de bêtes venimeuses dont les unes sont plus grosses, les autres plus menues, qui piquent et mordent les damnés pour les punir de leurs péchés véniels, entre lesquels il y en a de plus grands et de plus petits. La justice de Dieu tient un très bel ordre dans les châtiments des damnés, car chacun est puni selon la quantité et qualité de ses péchés. Celui qui n’est coupable que d’un péché mortel ne souffre l’ardeur du feu qu’à proportion de ce seul péché. Celui qui est coupable de dix ou de cents est à proportion plus brûlé et tourmenté par le feu que ce premier. Celui qui n’est coupable que de dix péchés véniels, quoi qu’il soit environné d’une infinité de petites bêtes, il n’y en a que dix à le piquer, mais celui qui est coupable de mille, il en a mille qui le tourmentent de [53] tous côtés.

La sœur Marie demeura dans les peines de l’enfer quant à l’esprit, depuis l’octave de la Saint-Martin de novembre jusqu’au samedi à dix heures du soir de la semaine de Pâques qu’il en sortit et alla se reposer sur le sein de Notre Seigneur278 ; mais son corps y demeura deux ans, non pas qu’il fût localement en enfer qui est au centre de la Terre, mais parce que durant ce temps, elle souffrit cruellement et véritablement en ses sens les peines qui sont décrites ci-dessus, dont les plaies, ainsi qu’elle parle, lui restaient encore deux ans après que son corps fut sorti des peines de l’enfer, ce qui se fit en cette manière en la fête de Saint-Jean l’Evangéliste279. Elle vit Notre Seigneur souffrant en elle. Elle s’adressa à la Sainte Vierge et lui dit : « Ayez pitié de votre fils et le retirez d’ici. » Ensuite de quoi elle fut délivrée ce jour-là de l’enfer et commença à boire et manger comme les autres, et elle se trouva affranchie des tourments qu’elle souffrait.

Depuis que son esprit fut sorti, elle ne souffrait pour lors le tourment de l’Ire de Dieu et de toutes les créatures ni celui qu’elle [53v] endurait de ce même esprit, mais seulement les peines des sens qui ont été décrites. L’esprit fut moins en enfer que le corps, parce que, dit-elle, celui-là est bien plus capable de souffrir beaucoup en peu de temps que celui-ci.

Chapitre 7. Les peines d’enfer lui avaient été prédites et figurées avant qu’elle y entrât.

Quelque temps auparavant qu’elle fut en enfer, Notre Seigneur lui fit voir ce qu’elle y devait souffrir par cette figure qui pourtant ne lui fut point expliquée qu’après qu’elle en fut sortie. Elle se vit entre les mains un vase fort beau et fort net : elle l’offre à Notre Seigneur.

« Gardez-le, lui dit-il.

« – Non, répondit-elle. Il est à moi puisque vous me l’avez donné, mais je ne veux rien garder pour moi ; je vous le donne, prenez-le s’il vous plaît, tandis qu’il est net, de peur qu’il ne se souille. »

Il le prend, et s’en va le montrer à tous les saints, leur disant : « Que vous semble-t-il de ce vase ?

« – Il est fort beau, fort net, disent-ils.

« – Qu’en faut-il faire ?, ajouta Notre Seigneur.

« – Il faudrait le mettre en paradis », [54] répliquent les saints, comme on met les beaux pots sur le buffet d’une chambre pour la parer.

« – J’en ferai ce qu’il Me plaira », dit Notre Seigneur et au même temps, Il fait une fosse dans la terre, le met dedans et le remplit de feu et de soufre, si bien qu’il en sortait une fumée forte puante. La Sainte Vierge ne pouvant souffrir cette puanteur, mets une couverture sur ce vase et ainsi il demeura rempli de feu et de fumée sans qu’il en sortît rien au-dehors.

On lui a donné à entendre que c’est son cœur qui est représenté par ce vase que Dieu a mis dans l’enfer, et que la fumée était les blasphèmes qu’elle proférait étant en enfer, mais la Sainte Vierge mit une couverture sur ce vase pour empêcher cette puanteur. Cependant qu’elle était en enfer, ayant prié cette même Vierge dans une octave de son Assomption, de faire que ses tourments redoublassent, afin que le temps auquel elle devait souffrir fût abrégé, sa prière fut exaucée et elle vit la Sainte Vierge qui s’approcha d’elle et lui passa la main par dessus sa poitrine. Ensuite de quoi elle ne blasphémait plus et ne pouvait plus blasphémer : mais les tourments et les fureurs qu’elle sentait au-dedans étaient beaucoup plus grands, parce qu’elles ne s’évaporaient pas comme auparavant [54v] par les blasphèmes, ce vase dont il est parlé ci-dessus, qui était son cœur, ayant été couvert par la Sainte Vierge.

Chapitre 8. La raison pour laquelle elle ne croit point aux choses qui se passent en elle, c’est la poire d’angoisse qu’on lui a mise en la bouche, c’est-à-dire, les quatre grands maux que le Père, le Fils, le Saint-Esprit et la Sainte Vierge lui ont donnés après l’enfer.

À la même heure que les plaies de l’enfer cessèrent en la sœur Marie, qui fut le dimanche de Quasimodo, elle fut saisie de quatre autres sortes de maux qui sont : rage, furie, désespoir, mort. C’est Notre Seigneur qui les a ainsi nommées, Lequel (comme un jour elle lui demandait quelle était la cause pour laquelle elle ne croyait point aux choses qu’Il lui disait) lui répondit en cette façon :

« Représentez-vous une fille, la plus pauvre et la plus chétive du royaume. Le roi la fait prendre, la fait mettre dans une basse fosse, pieds et poings liés avec une poire d’angoisse à la bouche [55] et commande à tous ses sujets de l’affliger. Nonobstant tout cela, il lui envoie des lettres par un sien ami, par lesquelles il lui mande qu’il la prendra pour son épouse. Vous êtes cette fille. Je vous ai mise dans la basse fosse de l’enfer, vous êtes liée et enchaînée, ne pouvant pas sortir de l’état où vous êtes. Vous avez une poire d’angoisse qui sont les quatre grands maux que vous souffrez, qui s’appellent rage, furie, désespoir, mort. La rage consiste en un désir très violent que vous avez de manger de toutes choses comme une personne qui aurait une gourmandise épouvantable et qui mangerait goulûment et comme en dévorant ainsi qu’une enragée. La furie est une étrange famine qui fait que quoique vous mangiez, vous ne rassasiez jamais. Le désespoir procède de ce qu’il y a une certaine malédiction en tout ce que vous mangez, qui fait que vous avez horreur de toutes les choses que vous avez mangées et que vous voudriez, ne les avoir point prises. La mort consiste en ce que la chaleur naturelle qui est nécessaire pour faire la digestion est refroidie et presque éteinte en vous, ce qui fait que quoique vous mangiez fort peu, vous avez néanmoins beaucoup de peine à digérer ce que vous avez mangé. [55v]

« C’est mon Père éternel qui vous a donné la rage pour aider à ceux qui sont gourmands des choses illicites. C’est moi qui vous ai donné la furie ou la famine pour aider à ceux qui souffrent la disette de la grâce. C’est le Saint-Esprit qui vous a donné le désespoir ou malédiction pour disposer les âmes à recevoir les bénédictions de Dieu. C’est ma mère qui vous a donné la mort pour aider aux hommes à recevoir la chaleur de l’Amour divin, afin de digérer toutes les afflictions qui leur arriveront. Voilà quatre dons précieux que l’on vous a faits, voilà la poire d’angoisse que vous avez dans la bouche.

« Outre cela, J’ai commandé à toutes les créatures de vous affliger. C’est pourquoi toutes choses se tournent en afflictions pour vous. Néanmoins, Je vous envoie des lettres par mon divin amour, qui sont toutes les choses qui vous sont dites en esprit et qui se passent en vous, par lesquelles je vous mande que je vous épouserai. Mais pensez-vous que cette pauvre fille dont je viens de vous parler, voyant que le roi la traiterait ainsi, crut qu’il la voulût épouser. Non, jamais, elle ne le pourrait croire. C’est la raison aussi pourquoi vous ne le croyez point, mais [56] pourtant il est très véritable que Je vous épouserai. »

Les quatre grands maux susdits ont duré trente ans ou environ. Il faut remarquer qu’elle avait souffert le quatrième qui consiste en la grande peine qu’elle avait à digérer durant quelque partie du temps qu’elle fût en enfer ; mais qu’on lui avait ôté par le moyen de trois gouttes d’eau dont il est parlé en la section seconde [première] du chapitre deuxième du livre sixième 280. [57]

Livre 3. Qui contient ce qui concerne le mal de douze ans et qui fait voir comme elle a porté les péchés d’autrui et un grand nombre de diverses sortes de souffrances.

Chapitre 1. Figures et prédictions du mal de douze ans. Il est figuré par une coupe pleine de feu et de soufre. Elle est appelée à souffrir ce mal de douze ans.

Quelque temps après qu’elle fût sortie de l’enfer, le désir extrême qu’elle avait de souffrir n’étant point rassasié, voici ce qui lui arriva.

Étant un jour à l’église devant l’autel de la très Sainte Trinité, elle entendit la voix du Père éternel qui l’appelait fortement et de bien haut, criant : « Venez ici, venez ici. »

« Et d’ailleurs j’entendis celle du Fils en bas qui m’appelait [57v] aussi disant : « Venez à moi, venez à moi ! » Le Père tenait une coupe en sa main pleine de feu et de soufre. Le Fils était tout environné de douceur et de consolation qu’il me voulait donner. Je m’arrêtai et commençai à raisonner en moi-même : auquel irai-je ? Le Père est Dieu, le Fils est Dieu aussi. Si je vais au Fils, je ferai ma volonté et j’aurais ma satisfaction dans les consolations. Si je vais au Père, j’accomplirai la divine Volonté. Je connais que tel est son bon plaisir que je prenne la coupe qu’Il tient en sa main. Aussi dois-je quitter le Fils avec toutes ses consolations et vais prendre la coupe et l’avaler et tout ce qui est dedans.

« Et le Père Éternel en me la donnant me dit : “Prenez, ma fille, la coupe que j’ai donnée à mon Fils et je vous le donnerai en mariage.” Après cela étant sortie de l’église, bien glorieuse de cette promesse, je m’adressais à toutes les créatures qui auparavant m’avaient tant haïe et tourmentée pendant que j’étais en enfer et leur disait : “Eh bien ! Que vous en semble maintenant ?” Et au lieu qu’auparavant elles m’avaient en horreur, elles me saluaient toutes et me faisaient la révérence et me disaient : “Hâtez-vous, on vous appelle”, ce qui s’entendait (ainsi qu’il m’a été dit puis) qu’on [58] m’appelait à d’autres souffrances bien plus grandes encore que celle de l’enfer, et c’était au mal de douze ans. »

Section 1. Le mal de douze ans est figuré par une couche et une fournaise ardente.

Avant que la sœur Marie entrât dans le mal de douze ans, elle se vit toute nue au pied d’une très belle couche dont la couverture était blanche comme de la neige. Cette couche n’avait point d’autre dessus que le ciel. Elle vit quant et quant l’Amour divin qui travaillait en un même temps en un nombre innombrable de divers ouvrages et il lui dit : « N’entrez pas, ma fille, dans cette couche sans appeler votre époux : appelez-Le et s’Il ne vient je L’appellerai moi-même et Il viendra assurément. Vous ne Le déparagerez281 pas.Votre père est aussi noble que le sien et je vous doterai richement. » Alors elle L’appelle plusieurs fois par de beaux versets de la Sainte Écriture, mais Il ne venait point. Elle tremblait de froid au pied de cette couche. Après L’avoir appelé longtemps, voyant qu’Il ne venait point, elle le va dire à son Père [58v] l’Amour divin, lequel L’appelle lui-même, et Il vient aussitôt. Étant arrivé, Il dit à la sœur Marie : « Si vous étiez entrée toute seule dans cette couche, c’est-à-dire dans le mal de douze ans qu’elle figurait, vous y auriez été consumée aussi promptement qu’un brin de paille dans une fournaise ardente. »

Section 2. Autres figures de ce même mal.

Un jour auparavant le mal de douze ans, Notre Seigneur qui est dans la sœur Marie comme un maître dans sa maison, et comme un roi dans son palais, parlant à tous les sens et à toutes les passions qui sont les enfants et les serviteurs de la maison, leur dit : « Je m’en vais faire un voyage. Je vous laisse en garde mes trésors qui sont céans. Gardez-les si bien que je les retrouve à mon retour au même état que je laisse. »

Ayant dit cela, il partit et s’en alla, et tous les domestiques lui ayant bien promis de faire bonne garde. Quelque temps après, il revint non point en qualité de maître de la maison, mais étant déguisé comme un larron [59] qui serait venu à dessein de ravir et d’emporter tous les trésors ; et pour cet effet, il prit tous les enfants et serviteurs, et les lia et garrotta et les mit dans une basse fosse, puis s’en alla et les laissa dans la croyance qu’il avait enlevé tout ce qu’il y avait de plus précieux dans la maison, à raison de quoi les enfants et les serviteurs étaient inconsolables. Quelques-uns venaient pour leur parler au travers des grilles et pour les consoler leur disant que c’était le maître de la maison qui avait fait cela, mais ils ne pouvaient pas croire. Au contraire, ils étaient persuadés que c’était un larron et qu’il avait tout pillé et tout emporté. Voilà pourquoi, ils pleuraient et étaient dans une parfaite désolation et même dans le désespoir, parce que leur mal, ce leur semblait, était sans remède. « Hélas ! disaient-ils, que dira et fera notre maître quand il reviendra ! Il nous avait confié tous ses trésors et nous avait recommandé de les garder si soigneusement et nous lui avons tant promis et cependant nous avons laissé entrer le larron qui a tout emporté. » [59v]

Une fois, Notre Seigneur l’excita à dire durant trois jours ces paroles : « Ceux qui ont failli devraient être châtiés. » Ensuite de quoi, il se prit à rire et s’en alla bien joyeux disant : « Je suis prié de noces. » Elle le conduisit d’esprit jusqu’au ciel et à l’entrée elle vit les saints rangés en haie des deux côtés par où Il passait, qui tous étaient tristes. Elle s’étonna de les voir tristes et que Notre Seigneur fût si joyeux. Ils s’entre-disaient, parlant tout bas et ayant la tête baissée : « Le Seigneur est prié de noces. » En même temps Notre Seigneur dit à sa sainte Mère : « Donnez-moi un habit pour y aller. » Notre Dame versait de ses deux yeux deux torrents de larmes, et cependant le vêtait sans lui dire un seul mot.

Ces noces, à ce que Notre Seigneur a dit depuis, sont le mal de douze ans. Cette robe c’est la sœur Marie, parce que Notre Seigneur a souffert en elle. Notre Dame pleure et les saints sont tristes pour signifier par là les grands tourments qu’elle devait souffrir en ce temps-là. [60]

Chapitre 2. Vœux pour obtenir le mal de douze ans. Vœu que Notre Seigneur a fait à la Croix pour la sœur Marie de souffrir ce mal. Vœu de Notre Dame pour impétrer le même mal.

Un jour, peu de temps avant le mal de douze ans, Notre Seigneur disait à la sœur Marie :

« Voilà mon Père qui vous appelle : parlez, répondez-lui. 

 – Que lui répondrai-je ?

– Répondez, répondez, ne savez-vous point parler ?

Alors je commençai à dire : « Je fais vœu de souffrir tout ce qui Lui plaira. »

– Comment, vous ne dites rien ? disait Notre Seigneur, parlez, répondez !

 – Je ne saurais que dire : dites-moi donc ce que je dois dire, vous savez si bien parler.

– Parlez donc !

– Je fais vœu de souffrir tout ce qu’il jugera être convenable.

– Ce n’est pas cela qu’il faut dire, ne savez-vous point autre chose ? 

« J’étais étrangement en peine et tremblais d’appréhension, car Notre Seigneur et Notre Dame me pressaient extrêmement de répondre et je disais : “Je fais vœu de souffrir tous les tourments de l’enfer.”

– Vous parlez entre vos dents, disait Notre Seigneur, parlez plus haut. Vous me faites bien honte d’avoir une épouse qui parle ainsi. Et la Sainte Vierge disait : “Comment, ma fille, qu’est-ce que cela ! Vous faites l’innocente. Ne savez-vous pas parler ?”

“Alors [60v] je m’arrête comme pour chercher ce que je devais dire et ensuite je commençai à dire par un mouvement extraordinaire : ‘Attendez, attendez, je sais bien ce qu’il faut dire. Je fais vœu de souffrir tout ce que mon époux a fait vœu pour moi que je souffre, lorsqu’il était à la Croix.

Voilà ce que c’est !, dit Notre Seigneur, et depuis il m’a dit que le vœu qu’il avait fait pour moi à la Croix était que je souffrisse le mal de douze ans.”

Pour obtenir de la très sainte Trinité ce mal, la bienheureuse Vierge quelque temps après qu’il arriva, commanda à la sœur Marie d’accomplir un vœu qu’elle avait fait qui était d’aller par elle en pèlerinage à l’église de Saint-Sauveur Lendelin, laquelle est dédiée à la très sainte Trinité, et elle lui ordonna d’y aller en cette façon et de faire ce que je vais dire.

“J’y allai nu-pieds avec quantité de reliques pendues à mon col pour prier tous les saints de m’aider par leurs prières à obtenir ce que je demandais. J’avais les mains jointes et portais entre mes doigts une image de Notre Dame, couverte néanmoins, en sorte qu’on ne la voyait point, non plus que les saintes Reliques. [61] Cette image qui marchait en quelque sorte devant moi, était pour signifier que c’est Notre Dame qui est la directrice de tout cet ouvrage. Étant arrivée à l’église de Saint-Sauveur, je fis la procession cinq fois : autour de l’église en l’honneur de la sainte Trinité, et deux autour du cimetière par dedans, y comprenant les deux croix qui sont en l’honneur des deux Passions de Notre Seigneur et de la très sainte Vierge. Je fis ces cinq processions les genoux nus, tenant le chemin battu et frayé qui était tout couvert de gravier et de petites pierres, si bien qu’après avoir achevé cette procession, j’avais les genoux tout pleins de petites pierres qui y étaient entrées, et néanmoins je demeurai trois heures à genoux nus dans l’église à prier Dieu durant plusieurs messes qui se disaient, souffrant une peine telle qu’on peut penser. Il fallut me tirer ces pierres des genoux avec des épingles et des ciseaux.” Ce vœu étant accompli, le mal de douze ans commença un peu après. [61v]

Chapitre 3. Son esprit a des désirs très ardents d’entrer dans le mal de douze ans. Ses sens en sont effrayés. Elle connaît qu’il est proche et le prédit, et de plusieurs autres choses qui se sont passées en elle pour l’y préparer, durant les trois ans qui l’ont précédé.

Depuis la sortie de l’enfer jusques au mal de douze ans, trois ans s’écoulèrent pendant lesquels il se passa en elle plusieurs choses étranges et merveilleuses pour la préparer au mal de douze ans.

[1.] Pendant ces trois ans, elle souffrait de très grande peines, car durant tout ce temps, la divine Justice était comme son âme, qui l’animait perpétuellement et qui allumait en elle un si grand feu de haine contre le péché, un zèle et une ferveur si ardente pour le détruire et un désir si véhément et si violent d’entrer promptement dans le mal de douze ans afin de l’y faire mourir, que les sens ne pouvant supporter une telle ardeur et violence, en étaient opprimés et accablés. Ce désir d’aller dans ce mal la [62] faisait crier souvent : “Je m’en veux aller, je m’en veux aller !” (c’était son esprit qui parlait) et lorsque quelqu’un de ceux avec qui elle demeurait lui répondait : “Eh bien, eh bien, il faut s’en aller, allons-nous-en !”, cela la soulageait un peu, parce que cette réponse favorisait son ardent désir et en rafraîchissait un peu l’ardeur. Mais lorsqu’on ne lui répondait rien, elle tombait pâmée, tant la véhémence de ce désir était puissante.

2. Outre cela, la connaissance confuse qu’elle avait des tourments qu’il lui fallait souffrir durant le mal de douze ans remplissait les sens d’une frayeur si grande et d’une tristesse et douleur si véhémente, qu’elle ne peut pas être exprimée en paroles : ce qui la faisait souvent crier en pleurant :

“Hé, que ferons-nous en ce temps-là ?”

M. de Jugainville avec qui elle demeurait lui disant : “En quel temps ?

— Au temps, répondit-elle, que l’Ire de Dieu sera débordée sur nous”, c’est-à-dire pendant ces douze ans, pendant lesquels elle assure que l’Ire de Dieu a été débordée sur elle par les tourments inexplicables qu’elle lui a fait souffrir, qui surpasse presque infiniment ceux de l’enfer, ce sont ses propres [62v] termes.

— Et de quoi vous travaillez-vous tant d’un mal qui n’arrivera point ?

— Si sera, disait-elle, il arrivera et bientôt. »

Durant ces trois ans, elle entendait souvent la voix de quelqu’un qui parlait en elle et qui disait en pleurant : « Oh ! Que ferons-nous en ce temps-là ? ».

Elle pleurait avec lui, tâchant de le consoler et lui disant (car elle ne savait qui c’était) : « Nous ferons bien, Dieu nous aidera et sera notre force. »

Mais un jour comme elle parlait ainsi, elle entendit et connut la voix de Notre Seigneur qui lui dit : « Que ferons-nous en ce temps-là, ma sœur, mon épouse ? »

Alors connaissant que c’était lui qui parlait en elle, elle demeura bien honteuse de l’avoir voulu consoler et lui dit : « Ah ! Je ne pensais point que ce fut vous : vous ferez ce qu’il vous plaira. »

Ayant dit cela, Il s’en alla en un instant comme s’il fût sorti d’elle et comme s’il l’eût quittée. Ce qui signifiait qu’elle devait souffrir ce mal avec un grand délaissement et sans consolation, comme elle a fait. [63]

3. Elle pleurait quasi continuellement et lorsqu’on lui demandait : « Pourquoi pleurez-vous ainsi ? – Je pleure pour diminuer un peu les larmes qu’il me faudra verser dans les maux qui m’arriveront bientôt. »

4. Elle parlait beaucoup et disait les choses les plus belles, les plus simples et les plus admirables qui se peuvent dire et en si grande abondance que durant ces trois ans, elle aurait bien employé un écrivain à écrire continuellement. Surtout elle était animée par la divine Justice et embrasée d’une haine si grande contre le péché et d’un désir si ardent de le détruire que cela est tout à fait inconcevable et inexplicable. Elle tonnait contre ce monstre, c’est ainsi qu’elle l’appelait et disait des choses prodigieuses de son horreur et la haine qu’on lui doit porter, et la manière de le poursuivre, de l’atteindre et de le détruire. Durant ce temps-là, le père de M. Potier, étant ivre, la vint voir, contre lequel elle déclama d’une horrible manière, et fut tellement touchée de le voir en cet état qu’elle en pleura trois jours durant d’une façon extraordinaire.

Un jour, pendant ce même temps, étant [63v] entièrement enflammée de colère contre le péché, elle se leva sur les pieds et dit : « Donnez-moi des armes offensives et défensives pour combattre le monstre et pour le faire mourir. » Ayant dit cela, elle se trouva armée en esprit d’une longue pertuisane à deux pointes d’or, la poignée d’or et le manche de fer. Les deux pointes représentent Notre Seigneur et sa très sainte Mère. Notre Seigneur est une arme offensive pour tuer le péché et la Sainte Vierge est une arme défensive pour se garder et défendre du péché. La poignée d’or est l’Amour divin et la Charité divine. Le manche de fer, c’est la sœur Marie et ses souffrances, laquelle est possédée et conduite par l’Amour divin et la Charité, et c’est cette verge de fer dont il est fait mention en ces paroles : Reges eos in virga ferrea, et tanquam vas figuli confringes eos282 et dont l’amour et la charité se serviront avec Notre Seigneur et sa sainte Mère pour briser et anéantir le péché.

5. Elle prédisait à ceux avec qui elle demeurait, par plusieurs figures qu’on lui faisait dire [64] les grands tourments qu’elle aurait à souffrir durant le mal de douze ans.

6. En la dernière de ces trois années, elle fut malade et détenue au lit, depuis Noël jusqu’à la Mi-Carême que le mal susdit commença. Dans cette maladie elle fut fort travaillée de sept sortes de fièvres étranges et surnaturelles et qui étaient toutes différentes, dont chacune ne dura qu’un jour. Durant ces sept jours, il ne lui fut pas permis de boire, excepté le dernier jour qu’on lui fit boire sept écuellées d’eau. Les sept sortes de fièvres représentaient les sept péchés capitaux et étaient comme une disposition pour en porter la malédiction, durant le mal de douze ans. Enfin cette maladie la mit en tel état qu’il ne lui restait plus que la peau sur les os. Voilà les choses principales qui se passèrent durant ces trois ans, qui étaient les préparatifs pour entrer dans le mal de douze ans.

Dans ce même intervalle des peines de l’enfer et du mal de douze ans, elle a été un été pendant lequel tel jour s’est passé qu’on l’a fait tenir sept heures entières à genoux pour rendre [64v] grâce à Dieu par diverses prières de la vocation des infidèles à la foi, et quelquefois on lui faisait faire des processions par dedans l’église et vis-à-vis de chaque porte en la faisait arrêter et dire : « Un Dieu, une foi, un baptême, une Église, un pasteur », comme si elle eût appelé tous les infidèles.

Chapitre 4. Le mal de douze ans.

Trois ans s’étant écoulés depuis que la sœur Marie fut entièrement délivrée des peines de l’enfer, elle entra dans ce mal qui lui avait été prédit et figuré en plusieurs manières, ainsi que nous venons de le dire, qu’elle appelle le mal de douze ans, parce qu’il a duré douze ans « en chef » ainsi qu’elle parle, c’est-à-dire en sa force et en sa rigueur. Il commença en la Mi-Carême et comme un carreau de foudre qui lui entra dans le cœur inopinément et lorsqu’elle y pensait le moins, et avec une violence nonpareille, ce qui l’étonna étrangement, mais elle se consolait disant en soi-même [65] que ce mal ne serait pas de durée puisqu’il était si violent.

Ce carreau de foudre était l’Ire de Dieu, ainsi qu’elle a su depuis. Le tourment qu’elle lui a fait souffrir était principalement dans l’esprit qui l’avait désiré ardemment. Il était si terrible et si véhément que bien souvent on la voyait pâmée de douleurs et privée de l’usage de ses sens comme une personne qui était enivrée de fiel et qui ne savait où elle était ni ce qu’elle était, ni ce qu’elle faisait quoique pourtant elle ne fît jamais rien d’extravagant ni qui fût capable de blesser ou de mal édifier personne. Elle dit que ce mal, c’est un enfer tout nouveau que l’Amour divin a fait pour elle, qui surpasse incomparablement en sa rigueur et en ses supplices l’enfer des damnés.

Lorsqu’elle était en enfer, elle demandait à Dieu qu’il accrût et redoublât ses peines, afin d’abréger le temps qu’elle y devait être, mais en ce mal-ci elle Le priait qu’il prolongeât le temps afin de diminuer la peine. Quand elle était embrasée de ce désir si ardent de souffrir, dont il est [65v] parlé ci-devant, elle disait : « Oh ! si Dieu savait le désir infini que j’ai de souffrir pour l’amour de Lui ! » Mais ici elle parlait d’un autre langage, disant : « Oh ! si Dieu savait combien je suis lassée de souffrir ! » Et ayant dit ces paroles, elle vit l’Amour divin qui en riant, chantait ce verset : Esurientes implevit bonis283. Elle assure que l’enfer ordinaire ne lui fut qu’une petite collation, voire même qu’une cerise pour la faim insatiable et immense qu’elle avait de souffrir, mais que cet enfer nouveau a été un grand festin auquel elle a été pleinement rassasiée c’est-à-dire, selon les sens, car l’esprit ne l’est pas, ainsi que l’on verra ailleurs. On lui a entendu dire plusieurs fois que s’il avait été en son choix, elle aurait mieux aimé endurer un an des peines de ce premier enfer qu’une heure les supplices du second.

Notre Seigneur lui a dit plusieurs fois qu’elle n’aurait point subsisté un moment dans cette fournaise ardente de l’Ire de Dieu, s’Il ne l’avait conservée par un très grand miracle.

« Durant ces douze ans, j’étais dans un état si [66] pitoyable que si j’avais su qu’il y eût une créature au monde dans un pareil tourment, j’en aurais eu tant de compassion que je n’aurais cessé de pleurer. »

Avant que d’y entrer, on lui fit voir deux fontaines dont l’une jetait de l’eau en haut, environ la hauteur d’un homme, et l’autre la poussait si haut que la vue n’y pouvait atteindre. La première signifiait les larmes qu’elle a versées durant les peines de l’enfer, la seconde celles qu’elle devait répandre pendant le mal de douze ans.

De douze ans que ce mal a duré, en fut sept sans cesser de pleurer nuit et jour, si bien que les deux yeux étaient deux fontaines de larmes qui ne tarissaient point du tout. On s’étonnait d’où pouvait procéder une si grande abondance de larmes. Durant les autres cinq ans, souvent elle fondait aussi en larmes, mais ce n’était point continuellement comme durant les sept premières.

Enfin ce qu’elle a souffert au premier enfer est si au-dessous de ce qu’elle a souffert au second, que Notre Seigneur lui dit un jour [66v] que pour avoir une digne compassion des peines qu’elle a portées en celui-là, il faudrait faire une mer de larmes d’eau, mais que pour avoir une juste considération des tourments qu’elle a endurés en celui-ci, il faudrait pleurer jusqu’à faire une mer de larmes de sang.

De toutes ces choses, il est aisé de voir ce qu’elle a souffert durant ces douze ans, et plus de vingt ans encore après qu’elle a porté les plaies de ce mal, ne peut être pensé, ni connu, ni exprimé. Tout ce que l’on peut dire est que dans ce nouvel enfer, elle a porté deux maux qui sont en quelque sorte infinis et infiniment épouvantables.

Le premier est la coulpe du péché, car Notre Seigneur lui a dit que le mal de douze ans est exprimé par ces paroles de saint Paul qui nous déclare que le Fils de Dieu a été fait malédiction pour nous : Factus est pro nobis maledictum284, et que même il a été fait péché pour nous par la volonté de son Père [67] : Eum qui non noverat peccatum, pro nobis peccatum fecit285. C’est pourquoi, afin de savoir ce que c’est que le mal de douze ans, il faudrait savoir ce que Notre Seigneur a souffert lorsqu’il a porté tous nos péchés, spécialement au temps de sa Passion selon Ses siennes paroles : Peccata mea ipse portabit286. Car Il lui a dit plusieurs fois que c’est une participation et un renouvellement de sa Passion et de ce qu’il a souffert, lorsqu’il a porté tous les péchés de tout le monde et que même il a été fait péché pour nous. D’où il faut apprendre qu’elle a été animée et enivrée du fiel et du venin de tous les crimes du monde et qu’elle a porté le poids, l’horreur, la malignité et la malédiction d’une façon qui ne peut point être connue que par l’expérience qu’elle en a faite parmi une infinité de souffrances.

Il est rapporté dans la vie de sainte Catherine de Gênes, qu’un jour Dieu lui fit voir la laideur du moindre péché véniel et que cette vue ne dura qu’un moment, mais qu’elle assurait ensuite qu’elle avait vu une chose si effroyable que le sang lui glaça dans les veines, qu’elle [67v] fut réduite en l’agonie et qu’en effet elle serait morte de frayeur si Dieu ne l’avait préservée par miracle, afin de raconter aux autres ce qu’elle avait vu. Que si la vue seulement de la difformité de péché véniel opère des effets si étranges, que serait-ce de voir l’horrible monstre du péché mortel ? Et qu’est-ce non seulement de voir, mais de boire à longs traits le venin de tant d’aspics et le fiel de tant de dragons, et d’être accablé sous le faix d’autant de monstres épouvantables comme il y a de péchés au monde, dont le nombre est plus grand que celui des gouttes d’eau et des grains de sable de la mer.

La même sainte Catherine de Gênes dit que si elle était au plus profond d’une mer de feu, et qu’elle sût qu’en sortant elle verrait en soi un seul péché, qu’elle aimerait mieux n’en sortir jamais et y demeurer éternellement.

Cela étant ainsi, jugez ce que Notre Seigneur a souffert, lorsque non seulement il a vu clairement tous les péchés du monde dans leur laideur et tels qu’ils sont devant Dieu [68], mais lorsqu’il en a porté le poids et la malédiction et qu’il a été plongé dans une mer immense et dans un gouffre sans fonds d’une infinité de crimes, ce qui le faisait crier à son Père en cette façon : Salvum me fac, Deus, quoniam intraverunt aquae usque ad animam meam. Infixus sum in limo profundi et non est substantia.

Ô mon Dieu, sauve-moi

Car les eaux de mon âme ont gagné l’avenue

Et dans un creux bourbier qui n’a point de tenue

Enfondré, je me vois287.

Et puisque le mal de douze ans de la sœur Marie a été le renouvellement des souffrances intérieures de Notre Seigneur, pensez, si cela se peut penser, quels tourments elle a portés durant tant d’années qu’elle a été comme engloutie et absorbée dans l’abîme de tous les péchés de l’univers. C’est ce qui a été figuré par ce nombre innombrable d’ordes bêtes, c’est-à-dire, de mourons288, de serpents et autres bêtes vénéneuses dont elle s’est vue plusieurs fois, ainsi qu’il sera rapporté ailleurs, toute [68v] environnée, couverte et remplie au dehors et au-dedans, spécialement lorsqu’elle se jeta dans cet horrible étang, dont il est parlé dans un autre lieu, qui en était tout plein, et lorsqu’elle vit une table qui en était toute couverte, qu’il lui fallut manger jusques à la dernière.

Le second mal que la sœur Marie a souffert dans le mal de douze ans c’est l’Ire de Dieu débordée. Elle a porté l’Ire de Dieu dans le premier enfer, comme les damnés la portent, sur lesquels elle n’est point débordée, mais elle en a porté le débordement durant le mal de douze ans, à l’imitation du Fils de Dieu, lequel parlant de la manière en laquelle son Père l’a traité au jour de sa Passion, dit : Vindemiavit me in die furoris sui289, et s’adressant à son Père, il lui parla ainsi : Abyssus abyssum invocat, in voce cataractarum tuarum. Omnia exelsa tua, et fluctus tui super me transierunt.

Flots sur flots s’entrefuyant,

Vont contre moi s’élevant,

Un gouffre l’autre convie [69]

Au son bruyant de tes vents

Et des canaux de ta pluie.



Tes bouillons plus rehaussés

Tous dessus moi sont passés.

Les torrents de ta tempête

Heureusement élancés

Ont monté dessus ma tête290.

Et au psaume 87, il dit comme parlant à son Père : Repleta est malis anima mea et vita mea inferno appropinquavit. Super me confirmatus est furor tuus et omnes fluctus tuos induxisti super me. Transierunt in me irae tuae et terrores tui conturbaverunt me.

Sur moi de ton courroux le débord est passé

Je suis assiégé de tes craintes

Qui comme un long cours d’eau

M’environnent d’enceintes

Je me vois tout autour ce déluge amassé291.

C’est ainsi que Notre Seigneur a porté le débordement de l’Ire de Dieu et c’est ainsi que la sœur Marie l’a porté durant le mal de douze ans à proportion.

C’est cette coupe de feu et de soufre que le Père éternel lui donna un peu après qu’elle fut sortie de l’enfer, lui disant qu’Il l’avait donnée à son Fils et que si elle la prenait, Il le lui [69v] donnerait en mariage. Cette coupe était détrempée avec le fiel et le venin de toutes les abominations du monde, et avec la colère et la vengeance de Dieu, de sorte que pour savoir ce qu’elle a souffert pendant ces douze ans, il faudrait pouvoir comprendre ce que c’est de boire un tel calice que le Fils de Dieu a bu le premier en sa Passion, ainsi qu’il le dit Lui-même en ces paroles : Calicem quem dedit mihi Pater, non vis ut bibam illum ?292 Il faudrait pouvoir comprendre la malignité, le poids et l’horreur infinie de tous les péchés de l’univers et il faudrait aussi pouvoir définir la grandeur et la terreur immense de l’Ire de Dieu. Or Quis novit potestatem irae tuae aut prae timore tuo iram tuam dinumerare?293

Chapitre 5. Les plaies du mal de douze ans.

Ce mal étant fini laissa plusieurs plaies très sanglantes et très douloureuses dans les sens intérieurs et extérieurs, dans l’esprit et dans le cœur de la sœur Marie qui sont [70] représentés par les cinq figures suivantes qu’on lui avait fait dire longtemps auparavant dans une autre occasion pour exprimer les sentiments prodigieux d’humilité dont elle était animée pour lors, ainsi qu’on peut le voir au livre des Vertus, dans le chapitre de l’Humilité. Mais depuis on les lui a expliquées en cette façon :

1. Imaginez-vous une personne pendue à un gibet de soixante coudées de haut et exposé à la risée de tout le monde, et qui demeure bien attachée sans pouvoir s’en détacher et sans pouvoir mourir, vivant ainsi dans la mort.

2. Imaginez-vous encore cette personne enfermée dans une basse fosse pleine de bêtes venimeuses qui la piquent et la mordent de toutes parts, sans qu’elle puisse néanmoins ni sortir de là, ni mourir.

3. Figurez-vous cette même personne plongée au fond de la mer avec une grosse pierre au col, sans pouvoir sortir de cet abîme ni y trouver la mort.

4. Représentez-vous la même personne ayant été sept jours sans boire ni manger, et étant pressée d’une faim extrême, sans qu’on lui donne [70v] néanmoins rien à manger et sans qu’elle puisse mourir.

5. Mettez-vous encore devant les yeux cette personne dans une fournaise ardente d’où elle ne peut sortir et où elle ne peut mourir.

Voilà un crayon et une ombre de l’état pitoyable dans lequel la sœur Marie est demeurée depuis seize ans qu’il y a que le mal de douze ans est fini, lequel état Notre Seigneur lui a fait voir, lui expliquant ces cinq figures en cette manière :

Ces cinq choses, à savoir ce gibet, cette fosse, etc., représentent ce que la sœur Marie a souffert depuis ce temps en ses sens tant extérieurs qu’intérieurs, comme aussi en son esprit et en son cœur. La première [se rapporte] à la vue tant de l’âme que du corps. La deuxième à l’ouïe, la troisième à l’odorat, la quatrième au goût intérieur et extérieur, et la cinquième au toucher et au cœur, et toutes les cinq ensemble vont à l’esprit auquel elles font souffrir des angoisses indicibles.

Pour en connaître quelque chose, il faut savoir que Notre Seigneur lui a mis un bandeau devant [71] les yeux qui l’empêche de voir l’état où elle est : à raison de quoi, encore que pendant qu’Il lui parle, elle soit très certaine que c’est Lui qui parle, cette certitude s’évanouit, et elle demeure par après dans des craintes et des frayeurs si grandes d’être trompée, qu’il lui est impossible de l’assurer ni de croire aux choses qui se passent en elle. Et tout ce que les hommes les plus capables de la consoler lui peuvent dire pour la tirer de cette crainte est presque inutile parce que cela n’entre point dans son cœur, la porte étant fermée aux raisons les plus convaincantes qu’on lui peut alléguer pour la consoler et assurer ; voire même, elle sent que son cœur et son esprit les repoussent et ne peut souffrir qu’elles entrent dedans. Et elle assure que si Dieu lui commandait de ressusciter un mort en témoignage que toutes ces choses sont véritable, et qu’en effet elle le ressuscitât, elle ne pourrait pas néanmoins croire qu’elles fussent, parce qu’il est impossible à celui qui a les yeux bandés de voir le soleil.

Et ainsi elle est ordinairement dans une étrange frayeur que toutes les choses qui se passent en elle ne soient des tromperies de l’esprit malin. Cela supposé [71v] il sera plus facile maintenant d’entendre aucunement quelles sont les cinq plaies que le mal de douze ans a laissées dans ses cinq sens extérieurs et dans son esprit et dans son cœur, et qui sont représentées par les cinq figures précédentes que Notre Seigneur a expliquées en cette sorte :

1. Elle souffre en la vue et par la vue tant intérieure qu’extérieure le même tourment que souffrirait une personne qui serait pendue à un gibet de soixante coudées de haut, exposée à la risée de tout le monde, sans pouvoir se détacher de là ni mourir, parce que, dans cette grande appréhension qu’elle a d’être trompée et de tromper par conséquent les autres, il lui semble qu’elle voit tous les anges et tous les saints du ciel, tous les hommes qui sont en la terre et Dieu même, qui se moquent d’elle, qui lui font mille reproches et qui la condamnent de ce qu’elle s’est laissée tromper et vaincre par les démons qui sont si aisés à surmonter, et de ce qu’elle a trompé tant de personnes qui ont cru que les choses qui se passent en elle étaient de Dieu ; et ainsi elle porte une confusion si grande qu’il n’y a point de paroles qui la puissent exprimer. Elle [72] demeure en cet état sans y pouvoir mourir ni sans trouver aucun moyen d’en sortir.

2. Les blasphèmes que les démons ont vomi par sa bouche pendant qu’elle était en enfer et qui ont été entendus par ses oreilles sont comme autant de bêtes venimeuses qui ne la font pas moins souffrir qu’une personne qui serait plongée dans une fosse remplie de serpents : car, « hélas, dit-elle en fondant en larmes, si ce n’est point Dieu, mais le diable qui règne ici ; tous ces horribles blasphèmes me seront imputés et j’en porterai la condamnation, comme si moi-même je les avais proférés. »

3. Tous les péchés d’autrui qu’elle porte, qui sont, dit-elle, en plus grand nombre qu’il n’y a de gouttes d’eau dans l’océan, sont une vaste et profonde mer au fond de laquelle elle est abîmée sans en pouvoir sortir. Et tous les péchés qui sont innombrables rendant une puanteur insupportable, causent une peine indicible à son odorat intérieur.

4. Elle a une faim indicible du pain des anges, qui est le Saint-Sacrement, comme aussi elle a une envie extrême de manger des choses [72v] que Dieu a créées pour la nourriture du corps, et néanmoins elle est privée en l’intérieur de toute consolation spirituelle et en l’extérieur de tout ce que les autres prennent pour soutenir et fortifier la nature, ne lui étant point permis de manger autre chose qu’un peu de pain bis et de pouvoir boire du cidre qu’on lui fait chauffer en tout temps afin qu’elle n’y prenne point de goût. Elle mange aussi du beurre, mais il ne lui est point permis d’en manger qu’il ne soit vieux.

5. Elle est dans une fournaise ardente, c’est-à-dire dans un genre de tourment qui n’a jamais eu de semblable et qui n’est connu que de Dieu seul dans ce monde. Notre Seigneur lui a donné quelque comparaison pour en exprimer quelque chose qu’on ne peut pas écrire. Mais je dirais seulement que ces mêmes comparaisons font voir que le tourment qu’elle a souffert dans cette fournaise ardente est indicible et inconcevable. Et elle est dans ce supplice et dans les autres sans pouvoir ni mourir, ni en sortir, et voilà ce que c’est que de vivre dans la mort, et si on savait, dit-elle souvent, combien c’est une chose épouvantable de vivre dans la mort. [73]

Notre Seigneur lui ayant expliqué ces cinq figures lui a dit ensuite : « Voilà votre mal. Un moindre mal que celui-là n’était point capable de rassasier la faim extrême que vous aviez de souffrir. Mais ce n’est pas vous qui souffrez ce mal, c’est moi qui le souffre en vous. Vous ne faites non plus en tout ceci que ce petit enfant dont je vous ai parlé qui pousse avec le bout de son doigt un tonneau de vin qu’on met dans la charrette. » Voilà ce qui est signifié par les paroles de saint Paul : Pro nobis peccatum fecit294 et par ces paroles de l’Église : Mors et vita duello conflixere mirando295. « Voilà les consommés que nous avons mangés au mont Liban au festin que nous y avons fait. » Il est parlé ailleurs de ce festin296.

Chapitre 6. On lui fait rendre grâces à Dieu de lui avoir donné le mal de douze ans.

Le lundi de la Pentecôte, en l’année 1646, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie d’aller en pèlerinage à la Sainte Trinité à Saint-Sauveur Lendelin pour remercier la Sainte Trinité de ce qu’elle lui avait donné la grâce d’accomplir le vœu que Notre Dame avait fait pour elle, et il ordonna [73v] des neuvaines pour cela. Et Notre Dame lui commanda aussi de remercier la très Sainte Trinité de ce que Notre Seigneur s’était servi d’elle pour accomplir ce vœu et lui donna semblablement des rosaires à dire pour cette intention.

Chapitre 7. Elle est chargée des péchés de tout le monde. Elle en porte les sentiments, la malédiction et la punition : c’est l’Amour divin qui l’en a chargée, dont Notre Seigneur lui donnera l’absolution.

Notre Seigneur lui a dit que le linge dont il se ceignit en la Cène et duquel il essuya les pieds de ses apôtres était sa figure et qu’il se servait d’elle pour essuyer les ordures des péchés de son Église.

Comme Dieu l’a choisie pour lui faire porter la pénitence des péchés d’autrui, Il l’a fait souffrir en plusieurs manières, entre lesquelles l’une des plus terribles est qu’Il lui a fait porter les sentiments malins du péché, à savoir de l’orgueil, de l’ambition, de l’avarice et de l’impureté [74] ; portant tantôt les sentiments de l’un, tantôt ceux de l’autre. Quand elle porte les sentiments de l’orgueil, elle est tout en fureur : il lui semble qu’elle va tout renverser et tout tuer, mettre la main à l’épée, se battre en duel et que même elle voit devant elle des monceaux de corps, dont les uns sont morts, les autres estropiés et qu’en tout cela elle a très bonne raison, car dit-elle en soi-même, parlant de ceux contre qui elle en a sans les connaître, « pourquoi est-ce qu’ils ont dit ceci ou qu’ils ont fait cela : ils m’ont offensé en mon honneur. »

Lorsqu’elle porte les sentiments de l’avarice, il lui semble qu’elle voudrait avoir tous les biens de ce monde, et que rien n’est capable de la rassasier.

Lorsqu’elle porte ceux de l’impureté, elle a l’imagination remplie d’idées abominables.

Or ce sont toutes ces choses que Notre Seigneur appelle le pain d’angoisse et les larmes de douleurs dont elle est nourrie ordinairement. Ce pain est composé d’ivraie, de nèfle297 et de jaugoüe qui est presque semblable à l’ivraie, [74v] excepté que le grain est plus menu et qu’elle est barbue comme de l’orge, mais l’ivraie ne l’est pas. L’ivraie représente l’orgueil, car elle porte son épi haut élevé au-dessus du froment. La nèfle représente l’avarice, car elle cache et renferme son grain dans une petite poche comme les avares mettent leur or et leur argent dans une bourse. La jaugoüe signifie l’impureté. L’ivraie enivre et prend à la tête comme l’orgueil, la nèfle brûle et donne une soif inextinguible, la jaugoüe fait vomir : c’est pourquoi elle figure l’impureté qui fait qu’on a à dégoût et à contrecœur toutes les choses de Dieu, et qu’on vomira contre lui mille blasphèmes dans l’enfer.

Le samedi d’après le jour du saint Rosaire 1646, elle se vit entortillée d’un horrible serpent qui faisait trois tours autour d’elle et élevait sa tête vis-à-vis de sa bouche, et jetait son souffle droit dans sa bouche. Notre Seigneur dit que le serpent représente l’infidélité et que son souffle représente le désespoir duquel elle se trouvait toute remplie. Cinq jours après il ne souffla plus, mais il ouvrit sa bouche et tira sa langue [75] et il avait les yeux comme hors de la tête et forts enflammés et la langue et la bouche étaient noires et les dents blanches. Sa langue et sa bouche noires signifiaient que la plupart des paroles des infidèles ne sont que péchés. Les yeux rouges et enflammés pour montrer que l’infidélité n’a d’autre visée que de mener les âmes en enfer ; et les dents blanches pour montrer que leur vie licencieuse qui les dévore leur semble belle et blanche. Outre cela elle vit son cœur entouré de mourons, de crapauds, de vipères et autres serpents inconnus qui la mordaient, piquaient et dévoraient. Ces ordes bêtes sont les péchés des prêtres qui sont le cœur de l’Église. De plus sa couche lui sembla toute remplie de ces mêmes bêtes de toutes sortes qui ne la mordaient pas ni [ne] piquaient mais qui l’infectaient de leur ordure et puanteur, étant couchées avec elle. Ce sont les péchés du commun peuple.

Comme elle s’est obligée de porter la peine due au péché, et que le péché porte la malédiction de toutes les créatures, aussi elle la porte et Dieu leur a commandé de la maudire [75v] et affliger : de là vient que toutes les charités qu’on lui fait et toutes les assistances qu’on lui rend se tournent en fiel et amertume pour elle :

« Je ne mange pas, disait-elle un jour, un seul morceau de pain à qui Dieu ne donne sa malédiction, ensuite de quoi tout ce que je bois et mange me fait souffrir et tant plus j’use des créatures de Dieu, tant plus je suis affligée. Mais si je jetais à un chien le pain que je vais mettre en ma bouche, il n’y aurait plus de malédiction au regard de cette bête. Quelquefois je dis à la Sainte Vierge : « Vous êtes bénite, bienheureuse et pleine de grâce. »

Hélas, dit-elle, vous m’appelez pleine de grâces, de bénédiction et bienheureuse et moi je vous puis bien appeler pleine de maux et de malédictions, car vous en êtes toute remplie.

« Un jour comme je faisais quelques prières aux saints, ils me dirent : “Taisez-vous et vous retirez, car vous êtes si horrible et si pleine de malédictions que nous pouvons vous ouïr, ni vous voir, ni vous supporter. Il n’y a que Dieu [76] capable de vous souffrir en l’état où vous êtes.” »

En l’an 1650, le 22 de novembre, comme elle priait Notre Seigneur de lui donner l’absolution, le Père éternel l’ayant envoyée à lui pour cet effet ainsi qu’il est dit ailleurs, Notre Seigneur lui dit :

« Oui je vous la donnerai, mais ce n’est pas une petite affaire que de vous donner l’absolution de vos péchés, car je vous assure qu’ils surpassent en nombre les gouttes d’eau et les grains de sable qui sont à la mer et les brins d’herbe qui sont sur la terre. Je vous la donnerai pourtant, mais il faut y apporter quelque disposition, et la vraie disposition c’est de souffrir » et avec cela il lui fit dire quarante fois le confiteor.

La sœur Marie disant cela, quelqu’un lui dit : « S’il faut encore souffrir d’où vient que le Père éternel vous a dit qu’Il vous donne le temps que vous aviez encore à souffrir. »

« C’est, dit-elle, qu’Il me parlait des souffrances que j’avais à porter pour la grande et principale affaire qui est la conversion générale. Mais Notre Seigneur [76v] dit que nous avons quelques affaires particulières pour lesquelles il faut encore demeurer quelque temps en l’état où je suis. »

Notre Seigneur lui a dit plusieurs fois que toutes les âmes sont son cœur, dont les unes sont en péché mortel, les autres le blasphèment, les autres sont athées. De là vient qu’elle porte sensiblement leurs mauvaises dispositions d’athéisme, de rage, de blasphèmes et qu’elle a une frayeur de Dieu comme si elle était en péché mortel et qu’Il la regarde avec un œil terrible ainsi qu’Il regarde ceux qui sont en mauvais état. C’est pourquoi elle dit que pour la connaître et pour lui donner la foi il faudrait convertir tous les infidèles. Et quand elle demanda à Notre Seigneur qu’Il la guérisse, Il lui répondit qu’il faudrait guérir toutes les âmes qui sont en mauvais état.

L’an 1653 sur la fin du mois d’août, elle se plaignait souvent d’avoir grand mal au cœur. On lui demanda si effectivement elle avait mal au cœur, tel qu’est le mal ordinaire duquel on se plaint lorsqu’on a mal au cœur. Elle dit que non et qu’elle ne sentait aucun mal de [77] cœur en cette façon-là. Et comme elle continuait à dire souvent et avec douleur :

« Oh ! que j’ai grand mal au cœur ! Je voudrais bien vomir, car j’ai le cœur tout plein de corruption et d’ordure comme une grosse apostume298 qui est remplie de pus et de puanteur.

– Il est vrai, ma fille dit la Sainte Vierge, vous avez bien mal au cœur, et il faut vomir et jeter dehors toute cette corruption afin de vous guérir.

– Je voudrais, dit la sœur Marie, avoir un bon couteau et me donner un coup dans le cœur, afin de l’ouvrir et d’en faire sortir tout le mal qui y est.

– Oui, dit la Sainte Vierge, il vous faut un couteau et on vous en donnera un, assurément. »

Depuis cela, Notre Seigneur lui dit que son cœur ainsi malade sont toutes les âmes qui sont en péché mortel, que le couteau c’est la parole de Dieu et la contrition, et que le vomissement est la confession.

Le jour de saint Matthias Notre Seigneur lui dit : « Mon amour divin vous a chargée des péchés des âmes, il vous a enchaînée de leurs chaînes et liée de leurs liens. Il n’y a que moi seul qui [77v] vous en puisse délier par ma puissance absolue. Je brise vous chaîne et romps vos liens. J’ai donné cette même puissance à mon vicaire et à tous les prêtres qui sont approuvés de leurs supérieurs : les chaînes marquent les péchés de malice, et les liens ceux de fragilité et d’ignorance. Pour pénitence vous direz trois fois le Vexilla chaque jour contre les sept péchés mortels, et au commencement de chaque Vexilla vous direz ce verset : Dirupisti vincula mea, tibi sacrificabo hostiam laudis299. Vous direz en outre les sept psaumes avec les litanies et les prières et au commencement de chaque psaume le même verset : Dirupisti et à la fin de chacun cet autre verset : Fuerunt mihi lacrymae meae panes die ac nocte : dum dicitur mihi quotidie : ubi est Deus tuus300. » Notre Dame ajouta le Stabat pour présenter à l’amour divin tout ce qu’elle a souffert en cette vie, et Notre Seigneur dit que c’était ici une disposition pour arriver à la fin. Mais il faut remarquer qu’en disant qu’il [77A]301 brise ses chaînes et qu’il rompt ses liens, il parle du temps présent comme du temps à venir selon le style de l’esprit prophétique.

Le 3 février 1646, elle dit à Notre Seigneur : « Pourquoi est-ce que j’ai une si grande frayeur qui me suit partout ? Quel sujet ai-je de craindre ? J’ai toujours dit la vérité, je n’ai jamais dit un mot que je doive dédire. »

Notre Seigneur lui dit : « Quand je me charge des péchés des hommes, je me charge aussi des appartenances du péché qui sont la frayeur, la crainte, l’ennui et la tristesse et de là vient qu’il est dit de moi : Cœpit pavere, taedere et mœstus esse302. C’est que l’âme qui est en péché mortel devrait avoir une grande frayeur de loger chez elle un monstre si épouvantable. Oh ! Qu’elle devrait avoir un grand ennui d’être dans un état si misérable ! Oh ! Qu’elle devrait avoir une grande tristesse d’avoir offensé un si bon Père comme est Dieu ! mais parce qu’elle est morte elle est insensible à ses maux. Quand je vous ai donné les péchés d’autrui, je vous ai donné les appartenances du péché, qui sont ces quatre choses. » Il ajoute : « Oh ! Que [77A v] l’âme qui est en péché mortel est digne de grande compassion. »

Chapitre 8. Elle est privée de toute consolation et ne croit point aux choses qui se passent en elle, et n’en parle que par contrainte : les sens font des conférences.

Un jour, comme la sœur Marie se plaignait à Notre Seigneur de ce qu’il donnait de son vin aux autres, c’est-à-dire, de la consolation par le moyen des choses qu’elle dit, et qu’à elle Il ne lui donnait rien : « C’est qu’il est jeûne pour vous, lui dit-il. Quand une dame jeûne en sa maison, elle ne laisse point de donner à boire et à manger aux autres. Vous jeûnez jusqu’au soir : c’est la veille de Noël. »

Une autre fois Notre Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point.

Lorsqu’elle est dans ses angoisses et souffrances ordinaires et qu’elle veut s’appliquer à la Passion de [78] Notre Seigneur comme il a été déjà dit, pour y chercher quelque consolation, on l’en empêche disant : « Sortez, sortez d’ici. »

Quand elle prend quelque sorte de consolation en quelque chose, tout aussitôt Notre Seigneur la lui ôte. Par exemple, elle a été quelque temps que dans ses souffrances elle avait recours à saint Joachim : elle lui parlait de ses peines et s’entretenait avec lui avec quelque tendresse, comme une fille avec son père, et elle trouvait qu’il l’écoutait volontiers et qu’il la consolait, mais on lui a défendu et interdit cette consolation, de telle sorte que non seulement elle n’oserait plus penser à saint Joachim, mais même quand elle passe devant son image et celle de sainte Anne, elle n’oserait les regarder.

Durant le mal de douze ans, elle vit deux portes à une chambre. L’une de ces portes était à l’orient, l’autre à l’occident. Celle qui était à l’orient était belle, grande et à deux panneaux : mais elle était fermée. Celle de l’occident était petite et ouverte, et elle, voyant quantité de personnes qui rentraient en foule et avec empressement par cette porte dans cette chambre, on lui fit entendre que l’orient signifie les consolations, et l’occident les désolations, et que, quand la Passion [78v] de Notre Seigneur était venue chez elle, elle avait fermé la porte d’orient et ouvert celle de l’occident, c’est-à-dire qu’elle avait fermé la porte à toutes sortes de consolations divines et humaines et qu’elle l’avait ouverte à toutes sortes de croix, de souffrances et d’angoisses. La porte des consolations est grande et celle des désolations petites pour montrer que quand le temps de consolation sera venu, Dieu sera bien plus libéral à nous consoler qu’Il n’a été à nous affliger.

Si elle croyait les choses qui lui sont dites intérieurement, ce lui serait une grande consolation dans ses peines, mais elle n’y a point de foi, hormis à quelques-unes dont il est impossible de douter. Aussi Notre Seigneur ne l’oblige pas de les croire, mais Il lui dit qu’elle les laisse telles qu’elles sont devant Dieu jusqu’à ce qu’elle connaisse clairement la vérité. Cependant elle demeure dans une si grande crainte d’être trompée qu’elle dit que si elle voyait faire des miracles en témoignage que tout est de Dieu, elle ne pourrait pas s’assurer ni les croire. À raison de quoi, se plaignant un jour à Notre Seigneur de ce qu’elle n’avait [79] point de foi et le priant de lui en donner, Il lui dit : « C’est assez que je crois pour vous : je suis votre foi et ma mère votre espérance, cela vous doit suffire. »

« Lorsque du commencement Notre Seigneur me disait quelque chose intérieurement en la façon qu’il a coutume de me parler, j’en divertissais mon esprit tant que je pouvais et me faisais une telle violence pour ne l’entendre point et pour l’effacer de ma mémoire que j’ai pensé me renverser la tête : plus je me faisais d’effort pour empêcher qu’on ne me parlât intérieurement, plus on me parlait fortement. Pour m’en divertir, je disais les psaumes, je chantais des hymnes, je parlais d’autres choses et je faisais tout ce qui m’était possible, mais tout cela en vain. Je ne voulais point aussi dire ces choses parce que je n’y croyais point.

« Lorsque je venais pour communier, les démons y mettaient empêchement, et quand on leur commandait dans les exorcismes de dire pourquoi, ils disaient que Dieu leur ordonnait de m’empêcher de communier jusqu’à ce que j’eusse déclaré ce qu’on m’avait dit en esprit. Et quand on leur [79v] commandait de dire ce que c’était, ils répondaient qu’ils n’en savaient rien et que je le savais bien. Là-dessus on me pressait de le dire et je ne le voulais pas, parce que je craignais que ce ne fussent que tromperies et que je ne voulais tromper personne (les choses qu’on me disait étant de très grande importance), mais les malins esprits, par l’ordre que Dieu leur en donnait, m’empêchaient de communier, comme aussi de boire et de manger jusqu’à ce que j’eusse parlé. Mais j’avais tant de peine à dire les choses que je choisissais plutôt d’être privée de la sainte communion que j’aimais néanmoins beaucoup et de ne manger point. Et en effet je demeurais jusqu’au soir sans manger et disais que j’aimais mieux mourir. Mais alors les démons me mettaient à la torture par le commandement de Dieu et me forçaient de les dire. »

Avant le mal de douze ans qui commença en Carême, durant tout l’Avant précédent, les sens intérieurs s’assemblaient tous les jours et faisaient une conférence sur ce qu’ils devaient [80] faire pendant le mal de douze ans, et la conclusion de la conférence était toujours de ne croire jamais à aucun esprit particulier, soit homme, soit ange même.

Quand il dirait qu’il serait Notre Seigneur qui viendra nous assurer qu’il n’y a point de tromperie en cette affaire, nous ne le croirions pas. Mais aussi, si un esprit particulier nous vient dire : « Je suis envoyé de Dieu pour vous dire qu’il y a ici de la tromperie, voici ce que nous lui répondrions : « Nous espérons tant de Dieu et de son infinie bonté, que si c’est Lui qui vous a envoyé pour nous dire cela, qu’Il vous enseignera aussi le moyen duquel nous devons nous servir pour sortir de l’état où nous sommes. Dites donc ce qu’il faut faire pour cela : si vous ne le savez point, c’est une marque que ce n’est point Dieu qui vous a envoyé, car Il est si bon qu’Il ne fait jamais connaître un mal sans en donner le remède. »

Depuis cette conclusion de la conférence des sens, il lui est impossible de croire à tout ce qu’on lui dit pour l’assurer qu’elle est en [80v] bon état. « Il n’y a que l’Église seulement, dit-elle, à qui je puisse croire. Si l’Église me disait que je ne suis point trompée ou que je le suis, je la croirais. Mais qui que ce soit qui m’assure que tout est véritable, je ne le puis croire, quand même il ferait dix miracles pour preuve de cela. Si un particulier me disait que tout cela est faux, à la vérité cela me remplirait de trouble et de frayeur, mais néanmoins je ne le pourrais point croire. »

Section 1. Le plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance.

Entre quantité de maux et de tourments que Notre Seigneur a envoyés à la sœur Marie, le plus grand de tous c’est le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance et qui la tourmentait horriblement. « C’était, dit-elle, un monstre [81] épouvantable qui me rongeait le cœur continuellement. » Pendant plus de trente-cinq ans, elle en a été travaillée. Elle se trouvait souvent environnée de ténèbres si épaisses et si horribles qu’elle ne savait où elle était, ni ce qu’elle était, ni s’il y avait une religion, une foi, un Dieu, et ce mal lui a pesé jusqu’à la mort.

Notre Seigneur lui a dit que c’était le plus grand don qu’Il lui eût fait.

Plus les dons de Dieu sont grands dans une âme, plus elle a de crainte de déplaire à Dieu. C’est pourquoi lorsque Notre Seigneur ou Notre Dame disent quelque chose à la sœur Marie qui lui est avantageuse, elle est saisie d’une grande crainte, dit-elle, qu’il ne lui vienne quelque souffle de vanité qui la perde. Si les choses que Dieu dit à notre avantage nous doivent faire craindre, combien devons nous trembler lorsque les hommes nous flattent et nous louent. « C’est moi qui vous ai donné, lui dit un jour la Sainte Vierge, cette crainte, c’est le plus grand don que je vous ai fait. Car la crainte [81v] est la nourrice de l’humilité et toutes les vertus sont les pensionnaires de la crainte. »

Notre Seigneur lui dit un jour que quand saint Paul avait dit ces paroles : Adimpleo ea quae desunt passioni ejus303, qu’il n’avait point parlé seulement en son nom et pour lui, mais qu’il avait aussi parlé en sa personne et pour elle, et que c’était une prophétie de ce qu’elle devait souffrir et de ce qu’elle devait obtenir par ses souffrances.

Chapitre 9. La Passion de Notre Seigneur est le cœur et l’âme de la sœur Marie et comme toutes choses l’affligent, on lui plante la Croix dans le Cœur.

Notre Seigneur lui a dit plusieurs fois qu’Il lui a ôté son cœur et qu’il lui a donné le Sien, qui est sa Passion, et que l’âme qui l’anime c’est cette même Passion et que c’est la cause [82] pour laquelle toutes choses l’affligent : le boire, le manger, le dormir, tout ce qu’elle voit, tout ce qu’elle entend, tout ce que la mémoire lui fournit, même les songes de la nuit, tout ce qui lui vient dans l’esprit.

Et il ne faut pas penser que cela vienne de quelque humeur mélancolique fâcheuse dont elle soit pétrie, car au contraire elle est sanguine de son tempérament et par conséquent elle est joviale, douce, facile, condescendante et obligeante tout ce qui se peut. Mais cela se fait par un ordre d’en haut et par une disposition secrète et merveilleuse de la Divine volonté. « Mon Père, lui dit un jour Notre Seigneur, a commandé à toutes ses créatures de vous affliger de sorte que en l’état vous êtes, quand on vous transporterait en corps et en âme dans le ciel et que l’on vous nourrirait des mêmes viandes dont les anges et les saints se repaissent, elles se convertiraient en peines et en afflictions pour vous. De là vient que quand Notre Seigneur lui parle, elle ne peut douter que ce ne soit Lui, mais néanmoins ses [82v] paroles se changent en amertume pour elle, pour ce que ordinairement après qu’Il a parlé, il ne lui reste rien que l’incertitude et la crainte d’être trompée. Elle pria un jour Notre Dame que les saintes vierges continuassent à demander à Dieu pour elle la communion et la connaissance de la vérité. Notre Dame lui dit : « Dites ma prière, je dirai la vôtre. » Et alors la sœur Marie dit la prière de la très Sainte Vierge qui est :

Lève-toi donc favorable et propice.

Ici, Seigneur, ton repos s’établisse

Et quant et toi304 l’arche de ton pouvoir.

Tes sacerdots305 soient vertus et justice

Et de chanter tes saints fassent devoir306.

Notre Dame lui dit ensuite que quand toutes les vierges se dépouilleraient de leurs joies pour les lui donner, elle n’en aurait aucun sentiment, parce qu’elle n’est sensible qu’à la douleur en l’état où elle est.

Une autre fois, après avoir prié Notre Seigneur une semaine tout entière de lui donner quelque chose, à la fin Il lui dit :

« Je ne vous [83] donnerai rien.

– Regardez-moi d’un œil de miséricorde.

– Je vous regarde, répliqua-t-il, d’un œil terrible et plein de rigueur et je commande à toutes les créatures de vous regarder en cette façon. »

Un jour qu’elle faisait cette prière à la très Sainte Vierge : Monstra te esse matrem307, « Oui, lui dit-elle, je ferais voir que je suis votre mère en vous bien châtiant » ; et une autre fois elle la vit tout embrasée de colère contre elle, et elle entendit qu’elle disait : « Je me vengerai en ma fureur ».

« Et en disant cela, elle me donnait de grand coups de pied dans le cœur qui me causait des douleurs incroyables, et au même temps je vis Notre Seigneur qui tenait entre ses mains une grande et pesante Croix, du bout de laquelle il frappait de grands coups sur mon cœur, ce qui m’obligeait de crier et de dire : « Oh ! Que vous êtes cruel ! Vous me promettiez tantôt mille belles choses, est-ce là l’effet de vos promesses ? »

« Il me répondit : “Je travaille pour ma mère : elle veut planter [83v] ma Croix dans votre cœur et je lui aide.” Je lui demandai ensuite : “Qu’est-ce qu’elle a d’être ainsi en colère ?” Et il me répondit : “C’est que ma mère est bonne couturière, la robe de la Justice lui était trop grande, mais elle se l’est fort bien ajustée, et elle lui [= vous ?] a donné la sienne, et de là vient que vous trouvez ma mère si rigoureuse et la divine Justice si douce.” »

Elle a été environ cinq ans, et c’était pendant le temps de sortilèges, qu’elle était remplie de grandes consolations et enivrée des douceurs inconcevables de l’Amour divin qui duraient longtemps et la transportaient toute hors d’elle-même et lui ôtaient presque entièrement l’usage des sens extérieurs. Pour lors Notre Dame la nourrissait de lait et de sucre : mais maintenant elle ne la repaît que de fiel et d’absinthe.

Quelqu’un lui dit : « La Sainte Vierge a bien peu de douceur pour vous.

– Pardonnez-moi, répliqua-t-elle, car elle est d’autant plus [84] douce qu’elle est rigoureuse. »

Il faut que chacun aille par son chemin. Dieu fait marcher les uns par le chemin de la consolation, et comme sainte Gertrude et autres, Il en conduit d’autres par celui des afflictions. Il est le maître, Il fait comme il lui plaît.

Section 1. Elle est privée de toute consolation et est remplie de souffrances. La consolation lui est un retardement dans sa voie, elle préfère les souffrances aux joies du paradis.

Lorsque ses parents la voulaient marier par force au commencement de sa possession, ils lui parlèrent des deux jeunes hommes qui la recherchaient. Elle s’informa de leur vie. On lui dit du premier qu’il aimait mieux la taverne que la messe :

« Sur quoi je dis qu’il ne me fallait point parler de celui-là. On me dit de l’autre qu’il aimait mieux la messe que la taverne. À quoi je répondis que si j’avais à épouser un homme, j’aimerais [84v] mieux celui-là que le premier. Longtemps après, lorsque j’avais oublié ce que j’avais dit sur ce sujet, comme j’étais dans les souffrances du mal de douze ans et que je me plaignais, l’Amour divin en se riant me dit que je n’avais point sujet de me plaindre et qu’on m’avait donné ce que j’avais choisi, que j’avais mieux aimé la messe que la taverne et qu’on m’avait donné la messe, c’est-à-dire la Passion qui est représentée par la messe, et non pas la taverne, c’est-à-dire le vin des douceurs et des consolations. »

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de ce que M. Potier n’avait pas assez d’application aux choses de Dieu dont elle parlait, mais se divertissait trop facilement ailleurs, elle lui disait :

« Pourquoi nous avez-vous donné cet homme-là ? Que ne nous donnez-vous plutôt celui-ci (parlant d’un autre) qui a tant d’affection à parler et entendre parler de vous ?

– Ce n’eût pas bien été ainsi, dit Notre Seigneur, et il était plus convenable de vous bailler celui-là, car quand il ne vous [85] écoute pas, c’est comme s’il vous disait : “Hâtez-vous de marcher, ne vous arrêtez pas.” Et si vous aviez eu cet autre, vous vous seriez arrêtés tous deux à boire tous les jours vis-à-vis l’un de l’autre et à vous enivrer de ce vin, qui sont toutes les choses qui se disent ici, et il n’aurait pas fait ses affaires pour le salut des âmes, ni vous les vôtres, qui sont de souffrir, car cela vous aurait beaucoup consolée et retardée. »

Notre Seigneur voulant faire voir comme elle n’aime que Lui purement et comme elle ne cherche ni la gloire ni le repos de la vie éternelle, mais seulement de souffrir pour l’amour de Lui, lui dit un jour :

« Voici que je viens à ma gloire, et ma sainte mère qui est assise à ma droite, nous venons ensemble vous quérir pour vous y mettre.

– Je ne vous connais point ni vous ni votre sainte mère en tant que vous êtes à la gloire. Je ne vous connais qu’en tant que vous êtes souffrant en moi et avec moi : je ne vous veux point dans votre gloire.

– J’ai souffert en vous, dit [85v] Notre Seigneur, je veux maintenant vous mettre en mon repos et en ma gloire. Pour moi, il faut que je demeure encore ici avec mon Église selon ma promesse, mais pour vous, venez en ma gloire.

– Non, répliqua-t-elle, je ne vous connais point dans votre gloire.

– C’est moi-même qui suis souffrant en vous, ajouta Notre Seigneur.

– Je ne connais point ce moi-même, dit-elle, en tant qu’il est en gloire. Ce n’est pas en tant que vous êtes en gloire que vous avez souffert avec moi et qui m’avez assisté en mes souffrances. Je veux demeurer avec vous dans mes souffrances, je renoncerais plutôt à la gloire. »

En l’an 1645...308

Section 2. Ses sens sont purifiés par plusieurs tribulations. Tourment de quinze jours et de douze jours. Elle rend grâce à la Trinité des cinq plaies qu’elle a portées.

[…]

Livre 4. Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre.

Chapitre 1. De son innocence, de sa pureté virginale, de son martyre.

Un jour la sœur Marie dit : « Notre Seigneur me fit voir une salle dont les murailles, le pavé et le plancher étaient d’or. Contre les murailles étaient des enrichissements d’azur. Dans cette salle étaient plusieurs Éthiopiens qui travaillaient : les uns filaient, les autres tissaient, les autres teignaient, les autres taillaient et cousaient des habits. Ils viennent à moi et me présentent une belle chemise bien blanche, secondement une robe de damas blanc, troisièmement une robe [92v] de pourpre. Je les renvoie bien rudement et me retire près de la cheminée et me mets à pleurer de douleurs de ce qu’on m’avait offert ces robes.

« Là-dessus, Notre Seigneur vint, qui me dit : « Pourquoi avez-vous refusé ces robes ? J’ai fait ces œuvres d’un royaume étranger, pour l’amour de vous, prenez-les ! »

– À moi, répondis-je, telles robes ! Je ne les prendrai point. C’est comme si vous en vouliez revêtir un âne, cela n’est pas à mon usage. Vous avez tant de belles princesses dans le ciel à qui elles conviendront mieux qu’à moi. Donnez-les à quelques-unes.

– Elles sont faites pour vous.

– N’importe, je ne les prendrai point.

– Prenez-les pour l’amour de moi, dis Notre Seigneur, si vous ne les prenez pas, vous ne m’aurez pas pour époux.

– Je ne vous aurais donc point [93] telles robes ne me sont pas propres.

– Je revêtirai votre âme, dit Notre Seigneur, de la lumière de gloire, moyennant laquelle ces robes vous siéront fort bien.

– Je subirai plutôt de n’aller jamais au ciel que de consentir que j’en sois revêtue. Ne savez-vous pas bien combien je hais l’honneur et les choses qui paraissent et éclatent ?

« Là-dessus, Il s’en va aux ouvriers leur disant : « Ne les lui présentez plus. Tels sont les enfants de mon père : ils veulent bien aller au combat, mais ils ne veulent point de récompense. »

« Un peu après, Il revient : « Pourquoi ne prenez-vous point ces robes ? Je veux par ce moyen donner une joie accidentelle à mes saints ».

« Je persiste à dire que je n’en veux point. Là-dessus il me mène [93v] en esprit au ciel. Je m’adresse à tous les saints et les prie d’intercéder pour moi auprès de Notre Seigneur à ce qu’Il ne me commande point de prendre ces robes. Ils me répondent que telle est Sa volonté, à raison de quoi je consentis à les prendre. Ensuite je vis toutes les Saintes Vierges dont les habits étaient plus blancs que la neige, mais d’une blancheur qui jetait des rayons qui se ramassaient tous en Notre Seigneur comme s’il eût été un aimant qui les attirait en soi, et Il me dit que c’était pour cela qu’on dit que les vierges le suivaient partout, parce qu’Il attire et réunit en soi tous les rayons de la pureté virginale. Les vêtements de la Sainte Vierge étaient d’une blancheur si délicate et si précieuse qu’il me semblait que si je l’eusse tant soit peu touchée je l’eusse salie, et même [94] que mon haleine était capable de la ternir. »

La salle, c’est le cœur de la sœur Marie. La chemise c’est son innocence, la robe rouge, c’est le martyre qu’elle a souffert, la robe blanche, c’est la pureté virginale. Les éthiopiens sont les diables qui par les souffrances qu’ils lui ont fait endurer ont servi à teindre et embellir ces robes. La robe blanche qui signifie la pureté virginale, laquelle est extrêmement agréable à Dieu, suit l’agneau partout où il va. Mais les moindres choses qui lui sont contraires la salissent.

« C’est pourquoi ensuite de cette vision, il me resta de très grands sentiments que les personnes qui aiment la pureté, eussent grandement en horreur toutes les plus petites choses, en pensées, paroles et actions. » [94v]

Chapitre 2. Trois degrés de perfection.

« Notre Seigneur me fit voir trois degrés de perfection, dit la sœur Marie. Le premier : Je me voyais debout et encore toute vivante, et j’entendais Notre Seigneur qui me disait avec un visage tout riant : “Venez, mon épouse, je vous donnerai mon repos et vous couronnerai de gloire.” Mais jetant les yeux pour découvrir à sa contenance ce qu’Il désirait le plus de moi, ou que j’allasse au ciel ; ou que je descendisse en enfer, je reconnus qu’il avait plus agréable que je descendisse en enfer pour y souffrir pour sa gloire, à quoi je me résolus, et Notre Seigneur témoigna grande joie de l’usage que je fis en ceci de ma volonté pour faire cette élection. Et voilà le premier degré de perfection qui consiste en une parfaite conformité de notre volonté à celle de Dieu en tout ce qui lui est le plus agréable. [95]

“Le deuxième degré. Je me voyais quelques années après comme une personne malade, languissante et agonisante, à la mort. Je voyais toutes les choses qui étaient en moi agoniser et mourir l’une après l’autre. L’esprit s’en alla le premier, la mémoire suivit après, puis l’entendement ; et tous avant que de s’en aller, venaient dire adieu à la volonté309 comme à leur reine et lui disaient qu’ils allaient trouver l’époux. La volonté partit ensuite et depuis je ne les ai plus revus, je ne sais où elles se sont. Pendant que j’étais dans cet état d’agonie, Notre Seigneur me disait : ‘Mon épouse, voulez-vous quelque chose, voulez-vous demeurer comme vous êtes ou si vous voulez, venir en ma gloire ? ’ Mais à tout cela je répondais que j’étais bien malade et que je n’étais point en état de faire aucun choix et qu’Il choisît [95v] pour moi ce qu’il Lui plairait. Et c’est le deuxième degré de perfection, dans lequel la volonté est encore vivante, mais elle ne fait plus d’élection : elle ne produit plus aucun acte comme étant déjà fort malade d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il Lui plaît.

‘Quelque temps après, je n’avais plus de vie ni de sentiments de rien. Je ne me voyais plus et je disais à Notre Seigneur : ‘Je ne sais ce que cela veut dire : vous me promettez, vous me donnez, dites-vous, les plus belles choses du monde et je n’en sens rien, je n’en vois rien et je n’en crois rien ! ’

– Est-ce que vous êtes, dit-Il, dans le néant ?

– Qu’est-ce que [d’] être dans le néant ?

– Je m’en vais vous le dire. Imaginez-vous un roi qui est mort. On le mène dans une chambre bien tapissée et pleine [96] de fleurs et de senteurs très agréables avec un appareil royal : il n’en voit rien, il n’en sent rien. On le prend, on le porte dans un cloaque ou bien on le jette aux chiens et aux corbeaux qui le déchirent et le mangent : il ne sent point tout cela non plus qu’auparavant. Quand on le porterait dans le ciel et qu’il serait au milieu des délices du paradis, il serait insensible à tout cela. Voilà ce que c’est que d’être anéanti. Voilà l’état dans lequel vous êtes qui est le troisième degré de perfection.’ Depuis ce temps-là, je ne me suis point retrouvée : je ne sais où je suis, si je suis morte ou vivante, en la terre ou au ciel.” [96v]

Chapitre 3. Règle de perfection.

Dès le commencement, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : “Nous ferons pleuvoir les vierges dans nos chambres tapissées.”

– Qui sont ces vierges ? disait-elle. Est-ce sainte Catherine ?

– Les vierges du paradis ce sont les vérités que je vous dirai, c’est-à-dire les choses qui sont ici écrites et beaucoup d’autres qui n’y sont pas. Je ferai pleuvoir ces vierges dans nos chambres tapissées en aussi grand nombre que les flocons de neige qui tombent dans l’hiver sur la terre. Ce sont des vierges parce que ce sont des vérités pures et purement véritables. Ce sont les paroles de l’ange Gabriel.

– Pourquoi les appelez-vous ainsi ?

– Parce que les paroles de cet ange sont la source de toutes ces choses et de toutes les grâces et faveurs qui ont été et seront faites aux hommes jusqu’à la fin du monde. »

Pour les chambres, Notre Seigneur les lui a expliquées après quelques années sous cette figure : Il lui a fait voir une belle maison en laquelle il y [97] avait deux grandes salles pavées de brique, sur lesquelles il y avait plusieurs croix. Dans la première de ces salles était logé l’appétit irascible avec toutes sortes d’armes pour tuer le péché. Il était enfermé là-dedans, dérouillant et ajustant toutes ces armes et quelquefois il sortait et tirait tantôt des coups de canon et tantôt des coups de mousquet pour tuer le péché. Il avait aussi des flèches qu’Il empoisonnait, qui représentent la contrition, laquelle est une flèche empoisonnée pour faire mourir ce monstre ; car si c’est une vraie contrition pour petite qu’elle soit, si elle blesse et entame un tant soit peu le péché, elle le fait mourir. Lorsqu’Il sortait et trouvait à la porte l’amour-propre et la sensualité, il les renversait par terre et les laissant là, il rentrait et refermait la porte sur lui.

Dans la deuxième salle était logé l’appétit concupiscible qui regardait et considérait quantité de beaux [97v] tableaux de tous les mystères de la vie de Notre Seigneur afin de s’exciter par là à L’aimer. Quelquefois il pleurait, quelquefois il était joyeux, selon les mystères qu’il contemplait.

Les deux salles étaient pavées de briques, c’est-à-dire de terre cuite, pour signifier que ces deux appétits sont les deux choses les plus basses qui soient dans l’homme : c’est de la terre, mais qui est cuite dans la fournaise de l’Amour divin en ceux qui usent de ces deux appétits comme il faut. Les croix qui sont sur cette brique montrent qu’il faut que ces deux appétits soient mortifiés et qu’ils meurent à tout ce qui n’est point Dieu.

Au-dessus de ces deux salles, il y avait cinq petites chambres pour les cinq sens tant extérieurs qu’intérieurs. Les chambres étaient toutes dorées. En chacune il y avait une petite table ronde, et sur cette table une écritoire, un cornet et dans ce cornet du sang, une plume de cuivre et [98] du très bon parchemin, et chacun de ces sens s’occupait à écrire, c’est-à-dire, à mettre en pratique et imiter le saint usage que Notre Seigneur a fait de ses sens. Le cornet c’est le cœur, le sang signifie la mort, car il faut faire mourir les sens à tout ce qui déplaît à Dieu. La plume de cuivre qui ne s’use point et ne se lasse point d’écrire, signifie la forte résolution d’imiter les sens de Notre Seigneur et la persévérance à le faire. Le parchemin c’est le corps et l’âme. Les cinq sens s’occupaient perpétuellement à regarder les cinq sens du Fils de Dieu, c’est-à-dire, à regarder l’usage qu’Il a fait de ses cinq sens pour les imiter et suivre partout.

Les yeux regardaient les yeux de Notre Seigneur et voyaient comme il a pleuré sur la ville de Jérusalem, c’est-à-dire, qu’il a pleuré sur ceux qui ne le ressentaient point et ne pleuraient point leurs péchés. Ils voyaient comment Il a regardé les pécheurs avec compassion, et à cette imitation [98v] ils regardaient tous les plus méchants en cette façon, car un méchant homme est semblable à un malade qui a la fièvre chaude : vous l’allez voir, il vous ignore, il veut vous battre, il prend un couteau pour vous tuer et au lieu de frapper sur vous, il s’en donne dans le cœur ; tant s’en faut que vous vous irritiez contre lui, qu’au contraire vous en avez compassion. C’est ainsi qu’il faut se comporter à l’égard des méchants mêmes au regard de ceux qui vous veulent et font du mal, car ils ne savent ce qu’ils font, en voulant offenser ils se tuent eux-mêmes. C’est ainsi que Notre Seigneur a regardé ceux qui le crucifiaient, lorsqu’il dit à son père : Nesciunt quid faciunt. Les oreilles regardaient comme Notre Seigneur a ouvert ses oreilles aux prières de tous ceux qui l’ont prié. L’odorat regardait comme Notre Seigneur a bien voulu sentir [99] les mauvaises odeurs des malades et des pauvres qu’il allait voir et qu’il ne méprisait point pour cela, et que, selon l’odorat intérieur, il a senti les péchés de ceux avec qui il conversait et que néanmoins, il ne les a point rejetés pour cela.

Le toucher regardait le toucher de Notre Seigneur qui a été déchiré, flagellé, couronné d’épines, cloué par les mains et par les pieds et mis en pièces par toutes les parties de son corps. Le goût regardait celui de Notre Seigneur qui n’a jamais mangé pour contenter son goût, mais seulement pour contenter la volonté de Dieu son Père. Chaque sens se tenant enfermé dans sa chambre, l’amour-propre et la sensualité étaient toujours dehors aux portes des cinq chambres aussi bien qu’aux portes des deux salles ; mais [99v] personne ne leur ouvrait.

Ces cinq chambres étaient pavées de plâtre blanc comme albâtre, et tout le pavé était couvert de quantité de petites croix toutes d’or, en sorte que chaque sens ne pouvait se remuer dans sa chambre qu’il ne marchât toujours sur la croix pour montrer qu’il faut toujours mortifier ses sens. Le plâtre est fait de terre cuite et détrempée dans l’eau ce qui signifie que les sens, qui sont difficiles à conduire, étant cuits dans le feu de l’Amour divin et détrempés dans l’eau de l’affliction et de la mortification, se purifient et deviennent blanc par ce moyen.

Sur ces cinq chambres susdites, au haut de la maison, il y avait trois autres chambres toutes dorées de très pur or. Au lieu que les sens élèvent les sens de Notre Seigneur dans leurs cinq chambres, on peignait dans ces trois ici les [100] divins attributs. L’Amour divin était le peintre et la Volonté divine était le pinceau. Car par sa Volonté divine, Il y peint tout ce qui lui plaît. La patience et la force divines faisaient le pavé de ces trois chambres, parce que ce sont ces deux divines perfections qui portent toutes les peines et afflictions.

Il n’y avait que les trois divins attributs qui entrassent dans ces trois chambres : l’Amour divin n’y peignait point autre chose, non pas même les vertus, car elles sont dans les autres petites chambres. Dans la première était la mémoire qui était assise pour garder et conserver les tableaux des divins attributs. C’est là son office. Dans la deuxième était l’entendement qui se promenait regardant et contemplant ces mêmes tableaux. Dans la troisième était la volonté qui aimait Dieu, qui jouissait de Dieu ou qui était unie à Dieu. C’est [100v] dans cette chambre qu’était le lit nuptial du divin époux.

Ces trois chambres étaient séparées par deux murailles qui étaient de cristal, si bien qu’on voyait tout ce qui était dans les trois chambres. Ces deux murailles étaient deux beaux miroirs dans lesquels les divins attributs se voyaient clairement et très parfaitement comme dans le ciel.

Ces deux miroirs, c’est [ce sont] la très sainte humanité de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge. Ces trois chambres sont découvertes par le haut et n’ont point d’autres toits que les rayons et la splendeur du soleil qui luit au-dessus et qui y bat à plomb comme en plein midi ; et ce soleil est l’Amour divin.

L’amour-propre et la sensualité ne montent pas à ces trois chambres et n’approchent point de leurs portes. C’est la divine Volonté qui commande à tous ces lieux et qui donne ses règles aux passions [101] aux sens et aux trois puissances de l’âme. Notre Seigneur ayant fait voir et expliqué tout ceci à la sœur Marie, il lui dit que c’était un abrégé de toutes les instructions qui sont dans ses écrits, et la règle de perfection, y comprenant ce qui suit.

Car après cela, la sœur Marie vit le Fils de Dieu qui venait visiter cette maison. Il entra dans la salle de l’Irascible qui est venu au-devant et s’est tenu debout devant Notre Seigneur comme étant près de suivre ses volontés. Et voici comment Notre Seigneur lui parla : « Ô mon général d’armée, vous avez vaillamment combattu pour moi : vous êtes tout chargé de lauriers, mais il n’y a plus de guerre. C’est pourquoi je vous viens donner le dernier journal. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, cas ils seront rassasiés. [101v] Voulez-vous entrer dans le repos ? »

À tout cela l’Irascible ne dit mot. « Si vous voulez, vous entrerez maintenant à la gloire. » Il ne répondit point, mais il prit un de ses couteaux et se coupa la langue et la jeta en disant : « Elle ne me servait de rien, je n’en serai point incommodé. C’est-à-dire ma propre volonté signifiée par la langue était encore en moi, mais je ne m’en servais point : c’est pourquoi cela ne m’incommodera point de la couper et de la jeter dehors.

Après cela Notre Seigneur a visité la salle de la Concupiscible et lui a tenu le même langage excepté qu’au lieu de dire : « Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif », Il a dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur net, car ils verront Dieu. J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné [102] à boire. »

Ensuite il est entré dans les cinq chambres et a parlé à tous les cinq sens ensemble et leur a dit : « Mes enfants, je viens ici pour vous payer le dernier journal : bienheureux les pacifiques qui souffrent en paix et patience les mortifications et les afflictions, car ils seront appelés enfants de Dieu. Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Non seulement les yeux ont pleuré, mais aussi tous les autres sens par les mortifications qu’ils ont souffertes. Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Voulez-vous entrer dans le repos ? » Ils sont demeurés debout sans dire mot, mais chacun d’eux a pris son canif, s’est coupé la langue et l’a jetée dehors. Le canif signifie un grand [102v] mépris de soi-même et de sa propre volonté représenté par la langue comme il a été déjà dit.

Après cela, il a visité les trois chambres d’en haut l’une après l’autre et il a demandé la Mémoire : « Est-elle là ? »

Non, il y a plus personne, ni entendement ni volonté : les divins attributs se promenaient en leur place et se miraient dans les deux cristaux qui sont l’Humanité de Notre Seigneur et de Notre Dame. Comme il est bien vrai que lorsque l’âme qui suit la volonté de Dieu commence à faire ce qui se fait dans ces trois chambres, les trois puissances s’y voient et s’y trouvent encore à la façon qui a été dite, tout de même que l’on voie encore la toile sur laquelle le peintre a commencé à faire un beau portrait. Mais peu à peu il la couvre de ses couleurs, de telle sorte [103] que l’on ne la voit plus. Elle y est encore et pourtant elle n’y est plus, car on ne la voit non plus que si elle n’y était point. Ainsi, quand l’Amour divin qui est le peintre de ces trois chambres commence à faire son ouvrage et à peindre les trois divins attributs sur les trois puissances de l’âme qui sont comme la toile sur laquelle il travaille du commencement, on les voit encore. Peu à peu il les détruit, ou plutôt il les couvre de telle façon qu’on ne les voit plus et qu’elles n’agissent plus, car c’est l’Amour divin qui y est tout et y fait tout.

Quand on est arrivé à ce point -là, Notre Seigneur ayant ainsi fait sa visite, Il appelle et voici venir six serviteurs qui étaient les deux appétits de Notre Seigneur, de Notre Dame et de notre sœur, c’est-à-dire l’Irascible et le Concupiscible. L’Irascible de Notre Seigneur avait une épée et un poignard : « Quittez vos armes, [103v] lui dit-il, car il n’y a point ici de guerre. » Le Concupiscible portait un beau miroir devant sa poitrine au travers duquel on voyait le cœur du Fils de Dieu comme une fournaise ardente d’Amour divin. Ces six serviteurs couvrent une belle table toute d’argent d’un beau doublier310 de damas blanc comme neige. Ils y mettent quinze assiettes toutes d’or, dont il y en avait cinq au milieu desquelles étaient écrites ces deux lettres : a [alpha] et o [oméga]. Ils y mettent aussi quinze belles serviettes dont il y en avait cinq au milieu desquelles était un grand rond de fil d’or et dans ce rond une croix d’or.

Cette table est le corps et l’âme qui sont purifiés du péché, argentum igne examinatum311. La nappe c’est la fragilité représentée par cette princesse dont il est parlé ailleurs, mais cela s’entend de la fragilité sanctifiée et qui suit en tous et partout la divine [104] Volonté. Ces quinze assiettes sont les cinq sens intérieurs de Notre Seigneur figurés par les cinq assiettes où il y a écrit alpha et oméga, et les cinq sens de la Sainte Vierge et les cinq sens de la sœur Marie. Les quinze serviettes sont les cinq sens extérieurs du Fils de Dieu représentés par les cinq serviettes marquées de ce rond et de cette croix d’or, ce qui montre comme Notre Seigneur a racheté le monde figuré par ce rond avec sa croix et sa Passion, et les cinq sens extérieurs de la Sainte Vierge et de la sœur Marie.

Cela fait, les divins attributs se mettent à table et prennent chacun sa serviette et la mettent devant eux. « Voyez-vous ces serviettes, dit Notre Seigneur à la sœur Marie : elles n’ont point de mouvement que celui que les divins attributs leur donnent.

Mais je ne vois rien sur la table, disait-elle.

Non, dit le Fils de Dieu, car les mets dont ils se repaissent sont incompréhensibles à votre esprit et ne peuvent être [104v] figurés par aucune chose.

« Voilà la conduite, dit la sœur Marie, que la divine Volonté tient sur ceux qui la font maîtresse de leur maison. Elle donne à chacun son office : c’est ainsi qu’elle règle les appétits, les passions, les sens et les puissances de l’âme. » L’office de l’Irascible est de combattre contre le péché et de le tuer. Celui du concupiscible est d’aimer Dieu et de considérer les mystères de sa vie pour s’exciter à l’aimer. L’office des sens est d’imiter ceux de Notre Seigneur, et quand on suit la divine Volonté en tout et partout, elle conduit à l’état qui est représenté par tout ce qui se passe dans les trois chambres d’en haut. [105]

Chapitre 4. L’état de perfection où est arrivée la sœur Marie est le plus haut degré du dénuement intérieur. De sa conformité avec Notre Seigneur.

« Le dernier degré du dénuement, dit la sœur Marie, c’est lorsqu’une âme est arrivée à un tel dépouillement et dénuement de soi-même qu’elle est prête d’aller en enfer pour une éternité et d’y être traitée de Dieu comme les diables et les damnés sans faire aucune réserve, mais s’abandonnant entièrement à la divine Volonté afin qu’elle fasse d’elle tout ce qu’il Lui plaira.

« Elle est envoyée pour servir, conformément au Fils de Dieu qui a dit : “Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir.” »

Avant que la sœur Marie demeurât chez M. de Juganville et M. Potier, ils avaient un serviteur. Mais la Sainte Vierge lui dit : « Allez vous jeter à genoux devant eux et les prier qu’ils vous prennent pour les servir et leur dites que vous les servirez tant qu’ils serviront Dieu. Mais lorsqu’il se [105v] passera quelque chose dans leur maison, qui sera contre son service [dites] qu’au lieu de les servir vous renverserez tout. » « Ce que je fis [dis la sœur Marie] et ils acceptèrent ainsi. Ensuite de quoi, je commençai à les servir très exactement, mais quand il se passait quelque chose chez eux qui déplaisait à Dieu, je brisais et renversais tout, malgré que j’en eusse et sans savoir pourquoi. »

Une fois, M. Potier avait donné une procuration à un sergent pour se faire payer de quelque argent qui lui était dû. Cet homme faisait payer ceux qui devaient, et allait boire l’argent à la taverne, s’enivrait, jurait et blasphémait et faisait plusieurs péchés. « Durant ce temps-là sans savoir d’où cela venait, je renversais tout dans la maison et comme on me demandait ce que j’avais : “Je n’en sais rien, répondis-je, mais je sais que je briserai tout.” Là-dessus on se mit en prière pour connaître la cause [106] du mal. Notre Seigneur le manifesta et dit que c’était cette procuration, et que si celui qui l’avait donnée n’y mettait ordre, que tous les péchés que ce sergent commettait retomberaient sur lui. M. Potier monta à cheval tout aussitôt, et va trouver cet homme, qui était à trois lieux de là, et lui ôta la procuration, et le désordre cessa. »

Section I. Elle est attachée à la queue de cheval de Notre Seigneur qui est son amour divin, afin qu’elle le suive partout. Elle est crucifiée avec lui.

Un jour elle vit Notre Seigneur et Notre Dame qui étaient prêts de partir pour aller quelque part. « Je commençais à dire à Notre Seigneur que je voulais aller avec eux.

– Non, me dit-il, vous ne viendrez point.

– Pardonnez-moi, j’irai partout où vous irez. [106v]

– Vous ne pourriez nous suivre à pied, répliqua Notre Seigneur, car je vais à cheval et je porterai ma mère en trousse.

– Si ferai, répondit la sœur Marie, je vous suivrai bien.

– Je vous assure, dit le Fils de Dieu, que si vous ne pouvez suivre, je vous attacherai par les cheveux à la queue de mon cheval.

– Comment, disait la Sainte Vierge, attacher une épouse à la queue de votre cheval par les cheveux ?

– Oui, je l’y attacherai, aussi pourquoi veut-elle venir ? Faut-il qu’elle nous suive partout où nous allons ?

– N’importe, redisais-je, faites ce que vous voudrez, mais je vous suivrai partout où vous irez. »

Voici l’explication de cette figure que Notre Seigneur en donna. Ce cheval est mon Amour divin qui m’a apporté en la terre et qui m’a fait faire tout ce que j’ai fait. Je porte ma mère en trousse, car elle m’a suivi partout en mes divines vertus et perfections. Personne ne nous peut [107] suivre parfaitement, s’il n’est attaché à la queue de mon cheval, comme je vous y ai attachée par les cheveux, car j’ai attaché toutes vos pensées, désirs et inclinations et affections représentées par les cheveux, aux pensées, désirs et inclinations de mon amour divin.

Une autre fois, sortant de l’Église, elle vit en esprit une croix forte haute et Notre Seigneur attaché à cette croix avec elle, et il lui dit : « Voyez, vous voilà crucifiée avec moi. » Pendant qu’elle souffrait les peines de l’enfer, saint Pierre et saint André lui parurent en esprit à ses deux côtés, la soutenant par-dessous les bras, et ils lui dirent plusieurs choses très belles de la Passion de Notre Seigneur, et que dans le ciel ils étaient entre les saints les plus semblables à Notre Seigneur en sa Passion, ayant été crucifiés comme lui, mais qu’il y avait [107v] grande différence entre leurs souffrances et les siennes, parce qu’au milieu de leurs tourments, ils avaient été remplis et enivrés de grandes consolations et qu’elle souffrait sans aucune consolation, comme Notre Seigneur a souffert, et que ce délaissement avec lequel elle souffrait, était ce qui était de plus excellent dans les souffrances.

Aussi Notre Seigneur lui dit un jour que la raison pour laquelle on ne lui faisait pas connaître sensiblement la vérité des choses qui se passaient en elle, était parce que, si elle la connaissait, elle n’aurait pas la conformité qu’elle avait avec lui en sa Passion, en ce qu’Il n’a eu aucun appui pour reposer sa tête, c’est-à-dire, aucun soulagement ni consolation. Le jour qu’elle allait au Béni, chez M. de Renty, pendant qu’on y faisait la mission en 1646, en juillet, elle fut fort triste au matin. Demandant à Notre Seigneur la raison, Il lui dit : « Si un poisson avait [108] l’usage de la raison et qu’on le tirât de la mer pour le mettre dans un étang d’eau douce, il en serait affligé. » L’eau douce représente la croix de ceux chez qui elle allait qui étaient des croix douces et accompagnées de consolations divines, la mer représente la croix de Notre Seigneur qui a été sans consolation. Et telle aussi a été celle de la sœur Marie.

Chapitre 5. Elle est la croix vivante de Notre Seigneur.

Le 29 octobre 1645, Notre Seigneur lui fit dire longtemps au nom de l’Église ce verset durant la grand-messe : Surge, sponse mi, tu et arca sanctificationis tuae in requiem tuam312. Et il lui dit que par cette arche était entendue la croix vivante qu’est la sœur Marie. C’est Lui qui souffre en elle, car Il lui a dit plusieurs fois : « Vous êtes ma croix dans laquelle Je souffre, mais il y a cette différence entre vous et la [108v] croix sur laquelle Je suis mort : qu’alors J’étais sensible et ma croix insensible, et tout au contraire Je suis insensible et vous êtes sensible. »

Chapitre 6. Notre Seigneur est toujours en son cœur et il y est régnant comme dans son palais royal.

Depuis la dernière communion qu’elle fit avant que de descendre en enfer Notre Seigneur est toujours demeuré dans son cœur tout de même comme si elle communiait continuellement : c’est là qu’elle Le voit et qu’Il lui parle si souvent.

En suite de la donation pleine et entière qu’elle fit de sa volonté à Dieu, ainsi qu’il est rapporté ci-devant, Notre Seigneur lui dit un jour : « Ô mon épouse, que je trouve une grande liberté dans votre âme : vous m’avez donné les clés de la maison, j’en suis le maître et je dispose de tout selon ma volonté. »

Un jour Notre Seigneur lui [109] ayant donné un rosaire à dire, Il lui parla en cette façon : « Je vous ai donné un rosaire : mais que me donnez-vous ?

– Je vous donne mon cœur, dit-elle.

– Vous me donnez votre cœur, dit Notre Seigneur. Il est à moi : ce n’est point d’aujourd’hui que vous me l’avez donné : il y a longtemps que j’en ai pris possession et que j’y fais ma demeure. Mais vous êtes semblable à un pauvre à qui le roi a donné une pièce d’or, en suite de quoi il lui dit : “Voilà un don que je vous ai fait : mais vous, que me donnez-vous ?” – Sire, répond le pauvre, je vous donne votre palais royal. Le roi réplique : “Il est à moi, vous ne me donnez rien — Il est vrai, sire, il est à vous ; mais s’il était à moi, je vous le donnerais.” » [109v]

Chapitre 7. Contestation entre l’esprit et les sens. Cinq versets pour les sens et cinq pour l’esprit. Notre Seigneur est son époux.

Il est raconté ci-dessus comme la sœur Marie fut trois jours sans pouvoir ni boire ni manger. Et le second jour, elle pria les sacrées plaies de Notre Seigneur de lui donner quelque chose. Elles lui donnèrent chacune une bouchée de pain. Au troisième jour, il lui fut dit : « Votre esprit vous viendra visiter », et à la fin de ce jour elle fut libre de boire et de manger quelque temps. Étant dans le chœur de la cathédrale au matin, son esprit l’aborda et se fit connaître à elle, en lui faisant ressouvenir de toutes les particularités de sa vie, de sorte que, après l’avoir entretenu une matinée, elle ne doutait point que ce ne fut un esprit. « Après midi je m’en vais disposer un présent pour vous donner. » Tôt après il vint et dit : « J’ai béni le feu » puis il ajouta : « J’ai prié Dieu qu’Il vous donne repos et Il me l’a [110] accordé. Je vais vous guérir et me réunir à vous pour aller ensemble au repos de Dieu. »

Elle lui dit, parlant en la personne de ses sens : « Je ne veux point d’autre esprit que le Fils de Dieu. Il m’a permis d’être mon esprit.

– Ce serait pervertir l’ordre de la nature, dit son esprit : un corps sans esprit ne peut pas être uni à Dieu.

– Je ne me soucie point de l’ordre de la nature, dit-elle : Dieu me l’a promis. »

Alors son esprit se mit à rire et dit : « La porchère espère le Dauphin. Le roi me l’avait promise, mais elle ne me veut point. » Le soir venu, après qu’elle eut dit ce verset du psaume 29, pendant ce colloque par lequel elle déclarait que tous ses désirs et ses soupirs tendaient au Fils de Dieu comme à celui qui était son esprit :



Mon âme à l’Éternel soupire :

[110v] Elle l’attend et le poursuit,

Non moins que l’aube

Ceux qui font la garde la nuit.



Elle dit les cinq versets suivants du psaume Diligam te Domine, etc. au nom et en la personne des sens, disputant contre l’esprit et se tenant bien forte de n’en avoir point d’autre que Notre Seigneur.



Par Ta seule valeur je fausse les batailles,

Mon Dieu, sous Ta faveur, je saute les murailles,

Sans rien appréhender ; mal ne peut advenir

à celui qui de Dieu le chemin veut tenir.



Puis j’espère en Ta foi qui n’est jamais changée

Du Seigneur la parole est au feu repurgée.

C’est un ferme bouclier, l’estomac remparant

De tout ceux qui sans crainte en lui vont espérant.



Car hormis l’Éternel, source de toute essence

Qui se peut dire Dieu ? Est-il autre puissance

Que de notre grand Dieu ? Dieu m’enceint de vertu,

Dieu me rend les périls un grand chemin battu.



[111] Il égale mes pieds aux biches plus soudaines

Pour, agile, gravir sur les roches hautaines.

Il adresse mes mains et les duit [conduit] au combat

Il fait qu’un arc d’airain est faible entre mes bras.



Tu me sers de pavois, de garde et de franchise

Ta droite me soutient, Ta faveur m’autorise.

Tu m’ouvres les chemins, assurés désormais.

Tu fais que mes talons ne vacillent jamais313.



Après cela elle rentra néanmoins en elle-même et jugea que l’esprit avait raison et se condamna soi-même ; mais pourtant elle prit résolution de se tourner plutôt au néant que de diminuer l’amour qu’elle portait à Dieu pour en donner une partie à quelque créature que ce fût, même à son esprit et là Notre Seigneur lui fit connaître le sens de ces paroles du psaume 96 :

La justice et le jugement

Fondent son trône et sa couronne.

« Aimer Dieu, c’est juste, lui dit-il, et choisir [111v] plutôt le néant que de diminuer l’amour qu’on lui porte, c’est jugement. »

Sur la minuit, son esprit revint et entonna sept versets du psaume314.

Ce premier verset s’entend des tribulations qui précéderont la conversion générale :



Un grand feu prompt et ravissant

Devant lui, terrible chemine,

Ses ennemis punissant,

Brûle tout ce qui s’avoisine.



Ce second s’entend de la lumière de la connaissance de Dieu entre la Terre :

Sa foudre en rayons flamboyants

Rend clair tout ce monde habitable

La terre tremble en Le voyant

Souple à Sa force épouvantable.



Les monts sont les diables :

Les monts devant un si grand Dieu

Se fondent comme de la cire

Devant Celui qui règne en tout lieu

Tout le monde est sous Son empire.



Les cieux sont les prédicateurs de ce temps-là :

Les cieux si prompts à s’émouvoir

Prêchent la Justice accomplie

Sa gloire au peuple Se fait voir

Toute la terre en est remplie.



[112] Ce verset s’entend des pécheurs qui adorent les plaisirs, honneurs et richesses :

Soient donc rechargés de mépris

Tous ceux qui servent les idoles

Et qui sont fiers en leurs esprits

Pour des vanités si frivoles.



Les anges sont les saints religieux, les dieux sont les saints prêtres, prélats et grands de la terre, Sion c’est la cours céleste :

Anges et Dieux, tous humblement

Courbez-vous devant la Hautesse.

Sion luit soudainement,

Son cœur fut comblé d’allégresse.



Les filles de Juda sont les saintes âmes du commun peuple :

De Juda les filles aussi

De joie ont eu l’âme ravie.

Voyant les lois régner ainsi

Et que la droiture est suivie.



Après tout cela Notre Seigneur lui dit que c’était Lui-même qui l’était venu visiter et qui avait fait cette épreuve.

« Mais mon esprit m’a fait connaître que c’était Lui.

– Vous n’avez plus d’esprit, dit Notre Seigneur, je l’ai pris ès sens et vous ai donné le mien. Votre esprit est déifié : c’était moi qui parlais à vous. » [112v]

Chapitre 8. Qu’elle est morte et anéantie et que Notre Seigneur est tout en elle.

Un jour voyant son bon ange, elle le pria de demander pardon à Dieu pour elle de ses péchés. Notre Seigneur et Notre Dame y étaient qui disaient : « Il faut qu’elle meure. » Elle demanda temps de faire pénitence. Mais ils disaient toujours : « Il faut qu’elle meure. » Elle sut par après que cela s’entendait de la mort à soi-même. L’ange pria Dieu de lui pardonner. « Je lui pardonne, dit-il, mais je ne la veux point voir. » Cette réponse l’étonna d’abord, mais on lui fit connaître que cela voulait dire qu’il fallait qu’elle fût anéantie.

Dans un intervalle des peines de l’enfer, elle vit Notre Seigneur comme crucifié en elle et qui était tout déchiré et couvert de plaies et environné de plusieurs bourreaux qui le tourmentaient. [113] Tout étonnée je lui dis : « Qui étaient ceux-là qui étaient si hardis que de mettre la main sur lui ?

– Ce sont les peines que tu as demandé à souffrir.

– Je ne les ai point demandées pour lui, dis-je, mais pour moi. »

À quoi il répliqua : « Qui es-tu ? »

« À cette parole je me vis anéantie en telle façon que je ne me trouvai plus moi-même et je connus très clairement que je n’étais rien du tout, mais que Notre Seigneur était tout en moi. À raison de quoi, je lui dis : “Mais si je ne suis rien, comment est-ce que j’ai pu demander ces peines ?”

– Ce n’est pas toi qui les as demandées, c’est mon amour divin qui les a demandées en toi et qui me les fait souffrir. »

C’est cet état de mort et d’anéantissement qui lui fait dire souvent : « Je ne sais où je suis, ni ce que je suis. C’est une chose bien étrange que d’être hors de son être naturel et de vivre dans la mort. »

Mais un jour comme elle se plaignait à Notre Seigneur de cela, il lui dit : « Vous êtes comme un bon [113v] homme de paysan qui donne sa maison et tout ce qu’il a à un roi, lequel y fait faire un beau château à la place. Ensuite de quoi le bon homme revenant par après sur le lieu et ne trouvant plus sa maison dit : “Où est ma maison ? Je ne la trouve plus.” La voilà, lui dit-on : elle est changée en ce beau château. »

Il lui est arrivé plusieurs fois de se mettre en colère par un mouvement extraordinaire qui ne venait par d’elle et de dire, en parlant fortement comme si elle eût parlé à des personnes qui l’eussent très incommodée : « Retirez-vous d’ici, qu’est-ce que ces gens-là font ici ? Je n’ai que faire de vous. » En disant cela, elle ne savait à qui elle parlait et pourquoi elle le disait.

Mais quelque temps après, la divine Volonté dit sérieusement les mêmes choses parlant aux éléments : « Retirez-vous, terre, nous ne voulons plus d’autre terre [114] que l’humanité de Jésus-Christ. Retirez-vous, eau, nous ne voulons plus d’autre eau que la sapience éternelle. Retirez-vous, air, nous ne voulons plus d’autre air que les douces haleines du Saint-Esprit. Retirez-vous, feu, nous ne voulons plus d’autre feu que l’amour divin. »

Notre Seigneur ajouta à cela : « Ceux que ma divine Volonté conduit, elle ne laisse rien d’humain : quand une âme est en cet état, c’est à elle que ces paroles s’adressent. Tota pulchra es amica mea et macula non est in te315. » C’est alors qu’elle est anéantie et que ces paroles s’accomplissent en elle : Vivo ego, jam non ego ; vivit vero in me Christus316. De là vient qu’en ses repas et en ses autres nécessités, Notre Seigneur lui dit : « Donnez-moi ceci ou cela à manger, ne me donnez point cela. J’ai besoin de telle ou telle chose. »

Quelque autre fois, lorsque qu’elle est pressée d’ennui et d’angoisse sur l’attente de la fin, Il lui dit : « Je suis bien ennuyé, dites-moi un secret : la [114v] fin viendra-t-elle bientôt ?

– Je n’en sais rien, dit-elle.

– Ne dites point cela, dit Notre Seigneur, vous le savez bien.

– Je l’ignore en vous, et vous le savez bien en moi. »

Au commencement de l’Avent de l’année 1645, elle demanda à Notre Seigneur qu’Il lui permît de se priver de beurre durant ce temps pour se préparer à la fête de Noël.

À quoi il répondit : « Non, je ne vous permets point cela. C’est mon père qui m’a donné le beurre (car en ce temps-là elle ne mangeait que du beurre). Pourquoi me voulez-vous ôter ce petit soulagement que mon Père m’a donné pour m’aider à passer cette manière de vie qui est si douloureuse. Je vous donnerai autre chose à faire pour vous préparer à la fête de ma naissance. » Et il lui donna des rosaires à dire.

En l’an 1649, le jour saint Jean Porte Latine, elle [115] entendit une voix fort agréable qui chantait en elle ces versets du Psaume : Dominus regit me […] preparasti in conspectu meo mensam adversus eos qui tribulant me. Impinguasti in oleo caput meum : et calix meus inebrians qui praeclarus est.

Tu prépares devant mes yeux

Une table en mets abondante.

Présents, mes mortels envieux

Marris317 de ta grâce évidente.



Puis bénin le chef m’engraissant

D’une huile d’odeur souveraine

De breuvage réjouissant

Tu rends ma tasse toute pleine318.



De cette voix qui chantait ainsi sortaient des étincelles de feu qui tombaient sur les sens et leur causaient une très grande consolation. Ayant entendu chanter cette voix, elle regarde pour voir quel était celui qui chantait. Elle vit que c’était son esprit qui chantait [115v] et au lieu qu’elle l’avait toujours haï auparavant, elle commença à l’aimer et à lui parler en cette façon : « Quelle explication donnez-vous à ces choses que vous venez de chanter ? »

Alors il lui fit entendre que ces deux versets, spécialement le dernier qui commence : « Puis bénin le chef... » jusqu’à la fin, étaient deux abîmes très profonds, remplis de quantité de mystères et de significations.

Desquelles en voici une sur la première strophe : « La table en mets abondants » signifie les âmes converties. Mais outre cela Il lui dit que la vraie explication de ces deux versets était comprise en cette parole de saint Paul, I Cor.15 : Sicut in Adam omnes moriuntur, ita in Christo omnes vivificabuntur319. Ayant dit cela, il se cacha et elle ne le vit plus. Alors Notre Seigneur vint, qui lui dit : « Comment vous dites que vous n’aimez que moi et vous haïssiez autrefois votre esprit et maintenant vous l’aimez ?

– Il est vrai, dit-elle : mais c’est qu’il [116] me semble être changé et qu’il a une voix fort agréable.

– Ce n’est point sa voix, dit Notre Seigneur, que vous avez entendue, c’est la mienne et ce n’est pas lui que vous avez vu et que vous aimez : c’est moi ou plutôt c’est mon habit que vous avez vu, dont je suis revêtu, savoir votre esprit. Car on ne voit pas la personne, mais l’habit dont elle est revêtue qui est une chose morte : ainsi votre esprit est mort et j’en suis revêtu comme de mon habit que vous avez vu et non pas moi, comme aussi vos sens sont morts et mes sens en sont revêtus. Et voilà la raison pour laquelle vous ne pouvez pas vous confesser ; s’il y a des défauts en vous, il me les faut attribuer. » [116v]

Section 1. Que Notre Seigneur rend plus d’honneur et de gloire à son Père, qu’Adam et toute sa postérité ne lui en auraient rendu quand ils seraient demeurés dans la Justice originelle.

En l’année 1649, au mois de juin, comme elle marchait dans la grande Église, elle commença à dire par un mouvement extraordinaire et sans savoir ce qu’elle disait, en parlant à Notre Seigneur : « Je voudrais vous rendre autant d’honneur et de gloire... »

Ici Notre Seigneur l’arrêta en lui disant : « Combien me voudriez-vous rendre d’honneur et de gloire ?

– Je voudrais, répondit-elle, vous en rendre autant qu’il me serait possible.

– Ô ce n’est pas cela, dit Notre Seigneur.

– Je voudrais donc vous en rendre autant que tous les démons vous en auraient rendu, s’ils vous avaient été fidèles.

– Ce n’est point encore cela, dit Notre Seigneur Jésus Christ.

– Enseignez-moi donc, dit-elle, ce que [117] je dois dire.

– Oui-da, répliqua-t-il ; dites ainsi : “Je voudrais vous rendre autant d’honneur et de gloire comme Adam et toute sa postérité vous en auraient rendu s’ils avaient conservé la Justice originelle !

– Ô c’est à vous à faire ce chef-d’œuvre et non pas à moi.

– Qu’êtes-vous donc ? » dit Notre Seigneur.

Alors, venant à se regarder, elle ne trouve rien.

Notre Seigneur dit : « Vous êtes ce qu’a dit saint Paul : Vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus320. C’est moi qui suis vivant en vous et je rendrai à mon père tout l’honneur et la gloire qu’Adam et sa postérité lui auraient rendu, s’ils étaient demeurés dans la Justice originelle. »

Et c’est pourquoi l’Église chante : O vere necessarium Adae peccatum. O felix culpa quae talem ac tantum meruit habere Redemptorem321.[117v]

Section 2. Comme son esprit, sa mémoire, son entendement, sa volonté, ses passions, ses sens et sa raison s’en sont allés au néant.

Ç’a été dès le commencement de ses souffrances qu’elle a commencé d’entrer dans la mort et dans l’anéantissement. Toutes les puissances de son âme, les passions, les sens intérieurs et extérieurs furent malades et ensuite vinrent à mourir. L’esprit qui est la partie suprême de l’âme qu’on appelle mens, fut le premier qui s’en alla dans le néant, puis la mémoire et par après la volonté, puis les passions, l’irascible et la concupiscible, les sens intérieurs et extérieurs. La raison fut la dernière qui s’en alla. Lorsque la mémoire était malade et que je l’appelais, dit la sœur Marie, ou que je me [118] voulais ressouvenir de quelque chose, quelquefois Notre Seigneur répondait pour elle, quelquefois aussi lorsque je parlais à Notre Seigneur, la mémoire répondait pour Lui, afin de montrer par là qu’elle était transformée en Lui. Et le même arrivait à l’entendement et à la volonté ; mais depuis qu’elles sont mortes et qu’elles s’en sont allées, je ne les ai ni vues ni ouïes, non plus que les passions et les sens. Cette mort, et anéantissement de toutes ses puissances, consiste en ce qu’elles n’ont point d’action par elles-mêmes, non plus que si elles n’étaient point, n’agissant plus que par l’esprit de Jésus-Christ souffrant, qui est en elle vivant. À raison de quoi, elle dit que la Passion de Notre Seigneur est l’âme qui l’anime. Lorsque la raison s’en alla, elle l’entendit parler ainsi à Notre Seigneur : « Mon créateur, je vous ai servi [118v] et honoré dans l’enfer : si vous avez agréable, j’irai vous servir et honorer dans le néant. » Et ayant dit cela elle s’en alla au néant et anéantissement de toutes ses puissances. Cela ne s’est pas fait tout d’un coup, mais en plusieurs années, y ayant beaucoup de temps et d’intervalle entre chaque puissance.

Lorsque l’esprit s’en alla, il dit adieu à son corps et lui dit qu’il s’en allait en la béatitude et au repos, et ce fut à la sortie de l’enfer, après y avoir demeuré avec le corps depuis le 21 novembre jusqu’au samedi qui précède la Quasimodo. Car comme il fut sorti de l’enfer, elle le vit tout joyeux et elle l’entendit disant : « Je m’en vais voir l’époux. » Ensuite de quoi l’ayant suivi jusqu’au ciel, elle l’aperçut comme il s’alla asseoir sur la [119] poitrine de Notre Seigneur et y reposer six semaines durant. L’ayant prié d’avoir pitié de son corps et de demander à Dieu son repos, au bout de ces six semaines elle le vit descendre aux pieds de Notre Seigneur et se mettre à genoux devant Lui pour lui faire cette prière : « Mon Créateur, je vous prie de donner repos à mon corps, lequel était entré dans les peines de l’enfer.

– Oui, dit Notre Seigneur, je lui donnerai repos. »

Lorsque la volonté était malade, elle envoya l’entendement à Notre Seigneur pour savoir de Lui si elle lui était agréable, lequel lui répondit qu’oui et lui montrant les plaies de ses mains, Il lui dit : « Voyez comme je l’ai écrit dans mes mains et lui dites ce que vous avez vu. »

L’entendement ayant rapporté cela à la [119v] volonté, elle se mit en colère contre lui, disant qu’il était un trompeur, parce que ce rapport contenait quelque louange.

Pendant ce même temps, il se fit un jeu entre l’amour divin et la même volonté. C’est le nom que lui-même a donné à ceci qui consistait à ce qu’elle disait à Dieu comme saint Augustin : « Si j’étais Dieu et que vous fussiez ce que je suis, je me voudrais dépouiller de ma divinité pour vous la donner, et ainsi cesser d’être Dieu pour être ce que je suis, et que vous cessassiez d’être ce que je suis pour être ce que vous êtes. » Et ceci s’appelle un jeu parce que, lorsque l’âme entre dans la déification et que l’amour divin l’anéantit en elle-même, il se joue d’elle, parlant en sa personne et disant : « Si j’étais Dieu », etc. Et ceci est une des choses desquelles il lui est impossible de douter [120] qu’elle ne soit véritable, laquelle fait voir la transformation en Dieu et la déification.

Les deux passions qu’elle appelle ainsi, l’irascible et la concupiscible, s’en allèrent en cette façon : l’Irascible partait la première en cette sorte. Un jour comme la sœur Marie était malade au lit, Notre Seigneur ainsi qu’il est rapporté ailleurs, lui apporta des fruits dans un plat, qui étaient d’une façon fort vilaine et désagréable, lui demandant si elle en voulait manger.

Et elle, connaissant que ces fruits représentaient les péchés, lui fit cette réponse : « Non, je n’en vais point manger. Vous êtes tout-puissant, vous pouvez créer tous les jours de nouveaux enfers, mais si tous les jours, voire à tout moment, vous faisiez de nouveaux enfers et que [120v] vous ne cessassiez d’en faire pendant toute l’éternité, j’aimerais mieux les souffrir tous que de manger de ces fruits. »

Ayant dit cela, l’Irascible, qui était celle qui parlait en cette façon, s’en alla au néant. Cette protestation contient le dernier degré de haine du péché, haine qui appartient à l’irascible, car son office est de haïr le péché et de ne haïr rien que le péché.

Quelque temps après, la Concupiscible suivit en cette manière : son esprit l’étant revenu voir, comme il a été dit au chapitre 7, livre 4322, il lui demande si elle ne voulait pas se réunir avec lui pour jouir ensemble de la béatitude.

Elle le rebute et dit que non.

« Mais je suis votre esprit : nous avons été créés ensemble dans le ventre de notre mère », et ensuite il lui raconte tout ce qu’ils avaient fait ensemble durant tout [121] le cours de sa vie, afin de lui faire connaître qu’il était véritablement son esprit, lui témoignant avec cela une grande affection et un grand désir d’être réuni avec lui, mais elle continue à le rebuter disant qu’elle ne veut point de lui. « Mais que deviendrez-vous donc ? Répliqua l’esprit, si vous ne voulez être réuni à votre esprit. Vous ne pouvez pas jouir de Dieu, car Dieu ne se réunit pas à un morceau de terre. »

Il est vrai, dit-elle, j’avoue qu’il est convenable que le corps se réunisse à l’esprit, mais maintenant j’aime mieux être réduite au néant que de donner à qui ce soit et même à mon esprit la moindre parcelle de l’amour que je dois à Dieu. » En disant cela, la Concupiscible qui était celle qui parlait, s’en alla au néant [121v] avec cette protestation qui contient le plus haut degré de l’amour divin.

Et Notre Seigneur dit à la sœur Marie que c’est ce qui est compris dans ce verset : Justitia et judicium correctio sedis ejus323. La Justice et le Jugement fondent son trône et sa couronne : car aimer Dieu par-dessus toutes choses, c’est justice. Se juger soi-même et se condamner, être réduit au néant plutôt que de [ne] donner à aucune chose créée la moindre étincelle de l’amour qui appartient à Dieu, c’est lui préparer un trône en soi-même.

Les sens intérieurs furent malades sept ans avant que de mourir et que d’aller au néant, et ce furent les sept premières années du mal de douze ans, pendant lesquelles elle ne cessa de pleurer nuit et jour.

Quelque temps auparavant qu’elle entrât dans le mal de douze ans, elle disait souvent aux ecclésiastiques avec lesquels elle demeurait : « Notre Seigneur a dit que là où deux ou trois seront assemblés [122] en son nom, Il sera au milieu d’eux. Assemblons-nous donc afin de chercher la volonté de Dieu et d’aviser à ce que nous ferons en ce temps-là » ; mais eux ne comprenaient point ce langage, les sens s’assemblaient tous les jours et conféraient ensemble, ainsi qu’il est rapporté ailleurs et disaient fort souvent, parlant à la Sainte Vierge : « l’épouse du Saint-Esprit nous veuille être en aide ! » Enfin après sept ans ils s’en allèrent au néant.

Les sens extérieurs s’y en allèrent aussi lorsque, ainsi qu’il est rapporté ailleurs, elle entendit cette voix de Notre Seigneur parlant à la terre : « Ô terre, terre, terre, je suis noire, mais je suis belle, le soleil m’a décolorée. » Et que s’étant tournée pour voir celui qui parlait à elle, ne vit plus personne, même ne se vit plus et ne se trouva plus soi-même, à raison de quoi elle commença à crier : « Et où suis-je [122v] allée, moi-même ? ». Car ses sens extérieurs s’en étaient allés au néant.

Lorsque la raison était malade, l’amour divin était son médecin et les médecines qu’Il lui donnait étaient de lui ôter tantôt une chose, tantôt une autre, jusqu’à ce qu’elle fût morte. Car aujourd’hui il lui ôtait la méditation, demain les prières vocales, puis d’autres choses, et ainsi elle s’en alla peu après au néant.

Voici comment l’esprit, les trois puissances de l’âme, les passions, les sens intérieurs et extérieurs et la raison ont été anéantis en la sœur Marie, transformée en Dieu et déifiée, et ce sont les suites que la communion doit opérer dans les âmes, car nous recevons Notre Seigneur non pas pour le transformer en nous, mais pour être transformé en lui et déifiés. [123]

Section 3. Elle est toute anéantie en soi-même et toute transformée en Notre Seigneur et déifiée.

Un jour étant dans l’église des pères capucins, comme les frères se disposaient à faire la Sainte communion, elle se vit elle-même dans la Sainte hostie, ce qui l’étonna étrangement. Et une autre fois étant aux pères jacobins, elle vit la même chose : ce qui fait voir qu’elle est toute transformée en Notre Seigneur et déifiée, et c’est l’effet de ce qu’Il lui a dit un très grand nombre de fois, à savoir qu’Il l’anéantirait toute et qu’Il ne laisserait non plus en elle que dans le Saint-Sacrement où Il ne demeure rien que les espèces visibles du pain. Sur quoi, comme une fois elle disait à Notre Seigneur : « Vous dites que vous opérez tant de choses en moi et cependant il me semble que tous les autres font mieux que [123v] moi ! », Il lui fit cette réponse : « Quand il y a une hostie consacrée avec plusieurs autres qui ne le sont point, il n’y a que celui qui l’a consacrée et marquée qui la puisse discerner et distinguer des autres, et quand Il voudra, Il l’élèvera et la fera connaître. On voit par là qu’elle n’est plus et que c’est Dieu qui est tout en elle, et qu’Il l’a toute changée en soi et déifiée, selon les paroles qu’Il dit à saint Augustin : Non mutabor in te, sed mutaberis in me324. » C’est la déification dont parle la théologie mystique : c’est le plus haut point de la grâce chrétienne qui fait que ceux qui y sont arrivés sont des Jésus-Christ vivants et marchants sur la terre.

Conformément à cela, Notre Seigneur lui dit un autre jour, comme l’on instituait la confrérie du Saint-Sacrement dans l’église Saint-Pierre à Coutances325, « Vous êtes de cette confrérie ! » Il y a peu [124] qui en soient. La sapience de Dieu les a enregistrés : ce sont ceux qui sont anéantis en eux-mêmes et où il ne reste rien d’eux, non plus que du pain dans une hostie consacrée.

Voici encore une chose qui fait connaître cette vérité : un jour elle disait par un mouvement extraordinaire : « Je ne me trouve point bien, non, je ne me trouve point bien.

Je veux vous aider à vous chercher et à vous trouver, dit le Fils de Dieu. Allons à saint Augustin : il vous montrera le chemin. Écoutez, voici ce qu’il dit : “Si vous aimez la terre, vous êtes terre ; si le ciel, vous êtes ciel. Si vous aimez Dieu...” » Il demeura là sans achever le reste de ces paroles de saint Augustin qui dit : « Si vous aimez Dieu, vous êtes Dieu », et s’en alla riant et disant : « Regardez ce que [124v] vous êtes, vous voilà trouvée. »

Section 4. Autre anéantissement qui s’appelle l’expiravit326 de l’esprit, lequel ensuite épouse la divine Volonté.

Le 20 juillet 1653, j’ai entendu la sœur Marie, laquelle toute enivrée d’amour vers la divine Volonté, parlait ainsi : « Je me suis donnée à la très adorable volonté de Dieu. Je veux aller partout où il Lui plaira. Si elle a agréable de m’envoyer au néant, me voilà toute prête de partir pour y aller, mais il n’est pas nécessaire qu’elle m’y mène, c’est assez qu’elle me commande d’y aller. Je lui obéirai de bon cœur et avec joie. J’ai pourtant une requête à lui présenter avant que de partir : c’est que je demande un peu de temps pour rendre grâce à Dieu de l’être qu’Il m’a donné [125] de tous les dons qu’Il m’a faits depuis que je suis au monde. Cela étant fait, je suis toute prête de partir pour aller au néant. On me dira que je sais bien que Dieu ne m’y enverra pas, mais je répondrai que non, que je ne sais point cela. Qui aurait cru qu’Il m’aurait envoyée en enfer toute vivante ! Il est tout-puissant. Il fera ce qu’il Lui plaira de moi. Je n’ai qu’une chose à faire, obéir à la très adorable volonté de Dieu. »

Là-dessus, Notre Seigneur lui fait plusieurs interrogations : « Si vous allez au néant, n’avez-vous point de regret de quitter ma mère ?

– Nenni.

– N’avez-vous pas bien de la peine à ne plus voir la divine Justice que vous aimez tant, l’Amour divin, la Charité et les autres divins attributs ?

– Nullement.

– La divine Volonté pour laquelle vous avez tant de tendresse ne vous [125v] donnera-t-elle pas quelque regret de la quitter pour jamais ?

– Non, pourvu que je lui obéisse, c’est tout ce que je veux.

– Mais ne voulez-vous pas que je la prie de vous laisser dans l’être ?

– Non, car je désire qu’on la laisse dans sa pleine liberté de faire de sa créature ce qu’Il lui plaira. Je n’ai rien à faire que de lui obéir exactement. C’est mon paradis, tout le reste ne m’est rien, je n’ai ni goût, ni affection, ni sentiment pour aucune autre chose, non plus que si j’étais une pierre. » Elle disait toutes ces choses avec une vérité très cordiale, très profonde et très solide, ce qui fait voir comment elle est dépouillée de soi-même de toutes choses et en quelle manière la divine Volonté est régnante.

J’oubliais à dire qu’elle disait ces choses avec un si grand désir d’aller au néant qu’elle [126] assurait que s’il y avait quelque chose au-delà du néant, qu’elle voudrait y aller pour montrer par là son désir extrême d’obéir à la divine Volonté.

Or depuis ce temps-là Notre Seigneur lui a dit que c’est l’expiravit de l’esprit et que celui des sens n’est point encore venu, car l’esprit fait ses affaires bien plus promptement que les sens, mais qu’il appliquera son grand Jubilé aux sens afin de les délivrer de ce qu’ils auraient encore à souffrir et d’abréger le temps de leurs souffrances ; de sorte que c’était l’esprit qui disait toutes les choses susdites et qui désirait tant de s’en aller au néant. Il y est allé par cet expiravit et a emporté avec lui tous ses grands désirs, ses frayeurs et sa forme, c’est-à-dire toutes les souffrances qu’il avait entrepris de porter pour le salut [126v] des âmes.

Il avait tant d’affaires, dit la sœur Marie, il avait tant de désirs, il désirait sauver toutes les âmes, il voulait souffrir pour elles de nouveaux enfers. D’ailleurs il avait des frayeurs d’être trompé si épouvantables qu’elles glaçaient le sang dans les veines et sapaient la racine de la vie. À raison de quoi il désirait ardemment de connaître la vérité, mais il s’en est allé et a emporté avec lui tout cela : ce qui se voit si manifestement et non sans une grande admiration de ceux qui la connaissent particulièrement.

Car auparavant que son esprit s’en fût allé, nous l’avons vu auparavant si embrasée de ces désirs et spécialement depuis quelque espace de temps, du désir de connaître la vérité, que cela ne se peut exprimer par aucunes [127] paroles, et nous l’avons vu plongée si avant dans ses frayeurs, qu’il n’y avait ni homme, ni ange capable de l’en tirer et que tout ce que l’on pouvait dire pour l’assurer et pour diminuer tant soit peu ses craintes restait inutile, et maintenant il ne reste aucun vestige ni de ses craintes, ni de ses frayeurs. Tout cela était propre à l’esprit, tout cela s’en est allé au néant avec lui, et il a laissé les sens bien joyeux de son départ, comme des enfants qui étaient sous la discipline d’un maître sévère et rigoureux, lequel les a quittés et s’en est allé.

Or ce que c’est que le néant dans lequel l’esprit s’en est allé, et comment il s’est séparé d’avec les sens, c’est ce qui ne se peut dire ni se comprendre jusqu’à ce [127v] qu’il plaise à Dieu de manifester Lui-même ce mystère. Ce n’est pas le néant dont il est parlé dans lequel l’esprit, la raison, la mémoire, la volonté, les sens s’en allèrent les uns après les autres : c’est une autre sorte de néant que tous ceux qui voient tout ceci de près demeurent bien convaincus par toutes sortes de preuves que c’est un ouvrage de la toute-puissance de Dieu. Mais d’en coucher l’intelligence sur le papier, c’est ce qui ne se peut, non plus de ce qui suit, dont Notre Seigneur a assuré la sœur Marie, à savoir que lorsque son esprit s’en est allé au néant, il a épousé la divine Volonté, c’est-à-dire qu’il n’est plus qu’un avec elle : Qui adhaeret Deo, bonus et pius est. Il est anéanti en soi-même et n’est plus rien qu’en elle ; il s’est donné à la divine Volonté : elle l’a accepté et l’a épousé.

Notre Seigneur a encore dit à la sœur Marie que comme son [128] esprit épouse la divine Volonté, ainsi ses sens intérieurs et extérieurs épouseront les siens, et que par l’expiravit de ses sens qui viendra bientôt, ils mourront en eux-mêmes pour ne vivre et n’agir plus que par les siens desquels ils seront l’habit dont ils seront revêtus. On lui a donné aussi deux béatitudes pour son esprit et deux pour ses sens. Ç’a été Notre Seigneur qui lui a donné tout cela, excepté le dernier verset qui est pour les sens et qui lui a été donné par la Sainte Vierge.

Voici les deux béatitudes et les deux versets qui appartiennent à l’esprit et qui expriment l’état où il a été et où il doit être : beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt. Beati qui esuriunt et sitiunt Justitiam, quoniam ipsi saturabuntur327. [128v]

Le premier verset des psaumes : Zelus domus tuae comedit me et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me, Desportes l’a ainsi traduit :

Car le zèle embrasé

De ta sainte maison m’a rongé jusqu’à l’âme

Et de tes blasonneurs l’outrage et le diffame

Sous le faix m’a brisé328.



La maison de Dieu [ce] sont les âmes qui sont véritablement les temples où Dieu réside. Les blasonneurs sont les péchés d’autrui pour lesquels la sœur Marie a souffert tant de maux, mais il en prendra vengeance ; ce qui est exprimé par ce verset suivant qui est le second que Notre Seigneur a donné à l’esprit :

Super aspidem et basiliscum ambulabis et conculcabis leonem et draconem.

Tu marcheras dessus la tête

De l’Aspic sans te faire mal

Et sur la venimeuse bête

Qui s’enorgueillit du nom royal ;

Les petits faons de la lionne [129]

De tes pieds seront écrasés

Et toute la rage félonne

Des dragons de venin tachés329.



Voici les deux béatitudes et les deux versets qui appartiennent aux sens et qui donnent à entendre l’état par lequel ils sont passés et dans lequel doivent entrer :

Beati mites quoniam ipsi possidebunt terram330.

Cette terre c’est l’humanité sainte de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Beati qui lugent quoniam ipsi consolabuntur, abyssus abyssum invocat331.

Un abîme de misères et d’afflictions demande, et obtiendra un abîme de joie et de consolation.

Dilexisti justitiam et odisti iniquitatem, propterea unxit te Deus, Deus tuus, oleo laetitiae prae consortibus suis332.

La justice te plaît, tu détestes l’outrage

C’est pourquoi Dieu, ton Dieu qui bénin t’avantage.

Sur tous tes compagnons comme plus à son gré

T’a d’huile de liesse abondamment sacré.



C’est ce verset qui a été donné par la Sainte Vierge. Enfin tout ce que j’écris ici n’est rien en [129v] comparaison des choses grandes, profondes et admirables que Dieu a opérées en cette sainte âme, lesquelles je crains beaucoup profaner par mes paroles bégayantes qui sont infiniment éloignées de leur dignité et sainteté. Certainement il me semble que je puis dire avec une grande vérité dans la connaissance que j’en ai, quoiqu’imparfaite, que la main d’un séraphin ne serait pas trop bonne pour les écrire telles qu’elles sont.

J’oubliais de dire que lorsque l’esprit dit adieu à Notre Seigneur, car il lui demanda s’il ne lui dirait point adieu : « Je vous dirai, répondit-il, factus obediens usque æ mortem, mortem autem crucis333. Je ne fais que ce que vous avez fait le premier quand j’ai désiré ainsi obéir à la divine Volonté. » Il dit aussi adieu à la divine Justice en cette façon : « Ô de qui les beautés nonpareilles surpassent, surpassent tous les fils des mortels. »

La sœur Marie dit que la définition de la Justice est [130] « toute beauté » parce que le propre de ce divin attribut est de détruire toute laideur qui n’est autre chose que le péché.

Section 5. L’expiravit des sens.

L’an 1654, le 30 mars, ce qui avait été prédit le 20 juillet de l’année précédente touchant l’expiravit des sens fût accompli. Ensuite de quoi la sœur Marie demeura morte à soi-même et à toutes choses, même selon les sens d’une manière merveilleuse et inexplicable. « Je ne sais ce que je suis devenue, je suis tout à fait perdue », disait-elle. « Je ne sais d’où je viens et où je vais, je ne sais où je suis ni ce que je suis, si je suis une créature ou un néant. Il n’y a que Dieu seul qui sait le lieu où je suis. »

Il est vrai qu’il y a longtemps qu’elle est morte à toutes choses. Mais néanmoins depuis ceci, on voit en elle cette mort en un plus haut degré qu’auparavant [130v] et néanmoins ce n’est pas encore ici le dernier degré, car on l’assure qu’il y a encore un expiravit pour les sens.

Chapitre 9. Son beau verset.

Étant un jour dans la chapelle des enfants de chœur en l’église cathédrale de Coutances, elle entendit Notre Seigneur qui chantait en son esprit ce verset du psaume 71 : Et erit firmamentum in terra, in summis montium ; superextolletur super Libanum fructus ejus et florebunt de civitate sicut fœnum terrae.

Plein poing de froment répandu

Sur les monts aux cimes hautaines

Croîtra tellement étendu

Que, sous les venteuses haleines

Sembleront des fruits ondoyants

Du Liban les bois verdoyants334.



Notre Seigneur lui a donné plusieurs explications [131] très sublimes où sont comprises quantité de très grands secrets que la divine Sagesse fera connaître quand Il lui plaira. Ce qu’on peut dire, c’est que ce froment signifie le Saint-Sacrement. Les monts aux cimes hautaines sont les divines personnes de la très Sainte Trinité. Les venteuses haleines sont les prédicateurs qui travailleront à la conversion générale.

Les bois verdoyants du Liban, c’est-à-dire les cèdres qui représentent les grands saints dont le monde sera peuplé en ce temps-là, et particulièrement les infidèles convertis, lesquels après leur conversion surpasseront en sainteté les fidèles de ce temps autant que les cèdres surpassent les arbres communs.

Un jour, comme elle parlait à Notre Seigneur de ce beau verset et qu’elle lui disait : « C’est mon beau verset.[131v]

– C’est le mien, lui dit-il.

– C’est le mien, répliqua-t-elle.

– Non, c’est mon beau verset, disait Notre Seigneur, parce que ce n’est pas vous qui m’avez changé et verti335 en vous, mais c’est moi qui vous ai vertie à changée en moi.

– N’importe, dit-elle, c’est mon beau verset. »

Enfin Notre Seigneur lui dit qu’elle avait raison, et que c’était son beau verset, puisque c’était par son moyen et par le mérite des souffrances qu’Il avait portées en elle, que les pécheurs seraient convertis et que de vases de contumélie336 ils seraient changés en vases d’élection.

De là vient qu’elle vit un jour Notre Seigneur tenant par un coin au bout de son doigt un beau mouchoir qu’il faisait ventiler et tournoyer au bout de son doigt : « Mon époux, voilà un beau mouchoir pour essuyer vos larmes : c’est votre beau verset, car ces [132] larmes ne seront jamais bien essuyées que par la guérison et conversion de toutes les âmes. » Voilà pourquoi elle voulait un jour faire vœu de demeurer et de souffrir en la terre, jusqu’à ce qu’elles fussent toutes converties et hors de péril pour leur salut. Mais Notre Seigneur et Notre Dame l’empêchèrent de faire ce vœu.

Section 1. Son beau verset est un verset divin sorti d’un conseil divin et c’est la sapience éternelle.

Un jour elle vit les trois personnes divines dans le Saint-Sacrement, qui étaient comme trois rois d’une égale beauté et grandeur. Tous trois, la couronne sur la tête, ils étaient debout, tête-à-tête, vis-à-vis les uns des autres et parlaient ensemble [132v] comme tenant conseil sur quelque chose d’importance. Elle vit aussi la Sainte Vierge qui était assise aux pieds des trois personnes divines, tenant son fils en son giron comme un petit enfant emmailloté qu’elle allaitait, ce qui représentait Notre Seigneur en tant qu’homme, et elle se vit elle-même comme un petit chien blanc qui sautait autour de Notre Dame, quelquefois sur l’enfant. Cette vue dura huit jours environ, pendant lesquels elle voyait toujours les trois personnes divines qui parlaient et conféraient ensemble et elle disait en elle-même : « Qu’est-ce qu’ils disent tant ? » Sur quoi on lui dit intérieurement que c’était d’elle qu’on parlait et de l’affaire qu’elle avait entrepris de la conversion générale.

Longtemps après, elle vit la divine Sapience qui marchait dans son sein et dans sa chair, mais d’une manière [si] admirable qu’elle [133] dit être bien assurée qu’il n’y a que la Sapience éternelle qui puisse faire de telles démarches, qu’il lui est impossible d’en douter. D’abord qu’elle l’aperçut marcher ainsi dans sa chair et dans son sang, elle dit, parlant à Notre Seigneur : « Qui est-ce qui fait ces belles démarches, n’est-ce point mon beau verset ? Car, dit-elle, j’aimais tant mon beau verset que j’eusse bien voulu lui attribuer tout et que c’eût été lui qui eût tout fait. »

Mais Notre Seigneur lui répondit : « Non, ce n’est pas votre beau verset. Toutes fois, c’est lui, mais il a changé de nom. Il ne s’appelle plus un beau verset, mais un secret divin qui est sorti de ce conseil divin que les trois personnes divines ont tenu dans le Saint-Sacrement », et Il lui fit connaître que c’était la Sapience éternelle, c’est-à-dire Lui-même, qui faisait ces merveilleuses démarches dans sa chair et dans son sang. [133v]

Et depuis elle sut que c’est de ces démarches dont il est fait mention dans ces paroles du prophète Isaïe : Quis est iste qui venit de Edom tinctis vestibus de Bosra ? Iste formosus in stola sua, gradiens in multitudine fortitudinis suae337.

Section 2. Son beau verset lui est représenté par une pierre précieuse enchâssée dans une bague.

Une autre fois, Notre Seigneur lui fit voir son beau verset sous la figure d’une pierre précieuse enchâssée dans une bague. Cette pierre précieuse est le Saint-Sacrement, la bague c’est la sœur Marie. Elle vit la très Sainte Trinité qui arracha la pierre de la bague, mit la bague dans le feu et dans la pierre précieuse une fontaine de lumière, et après que la bague [134] fut purifiée dans le feu et raffinée jusqu’à vingt-quatre carats, la Sainte Trinité remit dans la bague la pierre précieuse avec la source de lumière, et redonna la bague à la sœur Marie.

Lorsqu’elle l’eut, elle dit à Notre Dame : « J’ai un beau présent à vous faire, c’est une bague digne de la Mère de Dieu », Notre Dame lui dit : « Gardez-là : J’en ai une semblable que mon époux l’Amour divin m’a donnée.

– Vous en aurez donc deux, dit la sœur Marie, car je vous la donne.

– Non, dit la Sainte Vierge, vous ne pouvez pas la donner, car elle tient au bras.

– Coupez-le, dit la sœur Marie.

– Nenni, dit Notre Dame : le bras est à moi, c’est celui de mon Fils, il m’appartient premier qu’à vous. »

Alors la sœur Marie demeura confuse, et connut en effet que c’était le bras de Notre Seigneur où était la bague, qu’elle croyait être le sien.

Une autre fois ayant cette bague au doigt, elle se vit en esprit en une nacelle, laquelle était [134v] enfoncée dans une profonde fosse pleine d’eau et de boue. La nacelle était toute couverte d’eau. La pierre précieuse jetait de tous côtés sur l’eau et sur les bords de la fosse grande quantité de rayons. Notre Dame qui était sur le bord de la fosse ramassait ces rayons. Elle fit un gros câble qui d’un bout tenait à la pierre précieuse d’où ils sortaient et qu’elle attacha de l’autre bout à l’anneau d’une clé d’or qui était dans la serrure de la porte du jardin de l’amour divin dont il est parlé ailleurs. Après cela elle défila le câble et de chaque fil qui était un rayon elle en fit une chaîne d’or, au bout de laquelle il y avait un crochet d’or. La sœur Marie lui demanda à quelle fin tout cela, et elle lui dit qu’elle faisait autant de chaînes comme il y aura de personnes qui communieront après la conversion générale, et qu’elle [135] les jetterait dans le cœur de toutes ces personnes-là pour les lier et attacher si fortement à son Fils qu’elles ne retournent plus au péché et qu’elles gardent le fruit de leur communion, étant blessées d’amour par cette agrafe.

Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage.

Durant le temps que la sœur Marie était travaillée par les sortilèges, elle vit un ange envoyé de Dieu, non par les yeux du corps ni par ceux de l’imagination, car elle ne le vit point sous aucune forme, ni figure ni aspect, mais par une vision intellectuelle, très claire, très certaine et évidente. Cet ange lui [135v] parut fort beau et il lui dit de la part de Notre Seigneur qu’il était envoyé pour lui dire qu’il la demandait en mariage. C’était alors qu’elle avait un si grand désir de souffrir pour le salut des âmes, dont il est parlé ailleurs, et ce mariage était pour l’unir à Notre Seigneur afin de souffrir en elle tout ce qu’il y a souffert. C’est de ce mariage dont il est fait mention au lieu où il est rapporté qu’elle le vit un jour passer au milieu des saints avec un visage fort joyeux et disant qu’il était prié d’aller en noces et qu’il entra dans un cabinet où était sa sainte mère, où elle pleurait avec abondance, laquelle le revêtit de sa robe nuptiale, laquelle robe représentait la sœur Marie dont il est revêtu pour souffrir. Car tantôt elle était représentée sous le nom d’épouse, tantôt sous le nom de robe. Voici la réponse qu’elle fit à l’ange : « Je remercie [135]338 le Fils de Dieu et vous aussi, et je vous prie de lui dire que je me donne toute à Lui et que je le prie de disposer de moi en temps et en éternité en la façon qui lui sera le plus agréable.

Section 1. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit lui donnent la bénédiction. Dieu conduit toutes ses actions et exauce ses prières.

Auparavant qu’elle fût en enfer, elle entendit le Père éternel qui lui dit : « Je donnerai ma bénédiction à votre silence, c’est-à-dire, ainsi qu’Il l’expliqua longtemps après, l’effet de la bénédiction que Je vous donnerai, sera que J’enverrai ma divine patience en vous, laquelle imposera silence à tous vos sens et à toutes vos passions, en sorte que, quelque mal que vous enduriez [135v] vous ne pourrez vous plaindre. » Et en effet on ne l’entendit jamais se plaindre : « Lorsque j’étais en enfer et quelquefois lorsque je commençais à me plaindre, je ne pouvais passer outre, mais je changeais de discours. »

« J’entendis aussi le Fils de Dieu qui me dit : « Je bénirai et conduirai toutes vos actions extérieures » : ce qu’il fit véritablement, car je ne sais comment je pourrais m’appliquer à toutes les actions de la maison et du ménage, étant occupée dans l’esprit comme je suis, si Notre Seigneur ne m’assistait très particulièrement. Quelquefois quand je suis à l’Église, étant en doute si je dois y demeurer ou m’en aller faire ce qui est à faire dans la maison et que je demande à Notre Seigneur ce que je dois faire, il me dit parfois que je choisisse, et alors je choisis toujours ce qui est d’obligation. J’appelle [136] d’obligation les actions qui regardent le service que je dois rendre dans la maison où je suis. Car la Sainte Vierge m’y a envoyée pour y servir.

« J’entendis aussi le Saint-Esprit qui me dit : “Je vous inspirerai toutes vos prières et je les exaucerai.” »

Section 2. Il y a un grand feu caché sous la cendre.

Pendant qu’elle était prisonnière dans un cachot à Rouen339, quelqu’un se présenta devant la petite fenêtre du cachot, se moquant d’elle. Auquel elle répondit en cette façon : « Là, là, dit-elle, il y a pourtant un grand feu caché sous la cendre. Lorsqu’il sera découvert, il embrasera tout. » Elle dit ceci sans entendre ce qu’elle disait, mais environ quarante ans après, Notre Seigneur lui dit qu’un grand torrent d’eau a passé par-dessus le feu et sur la [136v] cendre, sans la mouiller en aucune façon, que le feu a toujours pris accroissement sous la cendre, que le temps est venu que l’on le va découvrir, qu’il reste encore quelque peu de moiteur, qu’il séchera en un instant, et que ce feu est l’amour de la charité qui est en elle. La cendre est la honte, l’ignominie et le mépris qu’elle a souffert, le torrent c’est l’Ire de Dieu qu’elle a portée.

Section 3. Elle se revêt d’une vieille robe qui représente son état.

Un jour elle se vit dans une belle salle, assise auprès de Notre Seigneur, où l’on faisait un festin magnifique et il y avait de très belles princesses assises à cette table. « J’y étais aussi, habillée comme une princesse. Jetant les yeux sur Notre Seigneur, j’aperçois dans son [137] visage qu’Il désirait quelque chose. Je l’observai pour savoir ce que c’était. Je vois qu’Il regarde toutes ces reines et qu’au même temps il jette les yeux sur une vieille robe qui était en un coin de la salle, toute couverte de vers, de crasse et d’ordure, témoignant qu’il eût bien désiré que quelqu’une de ces princesses se fût dépouillée de sa belle robe et se fût revêtue de ces vieux haillons pour l’amour de Lui. Aussitôt que j’eus connu Sa volonté, je me levai promptement craignant que quelqu’une ne me prévînt. Je me dépouille de ma belle robe et me revêts de celle-là, puis je m’assois sur le pavé, dans un coin de la salle, mettant ma tête sur mes genoux et demeurant là en cette posture.

« Voici le maître de la maison, c’est-à-dire l’Amour divin qui entre et en me regardant me dit : « Comment êtes-vous entrée ici [137v] sans avoir votre robe nuptiale. Sortez d’ici, dépouillez ces vieux haillons et allez prendre votre robe nuptiale.

Non, je ne ferai point cela.

« Alors Il commanda qu’on me prît et qu’on me jetât pieds et poings liés dans les ténèbres extérieures. Ce qui fut fait, et cependant Notre Seigneur avait toujours les yeux fixés sur moi. Cette vieille robe ce sont les coulpes d’autrui que j’ai prises sur moi, m’étant offerte à Notre Seigneur pour les porter. Ces vers dont elle est couverte, se sont les remords qui tourmentent les damnés. Les ténèbres extérieures c’est l’enfer où j’ai été jetée. Mais Notre Seigneur qui avait toujours les yeux fixés sur moi me dit : “Pensez-vous que faisant ce que vous avez fait pour l’amour de moi, il Me fût possible de vous abandonner ? Non, non, [138] J’aurai toujours les yeux collés sur vous, quelque part que vous soyez et Je serai toujours avec vous, même dans l’enfer.” Il lui dit aussi que c’était l’explication de la parole de l’Évangile qui parle de cet homme qui fut jeté dans les ténèbres extérieures, parce qu’il n’était point revêtu de la robe nuptiale. »

Section 4. Elle est noire, mais elle est belle. Elle a une bague à son doigt.

Un jour, la sœur Marie vit et entendit Notre Seigneur qui chantait fort doucement durant trois jours, parlant en la personne de ses sens et de son esprit à son Amour divin : Nigra sum sed formosa quia decoloravit me sol340. Puis il disait la même chose en français, le latin était pour l’esprit et le français pour les sens. « Je suis noire, mais je suis belle, car le soleil m’a décolorée », c’est-à-dire [138v] l’Amour divin. En disant cela, Il tourna les yeux vers le ciel et paraissait comme tout ravi et transporté.

« Au second jour je vis la terre sous forme d’une femme qui parlant de moi dit : « Jamais monstre si hideux n’a marché sur la terre. »

« Pourtant, lui dis-je, j’ai une belle bague à ma main, qui était mon beau verset, dont il est parlé ailleurs.

« Passez, dit-elle, vous et votre belle bague. Jamais monstre si épouvantable n’a marché sur ma face, ni homme ni diable. »

« Au troisième jour Notre Seigneur parlant à la terre : « Ô terre, terre, terre, je suis noire, mais je suis belle. C’est le soleil qui m’a décolorée. » Et ayant dit cela, Il s’en alla.

« Ensuite de quoi la terre joignant ses deux mains sur sa tête, puis les laissant tomber sur ses genoux [139] comme ferait une personne fort désolée, commença à dire, en pleurant fort amèrement : « Nous l’avons vue, mais nous ne l’avons pas connue. » Elle disait et redisait cela sans cesse avec de grandes plaintes et de grandes lamentations.

« Et moi, venant à me tourner et ne trouvant plus Notre Seigneur comme aussi ne me trouvant plus moi-même, car il se fit encore un anéantissement, je commençai à pleurer disant : “Où suis-je allée moi-même, je ne me trouve point.” Je dis cela trois ou quatre jours, mais l’Amour divin parut qui me fit taire. »

Voici une autre chose conforme à ce qui vient d’être dit. Une fois, Notre Seigneur lui demanda pourquoi elle désirait tant la beauté de l’âme.

Elle dit : « C’est pour vous être plus agréable. Mais je vous assure [139v] que si pour être la plus laide que vous ayez jamais vue, je vous étais plus agréable, je voudrais l’être. »

Notre Seigneur lui répondit : « Vous êtes la plus laide qui ait jamais été, à cause des péchés dont vous êtes chargée, et pourtant vous m’êtes très agréable. »

Section 5. Elle est représentée par un ver de terre.

Un jour, comme elle cherchait ce qu’elle était, car « encore suis-je quelque chose », disait-elle en soi-même.

Notre Seigneur lui voulant faire connaître qui elle était, lui fit voir en esprit un petit ver de terre dans son petit trou, lequel de temps en temps faisait sortir sa petite tête hors de son trou, disant à Dieu : « Je vous adore mon Créateur, et je vous remercie [140] de ce que vous m’avez donné l’être et la vie : ayez pitié de l’ouvrage de vos mains. » Puis il se retirait. « Voilà ce que vous êtes selon la chair et les sens, dit Notre Seigneur, car selon l’esprit vous n’êtes point ce que le petit ver est entre les animaux pour l’estime dans l’esprit des créatures raisonnables, c’est-à-dire que comme c’est le plus contemptible et le dernier de tous les animaux, ainsi est-ce de cela.

– Mais, dit la sœur Marie, une vérité infaillible est comme un article de foi. L’être et la vie c’est Notre Seigneur Jésus-Christ que Dieu nous a donné. Car il n’y a que Lui qui soit et qui vis et il est notre être et notre vie, car sans Lui nous ne sommes rien. Ayez pitié de l’ouvrage de vos mains, c’est-à-dire, de toutes vos créatures. »

Ce ver est tout nu et est dépouillé du ciel [140v] et de la terre, ce qui représente comment la sœur Marie est dépouillée de toutes choses.

Section 6. Trois oiseaux : un paon, un aigle et une colombe qui représentent le parfait usage qu’elle a fait des trois puissances de son âme.

Notre Seigneur lui fit voir une fois trois oiseaux qui représentent le parfait usage qu’on doit faire des trois puissances de son âme. Le premier était un paon qui étendait et regardait ses plumes puis venant à jeter les yeux sur ses pieds, il les resserrait. Le second était un aigle qui regardait fixement le soleil, et lorsqu’il voyait ses petits aiglons dans quelque danger, il venait fondre en terre pour les ramasser et pour les délivrer du péril. Le troisième était une colombe qui était sans fiel et qui se paissait sur le bord des torrents. Le paon c’est la [141] mémoire des serviteurs de Dieu qui regardent et contemplent Ses dons, grâces et bienfaits, représentés par les belles plumes du paon. Mais après cela, ils jettent les yeux sur leurs pieds, c’est-à-dire sur leur néant, ensuite de quoi ils resserrent leurs plumes et réfèrent tout à Dieu. L’aigle est leur entendement qui regarde Dieu fixement par la contemplation de ses mystères et de ses divines perfections, mais lorsqu’il voit ses petits, c’est-à-dire ses sens, être en péril de tomber dans quelque faute, il vient fondre en terre, c’est-à-dire, il s’abaisse pour les retirer du danger. La colombe c’est leur volonté qui est sans fiel, c’est-à-dire sans péché et qui se paît sur le bord des torrents des peines et des souffrances de cette vie. Et j’entendais341 Notre Seigneur qui disait qu’Il aimait mieux sa colombe que les deux autres. « Ô ma colombe, disait-il, ô ma colombe sans fiel. » [141v] Tout ceci représente l’état de la sœur Marie, quoiqu’elle ne le dise pas.

Voici comment M. Le Pileur342 raconte cette histoire :

« On lui fit voir trois oiseaux, un paon, un aigle et une colombe. Notre Seigneur dit au paon : “Faites un peu la roue et regardez votre plume”. Plus on lui disait cela, plus il serrait ses plumes et tenait la tête baissée entre ses pieds : “Je vous assure que j’enrichirai vos pieds de tant de pierres précieuses que vous serez contraint de les quitter pour regarder vos plumes.” L’aigle contemplait toujours le soleil, la colombe ne faisait rien et était aveugle. Le paon c’est la mémoire ; les plumes se sont les histoires qui ont été écrites. L’aigle c’est l’entendement qui contemple la divine Volonté. La colombe, c’est la volonté que Notre Seigneur disait qu’il aimait mieux que les autres et disait gaiement : “Ô ma colombe sans fiel.” » [142]

Section 7. L’amour divin fait un tableau en la sœur Marie, et la sœur Marie fait un beau tableau de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Voyant un jour l’Amour divin qui faisait un tableau, elle lui demanda quel tableau c’était.

« Il me dit que c’était le plus beau tableau qu’il eût jamais fait après celui de Notre Seigneur et de sa sainte Mère. « Je n’ai pas eu de peine, se dit-il, à faire celui de Jésus-Christ et de sa Mère : j’avais une toile fort douce et fort déliée, mais j’ai bien eu de la peine en celui-ci, car j’ai une toile bien rude et très grossière. C’est à cause des horribles maux que la sœur Marie souffre. »

« Je lui demandais souvent s’il avait bientôt fait et il me répondait que oui. Par après je lui demandais encore et il me dit : “C’est fait, mais il faut le sécher avant que de le faire voir.” Quelque temps après, il me dit encore [142v] qu’il lui fallait faire une encastillure343 et qu’il lui en ferait une fort belle. Enfin l’encastillure étant faite, il dit qu’il fallait mettre quelques pièces de bois par derrière pour l’appuyer et quand il aurait tout achevé, qu’il le donnerait à son épouse, c’est-à-dire à la Sainte Vierge afin qu’elle en fît ce qu’elle voudrait, que c’était pour elle qu’il travaillait et qu’il lui donnait tous ses ouvrages. »

Pour entendre ce qui va être dit, il faut savoir qu’il est parlé ailleurs dans ses écrits de deux peintres qui tous deux travaillent pour le Roi et font son portrait. Mais l’un travaille à la maison du Roi, mange à sa table et est souvent visité, honoré et réjoui par sa personne. L’autre travaille en sa propre maison au cœur de l’hiver et avec de grandes incommodités. Cela supposé, voici ce que Notre Seigneur dit à la sœur Marie en 1650344 : « Je veux vous associer avec un [143] qu’il lui nomma. Ce saint a fait en soi-même un beau tableau de ma Passion et vous aussi en avez fait un fort beau : ô le beau tableau de ma passion, ô le beau tableau ! Je vous assure qu’il est presque infiniment plus beau que celui du saint qu’il lui avait nommé. Saint-N. et vous êtes ces deux peintres dont je vous ai parlé autrefois. Il a fait son tableau dans la maison du Roi et en la présence du Roi, et mangeant à sa table, c’est-à-dire parmi toutes sortes de consolations divines. Mais vous avez fait le vôtre dans votre maison qui est le néant, parmi toutes sortes d’angoisses et de tourments. J’exposerai bientôt votre tableau en public et je vous assure qu’il ternira le lustre du premier tant il le surpassera. » [143v]

Section 8. La sœur Marie est un bouquet composé de toutes sortes de maux. Elle est un chandelier d’or avec un encensoir.

Elle vit un jour le Père éternel qui tenait en sa main droite un gros bouquet composé de toutes sortes de très belles fleurs : « Qu’est-ce que cela, lui dit-elle — C’est la mère de mon Fils dans laquelle j’ai ramassé toutes les vertus, grâces et perfections de tous les anges et de tous les saints. Mais je fais un autre bouquet que je compose de toute sorte de maux et de malédictions, lequel je porterai en ma main gauche, et ce bouquet, c’est la sœur Marie. »

L’an 1645, la sœur Marie vit dans la main droite de Notre Seigneur un chandelier d’or à trois branches en forme de triangle. En chacune des branches, il y avait [144] un cierge blanc. Sur l’un de ces cierges, ces paroles étaient imprimées : Ecce nova facio omnia. Sur le second : Veritas Domini manet in aeternum. Sur le troisième : Voluntas Dei quodcumque voluit fecit345. Au milieu de ce triangle, il y avait un encensoir fort noir et si épouvantable à voir qu’on ne le pouvait regarder sans frayeur. On ne voyait point de feu dans cet encensoir, mais bien une grosse fumée composée de toutes sortes de parfums aromatiques, laquelle sortant de l’encensoir, se recueillait et ramassait ensemble et faisait comme une verge fort droite et partout égale qui s’élevait tout droit au ciel. Il ne s’en séparait ni écartait aucune partie, demeurant toute ramassée sans que personne sentit rien de la bonne odeur qui était dans cet encensoir ni dans cette fumée. Mais lorsqu’elle entrait dans [144v] le ciel, elle s’épandait de tous côtés et y rendait une odeur extrêmement agréable à tous les habitants du paradis. Il lui fut commandé de mettre le chandelier sur la tête de celui que Notre Seigneur a choisi pour être son vicaire346 en disant ces trois versets :

La bonté qui sans fard en simplesse chemine

Accourt devant la foi, sa compagne divine.

La paix d’autre côté

Tient justice embrassée et la baise et la serre,

La blanche vérité germera de la terre

Et justice du ciel épandra sa clarté347.

Misericordia et veritas obviaverunt sibi ; iustitia et pax osculatae sunt348. Ps 85, 11.

Durant qu’un si grand gouverneur

Tiendra la terre obéissante

Les justes seront en honneur

Leur vogue sera florissante. [145]

La paix ses trésors versera

La lune plus ne sera.

Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis donec auferatur luna349. Ps. 71, 7.

Il vient juger la terre et gouverner le monde.

Par sa droite

à tous les habitants de la machine ronde

Suivant la vérité.

Judicabit orbem terrae in aequitate et populos in veritate sua350. Ps. 95, 13.

Section 9. Par trois encensoirs on fait voir comment elle est associée avec Notre Seigneur et la Sainte Vierge dans l’œuvre du salut des âmes.

Un jour Notre Seigneur et Notre Dame lui dirent : « Allons encenser nous trois : j’encenserai ; ma mère encensera et vous encenserez. Ils avaient chacun un encensoir et Notre Seigneur lui dit : « Nos encensoirs sont plus [145v] riches que le vôtre, mais le vôtre est fort beau, il est à la nouvelle mode. Des trois on n’en fera qu’un. » Ils arrivèrent devant Dieu le Père, et Notre Seigneur lui commanda d’encenser.

Elle lui dit : « Vous devriez encenser le premier. »

Il lui dit : « J’ai encensé par mes mérites, ma mère encense par ses prières, et vous encensez par vos souffrances. »

Elle encensa donc en chantant ces paroles : Fulci me floribus quia amore langueo351. Par les fleurs elle demandait des souffrances, ou plutôt la charité en elle pour le salut des âmes.

Après cela, Dieu le Père l’encensa : « Qu’est-ce qu’il demande ? » Notre Seigneur répondit : « Ses divins attributs qui sont en vous. » Ensuite Dieu le Père rappela la Charité pour revenir dans son sein, disant qu’Il ne payerait plus sa pension. Entendant dire souffrance, elle en demanda encore, mais Il dit que non et qu’elle retournât en Son sein : ce qu’elle fit. Ayant pris congé de [146] Notre Seigneur et de sa sainte Mère, quand elle fut au sein de son Père éternel, elle demanda congé de s’aller jouer avec Notre Seigneur et Notre Dame, ce qu’elle obtint. Et comme elle y fut, elle demanda à Dieu le Père ou de paroles ou par encensement les âmes, puisqu’Il était satisfait des souffrances. Après tout cela, les trois encensoirs de Notre Seigneur, de Notre Dame et de la sœur Marie ayant été réduits en un, il demeura fumant devant Dieu le Père.

Une autre fois elle vit Notre Seigneur enfiler une aiguille d’une fort longue aiguillée de fil et elle lui demanda : « Qu’en voulez-vous faire ? »

Il dit : « C’est pour coudre le ciel et la terre, mais il faut que ce soit vous qui les cousiez. »

Elle dit : « Je ne saurais faire cela. »

« Il faut donc que ce soit ma Mère », dit Notre Seigneur. Mais la Sainte Vierge s’en excusa aussi. Alors Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Vous ferez bien cela. Tenez, voilà l’aiguille : je vous conduirai la main et ma mère tiendra la couture droite : [146v] et ainsi nous coudrons tous trois. »

Section 10. Ce qui se fait en elle est l’œuvre de l’Amour divin et des excès de la Charité divine.

Une nuit la sœur Marie ne pouvant dormir, Notre Seigneur lui dit : « Disons quelque chose. »

« Dites ce qu’il vous plaira », dit la sœur Marie.

Alors il commença à dire : « Ô amour ! »

Et il lui faisait répondre : « Ô excès ! ». Ils dirent ainsi longtemps, puis Notre Seigneur changea et dit : « Ô excès ! » Et lui fit répondre : « Ô amour ! »

Et la plus grande partie de la nuit se passa en disant cela. Ce qui montre que ce qui se passe en elle est une œuvre admirable de l’Amour divin et de Charité divine, et qu’il n’y a que des excès d’amour et de charité. Quel excès d’amour d’avoir choisi cette pauvre fille pour faire en elle des choses si grandes. Quel excès d’amour et de charité de sa [147] part, d’amour vers Dieu, de charité pour le prochain, d’avoir demandé avec tant d’ardeur et d’amour, souffert avec tant de charité et d’affection le martyre des sortilèges, les tourments de l’enfer, et les supplices inconcevables du mal de douze ans et que tout cela n’ait pas rassasié la faim insatiable qu’elle a eue de souffrir pour l’amour de Dieu et pour le salut des âmes.

Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.

Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes et par conséquent à la pratique de toutes les vertus qui est déjà une grande perfection. Car ce que l’or est entre [147v] les métaux, la connaissance de soi-même l’est entre les moyens qui conduisent à la perfection.

Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour divin qui contient sept articles :

Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.

Le second de marcher sur les eaux à pied sec.

Le troisième d’habiter parmi les couleuvres, serpents et autres bêtes venimeuses, sans en être endommagé.

Le quatrième de vivre dans la mort.

Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre.

Le sixième d’être chargé de chaînes et de liens pour [148] aller plus vite.

Le septième de s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.

Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.

Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et n’ont point d’arrêt.

Habiter parmi les serpents sans être piqué, c’est se trouver parmi les occasions de pécher et y être assiégé de tentations sans y consentir.

Vivre dans la mort, c’est entrer dans l’enfer [148v] si Dieu le voulait et y conserver la charité de Dieu et du prochain.

Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde.

Être enchaîné pour mieux courir, c’est porter la peine du péché d’autrui pour aller promptement à Dieu.

S’abstenir de tout aliment pour se mieux engraisser et fortifier, c’est se priver de toute consolation divine et humaine pour être plus agréable à Dieu.

Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. Aussi Notre Seigneur a dit que dans ce chemin, Il soutient l’âme pour la faire marcher et que Notre Dame ne la quitte point. Il a dit aussi que pour garder cette règle, il n’y a qu’une chose à faire qui est d’avoir toujours les yeux fixés sur la [149] divine Volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre. C’est ce qu’a toujours fait la sœur Marie et c’est ici la règle que l’amour divin lui a toujours fait garder très exactement.

Section 12. Les grands chemins abondent en froment et les campagnes sont stériles. On lui donne et elle donne un grain de raisin. Dieu est tout en elle et n’est que son habit dont Il est revêtu.

L’an 1644, le 30 mai, la sœur Marie étant devant le Saint-Sacrement, Notre Seigneur après plusieurs autres discours lui dit : « Si je vous disais que les grands chemins abondent en froment et que les campagnes sont stériles, que diriez-vous ?

– Je vous dirai, dit-elle, que ce serait un grand [149v] miracle.

– J’entends, dit-Il, les grands chemins par où passent les carrosses, les charrettes, les hommes et les bêtes.

– Mais si on voyait ce froment, répartit-elle, passerait-on ainsi par dessus ? »

Notre Seigneur répondit : « Les hommes sont aveugles et ne voient point que ce froment a pris la nature de la palme. Plus on l’abaisse et on le foule aux pieds, et plus il s’engraisse, se relève plus haut et en rapporte plus de fruits. »

Un jour après un grand nombre de colloques qui étaient faits entre Notre Seigneur et la sœur Marie, Il lui dit : « Vous êtes bien altérée. Je vous donne un grain de raisin en votre bouche qui vous rafraîchira. » Et ensuite Il lui dit que ce grain de raisin était : Verbum caro factum est. Je me suis revêtu de votre chair. C’est ce qui est dit ailleurs, que pour aller aux noces auquel il était invité, Notre Dame le [150] revêtit d’une robe qui était la sœur Marie, et on lui dit que ses souffrances eussent été inutiles, si elle eût été seule à les porter, mais parce que Notre Seigneur les avait portées avec elle, elles étaient d’un prix infini. Après cela, Il lui dit : « Donnez-moi aussi un grain de raisin blanc pour ma bouche, car je suis grandement altéré.

– Je n’ai, dit-elle, que des épines et des broussailles. Il y en a une belle haie et de bien mûrs en votre jardin.

– Je ne le sais point cela, répartit la sœur Marie.

– Quand vous vous êtes privée pour l’amour de moi, dit Notre Seigneur, de toutes les douceurs et consolations de la sainte communion, vous m’avez donné un grain de raisin qui m’est très agréable : c’est celui-là que je vous demande ; c’est l’une des plus grandes choses que vous ayez jamais faites. »

Voici encore une chose conforme à ce qui est dit ci-devant du grain de raisin que Notre Seigneur lui [150v] donna, et ceci est arrivé depuis qu’elle a recommencé à communier352. Un jour, se disposant à la sainte communion et priant Notre Seigneur de la disposer Lui-même, Il lui ordonna pour sa préparation de dire ces paroles : Verbum caro factum est. Ce qu’ayant fait, Il lui dit : « Dites cela en français. » Alors elle dit ainsi, non pas de son mouvement ni de son esprit, mais par le mouvement de l’esprit de Dieu : « Le verbe divin s’est revêtu de ma chair. » Une autre fois, il lui dit : « Un jour viendra que tout le monde m’adorera, mais je me dépouillerai pas de mes habits pour être adoré. »

Section 13. Plusieurs versets qui expriment son état.

Il y a plusieurs versets qui expriment les états de sa vie dans le psaume Salvum me fac Deus, qu’on lui fait dire quelquefois, ceux-ci entre autres : [151]

C’est pour l’amour de toi

Que de tranchans mépris mon âme est découpée ;

Je porte à ton sujet la face enveloppée

De vergongneux353 émoi.



Rebuté de tout point

Par mes frères, je suis honteux de ma misère

Et comme un étranger, les enfants de ma mère

Ne me connaissent point.



Car le zèle embrasé

De ta sainte maison m’a rongé jusqu’à l’âme

Et de tes blasonneurs l’outrage et le diffame

Sous le faix m’a brisé.



Je me suis mis aux pleurs

Et mon âme a jeûnée, de tristesse remplie.

Ils m’en ont méprisé, tournant à moquerie

Mon jeûne et mes douleurs354.



Par « le zèle embrasé de ta sainte maison », elle [151v] entend le zèle du salut des âmes qui sont la véritable maison de Dieu. Par le jeûne elle entend la privation de la sainte communion qui dura si longtemps et qui lui a causé tant de mépris et tant de tourments.

Section 14. Son état est représenté par ces paroles : Terribilis est locus iste. Non est hic aliud nisi domus Dei et porta cœli.

Un jour elle entendait trois dames qui chantaient mélodieusement ces paroles de la Genèse, ch. 28, v. 17 de l’Introït de la messe de la Dédicace : Terribilis est locus iste, non est hic aliud nisi domus Dei et porta cœli355. Ces trois dames étaient la Force divine, la Grâce et la Joie. Après avoir chanté elles dirent qu’elles iraient ainsi chanter à toutes les âmes dans lesquelles le péché était, [152] que la force divine le briserait par la contrition, que la grâce le jetterait dehors et que la joie le mettrait à la voirie. Elles ajoutèrent que le lieu où elles étaient alors, c’est-à-dire la sœur Marie, était terrible parce qu’on y massacrait le péché, que ce lieu était la maison de Dieu, parce que Dieu y était honoré et loué comme dans son temple et y résidait actuellement et effectivement, et qu’il était la porte du ciel parce que l’entrée du ciel serait donnée par son entremise.

Section 15. Deux cantiques en forme de colloques entre Notre Seigneur, sa sainte mère et la sœur Marie, qui expriment son état.

Sœur Marie356 :

Mon époux très fidèle, où êtes-vous ?

De grâce, je vous prie, dites-le nous.



Notre Seigneur :

Je suis dans la fournaise de mon amour

Pour, aux âmes perdues, donner secours.



[152v] Sœur Marie :

Ma mère très fidèle, ou êtes-vous ?

De grâce, je vous prie, dites-le nous.



La Sainte Vierge :

Je suis devant la face de l’éternel

Pour impétrer la grâce du criminel.



Notre Seigneur :

Mon épouse fidèle, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La sœur Marie :

Je suis dans vos souffrances, ô mon époux,

Pour secourir les âmes avec vous.



Notre Dame :

Ma fille très aimée, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La sœur Marie :

Je suis dans les ténèbres : c’est mon séjour,

Pour changer la nuit sombre en un beau jour.

La sœur Marie :

Divine solitude, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La solitude :

Je suis dans la lumière du point du jour,

Pour chanter un cantique à votre époux.



La sœur Marie :

Ô vérité divine, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



[153] La vérité ou le Saint-Sacrement :

Je suis dans la chaise du roi des cœurs,

Pour prêcher l’excellence de ses grandeurs.



La sœur Marie :

Divine Sapience où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La divine sapience :

Je prépare les voies à votre époux,

Pour lui donner entrée au cœur de tous.



La sœur Marie :

Ô amour très fidèle, où sommes-nous ?

De grâce, etc.



L’amour :

Je suis dans les abîmes avec vous

Pour ravoir l’héritage de votre époux.



La sœur Marie :

Ô abîme cruel que faites-vous ?

De grâce, etc.



L’abîme :

J’admire les démarches de votre époux

Pour aller à la gloire avec vous.



La sœur Marie :

Ô charité divine, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La charité :

Je suis dans les parterres de votre époux

Pour y cueillir les roses qui sont à nous.



[153v] La sœur Marie :

Pureté virginale, où êtes-vous ?

De grâce, etc.



La pureté :

Je suis semée en terre, c’est mon séjour

Les fruits en abondance viendront un jour.



La sœur Marie à Notre Seigneur et à Notre Dame :

Mon époux et ma mère, où allons-nous ?

De grâce, etc.



Notre Seigneur et Notre Dame :

La volonté divine touchée d’amour

Nous mène aux âmes mortes donner secours.



Voici encore un autre cantique. Je crois que le premier s’appelait le cantique de la fileuse, parce qu’il a été fait pendant que la sœur Marie filait et on lui permettait quelquefois de le chanter pour un peu délasser son esprit et se désennuyer. L’un et l’autre quoique simples ne laissent pas d’être très profonds. Ce second a été dicté par Notre Seigneur et sa sainte Mère qui se sont accommodés à l’esprit de la sœur Marie.

La sœur Marie :

Ô sacrée sainte Mère de Dieu

Que faut-il que je fasse en ce bas lieu



[154] Notre Dame :

Il faut en patience en ce bas lieu

Espérer à la gloire de ce grand Dieu.

[Commentaire357 :] C’est-à-dire qu’il faut tout faire pour l’honneur et la gloire de Dieu et pour accomplir sa sainte volonté.



La sœur Marie :

Ô Dieu grand et suprême, mon rédempteur

Montrez-moi votre face, roi de mon cœur.



Notre Seigneur :

Quiconque suit mes traces fidèlement

Vois ici-bas ma face heureusement.

La face de Dieu c’est la divine volonté.



La sœur Marie :

Ô époux très fidèle, où sommes-nous ?

De grâce, etc.



Notre Seigneur :

Nous sommes à la guerre du saint Amour

Être mort à soi-même, c’est mon séjour.



La sœur Marie :

Ô mort dure et cruelle ! Mon cher époux

Donnez-nous votre grâce, régnant en vous.

[154v] Quand l’âme entre à la perfection, Dieu commence de régner en elle.



Notre Seigneur :

Mon royaume et ma grâce sont dedans vous

Entrez dans l’héritage de votre époux.

Les âmes sont l’héritage de Notre Seigneur, y entrer c’est leur aider à se sauver.



Notre Seigneur :

Hâtez-vous mon épouse, où êtes-vous ?

De grâce, etc.

Se hâter, c’est Notre Seigneur qui sollicite la sœur Marie de travailler au salut des âmes.



La sœur Marie :

Je suis en ermitage, mon cher époux

Plein de bêtes sauvages autour de nous.

Être en ermitage c’est être solitaire au milieu des villes comme dans les déserts, les bêtes sauvages sont les pécheurs pour lesquels elle souffre.



Notre Seigneur :

Ô épouse fidèle qu’y faites-vous ?

De grâce, etc.



[155] La sœur Marie :

J’y dépouille ma robe, mon cher époux,

Pour aller en vendange avec vous.

Dépouiller sa robe, c’est ce qui est marqué en ces paroles de saint Paul : le monde m’est crucifié et je suis crucifié au monde. Se déchausser, c’est quitter pour l’amour de Dieu toutes sortes de consolations divines et humaines.



Notre Seigneur :

Quittez donc vos chaussures, fille du jour,

Pour suivre les démarches de votre époux.



La sœur Marie :

Adieu mon ermitage et mon séjour,

Je vais faire la guerre au propre amour.

Dire adieu à son ermitage, c’est quitter toutes les amitiés spirituelles et ne regarder rien que la divine Volonté pour la suivre. Son séjour était d’être entre Notre Seigneur et sa mère, les anges et les saints par méditations et contemplations [155v] et quitter tout cela, c’est s’anéantir, se transformer en la très adorable Volonté de Dieu.

Section 16. Elle est dans le néant du péché avec Notre Seigneur pour en tirer les âmes.

Notre Seigneur voulant faire connaître l’état où elle est, lui a fait voir qu’elle est enfermée dans le néant, non pas celui dont le monde est tiré, qui est un néant innocent et sans coulpe ; mais dans le néant du péché qui est l’œuvre de l’Ire et de la malédiction de Dieu, dans lequel les âmes se sont jetées par le péché, et qu’elle y était enfermée avec Lui pour en retirer les âmes, et que cet état était incapable de consolation.

Le 25 janvier 1645, Notre Dame lui dit bien tristement : « Hélas ! Où êtes-vous allée ? »

Elle lui dit : « Je vous supplie, donnez-moi la main pour me retirer [156] du lieu où je suis. »

Elle lui répondit : « Ce n’est pas un ouvrage de ma toute-puissance. Il faut que le bras de mon Fils vous retire du néant où vous êtes. » Et ensuite elle lui a fait dire plusieurs fois : Fecit potentiam in brachio suo358.

Section 17. La sœur Marie est une étable aux pourceaux, la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale, etc.

L’an 1644, le deuxième jour de l’Avent, la sœur Marie dit à Notre Seigneur : « Je scandalise plusieurs et plusieurs me troublent : mettez-moi en lieu où cela ne soit plus. »

Notre Seigneur lui répondit : « Je vous donnerai un lieu que les hommes ne connaissent pas, et défendrait à toutes les créatures de vous éveiller. » Cependant Il lui fit connaître la cause de ce trouble par cette similitude : Un roi met son trésor dans [156v] une étable à pourceaux. Il y met un coffre de bois, il y enferme sa couronne, ses plus riches pierreries et grande quantité de pièces d’or. Le roi y vient avec la reine, laquelle à la clé du coffre. Les courtisans en entendent parler ; ils s’en étonnent, demandent à la porchère si elle a vu le roi et la reine entrer dans cette étable. Elle assure que oui et qu’elle n’en peut douter, tant ils ont de majesté. Les courtisans n’en croient rien et disent que c’est un plaisant qui pour la tromper, et par elle plusieurs autres, lui donne cette illusion. Elle croit plutôt ces courtisans que son jugement et c’est ce qui la trouble.

L’étable à pourceaux est son corps ; les pourceaux sont les démons. Le coffre c’est son cœur, la couronne c’est la Passion de Notre Seigneur en elle, les pierreries sont [157] ces paroles que Dieu lui dit, et les pièces d’or sont les dons faits et à faire à plusieurs.

Un jour étant devant l’autel de Notre Dame du Puits, elle pleurait et se plaignait à Notre Seigneur, lequel lui dit : « Ah ! Que j’ai bien choisi et que j’ai bien mis mon trésor en lieu d’assurance : Je l’ai mis dans l’étable à pourceaux, personne ne l’y viendra chercher. »

Un jour la Sainte Vierge parlant à la sœur Marie lui dit : « Qui êtes-vous ? » « Je n’en sais rien », répondit-elle.

« Vous n’en savez rien, mon épouse ? », répliqua Notre Seigneur, « Je m’en vais répondre pour vous ? »

Alors Notre Dame demanda derechef à la sœur Marie : « Qui êtes-vous ?

– Je suis, dit-elle, la maison du soleil.

– Qui êtes-vous encore ?

– Le château de Jésus.

– D’où venez-vous ?

Du Liban.

– Qu’en venez-vous de faire ?

– Je viens d’un grand [157v] festin où mon époux et moi étions invités.

– Quelle viande y avait-il ?

– Des consommés.

– Qu’est-ce qui servait à table ?

– Les excès.

– Où est maintenant votre époux ?

– Il s’est allé coucher sur sa couche nuptiale.

– Quelle est sa couche nuptiale ?

– C’est moi qui suis sa croix, car c’est lui qui souffre en moi.

– Ô, dit la Sainte Vierge, voilà trois beaux noms : la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale. Quand se lèvera-t-il ?

– Je n’en sais rien.

– Allez donc lui demander. »

Et revenant à Notre Dame, elle lui dit : « Ma mère, Il m’a dit qu’Il se lèvera au chant du coq. »

Alors Notre Dame toute ravie de joie commença à dire : « Au chant du coq. Rendez-lui grâce ma fille, de ce qu’il se lèvera au chant du coq et dites pour cette fin à nu genoux trois fois le Magnificat. » Ce qu’elle fit.

La Sainte Vierge continuant, lui dit : « Qui est-ce qui vous a menée au Liban ?

– C’était mon père.

– Qui est votre père.

– [158] C’est l’amour divin.

– Désirez-vous rien de moi ?

– Que me demandez-vous ?

– Je vous demande toutes les roses de votre jardin.

– Qu’en voulez-vous faire ?

– Je veux en faire de l’eau de rose, afin d’en faire des salades avec des pommes et du vin pour me guérir d’une maladie incurable.

– Je vous donne la clé de mon jardin et toutes les roses qui y sont. J’en serai très aise que vous soyez guérie. »

Le Liban est la montagne de perfection, le festin sont les souffrances de la sœur Marie, spécialement celle du mal de douze ans qui sont signifiées par les consommés qu’on y servait. Pour entendre ceci, il faut remarquer que dans un festin on peut servir les viandes en deux façons. On les peut servir telles qu’elles sont en elles-mêmes, ou bien en consommés ou élixir. Or la sœur Marie a été à deux festins. Au premier, qui a été dans l’enfer, elle a mangé les viandes grossièrement telles qu’elles sont en elles-mêmes [158v] c’est-à-dire qu’elle a souffert les peines que mérite le péché comme les diables et les damnés les souffrent. Mais au second, qui a été le mal de douze ans, elle a été traitée de consommé, c’est-à-dire qu’elle a porté les peines dues aux péchés de toutes les créatures intensivement pour lesquelles elle a souffert.

Le coq, au chant duquel Il se lèvera, c’est la divine Volonté. Son aile droite, c’est l’amour divin. Sa gauche, c’est sa toute-puissance.

Le coq est à la cime de la montagne et regarde tout autour de lui : son chant, c’est la miséricorde, de sorte que quand le divin Époux se lèvera, la divine Volonté chantera de tous côtés miséricorde. Les roses du jardin de Notre Dame ce sont toutes les âmes qui se convertiront. Les pommes signifient aussi la nature humaine. Le vin signifie l’amour divin. L’eau de rose c’est la contrition qui se fait dans l’alambic de la douleur au feu de la tribulation pour ceux qui pleurent leurs [159] propres péchés et au feu de l’Amour divin pour ceux qui pleurent les péchés d’autrui.

Section 18. Salle carrée qui est la figure de la sœur Marie et des fruits que Dieu en tirera.

Le 18 février 1645, Notre Dame lui fit longtemps chercher un verset dans le Psautier, qu’elle ne put nommer. Mais enfin, elle le lui mit en la bouche. C’était celui-ci :

Quam dilecta tabernacula tua, Domine virtutum

Concupiscit et defecit anima mea in atria Domini359.

Au même temps, Notre Seigneur lui demanda : « Voulez-vous voir ce que Je fais ? » Elle répondit : « Nenni. » Nonobstant cela, Il dit à Notre Dame : « Ma mère faite là entrer. »

Étant entrée, elle vit une salle carrée qui était dans un château. Le plancher, le pavé et les murailles étaient rouges. Sur le pavé il y avait une croix bleue. Au milieu de la salle était [159v] une table ronde, couverte d’un tapis de satin blanc. La table était soutenue au milieu d’une colonne de marbre gris et de trois autres pieds qui étaient d’albâtre, disposés en triangle, et la table était d’aimant. Tout alentour de la salle il y avait des bouteilles depuis le pavé jusqu’au plancher, en divers étages. Depuis le bas jusqu’au milieu, elles étaient de terre remplie d’eau-de-vie, et celles d’en haut étaient de cristal rempli d’eau de rose. Le tapis était tout couvert d’écriture, laquelle était de trois sortes : la première ligne était des OO en lettres d’or, dont l’encre était prise dans un cornet rouge ; la seconde ligne était de chiffres et lettres d’azur dont l’encre était prise dans un cornet de lumière ; la troisième ligne était des AA en lettres rouges dont l’encre était prise dans un cornet d’azur. Notre Seigneur écrivait lui-même toutes ces choses [160] avec son doigt. On voyait dans la salle cinq portes pour entrer dans cinq appartements et sur chacune il y avait un beau pot de fleurs. Notre Dame lui dit que dans ce château, il y avait une fort belle chapelle qu’elle ne vit point, que dans cette chapelle il y avait trois encensoirs d’or enrichis de perles et cinq autres d’argent qui étaient toujours fumant, et que Notre Seigneur avait le plus beau chasuble du monde. Elle dit aussi qu’il y disait tous les jours la messe et se sacrifiait lui-même pour le salut des âmes.

Ensuite Notre Dame donna cette interprétation :

La table d’aimant représente l’humanité de la sœur Marie qui attire les âmes à la pénitence. La colonne de marbre représente la foi, les pieds représentent l’espérance, l’humilité et la crainte de Dieu. Les trois puissances étaient [160v] représentées par les trois cornets : le rouge la volonté, le lumineux [l’or] l’entendement, et le bleu la mémoire. Le rouge de la volonté représente l’embrasement de l’amour divin. La lumière de l’entendement représente la connaissance de la divine volonté. Le bleu de la mémoire représente que la mémoire ne se remplit que de choses célestes. Les OO en lettres d’or représentent l’amour. Les AA en lettres rouges représentent les souffrances, et les chiffres bleus représentent les excès de souffrances tant en qualité qu’en quantité, et le grand nombre de ceux qui en doivent recevoir les fruits. Les bouteilles d’en bas qui sont de verre, rempli d’eau-de-vie, représentent la contrition qu’auront les personnes du commun, que Notre Seigneur appellera à pénitence et celles d’en haut de cristal, rempli d’eau de rose, représentent les personnes de qualité qui se convertiront et attireront par la bonne odeur de leur conversion [161] tout le monde. Les cinq pots de fleurs qui sont sur les cinq portes de la salle sont les cinq sens de la sœur Marie, le reste n’est point expliqué. Mais il est assuré que la chapelle et les autres choses qui sont dans cette figure représentent l’état de la sœur Marie selon le corps et selon l’esprit.

Section 19. Belle description de la sœur Marie.

En l’année 1650, quelques jours avant la fête de Noël, elle disait souvent ces paroles : « À Noël, à Noël ! » On lui demanda ce que cela voulait dire. Elle répondit qu’elle n’en savait rien, sinon qu’elle connaissait bien qu’il lui arriverait quelque chose à la fête de Noël ou dans l’octave, et que ce serait une chose fort grave et sérieuse, mais qu’elle ne savait pas du tout ce que ce serait.

Le lendemain de Noël qui était le jour [161v] de saint Étienne, étant dans l’Église cathédrale, Notre Seigneur lui dit : « Que cherchez-vous ?

– C’est Vous, dit-elle, que je cherche, il y a si longtemps et je ne Vous trouve point : dites-moi où Vous êtes, où est-ce que je Vous trouverai ? Où prenez-vous votre repos ?

– Vous me trouverez dans la croix, dit Notre Seigneur. C’est là que je prends mon repos et mon repas ; c’est là le midi ; c’est le plus haut point de mon amour où Je me repose.

Un peu après, comme elle passait devant le Saint-Sacrement, Notre Seigneur lui dit : « Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose. » Alors elle vit dans le Saint-Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable que la main. Notre Seigneur ayant [162] levé un coin de cette enveloppe, elle aperçut une pierre précieuse cachée là-dedans, grosse comme un petit œuf qui jetait des rayons de lumière extrêmement brillants. Cette pierre précieuse était entourée de bandelettes qui pourtant ne la couvraient pas toute, et elle vit que cette pierre précieuse voulait sortir et comme s’échapper pour aller ailleurs. Mais cette main la retenait dedans soi.

« Qu’est-ce que tout cela, dit la sœur Marie. Qui est cette main qui est si noire ?

– C’est la mienne, dit Notre Seigneur ; et il ajouta au nom de sa main : Je suis noire, mais je suis belle.

– Mais qu’est-ce que votre main ?

– C’est mon divin amour, répondit Notre Seigneur.

– Mais d’où vient qu’il est si noir ?

– C’est le gant dont elle est couverte qui est ainsi noir.

– Quel est ce gant ?

– [162v] C’est l’Ire de Dieu.

– Qu’est-ce que cette pierre précieuse que vous tenez en votre main ?

– C’est votre beau verset, c’est une fontaine de lumière, c’est la sapience éternelle que vous avez vue autrefois marcher dans votre chair et dans votre sang avec des démarches si belles et si ravissantes360 qu’il n’y a ni esprit humain ni angélique capable de les exprimer. Enfin, cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en vous, Je vous soutiens comme cette pierre précieuse porte et soutient ces petites bandelettes. C’est moi qui souffre en vous et qui vous porte et soutiens au milieu de tous vos maux qui sont tels qu’ils vous consumeraient et anéantiraient en un moment, si Je ne vous soutenais.

– Qu’est-ce que cette enveloppe qui couvre cette pierre précieuse ?

– C’est la coulpe du péché dont vous êtes couverte et environnée, que l’Ire de Dieu [163] représentée par ce gant regarde et poursuit perpétuellement. Car il y a cette différence entre la charité et la miséricorde, la justice et l’Ire de Dieu, que la charité couvre et cache le péché, afin qu’on ne le voie point, et la miséricorde ne le regarde point du tout, mais elle excuse tout. La Justice regarde la peine due au péché, lorsque la coulpe est effacée par la pénitence et elle demande d’être payée, et elle poursuit toujours le péché jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite. Mais l’Ire de Dieu regarde la coulpe partout où elle est, et la poursuit sans cesse et sans rémission jusque dans l’enfer et à toute extrémité, de sorte qu’il y a une guerre continuelle entre le péché et l’Ire de Dieu qui est Dieu même. Car le péché veut anéantir Dieu, et Dieu veut détruire le péché ou du moins le persécuter sans cesse, lorsque le pécheur empêche par sa malice qu’il ne soit détruit. De là vient que l’Ire de Dieu représentée par ce gant qui couvre la main [163v] de Notre Seigneur est noire et épouvantable au péché et au prochain. Mais le péché qui est représenté par cette enveloppe dont la pierre précieuse est couverte est presque infiniment, dit la sœur Marie, plus noir et plus effroyable que l’Ire de Dieu. Car l’Ire de Dieu est infiniment belle, bonne et sainte, et la coulpe infiniment laide, horrible, maligne et détestable.

– Mais où est-ce que veut aller cette pierre précieuse qui veut sortir et s’échapper ?

– Elle veut retourner d’où elle est venue, dit Notre Seigneur, c’est-à-dire au sein de mon Père éternel.

– Et lorsqu’elle y retournera, y portera-t-elle ces petites bandelettes ?

– Oui, elle les y portera. (Ces bandelettes sont les sens de la sœur Marie.)

– Et que fera-t-on de cette enveloppe si noire et si effroyable ?

– Nous la jetterons dans le feu de l’amour divin dans lequel tous les péchés du monde seront brûlés et consumés au temps de la grande mission de conversion générale. [164]

Section 20. Elle voit Notre Seigneur crucifié et couvert de plaies, qui est le modèle de l’état où elle est. Elle n’a qu’un même cœur avec Notre Seigneur et Sa sainte mère.

[164v] Elle a été un temps, que lorsqu’elle assistait au saint sacrifice de la messe, elle avait coutume d’offrir au Père éternel la divine victime qui y est immolée, en cette manière : « J’associe au Père éternel son divin fils Notre Seigneur en action de grâces de toutes les faveurs qu’Il a fait à la nature humaine en satisfaction de tous les péchés du monde et pour Lui demander tous les dons et grâces nécessaires et convenables au salut de toutes les âmes. J’associe aussi ce saint sacrifice en action de grâces du sacrifice de la croix et pour toutes les intentions pour lesquels Jésus-Christ s’est sacrifié soi-même en la croix. » Non seulement j’offrais cette divine Justice en général au Père éternel pour ces intentions, mais outre cela j’offrais en particulier ces cinq belles fontaines de sang que je voyais sortir des cinq plaies des mains, des pieds et du côté du Sauveur. [165] J’offrais son chef tout percé d’épines et dont le sang coulait de tous côtés sur sa face et sur ses cheveux. J’offrais sa face adorable toute couverte de crachats et de sang. J’offrais son humanité sainte toute baignée dans son sang. J’offrais son cœur tout rempli d’un amour infini vers son Père éternel et d’une charité incomparable vers les hommes. Voilà l’état où je voyais très clairement Notre Seigneur dont j’étais extrêmement touchée, et j’assistais au plus grand nombre de messes que je pouvais, afin de l’offrir ainsi à son Père à chaque messe après la consécration. Mais ce qui me touchait plus vivement, c’était de voir ses beaux cheveux dont une partie descendait sur son visage tout baignés et enivrés de sang, et conglutinés ensemble, et les autres couvraient ses yeux sacrés.

Or après avoir fait cet exercice à la sainte messe durant quelque temps, on le lui ôta, parce qu’elle y avait de la [165v] consolation. La Sainte Vierge lui dit que l’état auquel elle avait vu Notre Seigneur, était le modèle de l’état auquel elle était. Elle ne lui expliqua point d’autre façon, et elle ne sait point comme cela s’entend, sinon qu’on lui a dit plusieurs fois que son état est un renouvellement de la Passion de Notre Seigneur pour disposer les âmes à en recevoir les effets et les fruits, et que pour ce qui est des cheveux du Fils de Dieu ainsi trempés et enivrés de sang, ils représentent les désirs extrêmes qu’elle a eus de souffrir.

L’an 1652, comme on célébrait une messe solennelle en l’honneur de la B. Vierge, lorsque le prêtre vint à dire : Sursum corda, Notre Seigneur [166] parlant à la sœur Marie qui assistait à cette messe lui dit : « Où est votre cœur ?

– Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un.

– Je m’en vais vous le faire voir, ajouta Notre Seigneur. Et en disant cela, il tira un cœur de sa poitrine, qui était tout embrasé et entouré de flammes. Le tenant en sa main et le montrant à la sœur Marie Il lui dit : Voilà votre cœur.

– Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre.

– Il est vrai, dit Notre Seigneur, c’est le mien et c’est celui de ma sainte mère, et c’est le vôtre aussi, car je vous l’ai donné.

– Oui, dit la Sainte Vierge, c’est le cœur de mon fils et le mien tout ensemble, car mon fils et moi nous n’avons qu’un même cœur. Mais c’est votre cœur pareillement, car mon fils et moi nous vous avons donné notre cœur.

– Mais, dit la sœur Marie, je n’ai pas de cœur.

– Qu’en avez-vous fait ? répliqua Notre Seigneur.

– Je l’ai donné [166v] aux hommes, répondit-elle, et ils l’ont tout couvert de glace, et même ils l’ont tout converti en un glaçon, et le soleil venant à darder ses rayons sur ce glaçon, il l’a fait fondre en eau et l’a anéanti si bien, qu’il n’y est rien demeuré, et ainsi je n’ai point de cœur.

– Il est vrai, j’ai donné mon cœur aux hommes, dit Notre Seigneur, et vous leur avez aussi donné le vôtre quand vous vous êtes offerte à porter leurs péchés, et il a été changé en un glaçon par ces mêmes péchés, et le soleil de l’amour divin l’a fait fondre et liquéfié en larmes de contrition et l’a anéanti : mais je vous ai donné le mien en la place, et celui de ma sacrée mère. [167]

Section 21. Elle est dans un état de mort effroyable.

Sur la fin de l’année 1654 et sur le commencement de l’année 1655, la sœur Marie disait souvent : « Je m’en veux aller, je m’en veux aller », sans savoir ce qu’elle disait ni où elle voulait aller. [167v]

Outre cela, elle voyait la Sainte Vierge qui pleurait amèrement, comme elle était accoutumée de la voir quand il lui doit arriver quelque nouvelle et grande souffrance, et elle la vit pleurer ainsi durant trois ou quatre mois, ensuite de quoi, au commencement du mois de mars de la même année 1655, elle entra dans un étrange état, et tel qu’elle n’en avait point expérimenté de semblable : car elle se trouva tout d’un coup dans une totale privation et dénuement de toute espérance de salut pour l’avenir, ni de sortir jamais de l’état où elle était, dans un entier dégoût des choses présentes, dans une grande aversion pour toutes les choses qui se sont passées en elle, et sans avoir correspondance ni au ciel ni en la terre, ni avec aucune créature, ni avec le Créateur, de sorte qu’elle ne savait où elle était, ni ce qu’elle était, et ceux qui avaient coutume de la voir étaient tout étonnés d’un tel changement et de la voir dans un état auquel ils ne n’avaient [168] jamais vue.

Le deux du mois d’avril, elle fut excitée par un subit et extraordinaire mouvement de prier la très Sainte Vierge de lui faire voir en quel état elle était. Ensuite de quoi elle se vit en esprit transpercée d’une épée qui lui passait au travers de la poitrine et on lui dit que c’était l’amour divin qui [la] lui avait plantée et que c’était un reste du mal de douze ans.

Le 18 du même mois, elle s’adressa derechef à la Sainte Vierge pour la prier encore de lui donner quelque connaissance de l’état où elle était, et lors elle lui fit connaître que la mort était plantée en son cœur, qu’elle y était vivante et régnante, et qu’elle en avait pris une entière possession. Elle demanda quelle mort c’était, et on lui dit que ce n’était pas seulement une mort à toute consolation comme celle qu’elle avait portée tant d’années, mais que [168v] c’était une mort qui détruisait et qui détruirait toute espérance de salut et qui par conséquent renversait et anéantissait toutes les choses qui s’étaient passées en elle, et que c’était dans cette mort qu’elle voulait aller, quand elle disait : « Je m’en veux aller.

« Qui est-ce, dit-elle, qui m’a donné cette mort ?

– C’est la divine Volonté, lui répondit-on, et c’est l’Amour divin qui a prononcé et donné l’arrêt ; mais il n’y a pas encore apposé son sceau et il faut dire alléluia pour ce grand don de la divine Volonté, et le Veni Creator en témoignage que l’Amour divin a prononcé et signé l’arrêt, et pour lui en rendre grâces. »

Ensuite de cela, elle disait souvent avec une grande douleur et une angoisse inconcevable : « Ô mort, que tu es amère ! » [169]

Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’œuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie.

Chapitre 1. Ce qui se fait en la sœur Marie est un œuvre de l’amour divin, qui est impénétrable à l’esprit, à la raison et à la science humaine.

« L’amour divin me voulant faire voir le chemin qu’il fait prendre à une âme pour la conduire à la perfection, me faisait premièrement par un geste de la main rejeter toutes les choses du monde en chantant : Gloria in excelsis Deo, pour montrer que c’était le premier pas qu’il [169v] fallait faire. Secondement il me faisait lever la main plus haut en chantant toujours Gloria in excelsis Deo pour signifier qu’après avoir rejeté toutes les choses du monde, il faut s’élever à Dieu peu à peu par l’exercice des vertus. En troisième lieu, il me disait qu’il me fallait lever mes mains par-dessus ma tête, mais “gardez bien, me dit-il, qu’elles touchent à votre tête. Tenez-les toujours hautes, élevées par dessus” », et cela pour signifier qu’il n’y a que l’Amour divin qui puisse nous élever par dessus nous-mêmes. Dans le commencement et le progrès, nous pouvons bien coopérer avec lui, mais d’être entièrement anéanti et qu’il n’y ait plus que Dieu en nous, c’est une œuvre qui n’appartient qu’à l’amour divin tout seul. Il n’y a que lui seul en cette œuvre, nous n’y sommes plus, et il dit : « gardez bien que vos mains ne touchent à votre tête », c’est-à-dire, prenez garde que votre esprit et votre raison humaine ne touchent à mon œuvre pour le sonder et le pénétrer, car ce que l’Amour divin opère tout seul est au-dessus de l’esprit humain. On peut entendre quelque chose en ce qu’il fait avec nous [170] par notre coopération, mais dans ce qu’il opère, tout y est incompréhensible et au-dessus de la capacité de l’entendement humain.

Un autre jour, voyant une belle dame qui se promenait en une chambre avec Notre Seigneur, elle lui demanda qui elle était.

« C’est la Raison, lui répondit-il, qui était prisonnière : je l’ai délivrée et l’ai amenée ici.

– Pourquoi cela ? Nous n’avons que faire de la raison.

– Je ne l’ai point amenée pour y présider. C’est ma divine Volonté qui y règne. Elle y est seulement comme servante. »

Une autre fois, Notre Dame lui dit, parlant de quelqu’un qui voulait mesurer ces choses à l’aune de la science humaine : « Dites-lui qu’il est borgne et qu’il n’y voit que d’un œil parce qu’il n’a que l’œil de la science et quand il aura l’œil de la sapience, il y verra plus clair et les connaîtra. »

Quelques personnes qui avaient mal entendu une chose que la sœur Marie avait dite, à raison de quoi ils commençaient à douter de toutes les autres, lui écrivirent pour lui en demander l’explication. Elle s’adressa à Notre Seigneur et lui dit : « Pourquoi est-ce que ces gens-là me viennent tourmenter par leurs lettres ? [Ne] leur ai-je pas [170v] donné de bon vin et aussi pur que vous ne l’aviez donné, c’est-à-dire, ne leur ai-je pas dit les choses dans la même vérité et pureté dans laquelle vous me les avez dites ?

– Oui, dit le Fils de Dieu, quand vous leur avez donné ce vin, il était fort bon et ils l’ont trouvé tel, mais il faut les excuser, car il leur est arrivé un accident, c’est qu’ils ont ouvert les fenêtres de leur chambre et le soleil y est entré qui a aigri le vin que vous leur avez donné. Lorsque vous disiez ces choses, je leur donnais ma divine lumière, par laquelle ils voyaient clairement qu’elles étaient véritables, mais par après, afin de les éprouver, j’ai soustrait ma lumière, et ils ont ouvert la fenêtre de leur sens, et le soleil de la raison humaine y est entré, qui a converti le vin en vinaigre, c’est-à-dire ils ont regardé ces choses avec les sens et avec l’entendement humain qui est incapable de les comprendre, et ainsi ils ont changé le vin en vinaigre. »

Ensuite Notre Seigneur donna l’explication de la chose qu’ils avaient mal entendue dont ils demeurèrent satisfaits. [171]

Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur Marie.

Notre Seigneur lui fait voir si clairement la vérité des choses qui se passent en elle, qu’elle n’en peut douter aucunement pendant que cela dure, mais cela passe bientôt. « Je puis assurer, dit-elle, d’une chose et en jurer sur mon salut, qu’en toutes les choses qui m’ont été dites, je n’y ai jamais rien ajouté et y ai toujours déclaré la pure vérité. »

L’an 1646, le 13 de janvier, elle pria Notre Seigneur de lui faire connaître si tout ce qu’elle avait dit depuis trente-cinq ans, elle y avait mis quelque chose du sien, et Il lui dit « qu’elle était semblable à celui qui serait nourri de pain de froment et qui ne le croirait point parce qu’il ne verrait pas les grains de froment dont ce pain aurait été fait, quoique le boulanger l’assurât que ce même pain serait de froment, et qu’il serait fait de même grain que celui qu’il lui montrerait, qui serait de froment tout pur ». Ensuite de quoi Notre Seigneur ajouta que celui qui a dicté les saints Évangiles, a dicté toutes les choses qui ont été dites, mais avec [171v] cette différence qu’il y a péché à ne pas croire l’Évangile, et qu’à ne croire pas ces choses il n’y a aucun défaut, parce que l’Église ne les a pas encore approuvées. Il lui dit encore : « Je vous ai donné trois vérités : la première, la vérité essentielle dans le cœur ; la deuxième, la vérité mentale dans l’entendement ; la troisième, la vérité vocale dans la bouche. La vérité essentielle dicte les choses à la mentale et la mentale les dicte à la vocale. En action de grâce de ce que je vous ai donné ces trois vérités, dites trois fois : Te Deum laudamus. »

« Que direz-vous, dit Notre Seigneur en une autre occasion, quand vous verrez le signe ?

– Je ne sais, répondit-elle d’abord, puis aussitôt poussée par un mouvement extraordinaire : Attendez, dit-elle, voici ce que dirai : Fidelis et verax sponsus meus in omnibus promissionibus suis361. »

Section 1. On lui atteste que ce qui se passe en elle est l’œuvre du Saint-Esprit.

Un jour durant ses grandes souffrances, comme elle croyait être pire que le diable, puisqu’elle souffrait des peines si horribles [172] et qu’elle priait les saints d’avoir pitié d’elle, elle vit saint Augustin qui disait : « Je rends témoignage que tout ce qui se passe en vous est l’œuvre du Saint-Esprit.

– Je n’en crois rien, dit-elle.

– Je vous commande de réciter, répliqua-t-il, tous les articles de la foi. »

Elle le fit et après cela, il dit : « Je les prends tous à témoins que vos souffrances sont l’œuvre du Saint-Esprit. »

La Sainte Vierge lui dit la même chose et que comme il était vrai qu’elle est Mère de Dieu, il était vrai aussi qu’elle souffrait par l’œuvre du Saint-Esprit. Notre Seigneur en dit autant, et le Père éternel et tous prenaient en témoignage tous les articles de la foi qu’ils lui faisaient réciter, la litanie de Dieu le père, et à chaque verset, on lui faisait dire : « Dieu le Père atteste que ce que vous souffrez est l’œuvre du Saint-Esprit. »

Section 2. Bâtons d’ivoire et de cèdre, preuves de la vérité.

« Je veux une noix confite », disait une fois [172v] la sœur Marie ou Notre Seigneur par elle.

« Je vous en donne cinq, dit Notre Seigneur.

– Qu’est-ce que ces cinq noix ? ».

Comme Notre Seigneur semblait les vouloir expliquer, la Sainte Vierge lui dit que le temps n’était pas encore venu, mais « donnez-lui un bâton pour s’appuyer, car elle est si faible ! »

« Oui, dit Notre Seigneur, allez lui quérir mon bâton d’ivoire qui a une pomme d’or.

– Je ne le veux point, dit la sœur Marie.

– Pourquoi ne le voulez-vous pas, dit Notre Seigneur, il est si beau ! Je le veux bien moi !

– Gardez-le donc, répliqua-t-elle, je ne le veux point.

– Allez donc lui quérir, ajouta Notre Seigneur parlant à la Sainte Vierge, mon bâton de cèdre qui a une pomme d’ivoire.

– Oui, dit-elle, je le voudrais plutôt que l’autre. »

On lui apporte ce bâton de cèdre. Elle le prend, mais elle était si faible qu’elle ne peut pas s’appuyer dessus ni faire un seul pas.

Le bâton d’ivoire sont les personnes qui la connaissent et qui savent ce qui se passe en elle. Le bâton est blanc à cause de leur vie pure et nette. La pomme d’or, c’est [173] l’amour et la charité par laquelle ils sont unis ensemble : mais elle ne veut pas ce bâton pour s’appuyer, car elle ne croit pas à ce qu’ils disent, quand ils assurent que tout est de Dieu. Le bâton de cèdre ce sont toutes les choses qui sont écrites, sur lesquelles elle s’appuierait plutôt que sur les personnes qui la connaissent : mais pourtant elle ne peut s’y appuyer. Il est de cèdre parce que le cèdre est au Liban et y croît, qui représente la perfection et que ces choses sont parfaites, n’étant pas possible de dire qu’elle ne sont pas de Dieu. La pomme d’ivoire est la vie pure et nette de la sœur Marie, qui est conforme à ces choses et qui est une preuve qu’elles sont véritables.

Section 3. Témoignages de l’esprit de Dieu en la sœur Marie et de la vérité des choses qui se passent en elle.

« Depuis plus de trente ans, j’ai fait cette prière à Dieu », disait la sœur Marie un très grand [173v] nombre de fois, dans toute la ferveur qui m’a été possible et avec abondance de larmes. « Ô mon Dieu et mon Sauveur, vous êtes mon Créateur, je suis l’ouvrage de vos mains ; c’est Vous qui m’avez donné le corps et l’âme. Je Vous supplie par Votre infinie miséricorde et par Votre précieux sang de me donner pour un moment l’usage de ma langue ou de mon esprit pour prononcer vocalement ou mentalement Votre saint nom de Jésus, en témoignage que les choses qui se passent en moi, ou toutes ou partie, sont des illusions ou tromperies, afin que je m’en puisse garder. » Ensuite de cette prière, elle s’efforce de prononcer ce saint nom et il lui est impossible de le proférer ni de bouche ni même en esprit. « Quelle apparence, lui dit Notre Seigneur, d’employer mon saint nom pour témoigner un mensonge et une fausseté. »

Mais après cela, si elle demande permission de le prononcer en témoignage que ces mêmes choses sont de Dieu, il lui est très facile de le faire autant [174] de fois qu’elle le souhaite. Ou bien si elle demande à dire une fois le Veni Creator pour preuve de cette vérité, on lui ordonne de le dire quelquefois jusqu’à quarante fois et on lui a fait dire pour cette fin en diverses occasions toutes les choses les plus saintes de l’Église, comme le Pater, l’Ave, le Credo, le Gloria in excelsis, le Magnificat, le Vexilla, l’Ave Maris Stella, le Te Deum, et non contents de cela, et craignant encore que l’esprit malin ne connaisse la prière qu’elle fait à Dieu sur ce sujet et que ce ne soit lui ensuite qui empêche de prononcer ce saint nom, elle se sert d’un moyen, par lequel elle puisse lui cacher sa prière et faire en sorte par conséquent qu’il ne mette pas obstacle à ce qu’elle demande à Dieu. Elle se met à chanter quelque hymne ou psaume ou cantique spirituel qui est fort éloigné du dessein et de l’intention qu’elle a et pendant qu’elle chante, elle fait la prière susdite dans le plus secret de son cœur [174v] et dans le plus intime de son esprit, suppliant Notre Seigneur de lui donner la grâce de prononcer son saint nom mentalement, si ce qui se passe en elle, ou tout ou partie n’est pas de Lui et par après elle s’efforce de le prononcer de pensée, mais il lui est impossible, ce qui est une preuve certaine de la vérité des choses.

1. Parce qu’il n’est pas croyable que Dieu qui est infiniment bon rejette une prière qui lui est faite avec tant d’instances et de larmes et depuis tant d’années et pour une chose si importante et si nécessaire.

2. D’autant que l’esprit malin ne peut pas avoir connaissance de cette prière, spécialement lorsqu’elle est faite en la manière que je viens de dire, et par conséquent il n’en peut pas empêcher l’effet.

3. Quand il connaîtrait la prière, il ne pourrait pas empêcher la prononciation mentale du saint nom de Jésus, car quoiqu’il ait pouvoir, quand Dieu lui permet, sur les organes du corps et sur l’imagination et qu’il en puisse [175] empêcher les fonctions, néanmoins il n’a point de pouvoir sur l’esprit ni n’en peut empêcher l’usage.

La sœur Marie priait Notre Seigneur de lui donner quelque chose. Il lui dit : « Je vous donnerai aujourd’hui quelque chose. » Quelque temps après, en ce même jour, Il lui dit : « Je vous donne trois témoins qui sont irréprochables et qui portent témoignage que ce qui se passe en vous est une œuvre du Saint-Esprit : le premier, c’est la haine que vous avez du péché, le second c’est le zèle du salut des âmes, et le troisième c’est l’amour des souffrances. »

Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.

Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès [175v] au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

– Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

– Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerais arrêt en l’excès de mon amour. »

Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. »

Au même temps que Notre Seigneur parla du procès des aveugles, la grâce divine descendit de la partie supérieure en la partie inférieure de la sœur Marie et elle toucha et réveilla ses sens qui étaient endormis et leur dit : « Levez-vous, mes petits et vous allez prosterner devant le juge et le prier qu’il termine le procès qui est entre vous et vos frères. » Alors les sens s’allèrent prosterner devant Notre Seigneur [176] et le prièrent de terminer ce procès.

« Quel procès avez-vous avec vos frères ? dit Notre Seigneur. Que leur demandez-vous ?

– Je ne leur demande rien, dit la sœur Marie.

– Qu’est-ce qu’ils vous demandent ?

– Ils demandent pourquoi je ne communie pas. Je n’en sais rien, vous le savez. Ils demandent aussi qui est-ce qui dit toutes ces choses que je leur raconte. Je leur dis que celui qui parle dit qu’il est le Fils de Dieu, vous savez ce qui en est.

– Oui, dit Notre Seigneur, je sais bien ce procès-là : qui est votre avocat ?

– C’est la vérité.

– Qui est celui de vos frères ?

– Je n’en sais rien.

– Informez-vous-en ! »

Elle s’en va demander à la sainte Vierge qui lui répond que c’est un ignorant, qui ne sait rien et qui se nomme le Propre Intérêt.

« Voulez-vous que je fasse justice ? dit Notre Seigneur.

– Nenni, répliqua la sœur Marie. Je vous en prie, que ce soit la [176v] charité et la miséricorde qui donnent l’arrêt.

– Je suis juste, dit Notre Seigneur, et je ferai justice.

– Je vous en prie, dit la sœur Marie, que la justice soit avec la charité et la miséricorde.

– Je vous promets, répliqua Notre Seigneur, de vous donner un arrêt en signe et en sceau », c’est-à-dire qu’il fera connaître la vérité de ces choses par le signe et le sceau qu’il y mettra.

En une fête de l’Assomption, Notre Dame commanda d’accomplir un vœu qu’elle avait fait à Dieu pour elle, à savoir d’aller à la chapelle de la Roquette, proche de Coutances, tous les jours durant l’octave de cette fête, pour rendre grâces à la vérité de toutes les choses qu’elle a dictées, et pour lui demander qu’elle se fasse voir et connaître, et la prier de donner la grâce à tous ceux qui auront connaissance de toutes ces choses d’en faire bon usage. [177]362

Chapitre 3. La sœur Marie se met entre Notre Seigneur et la terre pour empêcher de la châtier, prenant sur elle les peine dues à ses péchés.

Un jour Notre Seigneur lui apparut fort blême et fort faible et elle l’entendit disant à sa sainte Mère : « Je suis malade, prenez ce pain de roses et l’enveloppez d’une serviette et me le liez sur la tête. » Ce qu’elle fit.

Mais la sœur Marie lui dit : « Ce n’est pas ainsi, laissez-moi faire. » Et en disant cela, elle prit ce pain de rose des mains de la sainte Vierge, puis elle le mit sur la terre et dit à Notre Seigneur : « Mettez vos deux pieds là-dessus, et vous guérirez assurément. »

Il fit cela et aussitôt Il dit : « Ô que je me trouve soulagé : qui vous a appris cette médecine ?

– Je l’ai apprise dans un livre que j’ai.

– Ô le bon livre, dit Notre Seigneur. Mais quel est ce livre ?

– C’est vous-même », dit-elle.

Voici l’explication de cette figure. Notre Seigneur était malade de colère, et s’il se fût couché sur la Terre, comme Il le voulait, Il lui eût fait sentir l’effet de Son courroux. Ce pain de roses sont les souffrances de la sœur Marie et la sœur Marie même qui est intervenue entre Notre Seigneur et la [177v] terre pour porter la vengeance qu’Il eût exercée sur elle.

La révérende mère Jeanne, carmélite à Pontoise et sœur de M. le chancelier Séguier363, dont la grande piété et prudence sont connue à toute la France, m’a assuré de ce que je vais dire. Il y avait de son temps une sainte religieuse au même couvent de Pontoise, nommée la mère Marie du Saint-Sacrement, fille de M. de Marillac, garde des sceaux qui avait pris l’habit de la religion avec la bienheureuse sœur Marie de l’Incarnation, et qui a vécue et est morte en réputation de sainteté parmi les carmélites, et ç’a été l’une des premières personnes à qui Dieu a révélé la naissance de Louis XIV364.

Or cette religieuse avant que de mourir365 dit à la mère Jeanne et à quelques autres carmélites du même couvent, desquelles je l’ai appris, que Notre Seigneur lui avait fait connaître une âme d’une très sublime sainteté, laquelle arrêtait le torrent de sa colère qui était prête de déborder sur tout le monde et que c’était une fille de village, pauvre, cachée et méprisée et qui était coiffée en bavolet366. Et après la mort de cette bonne mère, on trouva ces paroles qu’elle avait écrit sur ses tablettes, sur le sujet de cette fille en l’an 1634, le 26 novembre : « Comme sorcière, comme insensée, comme un esprit trompé, mais toutes leurs machines seront brisées à [178] l’entour de toi. Nul ne touchera même ta robe. » J’ai vu écrites ces mêmes paroles dans lesdites tablettes qu’elle avait écrites pour se souvenir de l’an et du jour auxquels Dieu avait manifesté l’état de cette sainte âme, laquelle en effet a été traitée comme une sorcière, une insensée, comme un esprit trompé : mais toutes les machines que les hommes, les démons et les sorciers ont employées pour perdre son âme, se sont brisées autour d’elle et n’ont pas même touché à sa robe, c’est-à-dire qu’elles n’ont point endommagé son corps que la divine Providence a conservé miraculeusement parmi la rage et la fureur de temps d’ennemis.

Chapitre 4. Dieu récompense abondamment ceux qui servent à cet œuvre. Des trois rois.

Au commencement du mal de douze ans, Notre Seigneur parlant aux ecclésiastiques qui assistaient la sœur Marie : « Bienheureux celui qui persévérera jusqu’à la fin. Chacun est libre de se retirer quand il le voudra : s’il y est demeuré une heure il sera récompensé [178v] largement, mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera héritier de tout son œuvre, tout de même que celui qui a épousé une héritière entre en possession de tout ce qui est à elle. » Tous ceux qui la visitent avec un esprit de charité, expérimentent qu’il y a en elle une source de grâce et de bénédictions de laquelle on ne peut s’approcher sans en ressentir les effets.

Aussi Notre Seigneur lui déclara un jour que les dons qu’Il avait mis en elle en produiraient beaucoup d’autres et alors Il lui dit : « Voyez venir trois rois qui vous viennent voir et vous apportent des présents. Écoutez. Ne les entendez-vous point venir ? Non, » répondit-elle, car c’était plusieurs années auparavant qu’ils vinssent. « C’est qu’ils sont encore bien loin, dit Notre Seigneur, mais pourtant ils viendront. » Or cela s’accomplit en effet, quoique longtemps après, par trois serviteurs de Dieu, qui dans l’octave de la fête des Rois, furent inspirés d’aller à Coutances pour y adorer Notre Seigneur dans une étable à pourceaux, et pour lui offrir des présents, à l’imitation des saints rois, d’où il rapportèrent de grandes grâces et se retournèrent dans leur pays par un autre chemin que celui par lequel ils y étaient venus. [179]

Chapitre 5. Abrégé des états principaux par lesquels la sœur Marie a passé.

La sœur Marie commença à être possédée comme il a déjà été dit, à l’âge de 19 ans : en suite de quoi elle fut travaillée cinq ans par un grand nombre de maléfices qui lui étaient envoyés par des magiciens et sorciers. Durant ces cinq ans, elle était conduite de Dieu par une voie de grande consolation. Car pendant ce temps ce n’étaient qu’embrasements, transports et enivrements de l’amour divin. Elle communiait alors et jouissait pleinement des fruits de la sainte communion qui sont : un amour très pur vers Dieu, une grande charité vers le prochain, un zèle très ardent vers le salut des âmes, un parfait mépris de soi-même, un entier détachement de toutes choses, etc.

Son esprit était perpétuellement appliqué par l’esprit de Dieu à la contemplation des mystères de la Passion de Notre Seigneur qui la faisaient fondre en larmes, qui allumaient en son cœur des désirs très enflammés de souffrir pour son amour et pour coopérer avec Lui au salut des âmes et qui la mettaient dans des ravissements dont la [179v] durée était quelquefois de huit jours pendant lesquels elle ne buvait ni ne mangeait presque point parce qu’elle était privée de l’usage des sens367.

Après ces cinq années de sortilèges elle entra dans les tourments de l’enfer qui durèrent plus de quatre ans368. À la sortie cette peine elle fut trois ans dans un état moins pénible et douloureux qui était une préparation au mal de douze ans369. En suite de ces trois ans, elle commença à souffrir le mal de douze ans. Tous ces états sont bien représentés par les figures suivantes.

Un jour comme elle priait Notre Seigneur de lui accorder les sept dons du Saint-Esprit, il les lui donna sous la figure de sept belles chandelles qu’elle vit en son âme, par le moyen desquelles elle voyait très clairement tout ce qui était en son intérieur. Elle y aperçut l’amour-propre, c’est-à-dire le goût qu’elle prenait dans les douceurs et consolations divines, et le désir qu’elle avait d’acquérir beaucoup de mérites : mais elle le prit et le jeta dehors.

En suite de quoi Notre Seigneur lui dit : « Parce que vous avez fait bon usage des sept dons du Saint-Esprit, je vous les donnerai encore, mais en une autre façon », et au même temps, il lui planta dans le cœur sept flèches ardentes et embrasées du feu de l’amour divin qui la navrèrent370 si puissamment, qu’étant comme [180] folle d’une sainte folie et toute enivrée et transportée, elle sortit hors d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle renonça entièrement à soi-même, elle s’oublia et délaissa entièrement.

En sortant elle trouva la Sainte Vierge à la porte qui lui dit : « Où allez-vous, ma fille ?

– Je m’en vais chercher celui qui m’a blessée, afin qu’il me guérisse.

– Allez, répondit-elle et lui dites ces paroles : Quaesivi quem diligit anima mea et non inveni371. Vous avez beau aller, vous n’êtes point prête de le trouver. »

Au même temps elle trouve la divine Justice qui était aussi à la porte et qui la prit par la main ; ce qui montre comment la divine Justice l’a prise pour exiger d’elle les peines dues aux péchés de ceux pour qui elle souffre. La divine Justice la tenant toujours ainsi par la main, elle s’en va en esprit, criant avec grande ferveur : Quaesivi quem diligit anima mea et non inveni. Elle rencontre l’Amour et la Charité comme deux personnages qui étaient déguisés et qu’elle ne connaissait point, qui marchaient toujours devant elle et qui la conduisaient : ce qui fait voir que l’amour et la charité sont les guides de cet ouvrage, mais ils sont déguisés tant pour elle qui ne les connaît point clairement que pour plusieurs autres. Les ayant ainsi rencontrées, elle leur demande : Num quem [180v] diligit anima mea vidistis ?372 « Oui, disent-ils, il vient de passer par ici : hâtez-vous et vous le trouverez. » Ils lui montrèrent une petite rue toute pleine de ronces, d’épines et de broussailles. Elle continue son chemin en criant : Quaesivi quem diligit anima mea et non inveni373, et elle entend de fois à autre Notre Seigneur qui l’appelle disant : Veni de Libano, sponsa mea, veni de Libano, veni, coronaberis374.

Animée et embrasée de joie, elle marche à grands pas, elle entre en cette rue et passe généreusement à travers les épines, broussailles et ronces, qui déchirent son habit de toutes parts et son corps et le mettent tout en sang. En marchant elle se tourne quelquefois vers la divine Justice qui la tient par la main et lui parle ainsi : « Tu me sers de pavois, de garde et de franchise, ta droite ne soutient, ta faveur m’autorise, tu m’ouvres les chemins assurés désormais, tu fais que mes talons ne vacillent jamais375. » Elle s’avance et vient au commencement d’une rue pleine de fournaises ardentes au travers desquelles elle passe sans se soucier ni des flammes ni des brasiers qui la brûlent et la mettent toute en feu. Elle trouve l’Amour et la Charité déguisés, mais d’une autre manière, à qui elle demande : « N’avez-vous point vu celui que mon cœur aime ? » Ils lui répondirent : « Personne n’a passé ce chemin depuis lui. [181] Si vous vous fussiez hâtée d’un pas, vous le teniez. » Elle s’avance toujours et la divine Justice la tient sous les aisselles avec une grande douceur. À la sortie de ces fournaises, dans une campagne, elle trouve derechef l’Amour et la Charité toujours déguisées, à qui elle demande son bien-aimé. Ils lui répondirent qu’ils le venaient de voir passer et qu’elle vit ses vestiges. Pendant qu’elle était dans cette campagne, elle n’entendait pas la voix de son époux. Ayant passé outre, elle arrive à un grand étang dont l’eau était pleine de serpents, mourons, crapauds et toutes sortes de bêtes venimeuses. L’Amour et la Charité marchaient sur les eaux, qui passaient bien à leur aise et toujours déguisés en quelque autre manière.

À l’autre côté de l’étang, elle vit Notre Seigneur qui l’appelle et lui dit plusieurs fois : « Ne passez pas au travers de cet étang, mais prenez le tour. » Il disait cela quasi more invitantis376.

« Je n’ai que faire de prendre le tour, je veux aller tout droit à vous.

– Je vous assure, dit Notre Seigneur, que jamais personne n’a passé par là que moi.

– Puisque vous y avez passé, répliqua-t-elle, je passerai aussi » et ayant dit cela, elle se jette dans cet étang comme une folle.

Sitôt qu’elle y est, elle se voit en esprit toute environnée de bêtes venimeuses depuis les pieds jusqu’à la tête, au [181v] dedans et au dehors, en sorte qu’il n’y avait aucune partie en elle qui n’en fût toute couverte. Elle sort de l’étang et se voyant en cet état, elle souffre un tourment indicible, on la remet dans l’étang : elle le traverse et arrive au bord là où la Justice, l’Amour et la Charité l’amènent à la chambre de Notre Seigneur. On lui change ses habits : Notre Seigneur la fait asseoir à table auprès de Lui et après le repas on la mène dans un cabinet pour y prendre son repos. Voilà un abrégé et une figure des états dans lesquels elle a été, dont voici quelques explications.

La rue pleine d’épines, de ronces et de broussailles, ce sont les sortilèges de cinq ans. Les fournaises sont l’enfer. La campagne où elle se repose un peu, ce sont les trois ans qui ont précédé le mal de douze ans. L’étang plein de bêtes venimeuses, c’est le mal de douze ans durant lequel elle a porté les péchés d’autrui représentés par les bêtes. Le reste n’est point expliqué.

Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps.

Parlant un jour à Notre Seigneur des choses qui lui sont dites intérieurement par Lui, par l’Amour divin, par la divine Volonté et par la Sainte Vierge, elle lui disait : « Qu’est-ce que vous voulez faire ? De [182] quoi est-ce que tout cela servira, vu que je ne les quitte point et que personne ne les sait ?

– Voyez-vous, me dit Notre Seigneur, nous ressemblons à des ouvriers qui font quantité de pièces de marchandises qu’ils jettent dans un coin de leur boutique sans les compter ni mettre en ordre, mais quand le temps de la foire vient, ils les comptent et mettent en bon ordre et les portent à la foire pour les exposer en vente. Aussi quand le temps sera venu d’exposer ces choses en public, qui sont maintenant comme négligées, nous les ramasserons et les mettrons dans l’état qui sera convenable. Nous ressemblons encore à ces grossiers merciers qui ont diverses sortes de soie, mais elles sont enveloppées dans des papiers en des boutiques. Il y en a quelques-uns auxquels ils les montrent par l’extrémité qui passe au bout du papier, mais il y en a d’autres à qui ils les font voir entièrement. »

Section 1. Les douze frères sont des conseillers examinateurs. On lui promet qu’elle gagnera son procès.

Entre plusieurs serviteurs de Dieu qui sont unis par le lien de la divine charité avec la sœur Marie, il y en a douze que Notre Seigneur lui a donnés en qualité de frères, mais on ne connaît pas bien encore ces douze frères, et même il y a apparence que ceux à qui on a donné ce nom ne sont que des figures de quelque autres [182v] choses que Dieu fera connaître quand il Lui plaira. Quoi que ce soit, quelques-uns de ceux-ci voulant au commencement considérer et examiner ces choses, faisaient quantité de questions et interrogations à la sœur Marie et lui demandaient pourquoi elle était possédée, pourquoi elle ne communiait point et autres choses semblables. Sur quoi parlant un jour à Notre Seigneur elle lui disait : « Pourquoi permettez-vous que ces gens ici me viennent inquiéter et affliger ? » « C’est que vous êtes accusée de deux grands crimes, répondit-Il. Premièrement d’être possédée du diable et par conséquent de lui appartenir. Secondement de ne communier point et par conséquent de n’avoir point de part avec Dieu. Et ce sont ici des conseillers examinateurs, mais je vous promets que vous gagnerez votre procès, car Je suis votre juge. »

Section 2. Notre Dame fait vœu et promet de la mener à la sainte Trinité dans le ciel pour être guérie. On écrit son arrêt.

En 1644, Notre Dame fit un vœu de la mener à la sainte Trinité dans le ciel pour y être guérie, et lui dit que là se fera la communion qui lui a été promise il y a longtemps, et que de là elle apportera un tourillon377 de fleurs pour le donner à M. le Pileur, afin qu’il le garde pour l’amour d’elle. Sœur Marie ne sait ce que c’est que cette communion, sinon qu’elle croit que cela [183] s’entend d’une certaine résurrection par laquelle elle sera rendue insensible à tout mal comme elle est maintenant à toute consolation, et que, comme vivante elle participe aux peines de l’enfer, vivante elle doit participer aux joies du paradis.

En l’année 1650, étant en prière devant le Saint-Sacrement, elle vit dans ce même sacrement les trois personnes de la sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit qui paraissaient comme occupés en quelque affaire de grande importance. Elle s’adresse à Notre Dame et lui demande : « Qu’est-ce qu’ils font là ?

– Ils écrivent votre arrêt, » répondit-elle.

Au même temps, elle entendit la seconde personne qui parlant à Jésus-Christ en tant qu’homme, et lui parlant de la sœur Marie lui dit : « Dites à votre épouse qu’elle chante alléluia. » Ensuite elle entendit le Saint-Esprit qui dit à la Sainte Vierge : « Dites à votre fille qu’elle chante ces belles paroles : Laudate Dominum omnes gentes, laudate eum omnes populi quoniam confirmata est super nos misericordia ejus, et veritas Domini manet in aeternum378.

Quelque temps après, le Père éternel dit : « Je n’ai rien dit, moi, mais voici ce que j’ai à dire : je vous donne le temps que vous avez encore à souffrir. Il ne reste plus sinon que mon Fils vous donne l’absolution : c’est à lui à vous la donner.

– Oui, dit Notre Seigneur, je vous la donnerai et bientôt. » [183v]

Section 3. Notre Seigneur lui chante un motet et lui promet de la ressusciter. Elle fait quatre vœux. On la fera vivre en terre de la vie du ciel.

Un jour elle demandait à Notre Seigneur qu’Il lui permît de prier. « Non, dit-Il, écoutez-moi : je veux vous chanter un motet. » Et ayant dit cela, Il commença à chanter : Veni sponsa mea, veni de Libano, veni coronaberis379.

Une autre fois, Il lui chantait en son esprit ce qui suit, qui est un verset d’un hymne des Saintes Vierges et martyres composé par M. Desportes, abbé de Tiron, lequel est à la fin de ses psaumes :

Or sus380 valeureuse guerrière

Malgré tous efforts d’ici-bas,

Vous avez fait votre carrière

Et gagné l’honneur des combats.

Jésus qui départ et qui donne

Les prix aux fidèles esprits

Est lui-même votre couronne,

Votre conquête et votre prix381.

Notre Seigneur lui a dit souvent : « Vous êtes endormie, Je vous éveillerai, vous êtes ravie, Je vous exciterai : vous êtes morte, Je vous ressusciterai. » L’esprit est mort, les sens sont ravis et le corps est endormi.

Durant l’octave de la Toussaint 1649, un soir en se couchant, elle commença à dire par un mouvement extraordinaire : « Je fais vœu de mourir. » Et un peu après elle dit : « Je fais vœu de ne pas mourir. » Puis elle ajouta : « Je fais vœu de m’en aller » et ensuite elle dit : « Je fais vœu de ne m’en aller pas. »

Ayant dit ces choses et faisant réflexion sur ce qu’elle avait dit, elle demeura tout étonnée et ayant demandé l’explication, on [la] lui donna en cette façon : « Vous faites vœu de mourir à l’état présent [184] dans lequel vous êtes, qui est un état de peines et de souffrances auxquelles vous mourrez en effet. Vous faites vœu de ne point mourir de la mort naturelle de laquelle vous ne mourrez pas encore sitôt. Vous faites vœu de vous en aller dans le ciel, c’est-à-dire, dans la vie du ciel, et néanmoins vous fait vœu de ne vous en aller point et de demeurer en la terre. Et comme vous avez vécu de la vie de l’enfer, qui est une vie de douleurs et de supplices, étant parmi les hommes dans le monde, ainsi vous irez au ciel et demeurerez sur la terre, et vous vivrez parmi les hommes de la vie des anges. »

Outre cela, Notre Seigneur lui a promis plusieurs fois de lui donner ce qu’elle ne demande pas, c’est-à-dire de la faire passer de la vie de souffrance où elle est, à un état tout contraire, et Il lui a dit que ce changement sera aussi grand comme celui qui arriverait à un enfant qui au sortir des ordures du ventre de sa mère viendrait tout d’un coup à connaître toutes les choses belles et variées qui sont dans le monde, ou à une porchère que le roi enverrait quérir dans sa pauvre maison pour la faire entrer dans son palais, la faire manger à sa table, la prendre pour son épouse et la faire honorer comme reine par tous ses sujets, ou à une âme qu’on tirerait de l’enfer, pour la transporter tout droit dans le paradis. [184v]

Section 4. Notre Seigneur lui promet plusieurs grandes choses. Elle demande cinq choses pour ses cinq sens. Elle doute extérieurement et est assurée intérieurement.

L’an 1642, le 28 février, Notre Seigneur lui dit : « Je vous donnerai une puissance absolue sur tous les hommes. Je vous donnerai une puissance absolue sur les quatre éléments. Je ferai voir et connaître à tout le monde que Je suis vivant et régnant en vous et que Je suis tout et que vous n’êtes que Mon habit dont Je suis revêtu, et comme l’habit n’a aucun mouvement de soi-même, mais seulement celui qui lui est donné par la personne qui en est revêtue, ainsi vous ne ferez rien par vous-même, mais ce sera Moi qui ferai tout en vous. Ce sera Moi qui aurai une puissance absolue sur tous les hommes et sur les quatre éléments. »

L’an 1645, le 2 décembre, la sœur Marie étant à complies aux Jacobins dans la chapelle du saint rosaire et priant Notre Seigneur de lui donner quelque chose pour ses pauvres sens lassés et accablés de misère, Il lui dit : « Que demandez-vous pour votre sens de toucher ?

– Je vous demande, dit-elle, ou plutôt l’esprit de Dieu, d’être embrasée du feu de l’amour divin et de la charité du prochain.

– Que demandez-vous pour le sens du goût ?

– Je vous demande d’être rassasiée de la viande céleste [185] qui est le Saint Sacrement.

– Que demandez-vous pour votre odorat ?

– Je vous demande d’être embaumée des bonnes odeurs de vos beaux lys et de vos belles roses qui sont ces belles âmes pures et nettes et ces âmes généreuses qui sont embrasées d’amour et de charité pour le prochain, les actions desquelles exhalent des odeurs aromatiques de sainteté.

– Pour votre ouïe ?

– D’entendre la douce musique des pécheurs quand vous leur avez brisé le cœur de contrition et qu’ils vous demanderont pardon de leurs crimes avec des soupirs et des gémissements inénarrables.

– Pour vos yeux ?

– Je demande de voir la grâce divine établir son règne dans toutes les âmes et y voir le divin Époux prendre ses délices avec elles. » Notre Seigneur lui accorda et promit toutes ces choses.

L’an 1650, le douze novembre, la Sainte Vierge lui parla en cette façon : « Dites-moi qui sont les choses qui se passent en vous, desquelles vous doutez davantage ?

– Je doute de tout, répondit-elle.

– Vous doutez de tout ?

– Oui, mais vous croyez si bien les belles choses qu’on dit de moi.

– Il est vrai, mais je ne puis rien croire de toutes les choses qu’on dit pour moi.

– Il y en a trois particulièrement, dit Notre Dame, que vous ne pouvez croire, qui est le don que je veux faire à vous et à votre frère, le second la résurrection de M. Potier votre frère, le troisième le livre de l’ange. Je veux vous confirmer la [185v] vérité de ces choses.

– N’en prenez pas la peine, dit la sœur Marie, car je ne vous croirai pas.

– Je ne demande pas que vous me croyiez, dit Notre Dame, mais pourtant, dites le Credo. »

Ce qu’ayant fait, la Sainte Vierge lui dit : « Ces trois choses sont aussi véritables comme les articles de foi qui sont dans le Credo, mais vous ne croyez pas, car il faut souffrir. Or croire et souffrir sont deux choses incompatibles.

– Si je savais assurément que je fusse agréable à Dieu, rien ne serait capable de me faire souffrir. Il est vrai pourtant que radicalement et dans le plus profond de mon intérieur, je ne doute de rien et suis assurée comme un ange. Mais selon les sens, je suis toujours dans les frayeurs et ne puis rien croire. Je ne vois rien intérieurement qui me fasse craindre d’être trompée, mais je ne vois rien extérieurement qui me fasse connaître que je ne le sois pas. »

Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.

En l’année 1653, au mois de juin, Notre Seigneur parlant à la sœur Marie lui dit : « J’ai un petit secret à vous dire.

– Je [ne] désire point le savoir, vous me ferez grand plaisir de garder vos secrets, car je crains de les profaner.

– Pourtant je veux vous le dire. »

Deux jours après, Il lui dit : « Mon secret est que je veux vous faire connaître.

– Me faire connaître ?, dit-elle, ne vous amusez point à cela [186], mais, je vous en prie, faites-Vous connaître Vous-même, car on ne Vous connaît point.

– Oui, Je me ferai connaître à tout le monde selon le grand désir que vous en avez, car Je suis la vérité que vous désirez tant de connaître : le grand désir que vous en avez est pour tous ceux qui ne la connaissent point. Votre désir sera accompli, ils la connaîtront. Le soleil a été condamné à donner des yeux aux aveugles. Les aveugles sont tous ceux qui ne Me connaissent point : je leur donnerai des yeux par lesquels ils connaîtront le soleil et verront sa lumière.

– Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?

– Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à tous, et la lumière du soleil, c’est la foi. Me promettez-vous pas de croire, ajouta le Fils de Dieu, quand j’aurai donné des yeux aux aveugles ?

– Oui, répondit la sœur Marie, je vous promets de croire, je croirai assurément. »

Ensuite de quoi, elle demeura deux jours exempte des frayeurs qu’elle a d’être trompée et dans une grande certitude que tout ce qui se passe en elle est de Dieu.

Mais après cela elle retomba dans ses craintes ordinaires et dans le désir de connaître la vérité, ce qu’elle demande souvent à Notre Seigneur et Il lui dit qu’elle fait comme les juifs qui disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix », car de lui faire connaître clairement si c’est Lui qui est l’auteur de cet ouvrage, c’est [186v] comme si elle lui disait : « Si vous êtes le Fils de Dieu, descendez de la croix », parce que si elle voyait manifestement la vérité, toutes ses souffrances cesseraient.

La confirmation qu’elle demandait pour connaître la vérité de toutes ces choses d’une telle façon qu’on n’en puisse douter. Mais on lui dit que cette confirmation se donnera lorsque la divine Volonté signera la quittance qu’elle a donnée à la sœur Marie, par huit versets d’un psaume ci-après écrit, – qui lui furent marqués lorsqu’elle récita tout le psautier par le commandement qui lui en fut fait, pour rendre compte à la divine Justice de ce qu’elle lui avait ordonné lorsque par elle le psautier lui fut donné pour conducteur – et quand la divine Volonté aura signé ladite quittance, l’Amour divin la scellera.

1

Synagoga populorum circumdabit te et propter hanc in altum regredere Dominus judicat populos

Judica me Domine secundum justiciam meam et secundum innocentiam meam super me. Ps.7, 8-9.

2

Holocaustum et pro peccato non postulasti, tunc dixi ecce venio in capite libri scriptum est de me ut facerem voluntatem tuam ; Deus meus volui et legem tuam in medio cordis mei. Ps. 39, 7-8.

3

Omnia excelsa tua et fluctus tui super me transierunt. Ps. 42, 8.

4

In me transierunt irae tuae et terrores tui conturbaverunt me, circumdederunt me sicut aqua tota die, circumdederunt me simul. Ps. 87, 17-18.

5

Commoveatur a facie eius universa terra : dicite in gentibus quia Dominus regnavit… Ps. 96, 9-10.

6

Vide humilitatem meam et eripe me quia legem tuam non sum oblitus. Judica judicium meum et redime me, propter eloquium tuum vivifica me. Ps. 119, 153-154.

7

Qui confidunt in Domino, sicut mons Sion : non commovebitur in aeternum. Ps. 124,1.

8

Beatus cujus Deus Jacob adjutor ejus : spes ejus in Domino Deo ipsius. Ps. 145.5.



[187] Desportes les a tournés [ces versets] en cette manière :

1

Des peuples te ceindra la grand » troupe amassée

Monte donc sur le trône où ta gloire est haussée.

Le voilà qui les juge. Ô seigneur, tout clément

selon mon équité donne ton jugement382.

2383

L’holocauste et le don pour l’offense commise

Ne te plaît nullement.

Aussi mieux enseigné, d’une âme à toi soumise,

J’ai dit : « Me voici prêt, commande seulement,

Il est écrit de moi, dès la tête du livre,

Qu’en tout je te dois suivre384.

3

Tes bouillons plus rehaussés,

Tout dessus moi sont passés.

Les torrents de ta tempête

Ireusement385 élancé

Ont monté dessus ma tête386.

4

Sur moi de ton courroux le débord est passé,

Je suis assiégé de tes craintes

Qui comme un long cours d’eau, m’environnent d’enceintes

Je me vois tout autour ce déluge amassé387.

5

à l’aspect du Seigneur tremble la terre toute

Devant lui inclinant

Racontez aux Gentils que Dieu sans nulle doute

Veut régner maintenant.

[6

Vois mon affliction et me tire d’opresse,

Un seul point de ta règle en oubly je n’ai mis.

Soit mon juge toi-même, à mes maux donne cesse,

Et prolonge mes jours comme tu l’as promis388.]

7

Qui d’un ferme courage au Seigneur se confie

Ne vacille non plus durant l’affliction

Que le mont de Sion

Qui jamais sans branler les orages défie389.

8

Le grand heur dont est jouissant

Celui qui vit dessous la garde

Du Dieu de Jacob tout-puissant,

Et qui seul l’éternel regarde,

Sans qu’il ait jamais espéré

Qu’au Dieu de son âme adoré390.



Section 6. Elle est suspendue entre le ciel et la terre. Elle enfante la joie.

L’an 1654, en la fête du Saint-Sacrement qui était le 4 juin, Notre Seigneur lui dit : « Je vous dirai un petit mot : vous êtes suspendue entre le ciel et la terre, car vous n’avez consolation ni du ciel ni de la terre et vous êtes en travail d’enfant. Ma mère est sage-femme. Vous enfanterez la joie. »

Un jour parlant à Notre Seigneur de toutes les choses qui sont écrites, Il lui dit : « Je les signerai de ma main et les scellerai de mon sceau. Alors on les exposera en public. En attendant, J’aurai bien agréable qu’on les tienne secrètes. »

[188] Un autre jour, Notre Seigneur lui commanda de lire et relire plusieurs fois le chapitre 21 de l’Apocalypse dans lequel sont ces paroles : Ecce nova facio omnia, et Il lui dit qu’Il a fait en elle toutes choses nouvelles.

L’an 1655 durant le mois de février, la sœur Marie se vit dans un petit sentier fort étroit par lequel personne n’avait jamais passé. Elle crut qu’il y avait une fournaise ardente au bout de cette sente. On lui dit que c’était la fournaise de l’amour divin et qu’elle passerait au travers. Que lorsqu’elle en serait sortie, elle verrait Notre Seigneur en qualité de roi, assis sur son lit de justice, ayant les mains pleines de carreaux de foudre pour les lancer sur la tête des pécheurs. Qu’elle se présenterait devant lui après avoir passé par cette fournaise, et que, la voyant embrasée de son divin amour, Il l’appellerait à Soi, qu’elle irait à Lui sans aucune crainte, qu’elle Lui arracherait les foudres des mains, qu’elle les lierait ensemble avec une chaîne d’or qui représente toutes les vertus enchaînées les unes avec les autres, et qu’après tout cela, elle entonnerait un cantique si charmant qu’Il en demeurerait tout ravi, et qu’Il oublierait tous les châtiments qu’il voulait exercer sur les pécheurs. [188v]

Chapitre 7. La fin de cet œuvre. Le changement et la fin viendront quand elle y pensera le moins.

Notre Seigneur dit plusieurs fois à la sœur Marie qu’elle sera délivrée de ses maux quand elle y pensera le moins, et qu’Il fera comme un homme qui attend son ami et qui se cache au chemin par où il doit passer, afin de le surprendre en passant.

Attendant un ecclésiastique qui devait venir à Coutances pour y prêcher et voyant qu’il n’y venait pas au temps que l’on disait qu’il viendrait, elle demanda à Notre Seigneur quand il viendrait : « Il viendra, lui dit-il, quand vous n’y penserez point !

– Comment cela peut-il se faire, lui dit-elle, vu que j’y pense sans cesse et que je ne puis ôter cela de mon esprit ?

– N’importe, il viendra lorsque vous n’y penserez point, tout de même comme toutes choses que Je vous ai dites s’accompliront quand vous n’y penserez point. »

Et en effet, lorsque cet ecclésiastique vint, elle était à l’Église où on la vint avertir, et elle n’y pensait point du tout alors.

Section 1. Elle va au-devant de son époux par la voie des excès. Il L’attend caché dans une sente pour la surprendre en passant.

L’an 1643, le 10 décembre, comme elle venait de complies des pères Jacobins, passant proche l’église cathédrale, elle demanda permission à Notre Seigneur d’y entrer. Il le lui commanda et de dire un beau verset :

« Quel est ce beau verset ? Lui dit-elle. [189]

Cherchez-le et vous le trouverez, répliqua Notre Seigneur.

Elle cherche dans son esprit et tout à coup elle s’avise de dire ces paroles qui lui furent mises dans l’esprit et dans la bouche : « Mon époux vient et je m’en vais au-devant de lui. » Et elle s’en va disant et redisant sans cesse ces mêmes paroles, jusqu’à ce qu’elle soit devant l’autel de sainte Anne.

« Il est vrai, dit Notre Seigneur, votre époux vient et vous le rencontrerez assurément dans une petite sente où il vous attend et où il se tient caché pour vous surprendre en passant, et lorsque vous y penserez le moins.

Fidelis et verax sponsus meus in omnibus promissionibus suis391, répliqua-t-elle.

– Mais quel chemin prendrez-vous pour aller au-devant de votre époux ?

– J’y vais, répondit-elle, par les excès !

Et quel est votre monture ? dit le Fils de Dieu.

– Ce sont les épines, les ronces et les chardons.

– Il est vrai, les épines sont l’Ire de Dieu dont les piqûres sont les malédictions. Les ronces sont les hommes qui vous affligent, les uns par les honneurs et par les louanges, les autres par le mépris et par les blâmes qu’ils vous donnent. Pour les chardons... vous ne saurez pas encore l’explication. » [189v]

Demandant un jour à Notre Seigneur si la fin de tout ce qui se passe en elle viendrait bientôt, Il lui dit : « Vous êtes aussi proche de la fin comme vous êtes proche de la fin de votre rosaire quand vous l’avez tout dit et qu’il ne vous reste plus que deux mots à dire à savoir : Jesus Maria [ou Jésus Marie] », car elle a toujours coutume de finir par ces deux mots quand elle dit son rosaire. « Mais savez-vous ce que ces deux mots qui vous restent pour arriver à la fin de votre rosaire signifient ? C’est que vous serez à la fin quand vous serez arrivée où Jésus et Marie sont arrivés. »

Section 2. La fin sera plus belle et plus admirable qu’on ne pense.

Un jour la sœur Marie demanda à la Sainte Vierge quelle serait la fin de l’état où elle est. Et voici la réponse qu’elle lui fit : « La fin sera plus belle, plus admirable, plus glorieuse, plus épouvantable qu’on ne pense, et de plus grande désolation qu’on ne peut penser. »

Le 21 décembre 1644, Notre Seigneur lui donna l’interprétation de ces cinq paroles par cinq comparaisons, et dit :

1. [190] Les choses qui sont maintenant ignorées sont comme dans l’obscurité de la nuit, mais quand la fin sera venue, elles seront connues comme dans un plein jour, et c’est ce qu’avait dit Notre Dame, que la fin serait plus belle qu’on ne pense.

2. Il dit que présentement c’est comme si la sœur Marie était dans la glace, et qu’à la fin elle entrera dans la chaleur de l’amour divin. Et c’est ce qu’avait dit la Sainte Vierge que la fin serait plus admirable qu’on ne pense.

3. Il dit qu’elle est comme dans une basse fosse chargée de fers et de chaînes avec les diables et les péchés, et qu’à la fin elle sera transportée dans les joies du ciel avec les anges et les saints. Et c’est ce qu’on a dit que la fin serait plus glorieuse qu’on ne pense.

4. Que maintenant elle est la maison du soleil, lequel est avec elle pour l’éclairer dans son intérieur, et qu’à la fin il sera sa maison pour faire voir au-dehors l’état horrible des péchés, et c’est ce que Notre Dame appelle plus épouvantable qu’on ne pense.

5. Il dit que l’amour divin est un pêcheur qui tient une ligne à la main pour pêcher le péché. Le bois de la ligne, c’est la toute-puissance [190v] de Dieu. La corde c’est la Passion du Fils de Dieu, l’hameçon c’est la divine volonté, le ver ou l’amorce qui l’enveloppe c’est la sœur Marie. Le monstre du péché l’engloutit. Le pêcheur le laisse dans la mer quelque temps. Le monstre croit qu’il digérera l’hameçon et l’amorce. Le pêcheur le tire en terre sèche, il se débat horriblement et enfin est mis à mort d’une étrange manière. Et c’est ce que Notre Dame a dit que la fin sera plus pleine de désolation qu’on ne pense.

Notre Seigneur lui a dit plusieurs fois qu’elle sera délivrée par l’abîme des jugements de Dieu, à raison de quoi il lui faut dire beaucoup de fois cette prière : Per abyssum judiciorum tuorum, libera me, Domine392.

Section 3. Au moment que la sœur Marie connaîtra la vérité, elle demeurera endormie sur le pavé. Les souffrances sont un grand sujet de joie.

La sœur Marie ayant dit plusieurs fois par un mouvement extraordinaire que dans [191] le moment qu’elle aurait connu la vérité, elle désirait tomber endormie sur le pavé et ne sachant ce que cela voulait dire, Notre Seigneur lui en donna l’explication le 9 janvier 1646. Il lui dit que connaître la vérité, c’était voir l’effet de toutes les promesses qui avaient été faites, et que l’unique moyen pour arriver à la connaissance de la vérité, c’était avoir une grande patience animée d’un désir embrasé des souffrances pour vaincre Dieu, les péchés et le diable, les peines, angoisses et furies que Dieu envoie pour le châtiment du péché. Lorsque, dit-il, l’Ire de Dieu se présente comme un grand capitaine avec ses soldats qui sont les malédictions de Dieu, il les faut recevoir avec joie, à bras ouverts, les présenter à l’Amour divin qui est un feu qui consume le feu de l’Ire de Dieu et qui le change en amour, comme aussi il change les malédictions de Dieu en bénédictions. Lorsque l’infidélité se présente, il la faut recevoir avec joie et la tuer par une ferme foi et la présenter à l’Amour divin qui la cuit et puis la Charité divine la prépare pour en faire un repas. [191v] Il faut faire de même du désespoir, lequel il faut tuer par une forte confiance en Dieu, et de l’orgueil, lequel il faut tuer par une profonde humilité, et ainsi de la désobéissance et de tous les autres péchés. Enfin tout ce qui arrivera de la part des diables et des furies d’enfer et toutes les peines qui viennent de la part de Dieu pour châtier les péchés, il les faut recevoir avec une grande joie et les vaincre avec une grande patience, et les présenter à l’Amour divin qui les cuit, ensuite la Charité divine les apprête pour servir de repas au vainqueur. Les chasseurs n’ont pas tant de joie de la prise du gibier comme une âme enivrée du désir de souffrir a de joie de tous les sujets de souffrance qui se présentent à elle.

Lorsque la sœur Marie verra la vérité par le moyen ci-dessus déclaré, elle tombera endormie sur le pavé, c’est-à-dire, qu’elle marchera sans peine, parce que toutes les difficultés seront aplanies et ce qui a été dit autrefois de son seul esprit : Super aspidem et basiliscum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem393, s’accomplira aussi, au regard de ses sens qui marcheront avec gloire sur ces monstres abattus sous leurs [192] pieds, c’est-à-dire sur toutes sortes de péchés et qui seront en état d’aller partout où l’esprit ira avec Jésus et qui auront l’effet du désir qu’ils ont témoigné quand ils disaient : Cupio dissolvi et esse cum Christo parce qu’ils auront un autre être que le leur : ils seront morts à eux-mêmes et les sens de Notre Seigneur vivront et régneront en eux.

Section 4. Le changement est proche.

L’an 1649, la veille de la conception de Notre Dame, Notre Seigneur lui dit ces paroles : « Le long jour est fini, le jour de demain est commencé ; nous avons vu l’étoile du point du jour, je vous enverrai un ange à qui vous parlerez aussi familièrement comme vous parlez à M. Potier. L’aube du jour vous paraîtra bientôt. La première heure du jour de demain est commencée. »

Explication : le long jour, c’est le jour de ses souffrances dont la durée n’est qu’un moment à l’Amour divin et une heure à l’esprit qui les porte avec grande affliction, mais c’est un long jour au corps qui s’ennuie et qui se lasse de souffrir.

Le jour [192v] de demain est commencé. Ce jour de demain, c’est le jour du changement dans lequel elle doit être délivrée et entrer dans le repos.

L’étoile du point du jour, c’est la manifestation des secrets qui a été faite à quelques-uns.

L’ange, c’est un ecclésiastique qu’on lui fit venir demeurer à Coutances et qui la voyait souvent, qui la consolait le mieux qu’il pouvait et auquel elle parlait avec grande confiance et grande liberté.

L’aube du jour, ce sont les choses miraculeuses qui se doivent faire au temps du changement. Entre l’étoile du point du jour et l’aube, il y a encore quelque espace de temps. Or c’est dans cet espace qu’elle est maintenant, qui est le commencement de la première heure de ce jour de demain dont il vient d’être parlé. C’est pourquoi on lui dit que l’heure est présente, que le changement doit venir, et on lui fait dire souvent le cantique : Nunc dimittis servum tuum, Domine394.

L’an 1650 au mois de mars, un des démons qui sont dans la sœur Marie qui s’appelle Na lui parla en cette sorte : « Écoute-moi, car j’ai trois paroles à te dire de la part de Dieu. C’est [193] moi qui suis ici venu le premier, j’en sortirai le dernier. Ta délivrance est proche. Lorsque nous sortirons nous ferons tous ensemble un grand signe. » Depuis, Notre Seigneur assura la sœur Marie que c’était Lui qui avait commandé à ce démon de parler ainsi et qu’il avait dit la vérité.

L’an 1654, le 25 mars, elle vit tous les saints pendant même qu’elle parlait à un ecclésiastique, qui la regardant frappaient des mains l’une contre l’autre quasi plaudentes395 et lui disaient avec une grande joie : Consummatum est, consummatum est.

Chapitre 8. La destruction des péchés est la fin de cet œuvre. La divine Volonté marchera à la tête de l’armée.

L’an 1644, le 23 octobre, la sœur Marie étant dans l’Église cathédrale de Coutances, durant les prières que l’on chantait en une procession publique, fut surprise subitement d’un désir ardent de faire un vœu, à savoir de ne partir point de cette vie que péché ne fut anéanti par tout le monde. Et elle pria Notre Seigneur et Notre Dame de faire ce [193v] vœu-là pour elle, mais ils ne le firent point et l’empêchèrent de le faire. Là-dessus la divine Volonté survint, qui dit : « Je marcherai à la tête de l’armée, je dévorerai ce monstre, je lui écraserai la tête, je jetterai sa cervelle au chien, je lui arracherai le cœur et le jetterai dans le feu. » La divine Justice dit : « Nous ne faisons qu’attendre l’Amour et la Charité pour partir et aller contre ce monstre. » Notre Dame dit à la sœur Marie : « Vous êtes le carrosse dans lequel sont ces dames ». La sœur Marie demanda qui était le carrossier. Notre Dame dit que c’était la Vérité. Elle dit que jamais elle n’avait vu la Justice et la divine Volonté assises dans sa tête jusqu’à ce coup, et qu’elle y avait vu une fois la toute-puissance. La Sainte Vierge lui dit que le baiser que la divine Justice lui avait promis ci-devant était le désir d’anéantir le péché et d’ôter toute laideur.

Le lendemain, elle vit la justice et la volonté divine qui se promenaient. Elle demanda si l’Amour et la Charité étaient venus. Elle dit que oui, mais que la toute-puissance divine leur faisait faire à chacun un habit pour les [194] déguiser afin qu’on ne les reconnût pas, et que l’Amour divin aurait un habit noir parce que c’est le juge qui doit juger le péché et que celui de la Charité était [sic] violet. Notre Seigneur a aussi dit que la tête du monstre c’est l’orgueil, que la cervelle sont les péchés des méchants prêtres et que le cœur sont les crimes des sorciers.

Une fois Notre Seigneur commanda à la sœur Marie de porter une chemise l’espace de treize semaines, si bien qu’elle devint extrêmement noire, sale, toute pourrie et toute couverte de vermine ; ensuite de quoi, Il lui commanda de la dépouiller et de la jeter au feu : ce qu’elle fit. Puis Il lui dit que cette chemise c’était une figure du péché dont elle s’est revêtue, lequel sera anéanti et jeté dans le feu de l’amour divin, c’est-à-dire dans le troisième déluge qui doit venir, qui sera le déluge de feu et le déluge du Saint-Esprit. [194v]

Section 2. Le feu de la haine du péché dont elle est embrasé pour l’anéantir. David a tué Goliath, Judith, Holopherne. Esther a délivré son peuple et Aman a été pendu.

Un jour la sœur Marie vit en esprit un feu composé de plusieurs flammèches ou étincelles qui s’éparpillaient et tombaient en terre au commencement, puis après elles se ramassaient comme en forme de plusieurs essaims de mouches à miel qui donnaient droit de la terre au ciel et allaient lécher la voûte du ciel. Après cela, elles se séparaient les unes des autres, environ d’une coudée de distance.

Le 3 janvier 1645, on lui donna l’interprétation de ce feu et Notre Seigneur dit que ce n’est point le feu de l’amour divin qui est dans l’esprit, ni le feu de la tribulation, mais que c’est le feu de la haine du péché qui est dans l’irascible par laquelle on s’embrase de colère contre le péché pour l’anéantir. Ce feu est grand ou petit dans une âme à proportion que l’amour divin y est grand ou petit. Voilà pourquoi ce feu dans les commencements de la vie de la sœur Marie s’éparpillait [195] et regardait le péché dans quelques âmes particulières seulement, lorsque l’amour divin n’était pas si parfait en elle : mais quand l’amour divin s’y est perfectionné, ce feu s’est rassemblé pour regarder le péché en général. Le bois dont ce feu s’entretient, c’est la charité divine que l’on a pour le salut des âmes. La fumée qui en sort [ce] sont les prières par lesquelles on demande à Dieu l’anéantissement du péché. Il lèche la voûte du ciel sans y entrer, parce que l’on voudrait bien que tous les habitants du ciel fussent embrasés de feu pour venir fondre ici-bas et anéantir le péché. Le brasier de ce feu, c’est l’irascible de celui qui en est épris. La cendre qui en procède c’est une profonde et abyssale humilité, avec laquelle et les larmes de la contrition, se fait la lessive pour blanchir les âmes qui sont en péché. Les flammèches maintenant ramassées se sépareront dans le temps que Dieu a déterminé pour aller dans les âmes particulières y mettre le feu de la haine du péché.

Notre Seigneur dit ensuite qu’on allait voir l’accomplissement de ces trois figures suivantes : David a tué Goliath de son [195v] glaive, la chaste Judith a tué Holopherne au milieu de son armée, la belle Esther a délivré son peuple et Aman a été pendu au gibet qu’il avait préparé pour Mardochée.

Trois jours auparavant396, Il avait dit : « Je romprai le voile et le mettrai sous les pieds. » C’est un voile noir qui couvre le feu susdit. Il est noir, car Notre Seigneur dit que c’était les peines que souffrait la sœur Marie comme d’être possédée, d’avoir été privée de la sainte communion, d’être chargée de tant et tant de coulpe, etc. L’on ne croirait jamais que là-dessous il y eut une telle haine du péché.

Section 3. Conclusions de la très sainte Trinité contre le péché. Trois flèches pour faire mourir les péchés de fragilité, d’ignorance et de malice.

L’an 1645, le 3 février, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Je vous écrirai trois paroles sur le front avec mon doigt et les imprimerai avec [196] mon cachet. » Le lendemain, Il lui dit que ces trois paroles étaient les conclusions que les trois personnes de la très sainte Trinité avaient données au procès contre le péché ; mais que la divine Volonté n’avait point encore prononcé l’arrêt et que cet arrêt conforme aux conclusions serait écrit sur son front, et que ce même arrêt avec ces trois conclusions étaient trois flèches, dont la première était pour faire mourir les péchés de fragilité, la deuxième les péchés d’ignorance, la troisième pour faire mourir les péchés de malice. Ensuite de cela, Notre Seigneur l’envoya dans le chœur de la grande église pour dire trois couronnes397 en Action de grâce aux trois personnes de la sainte Trinité pour leurs conclusions.

En celle du Père, on lui fit dire sur les gros grains le Te Deum tout du long, et sur les petits, le Gloria Patri et filio, etc. En celle du Fils sur la croix :

Monte dessus ton char : la Vérité fidèle,

L’exorable Pitié, la Justice avec elle

Te feront compagnie, et terrible en pouvoir

Efforts dessus efforts, ta dextre fera voir398.

Sur les gros grains le Magnificat tout du [196v] long, sur les petits, ces paroles : Eructavit cor meum verbum bonum399.

En celle du Saint-Esprit, sur la Croix, le Veni Creator tout du long avec le verset et l’oraison. Sur les gros grains : Beata nobis gaudia... tout entier400. Sur les petits : Dilectus meus mihi et ego illi. Notre Seigneur ajouta que quand la divine Volonté aura prononcé l’arrêt, on lui rendra grâces.

Le soir bien tard, Notre Seigneur expliqua les trois flèches en cette manière. Il dit que pour faire mourir le péché de fragilité, le Père éternel donne à l’âme une force divine par le moyen de laquelle elle se relève généreusement de la terre où le monstre du péché la tenait engagée sous sa patte. Elle le met sous ses pieds et le jette hors de sa maison, et après elle se nourrit et fortifie par la pratique des vertus. Pour faire mourir le péché d’ignorance, le Fils donne à l’âme un rayon de lumière lequel la réveille du sommeil qui la tenait endormie dans les ténèbres du péché, et fait qu’étant au milieu des ordes bêtes qui l’ont empoisonnée et blessée à mort, elle se lève tout effrayée [197] les tue et les jette hors de sa maison, et si elle les voir revenir, elle va au-devant et les tue et après elle se nourrit bien et travaille à son salut. Pour faire mourir le péché de malice, le Saint-Esprit donne à l’âme un souffle divin qui est une flèche allumée par les deux bouts pour rallumer ses deux flambeaux qui sont ses deux yeux : l’entendement et la raison. Car lorsque par le péché de malice, l’âme se délibère à vivre comme s’il n’y était point de Dieu, son entendement lui représente Ses terribles jugements et la raison naturelle lui fait voir que c’est chose indigne qu’une créature douée de tant de beautés et de perfections, se vautre dans la fange comme les bêtes immondes ; mais elle en devient furieuse et se crève les yeux afin de perdre la connaissance de Dieu et de Ses jugements, et ensuite elle se déborde à toutes sortes d’abominations ; elle y prend son plaisir et son repos et y établit sa dernière fin. Or la bonté infinie du Saint-Esprit, regardant cette âme comme une charogne morte, puante et insupportable, il lui donne le souffle de vie comme une flèche allumée par les deux bouts [197v] afin de rallumer ces deux flambeaux éteints, pour lui faire voir son état. Alors elle se lave avec les eaux de la contrition, elle se purifie et travaille à son salut.

L’an 1645, le douze février, Notre Seigneur lui demanda : « Votre cire est-elle disposée pour recevoir mon cachet ? »

Elle répondit : « Je ne sais point ce que c’est que la cire, ni la disposition, ni le cachet.

– La cire, ajouta le Fils de Dieu, ce sont les choses que la Vérité a prononcées par votre bouche. Le cachet, c’est la Vérité même, laquelle s’imprimera en toutes ces choses avec telle certitude qu’on n’en puisse douter.

– Mais vous m’aviez dit que vous écririez avec votre doigt sur mon front l’arrêt de mort contre le péché ?

– Il est vrai, répliqua Jésus Christ, aussi Je le ferai en cette façon. Comme le visage est la plus belle partie du corps, aussi toutes ces choses sont ce qu’il y a de plus beau en nous, et comme le front est la plus haute partie du visage, ainsi ce qu’il y a de plus difficile et de plus relevé en toutes ces choses est comme le front. J’écrirai [198] de mon doigt sur ce front, c’est-à-dire que mon amour divin qui est mon doigt fera connaître que c’est lui qui a intenté le procès contre le péché qui l’a poursuivi et qui a obtenu l’arrêt contre lui, lequel procès est contenu en toutes ces choses.

Le soir Notre Dame dit que l’Amour divin avait fait de grands frais dans la suite de ce procès et qu’il lui avait coûté bien de l’or et de l’argent. « L’or, ce sont les souffrances de l’esprit, dit la Sainte Vierge, et l’argent ce sont les souffrances des sens, et mon époux a pris cet or et cet argent dans les trésors de l’Ire de Dieu. »

Section 4. L’amour divin commande à toutes les vertus de lever chacune une armée pour combattre et pour tuer le péché.

L’an 1645, le 5 mai, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Mon amour divin va lever des armées pour faire la guerre au péché. Il a commandé à toutes les vertus de lever chacune une armée. Toutes les vertus se sont présentées devant la sainte Trinité pour lui demander [198v] des dons, des grâces et des bénédictions et des inspirations, comme autant de soldats : ce qu’elles ont obtenu. Après cela, elles se sont adressées à chacun des saints qui ont excellé en elles, pour obtenir le secours de leur prières et de leur mérites comme autant de soldats. À la tête de l’armée, marcheront deux amazones et braves guerrières, qui sont la grâce prévenante et la grâce efficace. La grâce prévenante frappera à la porte du pécheur : si on lui ouvre, elle entrera et fera entrer les vertus contraires aux péchés qui sont dans son âme avec toute son armée. Mais si l’obstination et l’endurcissement barrent la porte, la grâce efficace viendra, qui étant armée de la force divine brisera la porte et entrera et fera entrer les vertus susdites avec son armée, et étant entrée, elle tuera tous les péchés qui seront dans l’âme et y établira son règne. Notre Seigneur dit encore que saint Michel aurait la conduite de toutes ses armées et que saint Gabriel aurait seulement la charge des canons.

Une autre fois, la sœur Marie vit trois vertus qui tenaient conseil pour aller attaquer leurs ennemis et pour les détruire. [199] L’Humilité parla la première et dit qu’elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût terrassé l’Orgueil sous ses pieds et qu’ensuite elle le mangerait et le tournerait en sa substance, de sorte que quand on le chercherait, on ne trouverait plus que l’Humilité, et que l’Orgueil régnait par tyrannie, mais que pour elle, elle est la fille légitime du roi. La Pureté virginale parla ensuite et dit qu’elle était altérée du sang de son ennemi et que jamais sa soif ne s’étancherait qu’elle ne l’eût bu. Et la Chasteté dit qu’elle avait grande faim de la chair de son ennemi et qu’elle ne rassasierait point qu’elle ne l’eût mangé et converti en sa substance et que là où on le chercherait on n’y trouverait plus que la chasteté. Mais elles conclurent qu’il leur fallait des armes à feu pour combattre de loin, parce que cet ennemi a l’haleine si puante que l’on ne saurait si peu l’aborder qu’il n’infecte. Après, la Sobriété dit qu’elle dévorerait aussi son ennemi et le tournerait en sa substance.

La sœur Marie vit un jour une grande troupe de belles filles de quinze ans qui allaient en procession à deux chœurs depuis la chambre [199v] où elle était jusqu’à la chapelle Notre Dame de la Roquette, avec des couteaux à la main, disant qu’elles allaient tuer le péché. Devant elle marchait l’Amour divin avec une faux pour faucher tous les plaisirs qui ne sont point de Dieu, et la Charité avec une fourche pour les ferrer. Ces jeunes filles ce sont les douleurs qui la doivent quitter pour aller trouver ceux qui seront en péché mortel, afin de le tuer en eux.

L’an 1645, le 11 novembre, elle s’offrit à Notre Seigneur comme instrument de la grâce divine pour faire ce qu’il lui plairait. Notre Seigneur lui dit : « Si j’étais en l’état où vous êtes, pour servir à la grâce divine d’instrument, Je voudrais être une flèche empoisonnée dont elle se servît pour transpercer le péché. » Notre Dame dit : « Moi, je voudrais être une fournaise ardente dans laquelle tous les péchés fussent jetés et consumés comme des épines et broussailles. »

Section 5. Arrêt de mort contre le péché.

L’an 1645, à Noël à la messe de minuit, la Sainte Vierge dit : « Nous sommes arrivés [200] au point. La divine Volonté a prononcé l’arrêt de mort contre le péché à l’heure de minuit. Il ne reste plus qu’à l’exécuter et on en verra les effets. » À cette heure-là, les diables s’émurent en elle extraordinairement, et cette émotion lui fit cesser ses prières qui avaient duré quatorze heures. Cet arrêt fut prononcé durant la messe de minuit. Elle demanda à la Sainte Vierge la cause de cette émotion : « C’est parce que, dit-elle, ils ont quelque connaissance de l’arrêt qui a été prononcé. »

L’an 1650, au mois d’avril, Notre Seigneur dit à la sœur Marie que le vrai Antéchrist c’est le péché originel avec tous les autres qui en procèdent ; que c’est la bête à sept cornes de l’Apocalypse, que son Père éternel a prévu et compté tous les moments de sa durée, et que nous sommes à la fin du dernier moment, et [qu’Il] va faire descendre un déluge de feu et de soufre pour le détruire et anéantir. En ce temps-là elle connut que les démons, qui étaient en elle, tremblaient extraordinairement, et en ayant demandé la cause, Notre Seigneur lui répondit : « Si quelqu’un avait édifié une belle maison et qu’on lui commandât [200v] de la détruire, il en serait fort affligé. C’est ce qui afflige et fait trembler les démons parce qu’on leur commande de détruire bientôt leur ouvrage. »

Une autre fois, elle vit Notre Seigneur tenant un long serpent par le milieu du corps, lequel se débattait fort, sans pouvoir néanmoins toucher la main de Notre Seigneur.

La sœur Marie lui dit : « Pourquoi tenez-vous cette vilaine bête, ôtez la !

– Elle ne me fait point de mal », dit le Fils de Dieu.

Peu de temps après, lorsqu’elle y pensait plus, elle se trouva entourée de ce serpent qui faisait trois tours autour d’elle et il se mangeait la queue. Ce serpent c’est le péché. Les trois tours qu’il faisait autour de la sœur Marie représentent les péchés des ecclésiastiques, des justiciés401, ceux des nobles et [ceux] du peuple dont elle est chargée pour en faire pénitence. Le serpent mange sa queue pour montrer que le péché prendra fin.

Chapitre 9. La grande tribulation que Dieu enverra pour détruire le péché

Notre Seigneur et sa sainte Mère ont dit plusieurs [201] fois à la sœur Marie qu’il viendrait une grande et horrible affliction par laquelle ils anéantiront les péchés, en la comparaison de laquelle toutes les afflictions de ce temps ne sont rien. Un jour402 comme quelque personne l’exhortait de prier Notre Seigneur qu’il eût pitié de son peuple, et qu’il le délivrât des misères de ce temps, elle répondit en cette sorte : « Que pensez-vous ? Que c’est des afflictions présentes dont on se plaint tant ? Ce n’est rien que cela : ce n’est qu’un verre de vin trouble, ainsi qu’il est exprimé dans ce verset que Notre Seigneur m’a dit pour ce sujet : “L’Éternel tient en main une coupe remplie de vin troublé et mêlé.” C’est pour tous les méchants : le fond jusqu’à la lie, sera d’eux avalé. »

Ce sont les afflictions présentes qui ne sont pas grande chose et qui ne sont que pour les petits pécheurs. Ce n’est qu’une préparation et disposition à une autre épouvantable tribulation qui arrivera et qui est exprimée par ce verset, ainsi que Notre Seigneur l’a fait connaître à la sœur Marie :

Au temps que Ta fureur sur eux sera tournée

Comme un feu vomissant,

Tu ne feras d’eux tous qu’une seule fournée

Ta flamme et ton courroux tous les engloutissant403.



[201v] Un jour la sœur Marie vit saint Gabriel dans sa chambre : un glus, c’est-à-dire une gerbe de grosse paille, qu’il répandit sur le pavé de la chambre, de sorte qu’il fallait nécessairement marcher par-dessus ; et Notre Seigneur lui dit que ce glus qui est la principale paille, représentait les grands, les riches et puissants qui maintenant sont tous transformés en péché, lesquels on foulera aux pieds, et desquels on ne fera non plus d’état que de paille au temps de la grande tribulation ; et au contraire les bons seront en honneur et en gloire. En ce temps-là, l’or et l’argent seront en grande estime, et la boue sera foulée aux pieds. L’or et l’argent, c’est-à-dire ceux qui auront le vrai amour de Dieu et dont la vie sera pure. La boue sont les méchants.

Chapitre 10. La conversion générale. Vœux et prières pour la conversion générale.

Le péché étant détruit par tout le monde, tout le monde sera aussi converti à Dieu selon cet oracle du Saint-Esprit : Et convertentur æ Dominum universi fines terrae404. C’est ce que Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie tant par ces paroles que par diverses figures et par un grand nombre de passages de la Sainte [202] Écriture. Il lui a dit beaucoup de fois qu’il viendra un temps auquel Il fera pleuvoir un déluge de grâces qui inondera tout le monde et qu’en ce temps-là il enivrera du vin de Son amour un grand nombre de personnes, mais spécialement ceux qui travailleront au salut des âmes, et qu’Il donnera de beaux vases d’or à toutes les Églises, c’est-à-dire, de bons pasteurs et de bons prêtres ainsi qu’Il a expliqué Lui-même, et qu’Il convertira toutes les âmes qui portent l’image de Dieu.

Un jour, parlant à Lui et Lui faisant quelque prière, elle l’appelait Roi du ciel et de la terre.

Mais Il lui dit : « Je ne suis point roi de la terre, car je n’y règne pas : c’est le péché qui en est le roi, puisque c’est lui qui y règne : mais je viendrai bientôt et détruirai ce monstre et régnerai dans tout l’univers.

« Je veux avoir une chaîne d’or, dit une fois la sœur Marie à Notre Seigneur.

– Oui, lui répond-t-il, je vous en donnerai une qui fera trois tours : le premier représente le pape, les prélats, les pasteurs et les prêtres ; le second, les rois, les princes et les nobles ; le troisième, le peuple.

– Je veux aussi une belle bourse pleine de pièces d’or. » [202v]

Et une autre fois elle demandait une fontaine qui jetât de l’or liquide au lieu d’eau : ce qu’on lui promit. Cela n’est point expliqué : elle croit néanmoins que la bourse d’or, c’est le Saint-Sacrement et les pièces d’or, les bonnes communions.

Le 20 décembre 1644, on [lui] ordonna de venir de l’Église au logis en disant ce verset : Et ipse redimet Israel ex omnibus inequitatibus ejus405, et de reprendre un rosaire qui depuis des ans était enveloppée dans du drap noir. Sur la Croix on lui fit dire dix fois ce verset406 :

La honte qui me tient

M’a tout rompu le cœur maté de tant d’alarmes :

Las ! J’attends que quelqu’un m’accompagne en mes larmes,

Mais personne ne vient.

Sur les gros grains : Apud Dominum in misericordia et copiosa apud eum redemptio407, et sur les petits : Veritas Domini manet in aeternum408. Le lendemain on lui ordonna de dire dix fois sur la Croix ce verset : Persequar inimicos meos et comprehendam illos et non convertar donec deficiant, cadent subtus pedes meos409. Sur les gros grains : Deus meus, Deus meus, respice in me, quare me dereliquisti410, sur le petit : Miserere mei Deus secundum magnam misericordiam tuam411. [203]

Le troisième jour on lui fit dire sur la croix : Laudate Dominum omnes gentes412, etc. avec le Gloria Patri. Sur les gros grains : Dominus regit me et nihil mihi deerit413. Sur les petits : Et ipse redimet Israël ex omnibus iniquitatibus eius414.

Le quatrième jour sur la croix : Abyssus abyssum invocat415, qu’on lui fit dire jusqu’à ce que l’on lui commandât de cesser : ce qui signifie que l’abîme des péchés demande l’abîme de la miséricorde.

Ce rosaire signifie tout le monde. Le premier chapelet représente l’Église, le deuxième la noblesse, le troisième le peuple. On lui fit dire ainsi pour demander la conversion de tout le monde.

L’an 1646, la veille de la Nativité Notre Dame, Notre Seigneur fit vœu d’aller à Notre Dame de la Délivrande et privilégia Notre Dame de la Roquette pour y rendre le vœu. Il fit entendre à la sœur Marie que ce vœu était pour obtenir sa délivrance et la sainte communion. Pour accomplir ce vœu, Notre Seigneur offrit tous les mérites de sa vie jusqu’à son retour dans les cieux. Notre Dame fit aussi un vœu à même fin et offrit aussi tous les mérites de sa vie depuis sa conception jusqu’à son Assomption. Ils la pressèrent aussi de faire son vœu pour la même fin et d’offrir quelque chose. Elle dit [203v] qu’elle n’avait rien à offrir : « Je vous donne, lui dit Notre Seigneur, tous les mérites de tous les martyrs, confesseurs, vierges et généralement de tous les saints et saintes, et je vous donne tous les anges pour prier avec vous et pour présenter vos prières. » Ce vœu dura huit jours.

La première journée, au commencement du vœu, il fallut dire quarante fois le Nunc dimittis servum tuum, Domine, et à la fin du vœu quarante fois : Gloria Patri. Pour rendre le vœu de Notre Seigneur il fallut dire trente-quatre fois le Pater et Ave, tout de suite en mémoire des années de sa vie, et pour le vœu de la sœur Marie le saint Rosaire. Avec cela, il fallut dire trois versets. Le premier pour l’Église, dix fois ce verset : Exsurge in ira tua Domine, etc.

Ah ! Lève-toi, Seigneur, en ton Ire allumée.

Fait voir haute ta force à la troupe animée

De mes haineux domptés Seigneur réveille-toi

Et garde en ma faveur le décret de ta loi416.

Le deuxième verset pour les infidèles417, les deux premiers versets du Miserere mei Deus dix fois. Et le troisième verset, il fallut le dire pour les trépassés418. Dix fois les trois premiers versets du psaume : Quemadmodum desiderat cervus fontes aquarum419, le reste de la journée, tant qu’elle peut être à l’Église, elle dit le Pater et l’Ave sans nombre. [204] En allant et venant on lui faisait dire ce verset :

Vois mon affliction et me tire d’opresse

Un seul point de ta loi en oubli je n’ai mis

Sois mon juge Toi-même, à mes maux donne cesse

Et prolonge mes jours comme Tu l’as promis420.

Depuis Notre Seigneur lui a dit que son vœu était pour délivrer l’Église des sept péchés mortels et pour lui donner la communion de l’amour, de la charité et de toutes les vertus, et que celui de Notre Dame était pour délivrer les âmes du purgatoire et leur donner la communion de la gloire. Les deux premiers vœux n’ont duré que le premier jour : ils ont ce qu’ils demandent.

Section 1. Plusieurs belles paroles et promesses touchant la conversion générale.

L’an 1644, la sœur Marie étant à la procession de la Résurrection421 qui se fait dans l’église cathédrale de Coutances, Notre Seigneur lui dit trois paroles. La première : « Nous allons mettre toutes nos pommes sous le pressoir de la pénitence pour en tirer le vin de la contrition. » La deuxième : « Je jure par Moi-même qu’il n’y a plus de temps. » La troisième : « Tout est consumé. » [204v]

Environ ce temps-là, la sœur Marie se levant au matin commença à dire tout haut par un mouvement extraordinaire : « Le vrai honneur et la vraie gloire sont ressuscités : le soleil nous regarde et la terre se va tôt revêtir de fleurs et de fruits. »

L’an 1646, le 6 mai, Notre Seigneur lui dit : « Je finirai bientôt mes leçons qui sont le sommaire de la perfection. J’aplanirai les montagnes et les rendrai fécondes en toutes sortes de bons fruits. Je remplirai les vallées de lait et de miel. Je ferai sortir de mes cinq plaies cinq fleuves qui inonderont toute la terre. »

Elle dit un jour à Notre Seigneur par un mouvement extraordinaire : « Je vous prie, écrivez-moi un petit mot de lettre. Quand il n’y aurait qu’un mot, il y aurait assez, car il y a longtemps que je n’ai entendu parler de Vous. » Pour lors elle était malade et trois heures après on lui dit : « Voilà un courrier qui monte à cheval, il sera bientôt ici. » Elle vit venir la force divine sur un cheval blanc qui était une figure de la joie qui portait en croupe la vérité, laquelle avait écrit et portait les lettres. Étant arrivée, la Vérité lui bailla un papier écrit qu’elle tenait ouvert à sa main et lui dit : « Voilà le grand jubilé qu’on vous a promis pour convertir tout le monde par l’application de la [205] Passion du Fils de Dieu, laquelle a été renouvelée en vous pour disposer les âmes à en recevoir les fruits. »

L’an 1643, la sœur Marie ayant à faire un pèlerinage à Notre Dame de la Délivrande proche de Caen, avec M. Potier et trois autres filles, quelqu’un la pria d’accepter un écu d’or pour aider aux frais de ce voyage. La sœur Marie ayant obtenu le congé de la Sainte Vierge, elle dit que l’écu d’or qui contenait cinq livres représentait Notre Seigneur Jésus Christ comme Dieu et homme avec ses cinq plaies, que cet écu d’or serait pour les cinq personnes qui avaient à faire le voyage, qui étaient : M. Potier, la sœur Marie et les trois sœurs dont il y en eut une qui demeura en la maison à cause de ses incommodités, mais elle fit le voyage par les deux autres ; que la plaie de la main droite était M. Potier qui représentait l’humanité de Notre Seigneur laquelle est le bras droit de Dieu par lequel la Divinité a fait choses grandes : Fecit potentiam in bracio suo422. La plaie de la main gauche est pour la petite sœur Raulette qui étant la plus jeune, représentait l’Église. La plaie du pied droit qui était pour la sœur Marg[ueri] te représentait les juifs, la plaie du pied gauche, qui était pour la plus âgée qui était boiteuse et qui ne s’aidait que d’un pied, [205v] représentait la gentilité qui ne va qu’avec un pied qui est celui de la nature. La plaie du côté du cœur qui était pour la sœur Marie, représentait la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ et son cœur qui est une fournaise ardente pour brûler tous les péchés. Comme les cinq francs ou livres sont réduits en une seule pièce d’or, ainsi ces cinq sortes de personnes seront un jour fondues et réduites en un, lorsqu’il n’y aura qu’une foi, une loi, un pasteur et une bergerie.

Section 2. Trois femmes dont l’une est morte, l’autre se tue, et la troisième est crucifiée.

Un jour la sœur Marie étant détenue au lit, elle vit Notre Seigneur et sa sainte Mère qui apportaient une femme morte et « qu’ils mirent en mon lit auprès de moi. » Et s’en étant allée [sic], ils amenèrent une seconde femme qui se donnait plusieurs coups de couteau à pain dont elle se tuait. La sœur Marie leur dit : « Empêchez-là, qu’elle ne se tue pas. » « Ils répartirent : “Elle est libre qu’elle se tue si elle veut ; faites lui place auprès de vous.” Et ils la mirent dans le lit auprès de moi. Ils en amenèrent encore une troisième qui avait les pieds et les mains percés et dirent que le diable et le péché l’avait mise en croix, dont ils [206] l’avaient descendue. Et ils me commandèrent aussi de la mettre auprès de moi dans mon lit avec les deux autres. Après cela je vis un ange portant une bûche de bois fendue en trois parties dont une partie était sur son épaule droite avec une pouchette423 de charbon pendue au bois, une autre sur son épaule gauche avec une semblable pouchette de charbon, la troisième sur sa tête sans charbon. Étant arrivé, il mit ses trois bûches sur ces trois femmes et une de ces pouches de charbon à la tête, l’autre aux pieds. Et Notre Seigneur et sa sainte Mère dirent qu’il y fallait mettre le feu pour refondre ces trois femmes et n’en faire qu’une des trois. »

La première femme est la gentilité qui est morte à Dieu. La deuxième c’est l’hérésie qui se tue d’un couteau à pain, c’est-à-dire, de la science avec laquelle on distribue le pain de l’écriture sainte et qui lui devrait servir de pâture, laquelle science est représentée par le couteau avec lequel les pères distribuent le pain à leurs enfants. La troisième c’est l’Église qui est crucifiée pour les péchés de ses enfants, mais Notre Seigneur et sa sainte Mère la détacheront de cette croix.

La première bûche qui est mise sur [206v] la première femme, c’est l’Amour divin avec lequel Notre Seigneur la convertira. La deuxième c’est la Charité divine avec laquelle Il convertira la seconde. La troisième bûche qui est mise sur la troisième femme, c’est-à-dire sur l’Église, c’est la divine Justice avec laquelle Dieu la purifiera. Il n’y a point de charbon avec celle-ci parce que l’Église sera sévèrement punie. L’ange qui porte le bois, c’est l’ange du grand conseil. Ces trois femmes sont mises dans mon lit qui représente la Passion et la croix de Notre Seigneur, c’est-à-dire qu’elles seront mises dans la tribulation pour y être purifiées. Les deux sacs sont l’Amour divin et la Charité divine qui refondront ces trois femmes. On met le feu à tout cela pour les purifier et consumer et pour n’en faire qu’une de trois, ce qui signifie que Notre Seigneur ne fera qu’une Église de tout le monde et qu’il n’y aura qu’une foi et une loi. [207]

Section 3. On lui fit dire trois litanies pour la conversion des infidèles, des mauvais catholiques, des prêtres et de tout le monde.

Notre Seigneur commanda un jour à la sœur Marie de dire trois litanies en trois lieux bien différents. La première au milieu du plus grand carrefour de la ville, la seconde au milieu du plus sale cloaque de la ville et le plus puant, la troisième dans l’église devant le crucifix.

« Je fus bien étonnée de ce commandement et même je vis la Sainte Vierge qui en cette occasion pleurait amèrement. Cependant il fallut l’accomplir. J’allai donc premièrement au carrefour dire avec mon livre à la main la litanie du Père éternel, ainsi qu’il m’était ordonné. Par après j’allai chercher le retrait le plus rempli d’ordure et de puanteur que je pus trouver, et là au milieu de ces puanteurs et ordures, je dis la litanie du Fils de Dieu, pendant que les enfants qui me voyaient là si longtemps me montraient au doigt, me sifflaient et me jetaient des pierres. Ensuite j’allai à l’Église dire la litanie du Saint-Esprit devant le crucifix.

« Aussitôt que j’eu fait, la Sainte Vierge qui pleurait auparavant [207v] commença à me dire avec grande joie : “Ô ma fille, vous voilà bien : chanter maintenant le Regina cœli laetare alleluia, etc.” puis Notre Seigneur commença à interpréter les deux litanies, me disant que la première dite dans le carrefour hors l’église était pour appeler les infidèles à l’Église ; la deuxième était pour la conversion des mauvais chrétiens et spécialement des méchants prêtres, car, me dit-Il : “Je suis dans mon Église comme dans un cloaque plein d’ordure et de puanteur, c’est-à-dire au milieu des chrétiens et spécialement des prêtres dont la plupart ne sont que corruption et puanteur.”

Pourquoi, lui dis-je, demeurez-vous au milieu de ces saletés ?

– Je ne sais, me répondit-il ; j’y puis demeurer : c’est mon amour, la charité, ma miséricorde et ma patience divine qui m’y contraignent. »

La troisième litanie, elle est dite devant le crucifix dans l’église, en l’honneur du Saint-Esprit, pour obtenir le pardon qu’il doit accorder par cette grande effusion et débordement de grâces qu’il répandra sur toutes les âmes au temps de la conversion générale : ensuite de quoi elles [208] seront toutes converties, et l’amour divin les prendra toutes et en fera une couronne dont il couronnera le crucifix, c’est-à-dire la Passion.

Section 4. Baptême de deux enfants dont Notre Dame est enceinte. L’amour divin instruit le faux zèle des païens.

Quelqu’un désirait aller voir la sœur Marie dans l’espérance qu’il avait d’être associé avec les douze frères dont il est parlé, voici la réponse que la Sainte Vierge fit faire : « Je n’ajouterai personne à la société des douze frères. Je suis enceinte de deux enfants : quand je serai accouchée, je les ferai baptiser et ferai faire un grand festin, où les douze frères présideront et inviteront tous les voisins au festin. » Ces deux enfants sont les hérétiques et les infidèles. Le baptême, c’est cette grande tribulation qui doit purger leurs péchés. Le festin c’est l’abondance des grâces que Dieu répandra sur la terre en suite de cette affliction.

Un jour la sœur Marie sentit quelqu’un qui [208v] venait d’arriver, qu’elle crut être un nouveau démon qui se venait joindre à ceux qui la possédaient. Il était fort turbulent et impatient ainsi qu’il le faisait paraître en ses sens extérieurs. « Il ne voulait point permettre que je mangeasse de sel et m’en empêcha quelque temps ; et lorsqu’il me permit de manger, il ne voulait point de sel, mais [car] il l’avait en horreur. Je demande à Notre Seigneur qui était ce nouveau venu. Il me dit que ce n’était pas un démon, mais que c’était le tonnerre que l’Amour divin faisait venir pour amener les orages qui détruiraient le péché. Quelque temps après, Il me dit que c’était un sergent qui contraindrait les hommes à rendre à Dieu l’honneur et l’amour qu’ils lui doivent. Enfin il me dit que c’était le zèle que les infidèles ont pour leur fausse religion. Ensuite de cela, Notre Seigneur me fit voir une belle chambre où il y avait une belle chaise d’or sur laquelle était assis l’Amour divin et devant lui ce Zèle était debout et le divin Amour le catéchisait et lui apprenait à connaître Dieu et tous les mystères et vertus de la religion chrétienne, et je voyais qu’à mesure qu’il l’instruisait, il se changeait peu à peu et [209] devenait fort sage, doux et modeste. Ensuite de quoi, il aimait autant le sel, lequel représente la divine sapience qui est le Fils de Dieu, comme il le haïssait auparavant, si bien qu’il adorait quasi le sel tant il l’aimait, et m’en faisait mettre en tout ce que je mangeais – excepté qu’une fois il m’en fit prendre une poignée avec grande fureur et la fit jeter contre terre et la fouler sous mes pieds, et Notre Seigneur donna à entendre par après que cette poignée de sel représentait les mauvais prêtres et que le zèle de la divine Justice les jetterait sous les pieds.

Ensuite je vis une troupe d’honnêtes filles qui disaient : ‘Que ne nous laisse-t-on retourner en notre pays, c’est-à-dire au ciel. Nous n’avons plus que faire ici : nous avons fait l’œuvre pour lequel nous étions envoyées.’ Je vis le zèle qui, les apercevant, dit qu’il les allait demander à Notre Seigneur pour les mener à son pays afin d’y convertir les infidèles, et en effet, il les alla demander à Notre Seigneur qui les lui accorda et qui lui dit qu’il prît son carrosse pour les mener. Et la Sainte Vierge donna un cheval blanc pour le porter et pour accompagner ses filles. Je vis aussi la Sainte Vierge qui baisait une autre fille et [209v] lui disait : ‘Allez, ma fille, allez, ma chère fille, avec ces bonnes filles et les accompagnez partout et faites là comme vous avez fait ici.’ Elle la fit déjeuner de deux œufs et d’un verre de vin, l’instruisit et ainsi [elle] s’en alla avec les autres et avec le zèle qui était revêtu d’une belle robe rouge qui traînait en terre, que l’amour divin lui avait donnée et portait sur sa tête un chapeau de toutes sortes de fleurs.

Voici l’explication. Le nouveau venu, c’est le zèle que les infidèles ont pour leur fausse religion. Quand il vint, il était habillé comme un gueux et haïssait le sel, c’est-à-dire Notre Seigneur. Ces honnêtes filles sont les douleurs de la Passion du Fils de Dieu, qui n’avaient que faire où elles étaient, c’est-à-dire dans la sœur Marie, et qui demandaient à s’en aller. Le zèle les demande pour les mener au pays des infidèles afin de les convertir. Notre Seigneur les lui accorde et lui donne son carrosse pour les porter, qui est sa Passion. Ce cheval blanc c’est la Joie qui les suit partout. [210] Cette autre fille à qui la Sainte Vierge parla en particulier, c’est la patience. La robe rouge du zèle, c’est la charité et le chapeau de fleurs représente toutes les vertus.

Section 5. Figures de l’état des infidèles et de leur vocation et conversion à la foi.

L’an 1645, le 3 janvier, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie de prendre environ mille noisettes séchées dans un sac à la cheminée et de les lui ouvrir toutes avec un couteau, ou de les casser avec les dents où le couteau ne ferait rien ; de tremper les noyaux dans le vin et d’arroser les escales424 de sildre425 et de les jeter au feu. Les noix représentent les infidèles, c’est-à-dire tous ceux qui n’ont point de foi, lesquels sont enveloppés dans l’erreur comme dans un sac sans voir la lumière. Ils sont à la cheminée parce qu’ils sont à l’embouchure de l’enfer et quand ils meurent ils y vont tout droit. Ils sont noircis à la fumée parce que l’idolâtrie est une fumée qui vient de l’enfer. On les fait ouvrir avec un couteau à la [210v] sœur Marie ce qui signifie qu’on leur ouvrira les sens et l’oreille du cœur avec le glaive de la parole de Dieu. Elle les trempe dans le vin, c’est-à-dire qu’ils seront baignés dans le sang de Jésus-Christ par le baptême. Elle les mange avec du vin, c’est-à-dire qu’ils seront incorporés dans l’Église et convertis en sa substance pour recevoir la vie surnaturelle de la foi, de l’espérance et de la charité et que l’Église tant militante que triomphante en sera ravie de joie. Les escales qui représentent les corps, comme les noyaux les âmes, sont arrosés de cidre et jetés dans le feu pour signifier que les infidèles seront reçues corporellement, sensiblement et visiblement dans le sein de l’Église qui les recevra avec grande charité et que les reçus en auront grande joie, laquelle est signifiée par le cidre comme la joie du ciel est signifiée dans le monde par le vin. Elle mange toutes ces noisettes pour signifier qu’elle a souffert tout ce qu’elle devait souffrir par ordonnance de Dieu pour contribuer à la conversion des infidèles.

Entre les peines de l’enfer et celle de l’étang426 elle fut un été durant lequel tel jour [211] se passa qu’on la faisait tenir sept heures à genoux pour rendre grâce à Dieu par diverses prières, de la vocation des infidèles à la foi. Et quelquefois on lui faisait faire des processions à l’Église et vis-à-vis de chaque porte en la faisait arrêter et dire : “Un Dieu, une foi, un baptême, une Église, un pasteur”, comme si elle eût appelé les infidèles. »

Section 6. La conversion des sorciers.

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que quand elle sera délivrée des démons qui la possèdent, ils iront prendre possession de tous les sorciers et les mettront à la torture pour les obliger à se convertir. Sur quoi il faut savoir que du temps qu’elle communiait encore, les malins esprits dirent plusieurs fois dans les exorcismes qu’il y avait un arrêt donné au ciel sans dire quel il était, car ils ne savaient point ce qu’il contenait. Mais Notre Seigneur lui dit par après que cet arrêt portait que les sorciers étaient condamnés à être possédés des démons427 lorsqu’elle serait délivrée et que les démons [211v] seraient contraints de détruire en eux leurs ouvrages et d’aider à les convertir par les tourments qu’ils leur feront souffrir. Ensuite de quoi, comme on la voulait faire communier, les malins esprits y mirent empêchements, disant qu’ils avaient commandement de la part de Dieu de l’empêcher de communier jusqu’à ce qu’elle eût déclaré ce qu’on lui avait dit touchant l’arrêt qui était donné dans le ciel. Alors elle le dit en secret à un des exorcistes et tout aussitôt elle eut liberté de communier.

Section 7. Trois villes prises, à savoir le ciel, la terre et l’air, qui est une figure de la conversion générale.

Un jour, comme on faisait les prières ensemble chez M. Potier, la sœur Marie commença à crier par un mouvement extraordinaire, en cette façon, par trois fois : « Trois villes prises. » Ce qui fut expliqué en cette manière. La première de ses trois villes, c’est le ciel, c’est-à-dire la Passion de Notre Seigneur qui est une ville pleine de douleurs, d’angoisses [212] et de désolations. Mais les joies, les gloires et les félicités du paradis vont tuer ces douleurs et ces afflictions, et ainsi cette ville sera prise. La deuxième, c’est la terre, c’est-à-dire l’homme selon le corps et les sens. Le Saint-Esprit a fait tomber plusieurs étincelles de son feu sacré dans cette ville, qui sont les exemples des bons, les inspirations, les prédications et autres grâces. Mais elles sont tombées dans l’eau et dans la boue des plaisirs sensuels. Maintenant il va tomber un déluge de feu qui consumera toutes les fausses délices et voluptés des sens. La troisième, c’est l’air, c’est-à-dire l’âme raisonnable pleine de vices, qui est la boutique du diable, lequel se sert de ses mauvais exemples pour en perdre beaucoup d’autres. Mais les vertus vont tuer les vices et elles régneront en leur place.

Section 8. Les canons du Père, du Fils et du Saint-Esprit pour convertir tout le monde.

Un jour la sœur Marie, voyant saint Gabriel qui [212v] chargeait un canon, elle disait : il charge un canon. Mais Notre Dame lui dit : « Il en charge quarante. » Et tous ces canons avaient la bouche tournée vers un grand feu de joie – lequel on a interprété de la grande tribulation qui doit arriver pour détruire le péché et pour enflammer ensuite tous les cœurs du feu de l’amour divin ; et elle ne sut point pour lors ce que signifiaient ces canons.

Le cinquième jour de janvier 1646, Notre Seigneur l’interpréta en cette manière. Il a dit que les canons signifiaient les prêtres et qu’avant l’Incarnation il y avait des canons, mais il y avait ni feu, ni poudre ni boulets, et que saint Gabriel annonçant le mystère de l’Incarnation a chargé les canons, parce que la poudre dont ils sont chargés, c’est l’humanité du Fils de Dieu. Les boulets sont les sacrements, le feu c’est le grand amour dont Notre Seigneur a aimé son Père éternel et la grande bonté qu’Il a eue pour nous. De ces quarante canons, il y en a dix pour le Père, dix pour le Fils en tant que Dieu, dix pour le Saint-Esprit, dix pour le Fils de Dieu en tant qu’homme. Le nombre de dix est un nombre fini pour l’infini. [213]

Il y en a dix pour le Père, qui par la bouche des prêtres donnera l’absolution en la conversion générale à tous ceux qui seront coupables de péchés de fragilité. Dix pour le Fils qui par la bouche des prêtres donnera l’absolution à tous ceux qui seront coupables de péchés d’ignorance. Dix pour le Saint-Esprit pour les péchés de pure et délibérée malice.

Notre Seigneur dit qu’en cela tous les péchés sont compris et que néanmoins il restait dix canons qui étaient l’abondance de la rédemption et il ajouta que « comme tous sont morts en Adam, tous seront ressuscités en lui. Mon secret est à Moi. Toute puissance m’est donnée au ciel et à la terre. Je ferai ce qu’il me plaira de mes canons. »

Section 9. Elle est une flèche empoisonnée. Elle fait un message aux éléments.

L’an 1644, le dernier de décembre, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie d’aller faire un message de sa part aux quatre éléments. Aussitôt se trouvant animée extraordinairement en son esprit, elle s’en va aux quatre éléments et leur parla [213v] en cette façon et en ces mêmes termes : « Ô terre, ô eau, ô air, ô feu ! Celui qui est m’a envoyé vers vous pour vous dire qu’Il vous commande que vous prépariez ses voies parce qu’Il veut venir faire la visite de Ses créatures.

– Nous connaissons bien Celui qui est, mais qui êtes-vous qui vous dites envoyée de Sa part ?

– Je suis, répondit-elle, une flèche empoisonnée qui vient pour faire mourir le péché.

– Ô, que vous êtes la bienvenue, dirent-ils.

– Il a fait un grand ravage dans ce pays ici. Il a congelé, dit la terre, et refroidi mes parterres, mes campagnes et mes prairies. Peu de fleurs ont échappé428 sa froidure : il a empoisonné la racine de mes arbres. La plupart en sont morts, les autres se vont desséchant, peu ont échappé son poison.

– Il a troublé mes ondes, dit l’eau : au lieu de laver, elles salissent. Il a empoisonné mes fontaines et les a rendues amères et mortifères.

– Il a empesté, dit l’air : ceux qui me respirent en meurent. Peu en échappent.

– Par son souffle, dit le feu, il a éteint mes flammes : il a jeté du soufre dans [214] mes brasiers qui les rend puants et infects. »

Après cela, la sœur Marie dit à la terre : « Celui qui est vous commande de faire reverdir vos parterres, vos campagnes et vos prairies et de les diaprer d’une infinité de fleurs, afin qu’elles embaument l’air de leurs suaves odeurs. Il vous commande de revêtir vos arbres de feuilles, de fleurs et de fruits, depuis le plus haut cèdre du Liban jusqu’à la moindre ronce. Et vous, eau, Il vous commande de laver tout ce qui est sale et de le rendre blanc comme de la neige et de mettre du bois dans vos fontaines pour les rendre douces et potables. Et vous, air, Il vous commande de dissiper vos nuages et de vous rendre clair, luisant et serein. Et vous, feu, Il vous commande de purifier l’or et l’argent et de brûler la paille. »

Elle ne sait ce que tout cela signifie, car on ne lui a point expliqué. Mais l’on voit bien que c’est une figure des effets du péché dans les âmes et du changement qui se fera à la conversion générale. [214v]

Section 10. Notre Seigneur ayant visité ses terres, dit avec tristesse : terra miseria, etc. La joie qui le suit chante alléluia et prend possession de tout le monde.

Un jour, Notre Seigneur parlant à la sœur Marie lui dit : « Remarquez bien : il est vendredi dans le moment auquel Je viens. Je m’en retournerai. »

Ensuite de quoi, onze jours se passèrent du nombre desquels elle en fut neuf sans le voir. Elle dit à Notre Dame : « Où est-il allé ?

– Il est allé visiter ses terres, dit la Sainte Vierge. Il appelle ses terres toutes les nations qui ne sont point de son Église, et son Église il l’appelle sa maison. »

Au bout de neuf jours, elle Le vit entrer dans l’église de Coutances, disant ces paroles avec tristesse et douleur : Terra miseriae et tenebrarum, ubi umbra mortis et nullus ordo, sed sempiterna horror inhabitat429. Étant dans l’Église, il y fit la procession tout du long par dedans deux jours de suite, disant toujours les mêmes paroles. Immédiatement après lui, marchait la Foi, suivie de l’Espérance. La foi paraissait comme un soldat tant elle était austère [215] et elle avait en sa main droite un gros diamant qui était fort noir. L’espérance était comme une jeune fille fort propre, simple, grande et d’un geste fort agréable, mais qui était comme languissante. La foi disait qu’elle allait prendre possession de tout le monde, et pour cet effet elle chantait sur le soir cinq alléluia. Elle chantait le premier du côté de l’orient, le second du côté du midi, le troisième du côté de l’occident et le quatrième du côté du septentrion et le cinquième encore du côté de l’orient. En chantant tous ces alléluia, elle avait les bras ouverts. Mais en chantant le dernier, elle s’abaissait profondément comme si elle eût voulu s’anéantir, puis se relevant, elle tournait ses yeux au ciel. Elle chantait ces cinq alléluia en l’honneur des cinq plaies de Notre Seigneur. Aux deux premiers elle offrait à Dieu le Père les plaies des deux pieds de son Fils, avec tous les pas qu’Il a faits et tous les travaux et fatigues qu’Il a eus sur la terre pour sa gloire et pour notre salut. Aux deux autres d’après, elle lui offrait les deux plaies des mains et toutes les saintes œuvres qu’Il a faites pour la même fin. [215v] Au cinquième, elle lui offrait la plaie du côté, avec l’amour immense vers Lui, et sa charité infinie vers nous qui lui ont fait faire et souffrir tout ce qu’Il a fait et souffert pour Sa gloire et notre salut. En chantant ce cinquième alléluia elle s’abaissait et anéantissait : puis elle levait les yeux au ciel vers le Père éternel, comme Lui disant : « Je reconnais que je ne suis pas capable de comprendre, mais qu’il n’y a que vous seul, ô Père saint, qui connaissiez l’amour incompréhensible et la charité immense avec laquelle votre Fils bien-aimé a fait et souffert pour Votre gloire et pour notre salut. »

Au second jour, pendant que Notre Seigneur disait ces paroles : Terra miseriae et tenebrarum, etc., l’Espérance chantait gaiement durant toute la journée ce verset du psaume 84 :

La blanche Vérité germera de la terre

et Justice en tout lieu épandra sa clarté430.

La sœur Marie dit à l’Espérance : « Vous ne prenez point possession de la terre comme fait la foi. » Elle répondit : « Partout où est la foi, [216] je suis avec elle et tout ce qui est à elle est à moi. C’est pourquoi elle prend possession pour elle et pour moi. »

Notre Seigneur dit depuis à la sœur Marie que tous les fidèles peuvent chanter les cinq alléluia que la foi chantait, mais spécialement ceux qui travaillent au salut des âmes dans les missions ou ailleurs, et qu’il les faut chanter en cette manière : en les chantant, il faut offrir au Père éternel les cinq plaies de Son Fils et tout ce qu’Il a fait et souffert en la terre avec un si grand amour et une charité si ardente pour obtenir de Sa divine bonté toutes les grâces qui nous sont nécessaires et convenables, tant pour Sa gloire et l’accomplissement de Sa sainte volonté en nous, que pour la conversion et le salut des âmes pour lesquelles nous travaillons. Outre cela, en chantant ces cinq alléluia, il faut se tourner vers tous les saints en général et les prier de nous donner les mains pour nous tirer à eux, et d’employer leurs mérites et intercessions devant Dieu pour nous faire aller au lieu où ils sont par les mêmes portes [216v] par lesquelles ils y sont entrés, c’est-à-dire par les portes des sacrées plaies de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Section 11. Notre Seigneur sur le bord du néant du péché pour en tirer les âmes. Le torrent des sept rivières.

L’an 1650, au mois de septembre, la sœur Marie fut mise entre deux abîmes qu’elle voyait continuellement en esprit et cette vue dura quelques semaines. Le premier est l’abîme du néant dont Dieu a tiré toutes les créatures et cet abîme n’est ni bon, ni mauvais. Le deuxième c’est l’abîme du péché dans lequel tombent tous ceux qui offensent Dieu mortellement. Cet abîme est infiniment effroyable, c’est Lucifer qui l’a creusé, et qui a précipité tous les pécheurs avec lui. Mais elle vit Notre Seigneur sur le bord de cet abîme avec toutes les armes de sa Passion et elle L’entendit disant qu’Il tirerait toutes les âmes par la conversion de tout le monde.

Pour l’ordinaire, quand on veut dire quelque chose d’importance à la sœur Marie, on la fait [217] dire auparavant ce verset du psaume 84 : Audiam quid loquatur in me, etc. :

Je veux faire silence et mon oreille tendue

Tout coi sans respirer, écoutant pour entendre

Ce que Dieu, le grand Dieu, parlera dans mon cœur431.

Un jour, après que Notre Seigneur lui eût fait dire ces paroles, elle demanda congé pour aller voir si son Père, l’Amour divin, avait bientôt fait [fini]. C’est qu’elle [l’] avait vu sur le bord d’un grand torrent, là où il creusait quantité de canaux pour détourner l’eau de ce torrent dans la prairie. Il bouchait avec des gazons l’entrée de chaque canal et disait que, quand il en serait temps, Il n’avait qu’à ôter les gazons, et que l’eau de ce torrent coulerait aussitôt dans les canaux et abreuverait toute la prairie. Elle y alla donc et trouva Notre Seigneur sur le bord du torrent, qui lui dit quantité de belles choses. Le torrent contenait sept rivières différentes qui était jointes et contiguës les unes aux autres, sans néanmoins être mêlées ensemble.

Ces sept rivières qui représentaient les sept péchés mortels ou capitaux, lui paraissaient en la forme et figure que je vais dire.

« Il y en avait une au milieu de toutes les autres qui était horriblement noire, et d’une noirceur [217v] qui faisait mal au cœur et qui avec cela était si rapide qu’elle donnait le branle à toutes les autres et les entraînait avec elle, et celle-ci représente l’orgueil et l’ambition, car les orgueilleux et ambitieux, spécialement les riches et les grands, tant séculiers qu’ecclésiastiques, entraînent après eux, par leur autorité et par leur mauvais exemple, tous les autres dans la perdition.

« La seconde qui était l’avarice était pleine d’eau et de sang mêlés ensemble, mais d’une eau et d’un sang noirâtre vilain et qui faisait dépit et mal au cœur à le voir. C’est la substance des pauvres que les avaricieux sucent et dévorent.

« La troisième qui était l’envie était pleine de vers.

« La quatrième qui était la gourmandise était toute pleine d’ordures et de saletés, comme un torrent qui passant par une rue, laquelle est remplie de fiente et d’ordures et de saleté, emporte tout cela avec soi.

« La cinquième était la luxure. Sa couleur était semblable à celle d’un mouron et puante comme le pus d’un apostème432 [abcès]. Elle faisait mal au cœur et avec cela elle était venimeuse et empoisonnait [218] tous ceux qui en buvaient et c’était celle-ci qui déplaisait davantage à Notre Seigneur.

« La sixième qui était l’ire était comme un feu horriblement noir, bouillonnant, écumant et furieux. Et Notre Seigneur me dit que celle-ci s’appelait le larron pour la raison qui sera dite.

« La septième qui était la paresse était comme une eau croupissante, dormante et bourbeuse qui ne sert à rien qu’à produire des grenouilles, des lézards et d’autres semblables bêtes.

« Or comme je regardais ces sept rivières et que Notre Seigneur m’eut expliqué ce qu’elles signifiaient ainsi que je viens de dire, Il les bénit et par Sa bénédiction Il les changea d’une merveilleuse façon.

« Car celle du milieu qui était l’orgueil fut convertie en une eau cristalline qui était si claire que quoiqu’elle fut fort profonde on y eût vu néanmoins un ciron jusqu’au fond. Elle était si claire qu’elle en était toute lumineuse, en sorte qu’elle éclairait les autres, et avec cela elle coulait avec un doux murmure qui était extrêmement agréable, et il semblait qu’elle [218v] fut animée de quelque esprit divin qui lui faisait donner mille louanges à Dieu et au lieu que pour sa rapidité elle entraînât les autres rivières dans la perdition, elle les attirait maintenant à louer et glorifier Dieu avec elle. Et tout cela était une figure de la conversion qui se fera au temps de la grande mission de Notre Seigneur. Les grands et ambitieux du monde, tant séculiers qu’ecclésiastiques seront alors ces cèdres du Liban, ces grands saints dont il est parlé ailleurs.

« La deuxième qui était l’avarice fut convertie en une eau de couleur bleue et céleste très agréable à voir, ce qui signifie qu’au lieu que les avaricieux ne regardent que la terre, ils seront tellement changés qu’ils deviendront tout célestes et ne regarderont plus que le ciel.

« La troisième qui était l’envie fut changée en une eau claire mêlée avec du vin, ce qui représente qu’au lieu que les envieux sont rongés par leur envie comme par des vers, en la vue des biens et de la prospérité d’autrui, ils seront tellement changés qu’ils s’en réjouiront : ce qui est figuré par le vin qui a coutume de réjouir le cœur.

« La quatrième qui était la gourmandise fut [219] convertie en une eau argentine, extrêmement blanche et nette, ce qui signifie la sobriété.

« La cinquième qui était la luxure fut changée en une eau toute d’or et qui était comme de l’or liquéfié et potable et de l’or très pur et très fin. Cette rivière était merveilleusement belle et riche. Elle avait ces deux belles qualités, car elle était pleine d’une admirable beauté et de grande richesse. Outre cela elle était bordée des deux côtés comme de deux murailles de très beau cristal, et était couverte par dessus d’une couverture qui était blanche comme de la neige, et si blanche qu’elle en était toute brillante. Mais cette couverture n’était pas transparente, de sorte qu’on ne la voyait que par les côtés à travers le cristal où elle paraissait extrêmement belle. Elle était fermée, et Notre Seigneur en portait la clé, et Il me dit que c’était cette rivière qu’Il aimait davantage et qui lui était la plus agréable.

« La sixième était l’ire qui fut changée en un torrent impétueux semblable à ces torrents qui descendent des montagnes en suite d’un gros orage, qui sont de couleur d’argile et qui ravissent et emportent tout ce qu’ils rencontrent : [219 v] ce qui signifie que l’Ire déréglée sera changée en une sainte fureur contre le péché et spécialement contre l’infidélité et l’idolâtrie et qu’elle renversera et emportera toutes les idoles et tous les instruments de l’idolâtrie dont les infidèles se servent dans leur fausse religion. Elle renversera leurs idoles et leurs temples et leur ravira tout ce qui sert à leur impiété. Et c’est pourquoi Notre Seigneur l’appelle le larron : car c’est un saint larron qui dérobera aux infidèles tous les instruments de leur perdition. Et de plus j’entendais ce torrent qui criait à haute voix et qui ne cessait de crier : Sancta Maria, mater Dei et Virgo ; cui data est omnis potestas in caelo et in terra, adjuva nos433. Aidez-nous à vaincre et détruire l’idolâtrie et l’infidélité et toute sorte de péchés.

« La septième qui était la paresse fut changée en une eau de fontaine très belle et très claire qui était excellente à boire et très bonne et utile à tout.

« Tous ces changements se feront au temps de la conversion générale et alors on débouchera tous les petits canaux qui sont aux deux rivages du torrent et les eaux se répandront de tous côtés et arroseront toute la terre [220] universelle. »

« Voyez-vous, dit Notre Seigneur à la sœur Marie, nous avons bu, par les tourments que vous avez soufferts, toutes les eaux de ces rivières telles qu’elles étaient auparavant que je les eusse bénites. Nous les avons bues comme on les boit en enfer, car nous avons porté la peine et la coulpe, c’est-à-dire : nous avons souffert comme si nous avions été coupables, nous avons porté les peines avec l’Ire de Dieu qui est le châtiment dû à la coulpe, tant dans l’enfer que dans le mal de douze ans. Mais nous les donnerons à boire aux autres, c’est-à-dire à tous les pécheurs, telles qu’elles sont maintenant et nous les disposerons à les boire par le moyen des grandes tribulations que nous leur enverrons qui les purifieront et convertiront comme ces eaux ont été purifiées et changées par ma bénédiction. »

Section 12. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont disposés à faire miséricorde à toutes les âmes et la leur faire de grands dons.

[220v] L’an 1645, le 21 janvier, Notre Seigneur dit à la sœur Marie ce qui suit : « Mon Père éternel est disposé à faire miséricorde à toutes les âmes créées à Son image. Moi, je suis disposé à faire la guerre au péché et à l’anéantir. Le Saint-Esprit est disposé à distribuer les fruits de ma Passion. Notre Dame dit qu’elle est disposée à recevoir dans son sein toutes les âmes qui quitteront les péchés, à leur donner ses mamelles, et à les nourrir de son lait. Que ceux qui voudront travailler au salut des âmes avec Notre Seigneur, elle leur donnera de son vin tant qu’ils en voudront boire. »

« Je m’en vais tenir taverne, dit une autre fois Notre Seigneur à la sœur Marie.

– Vous vous moquez, lui dit-elle.

– Non, Je ne me moque pas.

– Votre sainte mère y sera donc ?

– Oui, répondit la Sainte Vierge, et [je] donnerai du vin à trois sortes de personnes. J’en donnerai à goûter à tous ceux qui portent l’image de Dieu. J’en donnerai à boire à ceux qui font pénitence et j’en enverrai à ceux qui travaillent à la conversion des âmes. »

Le 9 février 1645, la sœur Marie se trouva dans une salle où elle vit Notre Seigneur tailler des habits de plusieurs sortes, à savoir de toile, de laine grise et de laine [221] blanche. Ceux de toile sont pour les laboureurs, c’est-à-dire pour ceux qui labourent leur terre et la disposent à recevoir la semence de la grâce par diverses œuvres de mortifications extérieures, et ne travaillent pas tant à leur intérieur. Ceux-là ne seront revêtus que de grosse toile. Les autres seront vêtus de laine grise, ce qui signifie la mortification extérieure et intérieure. Les autres de laine blanche, ce qui signifie les vertus. Notre Dame faufilait434 les habits, et les Vertus les cousaient. L’Humilité était assise sur le pavé où elle cousait et taillait des souliers. La Foi et l’Espérance forgeaient, celle-là des couteaux, des poignards et des épées, et celle-ci des éperons dorés et argentés, de cuivre et de fer blanc. Les trois Puissances de l’âme de la sœur Marie forgeaient aussi.

L’Amour divin présentait à l’entendement des lames d’or, qui sont des afflictions, et l’Entendement les présentait à la Volonté pour en faire de la monnaie, et la Mémoire soufflait le feu en ce qu’elle fournissait quelques exemples des souffrances de Notre Seigneur et des saints. Et ensuite, la Volonté présentait [221v] les pièces de monnaie pour la rédemption des captifs.

Dans la même salle, il y avait des monstres qui avaient une forme humaine depuis la tête jusqu’à la ceinture, et en bas ils étaient velus et avaient une queue de bête. Leurs pieds et leurs mains étaient armés de griffes. Ils avaient des cornes à la tête et des yeux étincelants de fureur et de rage. Ils lui dirent : « Votre époux nous a commandé de faire des disciplines pour discipliner nos religieux », c’est-à-dire les sorciers.

Il y avait encore des petits éthiopiens qui grinçaient les dents et qui jetaient leurs yeux hors la tête et faisaient des gestes de folie. Ceux-ci lui dirent : « Votre époux nous a commandé de faire des verges pour châtier les rageants435 ».

Les habits dont il est parlé ci-dessus sont les dons et les grâces dont Notre Seigneur revêtira ceux qui seront convertis.

Section 13. Le cantique de la divine sapience. La terre sera peuplée de saints.

Un jour la sœur Marie vit la sapience éternelle [222] en la forme d’une princesse pleine de majesté. Elle tenait à la main une baguette blanche, mais qui était courbée en plusieurs endroits. Et en tenant cette baguette, elle chantait en parlant à l’Amour divin qui a fait souffrir Notre Seigneur pour être payé en rigueur de justice. « Ô juge sans faveur ! ô juge sans faveur ! » Mais elle chantait ces paroles par deux fois et en deux manières. À la première fois et à la première manière, lorsqu’elle commençait à chanter, elle tenait le bout de sa baguette contre la terre, puis elle l’élevait vers le ciel, y levant aussi les yeux, et ensuite elle la laissait retomber en terre et durant tout cela, cette divine Sapience chantait d’une manière triste et lugubre : « Ô juge sans faveur, ô juge sans faveur », comme disant : « J’ai encore bien à souffrir dans la sœur Marie, car vous ne faites aucune faveur, voulant être payé jusqu’au dernier denier. »

Après cela elle passait sa baguette de la main droite à la gauche et la jetait dans une fournaise ardente, puis la reprenant, elle chantait pour la seconde fois : « Ô juge sans faveur, ô juge sans faveur. » [222v], Mais elle le chantait en une autre manière, car au lieu que la première fois elle regardait premièrement la terre, puis le ciel, et qu’elle chantait fort tristement, à cette seconde fois elle levait premièrement les yeux au ciel et tenant sa baguette à la main, elle chantait avec une grande joie et comme étant toute ravie : « Ô juge sans faveur, ô juge sans faveur », comme disant : « Je vous ai payée en rigueur de justice et sans avoir eu aucune faveur. » Puis elle baissait les yeux en terre, comme si elle l’eût voulu baiser par honneur et affection. Elle achevait de chanter en disant : « Ô juge sans faveur. »

La baguette blanche [ce] sont les serviteurs de Dieu qui sont encore courbés en ce temps ici à cause de leurs imperfections. La Sapience éternelle passe cette baguette de la main droite à la gauche et la jette dans une fournaise ardente non pas pour la consommer, dit-elle, mais pour la redresser et fortifier, ce qui s’accomplira au temps de la grande tribulation qui doit venir. Au commencement, la Sapience divine élève les serviteurs de Dieu vers le ciel : mais ils retombent en terre par [223] leurs imperfections, et c’est ce qui se fait maintenant. Mais par après, elle chante avec joie et après avoir regardé le ciel, elle s’abaisse profondément vers la terre comme la voulant baiser, parce que, après cette grande tribulation et la conversion générale, la terre sera peuplée de saints.

Section 14. Les cèdres du Liban. La corne de licorne. L’état du monde après la conversion générale.

Un jour, la sœur Marie disait par un mouvement extraordinaire : « Je veux voir les cèdres du Liban, je les veux voir marcher et se promener dans nos chambres et par les rues avec la corne de licorne au front et le carré sur la tête436, et quand ils marcheront, que tout le monde les honore ; et moi je veux chanter par les rues un cantique [223v] de gloire et de louange à Dieu et que tout le monde me réponde.

– Oui, dit Notre Seigneur, vous verrez les cèdres du Liban et vous en verrez marcher dans votre chambre. »

Ces cèdres sont ceux qui excelleront en sainteté au temps de la conversion générale. Porter au front la corne de licorne, c’est faire régner en soi la divine Volonté représentée par la corne de licorne, parce que, comme la corne de licorne chasse le venin, aussi la divine Volonté chasse où elle est le poison du péché. Le bonnet carré, c’est la croix de Notre Seigneur en laquelle les prêtres et justiciés mettront leur gloire. La sœur Marie chantera un cantique auquel tout le monde répondra, non pas par paroles, mais par œuvres, car alors tous les hommes de toutes conditions feront leurs œuvres de telle sorte qu’ils glorifieront Dieu en toutes leurs actions et tout le monde honorera les prêtres en suivant leurs bons exemples et leurs saintes instructions. Le prophète David dit ceci très bien au psaume 71, versets 15 et 16. Voici comme Desportes les a mis en français :

Les bourgeois dedans les cités [224]

Fleuriront comme herbe nouvelle,

De son nom et de ses bontés

Sera la mémoire éternelle :

D’âge en âge il reverdira

Tant que le soleil durera.



En lui chacun sera béni,

Et toute la machine ronde

Publiera son los437 infini

Bénissant ce grand Dieu du monde,

le Dieu d’Israël tout parfait,

Qui seul les merveilles nous fait.



Soit béni éternellement.

Le nom de sa gloire accomplie

La terre universellement

Soit de ses louanges remplie,

Disant, bénissant son secours

Ainsi soit, ainsi soit toujours438.



En l’an 1655, le 27 février, la sœur Marie commença de chanter alléluia deux fois, mais d’une manière fort triste, regardant premièrement le ciel comme pour invoquer tous ceux qui sont dans la béatitude et dans les joies du paradis, puis baissant les yeux vers la terre et laissant tomber sa tête comme ferait une personne morte, pour signifier l’état de mort de ceux pour qui elle souffrait et pour la conversion desquels elle appelait à son aide toute la Cour céleste. Après cela elle demanda une pierre : on lui en apporta [224v] une qui était au foyer et qui était toute noire, à cause du long temps qu’elle y était. Elle l’a pris de la main droite secrètement et au-dessus de la gauche et la présenta à la Sainte Vierge, la tenant toujours en sa main droite, et elle la lui présenta trois fois, la faisant toucher aux pieds de son image et disant trois fois l’Ave Maria qui contient l’Incarnation du Fils de Dieu et la rédemption du monde. Cela étant fait, elle présenta encore cette pierre à la très sainte Trinité, la levant en haut avec les deux mains, disant trois fois le Gloria Patri au commencement. Puis on lui fit dire le Pater. En le disant, elle répéta trois fois panem nostrum, pour demander le pain de la grâce à ceux que cette pierre figurait et elle dit aussi quarante fois ces paroles : Fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra, et en les disant elle fit une interruption pendant laquelle elle chanta gaiement et joyeusement cinq alléluia.

Cette pierre est une figure des cœurs et des esprits endurcis et invétérés dans leur malice. La sœur Marie les présente à la Sainte Vierge comme à celle qui a tout pouvoir au ciel et à la terre et par l’entremise de laquelle Dieu les convertira. Elle fait toucher cette pierre qui est leur figure aux pieds de l’image de la Sainte Vierge pour montrer qu’ils seront assujettis à son empire et qu’ils la reconnaîtront et honoreront comme leur souveraine. En faisant cela, elle dit trois fois [225] Ave Maria pour montrer qu’ils seront convertis par la grâce du ministère de l’Incarnation du Fils de Dieu, lequel a été opéré par l’amour et la charité ineffable de la très sainte Trinité pour signifier que les trois personnes divines les acceptent et qu’ils glorifieront Dieu éternellement. Elle dit quarante fois Fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra pour donner à entendre qu’après la conversion générale, la volonté de Dieu s’accomplira à la terre, comme elle s’accomplit au ciel. Elle chante alléluia joyeusement parce que l’Église se réjouira de leur conversion et qu’ils seront associés avec les habitants du ciel pour chanter alléluia éternellement. C’est de ces pécheurs dont parle David au Psaume 71 : Coram illo procident Ethiopes et inimici ejus terram lingent. Voici comment Desportes le tourne :

Aux déserts les plus reculés

Ceux qui si noirs font demeurance

Avec leurs visages brûlés

Viendront lui rendre obéissance,

Et tous prosternés contre bas

Ses haineux lècheront ses pas439.

Section 15. Dieu se servira des malins esprits pour détruire leur ouvrage et pour convertir le monde.

[225v] Ce sera pour lors que ces paroles du Saint-Esprit seront accomplies : Salutem ex inimicis nostris et de manu omnium qui oderunt nos440. Dieu par une puissance admirable et par une bonté incomparable forcera nos ennemis de contribuer à notre salut. Elle entendit une fois les trois personnes divines et la Sainte Vierge qui parlant aux démons leur faisaient les commandements suivants. « Le Père disait : « Allez, je vous envoie comme des trompettes pour réveiller mes enfants qui sont endormis à l’ombre de la mort », c’est-à-dire du péché. Le Fils leur disait : « Allez, je vous envoie comme des nonces pour annoncer à tous les hommes qu’ils viennent à moi et que j’ai les bras ouverts pour les recevoir. » Et le Saint-Esprit leur disait : « Allez, je vous envoie comme des serviteurs pour dire à toutes les âmes qu’elles viennent que le festin des noces est préparé et que toutes choses sont prêtes. »

« Et j’entendis aussi la Sainte Vierge qui leur disait : « Allez, je vous envoie comme des prédicateurs pour annoncer à tous les hommes que le royaume de Dieu est [226] prochain et pour leur prêcher la pénitence. »

« Enfin j’entendis la très sainte Trinité qui leur disait : “Allez, je vous envoie comme des sergents et des archers armés de colère pour mettre en prison ceux qui ne voudront pas se convertir.” Les démons accompliront tous ces commandements, car ils posséderont généralement tous ceux qui ne voudront pas se convertir. Ils publieront leurs péchés et leur feront souffrir tant de tourments qu’ils les contraindront de faire pénitence. En ce temps-là, si un prêtre veut monter à l’autel en péché mortel, il sera possédé. S’il se confesse avec douleur, il sera délivré. S’il retourne au péché, la possession reviendra. Ceux qui se moqueront des possédés, disant “Ha ! Qu’ils le valent bien !”, seront possédés. Dans les tourments que les démons exerceront sur eux, plusieurs se voudront tuer eux-mêmes par désespoir, mais ils les en empêcheront, et saint Raphaël sera envoyé de Dieu pour guérir les désespérés. Saint Michel sera envoyé pour conduire et amener les âmes à Dieu. »

Sur la fin de la vie de la sœur Marie, environ un an devant que de mourir, on lui fit dire un [226v] rosaire et sur les petites marques ces paroles : Mitte nos in porcos441.

Notre Seigneur et sa sainte Mère ont promis quantité de fois à la sœur Marie qu’un jour viendra auquel il se fera un grand feu de joie et que quand elle sera avec ses amis devant ce feu, on expliquera quantité de choses qu’on lui a dites et dont on n’a point encore donné l’intelligence et que ce feu de joie sera lorsque tous des cœurs de tous les habitants de la terre seront enflammés de l’amour divin. [227]

Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession.

Chapitre 1. C’est ici un œuvre des divins attributs.

Dieu a fait connaître à la sœur Marie que ce sont les divins attributs qui opèrent l’œuvre qui se fait en elle, à savoir : la divine volonté, l’amour divin, la charité divine, la justice, la miséricorde, la force, la patience, la toute-puissance et la sapience, ce qui se voit assez dans toutes les choses qui sont ici écrites. [227v]

Un vendredi saint, comme l’on chantait la Passion, lorsqu’elle ne pensait à rien moins qu’à ce que je vais dire, elle entendit le Père éternel qui criait d’une voix tonnante : « Comment, comment ! ma justice, ma justice éternelle qui fait trembler le ciel et la terre et les enfers, attachée aux mamelles d’une femme ! Comment ! Mon amour divin, ma charité, ma divine volonté, ma force, mes divins attributs, mon fils, ma fille, l’ornement de ma maison, transportés. Oh ! Je l’avais bien dit, que qui aura un grain de foi transportera les montagnes. Car voilà les montagnes de mes divins attributs transportés du ciel dans un morceau de terre ! »

« Entendant tout cela, j’étais étrangement éperdue et épouvantée, et je ne savais que devenir d’étonnement et d’appréhension, spécialement de ce qu’Il disait et redisait ces choses plusieurs fois : “Comment ma justice attachée aux mamelles d’une femme !” Je demandais ce que c’était que cela. “Oh ! Mais je ne m’étonne pas, continua-t-il, si vous vous vantez tant d’aimer ma justice, car une mère aime bien l’enfant qu’elle allaite. Ma justice est comme liée de bandelettes, enveloppée de drapeaux et attachée à vos mamelles. Ces drapeaux sont vos sens intérieurs et extérieurs qui cachent et enveloppent ma justice, laquelle opère secrètement [228] ses effets là-dedans. Les bandelettes sont les désirs effrénés que vous avez de souffrir. Vos deux mamelles, c’est votre corps et votre esprit. Le lait c’est la haine du péché, et mes divins attributs, mon fils et ma fille, sont transportés en vous. Oh ! C’est fait ! Les femmes disposeront bientôt de ma divinité.” Il dit cela parce que la Sainte Vierge ordonne et dispose de cet œuvre. »

Elle a ressenti en plusieurs occasions divers effets des divins attributs. Elle a été quelquefois possédée et animée de la divine Justice, quelquefois de la Miséricorde, quelquefois de la Charité. Quand elle était possédée de la Justice, elle eût voulu que ceux qui péchaient fussent descendus en enfer tout vivants. Et si elle eût vu un péché mortel en elle, elle eût voulu descendre en enfer, parce que c’eût été justice.

Quand elle était animée de la miséricorde, tous les péchés du monde ne lui semblaient rien en comparaison de la bonté de Dieu, et elle pleurait amèrement de ce qu’il n’était point permis de prier pour la conversion des diables et des damnés ; et elle sentait plus de douleurs de cela qu’elle n’avait de joie de tous ceux qui doivent être sauvés.

Quand elle était possédée [228v] de la charité, elle voyait Notre Seigneur tenant un petit enfant sur son bras et lui disant : « Lequel aimez-vous mieux, de ce petit enfant ou de moi ? » Elle connut que ce petit enfant représentait les sorciers pour la conversion desquels elle souffrait et dit : « J’aime mieux souffrir ici-bas pour ce petit enfant jusqu’au jour du Jugement, que d’aller avec vous dans le paradis, quand il me serait ouvert tout maintenant. »

Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc.

L’an 1641, le 29 octobre, la Sainte Vierge lui présenta un vaisseau plein d’une liqueur très agréable, et si plein qu’elle était prête de tomber de tous côtés, et elle dit : « Prenez, ma fille, prenez cela et le buvez.

– Non je ne boirai point, si mon époux ne me le commande.

– Mon fils, dit la Sainte Vierge à Notre Seigneur, commandez-lui.

– Ma mère, Je n’y mets point d’empêchement.

– Prenez [229] donc, ma fille.

– Je ne le prendrai point s’Il ne me commande absolument, car je sais ce que c’est : ce sont des consolations et je n’en veux point, donnez-les à d’autres.

– Quoi ! dit Notre Dame, voulez-vous que je fasse une injustice : ce sont les vôtres que je garde dont vous avez été privée par le passé. Je ne puis pas les donner à d’autres.

– Faites-en ce qu’il vous plaira, mais je ne les prendrai pas si mon époux ne me le commande.

– Mon fils commandez-lui, je vous en prie.

– Ma mère, répondit Notre Seigneur, Je ne l’empêche point. Prenez-les donc, ma fille, car elles vont tomber par terre et seront perdues.

– Je n’en veux point du tout si mon époux ne le veut absolument. J’aimerais mieux mille enfers avec sa divine volonté que cent mille paradis sans elle. »

Un jour, elle vit la divine Volonté comme une grande dame très majestueuse, mais d’un visage fort austère, et auprès d’elle, il y avait une vieille femme fort triste qui tenait une écuelle de bois à la main. Au même temps elle aperçut Notre Seigneur et sa sainte mère, et au milieu d’eux, une jeune fille fort belle, agréable et d’un visage très gai et très joyeux, qui partit d’avec Notre Seigneur et Notre Dame pour venir à elle, mais la sœur Marie [229v] lui tourne le dos comme aussi à Notre Seigneur et à Notre Dame, et s’en va vers la vieille qui était au pied de la divine Volonté, laquelle remplissant son écuelle d’eau, la baille à la sœur Marie qui la but entièrement.

Cette vieille représente la tristesse et l’affliction, et la jeune fille, la joie et la consolation. L’écuelle pleine d’eau représentait les larmes que la sœur Marie avait à répandre. Elle quitte Notre Seigneur et Notre Dame avec les consolations, pour suivre la divine Volonté parmi les désolations. Elle dit quelquefois à Notre Seigneur : « Je vous aime bien, mais pourtant si vous m’envoyiez maintenant votre paradis et que vous ne commandassiez d’y entrer pour y être éternellement avec vous et pour y jouir de toutes les joies et félicités que vous y possédez, et que la divine Volonté me dit que j’allasse en enfer, je vous assure que je vous quitterais vous et votre paradis, et que je me jetterais tout à l’heure au milieu des feux de l’enfer.

– Vous ne m’aimez donc point, dit Notre Seigneur ?

– Si ce n’est point vous aimer que de faire ainsi, répondit-elle, je ne vous aime donc point, car je ferais cela, et je ne puis avoir d’autres sentiments.

– Oh ! Non ! répliqua Notre Seigneur, ce n’est pas que vous ne m’aimiez, mais c’est que vous [230] aimez davantage ma divinité que mon humanité, car la divine Volonté, c’est ma divinité, et c’est elle qui règne sur moi et à laquelle je suis assujetti aussi bien que vous. »

La sœur Marie parlant à quelqu’un de la très adorable volonté de Dieu, lui disait : « Honorons et aimons cette divine Volonté comme notre mère, et demeurons toujours attachés à ses mamelles. Quiconque a la divine Volonté pour sa mère, il a aussi la très Sainte Vierge pour mère, parce qu’elle est tellement remplie, animée et possédée de la divine Volonté, que c’est son esprit, son âme, son cœur et soi-même. Elle est toute transformée en elle et n’est qu’une avec elle. »

Depuis qu’elle se connaît, elle n’a jamais rien fait qu’après avoir examiné si c’était la volonté de Dieu, et après Lui avoir demandé qu’Il lui fît la grâce de lui faire perdre la volonté qu’elle pouvait avoir de faire aucune chose qui ne lui fût pas agréable ou qu’il lui ôtât le pouvoir de la faire, Notre Seigneur lui dit un jour : « Faites un vœu.

– Et de quoi ? Lui dit-elle.

– De faire en tout et partout la divine volonté, répliqua-t-il.

– Oui, mais je crains, ajouta-t-elle, de ne la connaître pas toujours.

– Vous ne serez obligée [230v] à ce vœu, répartit Notre Seigneur, que quand vous la connaîtrez si clairement qu’il vous sera impossible d’en douter. »

L’an 1641, en la fête de tous les saints, elle entendit Notre Seigneur criant à haute voix : « Ô ma mère, l’excès de mon amour ne me permet plus de retenir mes secrets.

– Ô mon Fils, répondit Notre Dame par trois fois, gardez-vous bien de dire vos secrets, sans en demander conseil à votre épouse. »

« Alors il se retourna vers moi disant par trois fois : « Ô épouse, voulez-vous que je vous dise mes secrets ? »

« à quoi je répartis aussi par trois fois : Fiat voluntas tua.

– Ô Me voilà arrêté, dit-Il. Quoi ! Ne voulez-vous point savoir mes secrets ?

– Non, je ne veux rien savoir que ce qu’il plaira à votre divine Volonté que je sache.

« Là-dessus Il se tut pour cette heure-là. Mais peu de jours après, Il me déclara ses secrets et me recommanda de les dire à quelqu’un, et me dit qu’il fallait lever entièrement le voile de dessus ma face, afin que celui-là connût la beauté de son épouse. »

Section 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison.

[231] Notre Seigneur dit quelquefois à la sœur Marie : « Regardez-moi en face.

– Je ne sais ce que c’est que de vous regarder en face.

– Me regarder en face, répondit le Fils de Dieu, c’est regarder ma divine volonté pour la suivre partout.

– Toutes les créatures nous font cette leçon, dit-elle, et même celles qui sont inanimées et insensibles. » (Car Dieu lui a fait voir plusieurs fois qu’elles regardent toutes, fixement et perpétuellement, la divine Volonté, attendant ses ordres pour les exécuter ponctuellement et au moment qu’elle a déterminé, et qu’elles haïssent tout ce qu’elle hait et aiment tout ce qu’elle aime, tant elles ont de conformité à ses divines dispositions, parce qu’il n’y a point de péché en elles qui les détourne ou éloigne un tant soit peu de leur premier principe, qui est la très adorable volonté de Dieu.) 

Un jour, la sœur Marie souffrait de grandes peines. Notre Seigneur et Notre Dame lui dirent : « Vous voilà bien malade ?

– Il est vrai, répondit-elle [231v] je suis bien malade.

– Si vous étiez en notre place, ajouta Notre Seigneur, vous ne nous traiteriez pas ainsi ; vous nous demandez une goutte d’eau et nous vous la refusons, mais vous, au lieu de nous donner de l’eau, vous nous donneriez du vin ; mais en faisant ainsi, vous renverseriez tout l’ordre, car vous feriez marcher la raison devant la divine Volonté ; vous suivriez la raison, jugeant qu’il ne serait pas raisonnable de faire souffrir des personnes qui ne seraient pas coupables ; mais nous ne faisons ainsi, car [= que parce que] nous suivons la divine Volonté en tout et partout, au préjudice de la raison. »

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place que feriez-vous ?

– Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.

– Mais si l’adorable volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?

– Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.

– Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?

– Je vous assure que oui.

– Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ? [232]

– Oui, je vous y laisserais.

– Ne vous étonnez donc pas si je vous y laisse, répliqua Notre Seigneur, car je ne fais rien que ce que la divine volonté m’ordonne. Après cela, si elle voulait, dit encore Notre Seigneur, que vous me fissiez tout plein de petites promesses sans les accomplir, le feriez-vous ?

à cela, dit-elle, je ne sais que répondre, sinon que je n’ai jamais rien promis à personne que je ne l’ai accompli.

– Aussi, ne vous ai-je rien promis qui ne soit véritable et qui ne s’accomplisse. Mais ma divine Volonté a suspendu plusieurs effets de mes promesses qui s’accompliront en leur temps. »

Section 2. Deux manières de donner sa volonté à Dieu. Il donne la sienne à ceux qui lui donnent la leur comme il faut.

L’an 1646, le 22 janvier, Notre Seigneur lui dit : « Ceux qui me donnent leur cœur pour y faire ma demeure, je leur donne mon paradis pour y faire la leur. Ceux qui se donnent à moi, je me donne [232v] à eux. Ceux qui me donnent leur volonté, je leur donne la mienne, mais il y en a très peu qui me la donnent.

– Tant de religieux et de religieuses qui font vœu d’obéissance, ne vous la donnent-ils pas ?

– Ils me la donnent pour me servir à gages et pour avoir les couronnes et les dignités du paradis, et travaillent à qui pourra atteindre plus haut. Mais les plus parfaits me donnent leur volonté, non pour m’en servir, mais pour la détruire et pour l’anéantir, de sorte que quand leur volonté se présente en quelques-unes de leurs actions pour y avoir part, ils l’écrasent sous leurs pieds ; et ceux-là ne regardent en tout ce qu’ils font que ma divine Volonté et ne craignent rien que de lui déplaire, et n’ont aucun égard au paradis ni à l’enfer, et c’est à ceux-là que je donne ma divine Volonté pour la leur.

– Pour avoir votre volonté, faudrait-il se priver de la communion ?

– Non, dit Notre Seigneur, au contraire, à proportion qu’ils meurent à leur volonté, la communion les vivifie de la haine qu’ils portent à leur volonté et de l’amour qu’ils portent à la mienne. Il s’allume un grand feu de l’amour divin qui les consume et anéantit tout ainsi [233] comme le feu consume le suif et la mèche d’une chandelle.

– Pourquoi donc suis-je privée de la sainte communion ?

– C’est une autre affaire à part, dit le Fils de Dieu : c’est que ma Passion vous a été donnée au lieu du Saint-Sacrement et que ma divine Volonté vous veut faire vivre dans la mort. »

Section 3. Suivre en tout la divine volonté est un martyre. Moyens pour connaître la divine volonté.

Le plus court chemin pour arriver au martyre, est de suivre en tout et partout la divine Volonté. Pour plus grande intelligence de cette vérité, la sœur Marie dit qu’elle vit une fois une vigne très belle chargée de très beaux raisins et bien mûrs, dont les grumes442 étaient grosses comme des prunes, et il y avait aussi de grandes et belles feuilles qui les couvraient. « Voici venir saint Gabriel qui coupe cette vigne par le pied et la va transplanter dans le ciel, et Notre Seigneur me dit que ces raisins [233v] étaient tous confits dans le sucre et que ce n’était pas pour en faire du vin : “Mais c’est, dit-il, pour les servir à notre table, à notre dessert.” »

Voici l’explication. Les raisins sont les grands saints que Notre Seigneur appelle les cèdres du Liban, lesquels seront en ce temps auquel il versera abondamment ses grâces et convertira tout le monde. Ils seront tous confits au sucre de la grâce, et suivront parfaitement la divine Volonté, ne cherchant que Dieu seul, et le servant et aimant pour l’amour de lui-même, comme s’il n’y avait ni paradis ni enfer. Les feuilles de la vigne représentent la grande et glorieuse réputation que ces saints auront devant Dieu et devant les hommes ; ce seront de grands martyrs, quoique les bourreaux ne les touchent point, mais ils seront martyrs de l’amour divin : ils seront brûlés dans la fournaise et ils seront plus grands martyrs que quantité d’autres des premiers martyrs qui souffraient le martyre pour l’espérance des couronnes et de la gloire, car ceux-ci ne regardent point la récompense, mais la seule gloire de Dieu et de suivre en tout et partout sa très adorable Volonté.

Quiconque veut être martyr, qu’il fasse comme ceux-là [234] regardant et suivant la divine Volonté partout où elle le mènera, et elle fera un sacrifice très agréable à Dieu.

Sur ce même sujet, je dirai qu’un jour la sœur Marie ayant prié Notre Dame dans une occasion qui s’en présenta de lui apprendre ce qu’il lui fallait faire pour lui faire un sacrifice qui lui fût bien agréable, il lui répondit qu’il y avait deux sortes de sacrifices. Le premier, de ceux qui vont en Religion. « Lorsqu’ils y entrent, ils me sacrifient leur Isaac comme fit Abraham, c’est-à-dire les joies et les plaisirs du monde. Mais le second sacrifice est de ceux qui suivent en tout et partout ma divine Volonté. Ceux-là se sacrifient eux-mêmes et c’est le sacrifice qui est le plus agréable à Dieu. »

Afin de suivre la divine Volonté, il est nécessaire de la connaître. Or entre les moyens par lesquels on peut arriver à cette connaissance, il y en a deux, très faciles et infaillibles, qui sont exprimés dans les choses suivantes qui ont été dites à la sœur Marie.

Quelques personnes étant en doute de ce qu’elles devaient faire, touchant plusieurs choses [234v] qui regardent leur salut et leur perfection, la sœur Marie, ayant prié Dieu pour elles de leur faire connaître là-dessus Sa sainte volonté, Il lui fit cette réponse : « Qu’ils consultent leur supérieur. Je leur parlerai par lui et s’ils lui obéissent, ils accompliront ma divine volonté. »

Une autre fois, ayant prié pour un grand nombre de religieuses qui avaient écrit à la sœur Marie pour lui demander quantité de choses, Notre Seigneur lui dit : « Toutes les fois que mes épouses désireront quelque réponse de ma mère et de moi, qu’elles s’adressent à leur supérieure et nous leur répondrons et ferons connaître notre volonté par sa bouche, et elles se pourront assurer de ses réponses comme si ma mère et moi leur répondions en propre personne. » Dans une autre occasion, ayant prié le Fils de Dieu de faire connaître sa volonté sur quelque affaire d’importance, Il dit qu’il en fallait conférer ensemble et que là où deux ou trois seront assemblés en Son nom, Il était au milieu d’eux, selon sa parole, pour les éclairer et pour leur faire connaître Sa sainte volonté. [235]

Section 4. Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries443 qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle.

Il lui arrive souvent, ainsi qu’il est aisé de remarquer en ses écrits, qu’elle dit beaucoup de choses par des mouvements extraordinaires qui ne sont point d’elle, sans qu’elle y puisse résister, et quelquefois sans entendre ce qu’elle dit et même sans savoir ce qu’elle a dit par après. Or un jour ayant demandé à Notre Seigneur d’où venait cela, Il lui dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine volonté qui vous anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses444. »

Lorsque dans les choses qui se passe en la sœur Marie il arrive des estriveries ou [235v] contestations (c’est ainsi qu’elle appelle cela), entre Notre Seigneur et elle, ainsi qu’on voit en plusieurs lieux de ses écrits445, cela ne se fait pas de son mouvement ni par sa volonté, ni avec liberté de sa part, mais c’est pour lui faire connaître comme elle est toute en elle et qu’elle n’a point d’autre volonté que celle de Dieu. Il arrive quelquefois de ces estriveries entre Notre Seigneur et la sœur Marie comme aussi entre la Sainte Vierge et elle, lorsque l’un ou l’autre lui offrent ou lui disent des choses qui lui sont désavantageuses ou qui ne sont pas conformes à la divine Volonté, pour la tenter ou l’exercer ou pour lui faire connaître la grâce qu’on lui a faite de lui ôter sa volonté en mettant celle de Dieu en la place ; puis on lui dit qu’elle avait raison. Sur ce sujet, un jour, après une semblable estriverie entre Notre Seigneur et Notre Dame d’un côté et la sœur Marie de l’autre, Notre Dame lui dit enfin qu’elle avait raison et qu’elle était la plus savante.

« Et d’où vient donc que Notre Seigneur et vous, vous me faites ainsi estriver ?

– C’est que dans ces [236] occasions, mon Fils parle en la personne de votre esprit ; et moi je parle en la personne de vos sens ; et pour vous, vous parlez en la personne de la divine Volonté qui a toujours raison et qu’il faut suivre partout. Nous ne sommes pas contraires, mon Fils et moi, à la divine Volonté, mais c’est pour vous faire connaître qu’elle règne en vous et que vous ne pouvez rien faire contre elle, nonobstant tout ce que nous vous pouvons dire, mon Fils et moi. »

Section 5. Sa soumission et son respect vers la divine Volonté, qui règle les choses qui la concernent, lesquelles sont toutes mystérieuses.

Elle dit qu’elle regarde la divine Volonté comme sa reine et qu’elle se comporte avec elle avec grande soumission et respect et [236v] qu’elle ne prend aucune familiarité avec elle, et que son occupation ordinaire et continuelle est de chercher les moyens de faire en toutes choses ce qu’elle veut avec promptitude et fidélité. Elle ne fait jamais rien de sa propre volonté, mais elle est tellement assujettie à Sa puissance et à Sa conduite, que tous les moments de sa vie sont réglés par elle est qu’elle ne fait rien ni en ses prières ni en ses actions, ni en son vêtir, ni en son boire, manger, coucher et lever, ni en toutes choses, que par l’ordre de la divine Volonté qui lui prescrit tout ce qu’elle doit faire, tantôt par elle-même, tantôt par Notre Seigneur, quelquefois par la Sainte Vierge, quand elle doit prier, soit en la maison, soit en l’église, soit ès jours ordinaires, soit ès fêtes solennelles et durant leurs octaves. Notre Seigneur lui prescrit toutes les prières qu’elle doit faire, et il lui est impossible d’y rien ajouter ni changer.

Le temps venu de se coucher, on la [237] fait quelquefois demeurer debout, c’est-à-dire sans coucher, et quand elle est couchée, on la fait demeurer longtemps au lit, et quand elle y pense le moins on la fait lever. Elle a été longtemps sans pouvoir remuer son lit, de sorte qu’elle y souffrait de grandes incommodités. Elle n’a aucune liberté de rendre service à personne, spécialement à ceux qui sont en santé, sinon quand elle en est requise ou que la nécessité le demande. Mais pour les malades, ce n’est pas de même, car leur maladie, dit-elle, parle et prie pour eux, et elle a la liberté de leur rendre tout le service qu’elle juge être nécessaire et convenable. Elle ne porte ses habits qu’en la forme et manière et pour le temps qui lui est ordonné, et c’est elle-même qui les fait, après que la Sainte Vierge a prescrit la façon.

Pendant qu’elle était en enfer, elle ne mangeait que du pain et ne buvait que [237v] de l’eau aux jours ouvriers, et aux dimanches et aux fêtes on lui ordonnait de manger des fruits avec son pain. Elle a été longtemps qu’elle ne mangeait que du pain sec. Son corps a toujours été en même état et son visage toujours de même sorte, sans maigrir, ni sans diminuer, ni augmenter aucunement ; mais ce qui est encore plus remarquable, c’est que toutes les choses susdites, c’est-à-dire ses prières, le nombre, le temps, son lit, ses habits et généralement tout ce qui se passe en elle, sont pleines de mystères ainsi qu’on lui fait entendre par les explications qu’on lui en a donné, car ce sont autant de figures de plusieurs grandes choses qui sont ou passées ou présentes ou à venir, dont les unes la regardent en personne, les autres l’Église, les autres les infidèles, les autres le péché. Et en ceci, elle est conforme à Notre Seigneur Jésus-Christ duquel saint Augustin et tous les saints pères nous assurent que toutes ses actions et tout ce qui se [238] passait en lui, était mystérieux et significatif de choses grandes et admirables. De là vient que l’on n’écrira jamais la millième partie des choses merveilleuses que la divine Bonté a opérées en cette fille ; car pour les coucher par écrit, il faudrait faire presque autant de livres comme il y a de jours en sa vie.

Section 6. La divine Volonté couronnée en la sœur Marie.

L’an 1654, le 8 décembre, Notre Seigneur fit dire plusieurs rosaires à la sœur Marie et entre autres, Il lui fit en dire un sur la croix duquel Il lui ordonna de dire le Magnificat et le Gloria in excelsis, et comme elle était prête de dire ces paroles : Suscipe deprecationem nostram446, Il l’arrêta et lui dit : « Que demandez-vous ? »

Alors elle répondit promptement par un mouvement extraordinaire et sans y avoir pensé auparavant : « Je demande que Votre divine Volonté soit [238v] couronnée et que la mienne soit anéantie. »

Fiat ut petitur447, dit Notre Seigneur. Ensuite de cela, Il lui fit réciter un rosaire en cette façon : sur les gros grains, Il lui fit dire Pater non mea voluntas, sed tua voluntas fiat, et sur les petits : « Votre divine volonté soit couronnée et la mienne anéantie. »

« Mais, n’est-ce pas la même chose ? dit-elle : non mea sed tua voluntas fiat et votre divine volonté soit couronnée et la mienne anéantie ?

– Non, répondit Notre Seigneur ; il y a cette grande différence entre les deux prières. » Et au même temps Il lui fit entendre qu’elles différaient en cette manière : la divine volonté a toujours été faite en elle depuis le commencement de sa course ; mais maintenant qu’elle est sur la fin de sa carrière, elle sera couronnée. De là vient qu’au commencement de sa vie, on lui faisait dire : « Votre divine volonté soit faite », et maintenant on lui fait dire : « Votre divine volonté soit couronnée. » Au commencement et dans la suite, on ne lui faisait pas dire : « Ma volonté soit anéantie », mais seulement : « Ma volonté ne soit pas faite », parce qu’alors sa volonté [239] n’était pas anéantie. Elle subsistait encore, mais comme servante de la divine Volonté et pleinement assujettie à son empire ; elle agissait encore, mais comme instrument de la volonté de Dieu et comme instrument mort qui n’avait point d’autre mouvement que celui que cette très adorable Volonté lui donnait. Et ce qui fait voir qu’elle subsistait et agissait encore, c’est qu’en toutes les choses extraordinaires qu’on lui voulait faire faire ou souffrir, on demandait toujours le consentement de sa volonté, comme l’on fit auparavant que de lui faire souffrir les peines de l’enfer, le supplice de l’éternité dont il est parlé ci-dessus et autres semblables ; mais lorsque cet ouvrage sera accompli, on n’aura plus que faire de sa volonté. Voilà pourquoi on lui fait dire pour ce temps-là : « Votre volonté soit couronnée et la mienne soit anéantie. »

Chapitre 3. Son abandon à la divine providence.

Au commencement de sa possession, avant [239v] qu’elle fut à Coutances, il lui arriva que n’ayant qu’un quart d’écu qu’elle avait gagné par son travail et l’ayant caché dans le trou d’une muraille, on le prit si bien qu’elle se vit dépouillée de tout bien, mais très aise d’être dans une absolue dépendance de la divine providence ; à raison de quoi, comme les voisins l’aimaient beaucoup, la plaignant et criant contre ceux qui avaient pris ce quart d’écu, elle les excusait et priait Dieu de leur pardonner, et disait qu’il n’y avait pas sujet de se plaindre, car « c’est Dieu qui l’a ainsi disposé, afin que je m’abandonne entièrement à Sa providence. Il m’a ôté la santé qu’Il m’avait donnée, par laquelle je pouvais gagner ma vie. Je n’avais que ce peu d’argent avec lequel je pouvais vivre en attendant qu’Il me redonnât la force de pouvoir en gagner d’autres. Puisqu’Il me l’a ôté, je suis bien assurée qu’Il prendra Lui-même le soin de me nourrir. » Ce qui arriva tôt après ; car on la mena à Coutances où elle fut nourrie longtemps chez monseigneur l’évêque comme un pauvre c’est-à-dire [240] quelques morceaux de pain, quelques restes de potage, et depuis ce temps-là, Dieu a pourvu à toutes les choses qui lui ont été nécessaires, mais petitement, pauvrement, et en la faisant bien souffrir.

Chapitre 4. L’amour divin est rigoureux et terrible.

La sœur Marie assure qu’il n’y a rien de si terrible que l’Amour divin et que tout ce que la divine Justice lui a fait souffrir n’est rien en comparaison des tourments que l’Amour divin lui a fait porter : « J’aime, dit-elle, tendrement la divine Justice, car je la trouve douce, belle, agréable. Mais l’Amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais Il frappe bien rudement. Je tremble quand je Le vois. Quand on se plaint à Lui, Il ne fait qu’en rire ; on ne sait où Il va ni où Il mène ; Il se fait suivre à l’aveugle. » [240v]

Section 1. Le jardin de l’amour divin.

Environ le temps des sortilèges qui durèrent cinq ans, l’Amour divin que la sœur Marie appelle son père et qui la menait toujours par la main comme un père mène son petit enfant, lui donna un beau jardin tel qu’il est ici décrit : la forme et la figure de ce jardin est un triangle et comme un cœur. Il est environné tout autour d’une haie de grosses et piquantes épines fort hautes et épaisses. La porte est de bois de cèdre dont la serrure et la clé sont d’or. Tout autour de la haie, par dedans, il y a quantité de violettes. Au deçà de la violette, il y a quinze beaux pommiers, cinq de chaque côté, tous chargés de belles pommes, et en si grande abondance qu’il y paraît plus de pommes que de feuilles. Au deçà des pommiers il y a quinze palmiers. Entre tous ces palmiers il y a une vigne attachée à des échalas448 toutes chargés de raisins. À un des côtés du jardin, devant [241] la porte, il y a un très beau rosier. À l’autre côté, il y a un olivier chargé d’olives. Au pied de l’olivier une fontaine ou lavoir. Au milieu du jardin il y a un sépulcre dans lequel est un mort : de la tête de ce mort sort un cèdre qui est merveilleusement haut. Ce jardin s’appelle le jardin de l’amour divin, parce que c’est lui qui l’a planté par la sœur Marie. Ce cœur dont il porte la figure, c’est son cœur. Les épines représentent les douleurs et les peines qu’elle a souffertes. La violette c’est le symbole de l’humilité. Les pommiers chargés de pommes signifient les païens qui se convertiront et qui porteront beaucoup plus de fruits après leur conversion que ne font pas les chrétiens. Le raisin de la vigne signifie l’amour et la charité. Les palmiers, ce sont les prédicateurs qui travaillent à la conversion des âmes, comparés à la palme, parce qu’ils remporteront la victoire sur le péché. Mais pour monter à la palme, c’est-à-dire pour prêcher efficacement, il faut être enivré de l’amour de Dieu [241v] et de la charité du prochain : c’est ce qui est signifié par le raisin qui est au pied du palmier. L’olivier, c’est la miséricorde que Dieu exercera vers les pécheurs. Le lavoir c’est la pénitence ; le rosier qui paraissait couvert de glace et de neige comme au temps d’hiver, et qui sera tout couvert de roses au temps de la conversion générale, c’est la vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Lesquelles seront comme autant de belles roses qui s’épanouiront lorsque Notre Seigneur manifestera son ouvrage et qui embaumeront tout le monde de leur suave odeur. Le corps mort qui est dans le sépulcre, c’est la sœur Marie qui est dans un état de mort et d’anéantissement. Le cèdre qui sort de sa tête, c’est la divine volonté qui est vivante et régnante en elle. La porte, qui est de bois de cèdre et incorruptible, c’est la grâce divine. La serrure, c’est la charité divine, et la clé c’est l’amour divin sans lequel on ne peut entrer dans ce jardin.

Section 2. La charité divine fait une collation à la divine justice, l’enivre de son vin, met des bondes à son torrent et lui arrache des mains son couteau, ses flèches et ses foudres.

[242] Un jour la sœur Marie étant animée de la charité s’écria : « Ô terre, terre, pourquoi me tiens-tu prisonnière dans ce monde ? » Il lui semblait qu’elle voyait la terre comme le fond de sa main et qui lui semblait comme un cachot.

Après cela on lui répondit : « Le ciel est fermé.

– Je parlerai donc à la terre. »

On répliqua : « Le silence est imposé à la terre. »

« Ensuite je vis la divine Justice qui venait du ciel pour visiter ses fermes en ce monde ici et faire payer ses fermiers de quantité de deniers dont ils lui étaient redevables. Elle était suivie du torrent de l’Ire de Dieu pour submerger tout le monde à cause de ses péchés. Elle avait un glaive, des flèches et un foudre qu’elle portait à la main. Au même [242v] temps, je vis la Charité divine qui allait au-devant et qui la pria de venir faire la collation chez elle. Elle y alla, et la Charité enivra la Justice de son vin, si bien qu’elle s’endormit. Pendant qu’elle dormait, la Charité alla aussitôt mettre des bondes à son torrent, afin d’empêcher qu’il ne se débordât pour noyer tout le monde. Elle prit son glaive et ses flèches et les enivra de sang innocent, les ayant plantés dans le cœur de la sœur Marie. Elle lui arracha aussi le carreau de foudre qu’elle tenait à la main et elle le donna à l’Amour divin qui le bénit et le convertit en un flambeau d’amour. Ce carreau de foudre est ce feu que son esprit avait béni comme il est rapporté au chapitre 8 du quatrième livre, et dit que ce serait son enseigne et la marque de son triomphe qu’il porterait en sa main éternellement. Ensuite de cela, la divine Justice s’éveilla et ne se fâcha point de se voir ainsi désarmée, mais elle remercia la Charité divine de la collation qu’elle lui avait faite et lui dit qu’elle en était si contente, qu’elle lui donnait toutes ses fermes et ses fermiers : “Faites-en, lui dit-elle, ce que vous voudrez, ils sont à vous. Je m’en retourne dans le ciel pour vous y [243] préparer un festin à mon tour.” »

Qu’est-ce que tout cela ? C’est que la divine Justice était prête de perdre tout le monde à cause de ses péchés ; mais la divine Charité lui a fait une collation, qui sont les souffrances de la sœur Marie, du sang de laquelle le glaive et les flèches de la divine Justice ont été enivrées. Le foudre c’est l’Ire de Dieu que méritent les pécheurs. Le torrent, c’est celui dont il est parlé ailleurs qui contient sept rivières. Lequel représente les peines et les coulpes tout ensemble, dont les deux bondes seront levées après que Notre Seigneur l’aura béni et converti ainsi qu’il est dit en son lieu, pour inonder toute la terre d’un déluge de grâces et de bénédictions. Car outre que les petits canaux dont il est parlé seront débouchés, ces deux bondes seront encore levées pour la fin susdite.

Section 3. Trois déluges, dont le troisième est l’amour divin.

Une fois Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Allez-vous [243v] en dire une chose trois fois triste.

– Où la prendrai-je ?

– Ce sont ces paroles : Spiritus Domini replevit orbem terrarum449, ce qui s’entend de ce temps auquel le Saint-Esprit mettra le feu de l’amour divin par toute la terre et qu’il fera son déluge. Car il y a trois déluges qui sont tous trois tristes et qui sont envoyés pour détruire le péché. Le premier déluge est celui du Père éternel, qui a été un déluge d’eau. Le second, c’est le déluge du Fils, qui a été un déluge de sang. Le troisième, un déluge du Saint-Esprit, qui sera un déluge de feu, mais il sera triste aussi bien que les autres, parce qu’il trouvera beaucoup de résistance et quantité de bois vert qui sera difficile à brûler. »

Section 4. La différence qu’il y a entre l’amour divin et la charité divine.

Si on regarde l’amour divin et la charité divine en eux-mêmes, on n’y trouvera aucune différence, non plus qu’entre les autres divins attributs entre lesquels il y a bien quelques distinctions, mais point de différence selon le [244] langage de la théologie. Mais cela n’empêche pas qu’ils ne diffèrent en leurs effets. C’est en cette manière que la sœur Marie dit qu’il y a de la différence entre l’amour divin et la charité divine qui consiste, dit-elle, en ce que l’amour fait toutes ces actions par-dessus la raison, mais la charité est plus condescendante et s’accommode davantage avec la raison. Elle dit aussi que l’amour est le feu et la charité est la flamme, que l’amour embellit et ennoblit les âmes et que la charité les enrichit, parce que, dit-elle, plus l’âme aime Dieu, plus elle participe à sa beauté et à sa noblesse ; plus elle aime son prochain, plus elle a de part en ses richesses.

Chapitre 5. De la divine miséricorde.

L’an 1639, le roi Louis XIII, ayant envoyé en la Basse-Normandie une armée dont le chef s’appelait Gassion450, pour arrêter le cours de plusieurs séditions populaires qui s’étaient émues en divers lieux de cette province, et pour en punir les auteurs, comme on sut [244v] à Coutances que ce Gassion y devait venir avec toutes ses troupes, tout le monde fut rempli de frayeur, car on disait parmi le peuple que c’était un homme cruel et sans miséricorde et qu’il jetait par les fenêtres les enfants au berceau et qu’il les écrasait. La sœur Marie ayant ouï cela, s’en alla à Notre Seigneur lui exposer son affliction et le prier d’avoir pitié de son peuple. « Ne vous mettez point en peine de cela, lui dit-il, mais sachez que quand ma miséricorde viendra, au temps de la grande tribulation, elle jettera tous les enfants par les fenêtres et les écrasera, c’est-à-dire les péchés qui sont les enfants des pécheurs. Ce sera ma divine miséricorde qui fera ce massacre et qui exercera tous ces châtiments ; mais on ne la connaîtra pas pour telle ; on croira que ce sera la Justice parce qu’elle sera revêtue de la robe de la justice. »

Chapitre 6. De la divine justice.

Un jour elle vit la Sainte Trinité, et au même [245] temps, elle vit la miséricorde qui rendait mille Actions de grâces au Père de ce qu’il avait donné son Fils, et au Fils de ce qu’il avait tant et tant souffert pour les hommes, et au Saint Esprit de ce qu’il avait été opérateur de tant de mystères. Mais la justice était derrière, qui marchait gravement avec une grande beauté et majesté et n’était suivie que d’un sergent, qui était la mort temporelle et éternelle.

Un jour, une certaine fille étant retombée dans un péché mortel auxquels elle était sujette, la sœur Marie qui la connaissait particulièrement, venant à le savoir, se sentit animée et possédée de la divine Justice et au même temps elle la va trouver et lui parle en cette façon d’une voix forte et terrible et étant toute embrasée du zèle de la divine Justice : « Va, misérable que tu es, je te déclare que si tu retombes encore une fois dans ce péché, il n’y aura plus de miséricorde pour toi : tu seras damnée éternellement sans rémission, et si la miséricorde de Dieu te voulait [245v] pardonner, je m’y opposerai et descendrai avec toi en enfer et y demeurerai éternellement plutôt que de souffrir que tu en sortes. » Ce n’était pas elle qui parlait, mais la justice de Dieu qui quitta la sœur Marie après avoir dit cela par sa bouche.

Étant revenue dans son état ordinaire elle se jette au pied de cette fille et lui demande pardon de ce qu’elle lui a dit : « Ha ! dit la fille en pleurant, ce n’est pas vous qui avez parlé, mais c’est Dieu. Je suis damnée, car je ne pourrai jamais m’empêcher de retomber dans ce péché. » Cependant la sœur Marie pria Notre Seigneur pour elle avec tant d’instances qu’elle lui obtint une grâce efficace qui l’empêcha de retomber et en effet depuis ce temps-là elle ne commit aucun péché mortel, et elle mourut en la grâce de Dieu. Mais elle a été fort longtemps en purgatoire et y a terriblement souffert.

Section 1. La divine Justice est la plus belle des divines perfections.

Il est vrai que les divines perfections [246] considérées en elles-mêmes, n’ont point ni de plus ni de moins et qu’elles sont aussi excellentes les unes que les autres et égales en toutes choses. Mais si on les regarde dans leurs effets, l’on verra qu’elles se surpassent les unes les autres en certaines choses, car autres sont les effets de la sainteté, autres de la bonté, autres de la puissance, etc. Ainsi la miséricorde surpasse toutes les autres divines perfections quant à l’étendue de ses opérations, selon ces divines paroles : Miserationes ejus super omnia opera ejus451. Parce que les opérations de la miséricorde s’étendent partout : au ciel, en la terre et même dans les enfers. Mais la divine justice excelle en beauté par-dessus toutes les autres parce que c’est elle qui détruit le péché qui est une laideur infinie. C’est ce que Dieu a fait connaître à la sœur Marie en plusieurs occasions dont nous rapporteront ici quelques-unes.

L’an 1644, le 18 octobre, contemplant la beauté de la divine Justice, elle disait à Notre Seigneur que c’était la plus belle de ses perfections, mais pour [246v] l’animer et embraser davantage en l’amour de la justice, il lui répondit que c’était la Miséricorde qui était la plus aimée et la plus désirée de tous.

« N’importe, répliqua-t-elle, c’est la Justice qui est la plus belle. Je vous assure que j’endurerais autant de fois la mort, s’il se pouvait, que j’ai de gouttes de sang, pour soutenir cette vérité : que votre justice surpasse en beauté toutes vos autres perfections. »

Enfin il lui avoua qu’elle avait raison et la Sainte Vierge lui dit que la définition de la justice, c’était la beauté, parce qu’elle détruit toute laideur qui est le péché. Et la même Justice vint, qui lui donna ce verset : Dilexisti justitiam et odisti iniquitatem : propterea unxit te Deus, Deus tuus, oleo laetitiae prae consortibus tuis452.

Et elle dit : « Puisque vous m’aimez tant, je vous donnerai un baiser par lequel je vous imprimerai une image et une participation de ma beauté. » Depuis elle reçut l’effet de cette promesse, qui fut une grande haine du péché, laquelle passa jusqu’aux sens. [247]

Section 2. Son grand amour envers la divine justice.

En la même année, le 19 octobre, étant aux Complies aux Jacobins dans la chapelle du saint Rosaire, la divine Justice lui vint en mémoire. Elle l’adora et la remercia de toutes les faveurs qu’elle lui avait faites.

« Que demandez-vous ? dit la même Justice.

– Je n’ose rien vous demander de peur de vous déplaire.

– Demandez et vous recevrez.

– Je vous demande une quittance pour quelqu’un qu’elle nomma.

– Oui, dit-elle, je vous la donnerai, mais il faut qu’il lui en coûte quelque chose. »

Elle453 ajouta : « Disposez-vous, je veux venir demeurer avec vous.

– Vous avez demandé : avec moi ?

– Je veux demeurer avec vous.

– J’aime ceux qui m’aiment, c’est une chose bien rare de m’aimer uniquement et sans crainte. Les bons me craignent et les méchants me haïssent, disposez-vous.

– Je ne sais aucune disposition.

– Levez-vous, dit la divine Justice, comme une belle Aurore qui appelle le soleil. » [247v]

Le même jour, au soir, étant toute ravie et transportée, parlant à M. Le Pileur, elle dit merveilles de la divine justice et de sa beauté, parce qu’elle ne tend qu’à détruire le péché, contre lequel elle a une haine presque infinie. Elle lui disait que si Dieu lui avait donné le même sentiment qu’elle portait de la beauté de la divine justice, il le ferait beau voir, et qu’il ne prêcherait autre chose que la justice et contre le péché, et qu’il oublierait toutes ses autres prédications et qu’il n’en ferait point d’autre que celle-là et que le temps viendra, après une crise universelle qui doit arriver, qu’il n’y aura plus que la justice en terre, et que le péché en sera banni : « Ô ! disait-elle, qui pourrait être en vie pour lors : si on faisait la guerre au péché pour l’exterminer du monde et que Dieu eût mille paradis pour me donner, je les quitterais, disait-elle, pour venir combattre ce monstre » ; mais qu’elle voudrait être des premiers à le faire mourir avec cruauté, tant elle le hait ; et que s’il [248] ne pouvait être puni que dans elle, elle s’offrirait à endurer toutes les peines imaginables. Elle expliqua plusieurs beaux versets de David qui parlent de la justice. Pour conclusion, elle disait que l’on ne peut parler que de ce que l’on aime : « J’aime la justice il y a fort longtemps. Si les hommes me voulaient empêcher de la trouver belle à cause de ses rigueurs, ils ne sauraient : c’est une impression que j’ai, qui ne vient point de moi. »

Le 20 octobre 1644, la Justice la regarde et lui dit : « Ce n’est pas sans sujet que vous m’aimez, parce que je suis votre mère qui vous ai donné mes mamelles, qui sont meilleures que le vin. » Et elle lui fit entendre que ses mamelles sont les souffrances par lesquelles elle aide au salut des âmes, lesquelles ne servent qu’à ceux qui les reçoivent. [248v]

Section 3. Les différents effets de la miséricorde, de la charité et de la justice.

Dieu voulant faire voir à la sœur Marie les diverses voies de sa miséricorde, de sa charité et de sa justice, lui fit voir un jour trois grandes dames qui avaient chacune un petit enfant vêtu d’une belle robe.

L’enfant de la première étant allé jouer tomba dans la boue et gâta tout son habit. On le vient dire à la mère : c’est un enfant, dit-elle, il faut l’en excuser et laisser sécher sa robe, puis on la décrottera.

Le même étant arrivé à celui de la deuxième, elle prit une robe dont elle le revêtit par-dessus la sienne qui était toute couverte d’ordures et de boue. La même chose étant arrivée à la troisième, elle le dépouilla tout nu, lui lava sa robe et la rendit blanche comme auparavant, et avec cela elle lui bâilla le fouet bien serré.

La première dame qui dissimule [249] les péchés des hommes, c’est la miséricorde, la deuxième c’est la charité qui les couvre, la troisième, c’est la justice qui les purge et les efface en les châtiant. Outre cela, si vous voulez savoir la différence qu’il y a entre la justice et l’Ire de Dieu, voyez le chapitre.

Chapitre 7. De la force divine, de la patience et de la toute-puissance.

« Le propre de l’amour divin, dit la sœur Marie, c’est de charger toujours de peines et de souffrances, et le propre de la force, c’est de fortifier, de telle sorte que l’on peut dire : chargez, chargez, grâce à Dieu, nous en pouvons autant porter que Dieu en peut faire. » C’est ce qu’elle disait dans les tourments de l’enfer ; comme aussi le propre de la force, c’est de combattre fortement contre le péché et de tailler en pièces tous les péchés de la Terre. C’est pourquoi elle la voit toujours [249v] armée d’un coutelas, et un jour elle vit une multitude innombrable de mondes qu’elle taillait en pièces : c’était tous les péchés de la terre qu’elle doit anéantir au temps que Dieu a déterminé.

La patience divine est toujours paisible, douce et tranquille, et le propre de cette divine perfection est de faire souffrir tous les maux qui arrivent avec paix et tranquillité et de porter la personne qui souffre à regarder toujours bien fixement Dieu dans ces afflictions et à les prendre de sa main, et elle a coutume de donner cette instruction : « Il faut adorer la main de celui qui frappe et baiser les verges. »

Notre Seigneur dit un jour à la sœur Marie : « C’est fait, la divine Volonté a fait son œuvre, elle a fait tout ce qu’elle a voulu, elle s’en retournera bientôt au ciel et la toute-puissance viendra en place, qui fera connaître son œuvre. » [250]

Chapitre 8. La miséricorde, la patience et la bonté de Dieu sont lassées d’attendre les pécheurs.

Un jour la sœur Marie vit venir trois personnes du côté du Levant, toutes trois fort fatiguées et ayant chacune un bâton à la main qu’elles tenaient contre leur estomac sans s’en servir pour s’appuyer. La plus lasse, qui était au côté droit et allait plus devant, était la Miséricorde qui était si fatiguée qu’elle demeura en chemin. Celle d’après était la Patience, et celle de plus derrière était la Bonté. Elle lui dirent qu’elles étaient lassées d’attendre les hommes, et que les hommes au lieu de les venir trouver, s’amusaient à combler leurs mesures, et qu’elles s’étaient résolues de les venir trouver. Elles lui dirent aussi qu’elles ne se servaient point de leurs bâtons qui [250v] étaient jaunes de vieillesse, pour montrer que les pécheurs ont la parole de Dieu dans les deux Testaments, et néanmoins qu’ils ne s’appuient point sur elle pour faire ce qu’ils font. Notre Seigneur lui dit que pour aller quérir la Miséricorde qui était demeurée en chemin, il fallait lui mener un cheval, ce qui s’entendait d’une grande affliction qui lui arriva par après ; ensuite de quoi elle vit les trois mêmes personnes venir gaiement et avec des bâtons tout ronds sur lesquelles elles s’appuyaient fermement : pour montrer que les hommes se convertiront et s’appuieront comme il faut sur la parole de Dieu.

Chapitre 9. Notre Seigneur a donné trois armes à la sœur Marie, avec lesquelles elle a vaincu l’Ire de Dieu, sa toute-puissance et sa justice.

[251] L’an 1644, le jour de Noël, Notre Seigneur lui dit : « Tous ceux qui veulent faire la guerre à Dieu et en remporter la victoire, ont besoin de trois armes que je vous ai données. Les pécheurs font gloire de fouler au pied mes commandements, et l’Ire de Dieu ne manque pas d’en vouloir prendre vengeance et de les exterminer ; mais la personne armée de ces trois armes oppose à l’Ire de Dieu ma Passion et lui remontre qu’elle est plus que suffisante pour la satisfaction qu’elle demande : Copiosa apud eum Redemptio454. L’Ire de Dieu est comme forcée d’y acquiescer : alors la toute-puissance vient pour faire ce que l’on n’a pas fait, mais on lui oppose la connaissance de soi-même et on s’anéantit devant elle et on se cache dans le néant, tellement que la toute-puissance n’ayant plus contre qui combattre est obligée de s’en retourner. Ensuite de cela, la Justice se [251v] présente pour effectuer ce que les deux autres n’ont pas fait ; mais on lui oppose une grande haine du péché, laquelle coupe et sépare en deux le pécheur et le péché, et on représente à la Justice qu’elle n’a que faire au pécheur, sinon à raison de son péché, et que le péché n’y étant plus, le pécheur est une créature de Dieu qu’elle ne voudrait pas détruire. Mais pour le péché, il est raisonnable de lui faire la guerre à outrance. Et en effet le pécheur se met et se range de son parti à cette fin et déclare hautement qu’il le hait et le déteste, et ainsi la Justice se trouve satisfaite : c’est avec ces trois armes que la sœur Marie a vaincu Dieu et tué le péché.

Outre ce qui est rapporté dans le livre des divins attributs455 on trouve encore en divers endroits de ses écrits plusieurs belles choses sur ce sujet, spécialement sur la divine Volonté, sur l’Amour divin, sur la charité divine, sur la Justice et sur l’Ire de Dieu qu’il a fallu mettre en lieux qui leur étaient plus propres que celui-ci. [252]

Chapitre 10. De Notre Seigneur Jésus-Christ.

Comme une fois Monseigneur Auvry, évêque de Coutances, s’habillait pour célébrer la sainte messe et que les deux aumôniers laidaient à se revêtir, Notre Seigneur dit à la sœur Marie que c’était ainsi que le Père et le Saint-Esprit avaient coopéré avec Lui pour le revêtir de son humanité, et que Lui seul en était demeuré revêtu.

Au commencement, elle allait chercher Notre Seigneur dans le ciel quand elle le voulait adorer et prier, mais Il lui dit qu’Il était dans son cœur et qu’il n’était pas nécessaire de L’aller chercher si loin, qu’elle était semblable [203] à une femme qui va chercher son mari à la ville et il est dans son cabinet ; elle ne savait pas qu’il y fût, mais il y était pourtant.

Il lui a commandé absolument et plusieurs fois de l’appeler son époux. Si elle l’appelle [252v] autrement, comme : « Dieu tout-puissant », Il lui tourne la tête et ne lui dit rien, et Il veut que toutes les fois qu’elle l’appelle Jésus, elle ajoute : « Mon époux », comme lorsqu’en l’Ave Maria elle vient à ses paroles : Benedictus fructus ventris tui, Jesus, elle ajoute toujours : Sponsus meus.

Un jour, comme elle lui parlait et que suivant ce commandement elle l’appelait son époux : « Vous êtes bien hardie de m’appeler votre époux.

– Point tant hardie, lui dit-elle, attendez un peu, je vous en prie, je m’en vais vous montrer comme vous m’avez épousée en la croix. Les coups de marteau étaient les violons des noces ; le fiel était le vin du banquet nuptial ; les blasphèmes étaient les paroles de récréation et ainsi du reste. Eh bien ! N’est-il pas vrai que vous êtes mon époux ?

– Vous avez raison, dit Notre Seigneur. C’est là que je vous ai épousée et toute la nature humaine. »

L’an 1645, le neuvième de février, Notre Seigneur lui dit [253] pendant qu’elle était à la messe : « à ceux qui me donnent leur terre roturière sujette à de grandes redevances avec une pauvre maison et cinq chétives cabanes qui y sont, sans y plus rien prétendre, je leur donnerai une terre noble avec cinq châteaux et un beau Louvre tout doré. » C’est-à-dire qu’à ceux qui lui donnent leur humanité sujette à de grandes misères, avec leur esprit qui est la maison, et les cinq sens qui sont les cabanes, Il leur donne son humanité et ses cinq sens et sa divinité.

Section 1. Trois cœurs de Notre Seigneur Jésus-Christ. Rosaire en l’honneur de son saint nom.

L’an 1646, dans l’octave de la fête du saint rosaire, Notre Seigneur dit à la sœur Marie qu’Il avait trois cœurs : « Le premier, dit-Il, est l’amour et la charité qui m’ont fait descendre du ciel. Le deuxième qui procède du premier, est ma Passion, et le troisième qui [253v] procède du second, c’est le Saint Sacrement. » Il lui dit aussi que ces trois cœurs n’en sont qu’un, et qu’aux uns il donne le premier, qui est l’amour et la charité, aux autres le deuxième, qui sont les souffrances, aux autres le troisième, qui sont les consolations.

L’an 1645, le 14 janvier, jour auquel on fait la fête en plusieurs lieux du saint nom de Jésus, Notre Seigneur fit dire un rosaire à la sœur Marie en cette manière : à la croix, Il lui fit dire dix fois Fiat voluntas tua ; aux grosses marques, une fois Gloria Patri, etc., sicut erat, etc. ; et aux petites : « Ô bon Jésus, soyez moi Jésus », et ensuite Il lui fit entendre qu’Il lui faisait ainsi dire ce rosaire parce que c’était par la divine Volonté que Jésus était Jésus, et que réciproquement Il était Jésus c’est-à-dire qu’Il s’était incarné, qu’Il avait souffert, qu’Il était mort et ressuscité, afin de réduire toutes choses sous l’empire de Sa divine Volonté, comme aussi pour glorifier et faire glorifier parfaitement la très simple volonté de Dieu. [253456]

Chapitre 11. De la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est son âme qu’Il met entre les mains de son Père. Son grand amour vers elle.

Le Fils de Dieu parlant une fois à la sœur Marie de sa Passion, Il lui expliqua ces paroles qu’Il dit en mourant : Pater, in manus tuas commendo spiritum meum457 en cette manière : « Voici, lui dit-il, un secret que j’ai à vous dire : ma Passion, c’est mon âme et mon esprit. C’est pourquoi quand je dis ces paroles à la Croix : Pater, in manus tuas..., J’entendais par mon esprit ma Passion, laquelle en mourant et en la quittant, Je la mis entre les mains de mon Père, afin qu’Il la distribuât après ma mort à tous mes enfants, spécialement à mes saints martyrs, et quand Je baissais la tête vers la Terre, c’était [253v] pour montrer aux fidèles le lieu où j’ai souffert, et qu’il faut qu’ils y souffrent aussi. »

La sœur Marie l’a vu souvent comme tout enivré d’amour pour Sa Passion et l’a entendu parlant ainsi : « Ô mon âme, ô ma gloire, ô mon trésor, vous êtes ma joie et mes délices, vous êtes mon cœur et mon amour », et plusieurs autres choses semblables.

La sœur Marie demanda à la Sainte Vierge : « Je ne sais à qui Il parle.

– Laissez-le dire, répondit-elle, Il est ivre de son amour divin, et sachez que toutes les fois qu’Il parle ainsi, c’est de sa Passion qu’Il parle. »

Une autre fois, je l’entendais disant : « Il est vrai que Je me suis enivré de mon divin Amour, lorsque Je suis descendu du ciel et que J’ai fait et souffert des choses si étranges pour des personnes si indignes et si ingrates. »

Un jour, comme elle était dans l’église, « Il me dit : “Je vous donnerai un baiser de mon humanité souffrante”, et en [254] même temps je commençai à souffrir extrêmement, et mon mal crut toujours trois jours durant, et comme je Lui disais qu’il ne s’amendait pas : “C’est signe, dit-il, que Je suis plus malade que vous, puisque non seulement il ne vous est pas amendé de vous être approchée de moi, mais qu’il vous est empiré.” »

Section 1. La Passion de Notre Seigneur est l’estomac de la gentilité, de l’hérésie et de l’Église, pour digérer et consumer leurs péchés.

Un jour la sœur Marie voyait Notre Seigneur qui regardait toutes les nations et parlant premièrement à la nation païenne, Il lui dit : « Ô pauvre et misérable, que dites-vous de votre estomac ? – Je n’en dis rien, mon Créateur. » [254v] Puis parlant à la troupe des hérétiques, Il dit : « Ô pauvre, que dites-vous de votre estomac ? – Je n’en dis rien, mon Sauveur. » Enfin Il s’adressa à l’Église catholique et lui parla en cette sorte : « Ô effrontée, gaillarde, que dites-vous de votre estomac ? – Je n’en dis rien, mon époux », répondit-elle. La sœur Marie s’étonna de ce qu’Il parlait ainsi. Mais Il lui dit qu’Il l’appelait comme cela, parce que c’est son épouse qui se prostitue au péché et qui est si effrontée que de le commettre en sa présence et devant ses yeux.

La gentilité458 le nomme son Créateur, parce qu’elle n’a rien de lui que la création. La troupe des hérétiques l’appelle son Sauveur, parce que les petits-enfants des hérétiques sont en état de salut. L’estomac des païens, hérétiques et mauvais catholiques, c’est la Passion de Notre Seigneur, d’autant que c’est par elle que tous les péchés du monde seront digérés et consumés. Toutes les trois répondent qu’elles ne disent rien de cet estomac c’est-à-dire de la Passion du Fils de Dieu. Cette Passion et cet estomac n’est autres que la sœur Marie, [255] laquelle, par ses souffrances, a satisfait à la Justice de Dieu pour tous les péchés des hommes.

Durant que la sœur Marie était en enfer, lorsqu’elle mangeait, il lui fallait toujours prendre quelques grains de poivre avec son pain, afin de lui aider à faire la digestion, et lorsqu’elle oubliait d’en prendre, elle était obligée de se provoquer à vomir ce qu’elle avait pris, car il demeurait glacé dans son estomac et se convertissait en pourriture et lui causait de grandes douleurs, tant elle avait l’estomac froid et débile. Mais Notre Seigneur lui commanda de mettre trois gouttes d’eau dans un peu de cidre, ce qu’ayant fait et ayant bu cela, son estomac fut tellement fortifié qu’elle n’eut plus besoin de poivre pour digérer ce qu’elle mangeait. Ces trois gouttes d’eau signifient, ainsi que Notre Seigneur lui fit entendre, qu’Il avait pris les trois puissances de son âme, avec toute leur suite, qui est composée des passions et des sens, pour faire la digestion des péchés du monde. C’est pourquoi Notre Seigneur l’appelle l’estomac des gentils, des [255v] hérétiques et mauvais catholiques. Mais il faut remarquer que cette froidure et débilité qui lui fut ôtée alors par les trois gouttes d’eau, lui fut rendue par la poire d’angoisse dont il a été parlé au chapitre 8 du livre 2.

Section 2. Ce que la Passion est à Dieu, aux hommes et au péché.

Un autre jour, elle vit Notre Seigneur étant tout ravi à soi-même, et parlant à sa Passion, [qui] disait : « Ô mon épouse, qu’êtes-vous à mon Père ? Vous êtes sa gloire. Ô qu’êtes-vous à ma mère ? Vous êtes sa crosse, car ma mère est l’abbesse de toutes les religieuses c’est-à-dire les âmes. Elle n’avait point de crosse, mais vous êtes sa crosse avec laquelle elle les attire à Dieu. Vous êtes à moi-même mon cœur et mon trésor, dans lequel Je prends de quoi payer toutes les dettes des hommes, et duquel Je tire tous les dons que Je fais. Qu’êtes-vous aux hommes : vous leur êtes une échelle par laquelle ils montent [256] aux cieux. Vous êtes au péché une flèche empoisonnée qui lui transpercera le cœur et le fera mourir. »

Une autre fois, Notre Dame lui dit que sa messe était la Passion de son Fils, et que souffrir avec son Fils était être à la messe. Elle lui dit cela parce qu’elle avait une dévotion spéciale d’assister aux messes qui se disent en l’honneur de la Sainte Vierge. Dans une autre occasion, la sœur Marie entendit la même Passion qui disait en chantant à la sainte Trinité : Fulci me floribus quia amore langueo, c’est-à-dire « donnez-moi des âmes, car je languis d’amour pour elles ».

Section 3. L’abjection de Jésus-Christ est une fontaine de lumière, et sa Passion est une fournaise d’amour.

Un certain ayant fait quelques demandes [256v] à Notre Seigneur par l’entremise de la sœur Marie, touchant ses humiliations et sa Passion, Il fit cette réponse : « Dites-lui que Je lui envoie trois belles paroles : la première est que J’ai fait une fontaine de lumière de mes humiliations et de mon abjection : ceux qui s’en approcheront pour en boire deviendront fort lumineux. La deuxième : ma Passion douloureuse est une fournaise ardente d’amour divin ; ceux qui s’en approchent sont consumés en eux-mêmes par mon amour divin, transformés en moi et enfin déifiés. La troisième : ceux qui boivent à ma fontaine et qui se chauffent à ma fournaise, je reçois toutes leurs bonnes pensées, paroles et actions comme autant de pierres précieuses, et j’en fais une belle couronne que je pose sur ma tête. Quand ils seront anéantis en eux-mêmes, ils seront couronnés en moi et moi en eux. »

Il est parlé de la Passion du Fils de Dieu en beaucoup d’autres endroits de ces écrits, mais spécialement au chapitre 9 du livre 3 où vous verrez en la section première comme elle [257] est l’âme et le cœur de la sœur Marie et en la section 2 de quelle façon elle a été couronnée en elle.

Chapitre 12. Du très Saint Sacrement de l’autel. Comme elle le salue. Elle y trouve tous les saints.

Notre Seigneur lui a enseigné d’adorer la très sainte Trinité dans le Saint Sacrement en cette manière : Adoramus Patrem et Filium cum Sancto spiritu. Laudemus et super exaltemus eum in secula, Gloria Patri, etc., tout au long. Puis elle dit : Adoramus te, Christe, et benedicimus tibi, quia per sanctam crucem tuam redemisti mundum. Qui passus es pro nobis ; bone Jesu miserere nobis459. Et elle dit cela pour adorer l’âme sainte du Fils de Dieu, car en adorant la très sainte Trinité, elle adore la Divinité. [257v] Après cela, elle adore et salue son humanité en disant l’Ave Maria tout du long, car l’humanité de Notre Seigneur n’est qu’une même chose avec la Sainte Vierge.

Quand elle a quelque prière à faire aux saints, ordinairement elle les va trouver dans le Saint Sacrement. Témoin, ce qui lui arriva une fois en la fête de Saint-Denis dans l’église cathédrale, où étant devant le Saint Sacrement et voulant prier ce grand saint, elle demanda à Notre Seigneur par un mouvement extraordinaire : « Saint Denis est-il là ? » « Oui, dit le Fils de Dieu, le voici ; que lui voulez-vous ? » Ensuite de quoi elle lui fit la prière qu’elle lui devait faire et Il l’exauça.

Quelqu’un ayant demandé à la sœur Marie s’il était nécessaire quand on veut prier la Sainte Vierge de l’aller chercher dans le ciel et si l’on pouvait la regarder dans le Saint Sacrement et partout où est son Fils : tout de même, dit-elle, qu’une personne vivante ne peut pas être sans son cœur, mais est partout avec lui, ainsi assure la Sainte Vierge : [258] « Je ne puis pas être sans mon Fils qui est mon cœur. Je suis toujours avec Lui en quelque lieu qu’Il puisse être et on n’a que faire de m’aller chercher ailleurs. »

Section 1. Le paradis terrestre qui est le Saint Sacrement de l’autel.

L’an 1645, le douze janvier, Notre Seigneur et Notre Dame étaient dans un jardin dont il sera parlé au livre 9 chapitre 7, qui s’appelle le jardin de Jésus et Marie ou le jardin des contemplatifs460, qui est joint avec celui dont nous allons parler, n’y ayant que la haie entre-deux. La sœur Marie était avec Notre Seigneur et sa sainte mère qui la firent passer avec eux du jardin des contemplatifs dans celui que nous allons voir, Notre Seigneur la portant sur son bras gauche comme une enfant. Ce jardin dans lequel ils passèrent fut nommé par Notre Dame le paradis terrestre, qui est le Saint Sacrement. [258v] La sœur Marie n’en peut comprendre la grandeur ; mais voyez comme elle le dépeint.

La porte est de fin or pour [montrer], ainsi qu’on lui a expliqué, que ceux qui sont dans le Saint Sacrement sont déifiés ; car on reçoit Notre Seigneur en soi par la communion, mais on est reçu en Lui par la déification, et c’est ce qui est signifié par ce jardin dans lequel entrent ceux qui sont déifiés. Aussi y a-t-il écrit sur la porte : « Il n’entre ici que des rois, c’est-à-dire des personnes revêtues de la royauté et des divines qualités de Jésus par une parfaite transformation et véritable déification. » Près de la porte du jardin il y a une table ronde de jaspe, qui représente le cœur de Notre Seigneur. Les anges mirent dessus un doublier461 qui représente le cœur de Notre Dame. Sur le doublier ils mirent un beau pain blanc qui représente la Divinité de Notre Seigneur. Autour du pain, ils mirent trois coupes d’or qui représentent les trois puissances de son âme. Autour des trois coupes cinq vases de cristal qui représentent les cinq sens intérieurs. [259] Autour des cinq vases, cinq autres de cristal, pleins de vin vermeil, qui représentent les cinq sens extérieurs. Aux deux côtés, deux vases de terre blanche pleins de vin blanc, l’un desquels bouillonnait, qui représente l’Irascible, et l’autre le Concupiscible.

Les divins attributs s’assoient à cette table. La divine Justice dit, parlant à Notre Seigneur de la sœur Marie : « Faites approcher cet enfant, et qu’on lui donne son repas. » Mais l’Amour divin dit : « Elle jeûne aujourd’hui. » Et la Volonté divine dit à Notre Dame : « Allez la mener au jardin : on lui donnera demain son repas. » Elle la mena à l’entour du jardin dont la clôture est de rosiers tous chargés de roses rouges et blanches. Le fond du jardin est tout semé de fleurs de toutes sortes et fort odoriférantes. Dans ce jardin il y a sept ceintures d’arbres.

La première est d’un arbre fort haut et droit, les fruits duquel sont gros comme des pains d’un sou, et comme de couleur de pourpre dont le goût est si délicieux que ceux qui en mangent [259v] meurent à tout autre goût du ciel et de la terre. Dans ce fruit il y a trois pépins qui se mangent insensiblement avec les fruits, et étant mangés, ils germent dans le cœur, y prennent racine et y fructifient. Ces trois pépins sont la force divine, la grâce divine, la patience divine. Manger ce fruit c’est désirer ardemment les souffrances. Notre Dame nomme cet arbre l’arbre de vie.

Les quatre ceintures suivantes sont de pommiers dont les pommes sont douces et amères, pâles d’un côté et rouges de l’autre, qui signifient mourir à soi pour vivre à Dieu.

La sixième ceinture est de palmes qui représentent la victoire. Au pied de ces palmes, il y a des vignes chargées de raisins dont on ne fait point de vin, mais qui contiennent toutes les délices du paradis, et dont un seul grain est capable de ressusciter les morts. Les raisins représentent les communions.

La septième ceinture est de sept cèdres, lesquels représentent la divine Volonté.

Au milieu du jardin [260] il y a une belle fontaine dont l’eau représente la Sapience divine, et de cette fontaine part sept ruisseaux qui sont les sept dons du Saint-Esprit, et chaque ruisseau va donner à chaque cèdre et arrose tout le jardin. à l’entour de la fontaine et des deux portes des ruisseaux, il y a des lys blancs qui représentent la pureté. Cela n’est point expliqué, mais il est aisé à conjecturer que ce n’est autre chose que l’état de la sœur Marie qui est écrit en tout ce jardin.

Section 2. Autre jardin du Saint Sacrement.

L’an 1646, le dixième de septembre, comme la sœur Marie était à une messe haute qui se disait devant Notre Dame du Puits, la Sainte Vierge lui dit : « Suivez-moi ! » Et à l’instant elle se trouva dans un grand jardin carré, lequel était fermé d’une grande haie d’épines noires. Au-dedans, tout autour du jardin, il y avait une double haie de rosiers chargés de roses. Auprès, il y avait tout alentour un grand [260v] bordage462 tout rempli de toutes sortes de belles fleurs bien épanouies et bien odoriférantes. Le fond du jardin était tout d’argent poli. Aux quatre coins, quatre belles fontaines d’eau vive, et au milieu une belle fontaine d’or, laquelle était enchâssée dans de l’or, où il y avait deux grands tuyaux, dont l’un jetait le vin, droit en haut, et l’autre était recourbé en bas, et le vin tombait en plusieurs bassins d’or qui étaient autour de la fontaine. Les quatre fontaines d’eau vive envoient chacune un ruisseau qui se vont communiquant l’un l’autre en forme de croix, faisant un doux murmure qui compose une musique fort agréable. Puis après s’être communiqués, il se viennent tous rendre autour de la fontaine du milieu et lui demandent de son vin, et la fontaine libérale abaisse tous ses bassins et verse tout son vin dans ces quatre ruisseaux qui s’en vont ainsi, chargé de vin, à leur fontaine, dans le même ordre qu’ils sont venus, chantant toujours très mélodieusement. Ces quatre fontaines, après avoir reçu ce vin, renvoient derechef [261] leurs ruisseaux d’eau pour demander encore du vin, ce qu’elles continuent toujours de faire, et elles ont chacune un tuyau d’argent par le moyen desquels, elles communiquent l’eau et le vin mêlés ensemble à ceux qui sont hors du jardin.

Outre cela, elle vit des enfants vêtus de blanc âgés de cinq-six ans et une dame qui les conduisait. Cette dame s’en alla cueillir des roses et de toutes sortes d’autres fleurs, les effeuilla et les mêlant toutes ensemble, en remplit les devanteaux463 de ces petits enfants.

Elle vit aussi trois chaires d’or qui étaient posées devant la fontaine de vin, et les trois divines personnes qui se promenaient dans ce jardin vinrent s’asseoir dans ces trois chaires464, et ces petits enfants allaient jeter à leurs pieds toutes les fleurs qu’ils avaient dans leurs devanteaux. Au même temps Notre Seigneur parut, revêtu d’une belle robe de fil d’argent et d’une chape par-dessus de couleur de pourpre, si chargées de pierres précieuses qu’on ne voyait presque point le fond, car la pourpre et les pierres précieuses ensemble [261v] jetaient un éclair si brillant que la vue en [était] éblouie. La doublure de cette chape était de drap d’or. Il avait à son côté un beau jeune homme revêtu d’une robe de soie bleue avec une ceinture de lames d’or à trois couplets465, où il y avait enchâssé tout alentour un rang de pierres précieuses, de même que celles de la chape de Notre Seigneur. Le Fils de Dieu tenait à sa main un encensoir d’or plein de toutes sortes d’odeurs aromatiques dont Il vint à encenser avec une très profonde révérence et soumission les trois divines personnes, et le jeune homme lui tenait la chape.

Elle vit encore de belles jeunes filles revêtues de toutes sortes de couleurs qui s’en allaient boire à la fontaine de vin, et Notre Seigneur leur disait : « Buvez et vous enivrez, il n’y a point d’excès. » Après cela tous ces personnages disparurent, et Notre Dame aussi qui les lui avait fait voir, si bien que la sœur Marie demeura toute seule près de la fontaine de vin. Mais Notre Seigneur lui parut derechef, revêtu de blanc avec le jeune homme revêtu de fin lin, et elle vit aussi un personnage revêtu [262] de noir, ayant un voile noir sur la tête, qui passait par devant elle. Elle demanda à Notre Seigneur qui était ce personnage qui passait.

Notre Seigneur répondit : « C’est votre esprit.

– Pourquoi est-il revêtu de noir en ce lieu-ci ? »

Notre Seigneur répondit : « C’est qu’il porte le deuil de ses frères qui sont morts. Il s’en va à son oratoire prier Dieu pour eux. »

Elle lui demanda aussi : « Qui est ce beau jeune homme revêtu de fin lin ?

Notre Seigneur répondit en souriant : « C’est l’honneur. »

Elle répliqua : « L’honneur de notre pays n’est pas fait comme celui-là ; il n’est pas si beau. »

Il répondit : « Il y a autant de différence entre l’honneur du monde et celui-ci, qu’il y a entre le vrai Dieu et les idoles. » Elle pria Notre Seigneur de lui donner une petite goutte de vin de cette fontaine et Il la rejeta en souriant ; et pourtant lui disant : « Retirez-vous d’ici », mais plus elle s’approchait de Lui.

Voici l’explication que Notre Seigneur lui donna de toutes ces choses : le jardin carré représente l’humanité sainte de Notre Seigneur contenue dans le Saint Sacrement de l’autel. Les épines noires qui ferment le jardin représentent les châtiments et les malédictions [262v] de ceux qui s’en approchent indignement. Les roses des rosiers représentent l’amour et la charité, et toutes les autres fleurs représentent les autres vertus qui sont renfermées dans le Saint Sacrement.

Le fond du jardin d’argent poli représente la pureté de l’humanité de Notre Seigneur. Les quatre fontaines d’eau vive représentent les quatre plaies des mains et des pieds ; la cinquième, de vin, représente la plaie du cœur, l’eau vive représente les grâces, dons et bénédiction que Notre Seigneur nous a mérités par sa Passion, et le vin représente le grand amour et la grande charité de Notre Seigneur. Le tuyau qui est en haut, c’est l’amour qu’il a pour son Père ; celui qui se recourbe en bas, c’est la charité qu’il a pour nous. Les ruisseaux d’eau demandent du vin pour enivrer d’amour et de charité ceux qui communient dignement qui sont hors le jardin c’est-à-dire tous les chrétiens qui ne sont pas dans la déification ; car il n’y a que ceux qui sont déifiés, qui entrent dans ce jardin ; ceux qui s’en approchent indignement ne trouvent que les épines [263] et les malédictions de Dieu.

Les enfants représentent les sentiments de ceux qui sont morts à eux-mêmes et qui ne vivent plus qu’en Dieu, l’amour les donne en pension à la grâce divine qui les conduit en toutes leurs actions. Cette dame va cueillir les fleurs et en remplit leur devanteaux, ce qui montre que la grâce leur fait pratiquer toutes sortes de vertus. Les aller jeter au pied des trois personnes divines, c’est faire toutes ses actions pour la seule gloire de Dieu et le salut du prochain.

Les trois chaises sont les trois puissances de l’âme de Notre Seigneur où les trois personnes divines se vont reposer. Le fil d’argent de la robe de Notre Seigneur représente la pureté de son humanité. La couleur de pourpre de sa chape représente la Passion. Les pierres précieuses sont les prophéties qui ont été dites de Lui. Le drap d’or dont la chape est doublée, c’est l’amour et la charité avec laquelle il a souffert sa Passion.

L’encensoir d’or, c’est son cœur ; les odeurs aromatiques sont les grands et fervents [263v] désirs qu’Il a d’augmenter la gloire de son Père et de procurer le salut des âmes.

Les jeunes filles sont les âmes de ceux qui sont morts à eux-mêmes et qui ne vivent plus qu’en Dieu. Notre Dame ajoute : « Ainsi se doit entendre ce que mon Fils a dit en l’Évangile : celui qui perd son âme la trouvera. » À l’instant qu’ils expirent, l’Amour divin les reçoit et les donne en pension à Notre Dame qui embellit leurs âmes et qui les enrichit comme les épouses de son Fils. Les diverses couleurs de leurs habits représentent les vertus différentes que chacune pratique en particulier. Celles qui excellent en la pénitence sont vêtues de gris ; celles qui excellent en la pureté sont vêtues de blanc, en la charité de rouge, en l’humilité de violet, et ainsi des autres. Toutefois les filles vont boire à la fontaine de vin, c’est-à-dire qu’elles ne vivent plus que d’amour et de charité. Les frères de ce personnage vêtu de noir sont les âmes mortes par le péché. L’habit noir représente la peine due à leurs péchés, dont il est chargé. Son oratoire, c’est son [264] corps, et ses prières sont ses souffrances. Tant plus que Notre Seigneur la rejetait, tant plus elle s’approchait de Lui, ce qui signifie que plus il semble rejeter les âmes qu’il aime, plus il les attire à soi, et plus elles s’approchent de Lui.

Section 3. Comme il faut exposer le Saint Sacrement.

L’an 1652, le douze février, le Saint Sacrement ayant été exposé par les missionnaires à la fin de la mission en la Quinquagésime et aux deux jours suivants, la sœur Marie parla à celui qui avait soin de la mission de cette façon : « Notre Dame me commande de vous dire ceci : c’est une grande chose de faire les quarante heures et d’y exposer le Saint Sacrement ; mais il faut bien prendre garde de ne l’exposer pas, ou si on l’expose, de le faire avec tout l’honneur et la révérence que l’on peut. Si l’un des amis du roi l’invite de venir dîner dans sa maison, il doit le recevoir avec tout l’appareil possible et le traiter dignement ; [264v] premièrement, il faut exposer le Saint Sacrement au matin et le resserrer au soir, avec toute la révérence possible, en chantant quelque chose en son honneur, comme l’on a coutume de faire. Deuxièmement, si cela se peut, il est bon de dire une messe haute en chacun des trois jours, pour le moins au premier et au dernier, et ce avec grande célébrité et dévotion et y inviter le peuple, et que la messe, au premier et au troisième jour, soit du Saint Sacrement, si ce n’est que cela se fasse en quelque fête solennelle qui oblige d’en dire une autre. Outre cela, pendant que le Saint Sacrement est exposé, il faut qu’il y ait toujours deux prêtres avec leur surplis, ou du moins un, à Lui présenter des adorations, louanges et bénédictions et prières, excepté pendant qu’on célèbre les messes ou que l’on chante l’office divin. Et voilà les mets délicieux dont le roi se repaît. Lorsqu’on le traite ainsi, il entend toutes les requêtes de ceux qui [265] l’ont invité et qui lui ont préparé un tel festin en la manière qu’il sait être la plus convenable pour sa gloire et pour leur salut. »

Chapitre 13. De la communion et de la confession.

Durant les cinq premières années de la possession par les malins esprits que la sœur Marie était en liberté de communier, quand elle s’approchait de la sainte table, elle en sortait tellement enflammée, embrasée et enivrée de l’amour de Dieu, et tellement ravie et transportée hors de soi-même par l’abondance des douceurs et consolations célestes, que quoiqu’elle fût obligée par après de se trouver au milieu d’une troupe de serviteurs et de laquais, dans la maison où elle était logée, qui faisaient beaucoup de bruit, qui disaient mille sornettes, vilenies et saletés, et qui tenaient des [264v] discours conformes à des personnes de cette condition, cela néanmoins n’était pas capable de la distraire ni de la divertir un moment.

Mais depuis qu’elle a recommencé à communier, il n’en a pas été ainsi, car elle ne reçoit aucune consolation ni aucun effet sensible de la communion. Aussi lui a-t-on dit que ce n’était pas celle qu’on lui avait promis plusieurs fois de lui donner à la fin, mais qu’on lui permet de communier seulement pour empêcher le scandale et murmure que plusieurs commençaient à faire de ce qu’elle ne communiait point.

Un jour de Noël, ne pouvant communier, elle pria Notre Seigneur qu’il donnât à une certaine fille de sa connaissance et de ses amis les dispositions pour bien communier afin qu’elle communiât en sa place et pour elle : « Laissez à cette fille le fruit de ses travaux, nous sommes assez riches sans cela. Mais voici ce que [265] Je ferai au même instant que Je suis né en la terre, Je me communiquerai d’une manière particulière à tous mes saints qui sont dans le ciel pour vous, et ils communieront tous pour vous, et cet communion vous sera aussi avantageuse comme si vous aviez communié autant de fois qu’il y a de saints au ciel. »

Un jour, elle voyait Notre Seigneur qui comptait de très beaux écus de pur or. « Je Lui demandai ce que cela voulait dire, et il me répondit : vous êtes pupille, je suis votre tuteur. Votre héritage, c’est le Saint Sacrement que vous m’avez mis entre les mains, lorsque vous avez été privée de la sainte communion en choisissant la divine Volonté. Je fais valoir votre héritage et vous en garde les fruits, car Je communie pour vous, et tous les écus d’or sont les communions que vous auriez faites, et ils sont de pur or. Car les communions que Je fais pour vous sont toujours pures, ni ayant rien du vôtre, et à la fin Je vous rendrai votre héritage, car Je vous donnerai la communion et vous [265v] rendrai aussi tous les fruits de ce même héritage. »

Section 1. La sainte communion lui est rendue.

L’an 1649, au commencement du carême, Notre Seigneur lui ordonna de manger du pain blanc, contre son inclination naturelle, pour signifier et figurer la communion qu’elle devait faire à Pâques, et le pain des anges qu’elle devait manger.

Le mercredi de la semaine sainte, Notre Dame lui dit qu’elle communierait à Pâques. À quoi elle répondit : « Puisque cela est, je m’en vais le dire à mon directeur.

– Non, dit Notre Dame, ne lui dites pas encore ; car c’est la Justice divine qui a prononcé l’arrêt que vous communierez ; mais il faut que la divine Volonté le confirme avant que de dire à votre directeur, et ce sera l’amour divin qui l’exécutera. »

Le lendemain la Volonté divine le confirma et ensuite elle le fut dire à M. Le Pileur son directeur. Il est à remarquer que lorsqu’on lui ôta le pouvoir de communier, Notre Seigneur lui dit que si elle pouvait communier, elle tînt pour [267] certain que tout ce qui se passe en elle était faux ; et en effet, elle ne put communier jusqu’au temps qui était ordonné de Dieu. Et lorsque ce temps fut arrivé, Notre Seigneur lui dit que si elle avait la moindre difficulté du monde à communier, qu’elle tînt pour certain que toutes ces choses n’étaient que tromperies. Or elle communia sans aucune difficulté après avoir été trente-quatre ans ou environ sans pouvoir communier.

Elle dit que durant tout ce temps, quoiqu’elle eût toujours la volonté d’obéir à l’Église, néanmoins, elle avait tellement la volonté liée qu’il lui était impossible de vouloir communier et qu’elle n’était point libre en ceci non plus qu’en toute autre chose, car elle n’a pas la liberté ni de dire ni de faire, ni de vouloir, ni même de penser que ce qu’on lui donne. Voilà pourquoi elle dit souvent à Notre Seigneur : « En vous cherchant je me suis perdue », et Notre Seigneur lui répond quelquefois : « Eh bien avez-vous perdu au change ? Je me suis mis en votre place. » Et quand elle examine pour trouver en elle quelque péché, Il lui dit : « Me croyez-vous capable de pécher ? S’il y a du péché en vous, [267v] c’est moi qui l’ai commis. »

Section 2. Qui sont ceux qui peuvent communier souvent.

Une personne qui communiait trois ou quatre fois la semaine, craignant communier trop souvent, et s’étant recommandée aux prières de la sœur Marie, elle en parla à Notre Seigneur et voici ce qu’Il lui dit : « Toute âme qui est revêtue de la grâce divine est toujours disposée à la sainte communion, encore que ses sens ne soit pas revêtus de beaux habits de la dévotion sensible et de la consolation divine, mais qu’ils demeurent dans une grande sécheresse et pauvreté. »

Section 3. De la confession et comme elle purifie les âmes.

Il est rapporté dans la vie de sainte Catherine de Gênes, chapitre 4 de sa Vie, que se présentant [268] au sacrement de pénitence, elle disait à son confesseur : « Je voudrais bien me confesser, mais je ne peux voir aucune offense que j’ai faite », et qu’il ne lui était pas permis de voir les choses qu’elle disait en se confessant comme des péchés qu’elle eût pensés, dits ou faits, mais que c’était comme un petit enfant, lequel ayant fait quelque faute qu’il ne connaît point, ne laisse pourtant pas de rougir quand on lui dit qu’il a failli, non pas pour ce qu’il connaisse avoir mal fait, mais parce qu’on lui dit. « Je ne sais comment faire, disait-elle, pour me confesser ne pouvant dire que j’ai fait ou dit aucune chose dont je ressente remords à ma conscience. » Pour cette cause, elle demeurait confuse, parce qu’elle ne sentait ni voyait ni ne pouvait voir aucune partie en elle qui eût offensé Dieu. Ce sont les mêmes termes de l’auteur qui a écrit la vie de cette sainte, au lieu sus-allégué. Il en va de même de la sœur Marie : elle s’est examinée cent et cent fois, et elle s’examine encore souvent, afin de se confesser, et il lui est impossible de rien voir en elle dont elle puisse s’accuser comme d’un péché. [268v] Si on lui dit : « Confessez-vous des paroles oiseuses ou des distractions que vous avez eues en vos prières », ou d’autres choses semblables, elle le fait parce qu’on lui dit, mais non pas qu’elle connaisse avoir fait aucune faute en ces choses-là.

« Si, dit-elle, j’avais fait quelque péché dont j’eusse la connaissance, je le voudrais confesser publiquement et l’aller publier dans les rues au son du tambour afin d’en avoir une plus grande confusion et que cela m’aidât à en faire la pénitence et la satisfaction. »

Quelqu’un qui avait fait plusieurs confessions générales voulut néanmoins en faire encore une à M. Potier. La sœur Marie le sachant dit à la Sainte Vierge : « Mais pourquoi tant de confessions générales, puisqu’il en a déjà fait plusieurs ? » « Voyez-vous, dit Notre Dame, c’est comme une femme qui a du linge bien blanc dans son coffre, mais il lui prend envie de le rafraîchir en le mettant encore une fois à la lessive. » [269-270]

Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante.

Chapitre 1. La dévotion que la sœur Marie a eue pour la Sainte Vierge et qu’elle est la main de Dieu.

La sœur Marie a toujours eu pour la Sainte Vierge une dévotion extraordinaire. Aussi elle en a reçu des faveurs innombrables et inconcevables, ainsi qu’il se voit dans tous ses écrits466. Elle lui a commandé de l’appeler sa mère : ce qu’elle fait ; et quand elle parle à Notre Dame elle dit tantôt « ma mère », tantôt « votre mère ». [270v] Elle la voit souvent en esprit, toujours auprès de son Fils qu’elle porte perpétuellement dans son cœur, ainsi qu’il a été dit. C’est là qu’elle Le voit ordinairement, qu’elle parle et qu’elle entend parler le Fils et la mère. On lui a dit beaucoup de fois que l’œuvre qui se fait en elle, est tout à cette divine mère, que son Époux, qui est le Saint-Esprit ou l’Amour divin, le lui a donné, qu’elle en est la directrice et la gouvernante, qu’elle est la main de Dieu par laquelle Il opère cet ouvrage. Et c’est elle-même qui lui a dit ceci ; car l’an 1645, le 11 février, elle lui parla ainsi : « Je vous apporte de bonnes nouvelles : c’est que j’ai vu mon époux fermer les trésors de l’Ire de Dieu et en serrer les clés ; ils ne tomberont plus sur vous, l’heure est proche que je passerai ma main sur votre estomac pour vous guérir ; je suis la main et mon Fils est le bras. Pour faire cet ouvrage, il se sert de moi, comme le bras de la main pour faire ses actions. » [271]

Section 1. La Sainte Vierge la délivre de prison et est sa caution.

Nous avons vu ci-devant que depuis l’échange qui s’est fait de la volonté de la sœur Marie avec la divine Volonté, elle ne fait pas ce qu’elle veut ni même ne sort pas de la maison comme elle voudrait, ainsi qu’on a vu plusieurs fois par expérience. Mais entre autres, elle fut une fois trois ans sans pouvoir sortir de la maison où elle était ; car quand on la voulait faire sortir, elle tombait par terre comme morte et il était impossible de la remuer de la place. Mais au bout de trois ans, elle pria la Sainte Vierge de la délivrer de prison. Elle lui répondit qu’elle serait élargie à caution et que ce serait elle qui la cautionnerait et qu’elle aurait la ville pour prison, mais qu’il fallait que son image, qu’elle portait pour lors à son col, demeurât à sa place dans la maison, et qu’elle [271v] sortirait dans un certain temps qu’elle lui désigna, quinze jours auparavant ; ce qu’elle dit aux ecclésiastiques qui l’exorcisaient qui remarquèrent qu’en effet il était impossible de la faire sortir jusqu’à ce temps-là, et que le jour étant arrivé, qui avait été désigné par la Sainte Vierge, elle commença à sortir librement de la maison, et depuis ce temps-là elle est toujours sortie avec la même liberté, mais elle a été un temps sans pouvoir sortir de la ville, ainsi que je l’ai expérimenté, car un jour lui ayant dit qu’elle me suivît, dans le dessein que j’avais de la faire sortir hors de la ville, au premier pas qu’elle fit les esprits malins l’arrêtèrent, la faisant tomber par terre ; et comme je leur commandais au nom de Notre Seigneur, parlant en latin, de la laisser sortir, ils me répondirent en latin : Oportet obedire magis Deo quam hominibus467, c’est-à-dire qu’il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes. [272]

Section 2. Notre Dame lui prête son carrosse.

Un jour, dans un voyage qu’elle faisait à Notre Dame de la Délivrande avec plusieurs autres personnes de piété, se trouvant extrêmement lassée, Notre Seigneur lui dit : « Vous auriez bien besoin du carrosse de ma mère, demandez-le » « Je n’oserais le demander », lui dit-elle. « Je m’en vais le demander pour vous ». Ce qu’Il fit, et on le lui donna. Ensuite de quoi elle reçut une force si grande qu’elle marchait aussi vigoureusement que si elle n’avait point été lassée, car ce carrosse, qui est la force divine, lui était donné pour marcher quand toute la force naturelle venait à défaillir, mais toujours avec les mêmes sentiments de lassitude, comme si cette force ne lui eût point été donnée.

Un jour étant arrivée à l’hôtellerie, cette force la quitta et alors elle tomba à terre comme un sac mouillé et lorsqu’il fallut partir, elle entendit la force divine [272v] qui chantait sur le seuil de la porte. Et elle dit : « Menez-moi par-dessous les bras jusqu’à la porte » ; ce que l’on fit et alors la force commença de l’animer comme auparavant, et elle continua fort bien son voyage ; et prenant par la main une autre fille, toute faillie468 de cœur, elle reçut la même vigueur.

Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.

Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse469, travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter470 toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : [273] « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines. » Elle continue, fait la même plainte plusieurs fois et entend la même réponse. En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit : « Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il en sort du sang.

Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec colère : « Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle lui commanda d’essarter comme devant avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset : Sequar quocumque ierit. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant [273v] où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle.

Elle se trouva après cela au pied de l’arbre, près de la Sainte Vierge. Cet arbre émondé avait des rejetons de feuilles et elle se servait des estocs comme d’échelons pour monter. Quand au premier arbre, la Sainte Vierge lui bailla l’échelle qu’elle avait apportée, dont les échelons étaient de cordes et les deux côtés de bois, pour monter. Elles passèrent outre, et toujours la Sainte Vierge lui commanda d’essarter471. Elles arrivent à un arbre tout sec. La Sainte Vierge lui donna sa hache, et elle, avec sa bêche, commença à fouiller la terre pour découvrir les racines de loin tout autour, et lui commande de couper les racines avec sa hache. Quand elles furent coupées, la Sainte Vierge donna un coup de pied à l’arbre et le fit tomber, le sommet le premier, en bas, dans un profond abîme qui se trouva là. Elle demanda à la Sainte Vierge ce que voulaient dire toutes ces énigmes ; mais on ne lui a point expliqué. La sœur Marie dit que ce grand arbre signifie le Saint Sacrement, et un grand buisson de ronces qui étendait ses branches extrêmement loin, un grand seigneur très méchant qui avait des intrigues et correspondances fort éloignées. [274]

Section 4. Notre Dame lui commande de donner une aumône et lui rend peu après. La même Vierge donne des armes pour combattre et des prix à ceux qui vainquent.

Une pauvre fille qui avait une grande douleur à un genou, étant venue à Coutances pour y implorer le secours de la Sainte Vierge à son autel de Notre Dame du Puits qui est dans l’église cathédrale, et y ayant été délivrée de cette douleur, la même Vierge dit à la sœur Marie : « Prenez un quart d’écu d’argent de votre frère et le donnez à cette pauvre fille.

– Mais ne le dirais-je point à mon frère ?

– Non, car j’y pourvoirai. »

Elle le prend et le porte à cette pauvre fille, lui disant que ce n’était pas elle, mais une bonne dame qui lui faisait cette charité. [274v] Peu après, monsieur le curé de Saint-Malo vint voir la sœur Marie et lui donna un quart d’écu sans savoir rien de ce qui s’était passé et qu’elle lui demanda, car elle ne demande jamais rien à personne. Elle le prit comme étant envoyé de la Sainte Vierge et le mit en la place de celui qu’elle avait pris.

Un jour la sœur Marie s’en alla vers Notre Seigneur et ne trouvant point Notre Dame, elle lui demanda : « Où est ma mère ? »

Notre Seigneur lui répondit : « Elle n’est pas ici, elle viendra bientôt. » Deux ou trois jours après, elle la vit venir sur un char triomphant dans lequel elle était, et au-dessous de ce char [elle vit] des armes de toutes sortes.

Elle se tourna vers Notre Seigneur et lui dit : « Voici venir ma mère sur un chariot plein d’armes. Que veut-elle faire de cela ?

– C’est qu’elle va à la guerre.

– Qu’est-ce que cela qu’elle a sur ces armes sur quoi elle est assise ? » Car elle ne savait ce que c’était ni comme elle s’appelait.

« C’est un char triomphant » lui dit-il.

– Que veut-elle faire de ces armes ?

– C’est pour armer ses serviteurs afin de combattre contre le péché. » Elle en bâille aux uns d’une façon, aux autres de l’autre, aux uns d’offensives, aux autres de défensives. [275]

Outre cela, elle aperçut un gros paquet de petites clés d’or qu’elle portait à sa ceinture. « Que veut-elle faire de toutes ces clés ? » dit-elle à Notre Seigneur.

« Regardez autour d’elle quantité de petites armoires dans ce char triomphant. Voyez-vous, dit Notre Seigneur, ce sont les clés de toutes ces armoires qui sont pleines de quantité de prix tout différents qu’elle distribue à ses serviteurs quand ils ont combattu et remporté la victoire. »

Section 5. Notre Dame défend à un prédicateur de recommander un autel dédié à son honneur aux aumônes. Elle a un privilège : de sauver ceux qui la prêchent. Son humilité et sa charité.

[275v] Quelqu’un ayant à prêcher le carême à une certaine ville, la sœur Marie reçut commandement de Notre Dame de lui dire qu’on le prierait de recommander aux aumônes du peuple un autel qui a été dédié à son honneur dans l’église où il devait prêcher, mais qu’elle lui défendait de le faire, parce que les ecclésiastiques à qui cette église appartenait avaient assez de bien : « Je suis, dit la Sainte Vierge comme une reine qui a plusieurs enfants qui dissipent tous ses biens et qui aime mieux être pauvre et toute nue [plutôt] que l’on demande pour elle et que l’on fasse voir par là le vice de ses enfants. »

Elle a fait aussi connaître à la sœur Marie que Dieu lui a donné un privilège spécial : de sauver ceux qui la prêchent avec affection, ce qui est fondé sur ces paroles : Qui elucidant me, vitam aeternam habebunt472.

La sœur Marie ayant demandé longtemps le salut d’un certain religieux prédicateur sans pouvoir l’obtenir, un jour de la Conception Immaculée de la Sainte Vierge, elle assista à un sermon qu’il fit sur ce [276] sujet, dont elle fut ravie, et ensuite, étant animée d’un zèle extraordinaire pour le salut de ce religieux, elle s’en alla à la Mère de Dieu pour lui demander son salut en vertu du privilège qu’elle a de sauver ses prédicateurs.

« Mais que ferons-nous de telles ordes bêtes qui sont en lui ? », désignant certains péchés dont il était coupable. 

– N’est-ce pas vous qui devez écraser la tête du serpent ?, répliqua la sœur Marie. Vous écraserez sous vos pieds toutes ces ordes bêtes et les jetterez dehors. »

Enfin elle obtint ce qu’elle demandait et Notre Dame l’assura de son salut. Il mourut quelque temps après avec toutes les marques d’une heureuse mort.

Elle a connu un ecclésiastique qui prêchait la bonne Vierge avec une grande ferveur. Il était pourtant en état de perdition, parce qu’il possédait deux bénéfices incompatibles. Mais la Sainte Vierge le fit évêque pour lui ôter ses deux bénéfices ; puis étant évêque, elle le retira peu après de cette vie et lui procura son salut. [276v]

« Pensez-vous, dit un jour Notre Dame à la sœur Marie, que je prenne plaisir à tous les honneurs qu’on me rend par les églises qu’on me bâtit, par les images, confréries, autres vœux et autres choses semblables qui se font en mon honneur ? Non, mais je les offre à mon Fils à qui ils appartiennent, ne m’en réservant aucune chose, sinon que je m’en sers comme des hameçons que je jette dans la mer de ce monde, afin de prendre les âmes et de les attirer à Dieu, et quand j’en prends quelques-unes, j’en ai une très grande joie. »

Le 14 janvier 1646, la Sainte Vierge donnant un rosaire à dire à la sœur Marie, elle lui ordonna de dire sur les petites marques, la plus belle parole qu’elle ait jamais dite. « Quelle est-elle, dit la sœur Marie ? » « C’est celle-ci : Verbum caro factum est. Je ne l’ai pas dite de bouche, mais je l’ai dite par effet et par œuvre, c’est-à-dire que j’ai fait ce qui est contenu en ces paroles : Verbum caro factum est ».

Le Saint-Esprit a fait connaître à la sœur Marie que la très sacrée Vierge est notre mère nourrice, [277] parce que c’est par elle que Dieu nous a donné le pain de vie qui est le Saint Sacrement et toutes les grâces qui nous sont nécessaires et convenables pour la vie et pour le salut de nos âmes. C’est la trésorière de la Sainte Trinité, qui a tous les trésors de Dieu entre les mains pour les distribuer aux pauvres c’est-à-dire aux pécheurs. Entre plusieurs belles qualités et épithètes qu’elle donne à cette reine du ciel et terre, pour laquelle elle a des vénérations et dévotions indicibles, elle prend plaisir particulièrement à la nommer la bien aimée de Dieu.

Chapitre 2. De l’Ave Maria, du Saint Rosaire et du Saint Scapulaire.

Notre Seigneur a dit plusieurs fois à la sœur Marie que l’Ave Maria est la plus belle prière qui soit à l’Église. Et un jour, comme elle récitait le Rosaire, elle vit la divine Justice qui lui [277v] dit que la Sainte Vierge était le Paradis terrestre, que saint Gabriel avait été envoyé par la très Sainte Trinité pour y planter l’arbre de vie qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, que le Saint-Esprit y est venu pour le faire germer, croître et fructifier, et que les fruits de cet arbre étaient tous les mérites et mystères de toute la vie du Fils de Dieu, tous les sacrements de son Église, et généralement toutes les choses bonnes et saintes qui sont dans l’Église militante, souffrante et triomphante. D’ici on peut apprendre ce que c’est que l’Ave Maria, car c’est comme le pépin qui a produit cet arbre de vie : le pépin contient en vertu et puissance tout l’arbre, et l’arbre est le fruit du pépin, de sorte que l’arbre de vie est comme le fruit de l’Ave Maria. C’est pourquoi on dit à la sœur Marie que tous les fruits des grâces et des bénédictions que ce divin arbre a produit et produira en la terre, ce sont les fruits de l’Ave Maria, lesquels on offre à la très Sainte Trinité en le disant avec toutes les gloires et félicités du paradis, qui sont les couronnes de l’Ave Maria, et par conséquent c’est la plus belle prière qui soit dans l’Église, et même [278] qu’elle est plus belle que le Pater Noster ; car il est vrai que le Pater Noster a été composé par Notre Seigneur, mais l’Ave Maria a été composé et a été mis en la bouche de l’ange par la Sainte Trinité, joint que473 Notre Seigneur étant comme le fruit de l’Ave Maria, le Pater, qui est sorti sa bouche est aussi l’un des fruits de l’Ave Maria. La sœur Marie a dit que l’Ave Maria est le Cantique des Cantiques que la très Sainte Trinité a composé. Elle le disant ou oyant dire, elle considère la Sainte Vierge comme un beau vase d’or enrichi de pierres précieuses. En disant gratia plena, elle considère Notre Seigneur remplissant ce beau vase de toutes sortes de grâces, et à ces paroles, Dominus tecum, elle se représente Notre Seigneur se donnant à la Sainte Vierge comme source de grâce.

Elle a une dévotion tout extraordinaire au Saint Rosaire et on peut dire que c’est sa plus grande dévotion. Pour l’ordinaire, on lui commande de le dire tous les jours et quelquefois plusieurs fois par jour, [278v], mais elle demande souvent qu’on lui permette d’en dire encore davantage, et elle dit que quand Notre Seigneur lui permet de dire un Rosaire, il lui fait autant de faveurs que lorsqu’on donne une prébende à quelqu’un qui la désire extrêmement. Ce n’est pas qu’elle trouve de la consolation et de la douceur à le dire, car au contraire, d’ordinaire elle y sent une très grande répugnance, ayant le cœur plein de sécheresse et l’esprit de distractions, et même les démons lui mettent quantité de méchantes imaginations dans l’esprit et lui empêchent les organes, en sorte qu’elle ne peut prononcer les paroles qu’avec peine. Mais tant plus qu’elle a de répugnance et de difficulté, tant plus elle s’efforce de le dire, nonobstant toute la peine qu’elle y a, qui est telle qu’elle assure n’y avoir non plus de douceur qu’un malade à avaler des pilules toutes nues ou une potion bien amère ; et lorsqu’elle veut bander son esprit et faire effort pour le rendre plus attentif, la Sainte Vierge lui dit : [279] « Ne forcez point votre esprit, mais contentez-vous de bien prononcer et dire exactement les paroles », et elle croit l’avoir bien dit quand elle l’a dit en cette façon. « Le Saint Rosaire, dit-elle, l’ayant appris du Saint-Esprit, n’est autre chose que Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très Sainte mère, car il contient le mystère de l’Incarnation et tous les autres mystères de leur vie. Il contient toute l’Écriture sainte, il contient le Pater Noster dans lequel toute l’Écriture sainte est comprise. Il comprend aussi tous les sacrements et toute la sainteté de l’Église, laquelle procède du mystère de l’Incarnation et de la Passion comme de sa source. Il comprend encore toutes les âmes créées à l’image de Dieu comme autant de roses dont le rosier est Notre Seigneur et Notre Dame. » C’est pourquoi la sœur Marie entendait un jour Notre Seigneur qui criait vengeance contre le rosaire, c’est-à-dire contre les âmes qui sont en péché mortel, désirant qu’elles soient châtiées pour ne pécher plus. [279v]

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que le Rosaire est le pain et le vin de l’âme chrétienne et dont elle doit être nourrie, car il est composé du Pater Noster et de l’Ave pour les raisons qui sont dites ci-après. Toutes les autres prières sont comme des fruits, des légumes et des confitures.

Le 29 novembre 1644, elle dit plusieurs belles choses sur le Rosaire : « On me donne souvent, dit-elle, plusieurs Rosaires à dire, composés de diverses sortes de belles prières ; mais celui que j’aime le mieux, c’est celui qui se dit ordinairement et qui est approuvé par l’Église. Je dis les autres pour obéir, mais je dis celui-ci bien plus volontiers, car je trouve un grand goût dans les choses qui sont ordonnées par l’Église. C’est ici le pain et le vin. Le Pater c’est le pain, parce qu’il contient toutes les choses qui sont nécessaires et convenables pour la nourriture du corps et de l’âme. L’Ave Maria est le vin qui réjouit le cœur de l’homme, d’autant qu’il contient l’Incarnation, la Rédemption et le salut. C’est par [280] l’Ave Maria que toutes les tristesses et afflictions causées par le péché sont changées en consolations et en joies. Il n’est [pas] nécessaire d’être savant pour dire le rosaire, c’est la prière des pauvres et des ignorants qui contient en soi tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu et des saints. Il n’est pas besoin de savoir tant de belles choses pour le bien dire. Il suffit une bonne volonté pour le dire au nom de Notre Seigneur et de Sa mère. S’il vient des distractions, il faut les laisser passer et marcher son chemin. La contemplation est une bonne chose, il y a plusieurs lumières, mais le Saint Rosaire est incomparablement meilleur, car celle-là n’est que pour quelques particuliers et celui-ci est pour tous. Il contient tout ce qu’il y a de plus saint et de plus agréable à Dieu, au ciel et en la terre. Enfin si je n’avais qu’une demi-heure à vivre, et qu’il fût à mon choix de l’employer à ce que je voudrais, je l’emploierais à dire mon rosaire. »

Ayant ouï-dire qu’il y avait des personnes [280v] qui improuvaient474 la confrérie du Saint Scapulaire avec ses privilèges et indulgences, elle en parla à Notre Seigneur qui lui dit que cette confrérie était bien approuvée dans le ciel et que ceux qui en étaient véritablement, c’est-à-dire qui vivaient selon l’esprit et l’institut de cette confrérie jouiront de privilèges et indulgences qui y sont ; comme si elle n’était point disputée ; et Notre Seigneur dit que la Providence a des ressorts que les hommes ne connaissent pas, qu’on les laisse disputer et qu’il n’y a que la malice de l’esprit humain qui puisse contester cette confrérie.

Chapitre 3. La fête du très Saint Cœur de la bienheureuse Vierge, de l’Ave cor sanctissimum et de cette prière : Sancta Maria virgo cui data omis, etc.

La sœur Marie ayant su que quelques personnes murmuraient contre la fête du très Saint [281] Cœur de la bienheureuse Vierge qui se fait le 8 de février, elle en parla à Notre Seigneur qui lui dit que c’était Lui qui l’avait inspirée et qu’Il châtierait ceux qui s’y opposeraient ; et la Sainte Vierge dit que cette fête lui était fort agréable et qu’elle enverrait des étincelles du feu sacré dont son cœur est embrasé dans le cœur de ceux qui la célébreront afin de les échauffer en l’Amour divin s’ils sont tièdes ; de les enflammer s’ils sont échauffés, et de les embraser s’ils sont enflammés. Elle dit aussi que le Cœur de son Fils, c’est son cœur et qu’ainsi en célébrant la fête de son cœur, on célèbre la fête du très admirable Cœur de son Fils.

L’an 1646, durant l’octave de cette fête, la Sainte Vierge lui ordonna de dire tous les jours le Magnificat en Action de grâces à la très Sainte Trinité pour toutes les grâces qu’elle a faites à son Fils Jésus qui est son vrai cœur, et à elle, et par eux à tout le monde, comme aussi de dire tous les jours sept fois le Pater et l’Ave pour [281v] demander à Dieu qu’Il délivrât l’Église, qui est possédée en plusieurs de ses membres, des sept péchés capitaux.

Dans une autre occasion, Notre Seigneur lui dit que le cœur de sa Sainte Mère est dans le très Saint Sacrement et qu’on l’y peut adorer parce que son Humanité Sainte est le cœur de sa bienheureuse mère. On lui fait quelquefois [dire] une salutation qui a été composée par le père E [udes] et qui commence par ces paroles : Ave cor sanctissimum475 et Notre Dame lui a dit qu’elle lui est fort agréable et qu’elle donnera à ceux qui la diront des désirs de se purifier de plus en plus de toutes sortes de péchés, afin d’être mieux disposés pour recevoir les dons, grâces et bénédictions divines.

On lui fait dire aussi quelquefois, quand il s’agit des affaires de la Congrégation, une oraison qui commence par ces mots : Ave Maria, filia Dei Patris, etc., composée par le susdit père E [udes] 476.

La Sainte Vierge lui dit un jour qu’elle lui avait donné bénédiction particulière pour ceux qui la dirait, et que cette bénédiction [282] opérait les effets qui s’ensuivent : « Si ceux, lui dit-elle, qui la diront avec dévotion sont en la grâce de Dieu, à chaque verset qu’ils diront, lesquels sont au nombre de vingt-cinq, j’augmenterai en eux l’amour divin, et s’ils sont en péché mortel et qu’ils la disent avec une bonne volonté à chaque verset qu’ils diront, je frapperai de ma main douce et virginale à la porte de leur cœur. » La même Vierge lui dit que l’on ferait une chose bien agréable à Dieu d’exhorter ceux qui seraient en mauvais état de dire cette salutation, ou pour le moins de consentir qu’on la dise pour eux, et que ce serait un bon moyen pour aider à leur conversion, et l’expérience a fait voir que ceci est véritable. Un jour, comme la sœur Marie récitait certaines litanies de la bienheureuse Vierge dans lesquelles se trouvent ces paroles qui sont du Cardinal Pierre Damien : Virgo cui data est omnis potestas in caelo et in terra477, Notre Seigneur les lui fit répéter plusieurs fois, et elle ajoutait au commencement : Sancta Maria, mater Dei et Virgo cui data est, etc., et une fois qu’elle disait ces [282v] litanies, comme elle vint à ces paroles, la Sainte Vierge lui dit : « Parlez plus haut », pour lui témoigner par là combien elles lui sont agréables. De là vient qu’elle y a une dévotion très particulière, et on les lui fait dire souvent, ajoutant à la fin tantôt ora pro nobis, tantôt monstra te esse matrem, quelquefois fiat nobis secundum verbum tuum, quelque autre fois miserere nobis.

Elles croit assurément que Dieu a donné un pouvoir absolu à la Sainte Vierge de disposer de toutes les créatures : « Ces paroles, dit-elle, lui sont comme son credo au regard de la mère de Dieu. » Elle lui fit dire un jour dix-huit rosaires aux petits grains desquels il fallait toujours dire ces mêmes paroles. Il ne lui est pas permis de dire cette prière : Sub tuum, ni l’Ave Maris Stella pour toutes sortes de personnes, elle ne la peut dire que pour les enfants seulement et pour les amis particuliers de la Sainte Vierge ; mais le Salve Regina est pour toutes sortes de personnes, et on lui fait dire pour les pécheurs les plus endurcis [283] quand on la fait prier pour eux.

Chapitre 4. Ce qu’il faut faire pour honorer les reliques des saints. Elle les va saluer au ciel.

La sœur Marie dit que Notre Seigneur en parlant de ses anges et de ses saints, Il les appelle son amour divin, car le divin Amour, dit-elle, les a tous transformés en soi-même et déifiés, et son amour est comme un grand seigneur qui a plusieurs terres nobles, à raison de quoi il a plusieurs noms : on l’appelle M [onsieur] d’ici, M [onsieur] de là, etc. Ainsi tous les saints sont autant de terres et de seigneuries de l’Amour divin. C’est pourquoi, encore qu’Il soit unique, Il a néanmoins autant de noms qu’il y a des saints dans le ciel. En la fête des saints, elle dit : « Donnez-moi permission d’aller saluer un tel saint ou une telle sainte. » « Allez », dit Notre Seigneur. Elle s’en va au saint ou à la sainte et lui parle en cette façon : « Regardez l’état où je suis et l’état où vous êtes, et faites pour moi ce que vous [283v] voudriez que je fisse pour vous, si vous étiez à l’état où je suis et que je fusse à l’état où vous êtes. »

Le jour de Saint-Sébastien 1646, Notre Seigneur lui dit : « Je vous veux apprendre d’honorer les reliques des saints. »

Premièrement, il faut rendre grâce à Dieu des trois dons qu’Il leur a faits : le premier de les avoir nettoyés du péché originel par le baptême, et de l’actuel par la pénitence ; le second de leur avoir donné toutes les vertus pour les conduire sûrement sur la mer orageuse de ce monde où tant d’âmes sont en péril de faire naufrage ; le troisième d’être mort pour leur mériter la vie éternelle.

Secondement il les faut imiter dans les vertus qu’ils ont pratiquées et s’il y a quelque chose que nous ne puissions faire, il faut vous conjouir478 avec eux de ce que Dieu s’est servi d’eux pour opérer de si grandes choses et lui en rendre grâce.

En troisième lieu, chacun doit entrer dans soi-même et se confondre de ce que son infidélité est cause que Dieu ne s’est pas servi de lui pour faire ce qu’Il a fait en eux [284] parce que s’ils se disposaient, Il s’en servirait comme Il s’est servi d’eux. Les saints en reconnaissance auront soin devant Dieu de ceux qui auront honoré leurs reliques.

Un jour la sœur Marie étant à une procession en laquelle on portait des reliques de plusieurs saints, elle leur adressa sa prière, les suppliant de regarder sa misère et d’avoir pitié d’elle. Mais elle vit en esprit qu’ils la rebutaient avec rigueur et indignation comme chose qui leur était insupportable à cause de tous les péchés dont elle était chargée, desquels ils la croyaient coupable. Quelque temps après, elle vit Notre Seigneur qui se réjouissait et qui était fort joyeux. Elle demanda à Notre Dame la cause de Sa joie : « Demandez-lui, répondit-elle, et Il vous le dira » ; ce qu’elle fit et Il lui dit qu’Il faisait ce qu’Il avait enseigné aux autres par ces paroles : Beati eritis cum maledixerint vobis homines et persecuti vos fuerint et dixerint omne malum, adversum vos, mentientes propter me, gaudete et exultate quoniam merces vestra copiosa est in caelis479.

Elle lui demanda où c’était que les hommes lui faisaient [284v] tout cela.

Il dit qu’Il le souffrait en elle.

« Mais qui sont ces hommes qui vous persécutent en moi, disant toute sorte de mal contre la vérité et avec mensonge ? »

Il répliqua que ce n’était pas les hommes de la terre et qu’il y avait fort peu d’hommes en la terre, n’y ayant presque que des bêtes, mais que cela s’entendait de quelques saints du ciel, là où sont les hommes parfaits, c’est-à-dire de ceux qui l’avaient rejetée lorsqu’elle les avait priés, parce qu’ils la croyaient coupables de tous les crimes et dignes de tous les maux dont ils la voyaient chargée. « Si ces hommes-là ont menti, n’êtes-vous pas bienheureuse ?, dit Notre Seigneur.

– Les saints, dit-elle, peuvent-ils mentir ?

– Oui, répondit le Fils de Dieu, ils ont menti en cela, parce qu’ils ont cru de vous toute sorte de mal, et que vous aviez mérité tous les châtiments que mon Père a exercés sur vous, car Je ne leur en avais pas dit le secret.

– Mais quelle est cette grande récompense, ajouta la sœur Marie, de laquelle vous vous réjouissez tant ?

– C’est le salut de tant de belles âmes dont [285] nous portons les péchés et pour lesquelles nous souffrons afin de les préserver de tomber dans l’enfer et de les conduire au ciel. »

L’an 1646, le 14 février, Notre Seigneur lui promit de lui donner un salut à dire. Le 18 du même mois, voulant accomplir sa promesse, Il lui ordonna d’aller en esprit au ciel pour y dire ce salut qu’Il prescrivit en cette manière : à l’entrée du paradis elle annonça à tous les habitants que la prophétie de Notre Dame comprise en ce verset : Esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes480, commençait à s’accomplir. Ils répondirent : Gloria Patri et Filio, etc. Elle se prosterna devant le Père éternel, et lui dit cinq fois ce verset du psaume Saluum me fac Deus, etc. : Zelus domus tuae comedit me et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me :

Car le zèle embrasé

De ta sainte maison m’a rongé jusqu’à l’âme

Et de tes blasonneurs l’outrage et le diffame

Sous le faix m’a brisé481.

Le Père Éternel répondit : Verbum caro factum est, voilà la croix de mon Fils. [285v] Ensuite elle s’adressa aux anges et leur dit : Tenui eum nec dimittam482. Ils répondirent : Soror mea parva est. Puis elle se tourna vers tous les saints et dit : Fecit mihi magna qui potens est et sanctam nomen ejus483. Ils répondirent : Benedictum nomen majestatis ejus in aeternum et replebitur majestate ejus omnis terra484. Prenant congé de toute la cour céleste, elle dit : Super aspidem et basiliscum ambulabis et conculcabis leonem et draconem485. Après cela Notre Seigneur dit que c’était l’Église qui avait dit par elle toutes ces choses en la personne des religieux, cela étant dit en la sœur Marie.

« Les religieux sont bien heureux.

– Il est vrai, répondit Notre Seigneur. Mais les véritables religieux sont ceux qui se dépouillent d’eux-mêmes, qui se transforment et qui se déifient, dont le nombre est moindre entre les chrétiens que celui des aigles entre les oiseaux. »

Section I. Les saints viendront pour détruire le péché.

La sœur Marie a une si grande haine contre le péché, et un si ardent désir qu’il soit anéanti et que [286] les âmes se sauvent, qu’on l’a vue plusieurs fois tout enflammée et toute transportée, parler en cette façon : « Oh ! Si la porte du paradis m’était ouverte, j’y entrerais, non pas pour y jouir de la gloire et pour y demeurer, mais pour en faire sortir tous les apôtres et tous les saints, et pour les faire venir en ce monde afin de s’employer à détruire ce monstre qui est le péché et à sauver les âmes. » « Je vous assure, disait-elle à un ecclésiastique, que je n’épargnerais point M. Potier et que je le ferais sortir aussi bien que les autres. »

Quelque temps après cela, étant à l’église, elle dit à Notre Seigneur : « Permettez-moi de saluer le Saint Sacrement.

– Oui, dit-il, je vous le permets. » Et au même temps, il ajouta : « Voici mes deux apôtres saint Pierre et saint Paul que vous menacez tant de faire sortir du paradis.

– Mais aussi, c’est grand pitié, dit-elle, de voir tant d’âmes qui se perdent. Qu’est-ce que tous vos apôtres vos saints font qu’ils ne viennent nous aider à faire mourir le péché et à sauver les âmes ?

– Je vous assure, répliqua Notre Seigneur, qu’ils ont plus de [286v] désir de venir que vous n’en avez qu’ils viennent. Et ils viendront tous en effet, ils descendront comme des carreaux de foudre pour écraser le péché.

– Mais que ne viennent-ils donc maintenant ! ajouta la sœur Marie.

– Ils viendront au temps de la grande tribulation.

Ensuite saint Pierre et saint Paul se retirèrent et lui demandèrent si elle ne voulait rien mander au ciel : « Oui je vous prie de faire mes recommandations aux saints qui ont davantage excellé en la haine du péché. »

Chapitre 5. De quelques saints en particulier. De saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne, saint Pierre, saint Paul, saint Étienne, sainte Catherine de Gênes, de Ste Thérèse et de sainte Gertrude.

La sœur Marie a une très grande vénération et très spéciale dévotion pour saint Joseph duquel elle a reçu beaucoup de faveurs, mais s’il fallait tout écrire, on n’aurait jamais [287] fait. Je dirai seulement une chose qui paraît petite, mais qui fait voir combien ce grand saint est plein de bonté pour ceux qui l’invoquent, même en des choses basses.

Un jour, revenant de Notre Dame de la Délivrande proche de Caen, avec plusieurs personnes tant ecclésiastiques que laïques, entre lesquelles étai [en] t Monsieur de Juganville486, celui-ci, comme ils furent à Bayeux, se trouva si lassé et si faible qu’il ne pouvait plus marcher. Dans cette nécessité, la sœur Marie s’adressa à saint Joseph et le pria de leur faire trouver un cheval pour le porter, et tout à l’heure487 le maître de l’hôtellerie où ils étaient logés pour lors leur vint demander s’ils n’avaient point besoin d’un cheval, quoiqu’ils n’en eussent parlé à personne. Ils dirent que oui et il leur en présenta un.

Elle dit que Notre Dame se réjouit quand on prêche de saint Joseph : « Toutes les louanges qu’on donne à mon époux saint Joseph retournent [287v] à mon Fils et à moi. »

Saint Joachim lui a été donné par la Sainte Vierge pour grand-père et sainte Anne pour grand-mère, et elle a une dévotion toute particulière pour eux. Quand il lui est permis d’avoir recours à saint Joachim, il la reçoit avec une grande douceur et il la console comme un bon père ferait sa fille, avec une merveilleuse tendresse et bénignité ; mais on ne lui permet pas de s’adresser à lui que rarement, parce que cela la console et que toutes les consolations pour l’ordinaire lui sont interdites.

En une vigile de la fête de saint Pierre et saint Paul, comme elle se préparait à bien prier ces deux grands saints et qu’elle devait demander, Notre Seigneur lui dit : « Non, vous ne les prierez point, mais ils vous prieront.

– Comment cela se peut-il faire, répartit-elle, je sais bien ce que je ferai : je n’irai point à l’église de Saint-Pierre488.

– Si ferez, répliqua le Fils de Dieu, vous irez. »

Et en effet, comme elle ne voulait point y aller, parce que cela lui donnait une grande frayeur d’être trompée, Notre Seigneur la contraignit [288] d’y aller le jour de la fête, là où étant, elle ne put jamais prier, mais elle vit saint Pierre qui lui dit : « Je vous prie de prier pour tous ceux qui sont sous l’autorité que Dieu m’a donnée. » Et il lui désigna certaines prières à dire pour ce sujet durant tous les jours de l’octave de sa fête.

Elle vit aussi saint Paul qui lui dit : « Je vous prie de prier pour tous ceux à qui j’ai prêché et auxquels je prêche encore par mes écrits. » Et lui prescrivit pareillement les prières qu’elle devait faire.

Pendant qu’elle était en enfer, elle voyait, comme il a été dit, tous les saints qui étaient pleins de fureur contre elle et qui la regardaient et menaçaient avec un visage tout embrasé de colère.

Il n’y avait que saint Étienne qui la traitait avec douceur, car on lui a fait connaître que parce qu’il a prié pour ses ennemis, il a ce privilège qu’il est bon, même aux ennemis de Dieu, et qu’il a pouvoir de prier pour toutes sortes de personnes, en quelque état qu’ils puissent être. Mais tous les saints sont en colère contre le pécheur, comme un fils serait en fureur contre [288v] celui qui aurait poignardé son père et qui se présenterait devant lui pour lui demander quelque faveur, ayant encore le poignard tout sanglant en la main.

La sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour sensible, ce qui n’est point en la sœur Marie. Elle a passé ainsi, dès le commencement, par les plus hauts degrés de la contemplation que sainte Thérèse écrit dans ses livres, ainsi qu’il sera rapporté plus amplement dans le livre suivant. « Sainte Thérèse va doucement et s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade (c’est son mot) : témoin ces grands désirs que j’ai eus de l’enfer ».

Sainte Gertrude demande quelquefois des récompenses et des consolations ; cela est insupportable à la sœur Marie.

Mais sainte Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut, elle ne veut pas même des Indulgences. Demandez-lui comme elle veut être : « Comme je suis, dira-t-elle et non autrement, parce que [289] Dieu veut que je sois ainsi. » Et voilà ce que la sœur Marie aime. C’est pourquoi elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur. Cette sainte haïssait l’amour-propre plus que l’enfer et disait qu’un seul grain d’amour-propre, quoiqu’il n’y en eût pas plus gros qu’un grain de moutarde, serait capable d’empoisonner tout le monde. Elle disait aussi que si une seule goutte d’amour divin tombait dans l’enfer, il le changerait en un Paradis et convertirait tous les diables en des anges.

Une autre fois, elle demanda à Lucifer de lui rendre raison, savoir lequel était le plus supportable, ou de toutes les peines de l’enfer ou de la moindre petite faute contre Dieu. « Ô que cela est bon ! » disait la sœur Marie. « Ô que cela est véritable, ô que cela est agréable ! »

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de ce que sainte Gertrude recevait de Lui tant de consolation, et qu’elle était traitée si rudement, et que cela lui donnait de grandes frayeurs d’être réprouvée, l’Amour divin lui répondit que les âmes qui [289v] marchent par la voie de sainte Gertrude, qui est une voie de délices et de consolation, sont les épouses de l’Humanité glorieuse du Fils de Dieu ; mais que celles qui sont épouses de Sa divinité sont conduites avec la verge et marchent par un chemin plein d’épines.

Chapitre 6. De l’Église et de l’état où elle est.

La sœur Marie ayant reçu un billet489 dans lequel il lui était recommandé de prier pour la ville de Coutances, Notre Seigneur lui dit que tout le monde était une ville et que le cœur de cette ville était l’Église, que les faubourgs sont ceux qui sont instruits pour venir à l’Église et que les villages sont les infidèles. Il lui ordonna de dire pour l’Église trois fois le Gloria Patri, etc. Au premier, l’Église demande des verges pour châtier ses enfants ; au second des armes pour se défendre de ses ennemis, et au troisième la force pour aller les vaincre. Pour les catéchumènes Il lui [290] fit dire trois fois Alléluia, le premier pour demander à Dieu qu’Il leur remplisse la mémoire des mystères de notre religion, le second pour lui demander qu’Il illumine leur entendement afin de les connaître et de les croire, le troisième pour le prier qu’Il leur enflamme la volonté afin de les embraser. Pour les infidèles, Il lui commanda de dire cinq fois le nom de Jésus : le premier pour obtenir de Dieu la lumière de la foi afin de la connaître, le deuxième pour demander le saint baptême qui les lave de leurs péchés, le troisième pour impétrer le pain de vie qui les nourrisse, le quatrième pour demander le don de persévérance [le cinquième] pour arriver à la vie éternelle.

L’an 1646, le jeudi saint, Notre Seigneur l’envoya devant le Saint Sacrement dire ce verset du psaume 34 au nom et de la part de l’Église :

Jusqu’à quand, plein de patience

Seigneur, verras-tu l’insolence

De ces gens animés ?

Ôte-leur mon âme étonnée,

Mon âme seule abandonnée

Aux lions affamés490.

[290v] Ensuite, Il lui expliqua en cette façon : ces gens animés sont tous les méchants qui sont les enfants de l’Église et qui la détruisent autant qu’ils peuvent par leur vie païenne et diabolique. « Ôte-leur mon âme étonnée » : l’âme de l’Église sont tous les justes qui sont étonnés491 de tant de maux qui se font aujourd’hui dans le monde. Les lions affamés sont les mauvais prélats et prêtres.

Un jour, la sœur Marie entendait Notre Seigneur qui disait : « Le soleil s’est éclipsé, la lune s’est couverte d’un voile noir, les étoiles ont perdu leur lumière. » Il dit ensuite que ce soleil dont Il parlait était tous les ecclésiastiques depuis le premier jusqu’au dernier, que la lune signifiait les nobles et les officiers, et que les étoiles représentaient tous ceux qui sont attachés par la foi au ciel de l’Église.

Section I. On la fait prier pour l’Église.

Notre Seigneur lui a fait connaître que les prières que l’on fait pour l’Église et pour [291] son chef qui est notre Saint Père le Pape lui sont fort agréables et que ceux qui en font sont tous les premiers à participer aux grâces que Dieu donne par son ministère, et qu’il faut entendre aussi cela des autres prélats et pasteurs de l’Église.

En l’année 1644, durant le carême, Notre Seigneur promit à la sœur Marie qu’Il lui donnerait un salut à dire. Un an après, lorsqu’elle ne s’en souvenait plus, Il lui dit : « Je vous veux donner un salut à dire : vous direz quarante fois le Pater Noster pour prier mon Père qu’Il donne à mon Église toutes les choses que je lui ai demandées pour elle lorsque je l’ai composé ; et autant de fois l’Ave Maria pour le prier de lui donner toutes les choses que je lui ai méritées depuis mon Incarnation qui s’est accomplie par l’Ave Maria jusqu’à la fin de ma vie. Vous direz aussi quarante fois le Magnificat pour me remercier de ce que je me suis incarné et de ce que j’ai choisi l’Église pour mon Épouse ; et quarante fois le [291v] psaume Laudate Dominum omnes gentes pour remercier le Saint-Esprit et pour inviter toutes les créatures à le louer et le remercier avec vous de ce qu’il a pris le gouvernement de l’Église afin de la régir et conduire en toutes choses. » Après cela on lui ordonna de dire la couronne de la Sainte Vierge de soixante-trois Ave, avec le Pater qui y sont, pour remercier Notre Seigneur de ce qu’Il s’est donné en viande et nourriture à son Église par le très Saint Sacrement de l’autel, et pour remercier Notre Dame de ce qu’elle est Mère de l’Église et qu’elle a soin de tous les fidèles comme une bonne mère a soin de ses enfants. Mais la Sainte Vierge ne voulut point recevoir ce remerciement, elle le renvoya à son Fils.

L’an 1645, le 6 mars, on lui ordonna de prier pour sa mère l’Église qui est bien malade et de prier Dieu le Père de donner la foi à ceux qui ne l’ont pas, et de dire pour cela quarante fois le Credo, et de prier le Fils de Dieu qu’Il accomplisse les prophéties du Magnificat, et pour ce, de le dire quarante fois, et de prier le Saint-Esprit qu’il accomplisse [292] ce qui est contenu pour l’Église dans ces trois versets du psaume : Gloriosa dicta sunt de te Civitas Dei. Memor ero Rahab et Babylonis scientium me. Pro patribus tuis nati sunt tibi filii, constitues eos principes super omnem terram. Populus quem non cognovi servivit mihi, in auditu auris obedivit mihi492 et de réciter ce verset quarante fois. On lui commanda de faire ces prières devant le crucifix.

Section II. Dispute entre l’Amour divin et l’Église.

Le 16 mars 1645, elle trouva en une petite dispute l’Amour divin et l’Église.

L’Amour divin disait : Soror mea parvula est, et l’Église répartit : Dilectus meus candidus et rubicundus. L’Amour divin disait : Aperi mihi, soror mea, sponsa, aperi mihi.493 On fit dire ces trois versets à la sœur Marie en la personne de l’Amour divin et de l’Église [292v] bien un quart d’heure durant. Le sens qu’on donnait au premier était que l’Église n’a guère de charité. Elle répondait que son Époux avait la pureté et la charité pour elle. Vous dites, répliquait-il, que votre époux est si aimable et vous faites la sourde oreille à ses cris et le laissez à l’injure de l’air sans lui ouvrir la porte ! Là, l’Église eut honte, elle se leva et ouvrit la porte à son Époux. Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Allez dire à mon Amour divin qu’il vous donne du pain et du vin pour mon épouse ; pour avoir du pain, dites l’hymne Veni, Sancti Spiritus, et emitte cœlitus, et pour avoir du vin, dites le Veni, Creator Spiritus, mentes tuorum... soixante-trois fois c’est-à-dire une fois sur chaque petit grain de la couronne, et une fois Veni... et emitte cœlitus, sur chacun de ses six gros grains, et à la fin de chacun : Emitte spiritus tuum et creabuntur et pour conclusion : Veni sancte Spiritus reple tuorum, etc. avec le verset et l’oraison. » [293]

Section III. Vœux pour l’Église et pour les prêtres. Elle sera saignée. On la fait baigner au fleuve du Jourdain.

L’an 1645, le onzième de mars, un ecclésiastique ayant fait vœu d’aller à Notre-Dame de la Roquette, proche de Coutances, pour demander de bons pasteurs à Notre Seigneur et de bons prêtres pour son Église, il pria la sœur Marie de demander permission d’y aller pour le même sujet, afin qu’étant deux, ils fussent exaucés plus tôt. Elle lui en parla et il dit : « Nous serons six à faire ce vœu, moi et ma Mère, M. le Pileur, M. Potier, le père E [udes] et vous, et nous irons à Rome, en sorte que ce sera tout de même comme si vous et les autres alliez à Rome. » Après cela, Notre Seigneur et Notre Dame firent vœu d’y aller et de dire les prières suivantes par la sœur Marie et ils lui ordonnèrent de faire son vœu ; le tout en cette manière. Notre Seigneur fit vœu à la [293v] très Sainte Trinité de dire par la sœur Marie quarante fois le Vexilla afin d’offrir sa Passion, au Père éternel et au Saint-Esprit pour obtenir du Père qu’Il rétablisse l’Église dans sa première santé, du Fils qu’il donne aux prêtres la vraie science et la vraie sagesse, et la vraie sainteté, et au Saint Esprit qu’Il allume le feu de l’amour et de charité dans les cœurs où il est éteint ; qu’Il l’enflamme où il est allumé, et qu’Il l’embrase où il est enflammé.

Notre Dame fit vœu par la sœur Marie de dire quarante fois le Stabat pour offrir sa Passion à la Sainte Trinité, afin d’obtenir du Père qu’Il délivre sa fille l’Église qui est possédée des diables qui sont les péchés ; du Fils qu’Il lui donne le Pain de vie qui est le Saint Sacrement avec toutes les dispositions nécessaires pour le manger dignement et autant que faire se peut, et du Saint Esprit qu’Il la mène à sa cave à vin, qu’Il lui en donne à boire et qu’Il l’enivre de ce vin délicieux. Outre cela, Notre Seigneur ordonna à la sœur Marie de faire vœu de dire dix fois le Vexilla et dix fois le Stabat pour offrir ce qu’elle a souffert à [294] la très Sainte Trinité afin d’obtenir du Père qu’Il la fasse professe ayant achevé son noviciat, du Fils qu’Il lui donne l’habit de religion, et du Saint-Esprit qu’Il lui donne le vrai esprit de religion.

Après qu’elle eut dit toutes ces prières, on lui fit encore dire une couronne de soixante-trois Ave Maria à Notre Seigneur et Notre Dame pour demander à Notre Seigneur par le Pater pour tous les frères, sœurs, amis, voisins et associés, toutes les choses qu’Il a demandées à son Père pour eux lorsqu’il l’a composé, et pour demander à Notre Dame comme à la Trésorière de la très Sainte Trinité, qu’elle donne à ceux d’entre les personnes susdites qui sont dans le chemin de la perfection toutes les choses nécessaires et convenables pour leur salut. Ayant été recommandé à la sœur Marie de prier pour l’Église qui était pour lors en quelque péril, elle le fit, et Notre Seigneur ne lui répondit rien, mais Notre Dame lui dit : « l’Église n’est pas malade à la mort, mon Fils lui donnera une saignée et une purgation [294v] et elle sera guérie. » Elle ajouta que le sang représentait le péché et qu’elle serait saignée à la tête pour le péché d’orgueil, au bras pour les méchantes actions, et le pied à l’eau494 pour les mauvaises volontés et les mauvais désirs. La purgation est cette grande affliction qui doit venir et qui suivra la saignée.

Un jour, ayant la messe en la chapelle des vicaires, Notre Seigneur lui parut fort triste et lui dit : « Mon épouse est devenue lépreuse. Je lui dis qu’elle s’aille laver sept fois au fleuve du Jourdain et qu’elle deviendra belle et blanche comme un petit enfant. Voici une belle chemise que ma mère m’a donnée, allez [la] lui porter et qu’elle la revête à la sortie de l’eau. »

Ensuite Notre Seigneur lui expliqua ceci en cette façon : son épouse c’est l’Église ; la lèpre c’est le péché ; le Jourdain c’est la pénitence ; elle doit s’y laver sept fois pour y être purgée des sept péchés mortels. La chemise c’est l’humanité de Notre Seigneur ; elle se revêt de cette chemise à la sortie de l’eau c’est-à-dire après la pénitence par le don de la grâce méritée par la Passion de Notre Seigneur. Lui porter cette chemise [295] c’est lui aider à faire pénitence par prières, jeûnes, larmes et souffrances, c’est ce que fait la sœur Marie.

En l’année 1646 comme la sœur Marie priait pour une affaire de grand poids qu’on lui avait recommandée, Notre Seigneur lui dit : « Ne vous mêlez point de cela ; mais je donnerai à mon Église un présent qui consiste en trois paroles. Premièrement je lui donnerai une bague d’or où j’ai enchâssé une pierre d’aimant qui attire le fer sec. Je lui donnerai mon cœur par lequel elle aimera mon Père éternel. Troisièmement je lui ouvrirai les sens mystiques des saintes Écritures et lui ferai voir et connaître ce qu’elle n’a point encore connu. »

Chapitre 7. Du purgatoire. Comme plusieurs âmes en sont délivrées par son moyen.

Un jour elle fut inspirée de dire un rosaire pour délivrer une âme du [295v] purgatoire selon qu’elle l’avait lu dans les indulgences. Et comme elle s’en mit en effet495, elle fut fort tourmentée de diverses pensées. Pour s’en défaire, elle s’en allait d’autel en autel et toujours ce tintamarre de pensées la suivait. Elle s’arrêta devant l’autel des enfants de chœur ; là Notre Seigneur lui apparut en esprit, passant devant elle et lui dit : « Vous voilà bien en peine de prier pour autrui, et vous en avez plus besoin que personne. » Car elle était pour lors dans les peines de l’enfer ; et dans un intervalle de ses peines, elle lui dit : « Comme Vous m’avez inspirée de prier pour les autres, j’espère que Votre volonté inspirera quelqu’un de me faire la même charité. Mais pendant que vous êtes ici, dites-moi je vous prie, quelle pitié est-ce que mon cœur ne soit capable que des tourments de l’enfer. » Il lui répond : « Que vous importe, puisque c’est mon cœur que vous avez, que je vous ai donné, et vous m’avez donné le vôtre. Allez, Je vous rendrai votre cœur qui est le Saint Sacrement et Je reprendrai le mien qui sont vos souffrances. » Enfin elle dit ce rosaire qu’elle voulait dire pour les âmes du purgatoire, et en [296] le disant elle descendit en esprit dans le purgatoire, et toutes les âmes qui y étaient s’enfuirent effrayées, mais elle leur dit : « Princesses, n’ayez pas de peur, je ne suis pas venue ici pour augmenter vos peines, mais pour en demander le soulagement. »

La sœur Marie assistant à une messe qu’on disait pour un défunt à un autel privilégié, Notre Seigneur lui dit : « Celui pour qui on offre cette messe n’en a que faire ni de l’indulgence ; mais je vais l’appliquer à un homme à qui vous avez obligation de le délivrer du purgatoire. » C’était pour un homme de village qui avait eu beaucoup de charité pour elle et qui était mort il y avait environ quinze ans.

Une autre fois, assistant à un service que l’on disait pour un trépassé Notre Seigneur lui dit : « Cet homme n’a que faire de service, ni de prières, mais vous en avez affaire pour vous. Je vous les donne pour aider à payer ce que vous devez pour les péchés dont vous êtes chargée. »

Un jour à la fête du Saint Rosaire, la Sainte [296v] Vierge lui dit qu’elle voulait faire une quête pour les captifs c’est-à-dire pour toutes les âmes qui sont en péché mortel et qu’elle ferait prier ses trois filles : la foi, l’espérance et la charité, la foi dans l’Église, l’espérance dans le purgatoire, et la charité dans le ciel. En ce même jour, la sœur Marie dit à Notre Seigneur : « Je vous en prie, donnez-moi un rosaire. » « Oui, dit-il, je vous en donnerai un qui sera privilégié, c’est que vous ajouterez au dernier mot de l’Ave Maria qui est “Jésus” ces paroles, sponsus meus, et à chaque fois que vous direz ces paroles en récitant votre rosaire, pour cette fois vous délivrerez une âme du purgatoire. »

L’an 1645 en cette même fête, Notre Seigneur lui ordonna de dire un rosaire pour les âmes du purgatoire, et Il lui promit ce jour-là d’en délivrer cent cinquante, c’est-à-dire autant qu’il y a d’Ave Maria au rosaire. Et en l’an 1646, Il lui ordonna d’en dire encore un et lui promit d’en délivrer trois cents de celles pour lesquelles personne ne prie.

En l’année 1651, dans l’octave de Pâques, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie de dire tous les jours trois rosaires auxquels Il [297] appliqua toutes les indulgences qui ont été jamais données par l’Église en faveur du Saint Rosaire avec plusieurs autres privilèges, et Il dit à la sœur Marie qu’en disant ce rosaire, il y aurait tous les jours trente-quatre mille âmes du purgatoire délivrées par les mérites des trente-quatre années de travaux et souffrances qu’il a portées pendant qu’il a été en ce monde. Cela dura jusqu’à la fête du Saint-Sacrement que Notre Seigneur appliqua encore à ces trois rosaires toutes les messes, prières et services qui se faisaient alors par toute l’Église, assurant qu’il y aurait tous les jours pendant l’octave un nombre fort extraordinaire d’âmes qui seraient délivrées du purgatoire, et comme Il lui voulait dire ce nombre, elle pria de ne le dire point, parce que cela l’étonnait et qu’elle ne le pouvait croire. Et cette délivrance d’un si grand nombre d’âmes tous les jours dura jusqu’à la fête de saint Pierre aux liens qui est le premier jour d’août. Mais outre que cela l’étonnait et que la sœur Marie [297v] ne peut rien croire, spécialement de ce qui est à son avantage, elle ne fait pas grand état de cela : un péché véniel, dit-elle, est un plus grand mal que toutes les peines du purgatoire. C’est pourquoi ce n’est pas une si grande chose de tirer les âmes qui y sont, comme d’aider une personne qui a commis un péché véniel à l’effacer par la contrition. [298]

Livre 8 contenant plusieurs choses contre le péché en général et plusieurs péchés en particulier.

Chapitre 1. La laideur du péché et la haine que la sœur Marie lui porte, et la cause.

Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie que la laideur du péché est infinie, et que si une personne le pouvait voir tel qu’il est, cette vue le réduirait au néant, et qu’il n’y a que la Toute Puissance de Dieu qui la peut soutenir et empêcher d’être anéantie. Elle dit quant à présent, elle ne connaît autre Antéchrist que le péché, et que c’est cet Antéchrist qui fait mourir Élie et Énoch, c’est-à-dire les prophètes et l’Évangile, [298v] lesquels sont morts dans le cœur de la plupart des hommes.

La haine qu’elle a contre ce monstre est si grande qu’elle proteste ne vouloir point d’autres paradis que de le voir anéanti en toutes les créatures : « J’ai, dit-elle, un sentiment profond que si j’étais dans le ciel toutes les joies se convertiraient en douleur pour moi tandis que je saurais que le péché serait encore dans le monde. »496. « Si j’avais mille paradis je les donnerais pour le voir faire mourir. »

C’est pourquoi, elle a été un temps qu’elle avait de très grands désirs de faire deux vœux, si elle avait pu obtenir la permission, premièrement de demeurer au monde et d’y souffrir toutes sortes de tourments jusqu’au jour du Jugement pour y détruire le péché, et de n’en point sortir qu’il ne fut entièrement anéanti ; secondement, après qu’il serait banni de la terre quant à la coulpe, de le poursuivre quant à la peine dans le purgatoire et d’y aller souffrir toutes les peines [299] des âmes qui y sont jusqu’à ce que la dernière en sortît. Elle a une telle horreur de ce tyran qu’elle assure que si elle avait autant de vies qu’il y a de gouttes dans la mer et de créatures au monde, elle les donnerait toutes pour le faire mourir. S’étonnant un jour d’où pouvait procéder une haine si prodigieuse, Notre Seigneur lui dit qu’elle procédait de ce que le péché est un vautour qui lui rongeait le cœur : « Votre cœur sont les âmes, lui dit-Il, que le péché dévore, et ce que le péché fait souffrir aux âmes spirituellement, Dieu par miracle vous le fait souffrir spirituellement et sensiblement. »

Un jour Notre Dame lui dit : « Il y a un verset que vous aimez bien. » Elle demanda quel il était. « Cherchez-le, » dit le Fils de Dieu. Elle regarda et chercha dans son esprit et en proposa plusieurs l’un après l’autre, en demandant à Notre Seigneur si ce n’était point un de ceux-là. Mais il répondit toujours que non. Ensuite Il lui mit celui-ci en la [299v] mémoire : Super aspidem et basiliscum ambulabis et conculcabis leonem et draconem, lui disant : « Voilà un verset497 que vous aimez extraordinairement à cause de la haine très grande que vous avez contre le péché qui est signifié par l’aspic et le basilic, le lion et dragon, et du désir très ardent que vous avez de le voir écrasé et anéanti. »

Section 1. Le dernier degré de la haine du péché, et sur ces paroles : « Voce magna expiravit. »

Étant un jour malade, Notre Seigneur la vint voir et lui demanda si elle ne voulait rien. « Je veux tout ce qu’il Vous plaira, lui dit-elle.

– Je m’en vais vous quérir du fruit de vos arbres. » Ayant dit cela, Il prend un plat et s’en va chercher de ses fruits et lui en apporte quelques-uns dans ce plat, qui avaient mauvaise façon.

Elle les [300] regarde et lui dit qu’elle n’en veut point. Il la presse d’en prendre, et la Sainte Vierge aussi, lui disant que c’était sa guérison. Mais elle proteste qu’elle n’en goûtera jamais. Nonobstant cela, Notre Seigneur fait instance et lui dit : « Prenez de ces fruits, nous en avons une grande quantité ; parce que tous nos arbres en sont extrêmement chargés.

– Je sais bien ce que c’est, répartit-elle, que ces fruits : ce sont les fruits du péché, c’est le péché même : pourquoi me tentez-vous ? Je n’en mangerai jamais. Je jure que si vous faisiez aujourd’hui un enfer nouveau et que demain vous en fissiez un autre, et que vous fissiez ainsi tous les jours et à toutes les heures du jour, j’aimerais mieux les souffrir tous que de manger de ces fruits. Vous êtes Tout-puissant et Vous pouvez faire tous ces enfers, mais avec votre Toute puissance Vous ne pouvez me faire manger de ces fruits et Vous le savez bien, pourquoi donc me tentez-vous ? [300v]

– Il est vrai, dit Notre Seigneur. Je le sais bien, mais je vous tente, non pas pour vous connaître, mais pour vous faire connaître la grâce que je vous ai faite. » Voilà le dernier point de la haine du péché : aimer mieux porter tous les enfers que Dieu peut faire durant toute éternité que de commettre aucun péché.

Notre Seigneur avait dit un jour à la sœur Marie que pour achever l’œuvre qui se fait en elle, il fallait que ces paroles s’accomplissent au regard d’elle : Et clamans voce magna expiravit ; or les premières, à savoir et clamans voce magna, se sont accomplies l’année 1653 au mois de juin en cette manière : comme elle était dans ses frayeurs ordinaires de n’être pas agréable à Dieu et d’avoir en elle quelque péché, Notre Seigneur lui parla ainsi : « Or çà, examinons sérieusement et rigoureusement toute votre vie et voyez si votre volonté a consenti à quelque chose qui fût désagréable à Dieu. » Elle [301] s’examina avec toute sorte de sévérité, ensuite de quoi elle fut contrainte d’avouer qu’elle ne trouvait rien de mal à quoi sa volonté ait donné son consentement.

« Et maintenant, voudriez-vous faire ou dire ou penser quelque chose contre la volonté de Dieu ?

– Non, dit-elle, pour rien au monde. Je sais bien que vous êtes Tout-puissant et pouvez créer tous les jours de nouveaux enfers et m’y envoyer, mais quand vous ne cesseriez d’ajouter enfer sur enfer de moment en moment, durant toute l’éternité, j’aimerais mieux les souffrir tous que de faire le moindre péché.

– Mais si, pour sauver tout le monde, dit Notre Seigneur, il fallait consentir un péché, ne le feriez-vous point, vous qui avez tant d’amour pour les âmes ?

– Non, dit-elle, quand il faudrait racheter une infinité de mondes.

– Mais si j’étais moi-même dans l’enfer ne le feriez-vous point, pour m’en retirer ?

– Non, je n’en ferai rien.

– Si à faute de cela Mon humanité devait être anéantie, souffririez-vous qu’elle le fût ?

– Oui, je le souffrirais, plutôt que de contrevenir en la moindre chose du monde à la divine Volonté.

– Mais quoi ! dit Notre Seigneur, s’il y allait de Dieu même, que feriez-vous ? [301v]

– Je vous dit, répliqua-t-elle, que quand par impossibilité Dieu devrait être anéanti, je ne pourrais pas consentir aucun péché, si petit qu’il fût, c’est une chose impossible.

– Ô, dit Notre Seigneur, voilà le clamans voce magna. Il ne reste plus que ce mot expiravit ».

Section 2. Désir extrême qu’elle a de la mort du péché. Les hommes attirent l’Ire de Dieu par leurs péchés. Le péché est notre frère aîné.

Elle a été un temps dans un désir extrême de la mort qui faisait qu’elle l’appelait sans cesse : « Ô mort, ô belle mort, venez, venez, promptement, ô glorieuse mort, ô triomphante mort. » Elle ne savait pourquoi elle avait ce désir, car ce n’était ni par ennui de souffrir ni par désir d’aller en paradis. [302] Faisant réflexion là-dessus, elle dit à Notre Seigneur : « Pourquoi est-ce que je désire tant la mort, d’où vient ce désir ?

– C’est moi, dit-Il, qui vous l’ai donné : c’est ma Passion qui désire en vous la mort de tous les péchés, car c’est le fruit de ma Passion qu’ils soient tous détruits et anéantis avec tous les plaisirs, vanités et autres choses qui sont contraires à ma divine Volonté. »

Un jour Notre Seigneur lui ayant demandé ce qu’elle désirait le plus : « La Vérité, dit-elle.

– Ce n’est point cela, dit Notre Seigneur.

– C’est donc vous, dit-elle.

– Non, ce n’est point moi que vous désirez le plus. » Le lendemain, Il lui dit que ce qu’elle désirait le plus était l’anéantissement du péché, et elle connut en vérité que cela était ainsi.

L’an ou 1644, le septième jour de décembre, Notre Seigneur lui dit au matin : « Quand la lune est pleine, elle commence à décliner. Ainsi le monde, étant arrivé à la plénitude des vices, il faut qu’il décline. »

La sœur Marie dit : « Mais l’Ire de Dieu que j’avais vue si près de la terre, où est-elle ? »

Notre Seigneur lui dit : « Elle est arrivée à la terre, c’est fait. »

Ceci est une suite de ce qu’Il lui dit une [302v] autre fois, comme elle disait : « C’est grande pitié de voir tout le mal que font les hommes.

– Savez-vous bien, dit Notre Seigneur, ce qu’ils font ? Ils attachent des cordages à l’Ire de Dieu et l’attirent en bas pour la faire descendre à force, et vous devez vous en réjouir, parce que ce sera plus tôt fait : la fin est plus proche qu’on ne pense. »

Un jour, après avoir enduré de grands tourments, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Je traiterai votre frère comme je vous ai traitée.

– Qui est ce frère ?

– C’est le péché, répliqua le Fils de Dieu, qui est votre frère aîné, parce qu’Adam qui est votre père l’a mis au monde longtemps auparavant que vous n’y fussiez. »

« Notre Seigneur, dit-elle, regarde avec compassion les péchés de fragilité quand il n’y en a point d’autres ; et ne damne jamais personne pour les péchés de pure fragilité, mais Il lui donne la contrition. Il regarde avec ire les péchés de malice. » Il lui a fait aussi connaître combien les péchés des chrétiens sont plus énormes que ceux des païens par cette comparaison : « Si un chien [303] fait son ordure dans la maison de son maître, on n’en fait pas grand état, mais si des enfants qui sont grands en faisaient autant en la maison de leur père, cela serait insupportable. »

Chapitre 2. Contre l’orgueil. Exemples de quelques personnes orgueilleuses.

Dans la petite maison où M. Potier est décédé, il y avait au jardin un cerisier qui tous les ans était tout blanc de fleurs, mais il n’apportait aucun fruit, excepté qu’en la dernière année, c’est-à-dire qu’en l’année 1647, il s’y trouva deux cerises dont l’une était chétive, l’autre à demi mangée par les oiseaux. Depuis longtemps la sœur Marie se trouvait tout animée d’indignation contre ce cerisier, sans en savoir le sujet. Cette indignation la porta à rompre quelques branches, croyant par cela éteindre la [303v] fureur qu’elle sentait contre lui, mais cela ne l’ayant point apaisée, Notre Seigneur lui dit qu’Il voulait qu’il fût coupé, ce qui fut fait par M. Potier. Ensuite de quoi, Il lui dit que ce cerisier tout couvert de fleurs et de belles feuilles vertes représentait plusieurs personnes qui font quantité de bonnes œuvres et de bonnes actions, mais le vent de l’orgueil venant à souffler dessus, bruit498 et perd tout, et qu’Il donne sa malédiction à ces personnes-là et qu’il y en a un grand nombre.

Priant un jour pour un prêtre de qui elle avait reçu quelque assistance, Notre Seigneur lui fit connaître qu’il était en état de perdition à cause de son orgueil. Il le lui fit voir un jour pendant qu’il disait la messe dans la figure d’une grande montagne qui était pleine au-dedans de serpents ; lesquels se montraient au travers de plusieurs fentes et ouvertures, et néanmoins ce prêtre paraissait simple en son extérieur et était estimé comme un bon ecclésiastique devant les hommes, quoique devant [304] Dieu il fût en état de damnation. Mais la sœur Marie pria tant Dieu pour lui, à cause de quelque service qu’il lui avait rendu, qu’elle obtint son salut, car Notre Seigneur lui promit qu’Il lui donnerait la contrition à l’heure de la mort et qu’Il lui ferait cette grâce parce qu’Il était fort affectionné à un office qu’il avait dans l’Église et qu’il le faisait avec grand soin.

Elle a connu une femme qui employait son bien en œuvres de miséricorde, à ensevelir les morts, visiter les malades et à nourrir et assister les pauvres. Elle jeûnait si austèrement qu’elle ne prenait qu’un repas en deux jours, et ce, de pain et d’eau. Elle faisait grand nombre de prières et y employait souvent tout le jour et une grande partie de la nuit. Elle ne portait point de linge. Elle recevait des injures en pleine rue sans aucun ressentiment, et un jour une bien pauvre femme lui bailla un soufflet qu’elle souffrit avec une grande patience. La sœur Marie pria pour elle et dans ses prières, on lui fit connaître qu’elle était coupable d’orgueil et en état de [304v] perdition, et que le sujet de son orgueil était ses austérités à cause desquelles elle s’estimait beaucoup. Elle demanda pardon pour elle et on lui demanda ce qu’elle voudrait faire pour l’obtenir. Elle se soumit à tout faire pourvu qu’elle lui obtînt la grâce de communier dignement. On la lui accorda à condition que de nuit elle ferait la procession autour la cathédrale à nu-genoux et qu’elle souffrirait tous les mauvais traitements qui lui devaient arriver à cette occasion : ce qu’elle fit et souffrit d’être huée de tout le monde comme quelque loup-garou ou sorcière, parce qu’elle avait la tête enveloppée de peur d’être connue. Elle y fut plus d’une heure. Ensuite de cela, cette femme ne put plus faire ses austérités accoutumées, particulièrement ses jeûnes de deux jours. Elle jeûna les jeûnes de l’Église, reprit le linge et ne fit plus tant de prières et le tout d’elle-même, parce qu’elle devint infirme et perdit cette dévotion sensible qui lui faisait faire tant de prières. Notre Seigneur lui envoya cette infirmité qui lui ôta le pouvoir de jeûner, afin de lui ôter la vanité et son orgueil. [305]

Chapitre 3. Contre la vanité. La haine que la sœur Marie lui porte. Combien elle est dangereuse. Elle rend une puanteur insupportable. Un saint homme est en purgatoire pour la vanité.

La sœur Marie a une grande haine contre toute sorte de vices, mais surtout contre l’orgueil et la vanité. Elle dit que si elle avait à être perdue, elle aimerait mieux que ce fût pour tout autre péché que pour la vanité, qu’elle est infiniment odieuse à Notre Dame. Elle dit aussi que si on lui mettait devant les yeux d’un côté les plus grandes consolations célestes et divines, et d’un autre les plus rudes et les plus amères tribulations, et que Dieu [305v] lui commandât de choisir, lui déclarant qu’elle lui serait aussi agréable dans les consolations que dans les tribulations, elle choisirait celles-ci, parce que, dit-elle, il y a grand sujet de craindre la vanité dans les consolations, qui est une chose terriblement à craindre.

Elle dit sur ce même sujet, le 15e jour d’août 1659, parlant d’un serviteur de Dieu qui a vécu saintement et qui est mort il y a environ sept ou huit ans, qu’il est [en purgatoire] parce qu’il avait de la vanité. Elle a parlé aussi de deux autres, qui ont tous deux saintement vécus, dont la mort il y a près de trois ans et l’autre un an après, qui sont tous deux en purgatoire, le premier parce qu’il avait de la vanité, le second pour le mauvais usage qu’il a fait de son bien. Le premier est beaucoup plus saint que le second, et néanmoins il ne sortira pas le premier du purgatoire. Ce sera le second qui en sortira aujourd’hui, car la Sainte Vierge promet qu’il entrera au ciel en ce jour de son Assomption, et que l’autre y entrera le jour de l’octave. [306]

Le 20 novembre 1654, la sœur Marie reçut une lettre d’une religieuse fort estimée pour la prier de l’offrir à Notre Seigneur et à Notre Dame et de leur demander quelque grâce pour elle. Aussitôt elle s’adressa à la Sainte Vierge qui lui dit : « Je vous dirai une parole ». Le jour suivant, elle s’adresse derechef à Notre Dame et lui présente cette religieuse, la priant de lui dire cette parole qu’elle avait promise ; mais elle vit qu’elle s’éloignait et se retirait comme ferait une personne qui aurait mal au cœur d’une chose qu’on lui présenterait et qui ne la pourrait souffrir. « D’où vient cela, dit la sœur Marie, que vous vous retiriez ainsi ?

– C’est, répondit la Sainte Vierge, qu’il sort de cette fille une puanteur insupportable.

– D’où procède cette puanteur ?

– De la vanité qui est logée chez elle.

– Mais on dit que c’est le vice de l’impureté qui est ainsi puant devant vous et que vous ne pouvez souffrir ?

– Il est vrai que l’impureté jette une horrible puanteur, mais celle qui vient de la vanité est incomparablement plus grande.

– Mais votre Fils dit que cette religieuse est prédestinée.

– Il est vrai, et elle est en état de grâce [306v], mais cela n’empêche pas que la vanité qui n’est qu’un péché véniel, ne soit en elle, qui la rend ainsi puante : car il y a des plaies qui sont mortelles qui ne rendent pas une si grande infection que d’autres qui ne le sont pas.

– Mais vous avez promis de dire une parole ?

– Voilà la parole que j’avais promise pour donner horreur à ceux que qui l’entendront de la vanité. » Enfin la sœur Marie ne put obtenir autre chose pour cette religieuse, nonobstant tous les efforts qu’elle fit pour cela, et cependant la religieuse passe pour une sainte dans l’esprit de plusieurs.

Le 21 de janvier 1654, la sœur Marie pensant à la sainte vie qu’avait menée un ecclésiastique, dont elle avait ouï raconter beaucoup de bonnes choses et qui était mort en odeur de sainteté depuis treize mois ou environ, et qui même après sa mort avait fait plusieurs choses miraculeuses, elle dit à Notre Seigneur : « Permettez-moi de me recommander à ses prières ?

– Non, dit-Il, on ne se recommande pas à ceux qui sont en purgatoire : celui-ci y est. »

Cette réponse l’étonna fort, elle demanda : « D’où vient qu’un si saint homme demeurait [307] si longtemps en purgatoire ? » Il lui dit que c’était pour la vanité, laquelle avait frappé à la porte en une certaine occasion qu’il lui désigna, et qu’il la lui avait ouverte, qu’il n’était en purgatoire que pour cette seule cause, qu’il n’avait point eu de vanité en toutes les bonnes œuvres qu’il avait faites, et en toutes les mortifications et austérités qu’il avait pratiquées durant tout le cours de sa vie qui était de soixante-quinze ans, mais seulement en cette occasion, laquelle était arrivée la dernière année de sa vie. Ensuite de cela, on fit dire un rosaire à la sœur Marie pour sa délivrance, et on l’assura qu’il ne serait plus guère en purgatoire, et comme il avait eu une grande dévotion au Saint Rosaire qu’il disait souvent, qu’ainsi il serait délivré par le Saint Rosaire.

Section 1. La vanité se nourrit par les louanges, et se fortifie par les flatteries des hommes qui sont du poison.

[307v] La sœur Marie ayant un jour envie d’écrire à quelqu’un une lettre de conjouissance sur le sujet du fruit que Dieu faisait par lui en quelque occasion, et n’ayant rien de particulier à lui mander qui lui eût été dit par Notre Seigneur, elle composa en son esprit une lettre puis la présenta au Fils de Dieu et lui demanda s’Il avait agréable qu’on [la] lui donnât.

« Non, dit-Il. Je vous le défends.

– Pourquoi ? , dit la sœur Marie.

– Parce que la fragilité humaine est grande et que les louanges qu’on donne à ses amis sont du poison qui rend l’humilité malade et dégoûtée, en sorte qu’elle ne prend plus goût aux mépris et aux humiliations, mais au contraire elle le trouve amer et insipide, comme aussi cela débilite et affaiblit les autres vertus.

– Mais vous lui donnez tant de louanges, dit-elle à Notre Seigneur.

– Il est vrai, dit-Il, mais mes paroles ne portent point de venin. Au contraire, elles donnent la connaissance de soi-même qui est une très bonne nourriture qui [308] nourrit et fortifie l’humilité et les autres vertus, et les rend fortes et agiles pour faire la guerre à la vanité et à tous les autres péchés. Mais quand l’homme donne des louanges à un autre homme, il peut bien donner le poison et non pas le remède.

– Qu’est-ce que fais cette connaissance de soi-même que vous donnez ? dit la sœur Marie.

– Elle fait que l’homme se connaissant soi-même s’abaisse et s’humilie, et renvoie à Dieu tous les dons aussi purs qu’ils sont sortis de leur source. »

Sur ce même sujet, la Sainte Vierge dit une fois à la sœur Marie que la flatterie est une vipère qui fait mourir quantité d’âmes, car elle tue les âmes de ceux qui flattent et de ceux qui sont flattés. Ce qui s’entend principalement des personnes dévotes qui s’entre-disent des louanges par lesquelles elles s’empoisonnent et se perdent les unes les autres. [308v]

Chapitre 4. Contre l’amour-propre, la propre excellence, la vanité et l’orgueil.

« Il y a trois sortes d’âmes, dit la sœur Marie. Premièrement il y a des âmes dans lesquelles Notre Seigneur est mort. Secondement il y en a dans lesquelles Il est vivant et non pas régnant. Troisièmement il y en a dans lesquelles Il est vivant et régnant. Les âmes dans lesquelles Il est mort, ce sont toutes les âmes chrétiennes qui sont en péché mortel, car Il a été vivant en elles, mais le péché l’y a fait mourir. Les âmes dans lesquelles Il est vivant et non régnant, ce sont celles qui sont en grâce, mais dans lesquelles l’amour-propre, la propre excellence et la vanité règnent. » L’amour-propre dont il est question n’est pas l’amour-propre sensuel, animal et terrestre qui nous porte à donner à nos sens les plaisirs et divertissements qu’ils demandent et à chercher nos intérêts dans les choses temporelles, mais c’est l’amour-propre spirituel qui nous porte à pratiquer les vertus et à faire plusieurs bonnes œuvres non pas pour le pur amour de Dieu, mais pour la consolation que nous y trouvons et pour [309] nous enrichir de mérites et biens spirituels, tant en la terre qu’au ciel.

La propre excellence est celle qui nous anime à tendre à la perfection des vertus et de la vie chrétienne non pas pour la seule gloire de Dieu, mais parce que nous regardons cette perfection comme une chose noble et excellente et très relevée qui nous fera exceller par-dessus les autres en la terre et en félicité dans le ciel.

La vanité est celle qui fait aimer et rechercher la gloire et la louange des hommes dans les vertus que l’on exerce et dans les saintes actions que l’on fait.

L’amour-propre et la propre excellence ne sont point péchés, mais imperfections. La vanité est péché véniel, car c’est un larcin par lequel nous dérobons à Dieu l’honneur et la gloire qui n’appartient qu’à Lui seul pour nous l’approprier. Et quand elle arrive jusqu’à l’orgueil qui est une grande estime de soi-même avec un mépris des autres, alors c’est péché mortel.

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie « que l’amour-propre, la propre excellence et la vanité font de grands dégâts parmi les personnes qui font profession de dévotion et que l’orgueil en damne plusieurs. » [309v] L’amour-propre et la propre excellence se marient ensemble et les bonnes œuvres qu’ils font sont leurs enfants. La vanité est leur suivante, car elle les sert en les excitant à faire des actions vertueuses pour acquérir de la louange, et l’esprit malin s’efforce de la faire toujours croître de degré en degré jusqu’à ce qu’elle arrive à l’orgueil.

L’amour-propre et la propre excellence prennent Notre Seigneur en pension. Ils le nourrissent des bonnes œuvres qu’ils font, dont Il se repaît fort bien, et Il leur paie bonne pension, et cette pension [ce] sont les consolations, les grâces et les bénédictions qu’Il donne en ce monde pour les bonnes œuvres qui se font par les âmes qui sont en grâce et les gloires et les félicités éternelles dont Il récompense en l’autre. La vanité ne cherche qu’à empoisonner et faire mourir Notre Seigneur. Elle l’empoisonne, l’affaiblit et le rend malade par les actions qu’elle fait faire à l’âme par esprit de vaine gloire, et elle le fait mourir lorsqu’elle le conduit jusqu’à l’orgueil. Voilà les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et non régnant, car Il est en elles en qualité de pensionnaire seulement et non pas comme maître de la [310] maison. C’est l’amour-propre et la propre excellence qui y dominent et qui en sont les maîtres. Mais l’âme fidèle prend un grand coutelas qui est la haine de soi-même, et d’un seul coup elle tranche la tête à tous deux, et alors la vanité s’enfuit. Le diable la voulant faire rentrer par une autre porte vient là-dessus et dit à l’âme : « Ô que vous avez bien fait. » Mais comme elle l’aperçoit, elle le connaît et le chasse promptement en s’humiliant dans le plus profond de son néant, et référant à Dieu tout l’honneur et toute la gloire.

Les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et régnant ce sont celles qui ne désirent rien en ce monde et en l’autre que de suivre en tout et partout Sa très adorable volonté et dans lesquelles l’amour-propre et la propre excellence et la vanité sont anéantis, ou pour le moins tellement affaiblis qu’ils ne dominent pas, mais Notre Seigneur qui est le maître de la maison et qui y règne plus ou moins, selon les divers états de grâce et d’amour qui s’y rencontrent, car où il y a plus d’amour divin et moins d’amour-propre, il y règne plus parfaitement. Ceux qui [310v] font de bonnes actions avec intention non de plaire à Dieu, mais d’accroître leur mérite, ils auront récompenses comme serviteurs. Ceux qui font bien sans espoir de salaire sont comme mes enfants qui auront part à ma gloire, comme qui mettrait une goutte d’eau en la mer aura part à la mer, mais ceux qui se vantent de ce qu’ils n’ont pas fait, Il se vengera d’eux comme ceux qui dérobent l’eau de la mer.

Chapitre 5. Contre la profanation des Lieux saints. Les ecclésiastiques qui se comportent irrévérencieusement dans l’église attirent l’Ire de Dieu.

La sœur Marie étant un jour à l’église pendant que l’on chantait une messe de Notre Dame, Dieu lui fit voir la même église comme un ciel, et elle se voyait comme si elle eût été dans le Paradis, et elle croyait y être effectivement, et que cette messe se célébrait dans le ciel, et que les prêtres qui la chantaient [311] étaient dans le ciel. En même temps elle vit Notre Seigneur et Sa sainte mère qui embrassaient tendrement et amoureusement ceux d’entre les prêtres qui se comportaient avec révérence dans la maison de Dieu et qui faisaient le divin office avec dévotion. Et comme elle aperçut quelques-uns qui parlaient et causaient ensembles, elle demanda : « Qu’est-ce que ceux-là disent, qu’est-ce qu’ils font ? » « Ils font, dit-elle, comme Judas quand il parlait de livrer mon Fils à la mort, ce sont des Judas qui le vendent. »

Il lui est arrivé souvent qu’entendant la voix d’un prêtre qui chantait à l’église qui ne vivait pas en prêtre, elle a été poussée de dire en soi-même par un mouvement extraordinaire, auquel elle ne peut résister : « Ô maudite voix, tu attires l’Ire de Dieu. »

Une fois qu’elle était dans l’église cathédrale de Coutances, un grand seigneur étant entré, le respect humain et la complaisance obligèrent les ecclésiastiques à faire toucher les orgues et chanter quelques motets pour lui plaire et pour le divertir, mais pendant que cela se faisait, la sœur Marie entendait [311v] Notre Seigneur disant à l’église : « Ô effrontée paillarde, tu profanes les choses saintes. »

Section 1. Contre ceux qui chantent en fredonnant et qui ne prononcent pas bien ce qu’ils disent. Contre ceux qui causent à l’église, et contre les mères dont les enfants profanent l’église par leur faute.

Étant à vêpres dans une église de religieuses, Notre Seigneur lui dit : « Il ne fait point bon ici, car il y vient du vent qui est bien froid. » Et lorsqu’à la fin des vêpres ces religieuses vinrent à chanter les litanies : « Il gèle, dit Notre Seigneur, ce vent froid a amené la gelée. » Et il disait cela parce que ces religieuses chantaient avec des voix fortes et fredonnantes, par vanité et pour plaire au monde, ce qui paraissait manifestement, car [312] lorsqu’il n’y avait personne à l’église, elles chantaient alors avec grande négligence et Notre Seigneur dit à la sœur Marie que cela attirait la malédiction de Dieu dans leur maison et qu’il y avait plusieurs religieuses damnées pour les fautes qu’elles commettaient en l’office divin, tant celle de cette nature que d’autres. Notre Seigneur et Notre Dame ont en abomination cette manière de chanter. Il faut réciter l’office divin avec une voix naturelle, prononçant distinctement tout ce que l’on dit, sans y apporter tant d’artifices et de fredons499 et ce, pour plaire à Dieu et non pas au monde. « Savez-vous bien, dit Notre Seigneur, ce que font ces religieuses qui chantent ainsi pour plaire au monde ?

– Non, dit-elle, je n’en sais rien.

– Elles me tournent le dos, dit le Fils de Dieu, pour se tourner vers mon ennemi qui est le monde. »

Et la Sainte Vierge dit : « Elles prennent ma couronne que la Sainte Trinité m’a donnée, qui est composée de toutes les belles qualités qui sont dans mes litanies : elles me les mettent dans la boue et dans l’ordure [312v] puis elles me les mettent sur la tête. »

La sœur Marie étant une autre fois dans l’église de quelques autres religieuses qui en récitant leurs litanies parlaient entre leurs dents et du bout des lèvres seulement, ne prononçant pas bien ce qu’elles disaient, elle entra dans une sainte colère contre elles. « Si j’avais été là-dedans, je ne sais ce que j’aurais fait. Comment ! Est-ce ainsi qu’il faut parler à Dieu ! Est-ce ainsi qu’il faut traiter les choses saintes ! n’ont-elles point de langue ! Ne savent-elles parler ni prononcer ce qu’elles disent ! »

Un jour, la Sainte Vierge commanda à la sœur Marie de faire écrire ce qui suit à un supérieur directeur de religieuses : « Vous qui avez pris la charge de conduire mes filles, donnez-leur cet avertissement de ma part, que quand elles chanteront les louanges de mon Fils, qu’elles ne contrefassent point leurs voix afin de les rendre plus belles et plus harmonieuses pour être plus agréables aux assistants, car c’est tourner le dos à mon Fils et caresser le monde son ennemi : c’est prendre les belles louanges et les vautrer dans la fange et dans le bourbier des vanités du monde et de ses modes. Maudit péché qui fait [313] bien du dégât dans la religion et en damne beaucoup ! Qu’elles prononcent bien distinctement toutes les paroles ! Si elles reçoivent mon avertissement, elles se disposeront à recevoir les dons, grâces, bénédictions et douces caresses de mon Fils. »

La sœur Marie voyant un gentilhomme et une demoiselle qui causaient à l’Église et s’en plaignant à Notre Seigneur, Il lui dit : « Que ferai-je à ces gens-là ? »

Elle lui répondit : « Vous les regarderez comme vos créatures et leur ferez miséricorde.

– Mais que leur ferai-Je ? Répéta Notre Seigneur.

– Vous les châtierez comme un bon père châtie des enfants avec une grande douceur.

– Mais qu’est-ce que Je leur ferai, dit-Il, encore une fois ? »

Alors la sœur Marie ne sachant plus que lui répondre, elle s’adressa à Notre Dame laquelle lui dit : « Dites-lui qu’Il les nourrira du pain de douleur et qu’Il les abreuvera de l’eau de larmes. »

Elle se retourna vers Notre Seigneur et lui dit : « Vous les nourrirez du pain de douleur et les abreuverez de l’eau de larmes.

– Oui assurément, répliqua Notre Seigneur, j’en ferai ainsi. »

Dieu a fait connaître à la sœur Marie [313v] qu’un des plus puissants moyens dont le diable se sert pour perdre quantité d’âmes, c’est d’induire les mères et les nourrices à mener leurs petits enfants à l’église, là où ils leur permettent et même parfois les excite à courir, jouer, causer, crier et à faire du bruit, et à troubler par ce moyen le service divin ou la prédication de la parole de Dieu ou la dévotion de ceux qui sont en prière. Elle dit que l’Ire de Dieu fulmine de terribles malédictions contre ces enfants et contre ces mères et nourrices ; mais, parce que les enfants ne sont pas capables d’offenser Dieu, ces malédictions tombent alors principalement sur les mères et sur les nourrices et d’autant que ces enfants ont été habitués dès leur petitesse à profaner les lieux saints, quand ils viennent à avoir l’usage de raison, ils continuent à faire la même chose, et alors ils commencent à porter les effets de la malédiction de Dieu qui consiste dans une certaine pente au péché, laquelle est une source de mille malheurs qui leur arrivent à l’âme et au corps. [314] Elle entendit un jour une voix du ciel prononçant malédiction sur une mère à cause que son petit enfant profanait l’église. Elle dit aussi qu’une certaine femme qui avait de grands défauts a été sauvée pour avoir eu soin d’apprendre à ses enfants dès leur petitesse le respect qu’ils doivent à Dieu dans l’église.

Notre Seigneur a aussi dit que la plupart de ces femmes qui gardent et qui louent des [mot illisible] dans l’église à ceux qui y viennent entendre la prédication, sont perdues à cause du bruit et des insolences qu’elles y font, criant comme dans une halle et se querellant et maudissant quelquefois les unes les autres. Lorsqu’elle demeurait chez Monsieur Potier et qu’elle était libre de sortir, elle allait tous les jours prier Dieu en diverses églises spécialement en celle des Jacobins en la chapelle du Saint Rosaire. En y allant et en revenant de là à la maison de Monsieur Potier, le plus court chemin et le plus facile était de passer par dedans la cathédrale ; mais jamais on [314v] ne lui a permis d’y entrer, sinon à dessein de prier ou d’y entendre la prédication.

On lui a fait connaître que les parements fardés des autels déplaisent à Notre Seigneur et à Notre Dame comme du linge plissé, empesé et entortillé avec du ruban qui n’est là pour aucun usage, et que Dieu donne sa malédiction à ce fard, et que ceux qui s’arrêtent à le regarder sont détournés de la dévotion, laquelle doit être excitée et augmentée par toutes les choses qui sont sur l’autel à raison de quoi on n’y doit rien mettre qui ne serve à cela.

Chapitre 6. Contre les superstitions, parjures et ceux qui retiennent le bien d’autrui.

Il y avait une femme à Coutances qui était fort estimée pour sa vertu et pour plusieurs bonnes actions qu’elle faisait, n’ayant rien en soi qui fut répréhensible excepté qu’elle se servait d’oraisons superstitieuses pour guérir les maladies : ce qu’elle ne voulut jamais quitter nonobstant [315] qu’elle en fût avertie plusieurs fois en public par les prédicateurs et en particulier par plusieurs personnes, parce qu’elle disait qu’il n’y avait pas de péché et qu’elle ne faisait que du bien au prochain par ce moyen. Étant morte, et la sœur Marie priant pour elle comme pour une personne qui ne devait être guère en purgatoire, Notre Seigneur lui fit connaître qu’elle était damnée pour le sujet précédent.

La sœur Marie a connu une autre femme des champs qui faisait tourner le sac et se servait d’oraisons superstitieuses pour guérir les vives500 des chevaux : mais elle le faisait par ignorance. Voilà pourquoi Dieu lui fit miséricorde, non pas pourtant sans la châtier secrètement, car comme Il nous punit par les choses par lesquelles nous l’offensons, Il permit qu’une autre méchante femme lui jetât un sortilège qui lui causa une longue maladie en laquelle elle souffrit longtemps de grandes douleurs et fut réduite en tel état qu’elle n’avait plus que la peau sur les os, et elle mourut en cet état, et Notre Seigneur fit connaître à la sœur Marie qu’elle était sauvée par le moyen de ce châtiment et parce qu’elle avait usé de ces superstitions ignoramment501. [315v] Un jour un certain gentilhomme s’étant parjuré en jugement pour de l’argent, Dieu le punit visiblement et publiquement par le feu qui prit à sa maison peu de temps après et qui brûla et consuma tout. Mais ce feu matériel n’était qu’une ombre du feu épouvantable de la colère de Dieu qu’Il avait allumé contre lui, car la sœur Marie assure que dans les flammes qui partaient de la maison de cet homme, elle vit l’Ire de Dieu qui lui donna tant de frayeur qu’elle en pensa tomber évanouie.

Une certaine femme étant morte, on donna un habit à la sœur Marie qui lui avait appartenu, afin qu’elle priât Dieu pour le repos de son âme. L’ayant reçu, elle le présenta à Notre Seigneur le priant de lui permettre de prier pour cette femme. « Non, dit-Il, Je n’accepte point vos prières pour elle, parce que cet habit est d’un bien qui n’était point à elle. Priez pour ceux à qui il appartient. » [316]

Chapitre 7. Contre l’envie, les contestations et les moqueries.

L’an 1646, le samedi de Pâques, on lui fit voir une femme fort éplorée et affligée. Elle fit ce qu’elle put pour se détourner de cette vue, mais il lui fut impossible. Elle vit donc cette femme qui avait la mamelle droite extrêmement enflée et enflammée, laquelle elle regardait en pleurant amèrement et disant qu’elle lui causait une grande douleur.

La sœur Marie demanda à Notre Dame d’où venaient cette enflure et cette inflammation qui faisait souffrir tant de douleurs à cette femme. « C’est, dit-elle, qu’elle a la mamelle pleine de sang. » Alors Notre Dame prit une grande feuille verte, la bailla à la même femme et lui dit : « Prenez cette feuille et la mettez sur votre mamelle, elle en ôtera l’inflammation et la douleur et en fera sortir le sang et quand elle sera vide de sang, je la remplirai de lait. » Cette femme ayant mis cette feuille sur son sein, Notre Dame la lui enveloppa d’un beau linge blanc.

Ensuite de cela, la sœur Marie demanda à Notre Dame qu’elle était cette femme ? « C’est l’Église, dit-elle.

– Qu’est-ce que la mamelle de l’Église ?

– Ce sont tous les ordres religieux qui sont dans l’Église. Au temps qu’ils étaient unis ensemble par l’amour et la charité [316v] et qu’ils n’étaient qu’un cœur et une âme, ils remplissaient la mamelle de l’Église de lait, ce qui signifie le bon exemple qu’ils donnaient en ce temps-là par la sainteté de leur vie, et l’Église en allaitait les pécheurs et les attirait à pénitence et dévotion. Mais maintenant, ajouta Notre Dame, ô malheur ! Une harpie est entrée dans tous les Ordres qui leur ôtent le pain de la main et de la bouche et les fait languir de faim, et la plus grande partie en sont morts. Cette harpie est l’envie qu’ils ont les uns contre les autres, laquelle leur ôte l’amour et la charité qui sont le vrai pain de vie qu’elle leur arrache de la bouche et de la main, en leur ôtant de la bouche et de la main les paroles et les actions de charité qu’ils devraient dire et faire les uns au regard des autres, et elle y met à la place la haine et l’animosité et c’est le sang dont cette mamelle est remplie. »

La même sœur Marie a connu une femme qui faisait toutes les charités qu’elle pouvait aux pauvres, mais elle dit qu’il y avait une harpie qui dévorait le mérite de ses bonnes œuvres et cette harpie était l’envie [317] qui lui faisait perdre en peu de temps ce qu’elle avait assemblé en plusieurs jours, semblable à ces manœuvres qui dépensent le dimanche tout ce qu’ils ont gagné à la semaine. Elle dit que cette envie n’était pas jusqu’à la coulpe mortelle.

Un jour, M. Potier ayant un peu contesté et dit quelques paroles rudes à un cordonnier qui lui apportait des souliers, parce qu’ils ne s’accordaient point sur le prix, et ensuite s’en étant allé à Vêpres, comme il fut revenu, la sœur Marie lui demanda avec douceur et respect s’il ferait bientôt certaines prières qu’il avait coutume de faire et de quelle manière il les pouvait faire en suite de la faute qu’il avait faite, ajoutant qu’il avait perdu le fruit de ces Vêpres d’où il venait, et que pour réparer cette faute il fallait qu’il allât trouver cet homme dans sa maison, lui demander pardon, présenter les souliers et lui donner satisfaction. Ce qu’il fit aussitôt, et lui donna en outre du prix qu’il lui avait demandé un pot de son cidre.

Notre Seigneur lui a fait connaître que les petites noises et contestations qui arrivent même entre les personnes de vertu lui sont très [317v] désagréables parce qu’elles blessent la charité et que ceux qui contestent et estrivent ensemble le mettent Lui et sa Sainte mère en prison.

Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie que la moquerie est un grand péché, extrêmement contraire à la charité et qu’il est plus grand même que de dire des injures en colère. Elle a fait souvent cette prière : « Seigneur, jamais je ne me suis moqué de personne. Ayez pitié de moi et faites que mes ennemis ne se moquent point de moi. »

Surtout ce lui est une chose très douloureuse lorsqu’elle voit quelques-uns qui rient des fautes d’autrui. « Hélas, dit-elle, si on voyait un enfant qui eût tué son père et se tuât soi-même du même coup dont il aurait massacré son père, y aurait-il de l’apparence de s’en rire ? C’est ce que fait celui qui tombe dans un péché mortel : il tue Dieu qui est son père, autant qu’il est tué en soi et il se donne la mort à soi-même. Comment est-il possible de rire d’un malheur si déplorable et se moquer de celui-là ? » [318]

Chapitre 8. Contre la gourmandise, ivrognerie et friandise.

Un jour, un certain prêtre ayant déjà bu avec excès, vint à la maison de M. Potier lui dire qu’il voulait boire de son cidre, à quoi il résista tant qu’il put ; mais ne pouvant le faire sortir de sa maison, il lui en bailla le moins qu’il put avec un morceau de pain qu’il mit sur la table sans boire ni manger avec lui. Pendant qu’il fut à la maison, la sœur Marie n’y entra pas par respect qu’elle portait à la prêtrise, d’autant qu’elle craignait y faire quelque désordre y entrant. Mais sitôt qu’il fut parti, elle y entra tout en fureur contre le vice de l’ivresse. Elle prit le verre avec ses deux mains et le mit en pièces : puis elle prit le vaisseau dans lequel avait été le cidre et avec une hache elle le coupa en morceaux, et elle fut forcée de faire tout cela en détestation de l’ivrognerie.

Un autre jour, le frère de M. Potier l’étant venu voir [318v] et s’étant enivré chez lui contre sa volonté et nonobstant la résistance qu’il y fit, il arriva ensuite qu’un tonneau qu’il avait dans sa cave plein de fort bon cidre se défonçât inopinément, de sorte que tout le cidre fut répandu et perdu entièrement, car comme il en voulut recueillir quelque partie, la sœur Marie lui dit dans un mouvement extraordinaire : « Gardez-vous bien d’en ramasser une goutte, car c’est Dieu qui a fait cela pour vous punir d’en avoir donné avec excès à votre frère et de n’avoir point fait tout ce que vous auriez pu pour l’empêcher de s’enivrer. Sachez que l’Ire et la malédiction de Dieu sont en ce cidre. N’y touchez point que pour le jeter tout en la rue. » Ce qu’il fit.

Durant le mal de douze ans, pendant lequel elle portait les péchés d’autrui de diverses manières, on lui fit voir et souffrir une des peines qui sont destinées aux gourmands et impudiques en cette façon. Elle se voyait enchaînée et attachée pieds et poings à un poteau en un lieu marécageux. Auprès d’elle il y avait une auge pleine d’une certaine mangeaille qui faisait horreur à voir [319] et ressemblait à la râclure des cuirs quand on les râcle à la sortie des pleins502, et elle en mangeait goulûment comme ferait un pourceau, et avec cela elle enrageait de faim. Comme l’auge se vidait, on la remplissait et [elle] ne savait pas par qui, et outre cela sa chair, ce lui semblait, s’en allait en pourriture et n’y restait que les nerfs et les os. C’est une des peines qui sont préparées aux gourmands et aux impudiques, qu’on lui faisait porter.

Un jour la sœur Marie se trouvant dans la maison d’un chanoine où il y avait des pots de confiture sur la table, Notre Seigneur lui fit voir quantité de petits vers qui fourmillaient dans ces confitures. Elle demanda ce que voulaient dire ces vers. « Ce sont, dit-Il, les péchés véniels que commettent ceux qui mangent de ces confitures ou d’autres semblables délicatesses par friandise et sans nécessité ou cause raisonnable. » Elle lui demanda si on n’en pouvait point manger sans pécher véniellement et pourquoi donc on les faisait, et il lui dit que c’était pour les malades qui avaient perdu le goût et non pas pour les sains, sinon en quelque occasion en laquelle la [319v] charité ou l’obéissance ou quelque autre cause raisonnable y oblige.

Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint point. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. » [320]

Chapitre 9. Contre le péché déshonnête.

Dans les premières années que la sœur Marie fut à Coutances, avant qu’elle demeurât chez Messieurs de Juganville et Potier, elle se retirait ordinairement dans une petite salle proche de la chapelle qui était pour lors dans le manoir épiscopal, là où plusieurs personnes la venaient voir pour lui donner quelque consolation, et entre autres M. Potier qui dès lors avait grande charité pour elle et qui lui rendait toute l’assistance possible. Or en ce temps-là elle était extrêmement travaillée par plusieurs maléfices que lui jetèrent les sorciers, dont l’effet était de l’embraser du feu infernal de la concupiscence, et comme elle savait ce qui était arrivé à d’autres filles qui avaient été comme forcées par la violence de semblables sortilèges à faire des choses scandaleuses et infâmes, elle était en de grandes frayeurs qu’il ne lui arrivât quelque chose [320v] de pareil. Voici pourquoi M. Potier la venant voir quelquefois, sitôt qu’elle le voyait entrer, elle lui disait : « Monsieur, prenez garde à vous. Ne craignez point les malins esprits qui sont ici, car ils ne vous peuvent rien, mais gardez-vous de moi, car vous me devez plus redouter que tous les démons ensemble, parce que les sortilèges dont je suis travaillée forcent quelquefois, quand Dieu le permet, à faire des choses étranges. C’est pourquoi tenez, voilà un bâton : si vous apercevez que la fureur des sortilèges me porte vers vous, frappez sur moi à grands coups comme sur une bête et ne m’épargnez pas. Mais le meilleur est de vous armer de l’oraison et de vous mettre en la protection de Notre Seigneur et de sa sainte Mère. Et pour cet effet, faisons quelque prière. » Ensuite de cela, ils se mettaient à genoux, disaient ensemble quelque litanie et le Saint Rosaire, chacun disant l’Ave Maria alternativement et par ce moyen la malignité des charmes était entièrement anéantie. [321]

Section 1. Oraison et moyen contre les tentations impures. Contre les gorges découvertes, pompes et vanités mondaines ; et contre les chansons profanes.

La sœur Marie dit que quand elle était travaillée avec plus de violence contre la pureté par les maléfices des sorciers, elle ne trouvait rien qui la fortifiât tant que cette prière qu’elle faisait à la Sainte Vierge : « Très Sainte Vierge, je vous supplie par cette grande pureté en laquelle vous avez été conçue de saint Joachim et de sainte Anne, de m’assister et me délivrer de cette tentation. » Je faisais, dit-elle, cette prière, car je pensais en moi-même que, puisqu’elle [321v] a été conçue sans le péché originel, il fallait nécessairement qu’elle eût été conçue dans une très grande et très parfaite pureté, et qu’en cette conception miraculeuse et tout immaculée Saint Joachim et Sainte Anne avaient été l’instrument du Saint-Esprit, qui est la pureté même et la source de toute pureté. Elle dit aussi que pour repousser promptement une tentation et spécialement celle qui tend à l’impureté, le plus singulier moyen c’est de se la proposer pour motif à faire quelque bien. « Il n’y a jamais eu personne, dit-elle, dans l’esprit de laquelle le diable ai jeté tant de méchantes, sales et abominables pensées et représentations comme il a fait dans le mien, me mettant devant les yeux des personnes débauchées et leur débauche, mais aussitôt je me retournais à Dieu et lui disait : “Mon Dieu, je vous supplie, faites-leur miséricorde.” Aussitôt la tentation cessait. Voilà qui montre bien, dit-elle, que le diable est étrangement ennemi du bien, puisqu’il n’y a si forte tentation qu’il ne quitte quand il en voit réussir le moindre bien du monde. » [322]

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que les filles et les femmes qui portaient la gorge découverte pèchent mortellement, spécialement après qu’on les a averties du mal qu’il y a et que c’est bien fait de le prêcher, parce que c’est comme qui crierait à une personne qui va vers un précipice : « Gardez-vous, prenez garde à vous, si vous avancez, vous êtes perdue. » Car quoique lorsqu’elles ne sont point averties et qu’elles n’ont point de mauvaises intentions, elles ne soient pas toujours en péché mortel, elles sont néanmoins dans le chemin qui y va et elles y tomberont bientôt ; joint qu’il y a péché à cause du mauvais exemple qu’elles donnent, qui excite les autres à faire de même, et cela tire après soi quantité de malédictions. « C’est, dit Notre Seigneur, comme une brebis galeuse qui affecte le troupeau et comme un homme qui a la peste qui empoisonne tout le monde. »

« Autrefois, dit la sœur Marie, quand je voyais des femmes et des filles qui avaient la [322v] gorge découverte, je rugissais comme un lion et étais pleine de fureur contre elles, et si je me fusse crue, j’eusse pris des charbons ardents sans me soucier de me brûler pour les jeter là-dessus. »

« La gorge découverte, dit un jour le Fils de Dieu à la sœur Marie, est un couteau qui blesse la chasteté de celui qui la désire. La gorge découverte est ennemie jurée de la chasteté et n’entrera jamais en paradis sans pénitence. »

Après que Notre Seigneur eût dit cela, la Sainte Vierge parla ainsi : « Et moi, dit-elle, si j’avais à prêcher sur ce sujet, voici ce que je dirais : “La gorge découverte est un instrument du diable dont il se sert pour mener les âmes en enfer. La gorge découverte est l’objet de l’Ire de Dieu et n’entrera jamais en paradis sans pénitence.” »

On a aussi fait connaître que la nudité des bras des femmes et des filles est très désagréable à Dieu, que souvent il y a péché mortel, qu’elle est cause d’un grand nombre de péchés et de la perdition des âmes, qu’elle attriste les anges, qu’elle réjouit les démons, lesquels sont attroupés sur les bras découverts pour exciter ceux qui les regardent à quelque pensée ou regard déshonnête. [323]

La sœur Marie a été un temps qu’elle sentait une grande aversion sans savoir pourquoi au regard des demoiselles en général. Durant ce temps, quoique qu’elle saluât fort volontiers toutes les pauvres femmes qu’elle rencontrait, elle haïssait néanmoins en général si horriblement toutes les demoiselles sans faire des distinctions d’aucunes en particulier qu’il lui était impossible de les saluer ni de leur faire la révérence quand elle passait auprès d’elles. Pour ce sujet, elle s’en alla à Notre Seigneur et lui dit : « Pourquoi est-ce que je hais tant ces personnes-là ? Elles ne m’ont jamais rien fait et encore je vois qu’elles font de bonnes actions. » Voici ce qu’Il lui répondit : « Si vous voyiez une belle princesse fille d’un roi et qu’à vos yeux on la liât de chaînes de fer, qu’on lui crachât au visage, qu’on la battît, qu’on la déchirât ou foulât aux pieds, et qu’on la couvrît toute de boue et d’ordure, pourriez-vous bien vous empêcher de haïr ceux qui la maltraiteraient de la sorte ? Cette princesse, fille de roi, c’est l’âme [323v] de ces personnes-là qu’elles traitent ainsi par leurs vanités et mondanités : c’est pourquoi vous les haïssez tant. » Au même temps que Notre Seigneur lui eût dit cela cette haine cessa et elle ne l’a point eue depuis, car quelquefois Il lui donne de certains sentiments de diverses manières qui tendent à lui faire connaître quelque chose qu’Il lui veut apprendre. C’est pourquoi après qu’on lui a dit la chose, les sentiments la quittent.

En ce temps-là il y avait une demoiselle fardée et ajustée, à la ville de Coutances, qui était dans toutes les vanités imaginables. Elle portait la gorge découverte et amenait toutes sortes de modes nouvelles. Un jour, comme la sœur Marie était dans l’église, la voyant passer auprès d’elle, elle commença de dire en soi-même : « Hélas, tu prends bien de la peine à détruire ce que j’ai eu tant de peine à bâtir. » Et au même temps elle entendit Notre Seigneur qui lui dit : « Laissez-la faire, sa vanité passera bientôt et sa peine sera éternelle. » Et peu de temps après elle mourut sans pénitence. [324]

Une fille de laquelle sœur Marie avait grand soin se laissait aller quelquefois à chanter des chansons profanes et mondaines. Ce qu’elle faisait néanmoins si secrètement que sa mère même n’en avait point connaissance. Mais Notre Seigneur en avertit la sœur Marie qui était éloignée de dix-huit lieues et lui commanda d’en avertir sa mère. Ce qu’elle fit par un billet que M. Potier écrivit en ces termes : « Avertissement à notre beau bouton de lys que le divin Époux regarde. Il désire d’elle qu’elle le regarde aussi réciproquement et se plaint de ce qu’elle chante des chansons profanes et y prend plaisir. Les chansons profanes sont une peste qui fait mourir la chasteté. Prenez-y garde. » La mère ayant reçu cet avertissement en parla à sa fille, qui confessa qu’il était vrai qu’elle chantait quelquefois de ces chansons, mais depuis elle s’en abstint entièrement. [324v]

Chapitre 10. Contre les nouvelles modes.

L’an 1644, le 15 de mai, la sœur Marie entendit Notre Seigneur qui disait : « Mes parterres sont languissants, ils se flétrissent et perdent leur odeur.

– D’où procède cela ? » dit la sœur Marie.

Notre Seigneur lui répondit : « Ils sont bien cultivés et ont la rosée du ciel, mais il y a quantité d’ordes bêtes qui infectent la racine et cela fait que les plantes flétrissent. » Puis il ajouta : « Savez-vous bien où J’ai fait mon parterre ?

– Nenni, répondit la sœur Marie.

– Cherchez bien », dit Notre Seigneur. Elle se travailla à chercher, mais ne trouvant point où, Notre Seigneur lui dit : « Je vous le dirai : J’ai fait mon parterre sur le bord de la mer, dans le sable, et quand la mer se déborde et passe par-dessus toutes ces fleurs, elle ne les déracine pas ni ne les renverse point. Mais quand elle vient à se retirer, elles s’engraissent et deviennent plus belles et plus éclatantes et rendent une odeur [325] si aromatique que l’on ne pourrait pas se l’imaginer. Oh ! Qu’il fera beau à l’avenir se promener sur le rivage de la mer ! On y sentira de bonnes odeurs, on verra toutes mes belles fleurs, on verra la rose épanouie et éclatante ayant la feuille grande, grasse et épaisse, et le lys tout de même comme aussi la violette, l’œillet, le thym, la marjolaine, et toutes sortes d’autres fleurs et herbes de bonnes odeurs. »

Après cela, Il dit à la sœur Marie que les parterres desquels Il lui avait parlé premièrement étaient les religieux et les religieuses et les prêtres aussi, qui sont enfermés dans le jardin de l’Église. Ils sont bien cultivés et ont la rosée du ciel, c’est-à-dire ils sont bien instruits en la doctrine de la vérité et reçoivent beaucoup de grâces du ciel, mais les ordes bêtes qui les infectent à la racine sont les modes auxquelles ils se laissent aller : « Oh maudites modes », disait-elle en cette occasion. « Oh ! Les maudites modes, qu’elles font de mal et qu’elles sont désagréables à Dieu ! » Ensuite de cela elle invectiva grandement contre [325v] les modes observées dans les religions503 et ailleurs, à parler, à prier et à saluer, aux bâtiments et aux jardins, y blâmant extrêmement toutes les superfluités que l’on y fait en palissades, escaliers, étages et choses semblables.

Elle blâma aussi les excès et superfluités aux aubes et surplis, comme d’y mettre des dentelles et des passements et de les empeser de bleu. « Il n’y a rien de si agréable à Dieu que la simplicité. Un jour quelques filles m’empesèrent deux couvre-chefs et y mirent du bleu selon la mode. Je m’en accommode sans y penser. Au même temps me voilà surprise d’un grand mal de tête bien extraordinaire. Comme j’étais en peine d’où cela venait, je m’avisai qu’il y avait du bleu à mon couvre-chef. Aussitôt je l’arrache et prends encore l’autre et les mis tous deux dans un bassin plein d’eau d’où les ayant tirés peu après, il me fallut mettre les pieds dessus et aussitôt mon mal s’en alla. »

« Néanmoins il faut se comporter avec prudence, dit la sœur Marie, pour retrancher les modes et n’y pas [326] faire violence sur l’esprit des autres parce que cela ferait un grand mal. Il faut les tolérer pour quelque temps quand on voit que les esprits ne sont pas disposés, puis tout doucement et avec le temps on pourra les persuader, tant par paroles que par exemple, commençant par les choses qui nous appartiennent, mais peu à peu, afin qu’un subit changement ne donne occasion de murmures. »

« Les modes, dit une autre fois la sœur Marie, sont une peste contagieuse qui fait aux âmes les mêmes effets que la peste au corps. Tout ceux qui suivent les modes n’en meurent pas non plus que ceux qui ont la peste, mais ils en sont bien malades et plusieurs en meurent. Les modes font mourir plus d’âmes que la peste de corps. »

La sœur Marie voyant une nouvelle mode de chaperons que les femmes et filles portaient, dont le derrière est rond comme une assiette ou quelquefois en ovale, Notre Seigneur [326v] lui dit : « Savez-vous bien ce que c’est que cela ?

– Non, je n’en sais rien.

– C’est, dit-il, une selle pour porter le diable, lequel est assis dessus. »

Dans une autre occasion Il dit encore que « les prêtres qui suivent les modes du monde, même celles qui semblent les plus innocentes, sont devant Dieu et devant les anges ce qu’un beau visage tout charbonné et barbouillé est devant les hommes, comme aussi qu’ils sont semblables à un homme sage qui imiterait les extravagances d’un fol. S’il y avait un fol en cette ville courant les rues, revêtu de haillons, charbonné, barbouillé, couvert de boue et d’ordures, et faisant mille actions de folie et de badinerie et que les hommes qui passeraient pour sages dans la ville quittassent leurs occupations sérieuses pour se joindre à lui, se barbouillant comme lui et l’imitant en ses folies et impertinences, que dirait-on de cet homme-là ? Ne dirait-on pas et ne croirait-on pas [327] avec raison qu’il aurait perdu l’esprit et serait devenu insensé ? Or sachez que le monde est un fol et que sa folie paraît spécialement au changement perpétuel de ses modes, car stultus ut luna mutatur504. Les prêtres sont les sages de la terre, mais quand ils suivent le monde en ses modes, ils courent après un fol et se rendent semblables à lui dans ses folies. »

Chapitre 11. Contre le monde. Les biens temporels ne sont rien.

Un jour Notre Seigneur fit voir à la sœur Marie un arbre qui était au milieu d’une belle plaine herbue et verdoyante. Il était fort haut et s’élevait en pointe. Au bas il était fort touffu et étendu. Les feuilles en étaient parfaitement belles, mais au derrière il y avait un hameçon caché et toutes les feuilles tremblaient. Cet arbre c’est le monde, les feuilles sont les voluptés différentes dont le diable se sert pour accrocher les âmes. Elles sont tremblantes parce qu’elles sont [327v] honteuses. Ce fut Notre Seigneur qui donna cette explication.

En l’année 1644, elle disait souvent : « Hélas ! Où sommes-nous ? Nous sommes dans un désert où on ne voit personne, où on n’entend que des bêtes qui hurlent. » On lui fit entendre que ce désert c’est le monde parce que l’on n’y voit plus que fort peu d’hommes et qu’il n’est presque plus habité que de bêtes, c’est-à-dire de personnes qui mènent une vie brutale. On n’y entend plus parler le langage des hommes raisonnables et chrétiens, mais celui des bêtes. On n’y entend plus que des jurements, blasphèmes, médisances, malédictions et imprécations, des paroles sales et autres semblables.

L’an 1653 au mois de décembre, la sœur Marie ayant prié Notre Seigneur de lui permettre de dire un rosaire, Il lui accorda. Elle le supplia d’y donner quelque bénédiction : « Non, dit-Il, Je ne donnerai rien du tout. Ce sera un rosaire stérile. » Elle demanda pourquoi il l’appelait ainsi : « Parce que, dit-Il, Je vous ordonne de le dire afin de demander du bien temporel pour des personnes qui en ont besoin. Or le bien [328] temporel n’est rien, car c’est une chose qui passe et qui cessera d’être. »

Section 1. Elle a vaincu le monde, le diable et la chair.

L’an 1646 au mois de juillet, la sœur Marie devant aller à Notre-Dame de la Victoire proche Valognes, Notre Seigneur fit vœu d’y aller en elle pour vaincre la mort, c’est-à-dire le péché, le monde et le diable. Et Notre Dame en fit un pour vaincre la chair, c’est-à-dire les passions et les sentiments. Après cela Notre Seigneur dit à la sœur Marie que pour vaincre la mort il fallait demander la grâce, pour vaincre la mort il fallait demander la force, pour vaincre le diable il fallait demander la patience.

Notre Dame dit que pour vaincre ses passions et ses sentiments la grâce suffisait.

En la même année, au mois de décembre, la sœur Marie vit venir à soi trois troupes [328v] de bêtes venimeuses. La première était de mourons, la seconde de crapauds, la troisième de serpents. Mais elle écrasa et tua tout cela, ce qui donne à entendre qu’elle a vaincu la chair représentée par les mourons, le monde par les crapauds, le démon par les serpents. [329]

Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes.

Chapitre 1. La sœur Marie est en la main de la grâce qui l’a toujours conduite depuis son baptême et à laquelle elle a toujours obéi.

Un jour elle vit une âme à l’issue de son baptême qu’une belle princesse qui était la grâce divine tenait par la main pour la conduire par toutes ses voies. Cette princesse était environnée et suivie de plusieurs jeunes filles et était aussi [329v] entourée d’un grand nombre d’éthiopiens (que la sœur Marie appelle des maquereaux) qui la suivaient et s’efforçaient de la séduire. La grâce la conduisait par une belle campagne, la tenant toujours par la main, et elle demandait à la grâce s’il y avait encore bien loin pour arriver au lieu où était l’époux avec qui elle était fiancée par le baptême et qu’elle devait épouser. La grâce disait qu’elle savait un chemin bien plus court, mais qu’il était fort pénible. L’âme répondit que sous sa conduite elle en sortirait bien. Elles entrent donc en ce chemin qui était fangeux et raboteux : il y avait des pierres où la Grâce lui faisait placer les pieds pour passer les mauvais pas. Et les éthiopiens tiraient souvent l’âme par la robe et lui donnaient avis de massacrer cette princesse qui la tenait par la main. Quand une âme qui n’est pas fidèle vient à détourner la tête pour regarder dans ce détour le pied lui manque et elle fait sauter de la fange sur sa robe qui la souille. Mais celle-ci, bien éloignée [330] d’adhérer aux suggestions malignes de ces infâmes, suppliait cette princesse de la prendre pour sa servante et lui promettait de lui obéir en tout et partout. Le soir venu elles arrivèrent à l’hôtellerie où elles trouvèrent un festin préparé, se mirent à table et firent grande chère. Le lendemain elles entrèrent dans une petite plaine ; l’âme demanda s’il y avait encore bien loin. La Grâce répondit qu’elle savait encore un chemin plus court. L’âme dit qu’elle le voulait bien prendre. Ensuite de quoi elles arrivèrent à l’entrée d’un bois. Ici la Grâce passa derrière l’âme, l’embrassa de ses deux mains et lui mit un voile noir dessus la tête, de sorte que l’âme ne voyait plus la Grâce et ne savait pas qu’elle fût derrière elle. L’âme étant dans cet état s’étonne et s’écrie. Cependant elles entrent dans le bois. Voilà des tonnerres et des éclairs qui menacent de perdre tout, et quantité de bêtes sauvages qui se jettent sur l’âme pour la dévorer et qui la déchirent et tourmentent horriblement. [330v]

Voici l’explication de toutes ces choses : cette âme dont il est parlé, c’est l’âme de la sœur Marie. La princesse qui la tient par la main c’est la grâce divine, ainsi qu’il a été dit. Les jeunes filles qui suivent cette princesse sont toutes les vertus. Les éthiopiens qui environnent l’âme sont les démons. L’époux de l’âme c’est Jésus-Christ. La belle campagne c’est le temps durant lequel la sœur Marie communiait et était remplie de très grandes consolations. Le chemin étroit et plein de fange, c’est le temps des maléfices. Le festin, c’est la dernière communion sacramentelle qu’elle fit avant d’en être privée, comme elle l’a été durant plusieurs années. La petite plaine, c’est l’année pendant laquelle elle communia spirituellement ensuite de sa dernière communion sacramentelle et avant que d’entrer dans l’enfer, et tout ceci fait voir comme la sœur Marie a toujours été en la conduite de la grâce depuis son baptême, et comme elle lui a toujours obéi en toutes choses. [331]

Section 1. Règne de la grâce dans la sœur Marie, et les règles qu’elle lui donne pour les puissances de son âme, pour ses sens, pour ses passions, pour la prière, tentations, charité vers soi-même, ses amis et vers ses ennemis.

La grâce de Dieu qui est en la sœur Marie et qui y règne absolument, a établi en elle une merveilleuse économie et lui a donné la règle suivante qu’elle a toujours gardée exactement et très parfaitement, qu’elle appelle la règle des possédées, c’est-à-dire, de l’Esprit de Dieu.

Cette grande reine qui est la Grâce divine a commandé à sa mémoire d’étudier en la connaissance de soi-même [331v] se souvenant que d’elle-même elle n’a pour partage que le néant, le péché et l’enfer, comme aussi de se souvenir des bienfaits de Dieu pour l’en remercier. Elle a commandé à l’entendement de s’étudier à connaître la volonté de Dieu en toutes choses. Elle a commandé à la volonté de se soumettre promptement et aveuglément à toutes les volontés de Dieu qui lui sont proposées par l’entendement, sans raisonner et sans demander pourquoi. Elle a commandé à tous les sens extérieurs et intérieurs de prendre de la main de Dieu tout ce qui leur arrive et de se réjouir autant dans les plus grandes afflictions comme dans les consolations. Elle a commandé à l’appétit irascible de ne haïr rien que le péché et elle lui fait haïr ce monstre jusqu’au point de vouloir souffrir autant d’enfer que Dieu en peut faire que de commettre aucune offense contre lui. Elle a commandé à l’appétit concupiscible de n’aimer rien que Dieu et pour Dieu, et elle le lui fait aimer jusqu’à un si haut degré de pureté et de perfection qu’elle aimerait mieux être anéantie que de [332] donner à aucune créature la moindre étincelle de l’amour qui est dû au Créateur.

Ces deux appétits que la sœur Marie appelle les deux passions lui sont représentés par des ciseaux, car l’irascible coupe et retranche toute autre haine que celle du péché, et la concupiscible coupe et retranche tout autre amour que celui de Dieu.

Cette divine maîtresse lui a enseigné que quand elle prie, elle demande à Notre Seigneur qu’Il lui donne ce qu’Il a demandé pour elle quand il a dit Pater noster, car en faisant cette prière, Il a demandé pour elle et pour un chacun toutes les choses qui lui sont nécessaires et convenables pour la gloire de Dieu et pour son salut.

Cette sainte directrice l’instruit de vaincre les tentations en cette façon. Lorsque le diable donne quelque pensée contre la pureté, c’est qu’il veut salir et barbouiller la face de l’âme afin que Notre Seigneur en détourne ses yeux, car le regard de Dieu sur l’âme est ce qui fait germer en elle les [332v] bons désirs et qui la rend victorieuse contre les attaques de Satan, à raison de quoi, il fait ce qu’il peut pour priver l’âme de ces divins regards. Mais que sitôt que l’on aperçoit de ces mauvaises pensées, il faut en détourner sa face et la tourner vers Notre Seigneur et s’enfuir au côté de la Sainte Vierge. Lorsqu’il vient d’autres pensées de vengeance, de colère, etc., qui sont comme autant d’ordes bêtes, elle lui dit qu’il les faut tuer. Si le nombre en est trop grand, il faut s’enfuir comme l’on ferait à la vue d’une troupe de serpents, de mourons et d’autres bêtes venimeuses. Elle lui fait voir la différence qu’il y a entre le péché d’impureté et les autres, qui est que le péché d’impureté est comme un vilain et horrible crachat qui non seulement salit la face de l’âme, mais encore qui fait mal au cœur, et que les autres sont comme du charbon qui la noircissent, et que les péchés véniels la barbouillent.

Cette sacrée princesse lui commande de [333] s’aimer soi-même d’un amour vigilant, rigide, austère et plein de vengeance, afin de veiller sur soi-même et sur toutes ses actions, et si elle tombe en quelque défaut de ne se flatter pas, mais d’en prendre une rigoureuse vengeance, et lui ordonne aussi d’aimer ses amis et familiers de ce même amour. Cet amour oublie tout le bien qu’il reçoit de la personne aimée et ne la considère point, mais il se souvient du mal qu’il commet pour l’en reprendre sans rien pardonner. Voilà pourquoi il est austère et plein de vengeance.

Elle lui commande de regarder et d’aimer ceux qui la persécutent, qui la méprisent et qui lui font quelque mal, lequel pourtant n’est pas tel qu’ils y pèchent mortellement, comme des petits enfants, et de les aimer d’un amour tendre, et de les regarder comme des enfants qui marchent dans un chemin glissant, et courir au-devant les embrasser et [333v] les présenter à Notre Seigneur et à Notre Dame pour les prier de leur donner lumière afin de se conduire et grâce pour s’appuyer de peur qu’ils ne tombent, et qu’elle dise aussi d’elle-même pour moi : « Ils me traitent comme je le mérite. »

Touchant ceux qui la persécutent jusqu’au point de pécher mortellement, elle lui commande d’offrir à Dieu le mal qu’ils lui font souffrir pour eux afin d’obtenir de Sa bonté qu’Il leur donne la contrition par le moyen de laquelle ils soient ressuscités de la mort du péché à la vie de la grâce.

Pour ce qui est des sorciers qui l’on tant affligée, elle les lui fait aimer d’un amour semblable à celui qu’aurait une mère pour l’enfant qu’elle aurait porté en son ventre et qu’elle allaiterait de ses mamelles, parce qu’ils sont cause de ses souffrances qu’elle aime infiniment. [334]

Section 2. Elle lui fait pratiquer plusieurs mortifications. Elle anime quelquefois ses sens. La grâce est une couronne. Dieu la donne à celui qui fait ce qu’il peut.

Cette sage conductrice lui a fait pratiquer plusieurs grandes mortifications quelque temps avant qu’elle ne descendît en enfer. Elle lui ôta l’espace d’un an tout aliment excepté le pain et l’eau et quelque peu de fruits le dimanche. Ensuite elle lui ôta l’eau l’espace de deux ou trois ans et ne lui laissa que trois quarterons de pain par jour. Néanmoins parce qu’elle ne pouvait avaler, elle lui permit de faire bouillir l’eau avec du sel pour émier505 son pain dedans et puis le presser et le manger. [334v] Mais un jour, pour avoir eu le désir de mettre un peu de thym dans cette eau, afin que son pain y sentît, elle la priva de sel pour cette fois.

Outre cela, elle lui commanda de prendre un cilice et une peau de pourceau tournée qu’elle portait alternativement tous les jours.

Quelquefois, mais rarement, cette sainte gouvernante qui a établi sa demeure en son esprit descend dans ses sens et anime toutes les gouttes de sang et l’humeur qui sont en elle et les convertit comme autant de bouches et de voies différentes qui chantaient les louanges de Dieu avec une merveilleuse harmonie et elle les invite à cela :

Venez et nous éjouissons

Au seigneur avec révérence :

Célébrons en gaies chansons

Le rocher de notre assurance,

Paraissons, chantant à l’envie

Devant sa face tant aimée

De nos voix l’instrument suivi

Hausse en tout lieu sa renommée506.

Cet instrument sont nos œuvres qui doivent correspondre à nos paroles, à louer et glorifier Dieu.

Un jour la sœur Marie voulant prier pour [335] son directeur M. le Pileur, qui était pour lors à la campagne, il ne lui fut pas permis, mais elle le regarda seulement devant Dieu et lui souhaita du bien, et Notre Seigneur dit : « Il se porte bien et il a la couronne sur la tête. Par la couronne, dit-il, est entendue la grâce divine qui fait participer l’homme à la filiation et à la royauté divine. Elle regarda aussi toute la famille, c’est-à-dire tous les frères et as [s] ociés et Notre Seigneur dit : « Tous se portent bien, ils sont tous couronnés. »

Une autre fois, quelqu’un s’étant recommandé à elle par lettre qu’il lui écrivit pour la prier d’avoir soin de son salut, comme on lisait la lettre, la Sainte Vierge lui dit avec une grande douceur les paroles suivantes : « Celui qui fait ce qu’il peut, Dieu lui donne sa grâce. Celui qui fait ce qu’il peut, qu’il continue et nous continuerons aussi. »

Chapitre 2. De la foi. Trois sortes de foi.

Priant pour une personne de condition [335v] qu’on lui avait recommandée et pour laquelle on l’avait priée de demander à Dieu qu’Il lui donnât une foi vive et parfaite, parce que les difficultés et résistances qu’elle apportait à se soumettre en plusieurs choses au sentiment de ceux qui devaient régir sa conscience faisaient voir la faiblesse de sa foi, Notre Seigneur lui dit qu’Il lui avait donné la foi au baptême, mais qu’elle l’avait estropiée. Ensuite de quoi, Il ajouta qu’il y avait trois sortes de foi. Premièrement la foi vive et opérante par charité. Deuxièmement, la foi morte qui n’est point animée de la charité, et en troisième lieu la foi estropiée.

Et Il lui fit entendre que la foi vive était un trésor immense et inestimable, que la foi morte pouvait être ressuscitée et qu’elle était moins dangereuse que la foi estropiée. Mais que la foi estropiée n’était bonne à rien parce qu’elle a les deux pieds coupés et la main droite. « Ces deux pieds, dit le Fils de Dieu, sont l’humilité et la soumission aux maximes et sentiments de l’Église. Sa main droite, c’est l’obéissance que l’on doit à ses pasteurs et confesseurs dans les choses qu’ils ordonnent de faire pour le salut. Il ne lui [336] reste que la main gauche, c’est son jugement naturel, qu’elle préfère à celui de l’Église et dont elle se sert pour contester et discuter contre ses supérieurs et confesseurs. Telle est la foi de la personne dont vous me parlez. » Ce qui était vrai, car c’était une personne qui dans les compagnies prenait plaisir à discuter contre les maximes évangéliques et qui dans les confessions usait de contestation avec les confesseurs qui ne la flattaient point et qui avaient zèle pour son salut.

Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte.

[336v] L’an 1646, le 6e de novembre, Notre Seigneur parla à la sœur Marie en cette façon : « [Ne] voulez-vous point que je vous donne quelque consolation ?

– Non [336v] répondit-elle.

– J’en veux prendre moi, dit le Fils de Dieu. C’est ici mon heure de récréation. Si un grand prince voulait se récréer avec son petit chien et que le petit chien pouvait parler, il lui dirait : “Mon maître, je ne suis pas digne que vous preniez votre récréation avec moi”. Le maître lui dirait : “Je n’ai pas égard à votre dignité ou indignité, mais je veux prendre mon divertissement.” »

Ensuite de quoi, Il commença à lui parler comme Il a accoutumé de parler en ses colloques, d’une manière qui porte une lumière en l’esprit, pleine de vérités et de certitude infaillible, qui pénètre le cœur et qui fait sortir des larmes en abondance. Or voici ce qu’Il lui dit : « N’y a-t-il point d’âmes en purgatoire que vous voulussiez délivrer ? » « Oui, dit-elle, j’en serais fort aise. » Alors elle en proposa plusieurs en particulier, les unes après les autres, qu’elle savait être en purgatoire, mais toutes ses propositions furent rejetées. Après, comme elle ne savait plus que proposer :

« Il y a pourtant un personnage en purgatoire que vous seriez bien aise qu’il fût délivré !

– Qui est-il ? dit la sœur Marie.

– C’est votre esprit, répondit [337] Notre Seigneur. Je le veux délivrer et envoyer à la gloire.

– Faite ce qu’il Vous plaira, dit-elle, je n’en serai point marrie », quoique pourtant elle haïsse de telle façon son esprit qu’elle n’en peut ouïr parler qu’avec peine.

Sur quoi, Notre Seigneur ajouta : « Ne voulez-vous point aller à la gloire avec lui ?

– Non, dit-elle, ne me parlez point de gloire et outre cela je ne veux point être là où sera mon esprit ; et puis quelle apparence que vous fussiez ici en croix et que je fusse dans la gloire !

– Mais si mon Père voulait que je demeurasse ici en croix et que vous allassiez à la gloire, que diriez-vous ?

– Je vous assure, dit-elle, que si j’étais dans la gloire et que vous fussiez ici en croix, toutes les joies du paradis se convertiraient en peine et en douleur pour moi, et le paradis me serait un enfer.

– Et lequel est-ce que vous aimeriez le mieux, d’être dans le paradis ou dans l’enfer, moi étant encore ici souffrant ?

– Si cela était à mon choix, répondit-elle, j’aimerais beaucoup mieux être en enfer qu’en paradis, parce que j’aurais cette consolation que si vous souffriez, je souffrirais [337v] aussi.

– Mais si mon Père, ajouta Notre Seigneur, voulut que j’allasse dans la gloire et que vous demeurassiez dans les souffrances ?

– Ô, dit-elle, voilà ce que je voudrais !

– Mais si vous n’alliez point dans la gloire et que vous souffrissiez éternellement ?

– Je voudrais souffrir éternellement avec vous.

– Véritablement, dit Notre Seigneur, vous m’aimez beaucoup, votre amour ne peut aller plus loin, mais pourtant il est infiniment éloigné de celui que je vous porte, car Je vous aime et toutes les âmes d’un amour infini. »

Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.

Dans toutes les choses qu’elle a faites et souffertes, jamais elle n’a eu d’autres prétentions que de plaire à Dieu et de suivre Sa sainte volonté, sans avoir aucun égard ni au mérite [338] ni à la récompense qu’elle pouvait acquérir. Elle ne peut pas même souffrir les termes de mérite et de récompense parce qu’elle voudrait qu’on servît Dieu non point pour des considérations, mais pour l’amour de Lui-même. Pendant qu’elle était dans ce grand désir de souffrir dont il a été parlé, elle s’en allait à tous les saints à qui Dieu donne le pouvoir de guérir de certaines maladies ceux qui s’adressent à eux, et de lui donner leurs maladies.

Elle allait à sainte Geneviève et lui disait : « Il y a tant de personnes qui ont la fièvre, qui vous demandent la guérison. Je vous en prie, guérissez-les toutes et donnez-moi toutes leurs fièvres. Je les souffrirai bien moyennant la grâce de Dieu. » Elle faisait la même prière hier à saint Main507 et à plusieurs autres saints et saintes et les importunait sans cesse.

Mais Notre Seigneur y remédia en cette façon, Il se présenta devant elle portant sur son bras quantité de pierreries et de couronnes, de chaînes d’or et autres choses semblables, et commença à lui dire : « Tenez, voilà ce que vous demandez tant.

– Moi, dit-elle, point du tout, je ne veux point de tout cela. Au contraire [338v] je vous demande des afflictions et des maux.

– Il est vrai, dit-Il, mais pourtant voilà ce que vous demandez, car ce sont les récompenses qui suivent ces choses que vous demandez. »

Depuis qu’Il eut dît cela, elle ne demanda plus les choses qu’elle demandait auparavant avec tant d’empressement, car le mot seul de récompense lui est tellement insupportable, que si elle avait une bonne œuvre à faire et qu’on lui dit : « Voilà la récompense », elle la quitterait.

L’an 1653, le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. Il y a quelque temps que Notre Seigneur m’avait dit qu’Il me donnerait un baiser de Sa divinité, et Il m’a dit depuis que ce grand amour de mon esprit au regard de Sa divine volonté est le baiser de Sa divinité.

« Aujourd’hui Il me disait : “Si votre esprit revenait, le voudriez-vous point ?”

– Non !

– Pourquoi cela ?

– Parce que je ne le puis aimer. [339]

– Pourquoi cela ?

– Parce que je ne veux aimer que Dieu seul. Quand j’aurais l’amour de tous les séraphins, de tous les saints et de toutes les créatures, je n’en voudrais pas donner la moindre étincelle à mon esprit.

– Mais si je vous commandais de l’aimer.

– Vous ferez ce qu’il Vous plaira, mais il m’est impossible de donner à une créature l’amour qui n’est du qu’au Créateur et je sais bien que vous ne commandez jamais des choses impossibles.

– Mais si Je disais que Je veux votre esprit et que Je ne vous veux pas, si vous ne voulez le recevoir et l’aimer, et qu’ainsi il faut que vous vous en alliez au néant si vous ne voulez pas l’aimer ?

– Je vous dirais que j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle de l’amour que je dois à Dieu seul. Je veux bien vivre avec lui pour le servir et lui obéir, et non pas pour l’aimer, si ce n’est en la manière que j’aime les saints et que j’aime toutes les bonnes choses, mais non pas de l’amour duquel je dois aimer Dieu. C’est un amour déiforme qui n’appartient [339v] qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne œuvre ni souffrance quelles qu’elles soient, quand elle égalerait celles de l’enfer, voire même quand une personne souffrirait tous les tourments que toutes les créatures qui ont été, sont et seront, pourraient endurer, elle ne pourrait jamais le mériter. Il n’appartient qu’à Dieu seul, car il n’est pas permis d’aimer de cet amour-là ni les anges, ni les saints, ni la Sainte Vierge, ni même Notre Seigneur en tant qu’homme, ni aucune chose créée quelle qu’elle puisse être. Je l’appelle un amour déiforme parce qu’il est marqué du caractère de Dieu. Il porte les signes et les sceaux de Dieu, et ces sceaux sont les divins attributs dont ils portent l’impression, afin qu’on sache qu’il n’appartient qu’à Dieu et à ses divins attributs. Cet amour est dans les sens, et néanmoins il n’est point sensible : c’est un des effets de mon beau verset qui m’a été donné depuis un si long temps et qui ne m’a été donné que pour mes sens. Ce sont ces belles démarches [340] de la Divine sapience dans ma chair et dans mon sang que j’ai vu il y a si longtemps et desquelles j’étais bien assurée qu’il était impossible qu’un autre que la Sapience éternelle en peut faire de semblables. Elle a fait ces démarches dans ma chair et dans mon sang, lorsqu’elle en a pris possession. C’est elle qui a mis cet amour déiforme dans mes sens et qui les marque de ses signes et de ses sceaux. C’est ce baiser de l’humanité de Notre Seigneur qu’Il avait promis de donner à mes sens, car c’est ainsi que les sens aiment la Divinité. C’est la plus haute disposition qu’ils puissent avoir pour se préparer au mariage divin qui se doit faire entre les sens de Notre Seigneur et eux. Je n’eusse jamais cru que les sens eussent été capables de choses si grandes. Aussi ils sont tout honteux et tout tremblants de voir qu’on les veuille élever à une chose si grande, et ils s’en excusent et disent qu’ils n’aspirent pas là, qu’ils ne demandent pas cela, qu’ils ne le désirent [340v] pas. Mais Dieu fait ce qui Lui plaît. Ce sont ici des vérités véritables dont je porte une impression si forte qu’il m’est impossible d’en douter ni de parler autrement. »

La sœur Marie a dit toutes ces choses en la façon qu’elles sont ici écrites.

Section 2. On ne peut rien faire pour l’amour de Dieu quand on n’a pas l’amour de Dieu en soi. Différence de ceux qui agissent par amour de Dieu et de ceux qui agissent par amour propre.

Une dame rencontrant la sœur Marie lui dit : « Je vous veux donner quelque chose.

– Madame, lui dit-elle, je n’ai besoin de rien, je vous remercie.

– N’importe, dit cette [341] dame, je veux vous donner une chemise pour l’amour de Dieu.

– Si vous me la donnez pour l’amour de Dieu je ne la refuserai pas. » Cependant depuis ce temps-là elle lui en parla point et ne lui donna rien, et Notre Seigneur lui dit qu’elle n’avait garde de la lui donner pour l’amour de Dieu parce que l’amour de Dieu n’était point en elle.

Notre Seigneur lui a fait connaître la différence entre celui qui agit par amour propre et celui qui agit pour l’amour de Dieu, c’est-à-dire qui ne désire autre chose que de Lui plaire et Le suivre en tout et partout Sa divine volonté. Celui-là ressemble à un voyageur qui, dans un chemin beau et droit, court promptement et se dépouille tout nu pour aller plus vite ; et celui qui agit par intérêt ressemble à un homme qui marche dans un dédale et qui avec cela se charge de tout ce qu’il rencontre qui lui peut être utile en [341v] toutes les occasions qui s’offrent. Il ne regarde pas ce qui est plus agréable à Dieu, mais ce qui lui sera plus utile et plus méritoire. Tous les chemins lui sont bons, pourvu qu’il y ait à gagner pour lui. Un tel homme avance fort peu et travaille beaucoup. Ceux qui marchent par le premier chemin sont vrais enfants de Dieu. Ceux qui marchent par le second sont des serviteurs à gages.

Chapitre 4. De la dévotion. En quoi elle consiste et quelle a été celle de Notre Seigneur sur la terre.

L’an 1645, le jour de sainte Madeleine, la sœur Marie voyant plusieurs personnes à genoux et en dévotion dans la chapelle du saint Rosaire, elle demanda à Notre Seigneur en quoi consistait la vraie dévotion. Voici ce qu’Il répondit : « La vraie dévotion a trois degrés. Le premier est de n’aimer que Dieu seul et d’aimer toutes choses en Lui et pour l’amour de Lui. Le deuxième est de se haïr soi-même et [342] faire mourir toutes ses passions, tous ses sentiments et tous ses désirs, afin qu’il n’y demeure que Dieu seul vivant et régnant. Le troisième est de vivre hors de son être naturel d’une vie inconnue à celui qui la possède. »

« La vraie dévotion, disait un jour la sœur Marie, consiste à se donner entièrement et de tout son cœur à Dieu afin qu’Il fasse de nous tout ce qui Lui plaira. C’est une grande injustice d’ôter à Dieu la liberté qu’Il doit avoir de disposer de sa créature en la manière qu’il Lui plaît. Il nous a donné la liberté pour faire ce que nous voulons ; n’est-il pas bien raisonnable aussi qu’Il ait la liberté entière et absolue pour faire de nous ce qu’Il veut. Or ceux qui Le servent afin qu’Il leur donne son paradis ou qu’Il les délivre de l’enfer, ou qu’Il leur donne des grâces et des consolations, lui ôtent cette liberté. C’est pourquoi la parfaite dévotion consiste à faire et souffrir tout ce qu’il demande de nous de bon cœur pour l’amour de lui, sans considération ni de paradis ni d’enfer [342v] ni d’autre chose, nous contentant de Lui être agréable et nous abandonnant entièrement à Sa divine volonté, afin qu’après avoir fait par le moyen de Sa grâce tout ce que nous aurons pu pour son service, Il nous envoie au néant s’Il a agréable ou même dans l’enfer si nous y étions sans péché. Enfin la véritable dévotion consiste à renoncer entièrement à notre volonté et à notre liberté pour la donner à Dieu, afin qu’Il nous conduise par tel chemin qu’Il lui plaira, par les maladies ou par la santé, par la pauvreté ou par l’abondance, par la consolation ou la désolation, et qu’Il ordonne de nous tout ce qu’il Lui plaira en la vie ou en la mort, au corps ou en l’âme, au temps et en l’éternité, sans avoir inclination à nos intérêts, ne regardant que Sa gloire et l’accomplissement de Sa très adorable volonté.

Un jour la sœur Marie étant fort malade, dit à la Sainte Vierge : « Ayez pitié de moi. Si j’étais libre, je ferais quelque vœu à cette [343] intention.

– Quel vœu feriez-vous ? dit Notre Dame.

– Je ferais le vœu de dire un rosaire tous les jours, de réciter les litanies, etc.

– Tout cela est bien, dit la mère de Dieu, mais il y a un autre vœu qui est bien meilleur que ceux-là.

– Je fais ce vœu, dit la sœur Marie. Dites-moi ce que c’est pour l’accomplir et ce qu’il faut faire.

– Il n’y a rien à faire ni à dire, dit la Sainte Vierge.

– Quoi donc ? dit la sœur Marie.

– C’est d’avoir un grand désir, répondit Notre Dame, que Dieu vive par la grâce dans toutes les âmes qu’Il a créées à Son image et semblance et qu’Il y règne par conformité de volonté. Voilà la dévotion la plus agréable à Dieu de toutes les dévotions, parce qu’il n’y a rien qui soit plus à la gloire de Dieu que le salut des âmes. Et c’était la dévotion de mon Fils pendant qu’Il était sur la terre, et c’est le but et la fin où doivent tendre toutes les autres dévotions. » [343v]

Section 1. Différence des âmes qui sont dans la dévotion sensible d’avec celles qui sont dans les sécheresses. Le démon donne quelquefois des consolations. Trois maux dans la dévotion et leurs remèdes.

Le 17 novembre 1645, Notre Seigneur lui ordonna de dire un rosaire. Ce qu’elle fit. Quand elle l’eut dit, Il revint et lui dit : « Vous n’avez point de dévotion.

– Non, dit-elle, car vous ne m’en avez pas donné. »

Ensuite de cela, Il lui dit : « Je veux vous faire voir la différence qu’il y a entre deux âmes dont l’une prie avec dévotion sensible, l’autre avec sécheresse, par cette similitude. Représentez-vous deux peintres auxquels un roi a ordonné de remettre en couleur deux siennes images que lui-même avait peintes, mais elles avaient été salies, gâtées et décolorées. Il leur a donné à tous deux [344] de l’eau qui est nécessaire pour les décrasser ; il leur donne aussi à chacun une pièce d’or pour acheter des couleurs nécessaires, et à chacun un pinceau pour les appliquer. Mais il y a entre eux cette différence, que leur roi loge l’un de ces peintres dans son palais, le fait manger à sa table et l’honore souvent de sa présence, pendant qu’il travaille, et lui donne la consolation de son entretien. L’autre peintre travaille tout seul en son logis au cœur de l’hiver et dans la rigueur du froid. Ils font également bien l’un et l’autre. Lequel est-ce des deux qui méritent plus de récompenses ? Sans doute c’est le dernier. »

Les images sont les âmes souillées du péché. L’eau c’est la contrition. La pièce d’or c’est le franc arbitre. « Ô la belle pièce d’or », disait Notre Seigneur. Les couleurs sont la vraie foi, la vraie espérance et les autres vertus. Le pinceau c’est la grâce. Le premier des deux peintres, c’est celui qui en bien faisant a une dévotion sensible, le second est celui qui travaille avec sécheresse. Lequel est-ce [344v] des deux qui plaît davantage à Dieu ? C’est le second. Mais malheur à celui qui jette le pinceau et qui laisse fouler au pied l’image du grand roi !

En l’année 1647, une certaine femme mariée qui demeurait aux champs vint trouver la sœur Marie et lui dit qu’elle avait des consolations si grandes en la communion et en ses prières qu’elle était toute transportée et qu’elle était souvent obligée de dire à Dieu qu’elle n’en pouvait plus. Après qu’elle fut partie, la sœur Marie dit à Notre Seigneur : « Permettez-moi, je vous prie, de vous remercier des consolations que vous donnez à cette bonne femme.

– Il n’en est pas besoin, dit-Il, de M’en remercier.

– C’est donc qu’elle vous a remercié ?

– Non elle n’en a que faire.

– Et pourquoi ?

– Parce que ce n’est point moi qui les lui donne, c’est le diable.

– Pourquoi le permettez-vous ?

– Je le permets, parce que cela l’excite à faire quantité de bonnes œuvres, comme de visiter et assister les malades, de faire plusieurs aumônes, mais après tout, je lui ferai miséricorde. » [345]

Une fois la sœur Marie regardait plusieurs filles dévotes de sa connaissance et demandait pour elles le don de persévérance. Notre Seigneur dit : « Ce sont de beaux boutons qui nous promettent de bons fruits, mais elles ont à se prendre garde de508 trois choses, à savoir du brouillard, de la blanche gelée et du mauvais vent, lesquels arrivent en cette manière. Quand l’âme s’épanouit en la pratique des vertus, le diable s’approche d’elle et lui brouille l’esprit de plusieurs pensées, désirs et affections de l’amour-propre, et voilà le brouillard ou la brume. Après cela, il lui persuade qu’elle a fait un grand progrès et qu’elle excelle par-dessus les autres. Alors elle se détourne de Dieu et se tourne vers soi-même, faisant ses actions pour exceller en ce monde et pour avoir beaucoup de gloire en l’autre. Et c’est ici la blanche gelée qui est la propre excellence. Ensuite il l’excite à la vanité, puis il la souffle du vent de l’orgueil qui est le mauvais vent. Le remède à tous ces maux est d’étudier à la connaissance de soi-même pour apprendre [345v] à se haïr et à se mépriser, afin de diminuer peu à peu la nourriture de l’amour-propre et la propre excellence et ainsi de les affaiblir : ce qui ne se peut faire sans un long et grand travail. Quand ils sont bien affaiblis, l’âme les étouffe et les fait mourir et il ne demeure en elle que l’amour de Dieu et la charité du prochain. Contre le mauvais vent Notre Seigneur dit que celui qui se couche contre terre on ne le peut faire tomber, c’est-à-dire que celui qui s’abaisse par une profonde humilité, le vent de l’orgueil ne lui peut rien. »

Chapitre 5. De sa dévotion et vénération pour toutes les choses de l’Église. Sur les encensements. De l’eau bénite.

La sœur Marie a toujours eu une grande dévotion et une singulière vénération pour toutes les choses de l’Église, c’est-à-dire pour la doctrine, les maximes, les sentiments, les [346] sacrements, les commandements, les cérémonies, les usages, les choses sacramentelles qu’on appelle, tel qu’est le pain bénit, l’eau bénite et autres choses semblables, et généralement pour tout ce qui est de l’Église et pour tout ce qui s’y dit et s’y fait ordinairement. Elle ne peut rien croire des choses qui se passent en elle, mais elle a une foi très accomplie et un respect indicible pour tout ce que l’Église enseigne et ordonne dans les choses qui se lisent et qui se chantent en l’église. Elle y a trouvé souvent des enivrements et des ferveurs indicibles. Sur quoi, elle demandait un jour à Notre Seigneur d’où venait cela qu’elle trouvait tant de goût et de consolation en des choses qu’elle n’entendait pas. Il lui dit qu’en ceci, il lui arrivait comme à un villageois qui ne vivrait que de pain d’orge et d’eau si on lui baillait à boire d’une agréable liqueur composée de choses excellentes comme de l’hypocras509. Il n’aurait point [346v] l’intelligence de ce breuvage pour dire de quoi il serait composé, mais il dirait qu’il serait très agréable au goût. Il ajouta que plusieurs entendent ces choses qui ne les goûtent pas et que plusieurs les goûtent, qui ne les entendent pas.

Notre Seigneur lui a donné beaucoup de fois de belles explications sur les diverses cérémonies de l’Église, qui n’ont point été écrites quand elle les a dites, et dont elle ne se souvient plus maintenant. En voici une seulement sur les encensements, desquels Notre Seigneur lui dit un jour que c’était une très sainte cérémonie et Il la lui expliqua en cette façon : « Le prêtre qui fait cette cérémonie encense deux choses principalement. Premièrement, il offre de l’encens à l’autel, c’est-à-dire à Dieu de la part de l’Église composée du clergé et des fidèles. Deuxièmement, il en donne au clergé et au peuple de la part de Dieu. Lorsqu’il offre de l’encens à Dieu de la part des fidèles, cela représente [347] comme nous devons lui offrir et lui donner notre volonté. Lorsqu’il en donne aux fidèles de la part de Dieu, cela signifie que Dieu donne sa volonté à ceux qui lui donnent la leur. »

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que l’eau bénite représente les afflictions qui sont envoyées de Dieu. C’est pourquoi lorsqu’on en fait l’aspersion au dimanche dans l’Église, il la faut recevoir avec dévotion et respect et dans la disposition de prendre de la main de Dieu toutes les afflictions qu’il lui plaira nous envoyer. « Ô qu’il y a longtemps, disait un jour Notre Seigneur, que mon Église me demande que Je l’asperge d’hysope. Je l’aspergerai abondamment et la rendrai plus blanche que la neige, c’est-à-dire par la grande affliction qui doit effacer tous les péchés du monde. » En prenant de l’eau bénite, elle dit la prière suivante que Notre Seigneur lui a enseignée : « Le Précieux Sang de vos sacrées veines, ô bon Jésus, et l’eau de vos entrailles saintes, nous veuillent bénir [347v] et sanctifier. » Une fois, comme elle disait cette prière en prenant de l’eau bénite, elle entendit un des démons qui la possédaient qui disait en soupirant et d’un accent plein de douleur : « Hélas ! Je n’en suis pas ! »

Section 1. Du psautier. Trois directeurs de la sœur Marie. Excellence de sept psaumes pénitentiaux.

Surtout la sœur Marie a une dévotion particulière pour le psautier qu’elle a en français de la version de M. Desportes510. Après le Saint Rosaire, c’est ce qu’elle aime le plus. Dès le commencement de ses souffrances, Notre Seigneur le lui donna pour directeur. Et en effet tous les états où elle se trouve, toutes les choses qui lui arrivent ou qui se passent en elle, toutes ses dispositions sont très clairement exprimés et à la lettre dans les psaumes de la version de Desportes. Notre Seigneur lui met plusieurs versets [348] dans l’esprit selon les différents états où elle est, quelquefois des psaumes entiers. Elle dit que le psautier est la cave à vin de Notre Seigneur et qu’il est tout plein de vin céleste, de mystères et de secrets divins. C’est une consolation particulière de la voir et de l’entendre quand elle parle de son psautier ou qu’elle en chante quelque chose. Elle paraît toutes enivrée de ce nectar délicieux et elle invite les autres à en boire avec tant d’efficace qu’elle les enivre aussi avec elle. Mais il ne lui est pas permis d’entrer en cette cave que rarement, parce qu’il y a trop de consolation pour elle et qu’il faut qu’elle souffre.

L’an 1645, le septième de février, elle dit à Notre Seigneur de ce qu’on lui avait parlé de sainte Thérèse : « Vous avez tant donné de directeurs à cette sainte, et à moi vous ne m’en avez jamais donné un seul ! » « Je vous ai donné, répondit-il, trois directeurs des plus sages et des plus saints qui aient jamais été. Il n’y a que moi seul qui sache le chemin par lequel vous marchez. Pour ce [348v] sujet, J’ai pris la conduite de votre esprit. Ma mère m’a suivi et a pris la conduite de vos sens intérieurs, et Je vous ai donné le psautier pour directeur de vos sens extérieurs. » Elle dit que c’est le jardin de Notre Seigneur et de Notre Dame, et Il lui donne non seulement en qualité de directeur, mais aussi comme un jardin de délices. Mais la clef de ce jardin est entre les mains de Notre Seigneur et elle n’y peut entrer qu’avec permission qu’Il ne lui donne ordinairement que dans une grande affliction. Il lui dit un jour : « Allons arroser notre jardin, il en sera plus fertile. » Aussitôt elle prit son psautier et le lut tout entier et ne cessa de pleurer en le lisant.

Un autre jour, Il lui dit : « Allons, mon épouse, allons en notre jardin. » Ayant dit cela, elle vit l’Amour divin et la Charité divine qui marchaient devant et qui entrèrent devant dans le jardin. Notre Seigneur suivait après. La Sainte Vierge était à sa droite et elle à sa gauche. Au haut du jardin elle vit un beau rosier de roses rouges. L’amour [349] divin en cueillit une, la lui donna et lui dit : « Prenez cette rose et la gardez pour l’amour de votre époux. Je l’ai cueilli à son rosier. Et cet rose était ce verset : Super aspidem, etc. La Charité cueillit une rose blanche à un rosier proche de l’autre, la lui présenta et lui dit : « Tenez, prenez cette rose et la gardez pour l’amour de votre mère : je l’ai cueillie à son rosier. » Cette rose était ce verset du Psaume : Nonne Deo subjecta erit anima mea, ab ipso enim salutare meum. Voici ce verset en français de Desportes :

Quoi qui survienne en toute chose

Mon âme au Seigneur se repose

Humble et soumise à son vouloir.

C’est lui d’où tout salut arrive.

Mon Dieu, mon Fort, ma roche vive

Rien ne peut beaucoup m’émouvoir511.

Après cela, Notre Dame tira de son sein un lys rouge, le présenta à ses sens qui marchaient derrière elle comme de petits enfants : « Voilà une fleur que je l’ai cueillie dans le jardin de saint Paul. Cette fleur [349v] était ces paroles : Cupio dissolvi et esse cum Christo512. Alors les sens se réjouirent et dirent : « Courage, nous allons mourir et allons avec Jésus. » Mais on leur dit que cela s’entendait de mourir à soi-même. À l’entrée du jardin susdit, il y a une salle verte qui sont les hymnes de saint Bernard sur Notre Seigneur ; or dans cette salle verte l’amour divin présenta à l’esprit de la sœur Marie une fleur désagréable et lui dit en la lui présentant : « Vous désirez des maux, il en vient de toutes parts, du ciel, de la terre et des enfers. » Cette fleur était ce verset de saint Bernard :

Jam quod quaesivi video

Quod concupivi teneo.

Amore Jesu langueo

Et corde totus ardeo513.



La Charité en présenta une à ses sens, qui était toute semblable :

Sequar quocumque ierit

Mihi tolli non poteris

Cum meum cor abstuleris

Jesus, laus nostri generis.



La Sainte Vierge cueillit un lys blanc et le donna à ses sens, qui était ce qui suit :

[350] Mihi dilecte revertere

Consors paternae dexterae

Hostem vicisti prospere

Jam cœli regno fruere.



Notre Dame lui dit que ce verset s’entendait du Saint-Sacrement qui s’en était allé pour eux, et qu’ils le rappelaient. Et Notre Seigneur en sortant du jardin, donna un beau lys blanc à son esprit sous ce verset :

Te nunc Deus prissime

Vultu precamur cernuo

Illapsa nobis cœlitus

Largire dona spiritus514.



Et à ses sens cet autre verset :

Consolator optime,

Dulcis hospes animae,

Dulce refrigerium515.



Après tout cela elle se trouva au même lieu qu’auparavant comme si elle n’avait point partie de sa place. Entre les psaumes, on lui a toujours fait grande estime des sept pénitentiaux. [350v]

Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation.

Auparavant qu’elle vînt à Coutances, elle ne savait pas lire, mais lorsqu’elle y fut, on lui apprit à lire516. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s’appelle : la Reigle de la Perfection qui est divisée en trois parties. La troisième partie traite de la plus haute contemplation et les deux premiers enseignent les moyens dont on peut se servir pour y arriver517.

Lorsqu’elle eut ce livre, elle ne savait que lire très imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins lorsqu’elle vint à l’ouvrir, elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie, et qui plus est, elle l’entendait fort bien. Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres, d’autant qu’elle n’en avait que faire, Dieu ne l’ayant point fait passer par ce chemin là pour la conduire à la perfection où elle était arrivé et qui était décrite dans cette troisième partie. [351]

Notre Seigneur lui donna encore un autre livre composé par un prêtre nommé Thomas Deschamps518, intitulé Les Fleurs de l’Amour Divin ou Le Jardin des Contemplatifs, là où l’on voyait plusieurs choses de très haute perfection, qui sont conformes aux divers états par lesquels elle a passé, spécialement au troisième degré de patience, au chapitre de l’obéissance et dans les trois premiers degrés de divines probations. L’on voit aussi dans la seconde partie du troisième livre qui est à la fin, les plus rares secrets et les plus hauts points de la vie contemplative qu’elle a expérimentés. De là vient qu’elle a dit plusieurs fois que si elle était trompée, il fallait brûler ce livre parce que l’état où elle était et les choses qui se passaient en elle y était approuvées et autorisées. Semblablement quand elle lisait ce que sainte Thérèse a écrit dans ses livres touchant la plus sublime contemplation, elle s’étonnait de ce que cette sainte en faisait tant d’état, parce qu’elle croyait que cela était commun à tout le monde. [351v]

De tout ceci il est [facile] de juger que dès le commencement de sa vie, elle a été élevée au plus haut degré de la vie contemplative et qu’ainsi elle a commencé par où les autres finissent.

Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.

Depuis qu’elle vit Notre Seigneur crucifié en elle, ainsi qu’il a été rapporté ci-devant, et qu’en lui disant ces paroles « Qui es-tu ? » Il lui fit voir qu’elle n’était rien et qu’Il était tout en elle, Il est toujours demeuré dans son cœur. C’est là qu’elle Le trouve et qu’elle Le voit d’une manière qui est sans nulle forme ni figure. C’est là que se passent les entretiens et les colloques qui se font entre Lui et elle. Elle a été un temps que lorsqu’Il lui voulait faire entendre quelque chose, c’était en un instant et en passant comme un éclair. Mais en ce [351bis] moment, Il lui imprimait quantité de choses tout d’un coup. Maintenant Il lui imprime les choses qu’Il lui veut dire par plusieurs paroles intérieures qui se succèdent les unes aux autres. Autrefois, quand elle était dans les consolations, lorsqu’Il lui parlait, Ses paroles l’embrasaient toute du feu sacré de Son divin amour. Mais depuis qu’elle a été enivrée, Il retient en soi l’effet de sa parole, de sorte que quoiqu’Il lui parle souvent, pour l’ordinaire elle n’en reçoit aucune consolation. C’est dans l’esprit qu’Il lui parle et non jamais extérieurement, mais elle entend plus clairement et plus distinctement les choses qui lui sont dites de la sorte, que si elle les entendait des oreilles du corps – et il n’est pas en son pouvoir de ne les pas ouïr – et quant au commencement elle ne les voulait pas ouïr, mais les voulait étouffer et s’en divertir, c’était alors qu’elles lui étaient imprimées plus fortement et qu’elle les entendait plus clairement. [351bis, v]

Un jour qu’elle était dans l’église environnée d’enfants qui faisaient du bruit et qu’elle s’en plaignait, Notre Seigneur lui dit : « Allez-vous-en à la porte du chœur, là où tout le monde passe : Je vous y parlerai avec autant de tranquillité que si vous étiez dans une profonde solitude. » Elle y alla et quoiqu’elle fut environnée, poussée, pressée et heurtée de tous côtés, Notre Seigneur lui parla et elle L’entendit avec autant de paix que si elle avait été ravie, pour donner à entendre qu’avec l’aide de Dieu on peut être recueilli en tout lieu et en tout temps, et que sans lui tous nos efforts sont vains. Notre Seigneur lui a dit plusieurs fois qu’elle ne Lui demande jamais des choses qu’on peut savoir humainement, et par les voies ordinaires, beaucoup moins des choses curieuses et non nécessaires, que les choses qu’elle proposera ou demandera soient nécessaires et raisonnables, et telles qu’on ne les puisse savoir par la voie ordinaire. Il lui a dit aussi que ceux qui ont à demander ou proposer quelque chose par son entremise, la doivent bien considérer auparavant et prier Dieu qu’Il ne permette pas de proposer rien que ce qui lui sera agréable. Quand il se trouve néanmoins [352] des personnes qui la prient de demander pour eux des choses qui ne sont pas de cette qualité, elle ne laisse pas quelquefois de les proposer à Notre Seigneur pour ne les contrister et mécontenter pas, mais c’est en Le priant de les excuser et de pardonner à leur fragilité et à leur ignorance.

Quand elle parle aux saints, elle n’oserait leur parler que tout bas, par respect à la présence de Dieu.

Sa manière ordinaire de connaître la vérité des choses qui lui sont proposées par diverses personnes n’est pas par intelligence ni par lumière, mais par un goût expérimental qui lui ouvre le fond du cœur dans lequel elle entre, Celui qui y règne donnant l’approbation à ce qui est véritable. Au contraire quand Dieu n’approuve pas ce qui est proposé, une tristesse saisit son cœur qui le serre et le ferme, de telle sorte qu’il n’est pas possible que rien y puisse entrer. Quelquefois néanmoins, elle connaît les choses par une intelligence et lumière passagère. [352v]

Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

Étant allé un jour à Notre Seigneur pour lui demander quelque chose, Il lui dit : « Retirez-vous : c’est-à-dire, détournez votre esprit de cela. » Elle s’en va.

Il la rappelle disant : « Venez ça519 : J’ai un mot à vous dire. »

Elle revient : « Eh bien ! Que demandez-vous ? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?

– Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.

– Voulez-vous la contemplation ?

– Non.

– Quoi donc ?

– Je demande la connaissance de la vérité !

– Savez-vous bien à qui vous ressemblez ? à un pèlerin ou voyageur qui est tellement lassé qu’il ne peut faire un pas qu’il ne demeure sur la place, tellement altéré qu’il est prêt de mourir de soif si on ne lui donne à boire, tellement affamé que la faim lui va étouffer le cœur si on ne lui donne à manger. Cependant voici venir quelqu’un qui lui dit : “Mon [353] ami, voulez-vous voir un beau jardin qui est ici proche ? Vous y verriez de belles allées, de belles salles vertes et des parterres tout pleins de fleurs dont la vue et l’odeur sont bien agréables.” Hélas ! dirait-il, ce n’est pas ce qu’il me faut à moi, qui ne fais qu’attendre le repos, le repas ou la mort.

– Mais je ne sais ce que c’est que tout cela, dit la sœur Marie, qu’est-ce que c’est que cette méditation et cette contemplation ? »

La méditation, c’est la considération des œuvres de Dieu et de ses mystères représentés par les allées et salles vertes du jardin. La contemplation est représentée par le parterre plein de fleurs. Et il y en a de trois sortes. La première est la spéculation des divins attributs que l’entendement présente à la volonté, laquelle se porte à les aimer ardemment, mais celle-ci est fort périlleuse, car souvent l’amour-propre et la vanité s’y mêlent : la vanité flatte les contemplatifs et leur fait croire qu’ils sont bien plus saints que les autres, et lorsqu’il se présente quelque occasion de faire ou de souffrir quelque chose de grand [353v] pour Dieu, l’amour-propre leur fournit des raisons fort subtiles pour s’en excuser, comme : « Je perdrais ma réputation », ou : « Je ne crois pas que ce soit la volonté de Dieu que je fasse cela », et autres semblables défaites.

La deuxième contemplation est beaucoup meilleure, plus sûre, plus parfaite et plus agréable à Dieu. Celle-ci consiste à regarder toujours la divine Volonté pour la suivre partout à l’exemple du Fils de Dieu qui a très parfaitement accompli en toutes choses la volonté de son Père, sur lequel il faut souvent jeter les yeux, considérant comme Il a suivi la divine Volonté en la pratique de toutes les vertus et en toutes ses pensées, paroles et actions, afin de l’imiter en cela. Il n’y a jamais de péril en cette contemplation. La première a un plus beau visage, mais celle-ci est plus noble, plus riche et plus parfaite.

La troisième contemplation, c’est lorsque la propre volonté est entièrement anéantie et transformée en la divine Volonté. Cette lassitude, cette soif et cette faim extrême montrent que tous les maux de la sœur Marie sont [354] extrêmes. Notre Seigneur lui a dit qu’il y a un grand nombre de personnes qui croient être en la voie contemplative, qui n’ont pas fait le premier point dans la purgative.

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’elles avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, elles demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour.

Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’elles lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour [354v] parler pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.

« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut [355] craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente : celle des croix est bien plus noble et plus royale, parce que c’est celle par laquelle le roi des rois a marché. Il est vrai que celle-là est toute couverte de fleurs, et celle-ci d’épines, mais celle-ci est bien plus courte que celle-là. »

Là-dessus, quelqu’un qui était dans la voie de la contemplation dit à la sœur Marie, parlant d’une autre personne qui était absente : « Une telle n’est pas en cette voie ? » « Non, elle n’y est pas, répondit la sœur Marie, mais nous marchons, elle et moi, dans un même chemin tout plein d’épines et de ronces : [355v] c’est le chemin que Notre Seigneur a choisi pour lui ; on ne peut douter qu’il n’ait fait un bon choix. »

Quelque autre parlant des missionnaires, dit que l’emploi de la Mission dissipait beaucoup l’esprit d’oraison. « Ô, s’écria la sœur Marie, la Mission est une oraison continuelle. Aider au salut d’une seule âme vaut mieux que toutes les oraisons et toutes les contemplations du monde. Travailler à la Mission, est un chemin bien court pour aller à la perfection. C’est celui par lequel les apôtres y sont arrivés. Enfin, dit-elle, il faut que chacun aime sa voie et qu’il la suive fidèlement. Mais il faut bien [se] garder de se préférer à personne. Il faut estimer et honorer tous les chemins qui vont à Dieu. Le meilleur de tous, c’est de regarder fixement la divine Volonté pour la suivre en tout et partout. »

La sœur Marie, ayant dit ces choses et plusieurs autres aux personnes susdites et ayant répondu et satisfaite suffisamment à toutes leurs propositions durant 15 jours, comme ils voulaient continuer à lui parler sur le même sujet, elle leur dit : [356] « La porte est fermée, je n’entends plus rien à tout ce que vous me dites. »

« Et en effet, dit-elle, il me semblait qu’ils me parlaient un langage étranger. Je n’y entendais plus rien et n’y voyais plus goutte, parce que la lumière qu’on m’avait donnée pour leur parler, s’était entièrement retirée. »

Chapitre 7. Le jardin des contemplatifs.

Un jour, la sœur Marie se sentant fort pressée de la faim qui n’était pas naturelle, elle s’en va à sa mère la Sainte Vierge pour la prier de lui donner quelque chose à manger. Elle la voit venir qui lui apporte une branche de cerises qu’elle met sur la table. C’était une figure de plusieurs personnes de piété qu’elle lui devait bientôt amener. La sœur Marie lui demande : « D’où venez-vous ?

– Je viens, dit-elle, de mon beau jardin.

– Où est-il ? dit la sœur Marie.

– Il est au terroir d’Éden, répond Notre Dame.

– Je voudrais bien y aller, ajouta la sœur Marie.

– Venez, répartit la Sainte Vierge, je vous y ferai entrer. »

Ayant [356v] dit cela, elle marche devant, la sœur Marie la suit. Elles arrivèrent à la porte que la Sainte Vierge ouvrit, puis entre la première et la sœur Marie après elle. Étant entrée, elle le contemple, et voici ensuite comment comme elle le décrit :

« Il y a des cerisiers et des pruniers chargés de prunes et de cerises. Au-delà des cerisiers et pruniers sur le bord du jardin, il y a une haie d’épines, de ronces et broussailles, et au-dehors rien que ténèbres et horreurs. Au pied des pruniers et cerisiers, il y a quantité de framboises. Au-deçà des pruniers et des cerisiers il y a une grande allée qui environne le jardin et qui est toute couverte de violettes. Dans le jardin, il y a trois autres allées couvertes semblablement de violettes, mais de violettes doubles, qui sont bien plus doubles et odoriférantes que celle de l’allée qui est tout autour du jardin. Il y a un pommier chargé de belles pommes. Il y a aussi plusieurs parterres dans lesquels il y a des carreaux de toutes sortes de fleurs, comme de roses, de lys, [357] d’œillets et autres semblables. Les divins Attributs se promènent dans le jardin de cette façon. La Justice et la Miséricorde se promènent ensemble dans une allée. Dans une autre allée la Toute Puissance et la Divine Volonté ; et l’Amour divin avec la Charité divine dans une autre. Et tous ces divins Attributs prennent un grand contentement à marcher sur les violettes dont les trois allées qui sont dans le jardin sont toutes couvertes, et à mesure qu’ils les foulent de leurs pieds sacrés, elles se rehaussent et deviennent plus belles et plus odoriférantes qu’auparavant.

« Notre Seigneur et Notre Dame se promènent ensemble dans l’allée qui environne le jardin, la Sainte Vierge étant appuyée sur le bras de son Fils, et tous deux cheminent avec des démarches si belles et si agréables que cela ne se peut exprimer, et s’en vont chantant : Fulci me floribus quia amore langueo520 et disant aux cerises : « Engraissez-vous et mûrissez afin que nous vous mangions et convertissions en notre substance. » [357v] Les divins attributs jettent aussi plusieurs regards sur les cerises et sur les prunes.

« Le jardinier de ce jardin, c’est la Sapience éternelle qui a trois travaillants pour lui aider, à savoir : la Force, la Grâce et la Patience divine. La Force divine fouit et remue la terre pour la disposer à recevoir la semence. La Grâce divine la sème et la Patience l’engraisse, la herse et couvre la semence. »

Voilà la forme et la figure de ce jardin, dont l’explication ne fut point donnée aussitôt, mais quelque temps après521. Notre Seigneur la donna en cette façon qui n’est point la principale, mais la littérale et dit qu’il y en avait bien d’autres plus relevées qu’Il n’a point dites. Ce jardin est le jardin de Notre Seigneur et de Notre Dame et le jardin des Contemplatifs. Il est situé au terroir d’Éden, c’est-à-dire dans une terre grasse et fertile, proche d’un autre jardin qui s’appelle le Paradis terrestre ainsi qu’il sera dit à la fin. La branche de cerises que la Sainte Vierge apporta, représente le père E [udes] et ses frères qui ont été amenés ici par elle et qui furent tirés alors du cerisier pour passer au prunier, c’est-à-dire, qui furent confirmés en grâce [358], car les cerises sont les figures des bons chrétiens qui commencent à entrer à la perfection. La chair de la cerise représente le corps qui est extrêmement fragile et facile à corrompre. Le noyau signifie l’âme qui est plus forte à résister aux tentations. Lorsqu’ils quittent le monde, ils montent au cerisier et Notre Seigneur leur aide à monter. La cerise a une petite aigreur qui la rend plus agréable au goût, ce que marque la peine que les bons chrétiens ressentent en quittant le monde auquel ils étaient attachés, ce qui les rend d’autant plus agréables à Dieu qu’ils ressentent davantage de peine à y renoncer pour l’amour de Lui. Pendant qu’ils demeurent dans le cerisier, ils sont comme dans le noviciat de la vie chrétienne, mais pour faire profession, ils passent dans le prunier et deviennent prunes, c’est-à-dire, ils sont profès dans la vie et perfection chrétienne et sont confirmés en grâce, ce qui est signifié en ce que les prunes [358v] sont beaucoup plus fortes et plus fermes que les cerises. Ceux qui passent des cerisiers aux pruniers commencent à entrer dans la transformation et lorsqu’ils sont bien mûrs, Notre Seigneur et Notre Dame les mangent et les convertissent en leur substance, et ainsi ils entrent dans la déification, n’ayant plus qu’un esprit, qu’un cœur, qu’une volonté avec Dieu et étant revêtus des qualités et perfections de Dieu.

Les framboises sont les petites [actions] faites pour Dieu avec bonne intention, desquelles Notre Seigneur et Notre Dame se repaissent. Aussi les épines et les ténèbres qui sont hors le jardin sont les méchants qui sont en péché mortel.

Les trois allées qui sont dans jardin sont les trois puissances de l’âme de Notre Seigneur et de Notre Dame. La violette, c’est leur humilité dont ils sont remplis.

L’allée qui environne le jardin et qui est comme l’extérieur du jardin représente les sens intérieurs et extérieurs du Fils de Dieu et de sa sainte Mère. La violette n’est pas ici si belle comme dans les trois allées parce que ce qu’on a de l’extérieur de l’humilité de Notre Seigneur et de Notre Dame était beaucoup moindre que ce qui était dans leur intérieur. [359]

L’allée dans laquelle la divine Justice et la divine Miséricorde se promènent, c’est la mémoire, d’autant que la Justice et la Miséricorde comprennent toutes les œuvres de Dieu et que la mémoire les doit aussi contenir et conserver. La toute Puissance divine et la Volonté divine se promènent dans une autre allée qui signifie l’entendement, car c’est le propre de l’entendement de contempler les choses grandes et hautes comme sont la toute Puissance et la Volonté divine. L’allée dans laquelle l’Amour divin et la Charité sont, c’est la volonté, parce que c’est le propre de la volonté d’aimer.

Ces divins Attributs prennent un grand contentement à l’humilité de Jésus et Marie. Les démarches des divins Attributs représentent les grâces qui ont été données au Fils et à la Mère. À mesure qu’ils marchent sur ces violettes, elles s’abaissent, puis elles se relèvent et deviennent plus belles d’autant que, tant plus Dieu a fait de dons à Notre Seigneur et à Notre Dame par la communication de ses divines perfections, tant plus [359v] ils se sont humiliés, et d’autant plus qu’ils se sont humiliés, tant plus ils ont été agréables à la très Sainte Trinité.

Les regards que les divins attributs jettent sur les cerises et sur les prunes, c’est-à-dire, sur les vrais chrétiens, ce sont les dons qu’ils leur communiquent et les effets différents qu’ils opèrent en eux. La toute Puissance par son regard leur donne une grande frayeur du péché et une force et puissance pour le combattre et pour surmonter toutes les difficultés qui se rencontrent dans les voies de Dieu. Et la divine Volonté leur montre la voie qu’ils doivent fuir et celle qu’ils doivent tenir pour plaire à Dieu. L’Amour divin embrase leur cœur en l’Amour de Dieu et la Charité divine enflamme leurs sens, afin que tout soit employé à aimer et servir Dieu.

La Divine Justice leur imprime par ses regards une inclination et un désir de rendre à chacun ce qui lui [360] appartient ; à Dieu ce qui est dû à Dieu, au prochain ce qui est dû au prochain, à soi-même ce qui est nécessaire et convenable tant au corps qu’à l’âme.

La divine Miséricorde leur communique un désir de faire toute sorte de bien à toutes sortes de personnes et je l’entendais leur disant : « Faites bien à tous et soyez miséricordieux comme votre Père céleste qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Tous ces dons sont faits aux bons chrétiens de la part de Dieu pour l’amour de Notre Seigneur et de Notre Dame qui sont ici médiateurs entre les divins Attributs et les fidèles représentés par les prunes et par les cerises. Ces dons leur sont faits non seulement pour eux, mais aussi afin qu’ils les communiquent autant qu’ils le pourront à ceux qui sont hors du jardin, lesquels ils doivent tâcher d’attirer à eux dans le jardin pour les rendre participants de ces mêmes dons. Et c’est pour cela que [360v] les gens de bien, figurés par les cerises et par les prunes, sont entre les divins Attributs et les épines et ténèbres qui sont les méchants, étant en quelque façon médiateurs entre Dieu et eux, tant afin de leur communiquer les dons de Dieu et les attirer à la participation de Ses grâces, que pour les couvrir et cacher, s’il faut ainsi dire, aux yeux de la Divine Justice, et pour empêcher qu’Elle ne les voie et ne les abîme et foudroie à cause de leurs péchés.

Notre Seigneur et sa sainte Mère sont aussi médiateurs immédiats, étant bien plus proches de la Divinité que les bons chrétiens médiateurs entre les bons et les méchants d’un côté et les divins attributs de l’autre.

La Sapience éternelle dresse et ordonne le jardin. La Force fouit et remue la terre, c’est-à-dire, qu’elle excite l’esprit et les sens à désirer et aspirer à faire choses grandes pour Dieu. La Grâce la sème, c’est-à-dire, elle donne des aspirations de ce qu’il faut faire en particulier. La Patience [361] l’engraisse, c’est-à-dire, qu’elle la dispose à tout faire à tout souffrir et à porter beaucoup de fruits en persévérant et ne trouvant rien de difficile pour l’amour et le service de Dieu.

Les diverses fleurs qui sont dans les parterres sont les différentes vertus de Notre Seigneur et de Notre Dame ; leur charité, leur chasteté, leur compassion envers les misérables et les autres. Les pommes du pommier sont les divines consolations que Notre Seigneur donne à ceux à qui Il lui plaît d’en donner : mais Il en donne peu aux prunes, c’est-à-dire à ceux qui sont profès dans la religion chrétienne et confirmés en grâce. Il en donne beaucoup davantage aux cerises, c’est-à-dire à ceux qui sont encore dans le noviciat, et pour l’ordinaire il est meilleur de n’en avoir point que d’en avoir, parce qu’elles ont coutume de produire en ceux qui les ont, une complaisance, amour et estime d’eux-mêmes. Notre Seigneur et Notre Dame ne mangent point de cerises, sinon lorsqu’elles sont hors des cerisiers par la mort, [361v] c’est-à-dire lorsque ceux qui sont dans le noviciat de la vie chrétienne viennent à mourir avant que de passer au prunier, car mourant dans la grâce, ils sont mangés par Notre Seigneur et Notre Dame et convertis en leur substance, quoique dans une manière bien moins avantageuse pour eux et bien moins agréable à Notre Seigneur et à sa sainte Mère, qu’elles n’auraient été si elles avaient passé en prunes avant que de mourir, c’est-à-dire, s’ils étaient davantage avancés en la grâce et en l’amour de Dieu. Quand les prunes sont mûres, Notre Seigneur et Notre Dame les mangent et les convertissent en leur substance, ce qui peut arriver même avant la mort. « C’est ce que Je dis à mon serviteur Augustin en cette façon : “Lorsque tu me mangeras dans le Saint Sacrement, tu ne me changeras pas en toi, mais je te changerai en moi.” » Lorsque les prunes ont été ainsi mangées par Jésus et Marie et changées en leur substance même avant la mort, elles passent dans un autre jardin qui est proche de celui-ci, qui s’appelle le Paradis terrestre [362] dont il a été parlé au livre 6, chapitre 12, qui n’est autre que le Saint Sacrement de l’autel, là où elles ne vivent plus que des fruits de ce même sacrement, c’est-à-dire d’une vie toute céleste et divine522.

Chapitre 8. Plusieurs manières d’oraison de la sœur Marie en divers temps.

Durant les cinq années de sortilèges, l’Amour divin tenait son esprit en contemplation continuelle, spécialement sur tous les mystères de la Passion, et embrasait tellement son cœur et le comblait de tant de consolations, que ses deux yeux étaient deux fontaines de larmes. Mais depuis son entrée dans l’enfer, elle n’a plus aucun goût ni consolation dans ses prières. Notre Seigneur et Notre Dame lui font dire quantité de prières vocales auquel elle n’entend rien et quand elle s’en plaint à eux, ils [362v] lui disent : « Nous ne demandons autre chose de vous que la prolation523 des paroles. Je prie en vous, dit Notre Seigneur, en la personne de votre esprit et je prie en esprit et en vérité. Ma mère prie mentalement en la place de vos sens intérieurs, et vous, vous priez vocalement, faisant la fonction des sens extérieurs. »

Quand elle est si lassée qu’elle ne peut se soutenir, c’est alors que Notre Seigneur lui donne des prières à dire, et Il lui dit que comme la chair venée524 est la plus tendre, ainsi les prières faites en cet état lui sont plus agréables.

Ou bien lorsqu’Il en ordonne quelques-unes, elle est d’ordinaire prise de grandes douleurs de tête et elle lui dit quelquefois : « Il arrive souvent que je n’ai point de prière à faire, vous me feriez grande charité de réserver ce mal de tête à ce temps-là que je n’ai rien à dire. »

Mais Notre Seigneur lui dit : « Voyez, il y a certains poissons dont la sauce vaut mieux que le poisson. Il en est de même de votre [363] prière, elle est excellente avec votre douleur de tête. Je vous l’ai envoyée exprès. »

Elle a fait souvent cette prière à Dieu : « Je vous prie de ne pas permettre que je vous fasse aucune prière qui ne soit conforme à votre sainte Volonté, mais si par quelque jugement vous le permettiez, je vous prie de ne la pas écouter. »

Section 1. Elle ne peut prier quand elle veut, ni pour qui elle veut. On la fait prier pour sept sortes de personnes et pour cinq sortes de pèlerins.

Il a déjà été dit qu’elle n’est pas libre de prier ni pour toutes sortes de personnes : l’expérience de cela le fait voir très souvent. J’en mettrai au moins ici deux exemples seulement, pour le temps et pour les personnes. [363v] Quelqu’un l’étant allée voir en un temps auquel elle était dans de grandes souffrances, elle demanda à Notre Seigneur ce qu’elle lui dirait s’il la priait de lui demander quelque chose : « Vous lui direz qu’il n’est pas temps de présenter des requêtes à un père pour son enfant, lorsqu’il châtie. »

Un jour voulant prier pour un certain ecclésiastique, Notre Seigneur l’en empêcha et lui dit que sa mesure était comble et qu’il lui fallait déloger, et il y mourut peu de temps après.

À l’occasion d’un billet qui lui ordonnait de prier pour les prisonniers, Notre Seigneur lui dit qu’il y en a de sept sortes. Les premiers sont les prisonniers communs pour lesquels on lui fit demander à Dieu la grâce de faire bon usage de leur affliction, et à cette fin on lui fit dire cinq Pater et cinq Ave. Les seconds sont les prisonniers desquels la prison est fermée d’une haie où il y a sept serrures, qui sont les sept péchés mortels. On lui fit dire pour eux sept fois le Vexilla Regis pour prier le Fils [364] de Dieu que, par les mérites de sa Passion, Il leur ouvre la porte. Les troisièmes sont les infidèles qui sont dans les prisons de l’infidélité pour lesquels on lui fit dire quarante fois les deux premiers versets du Miserere et sept fois le Credo, et vingt fois ce verset par lequel l’Église les appelle : Venite, exultemus, etc. Les quatrièmes sont ceux qui sont prisonniers de leurs mauvaises habitudes desquelles ils voudraient bien sortir. On lui fit dire pour ceux-ci trois fois le Pater et l’Ave. Les cinquièmes sont les petits-enfants au ventre de leur mère, pour lesquels on lui fit prier Dieu qu’Il leur donne le baptême et dire à cette fin trois fois : Amplius lava me... Les sixièmes sont ceux que l’Amour et la Charité retiennent en cette vie, qui sont les parfaits, pour lesquels on lui fit rendre grâce à Dieu des biens qu’Il leur a faits, et dire à cette intention trois fois le Magnificat et pour prier Dieu qu’Il les laisse longtemps à l’Église, on lui fit dire trois fois Pater et Ave. Et parce que l’Église se réjouit de ce que [364v] Dieu lui donne de si bons enfants, on lui fit dire trois fois en son nom : Beata nox, beata nobis gaudia. Les septièmes et derniers sont les âmes du Purgatoire pour lesquelles on lui fit dire trois fois : De profundis clamavi, etc., et requiem, etc.

L’an 1646, le 14 de février, sur un autre billet qui lui ordonnait de prier pour les pèlerins, Notre Seigneur dit qu’il y en avait de cinq sortes. Les premiers sont les pèlerins ordinaires. S’ils sont en péché mortel, il faut prier Dieu que leur vœu leur serve pour retourner en grâce et pour cela il lui fut enjoint de dire l’oraison : Deus cui proprium est misereri semper, etc.525 Et s’ils sont en grâce, il faut prier Dieu que leur vœu leur serve pour augmenter encore la grâce et pour acquérir les vertus, et pour cet effet on lui fit dire pour ceux-ci un Pater et un Ave. Les seconds sont les infidèles pour lesquels on lui fit prier Dieu qu’Il leur donne lumière pour le connaître et grâce de venir à l’Église [365] par le chemin de la Foi, et à cette fin on lui fit dire le Credo. Les troisièmes sont ceux qui sont dans l’Église, mais en état de péché mortel qui les rend pèlerins et étrangers à Dieu, auquel il faut présenter pour eux la Passion de Notre Seigneur pour leur obtenir pardon et la grâce de retourner à Lui par la pénitence. On lui fit dire pour eux à cette intention le Vexilla. Les quatrièmes sont ceux qui mourant en grâce font vœu d’aller au ciel, et le chemin est le Purgatoire. On lui fit dire pour ceux-ci les deux premiers versets du psaume Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum...526 et offrir pour eux les prières de toute l’Église en disant le Pater et l’Ave. Les cinquièmes sont ceux qui font vœu de se dépouiller afin d’aller plus vite pour être crucifiés avec Notre Seigneur. On lui fit dire pour ceux-là cinq fois ce verset : Zelus domus tuae... super me… ceciderunt me 527. Les maisons de Dieu sont les âmes. Le chemin de ces pèlerins sont les peines et souffrances. [365v]

Section 2. Elle prie pour le salut de plusieurs qu’elle obtient. Prières qu’on lui fait dire au matin, à midi, et au soir au son de la cloche.

Un sien parent qui était fort méchant étant allé à Rouen pendant qu’elle y était prisonnière et l’ayant ramenée, elle demanda son salut à Notre Seigneur qui le lui accorda avec grande peine. Longtemps après, comme il vint à mourir, et qu’elle priait pour lui, le Fils de Dieu lui dit : « Je me repens d’avoir promis de le sauver, et Je vous assure qu’il sera le dernier qui entrera dans le ciel. »

Passant proche d’une maison religieuse et voulant prier Dieu pour la supérieure, Notre Seigneur l’en empêcha et lui dit qu’elle était morte, c’est-à-dire de la mort du péché. [366] Mais quelque temps après, cette personne étant malade de la maladie dont elle mourut, elle envoya trouver la sœur Marie pour se recommander à ses prières, de quoi elle fut fort aise, parce que, dit-elle, les prières qui sont faites pour un autre, lorsqu’il y consent ou qu’il le demande, sont bien plus efficaces. Elle pria donc pour cette personne avec grande instance et Notre Seigneur lui accorda son salut et lui assura qu’Il lui donnerait la contrition avant que de mourir.

Ayant longtemps prié pour un ecclésiastique qui vivait mal, Notre Seigneur lui dit qu’il ne se convertirait point pendant sa vie et qu’il lui donnerait la contrition à la mort, mais c’est affaire à demeurer des siècles entiers en purgatoire. Notre Seigneur lui ayant dit aussi qu’il mourrait bientôt et voyant qu’il ne mourait point, elle lui demanda la cause : « C’est, dit-il, qu’il commet des péchés qui mettent empêchement à la grâce que je veux lui faire de le faire bientôt sortir de ce monde afin que ses peines fussent moindres dans le Purgatoire. » [366v]

Elle a prié pour le salut de plusieurs autres, que Notre Seigneur lui a accordé, mais en diverses manières, car il y en a plusieurs qu’elle a convertis par ses prières durant leur vie. Il y en a d’autres pour lesquels Il lui a promis la contrition à l’heure de la mort seulement, il y en a d’autres qu’Il assure de préserver toute leur vie du péché mortel, et la persévérance jusqu’à la fin en sa grâce.

Quand elle prie pour le salut de quelque personne qui est en état de perdition, elle s’informe soigneusement si elle n’a point fait quelque bonne œuvre en toute sa vie, et elle procure par quelque charitable industrie à faire quelque bien, afin d’avoir de quoi présenter à Dieu pour elle, et que cela lui aide à obtenir ce qu’elle demande, car elle assure que Notre Seigneur n’a pas de plus grand désir que de sauver toutes les âmes, et qu’Il ne fait que chercher des occasions et des moyens pour leur faire grâce, et que la divine miséricorde regarde soigneusement en chaque âme pour voir si elle n’y trouvera point quelque action vertueuse [367] ou quelque bonne disposition à laquelle elle puisse la prendre et l’agrafer, s’il faut ainsi dire, pour la tirer de l’abîme du péché et la mettre en état de salut.

Notre Seigneur lui a enseigné à dire les prières suivantes lorsqu’on sonne la cloche pour le pardon ou pour l’angélus, au matin, au midi et au soir. Le Saint Sacrement est le matin, dit-elle, ou le point du jour de l’Église, c’est pourquoi il faut l’adorer au matin. Pour cet effet, elle dit premièrement au son de la cloche du matin, Adoremus Patrem et Filium cum Sancto Spiritu : laudemus et superexaltemus eum in saecula, pour adorer la très Sainte Trinité dans le très Saint Sacrement. Secondement, elle dit : Adoramus te Christe et benedicimus tibi, quia per sanctam crucem tuam redemisti mundum. Qui passus es pro nobis, Domine Jesu, miserere nobis528, pour y adorer l’âme du Fils de Dieu. Ensuite de cela, elle dit l’Ave Maria gratia, et pour adorer en même temps son sacré corps qui est une partie du corps virginal de la B [ienheureuse] Vierge [368v] et qui a été formé en elle par le moyen de l’Ave Maria, et pour saluer en même temps cette sacrée Vierge qui l’a produit.

À midi, qui est l’heure à laquelle Notre Seigneur a été crucifié, elle dit qu’il faut se souvenir de sa Passion et le regarder souffrant et mourant en croix, et que le son de la cloche nous avertit de cela, et pour cette fin elle dit premièrement le Pater, pour adorer la divinité de Notre Seigneur attaché à la croix, secondement Adoramus te, pour adorer Son âme sainte remplie de douleur et d’angoisse, troisièmement l’Ave Maria, pour adorer Son sacré corps formé du plus pur sang de la Sainte Vierge, tout couvert de plaies et de sang et pour saluer quant et quant sa bienheureuse mère mourante au pied de la croix. « Lorsqu’on a du loisir, dit-elle, il serait bon d’employer quelque peu de temps à contempler Notre Seigneur en cette heure ici languissant en croix, et se souvenir de quelqu’une des paroles qu’Il a dites, tantôt l’une, tantôt l’autre. Cela ferait qu’ayant l’esprit rempli et le cœur touché des douleurs et amertumes de notre Sauveur, on prendrait ensuite son [369] dîner avec sobriété et moins de sensualité. Certainement, dit-elle, il est bien raisonnable que Notre Seigneur ayant souffert des tourments si grands pour notre amour, nous nous en ressouvenions pour le moins une fois le jour. »

Au soir elle dit l’Angelus et trois fois l’Ave Maria comme les autres, en l’honneur de l’Incarnation du Fils de Dieu, car c’était au soir, c’est-à-dire la nuit, que ce mystère s’est accompli.

Section 3. Trois rosaires qu’on lui fait dire pour remercier Dieu de tous les biens qu’il a faits à Jésus-Christ, à Notre Dame et à tous les saints. Explication de ces paroles : « Petite et accipietis, etc.. Hosanna in excelsis est une prière infinie.

L’an 1649, trois jours devant la vigile de la [369v] Toussaint, comme elle demandait quelques rosaires à dire durant ces trois jours devant le Saint Sacrement, on lui fit dire au commencement d’un chacun sur la croix, quarante fois le Magnificat. Le premier rosaire était pour remercier Dieu des grâces qu’Il a faites à son Fils en tant qu’homme, le second des grâces qu’Il a faites à la très Sainte Vierge, le troisième de celles qu’Il a faites à tous les saints.

Une autre fois, à la fête de saint Martin, Notre Seigneur lui dit : « Il se fait aujourd’hui matin de grandes Actions de grâces à la très Sainte Trinité de mon Incarnation, et moi et ma mère, au nom de toute la nature humaine en rendons grâces aussi : faites-en de même. » On lui ordonna donc de dire le Gloria Patri et un demi-quart d’heure durant, sans nombre limité. Et puis le Gloria in excelsis et puis le Gloria Patri, et ainsi alternativement jusqu’à Complies. On lui ordonna de rendre grâces à Dieu des bienfaits qu’elle a reçus de Son infinie bonté, c’est-à-dire des souffrances qu’Il lui a données, et pour cet effet on lui fit dire ce verset : Fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen ejus. Te nunc, Deus piissime [370] vultu precamur cernuo, illapsa nobis cœlitus largire dona spiritus529. On lui a ordonné souvent de semblables Actions de grâces.

Dans une procession publique qui se faisait à Coutances, au temps des sécheresses pour demander de l’eau, la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Il nous faut ramasser toutes les prières qui se font aujourd’hui et les offrir à Dieu pour obtenir la rosée du ciel et les eaux de la contrition. »

L’an 1645, le second jour des Rogations, la sœur Marie pria Notre Seigneur de lui dire ce qu’elle pourrait faire pour avoir les effets de ces paroles : Petite et accipietis, pulsate et aperietur vobis530. Il répondit : « Les désirs cherchent, les larmes frappent, et la nécessité demande, c’est-à-dire que tous ceux qui cherchent avec des désirs embrasés de l’amour de Dieu, trouveront ce qu’ils cherchent ; tous ceux qui frappent avec des larmes de contrition ou dévotion, on leur ouvre la porte. Tous ceux qui, par une profonde humilité reconnaissent leur grande pauvreté [370v] et nécessité, Dieu leur donne ce qui leur est convenable. »

On ordonna un jour à la sœur Marie de chercher une belle prière. Elle demanda si elle était au Psautier. On lui répondit : non. Est-elle dans les Cantiques ? Non. Dans les Évangiles ? Non. Est-elle dans l’Église ? [Oui] lui dit-on, et elle est dans la messe. Elle s’appliqua donc fortement à entendre la sainte messe et quand on prononça ces paroles : Hosanna in excelsis531, elle se sentit touchée et embrasée extraordinairement, et lors Notre Seigneur lui dit que ces paroles contenaient une prière infinie et que Dieu seul la connaissait, mais qu’elle ne se répétait point et que, encore que l’Église la répétât plusieurs fois, c’était par forme d’Action de grâces et non pas de prière. Mais on ne lui a point fait connaître ce qu’elle signifie et pourquoi elle est infinie. [371]

Chapitre 9. Elle aime son prochain plus que soi-même. Combien la condescendance est agréable à Dieu. Un homme est sauvé pour approuver le bien. Une fille sauvée pour un acte de charité.

Notre Seigneur lui disait un jour : « Dites les commandements de Dieu. »

Elle commença à dire : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces et aimer son prochain comme soi-même et plus que soi-même.

– Mais cela n’y est pas plus que soi-même, dit Notre Seigneur.

– C’est un excès, dit-elle, que mon père m’a appris, c’est-à-dire l’Amour divin. Quoique je sois remplie de crainte, dit-elle, d’être trompée et que j’ai des désirs extrêmes de connaître la vérité, néanmoins si on me disait : « Voilà la vérité qui est à la porte, toute prête à entrer, et de se faire voir à vous, mais il y a tant d’infidèles et de mauvais catholiques et tant de personnes même pieuses trompées par les illusions de l’esprit malin qui ne la connaissent [371v] point ; choisissez, ou qu’elle se montre à vous, ou qu’elle se manifeste à ceux-là, je dirais, et c’est une vérité profonde : j’aime mieux que la moindre de ces personnes la connaisse que moi. »

Une des raisons pour lesquelles elle a tant de frayeur d’être trompée, c’est à cause de la crainte excessive qu’elle a de tromper ceux à qui elle parle en leur disant quelque chose qui ne fût pas de Dieu. « J’aimerais beaucoup mieux, dit-elle, d’être trompée que de [ne] tromper personne, quoique je le fisse innocemment. »

« Un serviteur, dit encore cette charitable fille, qui voit son maître près de tomber dans un précipice, n’est pas fidèle s’il ne l’avertit. Un ami qui voit son ami tomber dans un bourbier n’est pas un vrai ami s’il ne l’empêche d’y tomber lorsqu’il le peut faire. Si j’étais avec une reine et que je lui vis faire quelque chose qui ne fût pas bien, je l’avertirais à quelque prix que ce fût et quoi qu’il m’en pût arriver. » [372]

Un jour, M. Potier ayant été obligé de faire coucher dans son lit un autre prêtre pour le bien de la paix et par condescendance de peur de le mécontenter, nonobstant que cela le dût beaucoup incommoder, la sœur Marie pria Notre Dame d’y pourvoir et de lui donner à elle l’incommodité qu’il en souffrirait, afin qu’il pût reposer, en ayant besoin, parce qu’il était fort infirme, et Notre Dame lui dit : « Il reposera mieux que s’il était tout seul dans son lit, parce qu’il a fait cela pour le bien de la paix. » Ce qui arriva ainsi, car il dormit et reposa mieux cette nuit qu’il n’avait fait depuis très longtemps, sans être obligé de cracher, ni de se tourner, ni de se lever comme il faisait les autres nuits.

Un pauvre homme de Coutances se rompit le col en descendant la montée de sa maison et mourut à la place sans recevoir aucun sacrement. La sœur Marie l’ayant su, elle s’en alla prier Dieu pour lui ; et Il lui fit connaître qu’il était sauvé parce qu’Il approuvait les bonnes actions. Et en effet s’en [372v] étant informée de ses voisins quelle était sa vie, ils lui dirent que c’était un bon simple homme qui prenait plaisir à voir faire des actes de dévotion à ses voisins et qui disait ordinairement : « Dieu leur fasse la grâce de faire prière qui Lui soit agréable. » Sur quoi Notre Seigneur dit à la sœur Marie que cela était cause de son salut et que ceux qui se réjouissent de voir les autres faire des actions de vertu et qui les approuvent participent au fruit de leurs bonnes œuvres.

Notre Seigneur a aussi fait connaître qu’une pauvre fille de Coutances nommée la Bouffonne, et qui avait été vilaine et ivrognesse, serait sauvée pour avoir assisté une petite orpheline de cinq à six ans que des religieux avaient fait enlever de devant leur porte croyant qu’elle avait la peste, et il lui fut dit que ceux-là avaient refusé une belle robe rouge et l’avaient laissée prendre à cette pauvre fille par cet acte de charité qu’elle avait pratiqué.

Pendant que la sœur Marie était prisonnière [373] à Rouen, un certain homme qui ne la connaissait point fut poussé par un seul motif de charité de parler pour elle aux juges et de défendre sa cause. Ce qu’il fit si ardemment et si fermement qu’on le mit en prison, l’accusant faussement d’être sorcier. D’où, étant sorti, il ne laissa pas de continuer à parler et solliciter pour elle avec tant d’affection, que si c’eût été sa propre affaire. Longtemps après, étant mort et la sœur Marie l’ayant su, elle alla tout aussitôt prier Notre Seigneur pour lui avec grande affection, lui représentant ce qu’il avait fait pour elle. à quoi Notre Seigneur répondit qu’à cause de cela il ne souffrirait que la centième partie des peines qu’il avait méritées pour ses péchés. Quelques mois après, priant pour lui, le jour du Saint Rosaire en l’an 1646, le Fils de Dieu lui promit que son âme serait la première qui sortirait du purgatoire ce jour-là, comme il est rapporté ailleurs. Et comme en cette occasion, la sœur Marie priait aussi pour un évêque qui était en purgatoire il y a longtemps, et qu’elle lui représentait toutes les actions de charité [373v] qu’il avait exercées vers elle, Il lui dit qu’il n’avait fait que ce à quoi il était obligé, parce qu’il était son évêque et que toutes ces actions-là n’étaient pas considérables en comparaison de celle que cet homme avait faite, qui était une action de pure charité.

Chapitre 10. De sa charité vers ses ennemis.

Elle ne hait rien que le péché et elle aime tout le monde, mais spécialement elle aime tendrement ceux qui lui ont fait du mal, ainsi qu’il a été déjà dit.

Comme on lui disait un jour qu’elle savait bien maudire celui qui l’avait ensorcelé : « Dieu le bénisse, dit-elle, quelque part qu’il soit, qu’Il lui pardonne et qu’Il le mette dans son paradis. Je vous assure que s’il avait besoin de mon sang, je le lui donnerais de bon cœur. »

Durant les cinq premières années de sa possession, les exorcistes voyant les tourments [374] qu’elle souffrait par les maléfices que les sorciers jetaient sur elle en grande quantité, fulminaient contre eux par l’autorité de l’Église plusieurs anathèmes et malédictions. Mais son excessive charité et l’extrême envie de souffrir faisaient que plus ils lui causaient de mal, plus elle les aimait et priait Dieu pour eux avec plus grande charité et ferveur, et elle demanda à Notre Seigneur pour signe qu’Il l’avait exaucée dans les prières qu’elle avait faites pour eux, qu’il levât les excommunications qu’on avait fulminées et qu’il les jetât sur les malins esprits. Ce qui arriva, car elle vit Notre Seigneur qui faisait cela et les démons le déclarèrent dans les exorcismes publiquement. Elle prie Dieu pour ceux qui lui sont contraires, ou qu’ils ne s’offensent pas, ou s’ils sont offensés qu’Il leur pardonne et qu’Il lui fasse porter la pénitence de leurs péchés afin que cela ne soit point cause de leur perdition. Et Notre Seigneur l’a assurée qu’Il a exaucé sa prière et que pas un de ceux qui l’ont persécutée [374 v] ne périra pourvu qu’ils n’aient commis point d’autres péchés qui soient causes de leur damnation.

Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.

Lorsqu’elle était en enfer, dans un intervalle de huit jours, elle vit l’Amour divin qui était caché derrière un rideau, d’où il lui fit voir un doigt seulement avec lequel il lui montra un nombre innombrable d’âmes telles qu’elles sont quand elles sortent de la main de Dieu avant que de tomber dans le péché originel, et elle les voyait ornées d’une si grande et admirable beauté que tous [375] les hommes de la terre ne sont point capables de la comprendre ni de l’exprimer. « Ô, disait-elle alors, je ne m’étonne pas si Dieu est descendu du ciel pour racheter de si belles créatures ! » Elle eût voulu et elle demandait à Dieu de souffrir toutes les peines d’enfer jusqu’au jour du jugement et au-delà pour empêcher qu’une seule de ces âmes ne tombât dans le péché originel, à quoi on ne répondit mot, tant elle était enivrée de cette beauté, elle lui semblait si ravissante qu’à peine pouvait-elle croire, par manière de dire, que la beauté même de Dieu fût plus grande.

Cette vision était seulement intellectuelle et elle dura huit jours sans interruption, durant lesquels elle disait : « Ô beauté incompréhensible des âmes, ô admirable beauté ! Tout ce qu’il y a de beau et d’éclatant dans toutes les créatures n’est que ténèbres et laideur en comparaison. Ô quelle est cette beauté ? Est-elle comme celle du soleil et des étoiles ? Non, ce n’est rien dire que cela ! Qu’est-ce donc ? Je n’en sais rien, car elle est si [375v] merveilleuse qu’il n’y a point de paroles ni de comparaisons capables d’en exprimer la moindre partie », et cette vision lui est une vérité infaillible et dont elle ne peut douter.

Section 1. Son amour pur vers Dieu et son affection pour les âmes.

Un jour, se plaignant à Notre Seigneur de ce qu’elle avait extrêmement faim de souffrir pour Son amour et pour le salut des âmes, Il lui dit qu’Il lui voulait faire une collation. Au même temps elle vit une table couverte de mets très délicieux, Notre Seigneur étant assis d’un côté et la Sainte Vierge au bout. Il lui dit : « Mettez-vous de l’autre côté vis-à-vis de moi.

– Non, dit-elle, je ne m’y mettrai point.

– Pourquoi ? Répondit Notre Seigneur.

– C’est que je ne veux pas qu’il y ait rien entre Vous et moi, je veux être auprès de Vous.

– Il n’y a que la table entre nous deux, dit le Fils de Dieu.

– Je le sais bien [376] répliqua-t-elle, et ce que c’est que Votre table. Ce sont des consolations, mais je n’en veux point, je n’en veux point. Je Vous aime uniquement et tout seul, et non point Vos douceurs et Vos délices ; car quand Vous n’auriez que les peines d’enfer à me donner, je Vous aimerais mieux seul avec les peines que cent mille paradis sans Vous.

– Le moyen donc de faire, ajouta Jésus-Christ, si vous ne voulez pas vous mettre en cette place, car il n’y en a point d’autre. Voulez-vous que Je fasse lever ma sainte Mère pour vous mettre à sa place ?

– Non, dit la sœur Marie.

– Voulez-vous être au-dessus de moi ?

– Non.

– Quoi donc ? dit Notre Seigneur.

– Je sais bien ce que je ferai, dit la sœur Marie, je me mettrai sous la table à vos pieds et aux pieds de ma mère, et je les embrasserai et les mettrai dans mon sein. » Ce qu’elle fit aussitôt.

Alors Notre Seigneur dit : « Je jure par moi-même que vous ne serez point là. » Ce qui marque l’anéantissement qui fait que l’on n’est point, mais que c’est Notre Seigneur qui est tout.

Au même temps, elle se retira disant toujours : « Je ne me [376v] mettrai point vis-à-vis de Vous, mais je sais bien où je me placerai, j’irai derrière Vous. » Ayant dit cela, elle s’en alla derrière Lui. Ensuite elle entendit qu’être derrière Notre Seigneur, c’est être en enfer, qui était ce qu’elle désirait, d’autant que la divine Volonté l’y appelait, et qu’elle aimait mieux être en enfer avec la divine volonté que d’être proche de Notre Seigneur avec toutes les consolations représentées par la table ; comme aussi qu’embrasser Ses pieds et ceux de Sa sainte Mère et les mettre en son sein signifiait qu’elle avait mis en son cœur les affections et les désirs, représentés par les pieds, que Lui et sa sainte Mère ont pour le salut des âmes.

Section 2 : Elle trouve la couronne de Notre Seigneur qui sont les âmes, dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

Un jour étant dans l’église des Jacobins, [377] en la chapelle du Saint Rosaire, elle commença à dire par un mouvement extraordinaire, parlant à Notre Seigneur : « Ô que me donnerez-vous, mon Époux ? Ô que me donnerez-vous ?

– Et qu’avez-vous trouvée, mon épouse, qui soit à moi », répondit le Fils de Dieu.

Là-dessus, elle demeura muette ne sachant que dire. Elle s’en va à la Sainte Vierge lui dire ce que son époux lui avait dit et qu’elle ne savait que lui répartir.

« Ma fille, dit la Sainte Vierge, dites-Lui que vous avez trouvé sa couronne.

– Et où l’avez-vous trouvée ? » répliqua le Fils de Dieu. Ne sachant encore que répondre, elle eut recours à sa mère qui lui dit : « Dites-lui que vous l’avez trouvée dans la mer.

– Ma mère, je ne lui dirai point cela.

– Dites-lui donc que vous l’avez trouvée dans l’abîme et dans la mer.

– Je ne dirais point encore cela.

– Allez, répartit la Sainte Vierge, dites-lui que vous l’avez trouvé dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

– Il est vrai, dit le Fils de Dieu, je l’y avais perdue. » Lui ayant dit cela, elle fut contente, et Il lui fit [377v] entendre par après qu’il avait perdu sa couronne qui sont les âmes dans la mer des afflictions, dont elles usent mal ; dans l’abîme, c’est-à-dire dans les délices et voluptés du monde, et dans le néant, c’est-à-dire quand elles se donnent au diable et qu’elles s’unissent avec lui pour perdre les autres, qui est se perdre dans le néant, c’est-à-dire s’éloigner de Dieu et se diaboliser, comme ceux qui travaillent au salut des âmes s’unissent à Lui et se divinisent. Il lui dit aussi qu’elle avait trouvé cette sienne couronne dans la mer des souffrances qu’elle avait portées avant celles de l’enfer, dans l’abîme de l’enfer par les tourments qu’elle y avait endurés, et dans le mal de douze ans qui l’aurait anéantie mille fois si la toute-puissante main de Dieu ne l’y avait soutenue.

Section 3. Sa charité vers les âmes. Elles sont son cœur et elle n’a que des excès d’amour vers elles.

[378] « Ô que vous êtes heureux, disait-elle à quelqu’un, d’être employé à travailler pour le salut des âmes ! Il n’y a rien de si grand ni de si divin. Si je voyais le Paradis ouvert, et qu’on m’offrit d’y entrer, et que je visse des personnes qui allassent parmi les Turcs et les barbares pour la conversion des âmes, et quand il n’y aurait qu’une seule âme au monde, j’aimerais mieux demeurer avec elle en ce monde et y souffrir toutes sortes de tourments jusqu’au jour du Jugement pour aider à la convertir, que d’aller en paradis. Voire, en ce cas il me semble que le Paradis me serait un enfer, s’il me fallait quitter cette âme pour y entrer. Ô quelle pitié de voir tant de belles princesses créées à l’image de Dieu qui sont esclaves du diable comme sont les âmes des Turcs et tant d’autres ! Travaillons, travaillons pour en délivrer plus que nous pouvons. » [378v]

Et comme on lui recommandait le salut de quelqu’une en particulier : « Ne nous arrêtons pas à cette âme ici en particulier ou à celle-là, mais embrassons toutes les âmes et ayons un désir de les sauver toutes s’il est possible, ou si nous nous arrêtons à quelqu’une en particulier qui soit enfoncée dans le bourbier du péché, que ce soit pour la tirer de là en passant et en chemin faisant, afin d’aller à toutes en général et de les prendre toutes à brassée (c’est son mot) pour les présenter à Dieu et les conduire dans le ciel. »

« Ô mon Dieu, disait-elle un jour à Notre Seigneur, Vous savez que je n’aime et que je ne veux rien que Vous, Vous êtes mon cœur et mon tout.

– Non, lui dit-il, Je ne suis point votre cœur. Ce sont les âmes qui sont votre cœur et qui ont votre cœur, car il est dit que là où est ton trésor, là est ton cœur. Or tout votre trésor sont les âmes, c’est pourquoi tout votre cœur est là. Vous les aimez mieux que toute autre chose, vous quitteriez Mon paradis avec toutes les gloires et félicités, et vous [379] Me donneriez Moi-même pour une seule âme. Est-il pas vrai ?

– Oui, dit-elle, cela est si vrai que si j’étais dans le ciel et qu’il y eût seulement une âme sur la terre qui fût en péril de son salut, il me semble que toutes les joies du ciel se tourneraient en tristesse pour moi, parce que toutes les âmes sont mon cœur. Or si le corps d’une personne était au ciel et que son cœur fût encore en la terre et en danger de perdition, quel supplice lui serait-ce ! »

Notre Seigneur lui ayant promis depuis longtemps de faire un sermon, enfin le premier de l’année 1644, lorsqu’elle n’y pensait plus, elle L’entendit, qui disait : « Ô divine épouse, que vous êtes une grande ménagère !

à qui est-ce que vous parlez ? lui dit-elle. Qui est cette épouse ? Est-ce votre Passion ?

– Non, répondit-Il.

– Qui est-ce donc ? Ajouta la sœur Marie.

– C’est vous, répondit le Fils de Dieu.

– Et qui est l’époux de cette épouse, dit la sœur Marie, est-ce vous ?

– Non, répliqua Notre Seigneur, ce n’est pas moi.

– Ô, dit-elle, si vous n’êtes pas l’époux, je ne suis pas l’épouse.

– J’en regarde une autre, dit Notre Seigneur. J’ai détourné les yeux de dessus vous et [379v] les ai tournés sur elle, car J’en suis amoureux et la désire épouser. Il est vrai que mon Père a promis que vous m’épouserez et que j’y suis obligé aussi, car J’ai notifié sa promesse, mais Il vous en donnera un autre et vous dotera richement.

– Je vous assure, dit-elle, que je n’en épouserai point d’autre, car je fais vœu à la très Sainte Trinité et prends tous les anges et tous les hommes à témoin que je n’aurai ni n’aimerai jamais autre que Vous.

– Or, attendez, dit Notre Seigneur, Je vais vous poser trois questions : y répondrez-vous bien ?

– Je n’en sais rien, dit-elle. Je m’en vais le demander à ma mère. »

Ayant dit cela, elle s’en va à Notre Dame qui lui dit : « Oui, oui, ma fille, dites-lui que vous y répondrez fort bien. » Ensuite de quoi elle retourne à Notre Seigneur et Lui dit : « Oui, je répondrai bien à vos trois questions.

– Voici la première : lequel aimez-vous mieux du ciel ou de la terre ?

– La terre, dit la sœur Marie, c’est votre humanité sacrée.

– Voici la seconde : si on vous donnait à choisir d’être tout maintenant transportée en corps et en âme dans le ciel pour y jouir à toute éternité de la gloire et félicité du paradis ou bien de demeurer en [380] la terre avec toutes les misères que vous avez pour y coopérer au salut de quelque âme, lequel est-ce que vous aimeriez le mieux ?

– Je vous assure, répondit-elle, que j’aimerais mieux demeurer en la terre avec toutes mes misères et toutes celles que vous voudriez y ajouter jusqu’au jour du Jugement et par-delà s’il était nécessaire, quand ce ne serait que pour délivrer une seule âme de la coulpe seulement d’un seul péché mortel, quoiqu’elle demeurât encore obligée à la peine. Voilà ma réponse.

– Eh bien, mon Fils, dit la Sainte Vierge, qu’en dites-vous ?

– Elle est bien savante, dit Notre Seigneur. Mais voici une troisième question qui est plus difficile que les autres. Lorsqu’un homme a promis à une femme de l’épouser, s’il en veut épouser une autre, il fait un présent à la première et si elle le quitte volontairement, il est libre d’épouser l’autre. Il est vrai que Je vous ai promis de vous épouser, mais si vous me voulez quitter volontairement, Je vous ferai un présent. Or Je vous demande ce que vous aimez le mieux, de moi ou de mon présent ?

– Quel est ce présent ? dit la sœur Marie.

– C’est une flèche empoisonnée, dit Notre Seigneur, pour faire mourir le péché, et une grâce efficace par laquelle [380v] vous pouvez convertir autant d’âmes que vous voudrez.

– C’est ce que je veux, répliqua-t-elle, et cela étant, je les convertirai toutes.

– Mais savez-vous, répliqua Jésus-Christ, qu’il y en a qui sont aussi endurcies que tous les diables ensemble ?

– N’importe, je les convertirai toutes, mais attendez que je regarde si je ne transgresserai point mes vœux. J’ai fait vœu de n’épouser et de n’aimer jamais d’autre que Vous. Quand vous en épouseriez une autre que moi, pourvu que de mon côté, je n’en épouse point d’autre et que je Vous aime toujours uniquement, je ne le ferai rien contre mes vœux.

– Il est vrai, répartit Jésus-Christ, mais néanmoins, prenez garde à ce que vous faites, car si vous n’êtes point mon épouse, vous n’aurez pas dans le ciel, les apanages, les honneurs, les richesses, les grandeurs et les couronnes qui appartiennent à une reine qui est l’épouse d’un grand roi.

– N’importe, répliqua-t-elle, je me dépouille de bon cœur de toutes ces grandeurs, sans me réserver aucune chose pour ma personne, pourvu que je vous aime toujours et que toutes les âmes soient converties, je serai contente et me tiendrais bienheureuse d’être la plus petite servante des servantes. [381] Je ferai un paradis en terre, car je convertirai toutes les âmes et je ferai un torrent de délices des larmes des pénitents. C’est le vin des anges, ils n’en ont que des gouttes maintenant, mais alors j’en aurai un torrent, je m’enivrerai sur le bord de mon torrent. J’en boirai à longs traits, je m’en enivrerai et les âmes descendront à grandes troupes sur le bord de mon torrent pour boire de mon vin.

– Par ce moyen, vous aurez voirement532 à boire, mais où prendrez-vous du pain ?

– Ces belles âmes, répondit-elle, toutes blanches comme de la neige, seront le pain blanc dont je me repaîtrai dans le ciel, répartit-elle, et ce seront autant de beaux miroirs dans lesquels je verrai mon Époux et l’aimerai, et quoique je sois la dernière de toutes et dépouillée de toutes les grandeurs du paradis, je m’estime bienheureuse d’être la plus petite des servantes de leurs servantes. Je l’aimerai néanmoins plus moi seule qu’elles ne feront toutes ensemble, car je le verrai et l’aimerai en toutes et alors je chanterai :

Jam quod quaesivi video

Quod concupivi teneo [381v]

Amore Jesu langueo

Et corde totus ardeo533.

Fulci me floribus quia amore langueo534. »

Le lendemain la sœur Marie demanda à la Sainte Vierge qui était cette divine épouse qui était une si grande ménagère, et elle répondit que c’était la charité divine, c’est-à-dire en tant qu’elle a transformé en soi la sœur Marie. « Et qui est cet autre, dit la sœur Marie, que votre Fils regarde et qu’Il veut épouser ?

– C’est la nature humaine, répondit Notre Dame. Il veut détourner ses yeux de rigueur de dessus vous pour les tourner sur la nature humaine à laquelle Il donnera sa Passion par cette grande affliction qu’il lui enverra pour la rendre digne d’être son épouse [ou : de l’avoir pour époux]. »

Section 4. Les tourments que son amour lui fait souffrir en la vue de la perdition des âmes.

Elle a été un temps que Dieu lui faisait voir malgré qu’elle en eût l’état de [382] plusieurs âmes qui étaient dans la voie de la perdition, ce qui lui causait un tourment si grand qu’elle assure que si on lui donnait le choix ou de souffrir cette angoisse ou d’être jetée dans une fournaise ardente, voire même dans les feux de l’enfer, elle aurait préféré le dernier au premier. Elle voyait plusieurs personnes de sa connaissance prêtes de tomber dans l’enfer et qu’il n’y avait aucun remède à leur état, car « si on les avertit, disait-elle, de l’état où ils sont, ils ne feront que s’en rire. Si on leur fait voir leurs péchés, ils croient être en fort bon état, et même quelques-uns pensent être des saints, parce qu’ils communient souvent, qu’ils assistent au service de l’Église et qu’ils font plusieurs prières. Et néanmoins leur damnation est assurée, selon l’état présent où ils sont et s’ils ne font pénitence. Cela vient de ce qu’ils se sont endurcis en certains péchés dont ils n’ont point de scrupules, ou bien dont ils se confessent, mais leurs confessions ne valent rien, soit parce qu’ils n’ont pas une véritable volonté de s’amender ou qu’ils ne sont pas dans une véritable disposition de pénitence. »

Elle priait instamment Dieu qu’Il la délivrât de ce supplice, Lui disant souvent : « Seigneur, [382v] délivrez-moi de mes frères », car, disait-elle, « il n’y en a pas un que je n’aime plus que mon cœur et pour lequel je ne voulusse mourir tous les jours jusqu’au jour du Jugement et endurer les peines de l’enfer pour les sauver s’il se pouvait, et cependant je les vois près de tomber dans ces tourments effroyables dont j’ai l’expérience ; n’est-ce pas grande pitié ? Si c’était un chien qu’on vît tomber dans un lac embrasé de feu pour y languir longtemps, n’en serait-on point touché ? Et qu’est-ce que d’y voir tomber son frère qu’on aime plus que son cœur ? Voilà l’unique source de mes larmes. » Et en disant cela, elle en avait le visage tout baigné. « Autrefois je ne connaissais la damnation des âmes que quand elles sortaient de leur corps ; je les voyais entrer à douzaines et maintenant je les vois rire et s’égayer et s’estimer de grands saints, et ils sont proches de leur damnation, et je ne sais point de remède à un si grand mal : c’est ce qui me fait rugir par la violence de la douleur que j’en ressens. »

Notre Seigneur l’excite quelquefois puissamment pour le salut de quelques âmes et alors elle est bien assurée d’être exaucée, mais elle en voit quantité en état de perdition pour lesquelles elle ne saurait prier. Elle dit que la plus grande partie du pauvre peuple [383] se sauve, mais que la plus grande partie des prêtres, des justiciers, des gentilshommes, des dames et demoiselles se perdent et qu’il y en a beaucoup qui se damnent pour les péchés qui se commettent dans le mariage.

Section 5. Son zèle très ardent pour le salut des âmes.

Elle a tant de zèle et d’amour pour le salut des âmes, que cela est inexplicable. Voici comme je l’ai entendue parler au commencement de juillet 1643 :

« Je suis bien occupée dans une grande affaire, disait-elle, tout embrasée et transportée de ce saint zèle, qu’on ne me divertisse pas d’ici, mais au contraire, que tout le monde s’efforce de coopérer et de contribuer à ce grand ouvrage où il s’agit de sauver toutes les âmes qui sont au monde. Arrière, tant de petites choses dont on parle, qui ne sont rien. Je cherche mes frères qui sont perdus. Les désirs cherchent, les larmes frappent et la nécessité demande. Ô que cette nécessité est grande ! [383v] Ô qu’elle est grande ! Je dis : la nécessité extrême en laquelle sont des millions d’âmes qui se perdent.

« Mais hélas ! Nous n’avons rien de nous-mêmes, nous n’avons ni désir pour chercher ni larmes pour frapper, et nous n’avons pas seulement connaissance de notre nécessité. Ayons recours à Notre Seigneur et demandons-lui des désirs, des larmes et la connaissance de notre misère. Je cherche le repos, mais ne l’aurai pas que toutes les âmes ne soient sauvées. Et que ferons-nous pour cela ? Il faudrait satisfaire pour elles à la divine Justice : avons-nous de quoi payer ? Oui et par-delà, car nous avons la Passion de Notre Seigneur qui est un trésor si riche et si abondant que quand on y aura pris de quoi payer toutes les dettes du genre humain, il demeurera encore tout entier. Mais il faut trouver une personne qui présente notre requête à la très Sainte Trinité pour la prier de recevoir cette satisfaction pour toutes les âmes.

« Qui sera-ce ? Ce sera la très précieuse Vierge. C’est la reine Esther qui se doit présenter devant le grand roi Assuérus, pour lui demander la vie et le salut de son peuple. Il faut que Mardochée qui est la nature humaine l’en prie par la bouche de tous les saints du ciel et de la [384] terre. Elle est toute bonne : elle ne les refusera pas, elle présentera notre requête. Quelle est cette requête ? C’est la Passion de son Fils. » Cette Passion se doit entendre tant de celle qu’il a endurée pendant qu’il était sur la terre que celle qu’il a endurée en la sœur Marie. « Mais auparavant il faut que la vérité l’approuve. Après que la vérité l’aura approuvée, la Sainte Vierge la présentera. Ô qu’il fera beau voir cette divine Esther lorsqu’elle ira devant le grand roi du ciel accompagné de tous les saints qui seront tous prosterné sur leur face avec un merveilleux respect et un très profond silence ; car il n’y aura qu’elle qui parlera, tous les saints ne diront mot et elle sera exaucée infailliblement, parce que Dieu ne lui peut rien refuser. Ce sera lorsqu’elle sera dans ses grandes délices, quand elle obtiendra le salut de son peuple. C’est la vraie Esther : elle est belle, elle est noble, elle est riche. Sa beauté c’est la grâce dont elle est ornée ; sa noblesse, c’est la justice originelle en laquelle a été conçue ; ses richesses sont tous les mérites de la Passion de son Fils et de la sienne. Les deux filles qui la soutiennent de part et d’autre, c’est son humilité très profonde et la crainte qu’elle a de déplaire à Dieu. Et moi, que ferai-je, mais qui suis-je moi, le néant des néants. [384v] Qui que je sois pourtant, si Notre Seigneur me le permettait, je ferais vœu de demeurer en ce monde dans toutes sortes de supplices pour la conversion de toutes les âmes jusqu’à ce que celle qui serait la dernière en la terre en fut partie pour aller au ciel. Ce serait alors que j’irais chantant après elle :

Soit béni éternellement

Le nom de sa gloire accomplie.

La terre universellement

Soit de ses louanges remplies,

Disons bénissant son secours :

Ainsi soit, ainsi soit toujours.535

« Mais quand je serais arrivée à la porte du paradis, après que toutes les âmes y seraient entrées jusqu’à la dernière, si on me fermait la porte, que dirais-je ? Je dirais à Dieu sans regret, puisque toutes les âmes sont sauvées : « Je suis en repos, je suis contente qu’on m’envoie au néant », voire même s’il en restait une à se sauver et qu’elle fût perdue, je me mettrais à sa place afin qu’elle s’en allât au ciel, et m’obligerais de souffrir pour elle les peines éternelles de l’enfer, pourvu que je ne haïsse point Dieu qui ordonne d’aimer son prochain [385] comme soi-même. Je ne serais obligée que de porter la moitié de ses peines et elle l’autre moitié, mais il est écrit dans mon livre que j’aimerais mon prochain plus que moi-même. C’est pourquoi je me chargerais de toutes ses dettes afin de l’en décharger. Quelques-uns me diront qu’étant en enfer je n’y aimerai point Dieu, mais ils ne diront pas vrai, car je L’aimerai dans toutes les âmes qui seront au ciel et je le posséderai en elles, et ce sera pour lors que je chanterai :

Jam quod quaesivi video.

Quod concupivi teneo.

Amore Jesu langueo.

Et corde totus ardeo536.

« Je ne me soucie pas d’aimer Dieu d’un amour plein de délices et de consolations célestes. Je le veux aimer d’un amour tout pur, tout pur. Lorsque la reine Esther aura présenté sa requête et que toutes les âmes qui sont sur la terre seront sauvées, ce sera en ce temps-là que la Passion de Notre Seigneur produira ses fruits en abondance. Car la Passion du Fils de Dieu est un héritage infiniment riche, mais qui est maintenant presque tout en friche et en non-valeur, mais le temps approche qu’on le fera valoir. Ce sera [385v] pour lors que la grande prophétie de la Sainte Vierge sera accomplie, qui est contenue en ces paroles : Esurientes… inanes537. Il a rassasié les saints qui sont affamés et ont une grande soif du salut des âmes, lesquels seront pour lors pleinement rassasiés, et ces riches ce sont les démons qui possèdent maintenant toutes les âmes et qui alors en seront dépossédés. Ce sera en ce temps-là que cet enfant dont il est fait mention en ces autres paroles : Suscepit Israel puerum suum, etc.538 prendra en peu de temps un notable accroissement pour arriver à la plénitude de l’âge d’un homme parfait. Quel cet enfant ? C’est l’Église tant triomphante que militante, laquelle n’est maintenant qu’un enfant à cause du petit nombre de ceux qui vivent en bons chrétiens et qui vont dans le ciel. C’est pourquoi en disant ces paroles : Recordatus misericordiae suae539, il faut prier Dieu qu’Il se souvienne de Sa grande miséricorde et qu’Il fasse croître cet enfant. » [386]

Section 6. Elle a grande compassion des pécheurs. Travailler pour le salut des âmes, c’est conquérir la terre sainte. C’est le plus court chemin de la perfection et le plus grand témoignage d’amour vers Dieu. Cinq sortes de personnes qui travaillent au salut des âmes.

Un homme et une femme ayant été surpris en adultère, et tout le monde et même les prêtres s’étant assemblés pour les voir passer, comme on les menait en prison, pour se moquer d’eux au lieu d’en avoir compassion et d’être devant le Saint Sacrement prier Dieu pour leur salut, la sœur Marie vint à passer par là et voyant cela elle fut saisie d’un mouvement extraordinaire de charité et s’en alla à l’église prier Notre Seigneur qu’Il leur pardonnât, et Lui protester qu’elle ne partirait point de là qu’Il ne l’eût assurée de leur salut, ce qu’Il fit. La femme est morte après avoir souffert [386v] de grands maux et avoir été longtemps malade. Pour l’homme, il a vécu longtemps après elle et a étrangement souffert tant par la pauvreté où cette misérable affaire-là le réduisit, que par quantité d’autres misères que le bon Dieu permit qu’il lui arrivât pour lui aider à faire pénitence et lui obtenir miséricorde.

Dans quelque autre rencontre on lui a dit qu’il ne fallait pas s’étonner si elle souffrait tant pour les âmes, et si elle y prenait tant d’intérêt, c’est qu’elle avait autant de blessures dans le cœur qu’il y a d’âmes en péché mortel.

En l’an 1646, le 4e de novembre, elle demanda permission à Notre Seigneur de prier pour ceux qui était sur la mer, ainsi qu’il était marqué dans un billet qu’elle avait eu pour ce mois. Il lui dit qu’il y avait trois sortes de mer : premièrement la mer ordinaire. Il lui fit dire trois fois le Pater, l’Ave et le Sancta, le premier pour obtenir la grâce de Dieu pour ceux qui étaient en péché mortel, le second afin qu’Il la conservât à ceux qui l’avaient, le troisième pour leur voyage des uns et des autres.

Pour ceux qui sont sur la mer sensible des afflictions, là où il faut voguer dans le vaisseau de la patience, le Fils de [387] Dieu lui ordonna de dire cinq fois le Pater et l’Ave et le Sancta à chaque jour du mois en l’honneur des cinq plaies qu’il a portées, qui sont cinq fontaines de grâce pour l’obtenir à ceux qui ne l’ont pas dans leur affliction, pour la conserver à ceux qui l’ont et pour les préserver tous des tempêtes et du naufrage, c’est-à-dire des murmures et impatiences signifiées par les tempêtes et du désespoir signifié par le naufrage. La mer spirituelle, c’est la Passion de Jésus-Christ. Ceux qui sont sur cette mer ont pour vaisseau leur néant : ils sont dépouillés d’eux-mêmes et crucifiés avec Jésus-Christ. Ils vont conquérir la terre sainte, c’est-à-dire les âmes rachetées du sang d’un Dieu. Ils ont trois sortes d’armes offensives et défensives pour vaincre trois sortes d’ennemis :

1. Ils ont l’amour divin pour détruire les idoles, qui sont les péchés.

2. Ils ont la charité pour vaincre les idolâtres, qui sont les pécheurs.

3. Ils ont la haine d’eux-mêmes pour vaincre le diable.

Pour cela Notre Seigneur lui ordonna de dire chaque jour pour cinq fois Vexilla Regis pour obtenir de Dieu qu’Il leur donne victoire et il dit que sur cette dernière mer il n’y a point de tempêtes. [387v]

Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que faire faire un acte de contrition à une personne qui est en péché mortel est plus que délivrer toutes les âmes qui sont en purgatoire, parce que la moindre coulpe est un plus grand mal que toutes les peines.

Il lui dit aussi que le plus court chemin après les souffrances pour arriver à la perfection, c’est de coopérer avec Lui en l’œuvre du salut des âmes.

Quelqu’un étant en doute s’il devait demeurer en solitude ou travailler aux missions, ayant fait consulter là-dessus la sœur Marie, elle répondit de la part de Notre Seigneur que celui qui usait bien de la solitude embellissait son âme et que celui qui travaillait au salut des âmes l’enrichissait, et Notre Dame ajouta que le plus grand témoignage d’amour qu’on puisse donner à son Fils est de s’employer au salut du prochain pour lequel Il a donné son sang et sa vie.

La sœur Marie ayant reçu un billet par lequel il lui était recommandé de prier pour ceux qui travaillent au salut des âmes, Notre Seigneur lui dit qu’il y en a de cinq sortes : les premiers sont ceux qui travaillent à purifier leurs âmes et pour cela on lui fit demander la pratique des vertus et la grâce d’y persévérer. Les seconds sont ceux que Dieu appelle à la religion afin d’y travailler pour sa gloire et pour le salut du prochain et [388] pour ceux-ci on lui fit demander l’esprit de religion et la grâce d’y persévérer. Les troisièmes sont ceux qui ont vécu saintement en religion pour lesquels on lui fit demander l’augmentation de l’amour de Dieu et de la charité du prochain et le don de persévérance. Les quatrièmes sont les prédicateurs pour lesquels on lui fit demander que Dieu les disposât à recevoir le Saint-Esprit, et qu’Il leur donnât les mêmes dons qu’Il a donnés aux apôtres. Les cinquièmes sont ceux qui sont anéantis en eux-mêmes et qui ne vivent plus qu’en Dieu et pour Dieu, et pour ceux-ci on la fit prier qu’on les laissât longtemps à l’église pour la consoler et édifier par leurs exemples, prières et instructions.

Chapitre 12. De la charité et mansuétude vers les pauvres, et de l’aumône.

La sœur Marie voyant quelqu’un de ces amis qui était fort rude aux pauvres et qui leur faisait plusieurs reproches, disant à l’un qu’il gagnerait bien sa vie, à l’autre qu’il était en bon point, etc. : « Prenez garde, lui dit-elle, à ce que vous faites. Il est vrai qu’il y a beaucoup de mauvais pauvres, mais il arrivera peut-être qu’en disant ces choses [388v] vous vous adresserez à quelque pauvre honteux que vous affligerez et attristerez, et alors le mal que vous ferez sera plus grand que tout le bien que vous auriez jamais fait par toutes vos aumônes. »

Un homme considérable étant mort à Coutances, pendant que le corps était dans l’église cathédrale, la sœur Marie se sentit plusieurs fois pressée de dire pour lui le Gloria Patri. Et comme elle voulait encore dire autre chose, il lui fut dit qu’elle ne dirait que cela tant que le corps serait présent. Après elle demanda pourquoi elle l’avait dit tant de fois. Notre Seigneur répondit que c’était pour signifier que quand les personnes de qualité, comme était celui-ci, servent Dieu, Il en est beaucoup plus glorifié que de ceux qui sont de moindre condition. On lui dit aussi que celui-ci avait restitué par ses aumônes tout ce qu’il avait mal pris dans la judicature et qu’il avait encore bien donné du sien. Ensuite on lui ordonna de dire plusieurs prières pour lui.

Un jour, se plaignant du bruit que faisaient les pauvres dans l’église de Coutances disant : « C’est grand [pitié]. Quand ils sont aux portes à demander l’aumône, ils disent, “nous prierons Dieu pour vous”, et voilà les belles prières qu’ils font ! » Notre Seigneur lui dit : « Ils demandent [389] malédiction pour ceux qui leur dénient l’aumône corporelle et spirituelle qu’ils sont obligés de leur donner. » [390-391]

Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles.

Chapitre 1. De l’humilité de la sœur Marie.

Dieu ayant dessein de faire un haut édifice de sainteté et de perfection en l’âme de la sœur Marie, y a jeté des fondements très profonds. Car outre qu’Il l’a fait naître dans un village d’un pauvre laboureur et qu’Il l’a réduite dans une condition la plus vile du monde tel qu’est celle d’une possédée, Il a mis en son cœur une humilité si profonde, si solide et si admirable que je n’ai jamais vu, ni lu, ni entendu rien de semblable. Car je puis dire avec vérité et sans aucune exagération que tout ce que j’ai lu dans les livres de plus excellent de cette vertu me semble peu de chose [391v] en comparaison de ce que j’ai vu et reconnu par une longue expérience en cette fille, qui en ce sujet aussi bien qu’en plusieurs autres a surpassé incomparablement par ses dispositions et par ses actions toutes les paroles des hommes les plus savants et les plus éloquents. C’est pourquoi tout ce que je pourrai écrire sur cette matière ne sera qu’une ombre de l’humilité très parfaite que le Fils de Dieu a établie dans son âme.

Jamais personne n’a eu autant de mépris et de haine au regard du plus grand ennemi qui se puisse imaginer, que la sœur Marie en a eu au regard de soi-même. Jamais ambitieux n’a tant aimé l’honneur et appréhendé le mépris, comme la sœur Marie a abhorré celui-là et chéri celui-ci. Les mépris, confusions et ignominies sont ses délices, et l’honneur, l’estime et les louanges sont ses supplices. Elle a toujours fait ce qu’elle a pu pour se tenir cachée et inconnue. Aussi a-t-elle été plus de quarante ans en la ville de Coutances, sans être connue de personne pour ce qu’elle était, que de ceux en la garde desquels la divine Providence l’a mise.

Elle n’a point manifesté les dons très particuliers que Dieu lui a faits et les choses très extraordinaires [392] qui se sont passées en elle, que quand Dieu l’y a forcée. C’est pourquoi ayant appris d’elle toutes les choses que j’ai écrites, un jour comme je la voulais remercier de me les avoir dites, elle rejeta fortement mes remerciements en me disant : « Remerciez Notre Seigneur et sa sainte Mère, car s’il était en mon pouvoir de ne parler point de toutes ces choses, je n’en parlerais jamais ni à vous, ni à personne. Mais Notre Seigneur et sa sainte Mère m’y contraignent. S’il y a quelque chose de bon en ce que je dis, il n’est pas de moi, car de rien il ne vient rien, et je suis le néant des néants. »

Dieu lui a imprimé dès son enfance une claire connaissance de sa faiblesse et de sa fragilité et une très basse estime et très grande défiance de soi-même, témoin ce qu’elle dit étant encore en son village, comme il est rapporté au premier livre de sa vie. Quand elle entendait parler de quelque fille qui s’était laissée tromper et qui était grosse, elle s’affligeait et pleurait extraordinairement « parce que, disait-elle, je ne suis pas plus capable de me garder du mal que celle-là. C’est pourquoi [392v] puisqu’elle est tombée, je suis bien assurée d’y tomber aussi. » Quand elle entendait parler de quelque personne qui était trompée par les illusions de l’esprit malin, elle en avait grande compassion : elle priait Dieu pour elle avec grand soin et s’affligeait beaucoup parce que cela redoublait la frayeur qu’elle avait d’être trompée. « Hélas ! disait-elle, les larmes aux yeux, qui peut m’assurer que je ne sois pas trompée, puisqu’il y en a tant d’autres qui le sont. »

Section 1. Les trois partages des enfants d’Adam qui contiennent une belle instruction sur la connaissance de soi-même.

Un jour après la sainte communion, durant le temps des sortilèges, se trouvant tout enivrée de l’Amour divin et de consolations célestes, elle commença à dire à Notre Seigneur par un mouvement extraordinaire : « Attendez, je vous prie, j’ai peur de m’en faire accroire et de m’attribuer ce qui ne m’appartient pas. Faisons des partages afin que chacun sache ce qui est à lui et ne s’approprie rien et ne dérobe rien du bien d’autrui. Prenez ce qui est à vous et me donnez ce qui est à moi.

– Oui dà, dit le Fils de Dieu, [393] Je m’en vais vous donner ce qui vous appartient. Vous avez trois partages. Le premier est le néant duquel vous êtes tirée. Le second c’est le péché, car de vous-même et comme fille d’Adam vous êtes capable de toutes sortes de péchés et même vous n’êtes rien que péché. Le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles qui sont dues aux péchés que vous auriez commis, si Dieu ne vous en eût préservée. Voilà ce qui est à vous. Tout le reste est à moi, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de bon en la nature, en la grâce, en la gloire, m’appartient. »

Depuis cela, quand Notre Seigneur lui dit : « Vous êtes ceci, Je vous donnerai telle ou telle grâce, Je vous ferai telle ou telle faveur », elle lui répond aussitôt : « Attendez, je vous en prie ; je m’en vais un peu voir mes partages. Mon premier partage est le néant, le second est le péché, le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles. Au reste je suis l’ouvrage de vos mains : l’ouvrier qui a fait un ouvrage ou le peintre qui a fait un tableau, le peut embellir, orner et enrichir comme bon lui semble. Aussi vous ferez de votre ouvrage [393v] tout ce qu’il vous plaira. À vous seul en sera la gloire. Pour moi, je proteste en la face du ciel et de la terre que je n’ai rien de quoi je me puisse glorifier, sinon le néant, le péché, l’Ire de Dieu et les peines éternelles. »

Section 2. Notre Seigneur lui dit ses louanges, qui appartiennent aussi à tous les enfants d’Adam et qui contiennent une plus grande explication des trois partages.

L’an 1652, sur la fin du mois de juin, la sœur Marie récitant son rosaire devant Notre Dame du Puits en l’église cathédrale de Coutances, la Sainte Vierge lui dit : « Allez à mon Fils et le priez de vous donner ce que je lui ai demandé pour vous. »

Elle s’en va à Notre Seigneur en esprit et lui dit : « Ma mère m’a commandé de venir vers vous afin que vous me donniez, s’il vous plaît, ce qu’elle vous a demandé pour moi.

— Oui, dit-il, elle a demandé que je vous donne des louanges et voici celles que j’ai à vous donner. »

à même temps, il lui dit ces paroles : Terra deserta et inaquosa, Terre sèche et déserte540. Ensuite, Il lui dit encore celle-ci : Terra miseriae et tenebrarum ubi umbra mortis sedet et nullus ordo, sed sempiternus horror inhabitat541. Et par après, il ajouta ce qui [394] suit : Desolata est civitas, denigrata est super carbones, Cité pleine de désolation qui est plus noire que les charbons542. « Voilà vos louanges, dit Jésus-Christ, et les louanges de tous les enfants d’Adam. »

– Je ne sais pas ce que cela veut dire, dit la sœur Marie.

– Allez-vous-en à ma Mère, elle vous l’interprétera. »

Elle vient à Notre Dame qui lui explique toutes ces paroles en cette façon : « La terre sèche et déserte, dit-elle, c’est le néant, dans lequel il n’y a rien du tout, ni bien ni mal, et c’est là votre origine, votre appartenance et tout ce que vous avez de vous-même. La terre misérable et ténébreuse où il n’y a aucun ordre, mais rien que l’ombre de la mort et une horreur éternelle, c’est la coulpe originelle. L’ombre de la mort signifie l’enfer dont elle est la source. Et cette horreur éternelle c’est l’Ire de Dieu avec toutes ses malédictions dont elle est la cause. Voilà l’héritage que vos parents vous ont laissé. La cité pleine de désolation et plus noire que les charbons, c’est l’enfer qui est la demeure qu’ils vous ont préparée. Voilà [394v] les louanges qui vous appartiennent et à tous les enfants d’Adam. Voilà de quoi ils peuvent se glorifier. »

Section 3. Elle a une très basse estime de soi-même, un très grand mépris et haine de soi-même. Actes merveilleux d’humilité.

« Nous devrions, dit-elle, nous mettre sous les pieds de toutes les créatures, même inanimées et insensibles, parce qu’elles n’ont jamais offensé Dieu. Au contraire, elles regardent toujours fixement sa très adorable Volonté pour lui demander ce qu’il lui plaira qu’elles fassent et pour suivre parfaitement ses ordres. »

Elle a une si basse estime de soi-même qu’elle a été longtemps en des étonnements sensibles que tout le monde ne lui jetait de la boue et ne lui crachait au visage, et quand elle rencontrait quelqu’un qui la saluait en passant, elle en demeurait surprise et confuse, et elle avait un mépris et une haine si grande au regard de son corps, qu’elle priait Dieu qu’après [395] sa mort de lui permettre de la venir déterrer pour la jeter à la voirie.

Elle dit que quand il lui vient quelquefois en la pensée de baiser la terre pour s’humilier et qu’elle est en un lieu où il y a bien du monde qui peut-être s’en moquerait et en ferait des railleries qui offenseraient Dieu, elle regarde en soi-même et connaissant qu’il n’y a point de terre plus basse et plus contemptible543 que celle de son corps, elle baise secrètement sa main.

L’an 1646, le 8 janvier, elle dit à Notre Seigneur : « Vous avez tant promis la fin et elle ne vient point. L’arrêt est prononcé contre le péché, et nous ne voyons point de fin. » Le Fils de Dieu répondit : « Ici tout est passé et tout est à venir, comme si un seigneur avait alloué un palais à faire, à charge que l’architecte n’en aurait rien que tout ne fût fait, le palais étant achevé sans qu’il eût rien touché, tout y serait passé quant à l’ouvrage et tout y serait à venir quant à la récompense. Il en est [395v] ainsi de vos souffrances. »

Elle dit à Notre Seigneur : « Quand vous visiterez votre ouvrage, si vous y trouvez des défauts, c’est moi qui les ai commis par mégarde ou par fragilité. Je vous prie de m’enseigner ce qu’il faut faire ou souffrir pour les réparer. Que si l’ouvrage vous agrée, je vous demande pour récompense qu’il vous plaise me faire connaître si je vous suis agréable. Pour votre paradis et vos délices, je ne les demande pas. S’il vous plaît [de] m’envoyer au néant, cela m’est indifférent, puisque je vous serai inutile. Mais je vous demande une grâce, qui est de bénir le désir que j’ai de vous adorer de vous louer et de vous rendre grâces, en sorte que quand je serai anéantie, ce mien désir succède en ma place pour toute éternité. »

Section 4. Elle aime d’être avertie. Sa plus grande joie est d’être méprisée et son plus grand tourment d’être honorée.

« Si je trouvais une personne, dit-elle, avec une grande vérité, qui me fît connaître quelque tromperie ou péché en moi, je baiserais la terre par où il passerait. [396] Je vous conjure, disait-elle à quelqu’un, si vous en voyez, de me les faire connaître et de me dire ce que je dois faire. Autrement vous serez chargé devant Dieu de tous les péchés qui en procéderont, faute de m’avoir avertie. »

Elle dit qu’elle n’a jamais porté envie à la condition de personne, qu’à celle d’une pauvre fille possédée qui était d’auprès Valognes, parce qu’elle parlait toujours fort mal à propos, de sorte que tout le monde se moquait d’elle quand elle parlait. Car la sœur Marie disait en soi-même : « Oh ! Que voilà une bonne garde à l’humilité. » Elle dit aussi que ses trois bonnes amies sont : le mépris, la confusion et l’ignominie.

Elle dit qu’elle met l’humilité à se réjouir du mépris que l’on fait de soi et que pour son regard, sa plus grande joie est d’être méprisée comme son plus grand supplice est d’être loué. Quelqu’un lui disait là-dessus : « Pourquoi seriez-vous fâchée que l’on estime en vous les choses que Dieu y a mises ?

– Et pourquoi m’appeler à cela ? dit-elle. Que l’on fasse donc séparation de ce qui est à Dieu et de ce qui est à moi et qu’on loue Dieu de ce qui est Sien, sans m’y comprendre. Car en moi il n’y a rien que le néant [396v] et le péché qui m’appartiennent.

– Mais vous dites de si belles choses, répliqua-t-il.

– Ce n’est pas moi qui les dis, répondit-elle, je ne suis qu’un laquais qui porte des lettres ou plutôt je ne suis rien du tout, et de rien il ne peut rien sortir. » 

Durant le temps des maléfices, elle vit son bon ange en esprit qui marchait avec elle. Elle lui demanda : « Où allons-nous ?

– Nous allons à Dieu.

– Je vous prie, quand nous serons venus, priez-Le qu’Il me pardonne mes péchés.

– Ce n’est pas, dit-il, ce que j’ai à faire.

– Et quoi donc ? Répliqua la sœur Marie.

– Nous dirons que nous venons de défricher des terres stériles et de les labourer en froment. »

Alors, entendant cela, qui était à sa louange, elle entra dans une sainte colère contre son bon ange et lui dit par un mouvement et saillie qui faisait bien voir son état et connaître sa profonde humilité : « Tu n’es pas un ange, mais un diable, puisque tu me tentes d’orgueil, va et ne reviens jamais. »

Ce même ange parut après, avec Notre Seigneur, et lui dit : « Eh bien suis-je un diable ?

– Aussi pourquoi me donnez-vous des louanges, lui répondit-elle, puisque vous savez que je hais tant l’honneur. »

Elle a été un temps que quand elle entendait à l’église chanter à la fête de quelque saint martyr : Gloria et [397] honore coronasti eum, elle pleurait et s’affligeait beaucoup disant : « Comment, quelle pitié est-ce que cela ! Que l’Église est cruelle ! Elle martyrise encore une fois les saints en les louant et en leur demandant des couronnes d’honneur et de gloire. N’ont-ils pas été assez tourmentés sans leur faire encore souffrir de nouveaux tourments ? » Ce qu’elle disait dans une grande simplicité et vérité, croyant qu’on ne pouvait pas faire souffrir un plus grand supplice aux saints que de leur parler d’honneur et de gloire.

Dans le voyage qu’elle fit à Notre Dame de la Délivrande en 1644, elle passa en revenant par chez Monsieur de Camilly, là où étant un jour à table et souffrant une très grande peine de l’honneur qu’on lui faisait, elle disait à Notre Seigneur, les larmes aux yeux : « Où sommes-nous ? Allons-nous-en. Quel moyen de souffrir tous ces honneurs !

– Ne voulez-vous pas, lui dit-Il, que Je recueille ici mes rentes, c’est-à-dire l’honneur qu’on me doit ? Car on me doit honorer partout où Je suis. Un roi et une reine sortent de leur palais et vont se promener sur le bord de la mer, entrent dans une saline544. Ils y demeurent longtemps. Les courtisans voyant qu’ils ne reviennent pas, les vont chercher en cette saline, demeurent tout autour, la tête nue. Si cette saline pouvait parler et qu’elle dit : “Qu’est-ce que tous ces gens-là cherchent ici ? Hé, qu’ai-je affaire de leurs honneurs ?” On lui dirait : “Ce n’est pas vous qu’ils cherchent, c’est le roi et la reine.” S’il n’y avait ni roi ni reine, les courtisans ne seraient point ici. Vous êtes cette saline. »

Elle hait tant l’honneur qu’elle a un désir beaucoup plus grand d’être délivrée de l’estime des hommes que d’aller en paradis.

Avant qu’elle partît de Coutances pour aller à Notre Dame de la Délivrande, Notre Seigneur lui dit : « Vous irez par un chemin d’épines et vous reviendrez par un chemin de roses. Mais pourtant l’odeur ne vous en sera guère agréable. » Les roses signifient la charité avec laquelle elle fut reçue et honorée en plusieurs lieux où elle passa, mais l’odeur ne lui en était pas agréable à cause que l’honneur y était mêlé.

Section 5. Tout ce qui tourne à son honneur lui sert à confusion et à tourment.

Elle assure que toutes les choses qu’on a écrites [398] d’elle lui sont à confusion et à peine comme un crime atroce qu’elle aurait commis et qu’elles lui causent plus d’affliction que lorsqu’elle était accusée de sortilège.

Un jour, se plaignant à Notre Seigneur de ce que toutes les choses qu’Il lui dit intérieurement se tournent en amertume et désolation pour elle et de ce que ceux qui la visitent et la font parler de ces mêmes choses augmentent sa peine et sa douleur, Il lui dit : « Voyez-vous ? C’est que Je vous ai trompée. J’avais promis de convertir votre eau en vin et J’ai converti votre vin en eau, car je fais que toutes les choses qu’on vous dit qui vous devraient consoler vous afflige. Il est vrai pourtant que J’ai converti votre eau en vin, car toutes vos afflictions sont comme de fort bon vin qui vous nourrit et fortifie pour vous faire marcher plus promptement par votre voie.

– Mais, disait-elle (parlant de ceux qui la vont voir auxquels Dieu l’oblige de se cogner et de manifester ce qu’Il lui dit et ce qui se passe en elle, dont elle souffre beaucoup de peine), c’est grand pitié de tout ce que ces gens-là me font et comme ils me tourmentent : [398v] ils ne viennent ici que pour m’affliger. Je sais bien ce que je ferai désormais. J’atténuerai tant que je pourrai toutes ces choses et ferai tout mon possible pour les en dégoûter.

– Vous vous trompez bien, dit le Fils de Dieu, car toutes ces industries dont vous vous servez sont comme autant de liens par lesquels vous vous attachez et liez davantage la croix qu’ils vous ont mise sur le dos, parce que les moyens par lesquels vous pensez leur ôter l’estime de ces choses la leur augmentent davantage. »

Elle dit avec un très profond sentiment de vérité que la manifestation des choses susdites lui cause un plus grand tourment que ceux qu’elle a soufferts de la part des démons dans la possession, de la part des sorciers dans les sortilèges, de la part de l’enfer durant les cinq ans qu’elle y a été et de la part de ces quatre grands maux dont il a été parlé ailleurs, qui l’ont tant affligée. « Il est vrai, dit-elle, que quoique j’aie demandé à Dieu la délivrance du mal de douze ans, je ne L’ai jamais prié de m’ôter ces autres maux, mais je Le supplie souvent de me délivrer de ceux qui écrivent et manifestent ces choses. »

Un jour parlant à Notre Seigneur et lui faisant encore ses [399] plaintes contre ceux qui la visitent et qui lui témoignent quelque estime, elle disait : « Pourquoi est-ce qu’ils me donnent tant de peine, pourquoi me tirent-ils de ma solitude ? Oh ! S’ils savaient le tourment qu’ils me donnent ! » « Quel tourment vous donnent-ils ? » répondit le Fils de Dieu.

Alors toute animée, elle commença à parler en cette façon : « Tout ainsi qu’un homme qui serait au fond de la mer désirerait qu’on l’en tirât, tout de même je désire ardemment d’être délivrée de l’honneur et de l’estime des hommes.

– Tout de même ? dit Notre Seigneur, comme par étonnement !

– Oui, répliqua-t-elle, tout de même. Et tout ainsi que celui qui serait dans une basse fosse chargée de chaînes, dans des ténèbres affreuses et parmi des bêtes venimeuses, désirerait en sortir, tout de même je désire sortir de la connaissance de ces gens-ci. »

Elle continua encore ainsi : « Comme un homme qui serait bien sain et qui aurait été sept jours sans boire et sans manger désirerait le repas, tout de même je désire retourner dans ma solitude. » Elle ajouta : « Comme celui qui serait dans une fournaise ardente désirerait en sortir, tout de même je désire [399v] sortir de l’honneur et de l’estime des hommes. Enfin, ainsi que celui qui serait pendu à un gibet de cent coudées de haut, ne pouvant mourir et étant exposé à la risée de tout le monde, désirerait qu’on le détachât, tout de même je désire sortir des louanges que ces hommes me donnent.

– Tout de même ? dit Notre Seigneur.

– Oui, répondit-elle, tout de même. »

Section 6. Elle a affection pour ceux qui la méprisent et aversion pour ceux qui l’estiment. Les louanges sont du poison et plus dangereuses que les médisances.

L’an 1647, le 24 août, comme l’on rapporta à la sœur Marie que quelqu’un la méprisait et disait du mal d’elle, aussitôt elle sentit grande tendresse pour lui et à l’instant se ressouvenant d’un autre qui lui avait rendu de l’honneur, elle sentit une grande amertume de cœur au regard de lui. Elle demanda à Notre Seigneur d’où venait cela qu’elle avait si grande tendresse [400] pour ceux qui lui voulaient du mal et une si grande aversion pour ceux qui lui voulaient du bien.

« La raison en est bien naturelle, lui dit la Sainte Vierge. Dites-moi ! Si deux personnes voulaient contribuer à votre nourriture et que l’un vous donnât du pain qui fût selon votre goût et l’autre vous présentât des bêtes venimeuses pour vous nourrir, auquel des deux seriez-vous plus obligée ? » Le pain ce sont le mépris et les blâmes, et les bêtes venimeuses ce sont les honneurs et les louanges. Ceux qui s’en nourrissent en demeurent empoisonnés. La plupart en meurent et les autres en sont bien malades. Le moyen de ne s’en mourir point est de les référer toutes à Dieu à qui seul appartient tout l’honneur et toute la gloire.

« Mais ce pain qui est de si bonne nourriture est-il trouvé de tous de bon goût ? dit la sœur Marie.

– Non, dit la Sainte Vierge, car les malades n’en sauraient prendre, parce qu’il est trop rude et si on le leur présente, ils le rejettent. Deuxièmement les délicats le trouvent de fort mauvais goût, et s’ils en prennent, il leur cause de très grandes douleurs à l’estomac parce qu’ils n’ont pas assez de chaleur naturelle pour le digérer. [400v] Mais ceux qui sont bien sains et qui travaillent fortement à leur salut en font une très bonne digestion et en sont bien nourris. »

Une autre fois, demandant à la Sainte Vierge pourquoi elle souffrait tant de la part de ceux qui la visitaient et qui en attiraient d’autres, elle lui fit cette réponse : « Si l’on prenait un poisson dans l’eau et qu’on le mit sur l’herbe, en serait-il bien aise ?

– Non sans doute.

– C’est pour cela que ceux-ci vous affligent tant, parce qu’ils vous tirent de votre élément qui est d’être cachée, inconnue et méprisée et qu’ils vous mettent en évidence. »

L’an 1643, il vint un certain homme à Coutances qui traita la sœur Marie avec beaucoup de mépris. Quinze jours auparavant qu’il vint, elle n’avait aucune connaissance qu’il dût venir. La Sainte Vierge lui dit : « Il vous viendra bientôt de bonnes nouvelles d’un autre lieu.

– Quelles bonnes nouvelles ? dit-elle. N’est-ce pas que ces gens (parlant de ses amis qui la devaient venir voir) se changeront et ne me donneront plus de peine ?

– Non, répondit Notre Dame, ce n’est pas cela. Mais il vous viendra des nouvelles qui vous seront très agréables. »

Enfin cet homme vint qui l’alla voir et qui usa de beaucoup de mépris et [401] de menaces au regard d’elle : ce qui la réjouit si fort qu’elle assurait que depuis vingt ans elle n’avait eu de semblable consolation. Elle pleurait de joie et en fût pendant huit jours si remplis et dans des sentiments si extraordinaires de réjouissance que l’excès de la joie l’empêchait de dormir et avec cela elle avait une affection sensible pour cet homme. « Voilà, se disait-elle, mon grand ami, celui-là. » Ensuite elle demanda à Notre Seigneur d’où venait que ses amis qui lui témoignaient tant d’affection et de charité l’affligeaient et que celui-là la réjouissait.

« Si quelqu’un, lui dit-Il, prenait un petit ver de terre, le tirant de son petit trou et qu’il le mît sur un tapis de velours pour le considérer et admirer et qu’il en vint quelque autre qui le rejetât sur la terre, lequel des deux lui ferait plus de plaisir ? Vous êtes le ver de terre. Ceux-là vous mettent sur le tapis de velours et celui-ci vous renvoie en la terre. Voilà pourquoi vous avez affection pour lui et aversion pour les autres. »

Ensuite de cela, durant cette grande joie, une nuit ne pouvant dormir, elle pria Notre Seigneur de lui dire [401v] quelque chose.

« Oui, dit-Il, je m’en vais parler à votre cœur. Écoutez, si vous disiez à la terre, c’est-à-dire à l’or et à l’argent qui ne sont que terre : Ô terre que vous êtes heureuse, vous entrez dans les cabinets des rois vous êtes leur trésor, vous montez sur leurs têtes, vous faites leurs couronnes.” Si elle avait l’usage de raison, elle vous répondrait : “Mon bonheur n’est pas en cela, mais de demeurer en mon centre qui est le lieu de mon repos.” Si vous disiez à l’eau : “Ô eau, que vous êtes heureuse : vous entrez en la coupe des rois, vous êtes mêlée avec leur jus, ils vous convertissent en leur substance, vous devenez toute royale” ; si elle pouvait vous répondre, elle vous dirait : “Qu’ai-je affaire de tous ces bonheurs ! mon repos et mon bonheur est d’être dans mon élément. Si vous disiez au feu : “Ô feu pourquoi êtes-vous si dévorant, pourquoi consumez-vous ainsi toutes choses ? Attendez, la fin du monde n’est point encore venue”, il vous répondrait : “C’est le grand désir que j’ai de retourner à ma sphère qui fait que je consume tout ce qui m’empêche d’y monter”. Ainsi, dit Notre Seigneur, le vrai humble ne désire que le mépris, la confusion et l’ignominie. C’est là son centre, sa sphère et son élément.

Et c’est ici la pierre de touche pour connaître [402] la vraie humilité d’avec la fausse et imaginaire, dit la sœur Marie.

– La fausse humilité, dit Notre Seigneur, est quand un homme promet d’endurer pour l’amour de moi l’ignominie et le mépris, et que dans les occasions, il fait tout le contraire. L’imaginaire est quand un homme se persuade qu’il est prêt à souffrir toutes sortes d’humiliations et qu’il s’imagine pour cela qu’il est humble quoiqu’en effet il soit plein de superbe. » Les passions du vrai humble trouvent leur repos dans le mépris comme la terre en son centre, les sens y trouvent le leur comme l’eau dans son élément, et l’esprit réfère à Dieu promptement toute louange, tout honneur et toute gloire, et ne trouve point de contentement qu’en la seule gloire de Dieu, et il veut consumer tout ce qui l’empêche d’arriver là.

Section 7. Notre Seigneur cache dans son sein la petite violette qui est la sœur Marie.

Un jour elle vit le roi se promener dans ses parterres et qui marchait sur des violettes très belles et très odoriférantes, entre lesquelles s’étant baissé, il en prit une et la mit dans son sein. Ce que voyant [402v] plusieurs lys, roses et autres belles et grandes fleurs, elles s’en scandalisèrent, disant que si le roi avait à cueillir quelques fleurs, ce devait être des leurs qui étaient plus grandes et plus belles. L’œillet qui voyait tout ce qui se passait disait que le roi était le maître de son jardin et qu’il était libre de faire de ces fleurs tout ce qu’il lui plairait. Et après cela cette figure fut expliquée en cette manière.

Le roi c’est Notre Seigneur. Les violettes sont les âmes humbles, méprisées du monde et quelquefois de basses conditions auxquelles Dieu fait quelquefois des grâces signalées et extraordinaires dont les personnes qui sont grandes et vertueuses à leurs yeux se scandalisent et n’en pouvant souffrir, les persécutent et couvrent d’opprobre. L’œillet représente les personnes simples et qui craignent Dieu, lesquelles en ont compassion et s’efforcent de les défendre et consoler. Tout ceci s’entend de la sœur Marie qui a été persécutée par des personnes qui faisaient profession de la vertu. [403]

Chapitre 2. De la haine extrême qu’elle a contre l’honneur.

Elle a une haine inconcevable contre l’honneur. Un jour Notre Seigneur lui disait : « Vous haïssez beaucoup l’honneur. Je vous veux accorder ensemble.

– Non, dit-elle, je ne veux point d’accord avec lui.

– Mais l’honneur, répartit le Fils de Dieu, est mon homme de chambre qui m’accompagne partout et je ne veux pas qu’il y ait de haine entre mes domestiques. Je désire vous réconcilier ensemble.

– Point du tout, dit-elle, je ne veux jamais de réconciliation avec l’honneur. » Notre Seigneur lui parla ainsi afin que par ses réponses l’on connaisse ses dispositions. Un religieux de grande vertu ayant écrit à la sœur Marie une lettre dans laquelle il se plaignait de la propre excellence et estime de soi-même, la priant de demander à Dieu qu’Il le gardât de cette tentation, comme elle eut [403v] entendu la lecture de cette lettre, elle dit à Notre Seigneur : « Mais que veux dire que ces grands personnages se plaignent de leur propre excellence ? Ceux qui enseignent les autres ne savent-ils pas bien qu’ils ne sont rien ?

– Oui, lui répondit-il, ils savent bien cela, et me réfèrent les grâces qu’ils ont reçues de moi. Mais néanmoins chacun d’eux pense ainsi en soi-même : “Encore suis-je l’instrument de Dieu et un instrument libre qui pourrait résister.” Et par ces pensées ils prennent quelques complaisances en eux-mêmes et en l’honneur qu’on leur fait et de leur dire qu’il faut fouler l’honneur aux pieds et l’avoir en horreur, c’est comme qui dirait à un homme qu’il essuyât ses souliers avec de la soie, car les honneurs et applaudissements sont doux comme de la soie, de laquelle ils ne peuvent pas facilement se persuader qu’il faille toucher ses souliers.

– Je vous assure, disait-elle là-dessus, que je ne voudrais pas toucher mes souliers de l’honneur, car pour faire cela [404] il y faudrait toucher avec mes mains. Mais j’y voudrais sauter avec mes pieds pour l’écraser comme un serpent. Oui, disait-elle une autre fois, j’aurais horreur et mal au cœur de toucher mes souliers de toutes les louanges, honneurs et gloire de ce monde, car je les regarde comme autant d’ordes bêtes. On ne voudrait pas toucher ses souliers de crapauds, de mourons, etc., car on empoisonnerait ses mains, mais on sauterait dessus encore. On n’en prendrait pas la peine si ce n’était pour s’en défendre. » Elle assure qu’après le péché, il n’y a rien qu’elle haïsse tant que l’honneur et que si elle voyait l’enfer d’un côté et l’honneur de l’autre et qu’il fallut nécessairement qu’elle choisît l’un où l’autre, elle se jetterait plutôt en enfer que d’adhérer à l’honneur.

Un jour comme elle désirait grandement la mort par un mouvement qui ne venait pas d’elle et qu’elle chantait à la louange de la mort tous les cantiques qu’elle pouvait s’imaginer [404v] elle vit son bon ange qui lui dit : « Quand vous mourrez, nous vous viendrons quérir en carrosse.

– Non, non, dit-elle, je n’en veux point.

– Pourtant vous en aurez un, lui répliqua son bon ange.

– Nenni, répondit-elle, si ce n’était qu’il en vînt un pour quelque autre, car en ce cas je pourrais me mettre au derrière du carrosse où les laquais se mettent ou le bagage.

– Nous en avons un pour chaque âme en particulier.

– Je n’en veux donc point du tout », répartit-elle. Et alors elle perdit le désir qu’elle avait de mourir et par conséquent d’aller au ciel. C’est cette même haine qui lui a donné dégoût pour son psautier qu’elle aimait tant, parce qu’environ sur le commencement de l’année 1650, Notre Seigneur lui dit les versets 14 et 15 du Psaume 44 qui parlent de gloire et de grandeur et qu’Il les lui expliqua comme il a déjà été dit545.

Section 1. Le dernier degré de la haine de l’honneur.

L’an 1645, le 27 janvier, Notre Seigneur lui fit trois [questions][405] :

« Voici la première. Répondez-moi, lui dit-Il, lequel choisiriez-vous, ou d’être levée pour rendre service à votre frère que vous lui devez, pour aller à l’église et faire vos prières comme vous avez de coutume, ou bien de demeurer au lit ?

– Il est bien aisé de répondre à cela. Le premier est agréable, je choisirais le dernier qui est plus difficile.

– Voilà la deuxième question, dit Notre Seigneur. Lequel choisiriez-vous, ou que Moi et ma Mère demeurassions dans votre cœur où nous sommes ou que nous en sortissions et que les diables y entrassent ? »

Elle dit : « Il n’y a pas de comparaison, car Votre présence remplit l’âme de consolation : Vous écoutez les requêtes et les répondez favorablement. Au contraire, les diables remplissent le cœur de rage et de furies, et la mémoire d’horribles images, l’imagination de sales représentations. Il faut être toujours en travail. Assurément je choisirais la présence des diables comme la plus pénible, croyant que par ce moyen je ferais une chose plus agréable à Dieu. »

Notre Seigneur dit : « Voici la troisième question. C’est ici que Je m’en vais bien vous faire taire. Dites-moi, si [405v] ma divine Volonté commandait à toutes les créatures de vous rendre tous les honneurs qui lui sont dus et qu’elle vous commandât de loger en votre maison tous ces honneurs et de vivre avec eux, que feriez-vous ? »

Elle dit : « Il m’est impossible de répondre à cela.

– Parlez, parlez, car il faut répondre.

– Je ne saurais, dit-elle.

– Pourquoi, dit Jésus-Christ, répondez-vous maintenant si vous voulez renoncer à la divine volonté plutôt que d’accepter l’honneur.

– Je ne saurais, dit-elle maintenant répondre à cela. » Pour cette raison elle se mit à pleurer.

« Mais pourquoi haïssez-vous tant l’honneur, puisque vous aimez tant la vertu. En cela vous montrez que vous avez peu de raison, car c’est renverser l’ordre d’autant que la vertu engendre l’honneur et la gloire, comme le péché engendre la honte et la confusion. Vous aimez la vertu et haïssez le péché, et cependant vous haïssez les enfants de la vertu et aimez les enfants du péché. Y a-t-il de la raison à cela ? L’honneur suit la vertu, comme l’ombre le corps. Si quelqu’un mettait l’épée à la main pour tuer son ombre, ne serait-ce [406] pas un insensé ? Si l’ombre pouvait parler, elle dirait : “Pourquoi me voulez-vous détruire ? Si vous ne pouvez me souffrir, fuyez donc la lumière et vous cachez dans les ténèbres.” L’honneur et la gloire vous en pourraient autant dire. Pourquoi donc les haïssez-vous tant ? 

– Je n’en sais point la raison, dit-elle, mais je sais que je les hais d’une haine mortelle et irréconciliable. »

Alors Notre Seigneur dit : « J’en sais bien la raison, moi : une âme qui est morte à soi-même et qui demeure dans son néant, connaît que la gloire et l’honneur n’appartiennent qu’à Dieu seul et qu’elle n’est que néant, et péché, à qui il n’est rien dû que le mépris, la confusion et l’ignominie. Elle les aime et les embrasse comme une chose qui lui est due et elle demeure paisible avec eux. En cela vous faites comme ferait une bonne religieuse à qui son abbesse commanderait de sortir de son monastère pour s’en aller dans un camp de soldats débauchés. Ce qui lui serait commandé lui serait impossible. Vous haïssez autant [406v] l’honneur comme cette religieuse aurait cela en horreur. C’est pourquoi il vous est impossible de l’accepter. »

Section 2. Ce qu’elle dit aux autres porte à l’humilité.

Une des plus grandes et des plus certaines marques qui fait discerner dans les âmes l’esprit de Dieu d’avec l’esprit malin, c’est que tout ce qui procède de celui-ci enfle les cœurs et les porte à la vanité et à l’orgueil, et au contraire tout ce qui provient de celui-là abaisse les esprits et les porte à s’humilier et à se mépriser. C’est ce qui fait connaître manifestement que l’Esprit de Dieu possède la sœur Marie, l’anime et parle par elle. Car tant s’en faut que les choses mêmes les plus avantageuses que l’Esprit dont elle est conduite lui fait dire en certaines occasions à diverses personnes leur soient matière de vanité et vaine gloire, qu’au contraire elles leur impriment une très basse estime d’eux-mêmes. [407] Je pourrais rapporter quantité de preuves de cette vérité, que je sais de science certaine. Mais j’en mettrai ici une seulement qui est bien remarquable.

Un père de la Compagnie de Jésus546 très considérable par un très grand nombre de qualités très excellentes dont Dieu l’a enrichi, prêchant le carême à Coutances, allait voir tous les jours la sœur Marie et prenait tant de satisfaction à l’entendre parler de Dieu qu’il y passait souvent les trois ou quatre heures. Ayant reconnu le trésor qui était caché en elle, il la pria un jour de demander à Dieu pour lui la grâce de ne l’offenser jamais mortellement et elle promit de faire tout ce qu’elle pourrait pour cela. La nuit suivante, ce bon père faisant réflexion sur la demande qu’il avait faite, entra en de grandes inquiétudes, parce que l’on accordera, se disait-il en lui-même, ce que je désire ou non. Si on me le refuse, cela me causera peut-être un désespoir ou du moins [407v] une très grande peine le reste de ma vie ; si on me l’accorde, je crains d’en tirer vanité. Ayant passé la nuit dans ces peines et le matin étant venu, il alla trouver la sœur Marie pour la prier de ne point faire ce dont il l’avait priée, lui déclarant son inquiétude et ce qu’il appréhendait. Mais elle lui dit que cela était fait, qu’elle avait présenté sa requête à Notre Seigneur et qu’il l’avait accordée et qu’il ne devait point craindre la vanité sur ce sujet, parce que les dons de Dieu la détruisent au lieu de la faire naître et de la fomenter. Elle lui dit encore qu’il prît garde et même qu’il essayât si cette grâce que Dieu lui faisait de l’exempter du péché mortel lui causerait quelques sentiments contraires à l’humilité, et que si cela était, qu’il tînt pour certain que la chose n’était point de Dieu, mais du diable. Ce qu’il fit, mais il expérimenta bien qu’il ne pouvaient venir d’ailleurs que de Dieu. Aussi plusieurs années après, il m’a assuré beaucoup de fois qu’il ne voulait point d’autres preuves de la sainteté de la sœur Marie, que les effets de grâce très particuliers qu’il avait ressentis en lui-même par son moyen. [408]

Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés.

L’âme qui est morte à soi-même, dit un jour Notre Seigneur à la sœur Marie, connaît que l’honneur, la gloire et les louanges appartiennent à Dieu seul et que la honte, l’ignominie et le mépris lui sont dus. Elle les aime, les embrasse et vit paisiblement avec eux et c’est en ceci que consiste la vraie humilité. La Sainte Vierge lui dit toujours qu’il y a une infinité de degrés d’humilité à raison de quoi personne ne peut arriver au dernier et qu’elle-même n’y est pas parvenue, parce que son humilité est bornée et finie, et que le souverain degré d’humilité ne se trouve que dans le petit ver de terre qui est son Fils lequel a dit de soi-même : Ego sum vermis et non homo547, d’autant qu’il n’y a que Lui qui se soit humilié infiniment et qui soit descendu jusqu’au fond de l’abîme de l’anéantissement dont la profondeur est infinie, et que celui qui désire l’humilité doit [408v] regarder ce petit ver de terre et s’efforcer d’aller à lui et de s’en approcher autant qu’il pourra. »

Section 1. L’humilité comprend deux choses : la connaissance de Dieu et de soi-même et c’est le plus court chemin pour arriver à la perfection. Qui a l’humilité a toutes les vertus.

En l’année 1643, quelqu’un s’étant recommandé par lettre à la sœur Marie qu’il croyait être un prêtre et qu’il qualifiait ainsi dans sa lettre, ne la connaissant pas personnellement, Notre Seigneur lui dit comme elle priait pour lui : « Oh ! qu’il vous a bien nommée le Saint Prêtre. Le Saint Prêtre voilà votre nom. C’est votre esprit qui s’est consacré et qui se sacrifie à Dieu, et qui lui a sacrifié avec soi tous ses domestiques et ses servantes qui sont vos sens et vos deux passions, l’irascible et la concupiscible.

– Oh ! mais, dit-elle, ne me parlez point de mon esprit, car je ne veux point d’autre esprit que vous.

– Aussi suis-je votre esprit, dit le Fils de Dieu : le vôtre n’est plus [409] en vous, car il s’est sacrifié. C’est Moi qui suis votre esprit et le saint prêtre qui est en vous. Oh ! Qu’il s’est bien adressé en s’adressant au saint prêtre, car je suis le saint Prêtre qui me suis sacrifié Moi-même. Puisqu’il s’est adressé à Moi, je veux lui donner quelque chose. Demandez-moi quelque chose pour lui.

– Je vous prie de lui donner ce qui est convenable pour votre gloire et pour son salut.

– Cela est trop général, répliqua Notre Seigneur, je veux lui donner quelque chose de particulier.

– Et quoi ? dit la sœur Marie.

– C’est un enfant, je le bénirai, mais il a besoin d’humilité, demandez-moi pour lui une vraie humilité, laquelle comprend deux choses : la première est de Me connaître, la deuxième est de se connaître soi-même, car plus on Me connaît, plus on se connaît soi-même, et en se connaissant soi-même on devient humble et à mesure qu’on s’avance dans la connaissance de soi-même ou s’avance dans Ma connaissance.

– Quelle prière voulez-vous que je fasse, dit la sœur Marie, pour vous demander cela.

– Dites, répliqua-t-il, dix fois le Pater et l’Ave. » Ce qu’ayant fait, Il lui dit, qu’Il [409v] lui donnait l’humilité, mais qu’il fallait néanmoins qu’il coopérât de son côté pour l’acquérir. Celui-ci est mort en grande réputation de piété.

L’an 1646, le 26 février, Notre Seigneur parla ainsi à la sœur Marie : « Oh ! qu’heureuse est l’âme qui se dépouille des ténèbres pour se revêtir du soleil.

– Qu’est-ce, dit-elle, se dépouiller des ténèbres et se revêtir du soleil ?

– C’est sortir de son ignorance et entrer en la connaissance de Dieu. De la connaissance de Dieu procède une lumière par laquelle l’âme se connaît soi-même : plus elle connaît Dieu, plus elle L’aime, et plus elle se connaît soi-même, plus elle se hait.

– Mais comment peut-on connaître, dit la sœur Marie, si on aime Dieu et si on se hait ?

– Par les effets, répartit Notre Seigneur. L’âme qui aime Dieu aime tout ce qu’Il aime et hait tout ce qu’Il hait, et plus elle se hait et plus elle se méprise et s’anéantit. Et voilà le plus court chemin pour arriver à la perfection. »

Un certain ayant prié la sœur Marie de lui obtenir trois vertus, elle s’adressa à Notre Seigneur pour les lui demander. Voici ce que Notre Seigneur lui répondit : « Quelqu’un passant par devant un fruitier demanda au jardinier du fruit de trois arbres de son jardin. Le jardinier lui en donna. Mais n’eût-il pas [410] mieux fait de demander la clef de ce jardin pour prendre de tous les fruits du fruitier à son appétit et pour en manger à son aise ? » Le fruitier sont toutes les vertus. Ne demander du fruit que de trois arbres, c’est ne demander que trois vertus. Il vaut mieux aller au jardinier qui est Jésus-Christ et lui demander la clef du fruitier, qui est la vraie connaissance de soi-même. Celui qui l’a possède toutes les vertus.

La sœur Marie a une forte impression de cette connaissance de soi-même et elle dit que le Fils de Dieu en fait grand état et qu’elle est le vrai chemin qui conduit à la perfection.

Section 2. Notre Seigneur se cogne aux humbles et s’éloigne des superbes. L’Humilité et la Pureté sont les deux bras de l’âme avec lesquels elle embrasse Dieu et le retient avec soi.

La sœur Marie dit qu’un jour Notre Seigneur la mit sur le bord du néant et lui dit : « Demeurez là, car si vous y demeurez, Je viendrai vous y trouver et demeurerai toujours [410v] avec vous. Mais si vous en partez pour aller ailleurs, je n’irai pas vous y chercher. » Ensuite de cela, le démon d’orgueil vint, qui lui brouilla l’esprit de mille pensées de vanité, de superbe et de présomption, ce qui l’obligeait de crier du profond de son cœur : « Ô mon Dieu ! Je ne suis plus où vous m’avez mise, Vous voulez que je sois humble et me voilà la plus orgueilleuse créature du monde. »

Le Fils de Dieu lui répondit : « Vous n’êtes point partie du lieu où je vous avais mise. Vous y êtes encore assurément, mais c’est que le malin esprit vous a jeté de la poudre dans les yeux par toutes ces tentations de vanité pour vous empêcher de voir le lieu là où vous êtes et pour vous troubler et inquiéter. » Il lui a aussi fait connaître que l’âme qui le désire retenir avec soi en sorte qu’il ne puisse jamais s’en séparer, le doit embrasser avec le bras droit de l’humilité et avec le bras gauche de la pureté. 

Section 3. L’humilité et la crainte soutiennent la fragilité.

[411] Un jour Notre Seigneur fit voir à la sœur Marie trois personnes qui marchaient ensemble côte à côte. Celle du milieu était une grande princesse revêtue d’une robe très blanche et très belle. Elle marchait à pas mesurés et avec une gravité modeste et majesté merveilleuse, sans jamais regarder à ses pieds, mais ayant toujours les yeux vers le ciel, fichés sur la divine volonté pour la suivre en tout et partout. Le Fils de Dieu la regardait et disait avec un visage riant : « Ô que vos démarches sont belles, fille du Prince, Vulnerasti cor meum in uno crine colli tui548. » À ses deux côtés, elle avait deux filles qui la soutenaient par-dessous les bras. Quand l’une ou l’autre la laissait aller, elle tombait, car elle ne se soutenait que par leur moyen.

Cette princesse, c’est la fragilité humaine. Lorsqu’elle s’élève à Dieu et qu’elle suit en tout et partout sa divine volonté, ayant toujours les yeux fichés sur elle, alors c’est une grande princesse et c’est d’elle que s’entendent ces paroles : Quam pulchri sunt [411v] gressus tui in calceamentis, filia Principis549 ! Elle est fille du grand Roi qui est Dieu, car lorsqu’elle agit ainsi, son esprit est transformé en Dieu et déifié ! Les deux filles qui sont à ses côtés sont l’Humilité et la Crainte, car c’est sur ces deux vertus que subsiste la fragilité humaine. L’humilité la soutient par le bras gauche, elle prend garde qu’elle ne s’attribue rien que le néant, le péché et l’enfer ; la crainte fait qu’elle ne craint rien du tout que d’offenser Dieu. Si l’une ou l’autre vient à manquer en son office, la fragilité tombe par terre et se souille dans l’ordure du péché, de laquelle néanmoins elle peut être lavée par l’eau de la contrition et séchée par le feu du divin amour. Les péchés véniels sont comme de la poudre sur sa belle robe, qui peut être facilement ôtée.

Ce n’est pas offenser l’humilité que de dire des choses qui sont à son avantage quand on ne les dit pas pour en tirer quelque gloire, mais quelque bien et aux personnes à qui on les doit dire, car la vérité et l’humilité sont toujours bonnes amies. [412]

Un jour la Sainte Vierge lui dit que toutes les âmes qui désirent suivre ses pas qui sont la vraie humilité et obéissance, elle les purifie et les embellit de grâces et de dons célestes afin qu’elles soient plus agréables à son Fils et quand elles s’efforcent de se dépouiller d’elles-mêmes, elle prend plaisir de les revêtir de son Fils qui est la robe nuptiale, laquelle est nécessaire pour entrer aux noces de l’Agneau.

Elle lui dit encore une autre fois que Dieu prend plaisir à feuilleter et à rechercher la vie d’un orgueilleux pour faire connaître tous les péchés jusqu’aux moindres circonstances et les punir sévèrement, mais qu’Il cache et excuse les péchés des humbles et que quand Il trouve l’âme à l’heure de la mort dans un seul degré d’humilité, Il lui est impossible de la perdre tant Il aime cette vertu, et que si elle est en péché, Il lui donne la contrition et la sauve : ce qui est conforme à ces paroles : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam550. Aussi la sœur Marie assure qu’elle a connue des personnes qui ont été sauvées pour avoir eu un seul degré d’humilité. [412v]

Section 4. Plusieurs motifs d’humilité. Le portrait de la vraie et parfaite humilité.

Un jour la sœur Marie entendant Notre Seigneur, lequel parlant des deux appétits de la partie sensitive, l’irascible et la concupiscible, qu’elle appelle deux passions, les louaient hautement, disant que c’était ses deux capitaines qui avaient remporté tant de victoires, qui avaient tué l’amour-propre et fait mourir tant de péchés : « Je m’étonne, dit-elle, de ce que vous les exaltez tant ! Ce n’ont pas été eux qui ont fait tout cela, ça a été Vous en eux qui avez tout fait.

– Il est vrai, dit-Il, si mon amour divin voulait animer deux de ces bibets551 ou moucherons qui volent en cette chambre, il en ferait autant par eux comme il en a fait par ces deux passions. »

Un autre jour, comme elle parlait à Notre Seigneur de quelque chose qu’elle voulait faire pour l’augmentation de Sa gloire : « Voulez-vous que Je vous fasse voir de quelle façon vous augmentez Ma gloire ? Dites-moi une chose : voilà un petit enfant qui prend de l’eau dans le creux de sa main [413] ou au bout de son doigt et qui la jette dans la mer ; accroît-il de beaucoup l’eau de la mer ? Vos meilleures actions et vos plus grandes souffrances sont un peu d’eau dans le creux de la main, et les autres moindres au bout de votre doigt, une goutte d’eau que vous jetez dans la mer immense de ma gloire. Je vous laisse à penser si vous l’augmentez beaucoup. Il est vrai pourtant que cela M’est fort agréable parce que vous faites ce que vous pouvez. Mais il y en a qui prennent l’eau de la mer et se l’approprient et ceux-là font un grand mal : ce sont ceux qui Me ravissent Ma gloire en se vantant des vertus qu’ils n’ont pas et d’avoir fait les bonnes œuvres qu’ils n’ont pas faites. Il y en a d’autres qui retiennent toute l’eau dans leur main au lieu de la jeter dans la mer et ce sont ceux qui font quelques bonnes actions, mais qui me les dérobent par vanité. »

En une autre occasion, Il lui dit encore [413v] : « Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser. »

« La vraie et parfaite humilité, dit la sœur Marie, est la fille aînée de Notre Dame. Il n’y a que les parfaits qui la puissent reconnaître : elle est revêtue de drap d’or qui est l’amour et la charité. Elle a le col environné d’un grand nombre de pierres précieuses d’un prix inestimable qui sont les dons et les fruits du Saint-Esprit et les Huit Béatitudes. Elle a les doigts tous couverts de bagues d’or qui sont toutes les vertus. Elle a une chaîne d’or qui fait trois tours autour d’elle, qui sont toutes les grâces ordinaires et extraordinaires qu’elle a reçues de la [414] très Sainte Trinité. Elle tient à sa main droite un grand miroir et à sa main gauche des balances. Quand elle est assise à la contemplation, elle voit dans ce miroir que Dieu est tout et qu’elle n’est rien. Quand elle est debout en action, elle tient ses balances où il y a écrit dans les deux bassins : “Celui qui s’exalte humilie Dieu, celui qui s’abaisse exalte Dieu. Elle ne porte point de couronne en ce monde ici, car elle lui est réservée pour le ciel. Personne ne peut prétendre à son alliance s’il n’est grandement riche et noble parce qu’elle est du sang royal. » Voilà un portrait au vif et une véritable image de ceux qui possèdent la vraie et parfaite humilité.

Chapitre 4. De l’obéissance. Notre Seigneur lui commande de faire plusieurs petites choses pour l’exercer dans cette vertu. Elle vaut mieux que la dévotion. Contre la propre volonté.

Tous ceux qui connaissent cette bonne fille plus [414v] particulièrement ont toujours remarqué en elle une très prompte, exacte et parfaite soumission à Dieu et à l’Église et à toutes sortes de personnes, autant qu’il lui est possible dans la privation qu’elle porte de sa liberté et de tout ce qui est en elle.

Notre Seigneur lui fait faire quelquefois plusieurs petites choses qui semblent de peu de conséquence et sans beaucoup de fondement, ce qui l’obligea une fois de lui demander pourquoi il en était ainsi : « C’est, lui dit-Il, pour vous exercer à l’obéissance. Toutes ces menues choses faites par obéissance me sont très agréables. »

Un jour de Pâques, étant dans l’église cathédrale, au matin lorsqu’on faisait la procession avec le Saint Sacrement, il lui vint une pensée, si elle devait demeurer dans un certain endroit, là où devait passer le Saint Sacrement et chanter le Regina Cœli, ou si elle devait suivre la procession derrière le Maître autel. Sur quoi la Sainte Vierge lui dit : « Si vous demeurez là, vous aurez de la dévotion, mais si vous suivez la procession vous obéirez à l’Église et l’obéissance est meilleure que la dévotion. » [415]

Une fois, comme la sœur Marie demandait à Notre Seigneur qu’Il lui permît d’aller prier en plusieurs églises, ainsi que faisaient plusieurs autres, Il lui dit qu’elle demeurât là où elle était, puis Il ajouta : « Si vous demandiez à un pauvre mendiant combien il trouve par jour dans la quête qu’il fait en divers endroits et vous ayant répondu qu’il trouve quelquefois dix, quelquefois vingt, quelquefois trente sols, vous lui diriez : “Tenez, voilà une pistole que je vous donne et demeurez en ce lieu-là sans en partir” ; n’est-il pas vrai que cette pistole vaudrait mieux que tous les doubles et deniers qu’il pourrait trouver en divers endroits ? Ainsi un acte d’obéissance est une prière d’or qui vaut mieux que quantité de prières et autres bonnes actions faites par la propre volonté, quoiqu’on les fasse avec dévotion et bonne intention. »

Un autre jour, comme elle parlait à Notre Seigneur de quelqu’un qui priait Dieu avec grande dévotion, qui communiait souvent et faisait plusieurs bonnes œuvres avec bonne intention, mais sans obéissance [415v] et par sa propre volonté, Il le lui fit voir comme ayant un visage d’ange, c’est-à-dire fort beau, et tout le reste du corps, tortu et bossu et contrefait et fort désagréable, et Il lui dit que ce visage d’ange était sa bonne intention et qu’il était ainsi mal fait au reste du corps à cause de sa propre volonté.

Une autre fois, le Fils de Dieu lui voulant faire connaître, et par elle à beaucoup d’autres, combien l’obéissance est une chose excellente, Il lui donna cette comparaison : « Représentez-vous un roi qui a plusieurs favoris qu’il veut gratifier. Pour cet effet il les envoie à son cabinet où il y a quantité de belles pièces d’or. Mais parmi les véritables, il y en a qui ne sont que dorées et non de vrai or, et leur dit à tous : “Choisissez et prenez de mes pièces d’or tant que vous voudrez.” Ils entrent dans le cabinet du roi, mais les plus avisés mènent un orfèvre avec eux par l’entremise duquel ils font un bon choix des pièces de vrai or. Ceux qui y vont sans orfèvre s’y trompent et ne prennent que des pièces dorées, car d’ordinaire celles-ci éclatent plus que les autres. »

Voici l’explication de cette figure : [416] les pièces d’or, c’est la vraie perfection qui consiste à suivre la volonté de Dieu. Les pièces dorées sont les voies de l’amour-propre et de la propre volonté. L’orfèvre c’est le supérieur ou directeur. Quand on se conduit par leurs conseils, on suit infailliblement la divine Volonté et ainsi on choisit les pièces d’or et on s’enrichit en peu temps. Mais ceux qui se conduisent par leur amour-propre et leur propre volonté ne prennent que des pièces dorées et demeurent toujours pauvres.

Section 1. Exemples de l’obéissance.

La sœur Marie étant un jour dans un monastère de religieuses et parlant à la supérieure et à deux autres religieuses, après les avoir entretenues sur l’obéissance et dit que la moindre action faite par obéissance valait mieux presque infiniment que les plus grandes actions faites sans obéissance, comme on vint à sonner Vêpres et que cependant on la voulait faire continuer, Notre Seigneur lui défendit de parler davantage et l’empêcha jusqu’à ce que les Vêpres fussent dites.

Elle a connu un jeune homme fort débauché et qui [416v] est mort à la guerre dans un combat naval, duquel néanmoins Notre Seigneur lui a dit qu’Il lui a donné un acte de contrition avant que de mourir et qu’Il l’a sauvé à cause du respect et de l’obéissance qu’il rendait à sa mère.

Chapitre 5. Du silence, de la patience, des austérités et de la pauvreté.

L’an 1646, le 26 mai, Notre Seigneur dit à la sœur Marie qu’il y a trois sortes de silences. Le premier, de ceux qui s’abstiennent de parler de bouche, mais qui font un grand bruit à l’intérieur. Ce sont ceux dont les passions se révoltent contre la raison et dont les sens tant intérieurs qu’extérieurs se joignent à l’amour-propre et à la propre excellence et vont à la picorée552 comme une bande de soldats, pour rechercher la renommée et l’opinion de sainteté en cette vie, et en l’autre les couronnes et la gloire, comme aussi ceux qui désirent que Dieu fasse leur volonté plutôt que la Sienne. Ce silence ne conduit point à la perfection. Le second est quand l’âme fait de son cœur un [417] ermitage, et n’y laisse entrer que Notre Seigneur et Notre Dame et toutes choses saintes. Elle commande à ses deux passions de garder la porte : à l’irascible, qu’elle n’y laisse entrer aucun péché, à la concupiscence, qu’elle ne laisse dans la maison que l’amour de Dieu et du prochain. Elle commande à ses sens de garder le silence en prenant de la main de Dieu ce qu’il Lui plaira d’envoyer sans murmurer. Elle commande aussi à tous ses désirs de garder le silence, ne désirant rien que l’accomplissement de sa divine volonté en toutes choses. Elle occupe sa mémoire pour se souvenir des dons que Dieu a faits à la nature humaine et à elle particulièrement pour l’en remercier. Elle occupe son entendement à considérer les grandeurs de la divinité et à l’adorer continuellement, et sa volonté à l’aimer et à s’anéantir, afin de s’approcher plus près de Dieu. Le silence tend à une haute perfection. Ceux qui ne sont pas obligés au premier par leur profession, les paroles vocales proférées par la raison et par charité ne les privent point de jouir des fruits du second qui est celui-ci. [417v] Le troisième est pour ceux que l’Amour divin a tellement anéanti en eux-mêmes qu’il n’y est demeuré que Dieu seul vivant et régnant.

« Il y a trois sortes de patiences, dit un jour Notre Seigneur à la sœur Marie, pour souffrir trois sortes de maux. La première est la patience qui est nécessaire pour supporter les misères et incommodités humaines, telles qu’étaient celles où vous étiez avant les sortilèges et étant encore aux champs. La seconde est la patience des martyrs qui est accompagnée d’un amour enivrant et de douceurs et de consolations très grandes, et c’est celles que je vous ai données pendant le temps de sortilèges. Et en effet en ce temps-là, elle souffrait des tourments si grands que tous ceux qui la voyaient avaient pitié d’elle et priaient Dieu qu’Il la soulageât : mais elle sentait des consolations si excessives et des désirs si ardents de souffrir qu’elle priait Dieu qu’Il exauçât les prières de ceux qui demandaient pour elle du soulagement, entendant par ce soulagement un redoublement des peines : car plus elles redoublaient, plus elle avait de consolation et même elle voyait Notre Seigneur comme un petit enfant en une forme très belle et très [418] agréable un peu éloignée d’elle ; mais à mesure que ses souffrances augmentaient, il s’approchait plus près d’elle. C’est pourquoi elle désirait qu’elles redoublassent sans cesse, afin d’être plus proche de Lui. La troisième patience que je vous ai donnée, dit le Fils de Dieu, c’est la patience divine que moi et ma sainte Mère avons eue en notre Passion, ayant souffert sans aucune consolation, et je vous l’ai donnée pour souffrir les tourments de l’enfer et de ma Passion dans le mal de douze ans que vous avez porté sans aucune consolation. Je vous ai donné ma Passion et ma Patience. »

La sœur Marie admirant un jour ceux qui font de grandes austérités, Notre Seigneur lui dit : « Ceux qui les font sans charité ressemblent aux étiques qui mangent beaucoup et de bonnes viandes, mais qui manquent de chaleur naturelle sans laquelle tout cela se tourne en corruption. »

Chapitre 6. De l’abstinence de la sœur Marie et comme elle porte au boire et au manger la pénitence du plaisir déréglé que les autres y prennent. De la virginité, de la chasteté, et que Notre Seigneur conseille toujours le plus facile.

[418v] La sœur Marie a été longtemps comme il a été dit, qu’elle ne mangeait que du pain et du beurre dans ses repas, selon l’ordre qui lui en était prescrit de Dieu. En ce temps-là, elle vit un jour sainte Marthe à qui elle dit : « Que ferons-nous à ceci : le beurre me revient à toute heure à l’esprit et dans l’église et partout en mes prières ?

« Quand Notre Seigneur, dit sainte Marthe, souffrait à sa Passion, il n’avait point de beurre, c’est-à-dire de consolation. Il portait ses plaies toutes saignantes. Si vous portiez ainsi les vôtres en vous privant de beurre, vous lui seriez plus conforme et plus agréable. » Ayant ouï cela, elle quitta le beurre entièrement, ensuite de quoi elle s’évanouissait plusieurs fois par jour d’envie qu’elle avait d’en manger.

Depuis cette privation qui fut depuis Notre Dame des Anges jusqu’au jour de sainte Ursule, Notre Seigneur lui fit voir plusieurs belles choses, entre autres, elle le vit un jour tout couvert de plaies qui étaient toutes saignantes, dont elle eut grande compassion et [419] Il lui dit : « Je n’avais point d’onguent pour oindre mes plaies, mais vous m’avez donné du beurre pour les adoucir. » Elle sut par après que les plaies étaient les péchés dont elle s’était chargée et que la peine qu’elle souffrait pour la privation du beurre aidait à en faire la pénitence qu’elle en devait porter pour en obtenir la rémission.

Une fois pendant ce temps-là le Père éternel lui fit voir une table toute couverte de toutes sortes de mets : « Prenez, ma fille, prenez de ces choses et en usez ; car outre la bénédiction ordinaire que je donne à toutes ces choses, Je leur en ai donné une extraordinaire pour votre considération : usez-en donc. »

Mais se voyant en esprit extrêmement élevée au-dessus de tout cela, elle disait en soi-même : « Irai-je me ravaler si bas pour faire le gré de mes sens en mangeant de ces choses ! Je n’en ferai rien. Que mes sens meurent, qu’ils se désespèrent, qu’ils fassent ce qu’ils voudront, je n’en mangerai point. » Elle disait cela sachant bien pour lors que la divine Volonté avait plus agréable qu’elle s’abstînt de ces viandes. [419v]

Mais quelque temps après le jour de sainte Ursule, il se donna un arrêt dans le ciel contre elle, portant que puisqu’elle avait méprisé ces choses et qu’elle les avait mises comme sous ses pieds, elle serait mise au-dessous d’elles et leur seraient assujettie en sorte qu’elle ne pourrait plus s’en défendre ni s’empêcher d’en prendre et d’en manger, mais avec la peine qui est décrite ailleurs où il est parlé de la poire d’angoisse. Elle pria avec grande instance sainte Ursule et toutes les saintes vierges que cet arrêt fût révoqué, mais elles n’y purent rien faire, de sorte que depuis ce temps-là elle a mangé de tout comme les autres. Mais au lieu de la satisfaction que les autres y prennent, il n’y a pour elle que de l’affliction et ainsi elle porte en ceci la pénitence du plaisir que les autres y prennent.

M. Potier ayant un jour invité quelqu’un de ses amis à dîner chez lui et lui parlant de leur façon d’agir et de la pauvreté de leur ordinaire, la sœur Marie dit « qu’ils avaient toujours trois dames à leur table, quand ils prenaient leur repas, à savoir : la pauvreté, qui tenait le haut bout, la simplicité et la netteté ». [420]

« Les Vierges, disait une fois Notre Seigneur à la sœur Marie, sont incomparablement plus précieuses et plus agréables à Dieu que les mariés, comme aussi tous ceux qui vivent en continence. Il est bien plus facile de conserver la chasteté entièrement que d’user du mariage comme il faut, car je conseille toujours le plus facile et ce qui est opposé à mes conseils est le plus difficile. »

L’an 1646, le 15 février, le Fils de Dieu lui fit voir durant la grand-messe l’état de ceux qui se privent des plaisirs licites et de ceux qui se vautrent dans les illicites, sous cette figure : « Si vous jetiez, lui dit-Il, dans un grand chemin des pièces d’or et des pommes pourries, les hommes prendraient les pièces d’or et les pourceaux les pommes pourries et s’en engraisseraient. La chasteté, le jeûne, l’abstinence, la sobriété sont les pièces d’or. Les hommes raisonnables méprisent les pommes pourries qui sont les plaisirs illicites et prennent les pièces d’or avec lesquelles ils achètent la grâce et les vertus qui les conduisent à la vie éternelle. Mais les pourceaux, c’est-à-dire les hommes voluptueux et brutaux [420v] s’engraissent de pommes pourries, se gorgeant de plaisirs infâmes du monde et se chargeant de la graisse des ordures du péché qui les fait descendre en enfer avec les démons qui en sont les pourceaux. »

Chapitre 7. De la vérité, simplicité et fidélité dans les promesses.

Toutes les vertus se trouvent dans un haut degré dans cette âme, mais surtout on y voit reluire une simplicité si colombine, une naïveté si candide et sincère, une fidélité si exacte en ses promesses et un amour de la vérité si grand et si visible que ceux qui lui ont été plus contraires ont été forcés d’aimer et d’admirer en elle toutes ces vertus. « J’aime la vérité si cordialement, disait-elle, que s’il était possible, je mourrais de bon cœur pour elle et à toutes les heures du jour. »

Un jour, un de ses amis ayant à lui parler d’une affaire importante et usant de quelque préambule et circonlocutions, elle lui dit : « Ôtez-moi toutes [421] ces façons de parler : il faut parler rondement, sûrement et avec une grande simplicité quand on a quelque chose à dire, spécialement entre amis. La vérité est la reine qui doit véritablement prononcer tout ce que l’on doit dire et il faut qu’elle soit accompagnée de l’humilité, de la simplicité, de la sincérité et de la charité. »

Dans une autre occasion, un de ses amis étant tombé dans quelques manquements contre la vérité et fidélité en ses promesses et contre la prudence en ce qu’il avait été trop prompt à croire et embrasser quelque chose qui avait apparence de bien, la Sainte Vierge commanda à la sœur Marie de lui dire ce qui suit : « Notre Dame, lui dit-elle, vous mande qu’elle a permis que vous soyez tombé en ces manquements afin que vous en tiriez trois fruits : le premier, la connaissance de vous-même qui est la mère de l’humilité, car vous devez savoir que si elle ne vous gardait, vous tomberiez dans d’autres fautes bien plus considérables que celle-là. Le deuxième, la prudence, que vous devez avoir à bien discerner et choisir le bien d’avec le mal et n’être point si prompt à approuver ou condamner, à embrasser ou rejeter tout ce qui [421v] d’abord a apparence de bien ou de mal. Le troisième est la fidélité et sincérité que vous devez garder en vos promesses, à l’imitation de Notre Seigneur qui s’appelle Fidelis et verax. Il ne faut pas être facile et léger à promettre. Quand on a promis, il faut garder ses promesses et s’il arrive quelque chose qui y mette empêchement, il faut s’excuser.

« Notre Dame a dit que ces avertissements sont trois poids qu’elle met dans le bassin de votre balance afin de le faire baisser plus bas afin que Dieu soit davantage exalté en vous. Elle a ajouté qu’entre vos poids, celui de la vérité était le plus léger parce que vous promettez trop facilement plusieurs choses au prochain que vous n’accomplissez pas ; que celui de la prudence, après celui de la vérité, est le moins fort parce que vous êtes trop prompt à croire et accepter ce qui vous paraît bon ; que celui de la connaissance de vous-même était le plus pesant, parce que vous êtes plus étudié à connaître ce que vous êtes et que plus vous vous exercerez en ces choses, plus vous appesantirez ces poids qui feront davantage baisser votre balance, au moyen de quoi vous rendrez plus de gloire [422] à Dieu, parce que plus nous nous abaissons, plus Dieu est glorifié en nous, et qu’ainsi vous tirerez un grand fruit de vos défauts. Elle dit encore que c’est en cette manière que toutes choses coopèrent au bien des élus, même leurs défauts. »

Section 1. Elle prie pour la connaissance de la vérité : la fidélité de l’âme au regard de Dieu.

Un jour elle pria le Fils de Dieu de lui permettre de faire quelque vœu pour obtenir la connaissance de la vérité et Il lui ordonna de dire tous les matins jusqu’à ce qu’Il la fît cesser, dix fois le Gloria Patri et Filio, après avoir dit une fois Laudate Dominum omnes gentes553 à genoux et appuyée sur la croix c’est-à-dire sur son lit que Notre Seigneur a nommé ainsi à cause des grands tourments qu’elle y a soufferts. Notre Dame pour ce même sujet fit son vœu et lui ordonna de dire une fois par jour devant l’autel Notre Dame du Puits sa grande Litanie. L’intention de la sœur Marie était de connaître sensiblement la vérité des choses qui se passent en elle ; mais Notre Seigneur lui dit que toutes ces prières qu’on lui avait ordonné de dire étaient pour obtenir de Dieu [422v] que tous les hommes connaissent la vérité éternelle pour l’aimer et honorer, et qu’ils connaissent le péché pour le haïr et détester.

Un jour de l’Assomption de Notre Dame, elle lui ordonna de dire tout le long d’une procession qui se faisait, ces paroles : Hortus conclusus, fons signatus554 et ensuite elle les lui interpréta en cette manière : « Une âme qui est fidèle à Dieu est comme un jardin fermé rempli de toutes sortes de belles fleurs et de bons fruits. Mon Fils prend plaisir d’y faire sa demeure, la comblant et l’enrichissant de toutes sortes de biens. La clôture est une forte résolution de ne faire jamais rien qui déplaise à Dieu. Le parterre, c’est le cœur, les fleurs, [ce sont] les vertus, les fruits les bonnes œuvres. La fontaine scellée [ce] sont les larmes qu’il faut répandre en cette vie ; le sceau c’est l’amour et la charité qui empêche qu’on ne répande des larmes que par langueur pour l’amour de Dieu et afin d’obtenir par charité le salut du prochain. »

Chapitre 8. Belle instruction sur toutes les vertus.

L’an 1646, le 19 novembre, Notre Seigneur parla à la sœur Marie en cette façon : « Il est nécessaire à toute âme qui désire que [423] Je demeure en elle d’avoir ces vertus suivantes : premièrement, une vraie humilité qui est une belle chambre où je fais ma demeure. Deuxièmement, une vraie connaissance d’elle-même qui est une belle fenêtre par laquelle entre le soleil de sapience pour éclairer la chambre. Troisièmement, une vraie obéissance qui est une belle couche bien ornée dans laquelle je prends mon repos. Quatrièmement, une vraie patience qui est une belle chemise de laquelle je couvre mon humanité. Cinquièmement, une vraie charité qui est un bel habit dont je suis revêtu. Sixièmement une vraie foi et une vraie espérance qui sont le pain et le vin dont je me repaîs. Septièmement, la haine de soi-même qui est une douce musique en laquelle je prends ma récréation. » Et après cela Il dit avec une grande admiration : « Oh ! Oh ! Oh ! Que l’âme est heureuse qui possède le vrai amour de Dieu. Elle me pose la couronne sur la tête et me fait régner en elle. » Ensuite Il ajouta : « Il y a autant de différence entre les âmes vertueuses comme il y a entre les maisons, depuis la plus petite saline555 jusqu’au palais des rois, et les âmes qui n’ont aucune vertu sont comme de vieilles masures [en] ruines où il n’habite que des hiboux et des ordes bêtes. » [423v]

Chapitre 9. De la perfection. En quoi elle consiste. Son abrégé.

Notre Seigneur dit un jour à la sœur Marie que dans le chemin de la perfection, il y a un grand nombre de degrés à monter pour y arriver : qu’elle consiste à se dépouiller de soi-même et entrer en son néant, que le néant est la maison des parfaits, qu’appeler quelqu’un à la perfection, c’est lui aider à se dépouiller et à s’anéantir et qu’il y a peu de gens qui y arrivent, parce que la plus grande partie meurt en chemin.

L’an 1645, le 14 janvier, Notre Seigneur lui dit : « J’ai un anneau aux doigts qui me blesse, je le jetterai au feu. » Il lui dit que cela s’entendait de tous les ordres religieux de l’un et l’autre sexe qui doivent être purifiés dans le feu de la tribulation. Ensuite il dit d’une voix fort élevée : « Ô ma Couronne ! Les pierres précieuses s’en désunissent et s’en détachent ! » Puis il ajouta que Sa couronne était Sa divinité et que les pierres précieuses sont certaines âmes choisies qui s’unissent à Lui par une droite intention : premièrement, de ne regarder que Dieu seul en toutes leurs actions. Deuxièmement, de n’aimer que Dieu seul. Troisièmement, de ne désirer que Lui seul. Et qui dans cette union se cimentent lorsque se regardant elles-mêmes : premièrement elles se haïssent ; deuxièmement elles se dépouillent ; troisièmement elles s’anéantissent. Et dans ces six choses [424] premièrement ne regarder, deuxièmement n’aimer, troisièmement ne désirer que Dieu, quatrièmement se haïr, cinquièmement se dépouiller, sixièmement s’anéantir, consiste l’abrégé de la perfection par laquelle les âmes se transforment en Dieu et se déifient. Or les susdites pierres précieuses se désunissent et se détachent de ladite couronne lorsqu’elles aiment quelque chose avec Dieu. Ceux qui sont appelés à cette perfection doivent garder dans leur mémoire et étudier le livre qui contient ces six choses jusqu’à ce qu’ils l’aient mangé et converti en leur substance. « Oh ! Qu’il y a bien de la différence, disait Notre Seigneur, avec une grande exagération, d’être revêtu de poussière et de vers ou d’être revêtu du fin or de la Divinité. »

Section 1. Le plus court chemin de la perfection. La grande différence qu’il y a entre ceux qui marchent par ce chemin.

En la même année 1645, le 29 janvier, Notre Seigneur lui dit encore : « Je vous donnerai une chose très bonne aujourd’hui, mais qui n’est nullement belle au voir. » Il dit que c’était une médecine pour guérir l’âme de ses imperfections et un poison pour les faire mourir. « Oh ! Le divin poison ! Les imperfections sont comme une fièvre [424v] lente qui rend l’âme débile et languissante, et qui l’empêche de travailler fortement à la perfection. J’ai donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée de trois ingrédients : donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie humaine et recevoir Sa vie divine laquelle on reçoit à mesure qu’on lui donne la sienne. À mesure que l’homme meurt à soi-même, c’est-à-dire à son esprit, à sa volonté, à ses passions et à ses sentiments, il vit de Mon esprit, de Ma volonté, de Mes passions, de Mes sentiments. Et quand il est tout à fait mort à soi-même et à la vie humaine, il ne vit plus que de Dieu et il n’y a plus rien en lui que de divin, et quand cela est, il se présente à Dieu ayant en soi Ma vie et tous Mes mérites, et lui demander hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer. Voilà le plus court chemin de la perfection. »

La sœur Marie disait aussi que pour arriver à cette mort la voie la plus courte était les souffrances et que plus l’état souffrant est humiliant et anéantissant, plus on croit être éloigné de Dieu, on en est plus proche. Elle disait qu’en cet état la Foi, l’Espérance et la Charité y paraissent comme mortes ; les ténèbres, les craintes, les incertitudes y sont fort fréquentes et quasi [425] continuelles, les défauts mêmes naturels s’y montrent. Dieu passe dans le pur fond de l’esprit et laisse tout le reste en quelque manière à l’abandon et comme à soi-même, et fait Son ouvrage sans que l’âme le sache.

Dans le chemin de la perfection, dit la sœur Marie, il y a autant de différence entre ceux qui cheminent, comme il y a entre ceux qui ont la qualité de nobles, car comme il y a des gentilshommes fort pauvres et d’autres fort riches, ainsi y en a-t-il dans le chemin de la perfection qui ont peu de richesses spirituelles et il y en a qui en ont beaucoup. Mais il y a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur vie, ils vivent de la vie de Dieu et quand ils sont tout à fait morts à eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois.

Section 2. La meilleure manière de faire ses actions avec perfection. Trois choses dont il se faut garder dans le chemin de la perfection.

[425v] « Faire ses actions ou porter ses afflictions en l’honneur et union de celles de Notre Seigneur, c’est une bonne chose dit la sœur Marie, mais il peut y avoir encore de l’amour-propre parce que offrir ses actions à Dieu en l’union de celle de Notre Seigneur Jésus-Christ c’est en retenir la propriété et ne s’en dépouiller pas entièrement. Mais offrir ce que l’on fait ou ce que l’on souffre en Action de grâces de ce qu’Il a fait ou souffert, c’est le meilleur, car c’est se dépouiller de ses actions et de ses souffrances : c’est donner tout à Dieu sans se réserver aucune chose. Il y a autant de différence entre cette première et cette deuxième manière d’agir comme entre celui qui donne une pistole à son ami et le prierait de la mettre en son trésor avec les siennes pour la lui garder et celui qui dirait : je vous donne cette pistole en Action de grâce d’un tel bienfait que j’ai reçu de vous. »

« Ceux qui marchent dans le chemin de la perfection, disait Notre Seigneur à la sœur Marie, se doivent garder de trois choses : la première, de l’amour-propre. La deuxième, de la propre excellence. La troisième, de Dieu même [426] lequel après que l’âme a vaincu l’amour-propre, la propre excellence et le diable, Il la tente pour l’éprouver et pour lui donner occasion d’exercer son amour envers Lui et croître en grâce. Car pendant qu’elle est en cette vie, il ne faut pas qu’elle demeure sans épreuve et sans exercice. » C’est pourquoi Dieu lui propose, de plusieurs chemins, le plus facile pour l’exercer. Il lui présente des choses avantageuses et agréables qu’Il ne veut pourtant pas qu’elle accepte, mais intérieurement Il lui fait voir Sa volonté ou d’autres choses moins agréables et plus difficiles et l’excite à les suivre et l’embrase d’un amour si véhément que sortant hors d’elle-même, elle méprise la proposition qui lui est faite et redoublant ses pas, marche plus vite à la perfection comme c’est l’intention de Notre Seigneur qui lui est clairement connue, car elle est défaite de l’amour-propre qui l’aveuglait comme quand la sœur Marie vit un jour d’un côté le Père éternel tenant en sa main une coupe pleine de feu et de soufre, d’autre part Notre Seigneur tout environné de délices et de consolations, l’invitant de venir vers Lui pour jouir [426v] de ces consolations. Mais au même temps Il lui fit connaître que la divine Volonté était qu’elle prît cette coupe, etc., ce qu’elle fît comme il est rapporté ailleurs.

Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification.

Notre Seigneur a fait connaître à la sœur Marie qu’il y a quatre degrés d’union de l’âme chrétienne avec Dieu. Le premier s’appelle communion, le second union, le troisième transformation, le quatrième déification.

Le premier est de ceux qui sont tantôt en grâce, tantôt en péché. Ce sont des serviteurs qui vont et viennent, c’est-à-dire qui quittent leur maître après l’avoir servi un temps. Puis étant revenus, ils s’en retournent derechef et demeurent toujours ainsi dans cette inconstance. Cela s’appelle non pas union, mais comme union, quasi-union.

Le deuxième qui s’appelle union est de ceux qui sont en grâce et qui ne retournent point au péché ; figurés par des serviteurs qui se donnent à leur maître pour toujours, mais pour le servir en des ministres communs et ordinaires.

Le troisième qui se nomme transformation est pour les plus avancés, c’est pour les domestiques du roi qui approchent [427] sa personne de plus près et qui participent à la dignité royale représentée par l’eau mêlée avec le vin, laquelle participe beaucoup aux qualités du vin, mais qui n’est pas encore changée entièrement en vin, elle ne s’en peut plus séparer.

Le quatrième qui s’appelle déification, est pour les âmes parfaites. Elle est représentée par le changement entier de l’eau en vin. C’est le lit qui n’en peut plus tenir qu’un ; ce sont les épouses du roi qui entre dans sa couche royale et qui ne sont qu’un avec lui ; Qui adhaeret Deo unus spiritus est556. Dans la transformation l’âme n’est pas encore détruite, elle s’y trouve encore. Dans la déification tout est anéanti ; il n’y a plus que Dieu.

Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.

L’an 1647, la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle : « Audience, audience, ô grande mer d’amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.

La sœur Marie demanda : « Qu’elle est cette voix ?

– C’est la voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée [427v] à la perfection, laquelle est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est revêtue et embrasée d’amour et de charité, et qui crie par les grands désirs qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée : mais Je la laisse dans ce divin feu, afin de la purifier encore davantage. » La goutte de rosée montre combien l’âme, pour sainte et parfaite qu’elle puisse être, est petite au regard de la mer immense de la Divinité et ce que Dieu la laisse encore dans ce feu nonobstant la grande pureté qu’elle a déjà, qui est signifiée par la rosée, donne à entendre combien il faut que l’âme soit pure pour être entièrement transformée en Dieu et purifiée.

Chapitre 11. De son esprit prophétique. Elle connaît l’état différent des âmes. Elle les voit aussi après leur mort.

L’esprit ….557 Les connaissances qu’elle avait des pensées secrètes des hommes, des événements à venir, qui dépendaient de la seule volonté des hommes, etc., étaient en si grand nombre qu’il faudrait un volume entier pour les écrire toutes. …. [428]

Lorsqu’elle priait pour les vivants, elle connaissait leurs humeurs et leurs inclinations, les diverses grâces que Dieu leur faisait, les différents degrés de foi, d’espérance, de charité, et ce, d’une manière très claire.

Elle a été un temps que Notre Seigneur lui faisait voir l’état de tous ceux qui mouraient en la ville, quoiqu’elle ne voulut point y penser, ni le savoir, et elle assure qu’il y en avait beaucoup plus de perdus que de sauvés, et que quelquefois de neuf ou dix, elle n’en voyait qu’un ou deux qui mourussent en état de grâce. Que s’ils étaient morts en la grâce, pendant qu’ils étaient en l’église, elle voyait comme toutes les créatures se réjouissaient, louaient Dieu et le bénissaient : le son des cloches, les chandelles, les images de l’église, le chant des prêtres et toutes les cloches, faisaient paraître une joie incroyable et donnaient mille et mille louanges à Dieu et mille bénédictions aux âmes et aux corps de ceux qui étaient décédés. Mais quand le corps d’un damné était dans l’église, c’était une chose effroyable, disait-elle, de voir ce qui s’y passait. Les chandelles qui étaient autour semblaient autant de foudres qui le voulaient réduire [428v] en cendre. Les images des saints montraient un visage tout enflammé de courroux : le pavé même et les pierres de l’église le voulaient lapider et écraser : le son des cloches et toutes les autres créatures criaient vengeance contre lui. « Vous eussiez dit, voyant le crucifix, qu’il s’allait détacher de la croix pour le foudroyer, et toutes les paroles de l’église étaient autant de malédictions qu’elle fulminait contre lui ! Car l’Église de Jésus-Christ n’ayant point d’autre sentiment que son époux, elle aime tout ce qu’Il aime et hait tout ce qu’Il hait et donne malédiction à tout ce qui est maudit de Lui. » C’est pourquoi quand elle savait que c’était le corps d’un damné qui était dans l’église, elle n’y allait point si elle n’y était contrainte, à cause des choses effroyables qui s’y passaient.

Section 1. Elle discerne l’esprit de vérité dans les âmes d’avec l’esprit d’illusion.

Un jour....

J’ai une connaissance certaine d’un grand nombre de personnes tant hommes que femmes qui passaient pour [429] des saints et des saintes parmi les esprits les plus élevés, desquels la sœur Marie a découvert les illusions et les tromperies tant actives que passives, sitôt qu’on lui en a parlé. Ensuite on a toujours connu que c’était la vérité qui avait parlé par sa bouche et de cela j’en pourrais apporter plus de vingt exemples dont je suis très assuré. Etc.

Section 2. Elle voit la perdition d’une fille mondaine, le salut d’une autre, l’état d’un grand après sa mort.

Elle.... etc.

Section 3. Dieu fait miséricorde à une fille qui s’était noyée, Il suspend le jugement d’un jeune homme qui s’était pendu. Elle voit l’état effroyable du plus méchant homme du monde.

L’an 1647....

L’an 1646.... [430]

Section 4. Elle connaît les pensées les plus secrètes de l’esprit.

Quelqu’un, que je connais particulièrement, ayant dessein de prier la sœur Marie de lui obtenir de son Fils les lumières nécessaires pour se conduire selon Son esprit en certaines affaires qui étaient très importantes à la gloire de Dieu et n’ayant dit la pensée à personne ni même à la sœur Marie, fut bien étonné lorsqu’elle le lui dit et qu’il y pensait le moins. « Notre Dame m’a commandé de vous dire ce que vous avez à faire en telle et telle occasion. Elle vous mande que vous fassiez comme cela », lui disant fort au long comme il devait se comporter, dont il demeura rempli d’admiration et de consolation tout ensemble.

Le même étant en doute de ce qu’il devait faire en une autre occasion et étant allé voir la sœur Marie pour lui proposer la difficulté et qu’elle priât la très Sainte Vierge qu’elle obtînt de son Fils la grâce de connaître et de suivre en cela la très sainte Volonté de Dieu, sitôt qu’elle le vit, auparavant qu’il eût ouvert la bouche pour lui parler et qu’il eût découvert sa pensée à personne, elle lui dit que la Mère de Dieu lui avait ordonné de lui dire telle et telle chose, qui était justement la réponse à son doute.

Sur ce même sujet, voici une chose qui est arrivée à [430] M. Le Pileur pour lors grand vicaire de Monseigneur de Coutances, qu’il a écrite lui-même de sa main en ces termes : « L’an 1645, le jour saint Mathias, étant aux religieuses bénédictines de Valognes et célébrant la sainte messe, je demandai à Notre Seigneur instamment qu’il lui plût, dans le moment que je lui présentais ma requête, de commander à la sœur Marie de lui faire quelque prière pour obtenir de lui deux choses, dont l’une me regardait en particulier pour extirper quelque défaut notable de mon âme ; l’autre était que deux personnes et moi tirassions quelque édification de la lecture ou conférence de la lecture que nous devions faire après-midi, de ce que j’avais écrit touchant les choses qui se passent en elle. Il est à remarquer que pour cacher au malin esprit la prière que je faisais à Notre Seigneur, je tâchais de la faire le plus secrètement qu’il me fut possible, la faisant dans la pointe de mon esprit et ne voulant pas même qu’elle fût connue de mon bon ange, mais de Dieu seul. Étant de retour à Coutances, je demandai à la sœur Marie si Notre Seigneur lui avait point inspiré de faire quelque prière pour moi pendant mon absence qui fut de sept jours. Et elle me dit que le jour saint Mathias, environ sur les huit heures du [430v] matin, Il lui commanda de dire un Rosaire selon mon intention et d’y ajouter trois petites couronnes, et que jamais on ne lui avait commandé choses pareilles. Et quand Il lui fit ce commandement, Il lui dit que cette prière était pour moi et que je la demandais, et Il ajouta qu’Il donnerait du vin à ceux avec qui je conférerais et à moi. Je remarquai que ce commandement lui fut fait à l’heure même que je lui fis ma prière à l’autel. Le Rosaire était pour l’extirpation de ce défaut dont je demandais la victoire. Les trois couronnes étaient pour les trois personnes qui devaient conférer, dont j’en étais l’une, et le vin s’entendait de la grande consolation que nous reçûmes en cette conférence, laquelle dura près de cinq heures, et dont l’issue fut telle qu’un savant homme qui y était et qui était fort tardif à croire aux révélations, dit plus de trois fois qu’il était tout stupéfié des choses grandes et merveilleuses qui y furent dites de la sœur Marie. »

Section 5. Elle prédit les choses à venir.

Depuis que....

Je suis témoin d’un grand don de prédictions qu’elle a faites en divers sujets et touchant plusieurs sortes de personnes, ayant prédit la guérison des uns, la mort des autres quoiqu’ils se portassent bien, la conversion de quelques-uns et la malheureuse fin des autres et une grande quantité d’autres choses qui sont toutes arrivées, ainsi qu’elle l’avait dit, qui seront écrites plus en détail quand il sera temps.

Chapitre 12. De plusieurs choses miraculeuses que la divine Puissance a opérées par la sœur Marie. Notre Seigneur la vient voir avec sa couronne d’épines.

M. de Juganville ….

L’an 1646, la sœur Marie étant venue à la mission que M. de Renty faisait faire au Bény558....

M. de Than, prêtre missionnaire…

Le révérend père Jean de Cherbourg, capucin, étant sur la mer pour passer en Angleterre et se voyant en grand péril de faire naufrage à cause d’une grande [431v] et furieuse tempête qui s’éveilla, il prit un rosaire que la sœur Marie lui avait donné, le mit dans les flots de la mer, et à même temps la tempête cessa. Son compagnon tout étonné lui demanda ce que c’était que ce rosaire et d’où il était venu, et lui ayant dit la personne qui le lui avait donné, il désira de la voir et vint à Coutances et lui raconta ce qui s’était passé, que j’ai aussi appris du même père Jean de Cherbourg.

Continuation du même sujet.

Je puis attester avec une grande vérité qu’ayant été travaillé environ l’espace de deux mois d’une effusion de sang par les hémorroïdes qui m’en faisaient perdre beaucoup tous les jours et qui m’avaient réduit en une telle faiblesse qu’à peine pouvais-je parler et que les médecins qui ne trouvaient plus d’autre remède que d’y appliquer le feu, j’écrivis à la sœur Marie qui me recommanda à la Sainte Vierge laquelle dit : « Je lui rendrai la santé et il se portera aussi bien qu’il faisait auparavant. » Et en effet au même temps je fus guéri parfaitement comme je l’avais été longtemps auparavant en la même manière d’un pulmoné qui me faisait cracher le poumon après un travail extraordinaire que j’avais eu en une Mission, et une autre fois d’une fièvre continue dont je fus guéri tout d’un coup par les prières de la sœur Marie en la Mission de la Ferté-au-Vidame, et si parfaitement que les médecins et tout le monde fut surpris que j’eusse assez de force pour aller de là en Bourgogne sitôt que je fus guéri et faire une partie du chemin en hiver et à pied et travailler près de dix mois tout de suite et sans relâche dans les Missions d’Autun, de Beaune et de Citry, de la Fère-en-Tardenois. [432]

M. le Curé de Marchesieux, homme de vertu et de piété…

Toute sa vie est pleine de miracles.

Tous ces effets merveilleux et plusieurs autres semblables que Dieu a opérés par la sœur Marie sont bien dignes d’être considérés, mais pourtant c’est bien peu de chose et presque rien en comparaison de tant de miracles très signalés dont toute sa vie est remplie. Quelle merveille est-ce d’avoir été prévenue dès sa plus tendre enfance des bénédictions du Ciel d’une manière si extraordinaire et d’avoir été dès lors instruite de la divine Sagesse d’une façon si merveilleuse, conduite de Sa main, protégée de Sa puissance, préservée de tant d’horribles précipices qu’humainement parlant il lui était impossible d’éviter ainsi qu’il a été rapporté au premier livre. Quel miracle de charité de demander que toute la rage et la malignité des sorciers tombe sur elle afin de garantir les autres filles des effets diaboliques de leurs maléfices. [432v] Quel miracle de l’amour divin d’avoir imprimé dans l’esprit de cette fille des désirs si ardents de souffrir pour Dieu et le prochain qu’à peine Dieu même pût lui donner autant de souffrances qu’elle en désire porter ! Quel miracle de la même charité d’avoir demandé avec tant d’instance et de persévérance à souffrir l’Ire de Dieu et tous les supplices de l’Enfer pour préserver son prochain, et quel miracle de force et de patience de les avoir portés en effet et d’avoir subsisté plusieurs années au milieu des embrasements effroyables de l’Ire de Dieu et des feux dévorant de l’abîme infernal et de tous les tourments qui y sont ! Mais surtout quel miracle d’avoir demeuré l’espace de douze ans dans cet autre enfer tout nouveau que l’Amour divin a fait pour elle, qui était tel, qu’elle assure que pour chaque heure de ses douze ans elle aurait souffert de bon cœur autant d’années des peines de l’enfer et que Notre Seigneur lui a dit que s’Il ne l’y avait conservé par un même miracle, elle y aurait été consumée aussi promptement qu’une paille au milieu d’une fournaise ardente. d’où il faut conclure qu’il s’est fait en elle autant de miracles très signalés qu’il y a de moments en ces douze années.

Je ne parle point de ces échanges et de [433] cette permutation admirable de sa volonté en celle de Dieu, qui est la source de toutes les choses merveilleuses qui se sont passées en elle, lesquelles tendent à cette conversion générale qu’on lui a promise tant de fois, qui est le miracle des miracles.

C’est pourquoi l’an 1654, le jour de la Pentecôte, après qu’on lui eut fait dire pendant toute la matinée de très belles prières, l’Amour divin lui dit : « Je vous fais aujourd’hui le don des miracles ! » Ensuite elle souffrit des peines qu’on ne peut exprimer. On lui dit que c’était pour le salut des pauvres pécheurs dont on lui promit la conversion, et on lui fit entendre que cette conversion était le don des miracles et qu’elle était exprimée en ce verset du Psaume XXII de la version de Mr Desportes :

Tu prépares devant mes yeux

Une table en mets abondante

Malgré mes mortels envieux

Marris de ta grâce évidente.

Puis bénin le chef m’engraissant

D’une huile d’odeur souveraine

De breuvage réjouissant

Tu rends ma tasse toute pleine559.

C’est-à-dire, par une bonté et miséricorde infinie, vous me donnez toutes les âmes sans rien réserver.





[433v, page blanche, fin du ms. principal560]

ABRÉGÉ DE LA VIE ET ÉTAT DE MARIE DES VALLÉES561.

Chapitre 1. Des choses principales qui se sont passées en elle depuis sa naissance jusqu’en l’an dix-neuvième de son âge562.

Copie page 1 de l’original. Marie des Vallées est née en basse Normandie en la paroisse de Saint-Sauveur Lendelin, diocèse de Coutances, à deux lieues proches de ladite ville, en l’an 1590 le 15 de février. Son père était un pauvre laboureur, nommé Julien des Vallées ; sa mère s’appelait Jacqueline Germain, de la paroisse de Saint-Pellerin de Cas, proche la ville de Carentan. Elle n’a eu aucune instruction au lieu de sa naissance ni de la part de ses parents, qui n’étaient pas méchants, mais fort ignorants, ni de la part d’aucune autre personne. Car ceux qui devaient travailler au salut des âmes en cette paroisse faisaient profession de les perdre et étaient en réputation de la plus haute malice et impiété qui puisse être : à raison de quoi l’ignorance des choses du salut et les plus horribles vices y régnaient au dernier point. La virginité y était tellement en opprobre et la chasteté si décriée que l’on avait persuadé au simple peuple qu’il y avait des supplices en l’autre monde pour les filles qui ne se mariaient point et qu’il valait mieux pour celles qui n’avaient563 point de parti, [qu’elles] eussent des enfants de quelque façon que ce fût [2564] [plutôt] que de n’en avoir point du tout. Jugez de là quel exemple et quelle instruction pour cette pauvre fille.

Mais Notre Seigneur qui l’avait choisie de toute l’éternité pour faire en elle choses grandes a voulu Lui-même être son maître, son directeur et son protecteur, car 1° il l’a instruite Lui-même d’une façon extraordinaire ; 2° il l’a mise et conduite de bonne heure dans la voie par laquelle il avait dessein de la faire marcher ; 3° il l’a prise en sa protection spéciale comme nous verrons maintenant. Ce sont trois choses à considérer dans le premier état de la vie de la personne dont j’ai ici à parler, c’est-à-dire, depuis sa naissance jusqu’au temps de sa possession qui a été à l’âge de 19 ans. Ce sont trois marques bien visibles de l’élection très particulière que la volonté en a faite.

J’ai dit premièrement que Dieu l’a instruite lui-même et d’une façon merveilleuse, pour ce que dès les premières années de son enfance il a imprimé en son âme toutes les vertus chrétiennes en un haut degré.

1. Il lui a donné dès lors un très grand désir de suivre en tout et par tout sa très adorable volonté, ce qu’elle a toujours accompli très fidèlement, n’ayant aucune connaissance d’y avoir jamais manqué, et lui Dieu lui faisait en ceci une très merveilleuse faveur, car lorsqu’il se présentait quelque occasion où elle était en doute de ce qu’elle avait à faire, elle avait recours à la prière de cette façon : « Mon Dieu, disait-elle, je ne désire autre chose que de faire votre sainte volonté, si telle chose vous est agréable, donnez-moi le moyen et la grâce de la faire ; sinon ôtez-m’en la volonté et y mettez empêchement. » Ensuite de quoi elle se trouvait remplie d’une grande affection pour les choses que Dieu voulait d’elle et avait facilité de les faire. Au contraire elle sentait une forte aversion pour celles qui ne Lui étaient pas agréables, et même elle était quelquefois empêchée extérieurement de les mettre en exécution.

2. Notre Seigneur lui a donné une dévotion très singulière au regard de la bienheureuse Vierge à laquelle elle avait recours en tous ses besoins, mais surtout elle la suppliait de la prendre en sa protection pour ce qui regardait la pureté et pour la préserver de tout ce qui y est contraire. « Je regardais, dit-elle, la divine volonté comme ma règle et la très Sainte Vierge comme ma mère et ma protectrice. »

3. Celui qui est toute charité lui communiqua une charité très sincère et très cordiale vers le prochain, qui la faisait vivre de telle sorte, tant au regard de ceux avec qui elle demeurait qu’au regard de ses voisins, qu’elle ne donnait jamais sujets de plainte à personne ; au contraire, elle gagnait le cœur de tout le monde, car elle prenait un grand soin de n’incommoder et de n’offenser personne ni de fait ni de parole. Lorsqu’elle voyait quelques-uns en discorde, elle n’avait point de repos qu’elle n’eut procuré leur réconciliation, se servant pour cet effet de plusieurs industries que l’esprit de Charité lui inspirait ; enfin elle s’efforçait de faire à un chacun tout le bien qui était en son pouvoir, aussi tous ses voisins l’aimaient tant que lorsqu’elle fut réduite par la possession en état de ne pouvoir plus gagner sa vie, ils se cotisèrent volontairement à la nourrir. [4]

4. Le Roi des Vierges lui grava dans le cœur une si grande affection pour la pureté, que l’erreur publique qui était en ce pays-là parmi le peuple lui ayant fait croire qu’il était nécessaire que toutes les filles fussent mariées, elle pria Notre-Seigneur de lui donner quelqu’un avec qui elle put vivre dans une entière pureté et conserver parfaitement sa virginité ; en suite de quoi lorsqu’il se présentait quelqu’un qui la recherchait en mariage, elle faisait cette prière : « Mon Dieu, si c’est celui que Vous m’avez choisi pour vivre avec lui en la façon que je vous ai demandée, donnez-moi la grâce de l’aimer autant que vous voulez que je l’aime ; sinon, faites que je l’aie en aversion. » Incontinent après elle sentait une grande aversion au regard de celui-là ; et ainsi au regard des autres qui s’offraient pour la rechercher.

5. L’Esprit de Dieu lui imprima dans l’âme une haine indicible contre l’honneur et un amour incroyable de l’abjection et du mépris avec une très basse estime de soi-même. C’est ce qui la faisait pleurer amèrement lorsqu’elle entendait parler de quelque fille qui était tombée en faute : « Hélas, disait-elle, je suis bien assurée que ce malheur m’arrivera, parce que je sais bien que je ne suis pas moins fragile ni moins capable de faillir que les autres. »

6. Celui qui s’appela dans les Écritures fidelis et verax lui donna une forte haine du mensonge et de tout ce qui est contraire à la sincérité, à la simplicité et à la candeur et une puissante inclination pour la vérité en ses paroles et fidélité en ses promesses. Lorsqu’elle avait promis quelque chose à quelque autre petite fille de ses compagnes, elle n’avait point de repos qu’elle n’eut accompli sa promesse. [5]

J’ai dit en second lieu que Dieu l’a fait entrer et conduite de bonne heure dans la voie par laquelle il avait dessein de la faire marcher, qui est une voie de souffrances ; car il a commencé dès son enfance à l’exercer dans la patience. Elle avait onze ou douze ans lorsque son père mourut ; depuis sa mort elle endura les misères et incommodités d’une très grande pauvreté jusque là qu’elle s’est vue plusieurs fois réduite à n’avoir pas du pain à manger. Sa mère s’étant remariée, elle tomba sous la tyrannie d’un beau-père qui était un homme barbare et furieux, lequel maltraitait extrêmement sa mère ; et non content de cela il déchargeait aussi souvent sa rage sur elle, et quoiqu’elle ne lui donnât aucun sujet du tout, il la battait à coups de bâton avec tant de cruauté qu’il la rendait toute noire et meurtrie de coups. Et néanmoins elle n’a pas laissé de prier Dieu pour ce tigre avec tant d’instances qu’elle a obtenu son salut de la divine miséricorde. Sa mère voyant cela l’obligea de sortir d’avec elle et de chercher quelque lieu à se mettre en qualité de servante, mais elle trouva encore pire, quoiqu’en une autre manière ; car on la mit dans une maison qui était un vrai enfer et dont le maître et la maîtresse étaient pires que deux démons, menant une vie que je n’ose mettre sur ce papier, tant elle est horrible et abominable. Pendant que Sœur Marie demeura dans cette maudite maison, elle y souffrit des peines que Dieu connaît, mais elle en sortit le plus tôt qu’il lui fut possible.

J’ai dit en troisième lieu que Dieu l’a prise en sa protection spéciale, ce qui se voit [6] manifestement par le soin qu’il a eu de la conserver parfaitement dans la pureté virginale au milieu de plusieurs horribles dangers où il a permis qu’elle se soit rencontrée afin de l’en délivrer miraculeusement. Toutes ces choses font voir très clairement que cette personne est en la main, en la direction et en la protection de Dieu dès le commencement de sa vie d’une manière qui n’est pas commune. Ce qui se verra encore davantage ci-après.

Chapitre 2. De la manière en laquelle la Sœur Marie a été possédée corporellement des malins esprits et comme elle a été persécutée par les sorciers

La Sœur Marie ayant demeuré en trois ou quatre maisons pendant quelques années en qualité de servante revint enfin dans la paroisse de sa naissance et se retira chez son tuteur, là ou elle fut recherchée de plusieurs jeunes hommes qui la voulaient épouser. Entre autres il y en eut un à qui ses parents la voulaient donner en mariage ; mais elle l’ayant rebuté comme les autres, il eut recours à une sorcière qui depuis ayant été convaincue de sortilège fut brûlée à Coutances ; elle lui donna un charme qu’il jeta sur la S [œur] M [arie], ainsi qu’il est rapporté ailleurs, pour l’obliger à l’aimer et à l’épouser ; ensuite de quoi elle s’en retourna chez elle horriblement malade, là où étant arrivée elle tomba comme pâmée et commença à jeter des cris et hurlements effroyables, et à souffrir des tortures et des supplices si violents et si continuels qu’elle m’a assuré que pendant trois ans qu’elle demeura aux champs depuis cet accident, elle ne croyait pas avoir dormi une heure de temps. [7]

Cependant ses parents qui ne connaissaient pas la qualité de son mal la menèrent chez un homme qui se mêlait de donner des remèdes aux malades qui s’adressaient à lui, lequel l’eût perdue si Dieu ne l’eût délivrée du précipice sur le bord duquel elle se trouva, et ce par une merveilleuse industrie qu’il lui inspira, au moyen de laquelle se voyant affranchie de la gueule de ce lion elle sortit de sa maison aussi saine pure et entière que les trois enfants de la fournaise de Babylone. Mais ce dragon enrageant de ce que cette proie lui était ainsi échappée de ses griffes, il lui jeta un charme très violent, car c’était un magicien et qui vivait en cette réputation. Ce charme avait deux effets : l’un au regard de la S [œur] M [arie] pour la pousser et presque forcer à retourner chez cet homme diabolique et avec tant de violence et de rage qu’afin d’y résister elle se frappait à grands coups et s’arrachait les cheveux de la tête. L’autre effet était au regard d’une vieille femme qui était sa tante qui l’accompagnait partout, et qui était pour lors couchée en un même lit avec elle (car ce fut la nuit que ce sortilège fut donné) à savoir de l’endormir si profondément qu’il fut impossible à la S [œur] M [arie] de l’éveiller ni [en] criant, ni en la pinçant, ni en la tournant de côté et d’autre. Cette pauvre fille ne trouvant aucun remède à un si horrible mal fut inspirée d’avoir recours à son refuge ordinaire qui était la très Sainte Vierge. Elle lui adresse donc ses prières et fait vœu de l’aller saluer en sa chapelle de la Délivrande proche de Caen et au même temps la bonne femme s’éveilla et la S [œur] M [arie] fut entièrement délivrée de la malignité de ce charme. [8] Tous les moyens humains qui furent employés pour la soulager dans les maux extrêmes qu’elle souffrait étant sans effet, on commença à douter qu’ils ne procédassent de l’opération du diable. Là-dessus, on la mène à Coutances, on la présente à son évêque qui était pour lors Monsieur de Briroy. Il la fait exorciser. On y voit toutes les marques d’une véritable possession. Il envoie quelques-uns dans sa paroisse pour faire information de sa vie et de celle de ses parents, afin de reconnaître si eux ou elle [n’] avaient point donné sujet à l’esprit malin de la posséder, soit en la lui donnant par quelque colère, soit en commettant quelque autre faute, en punition de laquelle Dieu aurait permis ou ordonné cette affliction sur les père et mère et sur la fille. Mais après un soigneux examen, on ne put rien trouver de semblable. On continue donc à l’exorciser : on reconnaît toujours de plus en plus qu’elle est possédée. Ce qui a été confirmé en diverses occasions là ou elle a été exorcisée en grec et en hébreu par Monseigneur l’archevêque de Rouen et par plusieurs grands docteurs qui tous ont affirmé que la possession était véritable ; et depuis par l’ordre des Supérieurs je l’ai aussi exorcisée en grec, et quoique les démons ne répondissent pas en grec, néanmoins ils répondaient conformément à ce qu’on leur demandait, et faisaient exactement tout ce qui leur était enjoint de la part de Dieu et en vertu de l’autorité de l’Église. Durant les exorcismes cette bonne fille était travaillée et tourmentée étrangement par les sorciers qui lui jetaient tous les jours quantité de charmes, ainsi qu’il est rapporté ailleurs. [9]

En ce même temps, il arriva que les démons ayant dit dans l’exorcisme qu’ils sortiraient un certain jour et ne l’ayant pas fait, comme on leur demanda la cause, ils répondirent que c’était un certain homme qu’ils nommèrent et qu’ils accusèrent d’être sorcier qui y mettait empêchement. Il ne faut pas croire pour cela que cet homme fût sorcier, mais Dieu permit ceci au démon, pour faire naître une nouvelle occasion de souffrance à la S [œur] M [arie]. Car cet homme qui était puissant, sachant ce qui avait été dit de lui, entra dans une grosse colère contre la S [œur] M [arie], s’en va à Rouen, l’accuse au parlement d’être sorcière et prévient si bien les juges qu’ils la mettent en prise de corps. Son évêque ayant appris ces nouvelles n’attend pas qu’on la vienne prendre, mais l’envoie lui-même à Rouen là où elle fut conduite par ses parents. Au premier gîte qu’elle fit sur le chemin, qui fut au château de la Motte appartenant à Monseigneur de Coutances, on lui jeta durant la nuit un horrible sortilège tendant à la corruption, et à lui faire perdre le trésor incomparable de la virginité, afin de la faire passer pour une infâme et de la marquer d’une qualité qui est inséparable de la sorcellerie, savoir de l’impudicité, et par ce moyen de persuader plus facilement aux juges [10] qu’elle était sorcière lorsqu’ils sauraient qu’elle ne serait pas vierge ; et en effet ce fut à cette fin qu’ils ordonnèrent qu’elle serait visitée, ainsi qu’il est raconté plus amplement en un autre lieu, afin de reconnaître si elle était vierge, sachant bien que la virginité et la qualité de sorcière ne compatissent point ensemble ; mais cette ordonnance ne servit qu’à faire connaître sa très parfaite pureté et le soin que Dieu prenait de la garantir de tous les artifices et malignités de l’esprit immonde ; car quoique ce sortilège la fît beaucoup souffrir il n’eut pourtant point l’effet que prétendait le magicien qui le lui jeta, non plus qu’un très grand nombre d’autres qui lui furent donnés par les sorciers et dont elle fut travaillée l’espace de cinq ans en diverses manières, car leurs effets étaient tous différents.

Étant arrivée à Rouen, elle se rend prisonnière et y demeure six mois dont elle en fut six semaines en la prison de la cour d’Église, et le reste dans la prison du Parlement, là où (ainsi qu’il est écrit en un autre lieu) elle endura des confusions, des ignominies et des tourments qui ne se peuvent dire, mais enfin, quoique les juges eussent été beaucoup préoccupés et puissamment sollicités de la condamner comme sorcière, la vérité néanmoins surmonta la calomnie, en sorte que le parlement la déclara innocente et la renvoya à son évêque pour être exorcisée. [11]

La voilà de retour à Coutances. On y recommence les exorcismes, et parce qu’elle ressentait encore des effets du sortilège qu’on lui avait baillé en allant à Rouen au château de la Motte, l’exorciste commanda au diable en vertu de Jésus-Christ de détruire lui-même son ouvrage et de faire cesser la malignité du charme ; mais il répond que la fille n’en sera point délivrée et que même elle ne boira ni ne mangera que le magicien, qui lui a baillé, ne vienne et ne paraisse devant elle. En effet, il est impossible de lui faire rien prendre depuis ce temps-là jusqu’à ce que le magicien soit venu, les démons y apportant obstacle par l’ordre de Dieu. On cherche le magicien : on est trois jours sans le pouvoir rencontrer. Il paraît devant cette fille, le diable lui parla et lui maintient que c’est lui qui lui a jeté ce charme. « Si je lui ai baillé quelque chose, dit-il, qu’elle me le rende. » « Oui-da, dit le démon, elle le rendra tout maintenant, qu’on me donne un plat. » On apporte un plat dans lequel elle jeta par la bouche une certaine matière telle qu’est celle dont la cervelle de l’homme est composée. « Voilà le charme, dit l’esprit malin, il est fait de la cervelle d’un petit enfant. » Et certainement on ne pouvait pas dire que cela vint d’aucun aliment qu’elle eût pris, puisqu’il y avait trois jours qu’elle n’avait ni bu ni mangé. Dieu l’ayant ainsi permis afin que l’on reconnût cette vérité. [12]

Voici un autre sortilège bien plus terrible que le premier qui lui fut envoyé de Paris un peu après son retour de Rouen en cette sorte. Un certain marchand de Coutances était allé à Paris, comme il s’en revenait, au sortir de la ville, il entend venir après lui certains cavaliers fort bien montés et bien couverts, qui l’ayant abordé, lui demandent d’où il était et où il allait. « Suis de Coutances, leur dit-il, et je m’en vais à Coutances en Normandie. – N’y a-t-il pas là, ajoutent-ils, une pauvre fille possédée ? – Oui leur réplique-t-il, et c’est grande pitié des tourments qu’elle souffre. – C’est de quoi nous avons ouï parler, dit l’un de ces cavaliers, et c’est ce qui nous a tellement touché de compassion, qu’ayant appris que vous étiez de ce pays-là, nous sommes accourus après vous, pour vous donner cette petite boîte dans laquelle il y a des Reliques de sainte Geneviève, dont la châsse a été descendue ces jours passés. Tenez : emportez-la avec vous bien soigneusement, et quand vous serez à Coutances, qu’on la baille à cette pauvre fille et qu’on la mette sur elle. » Cela dit, les cavaliers s’en retournent à Paris, et le marchand vient à Coutances, là où étant arrivé, il baille cette boîte à ceux qui étaient auprès de la S [œur] M [arie] et Dieu permit qu’ils la lui appliquèrent sans regarder ce qu’il y avait dedans. Mais elle sentit bientôt ce que c’était ; car cette fausse relique, qui était un véritable sortilège, tendait à trois effets. [13] Le premier, à la porter dans les plus extraordinaires blasphèmes de l’enfer. Le second à la jeter dans les plus infâmes saletés et dans les plus puantes abominations qui puissent être. [Le] troisième à l’exciter au meurtre et au massacre la poussant à étrangler, à égorger, à démembrer et dévorer tout le monde. Et la prétention des sorciers qui avaient composé ce sortilège était de l’obliger à faire quelque action répréhensible et criminelle afin d’avoir sujet de la décrier, de l’accuser et de la faire tomber derechef entre les mains de la Justice, pour la faire châtier et exterminer entièrement. Mais tout cela ne servit qu’à faire paraître davantage la prétention de Dieu sur cette créature, lequel, par la vertu de son bras, anéantit tous les effets de ce charme et rendit vains et inutiles tous les efforts des Puissances infernales. Cela donna aussi occasion à la S [œur] M [arie] de prier Notre-Seigneur de faire miséricorde aux sorciers et demander à souffrir pour eux en ces temps les peines qu’ils méritaient de souffrir dans l’éternité, ainsi qu’il est raconté plus amplement ailleurs. Mais tant plus qu’elle s’efforçait de leur faire du bien, tant plus il tâchaient de lui faire du mal, et voyant que tous leurs charmes et toutes leurs machines diaboliques n’étaient point assez fortes pour la faire tomber dans le péché et pour lui ravir la grâce de Dieu, ils entreprirent de lui ôter du moins la réputation et de la décrier dans le monde, qui est un des effets de la malice contre les personnes et les choses qui honorent Dieu. [14], Car je connais un homme qui a été malheureusement engagé dans ce détestable parti l’espace de dix ans, et qui s’est trouvé plusieurs fois dans leurs assemblées nocturnes et exécrables, lequel s’en étant retiré par un effet extraordinaire de la divine miséricorde, il m’a assuré que quand il se fait quelque ouvrage en la terre qui est à la gloire de Dieu, ses plus grands ennemis qui sont les sorciers tiennent conseil lorsqu’ils s’assemblent, pour aviser aux moyens ou de l’empêcher, ou de le détruire, ou de l’affaiblir, ou à tout le moins le mettre en mauvaise odeur devant les hommes, afin qu’il produise moins de fruit. C’est ce qu’ils ont essayé de faire au regard de l’œuvre que la divine bonté fait en la S [œur] M [arie]. Car on a vu une méchante fille suscitée et députée, comme il est très probable, par cette troupe infernale, laquelle s’en allait dans les lieux et dans les villes voisines de Coutances comme au Mont-Saint-Michel, à Saint-Malo en Bretagne et en plusieurs autres endroits, là où elle se faisait appeler Marie des Vallées, disant qu’elle était la possédée de Coutances ; et partout où elle se rencontrait, elle dérobait et faisait d’autres actions méchantes qu’elle avouait par après facilement. Et quand on lui demandait pourquoi elle les avait faites, elle n’apportait point d’autre excuse sinon que c’était le diable qui l’avait tentée. Elle passait bien plus outre, car elle disait qu’il lui était arrivé un grand malheur, à savoir qu’elle s’était donnée au diable et que c’était la raison pour laquelle elle était en sa possession, et que même elle en portait les caractères et la marque. [15] En effet, elle la faisait voir sans ses cheveux un peu au-dessus du front. Car j’ai vu une personne de grande probité et de fort bon sens qui m’a assuré que pendant quinze jours cette malheureuse créature séjourna à Saint-Malo de l’Isle ; elle lui montra cette marque et que pour en faire la preuve elle y appliqua une aiguille fort longue qu’elle y fit entrer presque tout entière sans qu’il en sortît de sang et sans qu’elle témoignât aucun sentiment de douleur, ce qui fait conjecturer et avec fondement qu’elle était sorcière, puisqu’elle portait si visiblement la marque que le démon a coutume d’imprimer en ceux qui lui appartiennent en cette damnable qualité. La personne qui l’a entendu de sa bouche et qui a vu ce caractère de Sathan m’a assuré qu’elle se faisait appeler dans la ville susdite Marie des Vallées, déclarant à tout le monde qu’elle était la possédée de Coutances ; et cependant c’est une chose très certaine que jamais la S [œur] M [arie] n’a été à Saint-Malo. Je passe plusieurs autres fourbes et malices que cette méchante fille a exercées en d’autres lieux pour la diffamer, lesquelles ont été avérées et reconnues avec autant de certitude que la précédente.

Toutes ces choses font bien voir la rage extrême dont l’enfer a toujours été animé contre cette bonne fille. [16] Ce qui n’est pas une petite preuve qu’elle est fort aimée du Ciel, puisque l’Enfer la hait tant et que les principaux membres de Sathan qui sont les sorciers lui ont fait une guerre si cruelle, dans laquelle étant fortifiée de la vertu d’en haut, elle a toujours remporté la victoire.

De l’échange qui fut fait de la volonté de la S [œur] M [arie] avec celle de Dieu

Entre quantité de choses merveilleuses qui se sont passées en la S [œur] M [arie], une des principales est l’échange que Dieu lui a fait faire de sa volonté avec la sienne. Ce qui s’est passé en cette façon. Quatre ans ou environ après le commencement de sa possession, Dieu lui imprima une si grande haine du péché et un désir si ardent de n’offenser jamais sa divine majesté, qu’elle assure avec une grande et cordiale vérité, qu’il n’y a que lui seul qui connaisse combien cette haine était forte et combien ce désir était puisant, et de là que cette impression lui est demeurée dans l’esprit565 et qu’elle y demeurera éternellement. Et qu’il lui est impossible de douter566 qu’elle ne soit de Dieu, le désir provenait de l’horreur inconcevable qu’elle avait du péché et de l’amour très pur qu’elle portait à Dieu567. [17] Car elle ne craignait pas le péché ni ne désirait pas d’en être entièrement délivrée pour l’appréhension qu’elle eut de l’enfer et des châtiments qui lui sont préparés soit en ce monde soit en l’autre ; au contraire, elle faisait cette prière à Dieu : « Vous connaissez, lui disait-elle, par votre infinie sapience, tous les péchés dans lesquels je tomberais tout le cours de ma vie, si Vous ne m’en préservez par votre grande miséricorde ; je vous supplie de me faire souffrir toute la peine qui leur serait due en rigueur de la Justice voire au double et au centuple si vous voulez, et me garder de la coulpe. » Elle fit cette prière à Dieu près de deux ans avec une dévotion et ferveur indicible. Ce qui la confirma dans ce désir et dans cette prière fut un livre du R. Père Cotton568, Jésuite, intitulé Intérieure occupation d’une âme dévote, qui lui tomba entre les mains, dans lequel elle rencontra cette oraison dans le commencement du livre et qui est telle.

Oraison du R. P. Cotton 569.

Je sais à mes dépens et à mon grand dommage, combien je suis préjudiciable à moi-même et combien est grande ma fragilité, d’où j’ai toutes les occasions de craindre qu’au partir d’ici je ne fasse tout le contraire de ce que je viens de promettre. Ô Dieu tout puissant et immuable ayez pitié de votre frêle ouvrage, étendez votre main forte et votre bras invincible pour le secours de l’œuvre de vos doigts ; ne permettez qu’une créature dont l’acquisition vous a été si pénible vous soit si facilement et tant indignement enlevée. Si ma volonté y est requise, la voilà entre vos mains, je vous la donne et redonne irrévocablement, et puisqu’il n’y a rien de mieux acquis que ce qui est donné, Ô Dieu de mon cœur, commandez que le don [18] qu’il vous a plu me faire de vous-même autorise le don que je vous fais de moi-même, et que cette donation tant entre vivants qu’à cause de votre mort, soit fidèlement insinuée et insérée et registrée de votre éternité, que quand je le voudrais, elle ne puisse être révoquée, telle étant par votre grâce la disposition de ma dernière volonté.

Je proteste avec tous les ressorts de ma volonté, avec tous les efforts de mon franc arbitre et avec toute la possible plénitude de mon consentement que je ne veux vous offenser en chose quelconque, Vous être Vôtre totalement et sans exception, veux ce que vous voulez, déteste ce que vous détestez, et s’il arrive que je commette ou omette chose aucune contre votre bon plaisir, ce sera une surprise et dérobée volonté, du tout contraire à ce que vous me faites la grâce de vouloir, lorsque je suis en mon sens, et maître par votre assistance de mon consentement. Et quand ainsi serait que par fragilité extrême (à l’ombre de laquelle mon âme tremble de crainte) je portasse mon consentement au contraire de ce que vous voulez, ne permettez Dieu de vérité et de bonté infinie que telle faute me soit imputée, attendu que j’y renonce dès maintenant comme dès lors, et que le consentement qui est autorisé du Vôtre doit prévaloir à celui qui n’est mien que par malheur et dont le premier moteur est l’ennemi de votre gloire et de mon salut570. [Chacun, dit-on, peut renoncer à ses droits ; je renonce donc à celui de ma propre volonté autant et si souvent que je serai tenté et en danger de votre offense. Et partant ne laissez de me forcer au bien en quelque temps que ce soit, sans avoir égard à ma liberté, si ce n’est en la regardant comme votre volontaire esclave. Que si vous voulez y avoir égard, considérez que ma volonté est de n’avoir pour le mal aucune volonté, et qu’en cela vous condescendiez à mon franc arbitre, quand vous le traiterez à l’égal des non libres, attendu qu’il renonce absolument par votre grâce à tout droit de nature. [19]

Mais quel droit est-ce là que de vous pouvoir offenser ; quelle la perfection de pouvoir consentir à l’imperfection ? Qu’elle la force de pouvoir défaillir ? Le péché n’est pas un effet, ains une défectuosité ; il n’a point de cause efficiente, mais défaillante. Si c’était quelque perfection d’être libre à mal faire, ne l’auriez-Vous pas, Ô mon Dieu ? Mais c’est tout l’opposite ; par quoi faites-moi d’abondant en cela à votre image, que comme Vous, mon prototype, ne pouvez plus pécher par nature qu’aussi je sois impeccable par grâce.

[« Seconde protestation » dans la Vie] Les âmes bienheureuses qui voyant votre face non seulement ne peuvent pécher, mais elles sont nécessitées à vous aimer et à ne cesser jamais en ce noble exercice, et néanmoins elles ne laissent d’avoir leurs libres volontés, tant il est vrai que vos œuvres ne se détruisent point l’un [e] l’autre et que la grâce ne gâte pas, ains perfectionne la nature, etc.

Voilà la prière que le R.P. Cotton qui était un saint homme faisait pour lui-même et qu’il a rendue publique, et qu’il a mise entre les mains des fidèles, afin que chacun la puisse faire pour soi-même. C’est ce que fit la S [œur] M [arie] presque deux ans tous les jours devant le St Sacrement avec une très fervente dévotion, en suite de quoi elle vit la divine volonté par une vision non pas corporelle ou imaginaire, mais purement intellectuelle. Car elle la vit, non point sous aucune forme, figure ou image, mais comme une vérité présente (ce sont ses propres termes) et avec une si grande certitude de clarté, que ce que nous voyons des yeux corporels ne nous paraît pas si clairement, et qu’il lui était impossible de douter que ce ne fût la très adorable volonté de Dieu, laquelle lui parla de cette façon [20] : « Vous demandez à Dieu qu’il vous ôte votre liberté et qu’il prenne votre volonté et qu’il vous donne la sienne, afin que vous n’en ayez plus d’autre, et avec cela vous désirez communier souvent. Mais si on vous ôte votre volonté et que l’on mettra celle de Dieu en la place, vous ne ferez plus rien de ce que vous voulez. Vous ne communierez pas quand vous le souhaiterez : voire même je pourrais bien vous ôter tout-à-fait la Sainte Communion. C’est pourquoi pensez bien à ce que vous demandez. La Sainte Communion est le grand chemin royal du Paradis par lequel tous les saints ont marché ! et celui dans lequel vous désirez entrer est très difficile et très périlleux. Regardez donc ce que vous avez à faire. »

Là-dessus, elle commence à raisonner en soi-même : « La divine volonté est Dieu ; la sainte communion c’est Dieu aussi ; mais quand je communierais tous les jours je puis encore pécher avec cela, et si ma propre volonté est anéantie et que celle de Dieu me soit donnée en la place, je ne l’offenserais plus, car il n’y a que ma propre volonté qui puisse faire le péché. C’est pourquoi je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me donne à la très adorable volonté de mon Dieu afin qu’elle me possède si parfaitement que je ne l’offense jamais. »

Après cela arrive la fête de la Conception immaculée de la bienheureuse Vierge en laquelle elle sentit un désir extraordinaire de communier, et elle communia en effet. Mais ensuite il lui fut impossible de communier sacramentellement ; elle communiait néanmoins spirituellement et elle recevait et sentait en soi-même tous les effets et tous les fruits de la Sainte Communion, tout de même qu’elle faisait lorsqu’elle communiait sacramentellement, à savoir [21] : un très ardent et très pur amour envers Dieu, un désir presque infini de suivre en tout et par tout sa très adorable volonté, une très grande charité envers le prochain, un amour tendre et sensible pour tous ceux dont elle avait reçu quelque déplaisir, un zèle dévorant pour le salut des âmes, une affection incompréhensible pour les souffrances, un extrême mépris de soi-même, une horreur inconcevable du péché, une haine irréconciliable contre l’honneur et un détachement entier de toutes choses.

Un an s’écoula, durant lequel elle ne put communier qu’en cette façon pour ce qu’elle ne faisait plus ce qu’elle voulait, la divine volonté ayant déjà pris possession d’elle ; elle n’était pas néanmoins confirmée en cet état, de sorte qu’il lui était encore libre d’en sortir ; car Dieu lui voulait donner cette année pour choisir et pour délibérer ce qu’elle avait à faire sur cet échange qu’elle désirait qu’il se fît de sa volonté avec celle de Dieu.

C’est la conduite que sa divine bonté a coutume de tenir, quand elle a dessein de faire quelque chef-d’œuvre de grâce dans une âme. Il pourrait bien faire ses œuvres en nous sans nous, mais pour ce qu’il nous y veut donner part, il tire auparavant notre consentement. C’est la raison pour laquelle ayant à opérer le plus grand de ses ouvrages, c’est-à-dire le mystère de l’Incarnation dans la très sacrée Vierge, il lui envoie un ange pour l’y faire consentir.

Ainsi l’ouvrage que sa divine majesté avait dessein de faire en cette âme, étant d’une merveilleuse conséquence, et cette transformation ou permutation de sa volonté avec la sienne en étant comme le fondement, après l’y avoir disposée peu à peu par les désirs très ardents qu’il lui en donna et par les prières très ferventes qu’il lui inspira de faire pour ce sujet, l’espace de deux ans ou environ, il lui voulut donner encore un an pour délibérer avec plus de loisir et pour y donner un consentement plus libre et plus ferme. [22] Cette année étant expirée, la divine volonté lui parut derechef en la même manière que la première fois, qui lui parla ainsi : « Voici l’heure qu’il faut définir et arrêter ce que vous avez tant demandé, à savoir que l’on vous ôte votre volonté pour vous donner celle de Dieu. Considérez bien ce que vous avez à faire, car c’est un contrat qui se va passer. Avant qu’il soit fait, vous êtes libre de faire ce que vous voudrez ; mais quand il sera passé, vous n’aurez plus de liberté ; vous ne pourrez faire, ni dire, ni penser, ni vouloir que ce qu’il me plaira. Si je veux, je vous ôterai la Sainte Communion et vous ferai marcher par un chemin épouvantable. Le chemin de la communion est tout couvert de fleurs et de roses, et tout plein de grâces et de bénédictions et de consolations divines, mais je vous mènerai par un chemin tout rempli d’épines, de croix et de souffrances. Je pourrais bien même vous faire aller servir les diables en enfer. » Enfin, dit la S [œur] M [arie], « la divine volonté me fit voir tant de peines, tant d’angoisses, tant de douleurs, tant de tourments, et si effroyables, qu’il me faudrait endurer dans le chemin par lequel elle me conduirait si je le choisissais. Je fus saisie d’une telle frayeur que tout le corps me tremblait d’une façon extraordinaire ; ce qui n’empêcha point pourtant que je ne fisse ma réponse en cette sorte : Je n’ai qu’une chose à dire qui est que je hais tant le péché que je suis prête de souffrir autant d’enfer que Dieu en peut faire, s’il en est besoin, afin qu’il n’ait jamais de part en moi ; pour cet effet connaissant qu’il n’y a que ma volonté qui le puisse produire, je la renonce de toutes mes forces et quoi qu’il n’en puisse arriver, je choisis la très adorable volonté de Dieu et me donne à elle autant que je puis afin qu’elle établisse son règne en moi si parfaitement que le péché n’y entre jamais. [23] Je ne me réserve qu’une chose : qui est d’obéir toujours autant qu’il me sera possible à l’Église, et que si j’y manque en quelque chose, il n’y aura que l’impossibilité qui m’y puisse forcer ; car je ferai toujours de ma part ce qui sera en ma puissance pour suivre tous ses ordres. »

Voilà comment l’échange de la volonté de la S [œur] M [arie] avec celle de Dieu fut faite, ainsi qu’elle me l’a raconté elle-même par le commandement que N [otre] S [eigneur] lui en a fait, et elle me l’a raconté avec une très profonde vérité, sincérité et simplicité sans aucune exagération, car il n’y a rien qu’elle n’aime tant que la vérité, et qu’elle haïsse si fort que ce qui la blesse tant soit peu. « C’est la fille aînée de Dieu, dit-elle, je ne la trahirai jamais. » Toutes les personnes qui l’ont un peu communiquée, même celles qui lui sont contraires, sont contraintes d’avouer qu’elle est pleine de naïveté, de candeur, de vérité et de fidélité.

Des choses qui se sont ensuivies de la susdite échange.

De la susdite échange plusieurs choses très considérables se sont ensuivies, entre lesquelles je remarquerai ici deux principales. La première est que depuis cela, c’est-à-dire depuis environ quarante ans, elle n’a eu aucune liberté ni en son extérieur ni en son intérieur. [24] Car pour l’extérieur, elle ne peut ni prier quand elle veut, c’est-à-dire selon la volonté des sens et de la partie intérieure. Car selon la volonté de l’esprit, elle ne veut rien que ce que Dieu lui fait vouloir. Elle ne peut pas, dis-je, ni prier quand elle veut ni pour qui elle veut, ni aussi longtemps qu’elle voudrait, ni dire les prières qu’elle souhaiterait ; et il en va de même de son boire, de son manger, de son vêtir, de son lever, de son coucher, d’aller, de venir et ainsi du reste. La divine volonté lui réglant toutes ces choses, et n’étant pas en son pouvoir de remuer le pied, la main, ou la langue pour faire ou pour dire autrement que ce qu’elle lui ordonne. Et de cela il y a un exemple semblable en sainte Catherine de Gênes, car il est rapporté au livre premier de son Dialogue, chapitre 13, que Dieu la réglait au boire, au manger et en toutes choses.

Mais ce qui regarde l’intérieur est bien plus admirable, car elle est tellement privée de liberté d’user des puissances de son âme qu’elle ne peut pas ni se souvenir de ce qu’elle voudrait selon la volonté des sens, ni penser à ce qu’elle voudrait, ni vouloir aucune chose, pour bonne et sainte qu’elle puisse être, sinon quand la divine volonté le veut et l’y applique ; par exemple quelquefois lorsqu’elle veut penser à la passion de N [otre] S [eigneur] il n’est pas en son pouvoir de le faire. « J’en suis empêchée, dit-elle, comme une personne qui voudrait entrer dans une porte et à qui on dirait : “Retirez-vous”, lui fermant la porte quand et quand ; et d’autres fois quand je suis dans l’extrémité de mes angoisses et que j’ai plus besoin de confort qu’a l’ordinaire, on m’ouvre la porte et on m’appelle me disant : [25] “Venez, venez ici”, et alors j’entre librement et il m’est permis de penser à quelque mystère de la passion, mais pour peu de temps, car j’y aurais de la consolation et il faut que je souffre. On ne me permet cela que dans ma grande et quasi extrême nécessité ; puis on me fait sortir et on me ferme la porte, m’ôtant le pouvoir d’y penser davantage. » Ainsi, quand elle veut penser (j’entends toujours selon la volonté des sens) à la divine Justice qu’elle aime extrêmement ou à quelque autre des divins attributs, ou à quelque mystère ou vérité chrétienne, il ne lui est pas possible de le faire, sinon quand elle y est appliquée par la divine volonté.

Voici une preuve de cette vérité. Dans les craintes ou elle est d’être trompée et dans le désir extrême de connaître la vérité, elle pria cent et cent fois N [otre] S [eigneur] avec abondance de larmes de lui permettre de prononcer une fois seulement en esprit son saint nom de Jésus, c’est-à-dire de former une pensée de ce saint nom, en témoignage que les choses qui se passent en elle sont fausses en tout ou en partie et que, s’il lui donne cette permission, elle croira comme un article de foi que ce sont toutes tromperies ; et jamais il ne lui a été possible de le prononcer ni de cœur ni de bouche pour ce sujet, c’est-à-dire d’y penser à cette intention ; mais pour témoigner que tout est de Dieu, il lui est toujours permis de le prononcer et d’esprit et de cœur tant qu’elle veut.

Il en va tout de même de la volonté comme de l’esprit et de la mémoire ; par exemple quoiqu’elle ait un amour incroyable pour le très Saint Sacrement, néanmoins durant 33 ans ou environ qu’elle n’a pu communier, il n’était pas en sa puissance de le vouloir. Elle ne laissait pas de faire à l’extérieur tous ses efforts pour s’y disposer afin d’obéir à l’Église, [26], mais d’en former un seul acte de volonté à l’intérieur, ce lui était une chose impossible, et lorsque le temps s’est approché auquel Dieu voulait qu’elle communiât, elle en a eu une très forte volonté et un très grand désir quelque temps auparavant.

Pour ce qui touche la mémoire, j’en ai eu l’expérience plusieurs fois, spécialement au temps de la première mission à Coutances. Ce fut lorsqu’elle fut obligée et comme forcée de me dire quantité de choses que j’ai écrites, parce qu’elles sont pleines de quantité d’instructions très saintes et très utiles, à raison de quoi N [otre] S [eigneur] l’a forcée, s’il faut ainsi parler, de les dire. Je dis qu’il l’a forcée pour ce qu’elle a toujours eu une très grande répugnance à parler de ces choses, et elle n’en a jamais parlé à personne que par contrainte, et elle m’a assuré plusieurs fois que, s’il avait été en son pouvoir de ne m’en parler point, qu’elle ne m’en aurait jamais dit mot ; et, tant s’en faut qu’elle y prenne quelque satisfaction ou complaisance, au contraire ce lui est un tourment beaucoup plus grand qu’on ne peut dire, ainsi qu’il paraît manifestement en son visage, en ses larmes et en ses plaintes. Or, afin de l’entendre, je la voyais ordinairement une heure ou deux tous les jours, et Dieu lui mettait dans la mémoire autant de ces choses qu’elle m’en pouvait dire, tantôt plus tantôt moins, selon la mesure du temps que j’y pouvais employer raisonnablement sans préjudice des exercices de la mission ; et cela demeurait dans sa mémoire jusqu’à ce qu’elle me l’eût dit, et ce lui était comme un poids fort pesant et qu’elle supportait avec peine pour l’obliger de s’en décharger en me le disant [27] ; et lorsqu’elle m’avait dit ce qui lui était mis pour ce jour-là dans la mémoire, elle n’avait aucun souvenir des autres choses qui s’étaient passées en elle, quoiqu’elles fussent en très grand nombre. Mais le jour suivant on lui en mettait encore une certaine quantité conformément au temps que je pouvais être avec elle et cela se fit ainsi durant quinze jours ou environ.

Par toutes ces choses, l’on voit manifestement qu’elle n’a point la liberté d’user des puissances de son âme et qu’elles sont liées ou comme mortes et anéanties en elles-mêmes, n’ayant ni action ni mouvement que par la divine volonté qui est parfaitement vivante et régnante en elle.

De la seconde chose qui s’est ensuivie du susdit échange

La seconde chose qui est procédée de l’échange de la volonté de la S [œur] M [arie] avec la divine volonté est que depuis que cela s’est fait elle a été environ 33 ans sans pouvoir communier, car lorsqu’elle était à la sainte table et que le prêtre venait à s’approcher d’elle pour lui donner le Saint Sacrement, les malins esprits dont elle était possédée y mettaient empêchement, soit en la faisant tomber par terre, soit en lui détournant la tête ou par quelque autre agitation de son corps [28] ; de sorte que durant ce temps-là, jamais personne, ni évêque ni prêtre ne lui a pu donner la Sainte Hostie, nonobstant tous les soins, toutes les diligences et tous les efforts imaginables y aient été employés tant de sa part que de la part de l’Église. De son côté, elle n’a rien omis de tout ce qu’elle pouvait faire pour s’y disposer. D’autre côté on a employé durant un long temps quantité de prières, de jeûnes, d’aumônes, de pèlerinages et d’exorcismes selon toute la puissance que Dieu a donnés à son Église sur les démons afin de lever l’empêchement qu’ils y apportaient. On lui a fait faire un grand nombre de pèlerinages en plusieurs lieux de dévotion comme à Saint Michel ou à N.-D. de la Délivrande, là où on l’a menée une fois tous les ans près de 15 ans consécutivement, et là on l’exorcisait devant l’image de la Sainte Vierge ; et en tous ces voyages elle était toujours accompagnée de plusieurs saints ecclésiastiques, à la conduite desquels elle avait été commise par son évêque, et d’un bon nombre d’autres personnes laïques de grande piété tant de l’un que de l’autre sexe. Et tout cela se faisait avec grande dévotion, tant en y allant qu’en revenant, et ce afin d’obtenir de Dieu qu’elle pût communier si tel était son bon plaisir.

De plus on fit pour cette même fin des exorcismes tous les jours l’espace d’un an tout entier devant le très Saint Sacrement avec toutes les meilleures préparations et dispositions qu’on y pouvait apporter, y employant toute l’autorité, la vertu et le pouvoir que l’Église a sur les démons ; mais ils répondaient et affirmaient toujours qu’ils ne pouvaient pas obéir à ce commandement, pour ce que c’était par l’ordre de Dieu qu’ils l’empêchaient, et quand on leur en demandait la cause ils disaient qu’ils n’en avaient point connaissance et qu’ils n’avaient pas entrée dans le conseil de Dieu. [29]

Des désirs extraordinaires de souffrir qui ont été dans la S [œur] M [arie] et des souffrances extrêmes qu’elle a portées.

Lorsque Dieu mit dans le cœur de la S [œur] M [arie] ces grands désirs d’être entièrement séparée du péché, dont il a été parlé, il lui imprima aussi des désirs de souffrir pour le détruire dans les autres, si puissants et si ardents qu’il n’y a point de paroles qui les puissent expliquer, ni d’esprit humain capable de les comprendre.

« Je suis bien assurée, dit-elle, qu’il n’y a que Dieu seul qui en puisse connaître la grandeur et l’étendue. S’ils étaient si grands que j’étais bien certaine que toutes les puissances humaines et angéliques du ciel de la terre et de l’enfer n’étaient point capables de me faire souffrir autant que je le désirais, et qu’il n’y avait que la main infiniment puissante d’un Dieu qui eût ce pouvoir, encore à peine pouvais-je croire que Dieu même pût rassasier la faim en quelque façon infinie que j’avais de souffrir. Tout l’enfer avec tous ses tourments ne me semblait qu’une petite cerise à l’égard d’une telle faim. » Et en effet cinq années de supplice de l’enfer n’ont pas été capables de rassasier cette faim ni de satisfaire à ces désirs. Ains ils n’ont fait que les augmenter. J’ai une connaissance infaillible que ces mêmes désirs n’étaient pas dans les sens, mais qu’ils étaient gravés dans le plus profond de l’esprit. Les sens ne demandent point à souffrir et ils ne sont pas capables de semblables désirs, de désirs si profonds, si puissants, si fermes et si invariables et de si longue durée : [30] c’est l’esprit qui désirait aller dans le mal douloureux de 12 ans, plus épouvantable encore et plus terrible que l’enfer.

Ces désirs si ardents procédaient de la haine presque infinie qu’elle avait contre [le] péché et de l’amour inconcevable qu’elle portait aux âmes. C’étaient cette haine et cet amour qui la poussaient à demander à N [otre] S [eigneur] de souffrir les peines d’enfer, afin d’en préserver les sorciers et d’obtenir leur conversion et la destruction du péché en eux, ainsi qu’il est rapporté ailleurs plus amplement. « Tu ne sais point ce que tu demandes, dit le Fils de Dieu. – Pardonnez-moi, répondit-elle, je sais bien ce que je demande, je demande [le salut de] mes frères qui se perdent. J’ai une connaissance infaillible que Vous cherchez quelqu’un qui veuille souffrir pour eux en temps les peines de l’enfer, afin de les en délivrer dans l’éternité ; car, dit-elle, je voyais tous les jours l’amour Divin qui cherchait quelqu’un pour cela. Je m’offre à Vous pour cette intention. – Mais ils ont mérité l’ire de Dieu, ajoute N [otre] S [eigneur]. – Je suis prête de la porter pour eux, et mille enfers s’il en est besoin, afin que Vous leur en fassiez miséricorde. Ô, si vous saviez le grand désir que j’ai de souffrir pour le salut des âmes, Vous ne me diriez pas que je ne sais ce que je demande ! » [31]

C’est un excès571 presque infini qu’elle a de souffrir pour le salut des âmes qui la fait parler ainsi. « Je crains bien, disait-elle encore, que vous n’ayez pas assez de tourments à me donner. »

Enfin ayant prié Dieu près de deux ans et fait quantité de mortifications pour obtenir de Lui qu’il lui donnât les supplices de l’enfer pour en décharger ceux qui les avaient mérités, elle fut exaucée : elle descendit en enfer et y demeura cinq ans en la manière qui est écrite ailleurs, là où elle endura ce que Dieu seul connaît. Cependant les géhennes et les tortures infernales ne furent point suffisantes pour refroidir tant soit peu l’ardeur des désirs qu’elle avait de souffrir, ains ils ne firent que les embraser de plus en plus. En témoignage de quoi, lorsqu’elle était au milieu des feux de l’enfer, toutes les furies infernales qui la tourmentaient en diverses manières et tous les supplices qu’elle endurait, comme la soif, la faim, la rage, le désespoir et les autres, se présentèrent à elle sous diverses figures et lui déclarèrent que Dieu les avait envoyés à elle pour lui demander leur congé, et que si elle voulait leur accorder, qu’ils avaient ordre de Lui de s’en aller et de la laisser libre et affranchie de toutes sortes de peine. Mais elle leur répondit en cette façon : « Puisque c’est à mon choix de vous congédier ou de vous retenir, je vous défends absolument de vous en aller et vous commande de demeurer ici et de faire votre office, jusqu’à ce que celui qui vous a ordonné d’y venir vous ordonne d’en sortir. »

On reconnaît par là que les souffrances étaient comme son centre et que l’enfer était comme son paradis, tant elle était affamée de supplices. [32]

« Chargez, chargez, disait-elle, grâce à Dieu nous en pouvons autant porter que Dieu en peut faire. » [32] Parce que celui qui l’avait choisie pour lui faire porter les peines en quelque façon infinie, et qui avait imprimé en elle des désirs comme infinis de les souffrir la revêtait et l’animait de sa force divine qui est infinie.

D’un autre enfer dans lequel S [œur] M [arie] a été l’espace de 12 ans

La S [œur] M [arie] étant sortie de l’enfer entra572 dans un état fort modéré en comparaison du précédent. Elle demeura trois ans en cet état durant lesquels elle était possédée et animée de la Divine Justice, d’une manière extraordinaire, laquelle opérait en elle trois effets principaux.

1.573 Elle lui communiquait la haine incompréhensible qu’elle avait contre le péché et le zèle embrasé avec lequel elle le poursuit sans cesse pour le punir et pour le détruire.

2. Elle parlait par sa bouche et disait avec une ardeur incroyable tant de choses terribles et puissantes contre ce monstre, touchant sa laideur, son horreur et sa malice, touchant ses effets prodigieux et détestables et touchant les moyens dont il faut se servir pour l’anéantir, qu’elle eût fourni durant ces trois ans le meilleur et le plus prompt écrivain du monde à écrire continuellement sur ce sujet, et je sais tout ceci de ceux qui en ont été témoins oculaires.

3. Elle lui prédisait en diverses manières et sous plusieurs figures les tourments indicibles qu’elle devait souffrir bientôt et lui donnait des désirs nonpareils d’y entrer, ce qui lui faisait dire souvent ces paroles avec abondance de larmes : « Je m’en veux aller, je m’en veux aller », c’est-à-dire dans un horrible mal qu’elle appelle le mal des maux. [33]

Ces trois ans expirés elle entra dans ce mal, qui commença comme un carreau de foudre lequel lui passa au travers du cœur, qui était l’ire de Dieu. « C’est un enfer tout nouveau, dit-elle, que l’amour divin a fait pour moi, qui surpasse tellement en sa rigueur, en sa vigueur et en ses supplices l’enfer des damnés, que s’il avait été en mon choix, j’aurais mieux aimé souffrir un an les peines de celui-ci, qu’une heure les supplices de celui-là. »

« L’enfer ordinaire ne fut qu’une bien petite collation pour la faim insatiable que j’avais de souffrir, mais cet enfer nouveau a été un festin tout entier, qui m’a rassasiée pleinement. »

« N [otre] S [eigneur] m’a assuré que comme une petite paille ne pouvait subsister un moment dans une grande fournaise ardente sans y être réduite en cendre, qu’ainsi je n’aurais pas duré un instant dans cet enfer sans être consommée, s’il ne m’avait conservée par un grand miracle. J’ai porté l’ire de Dieu dans le premier enfer, ainsi que les autres damnés le portent. Elle n’était pas pourtant débordée sur moi comme elle ne l’est pas sur terre, mais elle a été débordée sur moi durant le mal de douze ans. Transierant in me irae tuae et terrores tui conturbaverant me, confirmatus est super me furor tuus et omnes fluctus tuos induxisti super me, vendemiavit me in die furoris sui574. » De sorte que pour comprendre ce qu’elle a enduré durant ces 12 ans et plus de dix-neuf ans encore après, il faudrait pouvoir définir la terreur et la grandeur de l’ire de Dieu. Quis novit potestatem irae tuae, aut prae timore Iram tuam dinumerare575 ? [34]

Il faudrait connaître [ce] que c’est que le péché et [ce] que c’est que de porter le poids épouvantable et la malignité effroyable d’un nombre innombrable de crimes d’autrui pour lesquels elle s’est offerte à la divine justice pour lui en faire la satisfaction. Car N [otre] — S [eigneur] lui a déclaré que ce mal de douze ans est une participation et un renouvellement de ce que Lui-même a enduré lorsqu’il a porté tous les péchés du monde et même lorsqu’il a été fait péché pour nous, par la volonté de son Père éternel, duquel St Paul a dit ces terribles paroles : Qui non noverat peccatum, pro nobis peccatum fuit, ut nos efficeremur Justifia Dei in ipso. 2 Cor. 5.576.

Enfin ce qu’elle a souffert dans ce second enfer surpasse tellement les tourments du premier que N [otre] S [eigneur] lui a dit que pour avoir une digne compassion des peines qu’elle a portées en ce premier, il faudrait faire une mer de larmes d’eau ; mais que pour avoir une juste commisération des supplices qu’elle a endurés en ce second, il faudrait pleurer jusques à faire une mer577 de sang. Or ce mal a duré 12 ans en chef, ainsi qu’elle parle, c’est-à-dire en sa force et en sa rigueur, dont elle en fut sept, sans cesser de pleurer nuit et jour, en sorte que ses deux yeux étaient deux fontaines de larmes qui ne tarissaient point du tout.

On s’étonnait d’où pouvait procéder une si grande abondance d’eaux. Durant les autres cinq ans, souvent elle fondait aussi en larmes, mais ce n’était pas si continuellement comme durant les sept premières ; mais durant les douze elle était tellement enivrée de douleurs d’angoisses et de tortures que souvent elle demeurait hors de soi-même et aliénée des sens sans savoir ce qu’elle était, ni où elle était, ni ce qu’elle faisait, quoique pourtant elle ne fît jamais rien d’extravagant ni qui fût capable de blesser ou mal édifier personne.

Ces douze ans étant écoulés, elle a encore porté les plaies de cet horrible mal ainsi qu’elle parle jusqu’au mois de juillet de l’année 1634578, c’est-à-dire dix-neuf ans et cinq mois, qui à la vérité n’ont pas été si cruelle que le mal même, mais pourtant elles n’ont délaissé579 de la faire souffrir au-delà de tout ce qui s’en peut dire. [35] Je parle de ce que j’ai vu et je puis assurer sans aucune hyperbole ni exagération que je l’ai vue beaucoup de fois dans un état si douloureux et si pitoyable, ayant un visage si baigné de larmes et jetant même des cris si véhéments que la violence des tortures lui arrachait, qu’un cœur de rocher en aurait été touché de compassion.

Voilà un abrégé des choses plus remarquables qui se sont passées en la S [œur] M [arie]. Je dis un Abrégé, car tout ce que l’on en peut dire et écrire n’est que bien peu en comparaison d’une infinité de choses merveilleuses et inouïes que la toute bonne et toute puissante main de Dieu a opérées en cette pauvre fille, sortie d’un chétif village, possédée en son corps des malins esprits, cachée, méprisée, inconnue en la terre. Contemptibilia580 eligit Deus ut confundat fortia. Confiteor tibi Domine cœli et terrae, qui absconsdisti haec a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis. Ita Pater quoniam sic placitum fuit ante te. Videte contemptores et admiramini quia opus operor ego in diebus vestris opus quod non credetis si quis ennaraverit vobis. Ac 13.581 [36]

Remarques sur les choses susdites qui font voir que c’est un ouvrage du Saint-Esprit

Quiconque regarde attentivement les choses susdites y verra clairement le doigt de Dieu et le caractère de son divin Esprit et que c’est un ouvrage de sa main toute puissante, car il en porte toutes les véritables marques ; si vous les désirez voir manifestement, ouvrez les yeux, et :

1. Remarquez que cette créature a été prévenue dès sa plus tendre enfance des plus rares bénédictions du ciel ; que Dieu l’a instruite et conduite lui-même, qu’il lui a imprimé dès lors qu’elle a eu l’usage de raison une grande haine du péché et un amour très particulier pour la divine volonté, un désir très fort de la suivre en tout et par tout, et une affection très particulière pour toutes les vertus chrétiennes qu’elle a pratiquées en un haut degré dès ce temps-là, en âge auquel elle n’avait ni instruction ni exemple qui la poussât à cela et dans un lieu qui était pour lors plein de corruption et d’abominations que les vices les plus exécrables y régnaient publiquement et impunément. Que l’Esprit de Dieu lui a imprimé aussi dès son enfance un amour tout extraordinaire pour la chasteté et lui a inspiré le désir de la conserver parfaitement en toute sa vie, qu’il l’a prise en sa protection spéciale sur ce sujet et qu’il l’a délivrée miraculeusement de plusieurs précipices et éloignée d’ordures et du péché dans lequel elle serait tombée infailliblement.

2. Remarquez que lorsqu’elle sut assurément qu’elle était possédée, elle accepta de bon cœur cet état de souffrance et d’humiliation, comme ayant été choisi et lui ayant été donné de Dieu comme le moyen le plus propre pour son salut, qu’elle prit résolution d’obéir [37] exactement à tout ce qu’on lui ordonnait dans les exorcismes, ce qu’elle a toujours exécuté très fidèlement, et qu’elle aima tellement cette condition très pénible et très contemptible582 de possédée, qu’elle ne voudrait pas la changer avec la plus glorieuse dignité du monde.

3. Remarquez que la cause pour laquelle elle a été horriblement travaillée cinq ans durant, par les sortilèges que les sorciers lui jetaient tous les jours, a été la charité et la compassion qu’elle a eues pour plusieurs pauvres filles qu’elle voyait se perdre par ce moyen diabolique, laquelle l’obligea de demander à N [otre] S [eigneur] qu’il permît que les sorciers jetassent sur elle tous les charmes qu’ils leur auraient donnés, afin de les en préserver, parce que disait-elle, « me voici entre les mains de l’Église qui m’en délivrera. »

4. Remarquez que le principe et la source de l’échange qui s’est fait de sa volonté avec celle de Dieu, a été583 le désir très ardent qu’elle avait de ne l’offenser jamais, et un désir très pur et très désintéressé. C’est pourquoi elle dit quelquefois dans les craintes qu’elle a d’être trompée : « Si je suis trompée et perdue, c’est le désir de renoncer entièrement au péché et à ma propre volonté, laquelle en est la racine, qui m’a jetée dans la tromperie et dans la perdition. » Mais comment584 serait-il possible que Dieu qui est si bon et qui désire tant notre salut permît qu’une âme qui ne désire autre chose en ce monde que de lui plaire et faire en tout et par tout sa sainte volonté et qui ne craint rien que de lui être désagréable par quelque péché, fût abandonnée à l’illusion et à la séduction du diable ? [38]

5. Remarquez que la manière en laquelle la S [œur] M [arie] vit la divine volonté auparavant cette échange, ce fut par une vision non pas corporelle ni imaginaire, mais purement intellectuelle, puisqu’elle ne la vit sous aucune forme ni figure, mais comme une vérité présente, ainsi qu’il a été dit, et que cette espèce de vision n’est pas sujette à illusion, ainsi que l’enseignent les docteurs qui traitent de cette matière ; et même saint Thomas dit que la vision intellectuelle est le troisième ciel où saint Paul a été ravi (2.2, q. 173, art. 3 ad. 4).

6. Remarquez qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse imprimer dans l’esprit des désirs semblables à ceux que la S [œur] M [arie] a eus, tant de n’offenser point Dieu que de souffrir pour Dieu, c’est-à-dire des désirs si purs si ardents, si fermes, si durables et si forts que la violence des tourments de l’enfer n’a point été capable de les rompre. Il n’y a ni homme, ni ange, ni diable, qui puisse donner de tels désirs ; il n’y a que Dieu seul qui puisse faire une impression si puissante comme est celle que la S [œur] M [arie] en a portée. Le diable pourrait bien mettre dans l’imagination et exciter dans les sens quelque sorte de désirs, qui même passeraient jusque dans l’esprit, au regard des objets qui seraient conformes à notre nature et qui lui pourrait donner quelque satisfaction. Mais s’il en pouvait exciter quelques-uns au regard d’un objet qui est tout à fait contraire à la nature de l’homme, comme sont les souffrances, ces désirs ne seraient qu’imaginaires, qui n’auraient point de solidité ni de vérité et qui par conséquent s’en iraient bientôt en fumée, spécialement dans l’épreuve d’une forte souffrance ; [39] ou même quand ce seraient de vrais désirs, ils ne pourraient pas néanmoins avoir de fermeté ni être de longue durée, pour trois raisons :

La première est parce que les sens et même l’esprit humain sont pénétrés et remplis jusqu’au fond de leur nature d’une très grande faiblesse, fragilité, inconstance, légèreté et mutabilité ; à raison de quoi il n’est pas au pouvoir de l’esprit malin d’y mettre rien de stable et de permanent, pour ce qu’il ne peut pas changer l’essence et la nature des choses.

La deuxième raison est pour ce que tout ce qui est violent n’a point de durée ; or ces désirs de souffrir seraient très violents et mettraient la nature en un état de très grande violence, vu qu’ils seraient entièrement contraires à toutes ses inclinations naturelles, qui la portent incessamment à fuir tout ce qui est douloureux et pénible et à rechercher ce qui lui donne de la satisfaction.

La troisième raison est pour ce qu’étant impossible que la nature puisse se porter vers un objet qui n’a point de conformité avec elle, si ce n’est par tromperie et par une fausse apparence de bien, l’esprit malin ne peut pas exciter en nous un désir de souffrir, si ce n’est en nous faisant voir par illusion et tromperie quelque bien imaginaire dans les souffrances ; mais ce désir ne pourrait pas subsister lorsqu’effectivement on se trouverait en des tourments tels que sont ceux que la S [œur] M [arie] a portés tant d’années, et qu’on n’y rencontrerait pas le bien qu’on s’imaginait y devoir trouver. [40] Et quand même l’imagination de ce faux bien persévérerait dans ces supplices, il n’y a point d’apparence de croire qu’il fût en la puissance de l’esprit malin de maintenir ni dans les sens ni dans l’esprit des désirs si purs, si ardents et si puissants de souffrir, et de souffrir585 pour ses plus grands ennemis, c’est-à-dire pour les sorciers qui l’avaient réduite en un état si étrange, et de conserver ces désirs durant tant d’années contre toutes les inclinations de la nature et parmi des tourments si atroces comme sont ceux de l’enfer. C’est pourquoi il faut nécessairement conclure qu’il n’y a que Dieu qui puisse lui avoir donné de semblables désirs.

On me dira peut-être que de porter de grandes souffrances ne vient pas toujours de Dieu, puisqu’il y a eu des hérétiques qui ont enduré le feu pour leur fausse religion, et qu’il y a eu des païens qui ont souffert de grands supplices avec beaucoup de constance. Mais je réponds à cela :

1. Que les peines que ceux-là ont portées ne sont point du tout comparable ni en quantité, ni en qualité, ni en durée à celles de la S [œur] M [arie].

2. Que ceux-là ont enduré nécessairement et par force ; mais celle-ci s’est offerte librement et de son plein gré aux tourments et les a demandés longtemps avec grande instance.

3. Que les hérétiques qui ont souffert le feu pour leur fausse religion qu’ils s’imaginaient être vraie ont prétendu souffrir pour leur salut ; mais la S [œur] M [arie] a souffert pour le salut d’autrui. Que ceux-là ont souffert des peines temporelles par la prétention qu’ils avaient d’éviter les éternelles, mais celle-ci a enduré les supplices de l’enfer pour en garantir les autres et pour en garantir ses plus grands ennemis. [41]

4. Qu’enfin il y a grande différence de souffrir avec constance et patience, et aimer, désirer et chercher les souffrances au point que la S [œur] M [arie] les a aimées, demandées et cherchées.

On pourrait bien m’alléguer plusieurs hérétiques ou païens qui ont souffert de grandes peines avec une grande constance, mais on ne pourra jamais586 faire voir une personne qui ait eu tant d’amour pour les souffrances, qui les ait tant désirées et longtemps avant qu’elles lui fussent arrivées et plusieurs années après les avoir expérimentées comme la S [œur] M [arie]. « Je suis bien certaine, dit-elle avec une grande vérité et sincérité, que les bienheureux qui sont dans le ciel ne peuvent pas plus aimer leur béatitude et qu’ils ne la pourraient pas désirer davantage s’ils ne la possédaient point et qu’ils la connussent néanmoins comme ils font, que j’ai aimé les plus horribles et extrêmes supplices et que j’ai désiré de les souffrir, tant pour être affranchie de la coulpe du péché, qu’afin de préserver mes frères des peines éternelles qui leur sont préparées dans l’enfer, comme aussi le587 détruire dans une seule âme ; car il n’y a point d’enfer que je ne souffrisse de bon cœur, afin d’obtenir de Dieu la contrition pour une seule personne qui serait dans un seul péché mortel. » [42]

Certainement quiconque considérera bien toutes ces choses sera contraint d’avouer que des désirs et des dispositions si charitables, si simples, si pures, si désintéressées si contraires à l’amour que l’homme a pour soi-même et accompagnés d’une si longue persévérance ne peuvent venir que de l’Esprit de Dieu.

7. Remarquez qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse ôter à une créature raisonnable l’usage de son esprit, de sa liberté et de sa volonté.

J’avoue que l’esprit malin par sa permission peut bien lier et occuper nos membres et nos sens et nous ôter la liberté d’agir extérieurement, mais il n’est non plus en son pouvoir d’ôter à une créature douée de raison la liberté de son esprit et de sa volonté que de détruire l’essence de l’homme.

Plusieurs autres marques qui font voir que c’est l’Esprit de Dieu qui est l’auteur de cet ouvrage

Première marque

Il y a plusieurs autres choses qui font voir clairement que c’est l’Esprit de Dieu qui est l’auteur de ce qui se passe en la S [œur] M [arie].

1. Nous n’y voyons aucun mauvais fruit, mais nous y apercevons quantité de bons, qui est la marque la plus certaine et que Notre-Seigneur nous a donnés pour discerner l’esprit de vérité d’avec l’esprit de fausseté et le bon arbre d’avec le mauvais. « Vous connaîtrez, dit N [otre] S [eigneur], l’arbre par son fruit ; un arbre mauvais ne peut porter de bon fruit, et un bon arbre ne peut point porter de mauvais fruit. »588 Nous voyons une personne en la vie de laquelle depuis 63 ans qu’elle est au monde, il ne s’est trouvé rien de répréhensible. Lorsque l’on reconnut à Coutances qu’elle était possédée, Monseigneur l’évêque de Coutances, qui était pour lors M. de Briroy589, [43] envoya des hommes prudents et intelligents dans la paroisse de Lendelin, d’où elle était née, pour faire information de sa vie et de celle de ses parents, afin de savoir si elle ou eux avaient point donné occasion590 à cette possession, et on trouva qu’elle avait mené une vie très innocente et très éloignée de tout ce qui est contraire à l’esprit du Christianisme ; outre cela je puis dire avec vérité que j’ai examiné sa vie très soigneusement ; j’ai été exprès sur le lieu de sa naissance et où elle a été élevée, j’ai vu des personnes qui ont demeuré et conversé avec elle durant qu’elle a été aux champs, qui m’ont assuré qu’on avait toujours remarqué en elle un entier éloignement des désordres et des défauts qui sont ordinaires aux personnes de son sexe et de sa condition, qu’on ne l’avait jamais vue ni dans les danses, ni dans les autres vanités et légèretés communes aux filles ; qu’elle n’avait jamais offensé ni fait déplaisir à personne, qu’elle était aimée de tous ceux qui la connaissaient, pour ce qu’elle gagnait tous les cœurs par sa grande humilité, bonté, simplicité, sincérité, obéissance, patience, charité et mansuétude. De plus j’ai connu très particulièrement ceux avec qui elle a demeuré depuis plus de quarante ans qu’elle est à Coutances, qui m’ont assuré n’avoir jamais rien vu en elle que des vertus très éminentes ; depuis tant d’années qu’elle est en cette ville, on n’a jamais vu personne soit de ses voisins, soit des autres habitants se plaindre qu’elle ait fait ou dit la moindre chose qui ait donné aucun mécontentement à personne. J’ai demeuré un carême tout entier chez M. Potier qui était reconnu de toute la ville pour un homme de Dieu, ayant aussi avec lui un autre ecclésiastique [44] nommé M. de Juganville qui a vécu et est mort en réputation de sainteté, à la garde desquels M. de Briroy, évêque de Coutances, avait commis la S [œur] M [arie]. Durant tout ce carême et en plusieurs autres occasions que j’ai encore resté chez M. Potier, quelquefois huit, quelquefois quinze jours, sans parler de plusieurs mois que j’ai séjourné à Coutances durant lesquels je voyais presque tous les jours la S [œur] M [arie], durant tout ce temps, dis-je, je l’ai considérée et étudiée très exactement en tous ses déportements591, et je n’ai jamais rien vu ni en ses actions, ni en ses paroles qui ne ressentît l’Esprit de Dieu et qui ne me laissât convaincu qu’il était impossible qu’elle ne fût conduite de la main de Dieu aussi bien dans les moindres choses que dans les plus grandes ; et l’on ne peut pas dire qu’elle agit ainsi par déguisement, car on reconnaît en elle une manière d’agir et de parler si pleine de naïveté, de candeur, de simplicité et de vérité que tous ceux qui la voient sont forcés d’avouer qu’il n’y a aucune fiction ni aucune dissimulation. Il est vrai que pendant qu’elle était dans l’enfer, les démons proféraient quelquefois par sa bouche plusieurs horribles blasphèmes, Dieu le permettant ainsi pour ce que tel est le langage de l’enfer et afin de faire voir qu’elle portait en soi l’état horrible de la damnation avec tout ce qu’il y a d’épouvantable. Mais il y a trois choses à remarquer en ceci, qui font voir que tout cela se faisait par un ordre et conduite de Dieu et sans aucune faute du côté de la S [œur] M [arie]. [45]

La première c’est qu’elle prévoyait ces blasphèmes un peu auparavant, car elle voyait venir vers elle le désespoir qui en est la source sous la figure d’un lion enragé qui venait à elle et qui entrait dans sa bouche ; et alors elle protestait à Dieu qu’elle désavouait et détestait tout ce que sa langue allait prononcer et elle le suppliait instamment de faire en sorte qu’on la lui arrachât plutôt de la bouche que de permettre qu’elle dît aucune parole qui Lui fut désagréable.

La deuxième est que ces blasphèmes lui causaient alors, et lui ont causé depuis, de très grandes peines, ce qui fait voir combien son esprit et sa volonté les avaient en horreur.

La troisième est qu’il n’a jamais été permis aux malins esprits de vomir ces blasphèmes devant les personnes qui fussent capables d’en recevoir du scandale, mais seulement devant les deux ecclésiastiques qui avaient soin d’elle, lesquels ne s’en étonnaient non plus que d’entendre un chien aboyer. Lorsqu’il venait quelqu’un dans le lieu où elle était, quand ce n’aurait été qu’un enfant, au même temps les démons cessaient de blasphémer.

Nous ne voyons donc aucun mauvais fruit dans cet arbre ; au contraire, nous en voyons toutes sortes de bons. Nous y voyons une haine du péché au plus haut degré qui se puisse penser, un amour vers Dieu le plus pur qui se puisse imaginer, une soumission nonpareille à sa très adorable volonté, une affection vers sa divine justice qui est sans exemple, une dévotion vers N [otre] S [eigneur] Jésus-Christ et vers Sa très sainte mère qui n’est point commun, un amour pour la croix et pour les souffrances qui est au-delà de tout ce qui s’en peut dire, [46] un zèle inexplicable pour le salut des âmes, une charité inconcevable vers le prochain, une dilection tendre vers ceux qui la méprisent ou humilient, une aversion sensible au regard de ceux qui témoignent avoir estime et honneur pour elle, une humilité plus parfaite qu’elle n’est décrite dans tous les livres qui traitent de cette vertu, une affection pour la pureté et une horreur de tout ce qui lui est contraire, que les paroles ne peuvent exprimer, un détachement entier de toutes les choses du monde, une abnégation totale de son propre sens, de ses intérêts, de ses inclinations et de tout ce qui est en elle, une patience invincible, une prudence vraiment chrétienne, une tempérance très rare, une force divine, une justice et une équité merveilleuse et généralement toutes les vertus en un degré très excellent.

Et en disant tout cela, je ne parle point par ouï-dire ni avec aucun excès de paroles, mais selon la pure vérité et par la connaissance certaine et par la longue expérience que j’en ai.

Nous voyons une personne par laquelle la divine bonté a converti plusieurs âmes engagées bien avant dans l’état du péché et de la damnation, ce que je sais bien assurément, et par laquelle elle a opéré des effets de grâce très particuliers en plusieurs personnes très considérables devant Dieu, de la bouche desquelles je l’ai appris. Nous voyons une personne dont les paroles sont des charbons ardents qui embrasent le cœur de ceux qui les entendent et qui leur font dire nonne cor nostrum ardens erat in nobis dum loqueretur nobis592. [47] Nous voyons une personne enfin par la bouche de laquelle l’Esprit Saint dit un très grand nombre de belles et saintes choses sous diverses figures et paraboles qui est son style et sa manière ordinaire de parler ainsi qu’il se voit dans les langages des Prophètes et dans celui de N [otre] — S [eigneur] Jésus, par lesquels il a parlé, et toutes ces choses sont conformes à l’Écriture sainte, aux sentiments et pratiques de l’Église et ne tendent qu’à porter les hommes à haïr le péché et suivre la divine volonté en tout et par tout, à aimer la croix, à rendre le bien pour le mal, à fuir l’honneur, à embrasser de bon cœur le mépris, à travailler au salut des âmes et à suivre toutes les autres maximes de l’Évangile.

Seconde marque

La seconde marque qui nous aide à reconnaître qu’il n’y a point de tromperie ni illusion en la S [œur] M [arie], c’est que Dieu lui a donné un corps d’une bonne pâte et bien composé et du meilleur tempérament qui puisse être. Il lui a donné aussi un esprit qui n’a rien de féminin, car vous n’y voyez point la faiblesse, la légèreté, l’inconstance et les autres défectuosités ordinaires aux personnes de ce sexe.

C’est un esprit clairvoyant, solide, ferme, judicieux, doué d’une grande prudence et sagesse, jointe à une très grande simplicité et sincérité. C’est ici une des choses auxquelles le très célèbre docteur Jean Gerson dit qu’il faut prendre garde, quand il est question de discerner l’esprit de fausseté d’avec l’esprit de vérité. Car d’ordinaire les illusions de l’esprit malin se rencontrent dans les personnes qui sont d’un tempérament mélancolique, d’un esprit léger et d’une imagination faible ; et quand l’Esprit de Dieu veut opérer quelque chose d’extraordinaire dans une âme, quoiqu’il n’ait que faire de nos dispositions naturelles [48] si est-ce pourtant593 qu’il a coutume de choisir des personnes de bon sens et d’un jugement ferme et solide ; et il fait cela pour des raisons que nous devons vénérer sans les vouloir pénétrer.

Tous ceux qui connaissent la S [œur] M [arie] savent qu’elle a le sens commun fort excellent, l’esprit net et pénétrant, le raisonnement fort, le jugement solide, la conduite pleine de prudence, aussi elle n’a jamais ouï ni vu à l’extérieur ni ange, ni diable, ni Jésus-Christ, ni sa S [ain] te Mère, ni aucune autre chose extraordinaire. Toutes ses visions ou révélations sont purement intellectuelles par une lumière surnaturelle infuse dans son esprit ; ou partie imaginaire ou partie intellectuelle ; car lorsqu’on lui parle par paraboles et figures, on lui met les figures dans l’imagination et594 dans l’esprit, par une lumière infuse et surnaturelle, les vérités qu’elles représentent. Lorsqu’elles sont purement intellectuelles, pour l’ordinaire elles lui font une impression si forte, si divine et si lumineuse, qu’il lui est impossible de les oublier, ni de douter qu’elles soient d’autre que de Dieu ; mais lorsqu’elles sont d’une autre sorte, pendant que Dieu parle ou qu’il lui fait voir quelque chose, elle est dans une grande certitude que c’est Lui ; mais sitôt que cela est passé, elle perd cette assurance et demeure dans la crainte d’être trompée.

Sainte Thérèse écrit dans ses livres que ces mêmes choses se passaient en elle de cette sorte.

Ce qui est admirable en la S [œur] M [arie] c’est que d’un côté il y ait de certaines choses qui se sont passées en elle desquelles il lui est impossible de douter, non pas même au milieu des plus grandes craintes qu’elle a d’être trompée [49] et que d’autres côtés il lui soit aussi impossible de croire toutes les autres, sitôt qu’elles sont passées, quoiqu’elle soit bien certaine qu’il n’y a qu’un seul et même Esprit qui dicte et opère les unes et les autres ; ceci, dis-je, est admirable, car comment est-ce que l’impossibilité de ne croire pas et l’impossibilité de croire en un même Esprit peuvent compatir ensemble ? Certainement si on examine bien ceci on trouvera qu’il n’est pas au pouvoir de l’esprit malin de faire des impressions si fortes et si ineffaçables dans l’esprit humain, et spécialement d’y mettre une impossibilité de croire telle qu’elle est en la S [œur] M [arie] ; car elle est si forte que quand tous les anges et tous les saints du Ciel et tous les docteurs de la terre emploieraient, agissant chacun en leur particulier, toutes les forces de leur esprit et qu’ils lui apporteraient des démonstrations et des preuves infaillibles pour lui persuader que ces choses sont de Dieu et pour vaincre cette impossibilité qu’elle a de croire, ils ne le pourraient pas faire, s’ils lui parlaient comme esprits particuliers. « Bien davantage, dit-elle, quand ils feraient des miracles en ma présence jusqu’à ressusciter des morts pour me faire croire, ils n’en viendraient pas à bout ; je leur dirais : “Vous dites bien et vous faites merveille, mais ôtez-moi l’impuissance, l’incapacité et l’impossibilité que j’ai de croire à ce sujet à des esprits particuliers comme vous êtes ; et donnez-moi le moyen et le pouvoir de le faire et je le ferai. Je dis : à des esprits particuliers ; car si c’était l’Église qui m’assurât je la croirais aussi facilement, comme il m’est difficile, voire impossible, de vous croire ». »

Certainement il faut conclure là-dessus qu’il n’y a que la main de Dieu qui puisse mettre en cette âme cette impossibilité de créance afin de la tenir toujours dans l’humilité et dans la souffrance [50] qui est la voie par laquelle Dieu la fait marcher, car si elle pouvait croire que toutes ces choses fussent de Lui, elle serait assurée de Lui être agréable, « et si j’étais certaine, dit-elle, d’être agréable à Dieu, tous les supplices imaginables me seraient des délices plus grandes que toutes les consolations qu’il me pourrait donner. » De là vient que N [otre] S [eigneur] lui a dit plusieurs fois que croire et souffrir sont deux choses incompatibles en elle.

Troisième marque

De cette impossibilité de croire, qui est en la Sœur Marie au regard des choses qui se passent en elle, procèdent les grandes frayeurs qu’elle a d’être trompée, qui à la vérité sont depuis peu tellement diminuées qu’elle les qualifie maintenant du nom de crainte seulement et non plus de celui de frayeur ; mais elles ont été si fortes l’espace de 40 ans qu’elle assure que c’étaient « des frayeurs qui glaçaient le sang dans ses veines et qui sapaient la racine de sa vie », ce sont ses propres termes. Or les théologiens mystiques nous assurent que cette crainte dans une personne qui marche par une voie extraordinaire est une marque bien certaine que c’est l’Esprit de Dieu qui la conduit. Ça été cette crainte qui a porté la S [œur] M [arie] à faire cette prière à N [otre] S [eigneur] un grand nombre de fois depuis plus de trente ans avec abondance de larmes, le suppliant et le conjurant par son infinie miséricorde, par sa sainte passion et par tout ce qu’il y a de saint et de sacré au ciel et en la terre, de lui accorder ce qu’elle Lui demandait en cette façon : « Je suis Votre créature, ayez pitié de moi, je suis l’ouvrage de vos mains, ne permettez que votre ennemi m’ôte maintenant l’usage des membres du corps et des puissances de l’âme que Vous m’avez donnés. [51] Je Vous demande l’usage de ma langue ou de mon esprit un moment de temps, seulement pour prononcer vocalement ou du moins adorer mentalement votre Saint Nom, en témoignage que les choses qui m’arrivent ou quelques-unes d’entre elles sont des illusions et tromperies. Je Vous promets que je le croirai comme article de foi. » Elle s’étudiait à faire cette prière très secrètement la faisant non pas de bouche, mais dans la suprême partie de son esprit, de peur que l’esprit malin n’en eût connaissance ; et même pendant qu’elle la faisait ainsi en son intérieur, elle faisait quelque action et chantait des hymnes à l’extérieur qui n’avaient aucun rapport ni conformité avec le sujet de sa prière pour la mieux cacher au démon. Cependant après avoir ainsi prié, il ne lui a jamais été possible de prononcer ni adorer le Saint Nom de Jésus, soit de bouche, soit en esprit, pour la fin pour laquelle elle demandait qu’il lui fût permis de le faire. Mais pour le contraire, c’est-à-dire pour témoigner que toutes les choses extraordinaires qui se font en elle sont de l’Esprit de Dieu, il lui était très facile, non seulement de prononcer de bouche et adorer mentalement ce divin nom, mais aussi de réciter les choses plus saintes qui soient dans l’Église, comme le Pater, l’Ave, le Credo, le Gloria in excelsis, le Magnificat, le Te Deum laudamus, tous les hymnes et tous les Psaumes. Or qui est-ce, je vous prie, qui pourrait lier je ne dis pas sa langue seulement, mais même son esprit, de telle sorte que nonobstant tous les efforts qu’elle faisait, il lui était impossible de prononcer ni de bouche ni d’esprit ce divin Nom ? qui est-ce, dis-je, qui pouvait faire cela sinon Dieu seul ? Car si c’était l’esprit malin, il faudrait qu’il eût connu la prière qu’elle faisait [52] et comment est-ce qu’il aurait pu avoir connaissance d’une prière si secrète ? Et quand il l’aurait eue, comment pourrait-il ôter à une créature raisonnable et libre l’usage de la plus noble faculté de son âme pour l’empêcher de prononcer et adorer en esprit le saint nom de Jésus ? Mais quand, par impossible, il aurait cette puissance, quelle apparence de croire que Dieu lui permît de la mettre en effet dans une telle occasion ? Ne serait-ce pas déroger à son immense bonté et faire une injure à son incompréhensible miséricorde, de se persuader qu’un Dieu qui a tant d’amour pour ses créatures, un Dieu qui a donné son sang et sa vie pour le salut de tous les hommes, un Dieu qui a dit : « Demandez et vous recevrez, frappez et on vous ouvrira, cherchez et vous trouverez595 ! » voulût toujours rejeter une prière qui Lui est faite par une sienne créature et par une chrétienne qui s’est donnée à Lui dès son enfance, qui a gardé fidèlement les promesses qu’elle Lui a faites en son baptême, qui n’a jamais rien haï que le péché, ni rien aimé que Sa très adorable volonté, qui s’est offerte à souffrir pour l’amour de Lui et pour le salut des âmes qui Lui sont chères tant d’horribles tourments ; et une prière faite avec tant de larmes et avec une si longue persévérance, et faite dans un sujet si nécessaire et si important, et pour obtenir une chose si sainte, et qui semble être due naturellement et essentiellement à la créature raisonnable : savoir la liberté d’user pour un moment des membres de son corps ou des puissances de son âme [53] que son Créateur lui a donnés et qu’il lui a donnés avec pouvoir d’en user avec une pleine liberté, laquelle n’est jamais ôtée en ce monde, non pas même au regard des choses les plus mauvaises, ni aux hommes les plus méchants, quelque engagement qu’ils puissent avoir à l’esprit malin et quoiqu’ils soient ses esclaves, pour obtenir dis-je cette liberté, afin de faire une chose qui est sainte et si agréable à Dieu et à tous les habitants du ciel, c’est-à-dire afin de prononcer de bouche ou pour adorer de cœur le très doux et très sacré nom de Jésus. Oui certainement ce serait faire tort à la charité infinie de Dieu et à la vérité et fidélité de ses paroles, et de ses promesses par lesquelles il nous donne assurance de nous accorder ce que nous lui demandons. C’est pourquoi il faut conclure que lorsque la S [œur] M [arie] faisait cette prière, c’était Dieu qui liait sa langue et son esprit, ce qui l’empêchait de prononcer en aucune façon ce très aimable Nom, ne voulant et ne pouvant pas souffrir que le plus beau nom de celui qui est la vérité éternelle fût prononcé pour attester ce qui n’était pas véritable, à savoir que les choses qui se passaient en cette personne fussent des faussetés et tromperies.

Quatrième marque

Je renferme trois choses dans cette quatrième marque. La première c’est le don des miracles, car je suis témoin oculaire de plusieurs miracles très évidents que Dieu a faits pour la S [œur] M [arie] et qui seront écrits en leur temps. [54]

La 2e c’est l’esprit de prophétie que Dieu lui a donné, par lequel elle a prédit quantité de choses à venir, dont les unes dépendaient de Dieu seul, les autres de la liberté des hommes, lesquelles sont arrivées ainsi qu’elle l’avait dit. Ça été par ce même esprit qu’elle a connu un grand nombre de fois des pensées d’autrui très secrètes et qui ne pouvaient être sues que de Dieu, et l’état des consciences dont j’ai plusieurs certitudes et expériences très assurées, qui seront décrites quand le temps en sera venu. Je dirai seulement maintenant que j’ai connu un grand nombre de personnes qui avaient des révélations et autres choses extraordinaires desquelles, quand j’ai parlé à la Sœur Marie, elle a connu tout aussitôt par la divine lumière dont elle est remplie que c’étaient des illusions du diable, ce qui s’est toujours trouvé véritable par après.

La 3e est le sentiment et jugement de plusieurs grands personnages et célèbres docteurs jusqu’au nombre de douze, dont ceux qui sont encore en vie ne veulent pas être nommés, lesquels après avoir sérieusement examiné ces choses, ont tous conclu qu’il était impossible qu’elles eussent une autre source que le St-Esprit. Entre ceux-ci, il y en a quatre qui sont décédés, dont le premier est le R.P. Coton, de qui le mérite, l’esprit, la science, la piété, la prudence et l’expérience sont assez connus à toute la France. Le deuxième est M. Le Pileur dont le jugement est de grand poids, premièrement pour ce qu’il était supérieur, tenant la place de l’évêque en qualité de grand-vicaire, à raison de quoi il avait lumière et grâce pour la conduite de cette âme. [65] Secondement, c’était un homme d’excellent esprit, de grande science, de vertu rare, de jugement solide et de prudence non commune. Tiercement pour ce qu’il avait examiné très soigneusement et très sévèrement cette affaire durant plusieurs années étant sur le lieu ; et après avoir beaucoup prié Dieu pour Lui demander son secours, et avoir étudié tous les livres qui traitent de semblables matières pour en tirer éclaircissement, ensuite de quoi il voyait si clairement le doigt de Dieu dans cet ouvrage, qu’il me dit un jour qu’il croyait faire un péché mortel s’il l’attribuait à d’autre qu’à Lui.

Cinquième marque qui en contient un grand nombre d’autres596.

Si l’esprit malin était l’auteur de ce qui se passe et de ce qui se dit en la S [œur] M [arie], il s’ensuivrait de là qu’il la posséderait non seulement selon le corps, mais aussi selon l’esprit. Or, si cela était, il ne serait pas possible que depuis plus de quarante ans qu’elle aurait été ainsi en sa possession, il n’eût fait paraître quelque chose de ce qu’il est, et qu’on ne vit en cette fille des marques sensibles d’une si longue demeure et domination d’un tel hôte et d’un tel maître et qu’on n’y aperçût des fruits d’un arbre si funeste. Car quoique par sa ruse il se déguise quelquefois et se transfigure en ange de lumière afin de mieux tromper, il ne pourrait pas néanmoins cacher si longtemps, pour ce qu’étant possédé comme il est de la malice, tyrannisé par le péché auquel il est asservi comme un esclave, enivré de la haine extrême qu’il a contre Dieu et contre ses créatures [56] et toujours forcené et transporté de rage comme un frénétique et comme un furieux, il ne peut pas s’empêcher de faire mal et de se manifester bientôt là où il est, soit en soufflant quelque doctrine empoisonnée ou d’hérésie pour faire mourir la foi, ou de corruption pour dépraver les mœurs, soit en communiquant les qualités diaboliques, c’est-à-dire son orgueil, son arrogance, son envie, sa désobéissance : joint que597 la bonté infinie de Dieu vers sa créature ne permet pas que ce serpent infernal soit longtemps en un lieu sans qu’on y aperçoive ses cornes ou ses griffes, lorsqu’on y fait tant soit peu d’attention. Or non seulement cela ne se voit point dans la S [œur] M [arie], quelque diligence qu’on puisse apporter pour y prendre garde, mais au contraire on y trouve toutes les marques de l’agneau immaculé qui est venu au monde pour écraser le dragon.

En voici sept, que Lui-même enseigne à sainte Brigitte, en suite de quoi il lui en proposa sept autres, par lesquelles on peut connaître son ennemi, ainsi qu’il est rapporté au chap. 23 du livre 4 de ses Révélations, qui ont été approuvées par un concile de l’Église. « Vous pourrez, dit N [otre] S [eigneur] à Ste Brigitte, discerner l’esprit immonde de l’Esprit Saint par 7 choses :

1. L’Esprit de Dieu fait que l’homme méprise l’honneur du monde et ne l’affectionne non plus dans son cœur que du vent.

2. L’âme aime chèrement Dieu, et les délectations de la chair se refroidissent en elle. [57]

3. Il lui inspire la patience ès adversités, et à se glorifier en Dieu seul.

4. Il excite la volonté à la charité et compassion du prochain, et même de ses ennemis.

5. Il lui inspire la chasteté entière, voire l’abstinence de ce qui est licite.

6. Il la fait confier en Dieu, dans toutes ses tribulations et se glorifier en elles.

7. Il lui donne un désir de vouloir mourir et être plutôt avec Jésus-Christ que de demeurer au monde en prospérité avec danger de s’y salir.

Au contraire l’esprit malin fait 7 autres choses :

1. Il rend le monde doux et dégoûte du Ciel.

2. Il fait désirer les honneurs.

3. Il excite la haine dans le cœur et l’impatience.

4. Il fait que l’homme est audacieux contre Dieu, opiniâtre et aheurté [note ?] aux pensées de son Esprit.

5. Il rend les péchés petits et les excuse en se justifiant.

6. Il suggère l’inconstance de l’esprit et l’impureté de la chair.

7. Il fait croire que l’on vivra longtemps et excite la honte de confesser ses fautes. »

Or il est très évident à tous ceux qui connaissent la S [œur] M [arie] que toutes les sept premières choses se voient en elle très clairement et en un degré bien plus haut qu’elles ne sont pas ici exprimées, et qu’il ne s’y rencontre rien du tout des sept dernières ; je ne m’arrêterai pas à faire voir cela par le détail, étant assez visible à quiconque aura des yeux. Je dirai seulement sur la cinquième et septième des sept choses dernières que tant s’en faut qu’elle fasse les péchés petits, [58] qu’elle les excuse en se justifiant, et qu’elle ait honte de confesser ses fautes ; qu’au contraire elle meurt de frayeur à la vue de la seule ombre du péché, elle a des craintes extrêmes d’avoir fait des fautes où elle a exercé des vertus très héroïques, et qu’elle assure dans sa naïveté ordinaire que si Dieu avait permis qu’elle fût tombée en quelque crime, pour énorme qu’il fût, elle serait prête à le confesser publiquement par toutes les rues et carrefours de la ville au son du tambour et de la trompette, afin d’en faire amende honorable à Dieu en la face du ciel et de la terre. Voyez si c’est un bon ou mauvais esprit qui donne ces dispositions.

Enfin l’esprit qui conduit la S [œur] M [arie] c’est un esprit de respect, d’amour, de soumission et de dévotion au regard de Dieu et de tous ses divins attributs, spécialement de sa très adorable volonté et de sa divine Justice ; au regard de Jésus-Christ et de tous ses Saints mystères, particulièrement de sa Sainte Passion et du très Saint Sacrement ; au regard de la bienheureuse Vierge et singulièrement de son Saint Rosaire qui contient toute sa vie et celle de son Fils ; au regard de tous les anges et de tous les saints, spécialement de saint Gabriel, de saint Joseph, de saint Joachim, de sainte Anne, de saint Jean Baptiste, de saint Jean l’Évangéliste, de saint Pierre, de saint Paul, des saints martyrs, des saintes vierges ; au regard des sacrées reliques des saints qu’elle révère merveilleusement et qu’elle veut être traitées avec grand honneur, s’affligeant extrêmement lorsqu’elle les voit traitées avec moins de respect qu’il ne faut. C’est un esprit plein d’estime, de vénération, d’obéissance et de zèle au regard de l’Église, au regard de tous ses sacrements et mystères, au regard de ses fêtes et solennités, au regard de tous ses officiers et fonctions, au regard de toutes ses lois, cérémonies et pratiques, au regard de la prédication de la Parole de Dieu, au regard de tous les prêtres et spécialement des évêques, au regard des temples et lieux saints, sur lesquels elle pleure amèrement quand elle les voit profanés comme ils le sont aujourd’hui par les irrévérences et impiétés des mauvais chrétiens, enfin au regard des plus petites choses qui soient en l’Église.

C’est un esprit plein de charité vers le prochain, qui ne veut jamais incommoder personne, qui aime merveilleusement la paix et la concorde, qui ne peut souffrir aucune division ni trouble entre ses frères et ses sœurs, qui emploie toute sorte de diligence et d’industrie pour maintenir la charité entre eux ou pour la réparer si elle est détruite ou altérée.

C’est un esprit reconnaissant des moindres bienfaits ou témoignages de la charité qu’on lui rend.

C’est un esprit qui aime la pauvreté et la simplicité en toutes choses. C’est un esprit très libéral, et qui dans sa pauvreté qui est très grande, non seulement ne demande jamais rien à personne et refuse bien souvent les choses qu’on lui offre ; mais qui est toujours prêt de donner ce qu’il a, n’ayant attache à rien, particulièrement quand les autres en ont besoin. Car lorsque cette bonne fille s’aperçoit que quelqu’une des autres filles avec qui elle demeure a besoin de quelque chose et qu’elle l’a, tout aussitôt c’est une chose qui lui nuit et qui l’incommode, lui dit-elle, afin de l’obliger de la prendre, tant elle est dégagée de ses intérêts et de ses propres commodités, et tant elle désire de procurer celles d’autrui.

C’est un esprit qui aime la vérité et la fidélité dans ses paroles et dans ses promesses au-delà de tout ce qui se peut dire et qui abhorre le mensonge, la duplicité, l’infidélité et le déguisement, plus qu’on ne peut penser.

C’est un esprit enfin si plein de mépris et de haine au regard de soi-même qu’il n’y a point de paroles qui le puisse exprimer. Je lui ai ouï-dire plus d’une fois qu’elle a été longtemps dans un grand désir de revenir en ce monde après sa mort, afin de prendre son corps et de le jeter à la voirie, pour y être déchiré et mangé par les chiens, les loups et les corbeaux, ou bien dans le plus sale cloaque qu’elle pourrait trouver. Il me serait très facile d’apporter des preuves certaines de toutes ces vérités que j’ai couchées sur ce papier sans aucun excès de paroles ; mais on les produira quand il sera convenable. Après cela, jugez s’il est possible que l’esprit malin compatisse avec ces choses, et s’il se peut rencontrer un plus grand nombre de marques et de marques visibles, plus solides et plus infaillibles que celles-ci, de la présence et du règne de Dieu dans une âme.

Éclaircissement des difficultés

Première difficulté : c’est une possédée. Réponse

[61] C’est une chose indubitable que S [œur] M [arie] est possédée corporellement d’un grand nombre de malins esprits, ainsi qu’il a été montré ci-devant, mais il y a six choses à dire sur ce sujet, qui font voir que non seulement elle n’est pas criminelle pour être affligée en cette façon et qu’on n’en peut tirer aucune conséquence qui lui soit préjudiciable, mais qu’au contraire cette possession lui est avantageuse, car

1. Notre Seigneur qui est le Saint des Saints a bien voulu permettre à Satan de Le toucher, de Le prendre, s’il faut ainsi dire, entre ses mains, de Le porter et transporter d’un lieu en un autre, et il s’est assujetti pour l’amour de nous à la puissance des ténèbres, c’est-à-dire des démons au temps de sa passion, selon ces siennes paroles : Haec est hora vestra et potestas tenebrarum598. Et n’a-t-on pas vu des enfants après le baptême et dans l’état d’innocence possédés de l’esprit malin ? N’y a-t-il pas eu des saints faisant des miracles et chassant les démons des corps énergumènes, lesquels se voyant pour ce sujet attaqué de quelque tentation de vaine gloire, ont demandé à Dieu qu’il leur fît la grâce de livrer plutôt leurs corps à la puissance des démons que d’abandonner leur esprit à la vanité ? (Surius et Janu ; Sulpice, en la Vie de saint Martin)599. Ce qui leur a été accordé. De sorte qu’on en a vu un qui a mieux aimé être possédé et tourmenté du diable dans son corps que d’être en péril de consentir à une pensée de superbe.

2. La cause de la possession de la S [œur] M [arie] est l’amour extraordinaire qu’elle a pour la charité600 et le désir très grand qu’elle a de consacrer à Dieu sa virginité ainsi qu’il a été raconté ci-dessus. [62]

3. Notez que dans l’exorcisme les démons sont toujours forcés de dire la vérité, lorsqu’on leur demande non pas des choses curieuses et non nécessaires, mais celles qui appartiennent à l’état de la possession, et spécialement celles qui sont cause de leur entrée dans la personne qu’ils possèdent, et qui les empêchent d’en sortir. Or est-il que lorsqu’on a exorcisé la S [œur] M [arie] durant plusieurs années, et qu’on a commandé aux malins esprits de la quitter, ils ont toujours répondu qu’ils ne pouvaient, pour ce que Dieu ne le voulait pas. C’est ce qui fait voir qu’ils sont là par un conseil de Dieu particulier, à raison de quoi ils [se] sont adressés à lui quantité de fois, par des prières très instantes, qu’on leur a entendu faire pour demander leur congé qu’ils n’ont pourtant pu obtenir jusqu’à présent.

4. Ils ne font pas ici ce qu’ils ont coutume de faire dans les autres possédés ; car ils ne disent point d’injures ni ne font point d’outrage à personne. Il est vrai que dans les exorcismes ils ont accusé deux personnes d’être magiciens, mais c’était un ordre spécial de Dieu qui leur permit d’en accuser un pour la faire souffrir ce qu’elle a souffert à Rouen, dont il est parlé ailleurs, et l’autre pour découvrir un horrible charme qu’il lui avait jeté, et pour faire voir sa divine protection sur elle, qui l’avait délivrée de ce sortilège.

5. Les démons ne font ici aucune action déréglée ni ne disent aucune parole sale ni mauvaise ; au contraire lorsqu’il arrive que l’on dit ou que l’on fait devant la S [œur] M [arie] quelque chose qui blesse la chasteté ou la sobriété, ou la charité, ou quelque autre vertu, ils entrent en fureur [63] soit pour empêcher le mal, soit pour le punir quand il est fait, ce qui montre encore qu’ils sont là par un dessein particulier de la divine volonté.

6. S’il est permis d’en dire quelque raison par conjecture, il y a apparence qu’ils y sont pour deux fins. La première est pour cacher l’ouvrage merveilleux que la divine miséricorde fait en cette personne dans l’humiliation et dans la petitesse. C’est ce qu’Il a fait au regard de l’Incarnation, de sa naissance, de ses trente premières années de sa vie, de sa Transfiguration, de sa Résurrection et d’une infinité de choses admirables qui se sont passées en Lui et en sa très sainte Mère et en son père nourricier saint Joseph, pendant qu’ils étaient en la terre. C’est ce qu’Il fait encore aujourd’hui au regard de la très sainte Eucharistie, et de tous les autres sacrements de son Église qui cachent des trésors inestimables sous l’apparence d’un peu de pain ou d’eau, ou d’autres choses très basses et très petites.

Et c’est ici encore une des marques par lesquelles on discerne l’Esprit de Dieu d’avec l’esprit du diable, car le Saint-Esprit a en coutume de faire ses œuvres dans le silence et dans le secret, et de les cacher sous la cendre et sous la poussière de l’abjection, mais le malin esprit qui est plein de vanité et d’orgueil tympanise et publie tout ce qui sort de sa boutique, voulant qu’il paraisse et qu’il éclate devant les hommes. Or, l’on ne voit rien ici de semblable ; au contraire Dieu a tellement caché son ouvrage sous l’état et la condition très vile d’une pauvre fille possédée, que l’on a601 toujours attribué à cette possession toutes les choses extraordinaires qui lui sont arrivées, [64] et dont il a paru quelque chose au-dehors, comme les tourments de l’enfer et du mal de 12 ans, et la privation de communion durant 33 ans environ.

C’est ce qui fait que depuis plus de 40 ans qu’elle est à Coutances, excepté les supérieurs et ceux qui en ont la charge, à peine y a-t-il deux personnes dans la ville qui aient quelque connaissance des choses merveilleuses qui se passent en elle ; encore n’est-ce que depuis un an. Aussi elle a entendu N [otre] S [eigneur] disant : « J’ai bien caché mon trésor, je l’ai mis dans l’étable à pourceaux. » Cette étable, c’est elle, les pourceaux sont les démons. Il ne faut pas s’étonner s’il lui dit de telles choses qui sont avantageuses pour elle, car premièrement elle ne croit point ce qu’on lui dit de favorable pour elle. Secondement l’humilité et le mépris de soi-même la remplissent et la possèdent tellement qu’il n’y reste aucune place pour la vanité. Tiercement n’entendez-vous pas le Fils de Dieu qui parle si avantageusement de saint Jean Baptiste, de saint Pierre, de Nathanaël et du Centurion, parce que ses paroles ne portent pas en elles le poison de vanité comme font celles des hommes, mais la grâce de l’humilité.

La seconde fin pour laquelle on peut croire que les démons sont dans cette bonne fille, c’est non seulement pour cacher l’œuvre de Dieu, mais aussi pour y coopérer par les maux qu’ils lui font endurer, l’aidant par ce moyen à s’avancer dans la voie que Dieu lui a choisie, qui est une voie de souffrances. [65] Car outre les peines ordinaires de la passion602 qui sont grandes, les démons l’ont souffletée et battue cruellement plusieurs fois, se servant de ses mains et de ses poings à cet effet. Et néanmoins elle en fait aussi peu d’état que de mouches et ne les craint point du tout ; au contraire elle les a défiés et provoqués plusieurs fois, leur parlant à tous en cette façon : « Est-ce là tout ce que tu peux faire ? Tu n’as pas grande force, vois-tu ; me voilà, je ne crains point, fait du pire que tu pourras ; n’attends pas que Dieu te commande de me frapper, c’est assez qu’il te le permette ; garde-toi bien d’omettre la moindre des peines qu’il te permettra de me faire endurer. Car je le prie de tout mon cœur que toute son ire tombe sur toi et qu’il redouble tous ses supplices si tu en laisses la moindre partie ; mais prends bien garde à ce que tu fais, je ne suis qu’une misérable fourmi et tu es un grand lion ; quand le lion vaincrait la fourmi, on se moquerait encore de lui de s’être armé pour combattre une chétive fourmi ; mais si la fourmi surmonte le lion, comme elle fera assurément, car elle est appuyée sur la grâce de son Dieu, la confusion t’en demeureras éternellement sur le front. »

Seconde difficulté avec sa réponse.

Si quelques-uns se trouvent choqués d’abord de l’échange qui s’est fait en la S [œur] M [arie] de sa volonté avec celle de Dieu, qu’ils considèrent [66] :

Que le motif qui l’a obligée de le faire est très saint et très louable, à savoir ce désir extrême de n’offenser jamais Dieu, tel qu’il est écrit ci-devant.

Qu’elle a été excitée et confirmée de plus en plus à demander cet échange par l’exemple et par la doctrine du R. P. Coton ainsi qu’il a été rapporté.

Que dans cette occasion elle a vu si clairement et si certainement la divine volonté qu’il lui a été impossible de douter que ce fût Elle.

Que l’Esprit de Dieu l’a poussée si fortement à cela qu’elle n’a pas pu y résister.

Que cet échange n’est pas physique ou naturelle, mais morale ou spirituelle ; je veux dire que la volonté de la S [œur] M [arie] n’a pas été détruite en sa nature et en son essence, mais en ses fonctions et en sa conduite, c’est-à-dire qu’elle est morte et anéantie en son usage, et qu’elle est possédée, animée et dirigée par la divine volonté, qui en est comme son âme et sa vie, de sorte qu’elle n’a point de mouvement ni d’action que par elle.

Que l’état où la S [œur] M [arie] est entrée par cet échange n’est autre chose sinon la perfection de l’état du christianisme. N’est-ce pas ce que la loi évangélique nous prêche, quand elle nous dit qu’il faut renoncer à nous-mêmes pour suivre Jésus-Christ, nous perdre en nous-mêmes pour nous trouver en Dieu, mourir à nous-mêmes pour vivre avec Jésus-Christ, en Dieu et pour Dieu ; nous dépouiller du vieil homme pour nous revêtir du nouveau, porter en nous la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous ? N’est-ce pas ce que saint Paul annonce (2 Cors 3) quand il dit que nous sommes transformés en une même image avec le Seigneur, (c’est-à-dire que nous prenons en une certaine et admirable manière la forme du Seigneur) de clarté en clarté, par l’Esprit du Seigneur603? [67] Cela se faisant peu à peu et de degré en degré par la vertu du Saint — Esprit, et c’est cette déification de laquelle parlent tant tous les théologiens mystiques, exprimée aussi dans ces paroles de saint Pierre (2 Pets 1) qui nous assure que nous, divinae consortes naturae604, participons, associés, consorts, de la nature divine ; n’est-ce pas aussi ce que N [otre] S [eigneur] a commandé de demander à Dieu son Père par cette prière, Fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra605 ? Là où toutes les volontés des Anges et des Saints sont entièrement anéanties dans leurs usages et dans leurs fonctions ; n’ayant aucun mouvement que celui qui leur est donné par la volonté divine, laquelle est vivante et régnante si parfaitement en eux qu’ils sont heureusement nécessités de la suivre en tout et par tout, sans aucun intérêt néanmoins de leur liberté qu’ils possèdent beaucoup plus excellemment, au milieu de cette sainte nécessité qu’ils ne faisaient pas lorsqu’ils étaient en ce monde.

Or pourquoi est-ce que N [otre] S [eigneur] nous oblige de prier son Père qu’il nous fasse cette faveur que nous fassions sa volonté en la terre ainsi qu’elle est faite au ciel, si ce n’est que nous devons commencer à faire dès maintenant en ceci ce que nous aurons à faire dans le Paradis à toute l’Éternité ? Et par conséquent que nous devons tendre à cet état d’anéantissement de notre volonté et de l’établissement de celle de Dieu en nous, lequel, quoiqu’il ne puisse pas être si parfait en la terre comme il est au ciel, doit néanmoins imiter celui du Ciel autant qu’il est possible. C’est pourquoi il n’y a point eu de saints ici-bas qui n’aient tendu à ce même état qui est proposé à tous les chrétiens, mais pour ce qu’il a divers degrés, les uns montent plus haut, les autres demeurent plus bas, et il y en a très peu qui arrivent aux derniers degrés. [68] C’est l’état où était saint Paul quand il disait : « Je vis, non plus moi, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi606. » C’est l’état où était aussi sainte Catherine de Sienne et sainte Catherine de Gênes, chacune au degré que Dieu connaît, car nous lisons dans la vie de la première décrite par le P. Jean de Sainte-Marie, de l’ordre de saint Dominique (partie 1, lib. 2, cap. 15-16) qu’après avoir longtemps prié N [otre] S [eigneur] de lui ôter son cœur et de lui donner le sien, il lui apparut, fit une ouverture au côté, lui tira le cœur et mit le sien en sa place, disant : « Ma chère fille, je t’ai ôté ton cœur et je t’ai donné le mien en échange par lequel tu vivras désormais ». Et afin que personne n’en pût douter, la cicatrice de l’ouverture demeura au côté de Sainte Catherine.

« Un jour, dit cette sainte, ainsi qu’il est écrit dans sa vie, après avoir communié, je fis prière à Dieu qu’il lui plût me priver de toute sorte de consolation et de ma propre volonté pour Lui être plus agréable, et j’entends alors une voix qui me dit : “Voici ma fille que je prends ta volonté et te donne la mienne de laquelle jamais tu ne te sépareras quoiqu’il t’arrive.” »

Nous trouvons aussi dans le 5e livre607 du dialogue de sainte Catherine de Gênes au chapitre 12 ces paroles : « Elle mit toute sa confiance en Dieu son amour et lui dit : “Seigneur, je Vous fais un présent de moi-même, je voudrais bien faire un échange avec vous et Vous donner mon être malin entre les mains [69] pour ce que Vous seul le pouvez cacher et engloutir en votre bonté, et me régler en telle sorte qu’on ne voie plus aucune chose de moi-même, et que Vous me donnassiez l’occupation de votre pur amour, lequel éteigne en moi tout autre amour et me fasse tout anéantie en vous.” À quoi Notre-Seigneur répondit qu’il en était content. Ensuite de quoi elle demeura dénuée de toute chose, et toute transformée et transportée hors de soi-même. »

Et au chapitre 5 du livre de sa vie nous lisons ces paroles : « Dieu avait pris une entière possession de son âme et s’était emparé de son cœur, de sa volonté et de toutes ses autres puissances, et avait tout transformé en soi par une vraie union, et pour ce c’était Lui qui réglait et conduisait tous ses mouvements. »

Et au chapitre 17 : « Depuis que Dieu l’eut touchée et convertie, elle ne fit jamais sa propre volonté, mais était toujours en son intérieur attentive au vouloir de Dieu, qu’elle se sentait avoir imprimé en son âme, et avec telle confiance qu’elle disait quelquefois à Dieu : “J’ai cette confiance en Vous, qu’en tout ce que je penserai, dirai et ferai, Vous ne me laisserez point faillir.” » Voilà ce qui est rapporté de ces deux saintes par plusieurs grands hommes qui les ont connues et qui ont écrit leur vie.

Quiconque considérera bien ces choses verra une grande conformité en ce point entre ces deux épouses de Jésus-Christ et la S [œur] M [arie], et ne s’étonnera pas de la faveur qu’il a faite à celle-ci aussi bien qu’a celles-là [70] lorsqu’il a pris sa volonté et qu’il lui a donné la sienne, vu que les mêmes preuves que l’on peut apporter pour montrer que celles-là étaient conduites par l’Esprit de Dieu se rencontrent en celle-ci, et en un très haut degré ainsi que nous l’avons vu ci-devant, et que l’état dans lequel elle est entrée par cet échange ne porte aucune chose que la perfection de la vie chrétienne à laquelle tous les chrétiens doivent aspirer chacun selon le dessein de Dieu et selon la mesure de la grâce de Jésus-Christ sur eux.

Troisième difficulté

L’on peut objecter que la S [œur] M [arie] n’a point pris avis ni conduite de personne lorsqu’elle a fait la susdite échange. Pour répondre à cette objection il ya plusieurs choses à dire.

1. Il est certain qu’il y a plusieurs âmes dont l’Esprit de Dieu veut être lui-même le directeur, et que nous avons l’exemple de quantité de grands saints qui même en des choses très extraordinaires et où il y avait grand sujet de craindre les illusions et les surprises, soit de l’esprit malin soit de leur propre esprit, n’ont point pourtant suivi d’autre conduite que celle de Dieu. Témoins tous les saints Patriarches, tous les saints Prophètes, tous les saints Apôtres et plusieurs autres saints et saintes. Qui me dira quels étaient les directeurs d’Énoch, d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Joseph dans l’Égypte, de Moïse sur la montagne de Sinaï, de saint Jean Baptiste dans le désert, de saint Jean l’Évangéliste dans l’île de Pathmos, [71] et de tous les autres apôtres dans les fonctions de leur apostolat, de sainte Madeleine dans sa grotte, de saint Paul Ermite dans sa caverne, de sainte Marie Égyptienne dans les déserts, de saint Siméon Stylite sur sa colonne et de tant d’autres ?

De qui est-ce qu’Élie prit congé quand il jeûna quatre608 jours sans boire ni manger et lorsqu’il consentit au ravissement que Dieu voulait faire de lui, duquel il eut connaissance quelque temps auparavant, ainsi qu’il est facile de le voir dans l’Écriture sainte ? Quel directeur Abraham consulta lorsque Dieu lui eut révélé qu’il voulait qu’il égorgeât son propre fils pour Lui en faire un sacrifice ? De qui est-ce que la bienheureuse Vierge (sans faire néanmoins comparaison de cette incomparable princesse avec qui que ce soit, sinon comme il est permis de comparer les choses grandes aux petites) de qui est-ce, dis-je, qu’elle prit conduite lorsque l’ange Lui annonça qu’elle était choisie de Dieu pour concevoir et enfanter le Sauveur du monde ? à qui est-ce que N [otre] S [eigneur] envoya saint François pour demander avis s’il devait consentir à une chose si inouïe comme l’était l’impression de ses sacrées plaies ? à qui est-ce qu’il envoya sainte Catherine de Gênes lorsqu’elle fit la même échange, ainsi qu’il a été dit ? Puisque celui qui a écrit sa vie nous assure au ch. 44 que pour lors [72] elle était conduite et enseignée intérieurement de Dieu seul par sa divine et intérieure parole de tout ce qui lui était nécessaire sans moyen d’aucune créature religieuse ou séculière ; et que quelqu’un lui ayant dit que pour sa plus grande sûreté elle ferait bien de se soumettre à l’obédience d’autrui, et qu’étant en doute pour cette cause de ce qu’elle devait faire, il lui fut répondu en esprit par N [otre] S [eigneur] : « Fie-toi en Moi et n’aie point de doute. »

De qui est-ce que l’admirable sainte Christine dont la vie prodigieuse est décrite par Thomas de Cantipré609 qui était de son temps, et attestée par le cardinal Jacques de Vitray610 qui l’a vue et est rapporté par Surius (tome 3 du 23 juin)611 de qui est-ce, dis-je, qu’elle prenait direction quand elle se jetait dans des fournaises ardentes, dans des halliers d’épines, dans des rivières glacées et qu’elle faisait tant d’autres choses étranges, qui sont décrites en sa vie, afin de le faire pour le soulagement et la délivrance des âmes du purgatoire ?

D’où vient que tous ces Saints et saintes faisaient ou consentaient à des choses si extraordinaires et même si contraires apparemment à la raison humaine, si ce n’était par une assurance infaillible qu’ils avaient que Dieu le voulait ? Et d’où leur venait cette assurance, sinon qu’il leur manifestait sa divine volonté si clairement qu’il leur était impossible d’en douter ? Ce qui se rencontre aussi en cette personne sans faire pourtant comparaison d’elle ni avec Abraham, ni avec Élie, ni avec Moïse, ni avec les Apôtres ; mais quand on la mettrait au rang des âmes que Dieu conduit par soi-même eu égard à la sainteté de sa vie et à toutes les choses merveilleuses qui s’y sont passées. [73]

2. Il est vrai néanmoins qu’elle est très éloignée d’avoir cette pensée et qu’elle a toujours suivi la conduite ordinaire de l’Église autant qu’il lui a été possible et marché par le grand chemin de l’obéissance qu’elle a toujours pratiquée très ponctuellement sans y manquer jamais, ni au regard de ses parents pendant qu’elle a été avec eux, ni au regard des autres personnes sous l’autorité desquelles elle a été, ni beaucoup moins au regard des ecclésiastiques en la charge desquels elle a été mise par son évêque.

3. Pour ce qui est du fait de la susdite échange de sa volonté avec celle de Dieu, elle n’a pas eu ni n’a pas dû avoir la pensée qu’il fallût prendre avis de personne, vu qu’elle n’avait point d’autre intention que de renoncer entièrement au péché et à sa propre volonté qui en est la source, et de s’unir indissolublement à la divine volonté et qu’elle ne prétendait pas quitter la Sainte Communion ; comme aussi la divine volonté ne lui disait pas qu’elle la lui ôterait absolument, mais qu’elle pourrait bien l’en priver. Or quel lieu y avait-il de craindre de la tromperie à désirer de n’offenser jamais Dieu et de n’avoir point d’autre volonté que la sienne et à chercher un moyen pour parvenir à cette fin ? Et par conséquent quelle obligation y avait-il de prendre avis sur une chose, à laquelle doivent tendre tous ceux qui désirent accomplir le premier des divins commandements, qui nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces, et par conséquent de ne l’offenser point ? [74]

4. Ajoutez à cela que :

1. Comme il a déjà été dit, elle connaissait si certainement que c’était la très adorable volonté de Dieu qui lui parlait en cette occasion, qu’il n’était pas en son pouvoir d’en douter et qu’elle était poussée si puissamment à renoncer à soi-même pour se donner à Elle, que moralement parlant, elle n’y pouvait pas résister ;

2. Qu’elle était appuyée sur l’exemple et la doctrine d’un saint et savant personnage tel qu’était le R. P. Cotton, qui a demandé à Dieu la même échange qu’elle désirait et qui a enseigné tous les chrétiens à le demander, en donnant au public l’oraison qu’il a dressée à cette fin, laquelle est rapportée ci-dessus ;

3. Qu’elle n’a pas caché ce qui s’était fait en ceci, mais qu’elle l’a déclaré ouvertement et soumise au jugement des ecclésiastiques qui avaient soin d’elle, et de ses autres supérieurs, spécialement de M. Le Pileur, homme très docte et très judicieux, lesquels après avoir bien considéré la chose non seulement ne l’ont pas improuvée, mais l’ont admirée et soutenue contre ceux qui l’ont voulu combattre.

Quatrième difficulté. La privation de la communion, l’espace de trente-trois ans612. Réponse

Il est vrai, mais 1° il n’a pas tenu à elle, et elle n’est pas répréhensible d’une chose qui lui a été impossible, car il est très véritable qu’elle a toujours pratiqué très fidèlement ce qu’elle s’était réservée quand elle fit l’échange sus-allégué [75] à savoir de faire tout ce qu’elle pourrait pour obéir à l’Église en toutes choses et qu’elle n’a rien omis de ce qui dépendait d’elle pour se disposer à recevoir le très Saint Sacrement. 2° Il est évident que ça été par un ordre particulier de Dieu qu’elle n’a pas pu communier, car sans cela les démons ne l’auraient pas pu empêcher, vu que nous n’avons point d’exemple qu’ils l’aient fait si longtemps au regard des autres possédés, ayant toujours été contraints de céder à la vertu de ce grand Sacrement, quand on l’a offert aux énergumènes, et à la puissance de l’Église quand elle leur a défendu d’empêcher ses enfants de le recevoir. Comment auraient-ils pu subsister devant la toute-puissance de leur maître et de leur juge qui est dans le Sacrement lorsque tant de fois il a été présenté à la S [œur] M [arie] par les mains des Évêques, de leurs grands vicaires et autres personnes commis par eux, qui ont fait tous les efforts imaginables pour le lui donner ? Comment auraient-ils pu résister à tant de prières, à tant d’aumônes, à tant de saints pèlerinages, à tant de bonnes œuvres faites par plusieurs saintes âmes, durant tant d’années, comme à tant d’exorcismes qu’on a fait tous les jours l’espace d’un an, et devant le très Saint Sacrement, là où toute la puissance de l’Église, toutes ses armes et tous ses foudres étaient employés contre les malins esprits ; comment, dis-je, auraient-ils pu résister à toutes ces puissantes et terribles machines dont on se servait pour les forcer de lever l’empêchement qu’ils apportaient à la communion d’une fille chrétienne dans la crainte que l’on avait que cela ne procédât de leur malice par la permission de Dieu, et non pas d’un ordre exprès de sa divine volonté ? [76] Mais dans les exorcismes (où ils sont toujours contraints de dire la vérité quand il s’agit de quelque effet de la possession, spécialement dans une chose qui regarde le salut de la personne possédée) ils criaient que c’était par un commandement formel de sa divine Majesté et par un Conseil tenu dans le ciel, qu’ils empêchaient cette fille de communier et que les raisons leur en étaient inconnues. Vous voyez par toutes ces choses que cela se faisait par un dessein spécial de Dieu, et il y a apparence qu’il l’a voulu aussi pour deux raisons, sans parler des autres qui nous sont cachées.

1. Pour ce que la Sainte Communion n’était pas convenable avec l’ire de Dieu et les autres tourments de l’enfer et du mal de douze ans ; aussi en prive-t-on ceux que la justice temporelle condamne au dernier supplice pour le respect qui est dû à ce grand Sacrement.

2. D’autant que Dieu a choisi cette personne pour lui faire porter les péchés d’autrui ; or la privation de l’Eucharistie est une des peines que mérite le pécheur et c’est la plus grande que l’Église lui puisse imposer. C’est pourquoi la S [œur] M [arie] s’étant offerte à la divine justice pour les peines dues aux péchés de ses frères, elle lui a fait porter celle-ci. Il est vrai que l’Église commande à tous les chrétiens de communier au moins une fois l’an, mais outre que Dieu qui est par-dessus l’Église fait ce qu’il lui plait, les commandements de l’Église, ni même ceux de Dieu, ne nous oblige jamais à l’impossible. Or il n’était pas au pouvoir de la S [œur] M [arie] de faire davantage que ce qu’elle faisait en ceci pour y obéir.

3. Tout le monde sait qu’il y a eu un grand nombre de Saints et de Saintes qui n’avaient pas un tel empêchement qu’elle, mais qui étaient libres de s’approcher des Sacrements de l’Église, qui néanmoins ont passé les 30, les 40 et les 50 ans sans recevoir la Sainte Eucharistie et même sans se confesser et sans assister au Saint Sacrifice de la messe. Témoin une sainte Madeleine, une sainte Marie Égyptienne, un saint Hilarion, un saint Simon Stylite, un saint Paul Ermite et plusieurs autres semblables.

Et ne me dites pas que la Sainte Communion n’était pas de précepte en ce temps-là, car je vous renverrais au docteur angélique saint Thomas, qui dit que tous les chrétiens sont obligés maintenant de communier une fois par an, qu’aussi en la primitive Église ils étaient tenus613 de le faire tous les jours et par après trois fois tous les ans (3, q. 80, art. 10 ad. 5). Vous me pourrez dire que c’était le Saint-Esprit qui a conduit ces Saints-là dans les solitudes et qui les a dispensés des commandements de l’Église et que les vertus excellentes qui éclatent en leur vie en sont des preuves manifestes ; mais je vous dirai aussi qu’il y a tout sujet de croire que c’est ce même Esprit qui non seulement en a dispensé la personne dont nous parlons, mais même qui l’a mise dans l’impuissance de faire autrement ; et si vous demandez des marques de cette vérité, je vous prierai de vous souvenir de celles que j’ai alléguées par ci-devant, lesquelles font voir que cette âme possède avec avantage toutes les vertus chrétiennes.

4. Enfin ce qui fait voir clairement que cette privation de la communion ne procédait pas de la malignité de Satan, mais de la volonté absolue de Dieu, c’est que lorsque le temps fut venu qu’il Lui plût de l’absoudre de cette espèce d’excommunication et de malédiction extérieure, qu’elle portait pour les péchés d’autrui en l’imitation de Notre Sauveur, [78] lequel en quelque façon a été privé de la communion de son Père spécialement quand il l’a délaissé en la croix, duquel saint Paul dit qu’il a été fait malédiction pour nous : Factus est pro nobis maledictus614, il lui fit connaître quelque temps auparavant qu’elle communierait à Pâques, ainsi qu’elle le déclara à M. Le Pileur ; car quelques jours avant Pâques la divine volonté lui apparut en même façon qu’elle avait faite au commencement, et lui dit : « Je vous donne la communion pour le reste de vos jours, et ne permettrai point désormais que les malins esprits y mettent empêchement. » Et en effet elle communia à Pâques de l’an 1649 sans aucune difficulté et depuis elle a toujours communié aussi facilement que les autres.

Cinquième difficulté. Il s’ensuivrait que la S [œur] M [arie] ne pêcherait plus en aucune façon

Je réponds à cela :

1. Qu’il est vrai que depuis615 le temps de cet échange s’est faite la S [œur] M [arie] n’a pu voir ni trouver en elle aucun péché, quelque recherche qu’elle en ait faite par des examens très fréquents et très sévères, qu’elle a faits et qu’elle fait tous les jours sur ses pensées, paroles, actions et omissions.

De là vient que quand elle veut se confesser ce qu’elle tâche de faire de fois à autres, il lui arrive la même chose qu’a sainte Catherine de Gênes, laquelle nous est racontée dans le ch. 44 de sa vie parlant en cette manière : « Je voudrais bien me confesser (dit cette sainte), mais je ne puis voir offense aucune par moi faite, je ne sais comment faire pour me confesser, ne pouvant dire que j’ai fait ou dit aucune chose dont je sente remords en ma conscience. [79] Je ne sais à qui donner la coulpe de mes péchés, je veux m’accuser et je ne puis. » Pour cela, dit celui qui a écrit sa vie, elle demeurait confuse, pour ce qu’elle ne sentait, ni ne voyait, ni ne pouvait voir aucune partie en elle qui eût offensé Dieu. Car quant aux péchés qu’elle disait, il ne lui était point permis de les voir comme péchés qu’elle eût pensés dits ou faits, mais ainsi qu’un petit enfant qui fait quelque chose de jeunesse, de laquelle il est ignorant. Quand on lui dit : « Vous avez mal fait », il rougit parce qu’on lui dit cela, mais non pas pour qu’il connaisse avoir mal fait. »

2. Je dis qu’encore que cette bonne fille ne puisse voir en elle aucun péché qu’elle ne croit pourtant pas et qu’elle n’a jamais cru en être entièrement exempte, quoiqu’elle l’ait désiré et désire infiniment, de sorte qu’elle peut dire avec saint Paul : Nihil mihi conscia sum, sed non in hoc justificata sum616.

3. Dieu peut faire ce qu’il lui plaît et qu’il Lui est facile de préserver une âme de toute sorte de péchés.

4. Que le Saint Concile nous déclare que la très Sainte Vierge a passé toute sa vie sans faire aucun péché véniel par un privilège particulier dont la divine bonté peut faire quelque part à qui bon lui semble.

5. Que saint Clément Alexandrin dit que les saints Apôtres ont été tellement confirmés dans la grâce de Dieu après avoir reçu le Saint-Esprit que depuis ce temps-là, ils n’ont commis aucun péché.

6. [80] Si ce qui est allégué ci-devant de sainte Catherine de Sienne est véritable, à savoir que N [otre] S [eigneur] lui ôta son cœur et mit le sien en sa place, lui disant qu’elle vivrait désormais par ce cœur divin, et qu’une autre fois il l’assura qu’il lui avait ôté sa volonté et lui avait donné la sienne de laquelle elle ne se séparerait jamais, certainement il faut conclure que depuis une telle grâce, elle ne fut atteinte d’aucun péché. Ce qu’il faut croire aussi de sainte Catherine de Gênes s’il est vrai ce qui est rapporté d’elle au ch. 5 de sa vie, que Dieu avait pris une entière possession de son âme, de son cœur, de sa volonté et de toutes ses autres puissances et avait tout transformé en soi, et que c’était Lui qui réglait et conduisait tous ses mouvements. Et au chap. 16, qu’il avait pris entre ses mains tout son franc arbitre et qu’elle ne faisait plus ce qu’elle voulait, mais seulement ce qu’il Lui plaisait. Et au chap. 17, que depuis sa conversion elle ne fit jamais sa propre volonté, mais qu’elle regardait et suivait toujours celle de Dieu qu’elle sentait imprimée en son âme.

7. Que saint Ambroise (lib. 1 in Luc : In initio) a dit qu’après une véritable pénitence et un parfait changement de vie, le chrétien peut avec la grâce de Dieu vivre sans aucune coulpe, se fondant sur ce qui est dit dans l’Écriture, que N [otre] S [eigneur] a tant aimé son épouse qui est l’Église qu’il veut qu’elle soit sans tache et sans ride, sainte et immaculée.

Et saint Augustin (De peccatorum meritis et remissione, lib. 2, cap. 6) parle de cette façon : Dubitare non possum nec Deum aliquid impossibile homini praecepisse nec Deo æ opitulandum et adjuvandum, quo fiat quod jubet, impossibile aliquid esse. Ac per hoc potest homo, si velit, esse sine peccato adjutus a Deo : [81] « Je suis bien certain que Dieu n’a jamais rien commandé à l’homme d’impossible et qu’il lui est très facile de l’aider à faire ce qu’il lui commande et qu’ainsi l’homme avec l’aide de Dieu peut vivre sans péché s’il veut617 » qui est comme si ce grand saint disait : « Dieu a commandé à l’homme de l’aimer de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces ; par conséquent il lui a défendu toute sorte de péchés, et mortel et véniel, puisque ce n’est pas L’aimer en cette façon que de l’offenser en quelque manière que ce soit. Or est-il que Dieu ne commande rien qui soit impossible avec Son aide. » C’est pourquoi nous pouvons moyennant la grâce divine, éviter toute sorte de péchés. C’est ce qu’a enseigné un des plus savants docteurs de la faculté de Théologie de Paris (M. Le Moyne618, p. 1. art. 1. assert. 1) et un des plus célèbres professeurs de la maison de Sorbonne dont voici les paroles qui se voient dans ses écrits : Potest justus absolute loquendo impetrare gratiam, qua peccata omnia tam mortalia quam venalia vitentur.

8. Que tous les passages de l’Écriture Sainte qui disent que nous offensons tous en beaucoup de choses, que celui qui dit qu’il est sans péché est un menteur, que le juste tombe sept fois par jour, et autres semblables, se doivent entendre avec cette restriction : si ce n’est par un spécial privilège de Dieu – nisi ex speciali Dei privilegio – restriction qui est du Saint Concile de Trente, car après avoir prononcé anathème contre ceux qui diraient que l’homme peut éviter durant toute sa vie toutes sortes de péchés, même véniels, il ajoute ces paroles « si ce n’est par un spécial privilège de Dieu ».

Sixième difficulté. Souffrir les tourments de l’enfer en ce monde ici est une chose inouïe

[82] Considérez là-dessus

1. Que comme les bons anges qui sont en ce monde avec nous portent leur Paradis avec eux, qu’aussi les démons qui nous tentent tous les jours souffrent en la terre les feux et les supplices de l’enfer et sans qu’il en paraisse rien à nos yeux, dans les corps des possédés où ils sont.

2. Que le motif qui a porté la S [œur] M [arie] à demander à Dieu ces tourments est très pur et très saint.

3. Que ce n’a pas été une imagination ni un songe, car si on prend bien garde à toutes les choses qu’elle dit sur ce sujet, rapportées dans le narré de cette histoire qui est écrite ailleurs, on verra qu’il n’y a rien qui sente la rêverie et la faiblesse d’esprit, ou qui approche de l’extravagance et impertinence, mais que tout y est solide et conforme à l’Écriture sainte, aux sentiments de l’Église et des Saints Pères et que ceux qui l’ont vue en cet état ont témoigné que ses souffrances n’étaient pas imaginaires, mais très réelles et visibles, quoique Dieu ne permît pas qu’elles paraissent à l’extérieur telles qu’elles étaient, pour ce qu’il aurait été impossible de vivre ni de converser avec elle ; pour preuve de quoi il permit un jour qu’il en parût une petite parcelle au-dehors, ce qui ne dura que très peu de temps ; et néanmoins cela effraya tellement tous ceux qui étaient présents que chacun s’enfuit de son côté [83] tout saisi [s] d’horreur et fondant en larmes de la voir en un état si pitoyable.

4. Qu’il est raconté dans la vie de sainte Christine, écrite par des hommes très doctes et très célèbres allégués ci-dessus qui étaient de son temps, que N [otre] S [eigneur] lui fit endurer en ce monde des peines inconcevables pour les âmes du purgatoire ; et que c’est une chose infiniment plus digne de son immense charité de faire souffrir les tourments de l’enfer à une personne qui le désire et le demande instamment, afin d’en préserver une autre qui les a mérités, que de faire porter à quelqu’un les supplices du purgatoire pour en délivrer les âmes qui y sont, pour ce qu’il y a une différence infinie entre l’enfer et le purgatoire.

5. Qu’il est vrai que N [otre] S [eigneur] a porté les péchés de tous les hommes et que sa passion est plus que suffisante pour racheter mille mondes ; mais cela n’empêche pas que toutes les saintes écritures ne nous prêchent sans cesse qu’il faut porter la croix, qu’il faut se mortifier et crucifier, qu’il faut passer par plusieurs tribulations, afin de nous disposer par ce moyen à ce que les mérites et les fruits de ses souffrances nous soient appliqués. Cela n’empêche pas que la divine miséricorde ne choisisse quelques âmes saintes auxquelles elle fait porter les péchés des autres, afin de leur obtenir l’esprit de pénitence et les dispositions requises pour participer à la grâce du Rédempteur. C’est ce qui est marqué en ces paroles de saint Paul : « J’accomplis ce qui manque en la passion de J [ésus] — C [hrist] 619 », car il lui manque que les fruits et les effets en soient appliqués aux âmes. [84] Or il n’y a point de moyen plus propre pour appliquer à nos âmes et aux âmes de nos frères les fruits des souffrances de Notre sauveur, qu’en souffrant avec lui. Il nous a mérité grâce par la croix et il veut que l’application nous en soit faite par la croix. « Tu prendras sur toi et tu porteras, dit-il au Prophète Ézéchiel, l’iniquité de la maison d’Israël. » Ezech. 4620.

6. Que Dieu fait tout ce qu’il lui plaît, deducit ad inferos et reducit621 ; véritablement il est bien raisonnable de croire qu’il puisse faire des choses que nous ne pouvons pas comprendre et il n’y a rien de plus déraisonnable que de vouloir mesurer toutes ses œuvres à l’aune de notre esprit. Qui peut savoir en quelle façon Moïse a vu l’essence de Dieu, selon saint Augustin et saint Thomas, et par conséquent a possédé la félicité du Paradis étant encore en ce monde ?

Qui peut savoir en quelle manière la puissance divine a ravi et élevé en esprit Énoch et Élie, et où ils sont et ce qu’ils font depuis tant de milliers d’années ?

Comment est-ce qu’il a conservé les trois enfants hébreux au milieu d’une fournaise ardente, et Daniel dans la fosse des lions ?

Qui peut comprendre comment saint Paul a été ravi jusqu’au troisième ciel et selon saint Thomas a vu la divine essence, puisque lui-même proteste qu’il ne sait comme cela s’est fait : si ça été seulement d’esprit, ou d’esprit et de corps tout ensemble ? [85] Si Dieu a transporté cet Apôtre tout vivant dans le ciel, il ne faut pas s’étonner s’il a fait descendre la S [œur] M [arie] toute vivante dans l’enfer. Tout [ne] Lui est-il pas également facile ? Son bras est-il raccourci ? Ne peut-il pas faire tout ce qu’il veut ?

7. Il est certain que N [otre] S [eigneur] J [ésus] — C [hrist] ayant un amour infini vers son Père et vers nous était dans la disposition et même dans le désir, pendant son séjour en ce monde, de souffrir non seulement ce qu’il y a souffert, mais tous les tourments de la terre, du purgatoire et de l’enfer (en séparant le péché) et ce pour la gloire de Son Père et pour nous témoigner l’excès incompréhensible de sa dilection. Mais son Père ne jugeant pas qu’il fût convenable qu’il endurât ces choses en sa personne, il lui a donné des membres dans lesquels il a accompli ses désirs. Il Lui a donné les saints martyrs pour souffrir en eux tous les maux que les hommes peuvent faire souffrir à d’autres hommes en la terre. Il Lui a donné sainte Christine pour porter en elle les tourments du purgatoire et il Lui a donné S [œur] M [arie] pour endurer en elle les supplices de l’enfer. Et toutes ces personnes peuvent dire en un autre sens : « J’accomplis ce qui manque à la passion de Jésus-Christ », c’est-à-dire j’accomplis les désirs qu’il a eu de souffrir en moi, comme en l’un de ses membres ce qu’il n’a pas souffert en soi-même. Nous voyons une chose dans la vie de la bienheureuse Madeleine de Pazzi, carmélite qui a été béatifiée par le pape Urbain VIII l’an 1626, laquelle a quelque conformité avec ce qui s’est passé dans la S [œur] M [arie] sur le sujet de l’enfer ; [86] car nous lisons au ch. 10 de sa vie que cette bienheureuse en l’an 1585, la veille de la Pentecôte, on lui montra un lieu (qu’elle appelait le lac des lions) dans lequel elle vit une infinité de démons d’une forme et figure horribles et on lui dit qu’elle devait entrer là-dedans et y demeurer l’espace de cinq ans, et qu’il fallait qu’elle y souffrît des peines effroyables pour aider au salut de plusieurs âmes. Ce qu’elle accepta d’une franche volonté ; ensuite de quoi le jour de la très Sainte Trinité, 16 juin l’an 1585, elle entra dans ce lac des lions, là où elle endura de très grands tourments par la malice et la rage des démons, tant en son extérieur qu’en son intérieur ; et particulièrement elle fut horriblement travaillée de cinq sortes de tentations : 1, d’infidélité contre la foi ; 2, de superbe ; 3, de gourmandise ; 4, d’impureté ; 5, de désespoir ; mais ce qui l’affligeait le plus était une grande crainte qu’elle avait parmi cela d’être trompée de l’esprit malin.

Les maux que cette sainte a endurés durant ces cinq ans qu’elle a demeuré dans ce lac ont quelque rapport avec ce que la S [œur] M [arie] a souffert tant dans son premier enfer de cinq ans que dans le second de douze ; mais néanmoins, quand je lis ce qui est écrit dans le ch. 10 de la vie de la bienheureuse Madeleine de Pazzi touchant les afflictions qu’elle a souffertes dans ce lac des lions l’espace de cinq ans, et que je me remets devant les yeux les tourments que la S [œur] M [arie] a portés dans les deux enfers précédents, selon le peu de connaissance que j’en ai, certainement il me semble qu’il y a une différence presque infinie entre l’un et l’autre. [87] Je veux dire que les supplices de la S [œur] M [arie] surpassent quasi infiniment ceux de cette Bienheureuse. Ô qu’on lui peut bien dire : Magna est velut mare contritio tua622, « Votre affliction est grande comme la mer623, voire plus grande que la mer ». Il n’y a que Dieu seul qui la connaisse parfaitement. Enfin saint Chrysostome, Théophilacte Œcumenius, saint Bernard et Rupert expliquant ces paroles de Moïse, rapportées au ch. 32 de l’Exode : Aut dimitte eis, aut dimitte me de libro vitae624, disent qu’il demande à Dieu d’être privé de la béatitude éternelle et de souffrir cette peine à jamais pour le salut de son peuple.

Et le même saint Chrysostome avec plusieurs autre saints docteurs expliquant ces paroles de saint Paul625 : Optabam ego anathema esse a Christo pro fratribus meis, disent qu’il les faut entendre de la damnation éternelle en séparant le péché, c’est-à-dire que St Paul désirait souffrir éternellement les supplices de l’enfer, s’il se pouvait, pourvu que ce fût sans péché de sa part, afin d’en préserver ses frères ; Optat in aeternum perire, dit St Chrysostome, ut plures, immo omnes Christum ament et laudent. Optat aeternis addici pœnis, dit St Cassien ; mais parce que nous sommes éloignés d’une telle charité dit encore St Chrysostome, nous ne pouvons pas comprendre ces paroles. [88] Quelle merveille, dit Origène, si le serviteur désire d’être anathème pour ses frères, puisque le maître, c’est-à-dire Jésus-Christ a été fait malédiction pour ses serviteurs.

Cornelius a Lapide dans ses commentaires sur le ch. 32 de l’Exode rapporte que le bienheureux Jacobon de l’ordre de saint [François]626 avait des désirs très ardents de souffrir en ce monde toutes les peines, angoisses douleurs et afflictions qui se peuvent imaginer et après cette vie d’être jeté en enfer et d’y endurer les supplices éternels pour l’amour de N [otre] S [eigneur] et pour expier ses péchés, et les crimes de tous les hommes, même des damnés et des démons s’il se pouvait ; et ce même auteur fait voir qu’il est permis à tous ceux qui servent Dieu de désirer la même chose. Ne vous étonnez donc pas si la S [œur] M [arie] a eu ces désirs et si Dieu lui en a donné l’effet, car il a coutume d’en user de la sorte, ainsi qu’il serait facile de le montrer par plusieurs exemples. Je dirai seulement qu’il y a eu quantité de Patriarches et Prophètes qui ont désiré ardemment de voir le Sauveur et ne l’ont pas vu, et que plusieurs autres qui même n’étaient pas si saints qu’eux ont possédé ce bonheur, et que Dieu a mis dans le cœur de saint François d’Assise, de saint Dominique, de saint François Xavier des désirs extrêmes du martyre dont il n’a donné accomplissement qu’à leurs enfants et successeurs.





Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées627



Sur le don d’anéantissement ou de la foi nue, l’emploi pour le prochain, la présence réelle de Jésus-Christ, la conversation en esprit et en silence, la communication essentielle de Dieu628.



1. Cette Servante de Dieu étant consultée par un Serviteur de Dieu, elle lui dit [408] d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est en chemin ; qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des beaux sentiments, que ce n’est point là sa voie. Elle l’a connu par son discours, c’est le tout pur rayon. Il faut bien se donner de garde de629 ruiner son corps. Il y a peu d’âmes arrivées au divin rayon : quelquefois l’union est couverte de cendre par les actions extérieures et autres choses ; ce n’est rien, on n’est point désuni pour cela. Que c’est une chose rude aux pauvres sentiments de tirer de [409] leur opération naturelle, et de passer en Dieu.

2. Elle a dit qu’elle ne peut rien faire ni penser, sinon demeurer dans sa maison qui est le néant. Il lui prend des désirs de connaître la vérité ; mais elle est mise en sa maison : elle ne saurait prier, ni rien faire que comme on le veut. Les Dames, qui sont le mépris et la souffrance, etc., préparent la maison pour l’anéantissement, et elles ne s’en vont pas, quoiqu’il soit fait, elles demeurent comme en Notre Seigneur Jésus-Christ.

3. Elle m’a dit quantité de fois, vous voilà en beau chemin, Dieu vous y conduise. Que voilà un beau chemin ! Que Dieu est bon ! Elle m’a dit que l’anéantissement est très long ordinairement, et que bien souvent on ne sait où on est ; et que l’on n’a pas moins pour cela, au contraire l’incertitude et les peines font bien avancer : enfin c’est une grande grâce que l’anéantissement. Les sécheresses sont dans les sens, et Dieu est dans le fond qui est immobile, et ne se retire pas. Et comme Dieu ne se retire pas du commun, que par le péché mortel ; aussi ne se retire-t-il pas quand il a donné le don, et les obscurités n’empêchent pas que Dieu n’y soit, et par conséquent que l’oraison n’y soit : Dieu par le don d’anéantissement se donne, mais peu à peu il croît en l’âme dans l’anéantissement. Elle m’a dit que nous en avons assez, que de l’assurance de la voie et du don, il ne faut point attendre de réponse, que tout est assez bien sans cela ; elle fait une estime de cet état. Il faut avoir une grande liberté et gaieté. Elle m’a dit plusieurs fois que l’amour-propre, la propre complaisance, et la vanité perdent tout. Par l’anéantissement Dieu vient dans l’âme, et y venant la fait mourir à elle-même. [410]

4. Je lui ai dit que mon âme suivait Dieu, outrepassant et oubliant tout pour se pouvoir perdre en lui. Elle m’a dit que pour lors l’âme cherche Dieu ; mais que parfois Dieu la regarde, et quoiqu’elle ne s’en aperçoive pas, qu’il ne faut pas laisser de poursuivre : car Dieu y est, et c’est assez.

La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien. Il lui fut dit que la chambre du Roi était l’humilité, et que la fenêtre par où venait la lumière divine dans la chambre était la connaissance de soi-même. Nous avons parlé du pur amour, et que l’âme qui aime, a tout.

5. Pour dernière instance, elle m’a absolument assuré de mon état, et que je devais être tout passif et en quiétude. Le chemin de l’anéantissement est long si ce n’est par miracle : c’est un grand bonheur que d’être en chemin. Il faut mourir aux passions, aux sens et aux puissances, et que Dieu soit venant et régnant dans l’âme. Elle m’a dit derechef que l’anéantissement est un chemin fort étroit : l’entendement y doit être anéanti, et par conséquent compris et possédé de Dieu ; et peu à peu le divin rayon croît.

La voie active est large, d’autant que les sens ont leurs affaires ; mais ici il faut qu’ils endurent, et qu’ils soient beaucoup à l’étroit. Durant que Dieu est l’agent, il faut le laisser faire ; et quand il n’agit plus, il faut agir.

Elle m’a dit que peu souvent on est assuré de son anéantissement ; et qu’il faut vivre comme cela. Elle m’a dit que c’est un don que Dieu nous a fait : j’ai bien vu par son discours que c’est assez. Elle me disait : voilà votre voie ; les autres marchent autrement : il faut suivre la sienne ; les autres ont des contemplations, et inclinations, il faut qu’ils y aillent. [411]

Plus on s’anéantit, plus on se transforme ; et il n’y a qu’à laisser Dieu faire.

6. Le premier jour je n’ai point vu de lumière particulière, sinon la donation du don [d’anéantissement ou de foi nue]630 et faire ensuite selon le don, et cela portait effet de grâce en mon âme, outrepassant tout pour vivre dans ce don.

J’ai vu que quand le don est fait à l’âme, il ne s’en va pour rien : la maladie lui offusque tout l’esprit, et cela n’empêche point qu’il n’y soit. Elle m’a dit : voilà votre affaire. Elle m’a assuré de la vocation de M. B. pour le prochain.

7. Comme je l’ai été prier pour demander à Dieu la certitude de mon oraison, elle m’a dit de me donner de garde de la curiosité, que la certitude a été donnée, et qu’il faut marcher. Enfin que le don est donné, et que c’est assez que l’on ait la certitude du don de l’anéantissement : l’âme se va transformant en Dieu, et quelquefois d’autant qu’il n’est pas tout parachevé, les sens s’extrovertissent ; et cela donne de la peine, mais il faut patienter ; il faut que l’âme soit humble et connaisse son rien ; il y a des sentiments qui vivent, et Dieu les laisse et fait souffrir comme à Job.

Ce qui arrive aux espèces du Saint Sacrement, est une figure de l’anéantissement : bien souvent on ne le connaît pas, et l’on souffre des craintes et des désespoirs ; les sens sont de pauvres enfants qu’il faut quelquefois envoyer se promener, et le fond demeure uni. Les sens ne sont pas capables de l’oraison, c’est pourquoi il faut avec discrétion les récréer. Dans l’anéantissement on ne sait pas toujours s’il est vrai ; et c’est une grande peine, on ne sait quelquefois rien faire pour se soulager. [412]

8. Il ne faut point parler de ceci, et laisser les actifs dans leurs activités, et suivre son anéantissement. Quand Dieu y conduit l’âme, il fait mourir les puissances, les passions et les sens, enfin tout, afin de régner absolument, et qu’il n’y est plus que la volonté de Dieu, car la volonté de Dieu est Dieu : tout doit se perdre en la Divinité. L’âme étant arrivée à l’anéantissement, Dieu lui soustrait la certitude, pour l’anéantir davantage.

9. Elle ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire : il faut qu’elle demeure dans son néant, et qu’elle souffre tout. Elle approuve que l’âme aille très souvent dans ce néant : l’âme n’y a rien et fait l’oraison dans son néant et son rien. J’ai bien vu que les sens ont des désirs, ont leurs vies ; et par conséquent quoiqu’anéantis, ils ne laissent pas d’avoir leur vie : il faut les laisser courir, craindre, etc., et demeurer uni dans l’anéantissement. L’âme ne veut que Dieu, c’est un amour bien pur : c’est assez de demeurer dans son néant, pour prier, pour avoir les mystères, etc. ; car y étant on est en Dieu, et tout se fait en Dieu ; c’est aussi une communion spirituelle très relevée ; car l’âme est plus morte à soi et par conséquent plus vivante en Dieu. Qu’il y a à souffrir pour être anéanti !

Étant en compagnie, il faut parler afin de n’incommoder pas le prochain ; et que l’anéantissement ne laisse pas d’être. Que dans les grandes maladies il s’y trouve aussi, et même qu’il augmente. Que les personnes de cet état ne sont pas si austères, qu’elles gardent leur repos ; et que les trop grandes austérités atténuent.

10. L’âme ayant le don n’est point distraite pour [413] parler, pour agir ; quoique selon les sens elle le soit : car dans le fond elle a le don, et Dieu y opère toujours la purifiant : bien qu’il semble parfois qu’on ait commis quelques défauts, il ne faut que les laisser consumer à l’anéantissement. Cet état est un grand bonheur parce que Dieu y opère, et par conséquent entre en possession de l’âme, et de plus en plus la va purifiant, jusqu’à ce qu’Il soit tout seul. C’est un tout pur amour, parce que l’âme s’y anéantit toute, afin que Dieu seul y opère, c’est une présence de Dieu toute continuelle ; d’autant que c’est un continuel opérer : et l’on doit bien dire Ego dormio, et cor meum vigilat631. Ô le grand état ! Elle m’a répété cela plusieurs fois : que la bonté de Dieu est grande !

11. Dans cet état on se met point en peine des sécheresses, au contraire, elles y aident ; ce ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche.

Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. C’est un lait dont Dieu repaît notre âme, c’est un bonheur inestimable : mais il ne faut pas vouloir y faire entrer les autres. Car comme c’est une opération de Dieu, si Dieu ne les y appelait, Il n’y opérerait pas, et par conséquent on serait inutile : pour l’âme qui y est appelée, plus elle est passive et en repos, plus son bonheur est grand. Quand je lui disais que je goûtais merveilleusement cet état : c’est un signe (dit-elle) que c’est votre voie ; allons, vous dans votre quiétude, et moi dans mes souffrances. Je crois qu’elle fera ce qu’elle pourra pour l’augmentation du don. [414]

Je lui donnai le bonsoir et lui désirai une bonne nuit : elle me fit réponse à l’heure, qu’il fallait faire la volonté de Dieu ; et je compris par là qu’il fallait toujours vivre en Dieu. Par l’anéantissement Dieu vit en l’âme, Il la possède et la va purifiant, jusqu’à ce qu’Il y soit seul.

12. La sœur Marie nous a assuré derechef que notre foi est de Dieu, que c’est un don et un grand don, et rare ; peu de personnes marchent en ce chemin. Elle l’appelle voie miraculeuse, l’âme y expérimente les excès du divin amour. Elle répétait souvent : ô amour ! ô excès ! C’est un ravissement continuel en Dieu, l’âme étant séparée de soi-même et de ce qui n’est point Dieu. Cette voie est passive, contenant infinis degrés en foi, c’est une échelle mystique : Dieu dès le premier degré prend l’âme par la main et la conduit ; elle n’a qu’à demeurer passive et Dieu fait son ouvrage.

Il ne faut pas parler de cette voie aux personnes qui n’y sont pas appelées, de peur de les troubler, et de leur donner occasion de faire quelque jugement téméraire, en condamnant légèrement ce qu’ils n’entendent pas, c’est charité de le taire, et de parler seulement de la pratique des vertus et de la manière ordinaire de servir Dieu.

On n’entre dans la voie passive qu’après quelques années de dispositions, Dieu ne faisant pas ce don qu’après que l’âme a beaucoup travaillé et souffert pour son amour, au moins c’est son procédé ordinaire.

13. Dieu lui fit comprendre ces paroles sur ce qui me regarde : Sa conduite est sainte, et m’est agréable, qu’il persévère : Notre Seigneur [415] l’entendant non seulement pour la conduite particulière de sa vie et de son oraison, mais touchant ceux qui veulent demander quelques avis. Sur la réplique qu’il n’était pas prêtre, elle dit qu’une personne, qui s’est sacrifiée à Dieu, est Prêtre, et qu’en un mot il faut faire ce que Dieu veut, sans réflexion ; et que s’il ne le faisait pas, il serait contre sa voie ; et que s’il n’était pas vrai, que l’état de sœur Marie n’était pas vrai.

14. Sa manière de connaître la vérité des choses qui lui sont proposées, ce n’est pas de les connaître par intelligence, mais par goût expérimental, qui lui ouvre le fond de son âme, dans lequel elle entre, celui qui y règne donnant l’approbation à ce qui est véritable : au contraire, une tristesse saisissant son cœur qui le serre et le ferme de sorte qu’il n’est pas possible que rien y puisse entrer, c’est une marque que Dieu n’approuve pas ce qui est proposé.

Elle a grande discrétion à ne faire pas paraître quand quelque chose est rejeté, de peur de donner de la peine à ceux qui lui en ont parlé ; et puis ceci est si extraordinaire, qu’il n’est compris de personne, n’y ayant d’autre raison sinon qu’il plaît ainsi à Dieu d’opérer.

15. Elle dit que la foi nue manifeste, sans manifester néanmoins, Jésus-Christ clairement dans le fond de l’âme ; de la même manière qu’elle le lui fait connaître dans le Saint Sacrement, où elle le croit sans le voir, où elle le possède sans le toucher, où elle en jouit d’une manière insensible et invisible : c’est assez néanmoins à une âme qui a le don de la vraie foi ; tous les autres dons et grâces qui sont quelquefois ajoutés paraissent superflus. Dieu seul [416] suffit, dans le fond et dans le Saint Sacrement : je dis plus, l’âme connaît qu’elle a trouvé Jésus-Christ dans le Saint Sacrement, l’ayant trouvé dans son fond par une unité admirable qu’elle expérimente, mais qui ne peut s’exprimer. Cette unité en Jésus-Christ est telle qu’elle fait même posséder Jésus-Christ dans son fond aussi réellement et véritablement que les bienheureux sont en paradis, bien que d’une manière différente. Cette unité en Jésus-Christ communique une unité avec la très Sainte Trinité et avec tous les saints, de sorte qu’on expérimente que les trois personnes divines abîment en elle [singulier ou pluriel ?] les trois puissances de notre âme, par un anéantissement qui ne se peut dire, et qui est si grand que l’âme se trouve perdue, et toutes ses opérations ; ne pouvant trouver dans son fond en la pureté de cette lumière de la foi qui lui a été donnée, que Jésus-Christ qui la va conduisant vers la Sainte Trinité qui l’abîme et transforme en elle par ses divines opérations.

16. Quelques-uns qui lui parlent expérimentent que Jésus-Christ est tout vivant en elle, et qu’il y règne ; mais elle n’en connaît rien : de sorte que possédant tout, elle croit n’avoir rien. Elle est tellement perdue dans ce Néant et dans le rien qu’elle n’a pas la capacité de pouvoir seulement distinguer ni discerner dans l’intérieur d’autrui, qu’à mesure qu’on (Dieu) lui fait voir : elle parle à plusieurs personnes de différentes grâces, et ce Néant lui suggère tout ce qu’il leur fait dire selon leur besoin, sans rien préméditer.

17. Que les âmes sont malavisées de ne se pas contenter du pur don de la foi nue, qui donne Dieu à l’âme d’une manière insensible et invisible, et néanmoins très véritable, et très réelle. [417] Toutes les autres lumières, les consolations, les transports ne sont que pour consoler l’amour particulier de l’homme, mais l’amour pur de Dieu est plus satisfait du pur don de la foi, y ayant moins de la créature, et une plus pure souffrance qui la transforme plus parfaitement en Jésus-Christ crucifié et mourant dans une nudité totale sur l’arbre de la croix, dans la privation de toute consolation divine et humaine. Ce fut néanmoins dans cet état où se fit la consommation de notre rédemption en la réunion de Dieu avec la nature humaine.

Que les âmes sont mal instruites de croire perdre leur union dans l’état obscur et nu, c’est au contraire où elle s’augmente ; et s’il fallait choisir quelque état en cette vie, ce serait celui de la pure souffrance et nudité totale.

18. La sœur Marie dit que Dieu lui a fait connaître qu’il donne à des hommes et à des femmes du monde, la grâce des anciens religieux et ermites, et qu’il ne faut pas s’étonner si dans les cloîtres, les grands dons d’oraison ne s’y rencontrent pas, les religieux tournant le dos à Dieu par le peu de fidélité qu’ils ont gardée.

19. La voie de N.632 est pour aider le prochain, il n’en doit faire difficulté ; autrement il se détournerait de sa voie ; et qu’elle est autant assurée que la sienne.

Il faut, dit-elle, bien se donner de garde dans la voie de l’oraison, de la vanité. La vanité se rend servante de l’amour-propre, et de la propre excellence, faisant proposer à l’âme les récompenses, les mérites, les dons et les grâces : n’y ayant pas réussi, elle fait proposer par [418] la propre excellence, l’éminence et la grandeur de l’oraison : quand cela ne réussit pas aussi, le diable fait connaître qu’elle a eu raison de ne pas consentir à l’amour-propre et à la propre excellence, afin de lui donner de la vaine gloire ; mais l’âme connaissant son artifice le rebute. Alors elle se doit donner de garde de Dieu même, qui lui communiquant beaucoup de quiétude et de consolation, elle s’y attacherait, si elle n’y prenait garde, et si elle ne demeurait ferme et constante à ne vouloir que Dieu seul.

L’amour-propre étant chargée de mérites, de richesses spirituelles, de faveurs et de dons, va lentement et pesamment : l’amour divin au contraire va vitement et légèrement, étant tout nu, la grande chaleur l’obligeant à se dépouiller. L’amour divin quand il est parfait réduit l’âme à la nudité totale. L’âme anéantie ne demande rien ni pour soi ni pour le prochain, non pas même la conversion ; mais elle dit seulement : Seigneur que votre grâce fasse tel et tel effet, ne pouvant se mêler en façon du monde, mais laissant faire tout à Dieu qui est, et elle n’est plus.

20. La sœur Marie très souvent n’aperçoit pas même Dieu dans son fond, il se cache, et elle le laisse cacher, sans vouloir qu’il se manifeste plus clairement ; car elle ne peut choisir : toute sa capacité est de laisser faire Dieu. Et Sa Majesté lui ôte les prières, les méditations, la contemplation, l’usage des sacrements, la communication des serviteurs de Dieu, la lecture de la Sainte Écriture même. Elle se laisse tout [419] ôter et se mettre dans le Néant où elle demeure continuellement, étant sa voie : les incertitudes, craintes, et frayeurs d’être trompée, les tristesses l’assiègent et occupent ses sens ; mais elles la tiennent dans le Néant. C’est pourquoi elle les appelle sa voie et son chemin. Si quelquefois on lui donne quelques lumières, ou qu’il tombe dans son esprit quelque pensée, ou qu’elle reçoive quelque touche d’amour, cela se passe incontinent, et elle retombe dans le néant, où elle trouve Dieu sans le trouver, en jouit sans jouir, le connaît sans le connaître.

Dans les exorcismes une personne voyait par vision sur le coin de l’autel, Jésus-Christ enfant qui l’encourageait à souffrir, et lui tendait les bras, et plus elle était agitée, plus aussi s’approchait-il d’elle, de sorte qu’elle désirait l’accroissement de ses souffrances, afin que Jésus-Christ s’approchât d’elle davantage. Enfin dans la continuation de ses peines, Jésus-Christ se logea dans son cœur, et puis se cacha d’une telle manière qu’elle ne l’aperçut plus, sinon qu’elle expérimentait par intervalles qu’il était devenu l’âme de son âme, et la vie de sa vie, c’est-à-dire le principe de toutes ses opérations et mouvements.

21. Au commencement Jésus-Christ se communique dans les sens, et puis dans le fond, où il réside spirituellement, et le pur esprit de l’homme demeure caché en lui ; les sens n’apercevant pas cette demeure de Dieu, et ne recevant aucune communication sensible : on les enferme dans la maison du Néant, où ils vivent dans une désolation et sécheresse extrême.

Si les sens dans la voie d’anéantissement se [420] perdent, leur activité est redonnée, et glorifie Dieu en leur manière : pour son esprit, il est dans le néant, c’est-à-dire, il n’est plus, ou plutôt il est transformé en Jésus-Christ régnant et opérant dans ses puissances et dans ses sens.

22. Elle ne pouvait assez parler de la grandeur du don, quand Dieu s’est une fois donné lui-même dans le fond : c’est un privilège et une grâce spéciale que Dieu ne communique que peu à peu aux âmes, si ce n’est par miracle.

Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivée : elle est contente de son Néant, il lui est toutes choses, et sa nourriture est de Dieu seul qui prend et plaisir et goût singulier de l’instruire de cet état ; enfin Jésus-Christ se manifeste à elle.

Quand une âme s’aperçoit qu’elle est arrivée à Dieu, elle devient extrêmement humble : car les grands dons de Dieu humilient grandement ; et comme en cet état on le connaît beaucoup, on se connaît aussi beaucoup soi-même.

N. a connu que sa grâce devait être dans le pur esprit, et que les sens n’y participassent presque pas, étant toute dans le fond, et n’en cherchant aucune certitude ni appui, mais plutôt de mourir entièrement.

23. En l’année 1654, la dernière entrevue était sur la lumière divine, et comme l’on voyait tout en Dieu ; et je vois que celle-ci est de voir Jésus-Christ et de jouir de Jésus-Christ. Je lui disais que mon intérieur pour le présent était une présence de réalité de Jésus-Christ, dont la sœur Marie a été bien aise ; et elle m’a dit que cela va bien, la présence de Dieu en général s’étant évanoui en Jésus-Christ ; que voilà [421] qui est pour arriver à ce que dit saint Paul [Gal. 2, 20] : Je vis, ce n’est plus moi ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi.

Cette présence de Jésus-Christ est dans le pur esprit, dont il découle en même pureté sur les sens, qui est comme une extension de Jésus-Christ.

24. Comme je lui ai parlé de mon changement d’état pour le prochain, elle m’a dit que c’est que mon état intérieur se retire vers le saint et pur esprit, et qu’au contraire les sens s’épanouissent vers le prochain ; ce que j’ai vu être très véritable. Elle a été forte aise de ce changement, et que je garde la même solitude intérieure quoi que mon extérieur travaille au prochain.

Je lui ai parlé pour savoir s’il était nécessaire de voir dans les personnes qui entrent en religion, une vocation : elle m’a fait cela [sic] de grande conséquence, et à moins de cela il ne les faut pas persuader ; que c’est ce qui ruine tout, et que c’est ce qui cause que l’on voit peu de vrai religieux ; qu’il faut fort examiner et chercher leur vocation, avant que de les engager.

25. Elle m’a dit que l’essence de l’état de présent est une réalité, réalité de la présence de Jésus-Christ, et que plus l’état croît, laquelle fait évanouir la créature, et s’épand même jusques sur les sens, gardant toujours son unité de pur esprit.

Je lui ai dit que mon état précédent, qui était de demeurer en Dieu en général, de perte et de récollection, et de solitude extérieure, et les autres choses qui accompagnent tels états, s’était évanouis et perdus633 en Jésus-Christ ; [422] et que mon intérieur n’était plus que Jésus-Christ en présence véritable et très spirituelle, et que de lui découlait le travail au prochain, l’évanouissement de la solitude, l’amour de la pauvreté, etc., car comme Jésus-Christ avait toutes ces choses-là, il me semble qu’elles découlent aussi de lui.

Elle est dans de grandes souffrances sans rien voir dans son fond, les sens étant purement baignés dans l’amertume ; mais quand le Soleil se lève, tout cela disparaît.

26. Je lui ai dit derechef que ma solitude extérieure s’était évanouie au lever de Jésus-Christ. Elle en a été forte aise, et je comprends bien comment cela se fait, que la seule âme qui a l’expérience entendra. Jésus-Christ se revêt de toute l’âme comme d’un vêtement : il lui semble que c’est lui (Jésus-Christ) seul qui souffre, qui agit, qui parle : et c’est bien elle qui fait tout cela et non pas Notre Seigneur ; mais cela se fait par un admirable mystère, savoir que l’âme est devenue Notre Seigneur, si bien qu’elle n’a non plus de mouvement propre qu’un habit qu’une personne a vêtu.

Ce don de Notre Seigneur Jésus-Christ est très grand, qui suit les autres d’anéantissement. Fort long temps Notre Seigneur ne fait que mettre dans l’âme, ensuite il y est croissant, après souffrant, prêchant, ou en quelque autre état ; mais en elle, il y est purement souffrant, si bien que tout est évanoui en elle, sinon la souffrance.

Autrefois il fallait que mon fond allât chercher Dieu dans le sien, mais à présent c’est assez que d’être en sa présence, sans outrepasser ni pénétrer rien.

Nous n’avons plus parlé de Dieu dans le [423] fond ni d’anéantissement ; nous n’avons parlé que de Jésus-Christ : tout s’est si bien effacé de mon esprit, que lui y réside, y établissant sa réalité, et non pas encore ses états.

Elle demandait dernièrement quelque chose à Notre Seigneur, et il lui dit qu’il fallait mourir en croix, son état étant de Jésus-Christ crucifié. Quand la réalité de Jésus-Christ est établie, il y vit comme il a vécu en la terre, soutenant l’âme par vertus divines et secrètes dans ses souffrances, actions, etc.

Quand cet état de Jésus-Christ paraît dans l’âme, c’est alors qu’elle cesse d’être, et qu’elle ne se voit plus : cela quelquefois ne dure pas longtemps en lumière, mais en effet et réalité, il est permanent. C’est ici l’état le plus heureux de l’âme : qu’elle se donne bien de garde de retomber en elle-même par ses réflexions ; car pour ce qui est des propriétés, Jésus-Christ les va ruinant et consumant sans qu’elle le sache. Cet état, et être Jésus-Christ en l’âme, est une faveur et don au-dessus de tout don ; puisque c’est la porte d’entrée à tous les autres, de la Sainte Trinité même.

27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur, et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer auprès d’elle en Dieu ; et faire ainsi tout ce qu’il fallait que je fisse, en cette manière ; ma grâce étant toute dans le pur esprit. Il a bien fallu mourir pour entrer en cette manière d’agir purement, mes sens et mon esprit y répugnaient bien fort, et la grâce ne m’y a pas conduit tout d’un coup. J’ai bien connu que [424] c’était imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire634. Elle m’a dit qu’il n’y a que la volonté de Dieu qui soit quelque chose ; il ne faut donc ni dans l’intérieur, ni dans l’extérieur, que la suivre, et n’y pas ajouter un iota.

28. Je l’ai priée de prier Notre Seigneur pour être certifiée de sa volonté sur moi, dans l’emploi au prochain. Notre Seigneur a répondu que c’est son esprit qui me pousse à y travailler, et qui me donne les désirs que j’ai ; que tout cela est de lui, que c’est un don qui m’a été obtenu par la Sainte Vierge, laquelle m’a obtenu la naissance de Notre Seigneur dans mon âme, de laquelle découle ce grand don de l’amour du prochain comme il était en Jésus-Christ ; et qu’à mesure que Jésus-Christ croîtra dans mon âme, l’amour du prochain y croîtra aussi ; et que je pourrais davantage lui aider. Elle dit que c’est un très grand don, et plus grand que celui de ma solitude, durant laquelle Jésus-Christ était conçu en mon âme ; mais maintenant qu’il y est né : et ainsi que je dois laisser dilater mon cœur selon l’étendue du don ; et que loin d’empêcher mon intérieur, il le fera croître ; tout ainsi que Notre Seigneur à mesure qu’il croissait, à mesure aussi semblait-il croître en amour du prochain.

Elle dit que j’aie à être bien fidèle, d’autant que c’est un don très grand ; que c’est mon emploi ; que ma règle à m’y gouverner est la volonté divine ; que mon emploi au prochain est d’y semer les vertus et des choses intérieures [425] et que les autres sont pour défricher le péché [sic] ; que voilà ma grâce.

La sœur Marie a été si aise de cela qu’elle disait : que ceci me semble beau ! Vous voilà tout à fait uni avec M. de B. et Mme de N.635 Vous voilà missionnaire ; il faut travailler, selon les ouvertures.

Je lui ai parlé comme je connaissais les intérieurs, dont elle a été bien aise, me disant que chacun a le sien, qu’il ne les faut conduire que selon la volonté de Dieu sur eux.

29. Elle me disait que c’était la Sainte Vierge qui faisait naître Notre Seigneur au monde dans les intérieurs, et qu’elle avait cette grâce-là, comme aussi de l’y conserver ; enfin qu’elle a le même droit sur Jésus-Christ dans les âmes qu’elle avait sur lui étant au monde. J’ai remarqué que tout cela avait une telle correspondance avec ce qui se passait intérieurement dans mon âme, lorsqu’elle me le déclara, que je ne saurai le comprendre, sinon adorer Dieu qui l’a fait.

Quelquefois il semble à cause du travail au prochain que notre union en est obscurcie : il ne faut que se laisser calmer, ou plutôt outrepasser, car ce n’est rien. Elle m’a témoigné grande joie de ce que la volonté de Dieu m’était découverte : jusqu’ici, dit-elle, vous avez travaillé pour vous, mais à présent Dieu veut que vous travailliez pour lui.

Toute la pure sanctification d’une âme, est la volonté divine, qu’il faut suivre aux dépens de quoi que ce soit sans réflexion, laissant mourir l’esprit humain, rien ne devant paraître devant elle.

30. Que je goûte cette grâce là ! me disait-elle, parlant de la naissance de Notre Seigneur, et [426] comme elle était toute dirigée à l’amour du prochain, n’étant venu au monde que pour cela ; que cette naissance est encore tendre pour moi et chez moi, mais qu’elle croîtra, qu’il en faut bien espérer.

Elle m’a dit comment l’âme ensuite de l’anéantissement vient à prier Dieu vocalement et mentalement tout ensemble, qui est une chose très divine, et que la seule expérience peut faire comprendre ; car cela est admirable : et elle m’a dit là-dessus qu’un jour Notre Seigneur révéla à une personne, qu’il y avait eu une bonne femme qui l’avait plus honoré et loué en récitant l’Ave Maria, que tout un corps d’un Chapitre en récitant tout l’Office ; ce sont ici des mystères admirables.

31. Je me dois attendre à des mépris et à des paroles fâcheuses, parlant et travaillant au prochain. Elle a trouvé tant à-goût le désir qui m’est venu d’aller à pied, parce que cela est conforme à Jésus-Christ.

Pour aider aux autres, il faut discerner les voies de Dieu, et ses conduites sur eux en Dieu ; à moins de cela on s’y trompe bien, comme aussi dans le choix des vocations. Un jour elle voyait une fille fort accomplie en tout, et priant Notre Seigneur qu’il la prît pour lui, il lui dit : les hommes choisissent le bel extérieur, et moi la belle âme. Quelquefois il choisit pour lui une personne fort mal faite, et de peu d’esprit en apparence.

Il faut qu’une Supérieure discerne de cette sorte la conduite et la voie de Dieu sur chaque âme, afin de la conduire purement ; à moins de cela elle perd tout, et fera aller les âmes par [427] d’autres voies que Dieu ne veut : et comme il n’y a que le pur ordre de Dieu qui soit quelque chose dans une âme, si vous l’ôtez, vous la perdez. O, que c’est une chose difficile d’être appliqué à la conduite des autres !

32. Nous avons aussi parlé de l’état souffrant, et comment il peut être aussi déifié, et encore plus, que l’état de consolation.

L’état souffrant plus il est anéantissant, plus il semble éloigné de Dieu ; l’esprit y semble tout séparé, les souffrances, les incertitudes sont fort fréquentes, les défauts naturels y sont aussi ; Dieu passe dans le pur fond et esprit, laissant le reste dans l’abandon et comme à soi-même ; quelquefois ce dehors et extérieur vient comme à s’éclaircir et tranquilliser, et c’est pour lors qu’on voit que l’on est uni ; cet état est fort déifiant et déifié.

Un jour il lui fut manifesté que son âme était comme un aigle qui allait avoisiner la Divinité, et jouir de ses admirables éclats, qui est l’état de consolation : mais aussitôt elle fut déjetée par terre, et enfouie si avant qu’elle ne voyait ni ne s’apercevait de rien, non plus qu’une personne qui aurait été véritablement enfouie, et dans cet état son âme ne laissait pas d’être déifiée.

Dieu donne à l’âme dans cet état un désir et une faim au commencement de le trouver, et ensuite de se perdre et consommer en lui, qui ne se perd et éteint jamais ; et plus elle va, plus elle croît, et c’est la goutte d’eau qui lui fut montrée, désirant se perdre dans l’océan : et Dieu cependant la fait souffrir et désirer davantage, afin de la faire plus perdre et [428] abîmer. Elle dit qu’il n’y a rien qui soit capable d’éteindre ni d’adoucir les désirs qui sont en cet état, que la possession de la chose : quand vous convertiriez tout le monde, et feriez toutes les belles choses, si vous ne venez à posséder, ce n’est pas une paille dans un incendie.

33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme expérimente par un instinct secret.

La première fois que nous vîmes la sœur Marie, nous lui dîmes que nous ne demandions que ses prières ; ce qu’elle approuva, de sorte que notre entretien ordinaire avec elle était de demeurer en silence et de dire quelque prière vocale quand elle en disait elle-même.

34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et qu’elle priât pour [429] nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout autre que par le passé.

Ayant résolu de n’en demander aucune certitude à la sœur Marie, le père Eude [sic] nous assura pourtant qu’elle lui avait témoigné que notre voie était bonne et de Dieu, ce qui nous fut suffisant pour y continuer avec fidélité ; soutenue par cette certitude jointe avec ce qui arriva à notre première visite en la présence du père Eude et de M. de M. Le R. P. Eude lui ayant demandé qu’elle priât Notre Seigneur de lui faire connaître si notre état était bon, elle déclara qu’il était de Dieu, le sachant en sa manière ordinaire. Le P. Eude lui demanda qu’elle dit un Ave Maria pour témoignage que le don était vrai, et que la Sainte Vierge en obtiendrait l’augmentation et confirmation ; ce qu’elle fit avec grande facilité, n’ayant jamais la liberté de prier que pour les choses que Dieu veut accorder.

35. Un jour en priant Dieu pour nous en notre présence afin de demander le don de Sagesse, on lui fit comprendre que c’était du vin de la vigne d’Engaddi, et non pas de l’amour ; ce don-ci étant doux et paisible, et non violent comme celui de l’amour. Il lui tomba aussi en pensée le jardin du Saint Sacrement où les âmes déifiées se trouvent et demeurent, et que c’était la vraie explication des paroles de Notre Seigneur. « Quiconque perdra son âme, la trouvera ». Il me semble en effet que jusqu’à l’état de déification [430] l’âme se conserve encore elle-même dans les dons et grâces ; mais elle ne peut entrer en cet état qu’après s’être totalement perdue : qu’il y a de la différence entre la Sagesse et l’amour divin, qui prend l’âme entre ses bras, et la porte en Dieu pour être déifiée en lui et recevoir le don de Sapience.





Bibliographie sommaire



I. Sources manuscrites

a) aux archives des eudistes à Paris :

Manuscrit de Québec copie partielle (10 livres sur 12) de la première version de la Vie admirable de Marie des Vallées rédigée par Jean Eudes en 1655.

b) à la Bibliothèque nationale de France :

c) à la bibliothèque Mazarine :

MS 3177, Mémoire d’une admirable conduite de Dieu..., dit Manuscrit Renty et dont la première partie semble avoir été rédigée par Gaston de Renty.

d) à la bibliothèque municipale de Cherbourg :

MS 68, Abrégé de la vie et de l’état de Marie des Vallées, dit manuscrit de Cherbourg.

e) à la Bibliothèque nationale de Vienne (Autriche) :

Ms Hohendorff 6980, Abrégé de la vie et état de Marie des Vallées.

II.  Sources imprimées (par ordre chronologique de parution)







Influence mystique et postérité de Marie des Vallées

Journée du 1er juin 2013 à Coutances *

Dominique Tronc



L’influence de Marie des Vallées (1590-1656) [M des V] s’exerça directement par les conseils qu’elle donna à ses visiteurs dont saint Jean Eudes, Jean de Bernières et d’autres spirituels de l’Ermitage de Caen fondé par ce dernier.

La postérité d’une telle influence fut assurée à la génération suivante puis plus récemment grâce aux « dits » rapportés. Ils sont livrés dans La Vie admirable rédigée par saint Jean Eudes et dans les Conseils édités en collaboration avec Joseph Racapé636.

§

Regrettons que l’état de santé du Père Racapé ne lui ait pas permis d’assurer un aller-retour entre Paris et Coutances. M’intéressant à madame Guyon et à sa lignée spirituelle dont monsieur de Bernières637, je suis venu aux Archives eudistes consulter les dossiers assemblés par le P. Du Chesnay en vue d’une grande thèse inachevée sur le fondateur de l’Ermitage. Leur conservateur m’a fait découvrir le manuscrit dit de Québec et devint un ami. Il a repris avec grand soin ma transcription et éclaire la lecture d’un texte imprégné par la pratique religieuse traditionnelle. Il a ajouté l’Abrégé. Le volume s’achève par un texte méconnu, les Conseils d’une grande servante de Dieu attachés au Directeur mystique publié en milieu protestant à Amsterdam en 1726. Nous touchons ici à des influences qui s’exercèrent au sein de milieux les plus divers.

§

Influence directe par des conseils aux visiteurs. Les membres de l’Ermitage de Caen faisaient annuellement un séjour auprès de « sœur Marie ». Nous en trouvons des traces écrites dans La Vie ou les Conseils (leurs références figurent en notes dans notre contribution rédigée). Voici un passage assez long mais révélateur :

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’elles avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, elles demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour.

Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’elles lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.

« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente 638 



Les conférences mystiques n’excluaient pas de bons moments. Mais ils restent contrôlés :

Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint point. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. »]639

Le grand respect de tous les pèlerins mystiques envers celle qu’ils nommaient notre « sœur Marie » demeura gravé dans le bronze ce dont témoigne la cloche du séminaire de Coutances : « +1655 iai este nommee Marie par Marie des Vallers et par Mre Jean de Berniere ». Et sœur Marie fut inhumée dans la chapelle du séminaire de Coutances, le 4 novembre 1656640.

Elle était donc bien « considérée comme une sainte femme, et une conseillère spirituelle avisée, par beaucoup de personnes notables. On peut citer entre autres : Gaston de Renty (1611-1649) ; Jean de Bernières (1602-1659) ; la mère Mechtilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar) (1614-1698), fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement ; Catherine de Saint-Augustin ; Simone de Longprey (1632-1668 à Québec), moniale hospitalière de la Miséricorde, béatifiée le 23 avril 1989 ; Mgr François de Montmorency-Laval (1623-1708), premier évêque de Québec, béatifié le 22 juin 1980 ; Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679), vicaire apostolique de Cochinchine, etc. » 641.

Jean Eudes prit courageusement sa défense dans son Abrégé que nous publions à la suite de la Vie : il ne pouvait abandonner sa dirigée et en même temps inspiratrice ; il précède ainsi l’archevêque de Cambrai Fénelon prenant la défense de madame Guyon.

Comprenons bien la source toute intérieure, clef du respect de tous ces proches, livrée dans les Conseils. Que se passait-il autour d’elle ? On perçoit trois niveaux :

1.Elle répond aux questions et ses réponses seront notées probablement le jour même par ses interlocuteurs dont saint Jean Eudes,

2.Elle raconte ce qui lui arrivait dont ses « songes » ou rêves, pour instruire,

3.Une communication de cœur à cœur en silence se produit dans une prière commune mystique.En témoigne probablement Bernières dans les Conseils d’une grande servante de Dieu rapportés dans le Directeur mystique :



27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur, et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer auprès d’elle en Dieu […] J’ai bien connu que c’était imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire642.

33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme expérimente par un instinct secret.

34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et qu’elle priât pour nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout autre que par le passé.643

Puis l’influence devenue moins directe se poursuit cependant sur la génération suivante par la diffusion de ses paroles :

-Soit perçue négativement par des jansénistes (nous ne traitons pas les épisodes compliqués de la collision entre mystiques et anti-mystiques),

-Soit perçue positivement - cela nous intéresse - par d’autres spirituels. D’abord par l’intermédiaire de Mgr de Laval qui emporta en Nouvelle-France notre manuscrit. C’est un indice de vénération profonde car on ne transportait pas de bibliothèques dans les traversées aventureuses de l’époque ! Le manuscrit « de Québec » traversa d’ailleurs deux fois l’océan…

L’influence atteindra à la fin du siècle madame Guyon – elle se rattache au même réseau mystique par monsieur Bertot passeur de Caen à Montmartre– réseau qui s’étendit ainsi à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du siècle. Madame Guyon écrit en 1693 au duc de Chevreuse :

... pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre, mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose644.

L’influence se prolonge encore au XVIIIe siècle par les Conseils édités près d’Amsterdam en 1726 par le groupe du pasteur Poiret, influent éditeur de trésors mystiques645.

Puis la personnalité de M des V parvint à émouvoir des chercheurs spirituels au XXe siècle :

Emile Dermenghem, reconnu par la suite pour ses belles études sur le soufisme, la fait heureusement revivre même s’il insiste sur les possessions et autres étrangetés 646.

Julien Green témoignera dans son Journal :

La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […] « Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! [] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort. 647 .648.

§

Quel intérêt nous pousse à lire M des V aujourd’hui ?

Selon deux champs distincts :



Le champ historique / sociologique : Le témoiognage éclaire les conditions difficiles auxquelles eurent à faire face des mystiques au début du XVIIe siècle. Leurs vies présentent des phases semblables : épreuves, déréliction, parfois troubles proches de la folie, résurrection intérieure. Même Benoît de Canfield ou François de Sales en sa jeunesse se croient un moment au moins perdus !

La comparaison de deux grandes figures qui sortirent de leur enfer héroïquement par le haut reste à faire : je pense au proche cadet Jean-Joseph Surin (1600-1665) [Marie des Vallées : 1590-1656].

Comme lui, l’« innocente » servante, obsédée par la crainte voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs. Ce don a renforcé des épreuves. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Jean-Joseph Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du « mal de douze ans » et il va entreprendre à son tour un étrange voyage intérieur.

Dans ses précieuses notices à l’édition de la correspondance de Surin649, Michel de Certeau décrit comment le jésuite tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun – et ce qui s’ensuivit650.



Le champ spirituel et mystique :

Il s’agit de quitter ce qui attire notre curiosité et de tenter une approche plus intérieure.

M des V montre comment l’on peut surmonter ses handicaps naturels par le haut, comme le fera Surin (et d’autres). Ces handicaps furent probablement renforcés par ce que nous pensons avoir été des épreuves troubles vécues dans sa jeunesse -peut-être même peut-on supposer quelque viol dont on imagine les effets sur bien des années.

De tels témoignages mis à jour et situés dans leur contexte soulignent comment peut s’opérer une progressive emprise de Dieu. Cette emprise permet de passer au-delà du plan psychologique et d’atteindre le plan spirituel, ce dont témoigne une grande paix et sagesse durant les dix dernières années. Selon une voie certes étrange et dépendante de l’époque. En témoignent des rêves et des « dits » de toute beauté.

Il faut ici souligner ce qui constitue à nos yeux le bon « mode d’emploi » de La Vie : commencer la lecture au Livre quatrième sinon même par les Conseils à la fin du volume! Ce que j’ai vérifié la semaine dernière lors d’une relecture de l’ensemble du volume : à une rupture de la copie par introduction de feuillets vierges et par un changement de main du copiste (indiqué note 121, page 151) correspond un changement très profond d’atmosphère où les beaux et profonds passages prennent place en remplaçant bien des diableries. S’agirait-il de deux rédactions distinctes d’époques dirfférentes?

§

Laissons-lui la parole. Je vous convie à achever cette matinée sur quelques extraits d’un volume de 693 pages :

Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. […]

Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour divin qui contient sept articles :

Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.

Le second de marcher sur les eaux à pied sec. […]

Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. […]

Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.

Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et n’ont point d’arrêt. […]

Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde[…]

Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. 651

§

Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerais arrêt en l’excès de mon amour. »

Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. »652

[…]

Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?

Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à tous, et la lumière du soleil, c’est la foi.653

§

Elle aime Dieu purement :

L’an 1653, le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination.654

§

Dans la même inspiration :

Il lui dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine volonté qui vous anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses655. »

§

Ses visions sont d’une grande beauté mais parfois obscures elles demandent attention et interprétation. Ce sont des analogies mystiques :

Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse [servante], travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter [débroussailler] toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines. » Elle continue, fait la même plainte plusieurs fois et entend la même réponse. En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit : « Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il en sort du sang.

Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec colère : « Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle lui commanda d’essarter comme devant avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset : Sequar quocumque ierit. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant [273v] où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle.656

§

Son exigence :

Eh bien ! Que demandez-vous ? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?

Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.

Voulez-vous la contemplation ?

Non.

Quoi donc ?

Je demande la connaissance de la vérité ! 657

§

Son plus profond désir est de sauver les âmes :

« Mais quand je serais arrivée à la porte du paradis, après que toutes les âmes y seraient entrées jusqu’à la dernière, si on me fermait la porte, que dirais-je ? Je dirais à Dieu sans regret, puisque toutes les âmes sont sauvées : « Je suis en repos, je suis contente qu’on m’envoie au néant »658

§

Sa grande prudence dans la conduite d’autrui due à une longue expérience :

Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente.659

§

Sa manière ordinaire de connaître la vérité des choses qui lui sont proposées par diverses personnes n’est pas par intelligence ni par lumière, mais par un goût expérimental qui lui ouvre le fond du cœur dans lequel elle entre…660

§

Sa modestie empreinte de réalisme :

En une autre occasion, Il lui dit encore : « Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser. 661

§

Terminons par ce beau passage qui fait songer à Ruusbroec :

L’an 1647, la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle : « Audience, audience, ô grande mer d’amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.

La sœur Marie demanda : « Qu’elle est cette voix ?

C’est la voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée à la perfection, laquelle est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est revêtue et embrasée d’amour et de charité, et qui crie par les grands désirs qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée 662. Mais je la laisse dans ce divin feu afin de la purifier encore davantage.









Table des Matières



Table des matières

Sources 2

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) 3

Présentation 7

Les origines et le sieur de la Forest (1563-1628) 7

Le maître caché des mystiques normands 8

Présentation des écrits de Chrysostome publiés par ses disciples Bernières et Mectilde 44

Note sur la direction de Bernières par le P. Chrysostome 46

Divers exercices de piété et de perfection 46

Premier exercice traitant de la sainte vertu d’abjection 49

Premier traité : de la sainte abjection. 49

Traicté second. États différents et diverses pratiques de la sainte abjection. 53

Troisième traité. Méditations brèves pour adorer imiter Jésus en ses différents états d’Abjection. 60

IV. Traité. Méditation d’abjection en la vue de la divinité. 68

La dévotion de la sainte agonie de Jésus que l’on peut pratiquer durant le Saint Carême. 73

La solitude de cinq jours, De la souffrance de Jésus dans le mépris d’Hérode. 75

Exercice méditatif des dix jours 79

Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur […] 81

Divers traités spirituels et méditatifs 110

Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité. 115

Traité second. La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul. 128

Traité troisième. Les Dix Journées de la sainte Occupation, ou divers Motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son Amour. 142

Traité quatrième. Exercice sur la vie de Sainte Élisabeth, imitant Jésus, en forme d’examen sur les vertus. 153

Méditation abrégée par voie d’amour, de la très adorable Incarnation et bénite Naissance en notre chair du Verbe éternel. 163

Deux directions 168

L’initiation de Bernières 169

L’initiation de Mectilde 172

Extraits de lettres où Mectilde parle de Chrysostome 180

La Vie Admirable de Marie des Vallées 277

et son Abrégé 277

RÉDIGÉS par Jean Eudes 277

suivis de 277

Conseils d’une grande servante de Dieu 277

Sources mystiques 277

La Vie Admirable de Marie des Vallées 278

et son Abrégé 278

RÉDIGÉS par Jean Eudes 278

suivis de 278

Conseils d’une grande servante de Dieu 278

Textes présentés et édités par 278

Dominique Tronc & Joseph Racapé, cjm 278

278

Marie des Vallées, possédée par Dieu 279

Saint Jean Eudes, témoin fidèle 290

Avertissement 295

LA VIE ADMIRABLE DE MARIE DES VALLÉES, ET DES CHOSES PRODIGIEUSES QUI SE SONT PASSéES EN ELLE 296

  296

Livre 1. 297

Contenant ce qui s’est passé en elle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. 297

Livre 2. Les désirs extrêmes qu’elle a eus de souffrir, et tout ce qui concerne l’enfer dans lequel elle a été. 320

Livre 3. Qui contient ce qui concerne le mal de douze ans et qui fait voir comme elle a porté les péchés d’autrui et un grand nombre de diverses sortes de souffrances. 333

Livre 4. Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. 354

Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’œuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. 406

Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession. 452

Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. 478

Livre 8 contenant plusieurs choses contre le péché en général et plusieurs péchés en particulier. 496

Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. 514

Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. 551

ABRÉGÉ DE LA VIE ET ÉTAT DE MARIE DES VALLÉES. 581

Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées 620

Bibliographie sommaire 632

Influence mystique et postérité de Marie des Vallées 635

Table des Matières 645







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fin






1«Le P. Chrysostome dit de Saint-Lô [sic] naquit à Saint-Fremond, Basse-Normandie, diocèse de Bayeux, et fut nommé Joachim au baptême. Un de ses frères fut capucin et une sœur a été clarisse à Rouen de l’étroite observance. Joachim étudia à Rouen et y eut pour maître le P. Caussin, jésuite. Étant encore écolier, il écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l’habit à Picpus. Son père fit ce qu’il put pour le faire sortir du cloître et y employa à cet effet un magistrat considérable du parlement de Normandie. Le jeune homme tint ferme» (P. Claude Prévôt, bibliothécaire de l’abbaye de Sainte Geneviève à Paris, Bibl. Ste Gen., ms. 3030, f ° 21r °, Arch. eudistes, dossier du Chesnay VIII Bernières).

2Jean-Marie de VERNON, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assize. Tome second. La vie des personnes illustres qui ont fleuri dans les siècles quinze, seize et dix-sept. Paris, 1667, 527 sv. : «La vie d’Antoine le Clerc, sieur de la Forest».



3DS 5. 1645 (art. “Spiritualité franciscaine”).

4[Henri-Marie Boudon], L’Homme intérieur ou La Vie du vénérable Père Jean Chrysostome, religieux pénitent du Troisième Ordre de saint François, à Paris chez Estienne Michallet, 1684.

5SOURIAU, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913.

6DS 2. 881 sv. (art. “Chrysostome de Saint-Lô”).

7Analecta TOR, vol. XXIII, 152, 1992, Raffaelle PAZZELLI, “Bibliografia del Terz' Ordine Regolare di San Francisco in Francia ”, notice “8. Jean Chrysostome de Saint-Lô ”, 76–79.

8Boudon, L’homme intérieur…, op.cit., p. 88.

9Ibid., p. 178, 198.

10Ibid., p. 200.

11Ibid., p. 284, 316.

12Ibid., p. 337.

13Ibid., p. 372 à 378.

14 «Un Grand Siècle franciscain à Paris (1574-1689)», par Pierre Moracchini, nous introduit à toute la renaissance du TOR en France à la fin des guerres de religion (dont 3,1. Vincent Mussart [1570-1637] in La Vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, Tome III, «Sources mystiques», Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2014, 63-156.

15 Ce qui laisse supposer certaines oppositions.

16 «7. Le sieur de Bernières de Louvigny de Caen, éclate assez par son propre lustre, sans que ma plume travaille pour honorer sa mémoire. Son livre posthume publié sous l’inscription du Chrétien Intérieur, avec tant de succès, est une étincelle du feu divin qui l’embrasait. Les lumières suréminentes dont son esprit était rempli, n’ont pas pu être toutes exposées sur le papier, ni dans leur entière force : comme il était enfant de notre Ordre dont il a pris l’habit; aussi en a-t-il tendrement aimé tous les sectateurs.» (Histoire..., op. cit.. , Tome Second, p.587, au sein d’une liste, en prenant place entre «6. M. l’Abbé Ollier» et «8. Alberte Barbe d’Ernecour...»).

17 L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome (choix).

18 Cette édition de 1684 figure dans les Œuvres complètes de Boudon [...] Ses divers opuscules ascétiques [...], hors Patrologies, Migne, Tome Deuxième, 1856, col. 1127 sq. — Sur Boudon, (1624-1702), v. DS, 1.1887-1893.


19Compte tenu de leur caractère de sources jamais décrites et surtout du rôle de leur auteur franciscain comme fondateur de l’école de l’Amour pur, nous relevons les contenus différemment ordonnés des trois exemplaires relevés de Divers exercices de piété et de perfection composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de N. S. J. C.

(A) Exemplaire édité à Caen, chez Adam Cavelier, 1654. Bibl. municipale de Valognes, réf. C4837, contient : image en frontispice (elle est reprise en tête de ce chapitre) : «Le Reverend Père I. Chrysostome de Sainct Lo...», page de titre avec vignette de Jésus représenté de profil, Approbations (Fr. Louis Quinet, Abbé de Barbery, Claude de Nyau, Henry Marie Boudon, Archidiacre d’Évreux),

(1) première numérotation 1-212 : «Premier exercice traictant de la sainte vertu d’abjection», divisé en : (a) «De la sainte Abjection. La société spirituelle de la sainte Abjection», 1-11 — (b) «États différents […] de la sainte Abjection», 12-56 — (c) «Méditations brièfves pour adorer et imiter Jésus…», 57-138 – (d) «Méditations d’abjections en la vue de la Divinité», 139-212, suivis de : Advis «Ce traicté n’a pu être achevé par l’autheur, qui fut prévenu de la mort…» et d’une «Table des divers traictés contenus en ce troisième [?] Exercice»;

(2) seconde numérotation 3-240 : «La Dévotion de la sainte Agonie de Jésus…», divisé en (a) «Brèves méditations sur la sainte Agonie», 3-18 — (b) «La Solitude des cinq jours», 19-132 — (c) «Exercice méditatif des dix jours», 133-229 — (d) «Oraisons à la Sainte Vierge», 229-240;

(3) troisième numérotation 1-136 : «Cinquième et dernier traité, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles du même auteur», contient des lettres de directions, dont certaines adressées à Bernières, d’où le grand intérêt de ce troisième ensemble.

(B) Exemplaire sans date, ni éditeur, ni lieu, ni approbations, Bibl. municipale de Valognes, réf. C4839. Il contient : «Advis», 1-2; (2) «La Dévotion de la saincte Agonie de Jésus…», 1 à 18 — «La Solitude des cinq jours…», 19 à 131 — «Exercice méditatif des dix jours», 133 à 240; (1) «Troisième Exercice, traictant de la sainte vertu d’abjection», 1-212, suivi d’un «Advis…»; (3) «… diversités spirituelles…» (il y a donc modification de l’ordre; contenu presque identique à A).

(C) Exemplaire édité à Paris, 1655, réf. Chantilly A409/452 (maintenant à la Bibl. de Lyon). Il contient : «Advis», 1-2; (2) «La Dévotion de la sainte Agonie de Jésus…», 3-236; (1) Premier [troisième] exercice de la sainte vertu d’Abjection», 1-212 et table; (3) «… diversités spirituelles…», 1-136.

20Voir le Dictionnaire de Port-Royal, 2004, p. 724 sur Claude Martin (vision moqueuse à corriger par Dom Claude Martin, Les Voies de la prière contemplative, Solesmes, 2005), puis p. 696a sur le duc de Luynes (vision étonnante à lire).

21On est là bien loin du propos initial du fameux ouvrage de Thomas a Kempis.

22 Divers exercices de piété et de perfection, Composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des Ames, à Caen, Chez Adam Cavelier, 1654. Ouvrage très rare dont le seul exemplaire complet (c’est-à-dire ayant conservé le feuillet du beau portrait gravé du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô) se trouve à la B. M. de Valognes (Cotentin) sous la référence C4837 (un ex. en provenance de Chantilly/Lyon est accessible sur Google books sous «Divers exercices de piété et de perfection» : il s’agit d’un exemplaire incomplet [paperolle : «… il manque à l’Exercice méditatif les pages 237-240/et aux Diversités spirituelles les pages 1-14»]. Sa référence A409/451 est accompagnée de l’annotation : «l’auteur est le P. Jean-Chrysostome de S.Lo du tiers ordre de S Fr.»).

Le P. du Chesnay a étudié profondément la seconde partie en préparation d’un grand travail sur Bernières qu’il n’eut pas le temps d’achever (archives Eudistes, «Dossier VIII Bernières. Son directeur spirituel»).

23 La pagination des «Diversités spirituelles» propre à la seconde partie (v. note précédente) est reprise de 1 à 138 (elle succède à des écrits normatifs de Chrysostome paginés de 1 à 240). B. a certainement assuré financièrement l’édition. Il a compris combien le dialogue entretenu entre ses «Propositions» et leurs «Réponses» serait utile à d’autres. Le dialogue s’ouvre sous le sous-titre «Autres Advis de conduit à divers [?] personnes…» Du Chesnay et nous-mêmes attribuons l’ensemble de la suite au seul Bernières.

24 Page de la source.

25 V. Lettre du 21 janvier 1646

26 «Double vocation au prochain», «vous défaire prudemment…», «premier pauvre» : parmi les indices confirmant Bernières comme le dirigé. On trouvera confirmation par la référence à sa «seigneurie» en fin de lettre huitième.

27 Ce paragraphe fait penser à Marie des Vallées souvent consultée, N. pourrait être le P. Eudes (deux hypothèses!).

28 v. lettre du 15 août 1643, note mettant en parallèle les textes.

29 Saint Jean Eudes?

30 On est en droit de ne pas partager cet «esprit du temps» même repris par Chrysostome.

31 ? : manquent 1. Et 2. La mise en plombs semble avoir souvent été rapide ou bien le manuscrit était difficile à déchiffrer par l’imprimeur.

32 Une terre appartenant à Bernières de Louvigny. — On sait que ce dernier se ruina pour donner : par exemple pour la Nouvelle-France, voir les témoignages de Marie de l’Incarnation des lettres 66 et 143 dans l’édition Oury.

33 Saint Bardon (980-1053) devenu archevêque de Mayence, fêté le 10 juin.

34 S’agit-il de la fondation de Jean Eudes?

35 [sic] : le 3e point qui précède, «… il me vint en l’esprit que le soleil entrant dans un cachot puant…»

36 [sic] : «1.» manque.

37 Exemplaire de la bibliothèque de l’ancien couvent proche de Valogne indiqué par cachet relié pleine peau intitulé Exercices de piété et de perfection cote C 4837, actuellement conservés dans la bibliothèque municipale de Valogne.



38 Un exemplaire en provenance de la bibliothèque de Chantilly (fond en provenance d’Avon aujourd’hui préservé à la bibliothèque municipale de Lyon) est disponible en ligne :

https://books.google.fr/books?id=BZMJF9cnc4EC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage & q & f=false



39 Nous avons repéré sept exemplaires des écrits «composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes» : un des trois exemplaires de la B. M. de Valognes (réf. C4837) comporte le portrait gravé sévère, mais si attachant que nous avons repris en tête de chapitre; un même ex. à la B.N.F. a perdu ce portrait; trois ex., consultés à Chantilly, également sans portraits, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent — l’ordre des matières peut varier — à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651; Divers exercices de piété et de perfection…, Paris, 1655; de nombreux autres titres, que nous n’avons pu localiser, sont relevés par Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1320 sv.

40 Nous soulignons les sections dont nous avons relevé des passages présentés en texte principal et qui sont titrés de même manière : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651. L’exemplaire de la B.N.F., contient : Épitre à Madame de Puisieux,/Avis nécessaire au lecteur,/Traité premier : «Le Temps, la mort et l’éternité»,/(100) Traité second : «La Sainte Désoccupation de toutes les créatures pour s’occuper en Dieu seul»,/(181) Traité troisième : «Les Dix Journées de la sainte occupation, ou Divers motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son amour»,/(255) Traité quatrième : «Exercice sur la vie de sainte Élisabeth...»/(329) «Méditation abrégée par voie d’amour...»/(353) Approbations et fin.

41Cantique spirituel B, 11, 7.

42 Jr 31, 3.

43 Jean de Bernières, Œuvres Mystiques II Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Eric de Reviers, o. s.b., A paraître.

44 Divers exercices de piété et de perfection, Composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des Âmes, à Caen, Chez Adam Cavelier, 1654. Ouvrage très rare dont le seul exemplaire complet (c’est-à-dire ayant conservé le feuillet du beau portrait gravé du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô) se trouve à la B. M. de Valognes (Cotentin) sous la référence C4837 (un ex. en provenance de Chantilly/Lyon est accessible sur Google books sous «Divers exercices de piété et de perfection» : il s’agit d’un exemplaire incomplet [paperolle : «… il manque à l’Exercice méditatif les pages 237-240/et aux Diversités spirituelles les pages 1-14»]. Sa référence A409/451 est accompagnée de l’annotation : «l’auteur est le P. Jean-Chrysostome de S.Lo du tiers ordre de S Fr.»).

Le P. du Chesnay a étudié profondément la seconde partie en préparation d’un grand travail sur Bernières qu’il n’eut pas le temps d’achever (archives Eudistes, «Dossier VIII Bernières. Son directeur spirituel»).

45 La pagination des «Diversités spirituelles» propre à la seconde partie (v. note précédente) est reprise de 1 à 138 (elle succède à des écrits normatifs de Chrysostome paginés de 1 à 240). Nous livrons intégralement la direction de Bernières (page 77 à la dernière page 138). B. a certainement assuré financièrement l’édition. Il a compris combien le dialogue entretenu entre ses «Propositions» et leurs «Réponses» serait utile à d’autres. Le dialogue s’ouvre sous le sous-titre «Autres Advis de conduit à divers [?] personnes…» Du Chesnay et nous-mêmes attribuons l’ensemble de la suite au seul Bernières.

46 Des extraits sont repris en notes lorsqu’ils éclairent le grand corpus chronologique.

47 Page de la source.

48 [sic] : «1.» manque.

49 Exemplaire de la bibliothèque de l’ancien couvent proche de Valogne indiqué par cachet relié pleine peau intitulé Exercices de piété et de perfection cote C 4837, actuellement conservés dans la bibliothèque municipale de Valogne.



50 Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698), Un Florilège établi par Dominique Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, A paraître.

51 Lettre à Bernières du 30 juin 1643. T4, p. 69; P 101, p. 136. Les mystiques sont discrets; leur rencontre est souvent le fait d’une introduction par un de leurs dirigés qui aimerait partager sa chance lorsqu’il rencontre un ami éprouvé.

52 P160, p. 228; T4, p. 617 sq. Chrysostome répond aux questions posées dans ce mémoire. (Transcription dactylographiée de ce ms. au couvent des bénédictines de Rouen, dossier intitulé «Père Jean Chrysostome de Saint-Lô». Ce dialogue entre dirigée et directeur mystique nous apparaît si important que nous lavons comparé et corrigé par la source T4.

53 T4, p. 619 (au lieu de «quelle [reçoit] de Dieu».

54 T4, p. 633.

55 T4, p. 637.

56 P 160, p. 241a; T4, p. 649; P 101, p. 180.



57 ce divin: P 101, p. 182.

58 Bien avare à qui Dieu ne suffit: la célèbre devise de madame Acarie. Il faut, dit saint Augustin «quune âme soit bien avare, à qui Dieu ne suffit pas» (Enarratio III in Ps. XXX, n.4).

Elle est souvent reprise par Mectilde avec des variantes : «Celui-là est bien avare à qui Dieu ne suffit» en réponse du P. Chrysostome, P 101, p. 183; «Trop est avare à qui Dieu ne suffit», lettre à Madame de Châteauvieux, Documents Historiques D. H.], p. 191, 5e lettre, 1576 FC; «ô que trop est avare à qui Jésus ne suffit pas dans la sacrée Eucharistie», Retraite de 1662, D. H., p. 128; «Véritable Esprit», I, p. 26, édition de 1864; «Le langage des mystiques...» in N 249 [et non N 248], p. 200.

59 Les additions sont mises entre crochets.

60 P 101, p. 189, fin de la réponse du Père Jean Chrysostome.

61 Extraits de la Correspondance de Bernières en préparation.

62 S’agirait-il d’une première forme brève qui conduira à «Divers exercices de piété et de perfection,/Composés par un religieux d’une vertu éminente & de grande expérience en la direction des Âmes. /A la plus grande gloire de Dieu et de notre Seigneur Jésus-Christ»? Son auteur Jean-Chrysostome de Saint-Lô va mourir en 1646 soit deux ans plus tard. L’édition officielle paraîtra beaucoup plus tard en 1654. Mais un tirage, réf. C 4839 de la B.M. de Valognes, cachet «Bibliothèque de Valognes», n’est pas daté et ne comporte aucune approbation tandis que son «Advis» p. 2 déclare : «Ces petits traités n’ont été imprimés que pour satisfaire à quelques personnes particulières, & pour épargner la peine trop grande de les transcrire…». Les pages 3 à 240 sont de la même impression que celles de l’édition officielle de 1654 parue à Caen chez Adam Cavelier, qui les a donc reprises telles quelles (on note l’absence de pages 1 et 2!).

63 Monsieur de Bernières?

64 Mot omis au saut de page : côté?

65 D13 p.102. Fichier Central n° 794.

66 D13 p.97. Fichier Central n° 1061.

67 Saint Benoît dont le trépas est célébré le 21 mars.

68 Grégoire Lopez (1542-1596), ermite mystique au Mexique. Voir D.Tronc, Expériences mystiques II, 39-44.

69 Lettre adressée à Henri-Marie Boudon (1624-1702), archidiacre dÉvreux, «fond du Chesnay.»

70 Julien Green, Oeuvres complètes, IV, Pléiade, 20, journal rédigé à la lecture d’Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d'après des textes inédits, Paris, 1926.

71 Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, 103).

72 J.-J. Surin, Correspondance, Desclée de B., 1966. Dans ses précieuses notices, M. de Certeau décrit comment Surin tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun - et ce qui s’ensuivit. L’analyse comparée de deux figures si différentes (homme-femme ; intellectuel-servante), malades de la folie de leur époque, devrait permettre de trier le grain spirituel de l’ivraie d’origine psychologique.

73 Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe du vol. II., 407-430.

74 « Où est votre cœur ? - Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un - Je m’en vais vous le faire voir … Voilà votre cœur - Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre. » A rapprocher du dialogue soufi : « Le croyant n’a plus d’âme, car elle a disparu - Et où s’en est-elle allée ? - Elle est partie lors du pacte conclu avec Dieu… », (Sulamî, La lucidité implacable, Arlea, 1991, 75).

75 Vie admirable, Livre 1, citations des chapitres 3 et 5.

76 DS 16.207, art. « Marie des Vallées » (Milcent). – Voir aussi : Gaston de Renty, Correspondance, Desclée de Brouwer, 1978, 926.

77 Le côté excessif des possessions et du désespoir a-t-il été exagéré dans les comptes-rendus de témoins crédules ? C’est notre hypothèse.

78 Vie admirable, Livre 2, Chap. 4.

79 Vie admirable, Livre 9, Chap. 6.

80 « La vie admirable de Marie des Vallées, et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle », manuscrit conservé aux Archives Eudistes à Paris.

81 Livre 1, « Contenant ce qui s’est passé en elle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans », Chapitre 3, « Ce qu’elle fit quand elle eut connaissance qu’elle était possédée des malins esprits. »

82 De par l’autorité de ses exorcistes ?

83 Chapitre 8, « L’état misérable des sorciers. »

84 tranchées : coliques (Trévoux).

85 Livre 2, « Les désirs extrêmes qu’elle a eus de souffrir, et tout ce qui concerne l’enfer dans lequel elle a été », Chapitre 2, « Elle désire ardemment et demande avec instance les tourments de l’enfer afin d’en garantir les sorciers : elle y descend et y est condamnée à souffrir les supplices qu’ils méritent ».


86 Le 4 juillet 1616. L’un d’entre eux était Pierre Le Potier, vicaire de la cathédrale de Coutances très proche de la sœur Marie.

87 Le 18 novembre 1616.

88 Comme dans l’Enfer de Dante.

89 Chapitre 3, «  Les peines de l’esprit. L’Ire de Dieu. »

90 Ps. 89, 11 : « Mais qui connaît assez l’effet de ta colère, / Ou qui l’appréhendant autant qu’elle est sévère / N’a peur de t’irriter ? » (Adaptation par le poète Desportes, 213) – Ce dernier était fort apprécié de la sœur Marie.

91 ordes bêtes : bêtes sauvages.

92 Sa grande période de purification.

93 Chapitre 5, « De plusieurs autres choses qui lui arrivèrent pendant qu’elle était en enfer ».


94 en temps : ici-bas.

95 Chapitre 6, « Description de l’enfer et comme la sœur Marie en sortit. »


96 Livre 3, Qui contient ce qui concerne le mal de douze ans et qui fait voir comme elle a porté les péchés d’autrui et un grand nombre de diverses sortes de souffrances. Chapitre 1, Figures et prédictions du mal de douze ans. Il est figuré par une coupe pleine de feu et de soufre. Elle est appelée à souffrir ce mal de douze ans. Section 1. Le mal de douze ans est figuré par une couche et une fournaise ardente.


97 quant et quant :

98 déparager :

99 Chapitre 3, « Son esprit a des désirs très ardents d’entrer dans le mal de douze ans… »

100 Psaume 2, 9 : « Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier tu les mettras en pièces. »

101 Chapitre 4.

102 Chapitre 7, « Elle est chargée des péchés de tout le monde. Elle en porte les sentiments, la malédiction et la punition : c’est l’Amour divin qui l’en a chargée, dont Notre Seigneur lui donnera l’absolution. »


103 mouron : « espèce de salamandre ou de lézard jaune tacheté, qui pique de sa queue. Il s’en trouve en Normandie. » (Trévoux)

104 Mt 26, 37 : … Il commença à ressentir tristesse et angoisse.

105 Chapitre 8, « Elle est privée de toute consolation et ne croit point aux choses qui se passent en elle, et n’en parle que par contrainte : les sens font des conférences. »


106 Section 1. « Le plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance. »

107 Livre 4, « Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. » Chapitre 1, « De son innocence, de sa pureté virginale, de son martyre. »


108 Chapitre 2.

109 Chapitre 4. L’état de perfection où est arrivée la sœur Marie est le plus haut degré du dénuement intérieur. De sa conformité avec Notre Seigneur. Section I. Elle est attachée à la queue de cheval de Notre Seigneur qui est son amour divin, afin qu’elle le suive partout. Elle est crucifiée avec lui.

110 Chapitre 6. Notre Seigneur est toujours en son cœur et il y est régnant comme dans son palais royal.


111 Chapitre 8. Qu’elle est morte et anéantie et que Notre Seigneur est tout en elle. Deuxième paragraphe : Section 2. Comme son esprit, sa mémoire, son entendement, sa volonté, ses passions, ses sens et sa raison s’en sont allés au néant.


112 Section 4. Autre anéantissement qui s’appelle l’expiravit de l’esprit, lequel ensuite épouse la divine Volonté.


113 Section 5. L’expiravit des sens.


114 Chapitre 9. Son beau verset. Section 2. Son beau verset lui est représenté par une pierre précieuse enchâssée dans une bague. – Le « verset » : voir les sections « Le Chancelier d’or » et « Les excès ».


115 verset :

116 Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage. Section 2. Il y a un grand feu caché sous la cendre.


117 Chapitre 10, Section 5. Elle est représentée par un ver de terre.

118 Section 6. Trois oiseaux : un paon, un aigle et une colombe qui représentent le parfait usage qu’elle a fait des trois puissances de son âme.


119 Section 8. La sœur Marie est un bouquet composé de toutes sortes de maux. Elle est un chandelier d’or avec un encensoir.

120 « Voici que je fais toutes choses nouvelles » ; « La vérité du Seigneur demeure éternellement » ; « La volonté de Dieu fait tout ce qu’elle veut ».

121 Le pape élu le 15 septembre 1644.

122 Ps. 84, 11-12 : Desportes, 201.

123 Ps. 72, 7. Desportes, 170.


124 Section 9. Par trois encensoirs on fait voir comment elle est associée avec Notre Seigneur et la Sainte Vierge dans l’œuvre du salut des âmes.

125 Section 10. Ce qui se fait en elle est l’oeuvre de l’Amour divin et des excès de la Charité divine.

126 excès : le chemin direct des « épines, des ronces et des chardons ». Voir ci-dessous la section « Les excès ». 

127 Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.


128 Section 12. Les grands chemins abondent en froment et les campagnes sont stériles. On lui donne et elle donne un grain de raisin. Dieu est tout en elle et n’est que son habit dont Il est revêtu.


129 Section 14. Son état est représenté par ces paroles : Terribilis est locus iste. Non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli [ch. 28, v. 17 de l’Introït de la messe de la Dédicace].

130 Ce lieu est redoutable, il n’est rien d’autre que la maison de Dieu et la porte du Ciel.

131 Section 17. La sœur Marie est une étable aux pourceaux, la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale, etc.


132 Section 18. Salle carrée qui est la figure de la sœur Marie et des fruits que Dieu en tirera.

133 Section 19. Belle description de la sœur Marie.

134 Voir plus haut, la section « Le chancelier d’or ».

135 Section 20. Elle voit Notre Seigneur crucifié et couvert de plaies, qui est le modèle de l’état où elle est. Elle n’a qu’un même cœur avec Notre Seigneur et Sa sainte mère.

136 Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’oeuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.

137 Chapitre 5. Abrégé des états principaux par lesquels la sœur Marie a passé.

138 comme s’il invitait à passer.

139 Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps. Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.

140 Section 6. Elle est suspendue entre le ciel et la terre. Elle enfante la joie.

141 Chapitre 7. La fin de cet oeuvre. Le changement et la fin viendront quand elle y pensera le moins. Section 1. Elle va au-devant de son époux par la voie des excès. Il L’attend caché dans une sente pour la surprendre en passant.

142 Mon époux est fidèle et vrai dans toutes ses promesses.

143 Chapitre 8. La destruction des péchés est la fin de cet œuvre. La divine Volonté marchera à la tête de l’armée.

144 Section 2. Le feu de la haine du péché dont elle est embrasée pour l’anéantir. David a tué Goliath, Judith, Holopherne. Esther a délivré son peuple et Aman a été pendu.

145 Section 4. L’amour divin commande à toutes les vertus de lever chacune une armée pour combattre et pour tuer le péché.

146 Chapitre 10. La conversion générale. Vœux et prières pour la conversion générale. Section 2. Trois femmes dont l’une est morte, l’autre se tue, et la troisième est crucifiée.

147 pochette diminutif de poche ; on dit poche pour transporter des grains, pochette pour en marquer la contenance (Trevoux).

148 Section 9. Elle est une flèche empoisonnée. Elle fait un message aux éléments.

149 échapper : éviter

150 Section 12. Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont disposés à faire miséricorde à toutes les âmes et la leur faire de grands dons.

151 faufiler : mettre un faux fil pour préparer une couture.

152 du verbe rager. Forme correcte au XVIIe siècle.

153 Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc. – Marie des Vallées estimait beaucoup Benoit de Canfield, auteur de La Règle de Perfection … réduite à ce seul point de la Volonté de Dieu.

154 Livre 6, Chap . 1, Sect. 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine Volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison.

155 Section 2. Deux manières de donner sa volonté à Dieu. Il donne la sienne à ceux qui lui donnent la leur comme il faut.

156 Section 4. Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries [querelles] qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle.

157 De même M. Bertot dira : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. » (Directeur Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26).

158 Chapitre 4. L’Amour divin est rigoureux et terrible.

159 Section 1. Le jardin de l’Amour divin.


160 Echalas : bâton de longueur variable auquel on attache un cep.

161 Section 2. La Charité divine fait une collation à la divine Justice, l’enivre de son vin, met des bondes à son torrent et lui arrache des mains son couteau, ses flèches et ses foudres.

162 Chapitre 6. De la divine Justice. Section 2. Son grand amour envers la divine Justice.

163 Chapitre 12. Du très Saint Sacrement de l’autel. Comme elle le salue. Elle y trouve tous les saints. Section 1. Le paradis terrestre qui est le Saint Sacrement de l’autel.

164 Doublier : grande nappe qu’on devait replier pour la mettre sur la table.

165 Section 2. Autre jardin du Saint Sacrement.

166 Bordage : ce qui borde une chose, ici bordure.

167 Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. Chapitre 1. La dévotion que la sœur Marie a eue pour la Sainte Vierge et qu’elle est la main de Dieu. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.

168 Basse : servante (dictionnaire normand). Grande basse : servante principale.

169 Essarter : débroussailler.

170 Allusion à Mt 8, 19 : « Maître, je vous suivrai où que vous alliez. »

171 Estocs :

172 Chapitre 4. Ce qu’il faut faire pour honorer les reliques des saints. Elle les va saluer au Ciel. Section I. Les saints viendront pour détruire le péché.

173 Chapitre 5. De quelques saints en particulier. De saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne, saint Pierre, saint Paul, saint Étienne, sainte Catherine de Gênes, de Ste Thérèse et de sainte Gertrude.

174 Chapitre 6. De l’Église et de l’état où elle est.

175 Section III. Vœux pour l’Église et pour les prêtres. Elle sera saignée. On la fait baigner au fleuve du Jourdain.

176 Livre 8 contenant plusieurs choses contre le péché en général et plusieurs péchés en particulier. Chapitre 1. La laideur du péché et la haine que la sœur Marie lui porte, et la cause.

177 ? Mt 27, 50 : « Mais Jésus, jetant un grand cri […] rendit l’esprit. »

178Section 2. Désir extrême qu’elle a de la mort du péché. Les hommes attirent l’Ire de Dieu par leurs péchés. Le péché est notre frère aîné.

179 Chapitre 2. Contre l’orgueil. Exemples de quelques personnes orgueilleuses.

180Chapitre 4. Contre l’amour-propre, la propre excellence, la vanité et l’orgueil.

181 Chapitre 7. Contre l’envie, les contestations et les moqueries.

182 Chapitre 8. Contre la gourmandise, ivrognerie et friandise.

183 Chapitre 11. Contre le monde…


184 Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte. Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.

185 Section 2. On ne peut rien faire pour l’amour de Dieu quand on n’a pas l’amour de Dieu en soi. Différence de ceux qui agissent par amour de Dieu et de ceux qui agissent par amour propre.

186 Chapitre 4. De la dévotion. En quoi elle consiste et quelle a été celle de Notre Seigneur sur la terre. Section 1. Différence des âmes qui sont dans la dévotion sensible d’avec celles qui sont dans les sécheresses. Le démon donne quelquefois des consolations. Trois maux dans la dévotion et leurs remèdes.


187 Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement aux plus hauts degrés de la contemplation.

188 Benoît de Canfield, Reigle de perfection…, 1609 ; 1982 (édition complète par Orcibal), P.U.F. ; 2009 (troisième partie seule, Arfuyen)

189 Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.

190 Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

191 M. de Bernières, M. de Renty, M. Bertot, saint Jean Eudes et d’autres familiers de l’Ermitage.

192 Chapitre 7. Le jardin des contemplatifs.

193 Le 10 janvier 1645.

194 Cant. 2, 5 : Soutenez-moi avec des fleurs, parce que je languis d’amour.

195 Chapitre 9. Elle aime son prochain plus que soi-même. Combien la condescendance est agréable à Dieu. Un homme est sauvé pour approuver le bien. Une fille sauvée pour un acte de charité.

196 Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.

197 Section 1. Son amour pur vers Dieu et son affection pour les âmes.

198 Section 2 : Elle trouve la couronne de Notre Seigneur qui sont les âmes, dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

199 Section 3. Sa charité vers les âmes. Elles sont son cœur et elle n’a que des excès d’amour vers elles.

200 Section 6. Elle a grande compassion des pécheurs…

201 Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. Chapitre 1. De l’humilité de la sœur Marie. Section 1. Les trois partages des enfants d’Adam qui contiennent une belle instruction sur la connaissance de soi-même.

202 Section 7. Notre Seigneur cache dans son sein la petite violette qui est la sœur Marie.

203 Chapitre 2. De la haine extrême qu’elle a contre l’honneur.

204 Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés. Section 1. L’humilité comprend deux choses : la connaissance de Dieu et de soi-même - et c’est le plus court chemin pour arriver à la perfection. Qui a l’humilité a toutes les vertus.

205 Section 3. L’humilité et la crainte soutiennent la fragilité.

206 Chapitre 9. De la perfection. En quoi elle consiste. Son abrégé.


207 Section 1. Le plus court chemin de la perfection. La grande différence qu’il y a entre ceux qui marchent par ce chemin.

208 Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification.

209 Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.

210 Les « Conseils d’une grande Servante de Dieu » figurent à la fin du tome II du Directeur mystique, publié près d’Amsterdam en 1726 par le cercle de Pierre Poiret. Il s’agit de brèves notes rendant compte d’une visite à « sœur Marie » dont étaient coutumiers des membres de l’Ermitage.

211 Le pur miel mystique.

212 Julien Green, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 20. Il lit : Émile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, Plon-Nourry, 1926.

213 Les jésuites Pierre Coton (confesseur d’Henri IV, bon spirituel) et Jean-Baptiste Saint-Jure (directeur de Renty, par lequel Pascal a connu et apprécié ce dernier), la future Marie-Catherine de Saint-Augustin, (religieuse hospitalière, tourmentée – elle aussi – par des obsessions sataniques, qui vécut de 1648 à sa mort à l’hôtel-Dieu de Québec).

214 Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance, t. II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, p. 103).

215 J.-J. Surin, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966. Dans ses précieuses notices à cette édition, Michel de Certeau décrit comment le jésuite J.-J. Surin tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun – et ce qui s’ensuivit. L’analyse comparée de deux figures si différentes (Surin et Marie des Vallées : homme et femme, intellectuel et servante), atteints de la folie de leur époque – on aurait brûlé en Europe sorcières et sorciers par milliers en quelques dizaines d’années –, devrait permettre de trier d’une manière sûre le grain spirituel de l’ivraie psychologique en analysant deux cas au lieu d’un seul (car Michel de Certeau généralise le cas posé par Surin dans sa période malheureuse à l’interprétation de la mystique dans son ensemble, comme auparavant Pierre Janet étendait ses concepts de psychologie religieuse exposés dans De l’Angoisse à l’Extase à partir de l’observation de la seule Madeleine de la Salpêtrière). Le présent dossier fournit la source féminine alternative contemporaine du jésuite Surin.

216 Le témoignage de fidélité que nous éditons ne figure pas dans les Œuvres complètes du Vénérable Jean Eudes, introd. et notes de J. Dauphin et C. Lebrun, 12 vol., Vannes et Paris, 1905-1911.

217 Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe à la fin du vol. II., p. 407-430.

218 Comme l’indique une notice biographique attachée en note au début de notre édition des Conseils.

219 Passive, état d’une âme contemplative sous l’opération de Dieu, ne se confond pas avec la passivité prise au sens habituel d’inertie.

220 « Où est votre cœur ? – Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un – Je m’en vais vous le faire voir … Voilà votre cœur – Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre. » (Vie admirable, dialogue entre Jésus-Christ et sœur Marie, f°166) ; témoignage mystique que l’on peut rapprocher du suivant : « Le croyant n’a plus d’âme, car elle a disparu – Et où s’en est-elle allée ? – Elle est partie lors du pacte conclu avec Dieu… » (Sulamî, La lucidité implacable, Arlea, 1991, p. 75)

221 Vie admirable, livre 1, ch. 3 et ch. 5, désormais abrégé Vie 1.3 & 1.5 ; lorsqu’un chapitre est divisé en plusieurs sections, nous faisons figurer le numéro de la section contenant le texte référencé à la suite du numéro de chapitre (exemple : Vie 4.9.19 pour livre 4, chapitre 9, section 19).

222 De « forces inconscientes » disons-nous aujourd’hui. En substituant « inconscient » à « diable » on découvre souvent toute la pertinence de certaines interprétations de l’époque.

223 Paul Milcent, article « Marie des Vallées » du Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, tome XVI, 1992, colonne 207 = DS 16.207, art. « Marie des Vallées » (Paul Milcent). Voir aussi : Gaston de Renty, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1978, p. 926.

224 Les dates varient légèrement avec les auteurs. Nous retenons celles fournies par Dermenghem, chartiste qui a consulté les manuscrits qu’il cite.

225 « L’an 1653, le 29 de juillet », Vie 9.3.1.

226 Thomas Deschamps ( ?-1629) est l’auteur d’un traité complet de la vie spirituelle dans la ligne des écoles du Nord (Ruusbroec, Harphius…) : Le Jardin des Contemplatifs.

227 Memoriale beneficiorum Dei, n. 34.

228 Renty, Correspondance, (par R. Triboulet), Desclée de Brouwer, 1978, lettre 286, p. 670. - Envoi du même papier à Saint-Jure, lettre 305, p.706.

229 Du nom du baron Georg Wilhelm Von Hohendorf[f] (1670-1719), colonel au service de l’empereur d’Autriche et célèbre collectionneur de manuscrits.

230 L’annaliste observe qu’il y a là une erreur ; il y avait, en effet, près de 20 ans que Marie des Vallées était décédée. Sur quoi le bon P. Costil ajoute que la lettre qu’on lui avait envoyée n’était pas de la main du P. Eudes. Ce n’était sans doute qu’une copie, ce qui explique l’erreur commise.

231 Ave Maria, Filia Dei Patris, disent les Annales, dans une parenthèse explicative.

232 Les CL Psaumes de David, Mis en vers françois par Philippes Des Portes, abbé de Thiron, Rouen, Raphaël du Petival, 1603 – Philippe Desportes (1546-1606) fut un poète apprécié, qui sut mener sa barque intelligemment durant les troubles religieux. Sous Henri III il fut considéré l’égal de Ronsard. Devenu abbé de Tiron, il délaissa la poésie profane et travailla longtemps à sa traduction des Psaumes, voulant donner l’équivalent catholique de la traduction de Marot à l’usage des Réformés.



233 LA VIE ADMIRABLE de Marie des Vallées, et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle, volume des archives eudistes relié sans titre, apostille au dos : « 46 ». Au dos de la reliure : « En provenance de Québec » ; en page de garde : « mss. donné au T. R. P. Ange Le Doré, avec l’assentiment du recteur de l’Université Laval Mgr Paquet et celle de S. G. Mgr Bégin, archevêque de Québec » ; au folio 1, en travers : « Séminaire de Québec » avec tampon de sa bibliothèque. – On sait que ce volume précieux accompagna au XVIIe siècle le départ de Mgr de Laval, le premier évêque de la Nouvelle France, ce qui souligne la grande valeur qui fut attribuée à son contenu. Par chance il nous est parvenu intact après deux traversées de l’océan séparées par deux siècles dormants, sur un bateau en bois puis sur un bateau en fer.

234 Marqué « 2 » (répété à droite car la numérotation adoptée sera celle des folios). En haut de page, au milieu, rappel « L 1. » (pour livre premier) ; ce rappel est répété aux pages suivantes.

235 Marie des Vallées.

236 Ps. 87, 16 : Je suis pauvre et dans la souffrance depuis ma jeunesse. (Jean Eudes utilise la Vulgate. Nous donnons généralement la traduction du latin (mais la belle traduction jansénisante de Port-Royal convient mal à Jean Eudes ; aussi nous avons souvent recours à la traduction catholique du Nouveau Testament revue par Amelote - alors signalée - sinon nous traduisons au plus près un latin souvent paraphrasé).

237 Noter la longue durée – près de trente années – de la « possession ».

238 De par l’autorité de ses exorcistes ?

239 Comme indiqué dans l’avertissement à notre édition, nous introduisons des paragraphes et des guillemets lorsque le biographe nous fait « entendre » la sœur Marie, ce qui sera souvent le cas. Jean Eudes s’efface alors devant son interlocutrice.

240 Rüe : plante médicinale d’un goût âcre et amer, à l’odeur très persistante, utilisée jusqu’au XVIIe siècle contre les sorcières et les ensorcellements.

241 Ainsi est-ce écrit dans le manuscrit, ce qui souligne la quantité !

242 Courage (et bon sens) de « sœur » Marie.

243 L’Ire de Dieu est une propriété impersonnelle de la Grandeur ou Puissance divine. Nous la retrouverons souvent évoquée par sœur Marie. Elle ne doit pas être perçue comme l’expression d’une correction arbitraire, on est loin ici de toute prédestination calviniste ou janséniste. Comme la foudre tombe sur l’imprudent, l’Ire de Dieu est provoquée par toute grave transgression de Sa Loi. On touche ici au domaine proprement mystique, bien au-de de toute cause psychologique telle que l’expression objectivée d’une tendance au masochisme.

244 Nous introduisons ainsi une partie « 1. » qui comprendra la plus grande part du chapitre de « Premièrement » à « Sixièmement ». Elle est suivie de courtes parties « 2. » à « 4. ».

245 Une prostituée.

246 Le ms. comporte le chiffre « 4. » prenant la suite de « troisièmement ». Nous remplaçons « 4. » par l’adverbe « quatrièmement » et de même jusqu’au sixième point. Puis on rencontrera « 2. » correspondant à une seconde partie faisant suite à la longue première partie en six points. Nous remplaçons de même « 2. » par « Deuxièmement »…

247 la tournure du ms. « avoir agréable », fréquente dans le texte, est modernisée en « lui être agréable », ce que nous signalons par l’usage de crochets.

248 Il s’agit probablement de la suite de toute la première partie du chapitre.

249 Ps. 67,2 : « Que l’Eternel se lève, et tous ses ennemis / Epars et dissipés en route seront mis ». (Desportes, op. cit. p.151).

250 Agnus : une partie du cierge de Pâques qui sert – entre autres usages – à chasser les démons. (Dict. de Trévoux, art. « Agnus Dei »).

251 Luc 1, 51 (Magnificat).

252 Le Vexilla est une séquence (chant méditatif) qui suit une lecture de l’Écriture sainte du jour des Rameaux.

253 Ps. 7, 7 traduit par Desportes, p. 12.

254 Plaiger (ou pléger) : cautionner, se porter garant.

255 Tranchées : coliques (Trévoux).

256 Coulpe : faute.

257 Citation très proche dans l’Abrégé sous le titre L’Intérieure occupation d’une âme dévote (1re éd. 1608) – Pierre Coton (1564-1626) ou Cotton (nous normalisons en « Coton »), jésuite, prédicateur et écrivain spirituel de renom, confesseur de Henri IV puis du jeune Louis XIII, obtint le retour de la Compagnie de Jésus en France (1603). Écarté de la cour en 1617, il devint recteur du collège de Bordeaux, supérieur de la province d’Aquitaine puis de la province de France. D’après l’Abrégé il a rencontré Marie des Vallées et lui fut favorable.

258 Insinuée : inscrite.

259 Que je m’approprie indûment.

260 Ains : mais.

261 forligner : dégénérer, ne pas suivre le bon exemple de ses ancêtres.

262 « de la susdite » est une forme correcte au XVIIe siècle utilisés ici et par la suite (cependant nous modernisons par égard à nos lecteurs « spirituels » modernes).

263 Il s’agit bien de Jean Eudes, dont les missions sont célèbres. Il prêcha à Coutances le Carême du 15 février au 5 avril 1644.

264 Le manuscrit comporte : « …se fit environ quinze jours ou environ ». Nous allégeons.

265 Sur « l’usage public » des possédées à fin de propagande religieuse, v. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieuxen France…, tome V, « L’école du Père Lallemant et la tradition mystique dans la compagnie de Jésus », Paris, Bloud et Gay, 1920, chap.V, « Le Père Surin et Jeanne des Anges » (nouv. éd. vol.2, p.559-605) ; et surtout les notices par M. de Certeau à l’édition de sa Correspondance.

266 Dont vous vous êtes portée garante.

267 Le reste de la page est laissé vide ainsi que le 35e feuillet.

268 Ps. 107, 2. Desportes, op. cit. p. 261 : « Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est disposé ».

269 Philippiens 1, 23 : Je désire mourir et être avec Christ.

270 Cant. 8, 6 : l’amour est fort comme la mort, le zèle de l’amour est inflexible comme l’enfer.

271 Cant. 8,7 : Les grandes eaux n’ont pu éteindre la charité, et les fleuves n’auront pas la force de l’étouffer…

272 Dont le 4 juillet 1616, par M. Potier – Pierre Potier, l’un des six vicaires de la cathédrale de Coutances, chapelain de Notre-Dame de la Roquelle. La Sœur Marie chantait souvent auprès de lui le Gloria in excelsis et quand il la voulait envoyer à la messe, elle lui disait, « dans sa charité vraiment éclairée » : « Ma messe est de vous assister et de demeurer ici quand je n’aurai personne à mettre à ma place [de service] ». Un religieux étant venu le visiter et le flattant de sa bonne vie, la sœur Marie lui « cloua le bec » en lui disant « que notre partage était le néant et que nous ne devons nous rassurer que sur le sang du Fils de Dieu ». M. Potier mourut en 1648, âgé de 63 ans. Aussitôt après sa mort, la sœur Marie le vit entrer tout droit au ciel ; « Sans vous, il eût été damné », lui dit Notre Seigneur (fiches Lelièvre, arch. eudistes). Voir plus bas livre 9 [f° 372], l’hospitalité donnée à un autre prêtre et la prière de la sœur Marie.

273 Le 18 novembre 1616.

274 Ps. 89, 11 : « Mais qui connaît assez l’effet de ta colère, / Ou qui l’appréhendant autant qu’elle est sévère / N’a peur de t’irriter ? » (Desportes, op. cit. p. 213).

275 orde : sale, puant (Trévoux). ordes bêtes : bêtes sauvages.

276 quarteron : le quart d’une livre. (Trevoux).

277 En temps : ici-bas.

278 Pâques 1616, 15 avril ; Quasimodo, le dimanche qui suit Pâques, 22 avril.

279 27 décembre 1619. Les plaies restèrent encore deux ans.

280 Vie, 6.2.1.

281 Déparager : marier une fille à une personne de condition inégale (vient de « parage », égalité de naissance) (Trévoux).

282 Psaume 2, 9 : « Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier tu les mettras en pièces. »

283 Luc 1, 53-54 : « Il comble de biens les affamés ».

284 Gal. 3, 13 : Jésus-Christ a été fait malédiction pour nous.

285 II Cor. 5, 21 : Celui qui n’avait pas connu le péché a été fait péché pour nous.

286 Adaptation de Isaïe 53, 12 : il a porté lui-même mes péchés.

287 Ps. 68, 2. Desportes, op. cit. p. 155.

288 Mouron : « espèce de salamandre ou de lézard jaune tacheté, qui pique de sa queue. Il s’en trouve en Normandie. » (Trévoux).

289 Lam. 1, 12. « Il m’a vendangé au jour de sa fureur ».

290 Ps. 41, 8. Desportes, op. cit. p. 98-99.

291 Ps. 87. Desportes, op. cit. p. 206 (avant-dernier quatrain).

292 Jn 18, 11 : « Quoi, je ne boirais pas le calice que mon Père m’a donné ? »

293 Ps. 89, 11 : « Qui sait combien puissante est ta colère et qui connaît l’étendue de ton courroux ? »

294 II Cor. 5, 21 : Il a été fait péché pour nous (voir supra).

295 Troisième paragraphe de la Séquence qui suit l’épître de la messe du jour de Pâques : « La mort et la vie se sont heurtées dans un duel admirable. »

296 Ci-après livre 4, chap. 10, sect. 17 : « D’où venez-vous ? – Du Liban – Qu’en venez-vous de faire ? – Je viens d’un grand festin où mon époux et moi étions invités … – Où est maintenant votre époux ? – Il s’est aller coucher sur sa couche nuptiale – Quelle est sa couche nuptiale ? – C’est moi qui suis sa croix, car c’est lui qui souffre en moi. »

297 Nèle : nielle, maladie de l’épi du blé.

298 Apostume : abcès.

299 Ps. 115, 16-17. Desportes, op. cit. p. 276 :

Les chaînes qui pressaient ma vie

Tu rompis quant et quant,

Dont grâce je te sacrifie,

Ton saint nom invoquant.

300 Ps. 41, 4. Desportes, op. cit. p. 97 :

Jour et nuit je me repais,

De pleurs qui tombent épais,

Quand ils me disent sans cesse,

Ce Dieu, que si grand tu sais,

Où est-il qu’il te délaisse ? 

301 La numérotation ici défectueuse des folios a été corrigée (ajout « 77A »).

302 Mt 26, 37 : Il commença à ressentir tristesse et angoisse.

303 Col. 1, 24 : J’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ.

304 Quant et toi : avec toi.

305 Sacerdotes : prêtres.

306 Ps. 131, 8-9.

307 Montre-toi notre mère.

308 Le ms. porte à la suite, d’une autre main : « Ce qui suit du troisième livre sera mis en abrégé faute de papier. » Suit le titre que nous reprenons du manuscrit : « section 2, etc. Les feuillets suivants, numérotés 86 à 91, sont vierges. Au feuillet 92, reprise par une autre main, beaucoup plus soignée et lisible : « Livre 4 … ».

309 En conformité avec la théologie mystique telle qu’elle est explicitée par Benoît de Canfield apprécié par sœur Marie (elle connaissait la Reigle de perfection).

310 Doublier : grande nappe qu’on devait replier pour la mettre sur la table.

311 Ps. 11, 7 : argent purifié par le feu.

312 Adaptation de Ps. 131, 8 : « Surge Domine in requiem tuam tu et arca sanctificationis tuae, Lève-toi, mon époux, toi et ton arche glorieuse, pour venir au lieu de ton repos. »

313 Ps. 17, 2 : Diligam te, Domine, fortitudo mea. Desportes, op. cit. p. 34 (les cinq versets se trouvent près de la fin de ce long psaume 17).

314 Ps. 96. Desportes, op. cit. p. 227. Sur le manuscrit, les commentaires introductifs des versets figurent en marge gauche.

315 Cant. 4, 7 : Tu es toute belle, ma bien-aimée, tu es sans défaut aucun.

316 Gal. 2, 20 : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi.

317 « Fachez » dans l’édition Desportes 1603.

318 Ps. 22, 5. Desportes, op. cit. p. 48.

319 I Cor. 15, 22 : Comme tous meurent en Adam, ainsi en Jésus-Christ tous vivront.

320 Gal. 2, 20 : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi.

321 Samedi saint, Nuit pascale, Liturgie de la lumière, L’annonce de Pâques précédant la Veillée pascale : O certe necessarium Adae peccatum, quod Christi morte deletum est ! O felix culpa, quae tale ac tantum meruit habere Redemptionem ! O péché d’Adam, péché vraiment nécessaire que la mort du Christ a détruit ! O faute bienheureuse qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur !

322 « son esprit […] vint et dit : « J’ai béni le feu » puis il ajouta : « J’ai prié Dieu qu’Il vous donne repos et Il me l’a [110] accordé. Je vais vous guérir et me réunir à vous pour aller ensemble au repos de Dieu. » Elle lui dit, parlant en la personne de ses sens : « Je ne veux point d’autre esprit que le Fils de Dieu. Il m’a permis d’être mon esprit. »

323 Ps. 96, 2 : Son trône a pour appuis le justice et l’équité.

324 Je ne me changerai pas en toi, mais tu seras changé(e) en moi.

325 Le dimanche douze août 1646.

326 Exspiro, as, are,avi, atum : exhaler, mourir.

327 Mt 5, 8 & 6 : Bienheureux sont ceux qui ont le cœur pur : parce qu’ils verront Dieu & Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de la justice : car ils seront rassasiés.

328 Ps. 68, 10. Desportes, op. cit. p. 157 (11e quatrain).

329 Ps. 90, 13. Desportes, op. cit. p. 216.

330 Mt 5, 4 : Bienheureux les doux : car ils auront la terre en partage.

331 Mt 5, 5 : « Bienheureux sont ceux qui pleurent : car ils seront consolés », mais la fin du verset dit autre chose. Ps. 41, 8 déjà cité : abyssus ad : abyssum invocat, « les flot de l’abîme s’appellent l’un l’autre ».

332 Ps. 44, 8. Desportes, op. cit. p. 109.

333 Philippiens 2, 8 : Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix.

334 Ps. 71, 16. Desportes, op. cit. p. 168.

335 Participe passé de l’ancien verbe vertir, tourner, du latin vertere.

336 Du latin contumelia : honte.

337 Isaïe 63, 1 : Qui est celui-ci qui vient d’Edom, qui vient de Bosra, avec sa robe teinte de rouge, qui éclate dans la beauté de ses vêtements, et qui marche avec une force toute-puissante…

338 Répétition par erreur du numéro de folio « 135 ».

339 En 1614.

340 Cant. 1, 4.

341 J’entendais : Jean Eudes comprend que.

342 À ne pas confondre avec M. Potier (v. note attachée au livre 2, chapitre 2). Raoul Le Pileur (1652), ami fidèle de Jean Eudes, vicaire général à Coutances, deuxième directeur spirituel de Marie des Vallées.

343 Encastiller : enchâsser (mot d’artisan) (Trévoux).

344 Le 4 octobre.

345 « Voici que je fais toutes choses nouvelles » ; « La vérité du Seigneur demeure éternellement » ; « La volonté de Dieu fait tout ce qu’elle veut ».

346 Le pape Innocent X élu le 15 septembre 1644.

347 Ps. 84, 11-12 : Desportes, op. cit. p. 201.

348 Ps. 85, 11 : La bonté et la vérité s’y donnent rendez-vous, la justice et la paix s’y embrassent. (Traduction qui n’est pas indispensable puisque Desportes donne l’équivalent au-dessus de la sentence latine).

349 Ps. 72, 7 : En ses jours fleuriront la justice et une paix profonde, jusqu’à ce que la lune cesse de briller. Desportes, op. cit. p. 170.

350 Ps. 95, 13 : Il jugera le monde selon la justice et les peuples selon sa vérité.

351 Adaptation de Cant. 2, 5 « Soutenez-moi avec des fleurs, parce que je languis d’amour. » Jean Eudes met le singulier adaptant le verset à la sœur Marie.

352 En 1650.

353 Honteux.

354 Ps. 68, 2. Desportes, op. cit. p. 158.

355 Genèse 29, 17. « Ce lieu est redoutable, il n’est rien d’autre que la maison de Dieu et la porte du ciel. »

356 Les personnages sont nommés en marge.

357 Commentaires dorénavant mis en retrait.

358 Magnificat. Lc 1, 51 : Il est intervenu de toute la force de son bras.

359 Ps. 83, 1-2 : « Combien sont aimées tes demeures, Seigneur Tout-Puissant ! Je languis à rendre l’âme après les parvis du Seigneur. »

360 Changement de main : à partir du mot suivant l’écriture devient plus lisible.

361 Citation arrangée de Hébreux 10, 21 : Fidelis et verax est qui repromisit : il est fidèle et vrai celui qui a promis. Dans Regulae congregationis Jesu et Mariae (Œuvres complètes, t. IX, p.76).

362 Troisième main.

363 Jeanne de Jésus Séguier (1643-1668), plusieurs fois prieure du carmel de Pontoise.

364 Louis XIV naît en 1638. J. Eudes prêche la mission de Pontoise en mars-avril 1653.

365 Valence de Marillac (en religion Marie du Saint-Sacrement) meurt en 1642.

366 Coiffure paysanne qui couvre la nuque.

3671609 à 1614.

3681614 à 1623.

3691622 à 1634.

370 blessèrent.

371 Cant. 3, 2 : J’ai cherché celui que mon cœur aime et je ne l’ai pas trouvé.

372 Cant. 3, 3 : n’avez-vous pas vu celui qu’aime mon âme ?

373 Cant. 3, 1 : J’ai cherché celui qui aime mon âme et je ne l’ai pas trouvé.

374 Cant. 4, 8 : Venez du Liban, mon épouse, venez du Liban, venez, vous serez couronnée.

375 Traduction du Ps. 17 par Desportes, versets 36-37.

376 Comme s’il invitait à passer.

377 une petite touffe.

378 Ps. 106, 1-2 : « Louez le Seigneur toutes les Nations, louez-Le tous les peuples, parce que grande est Sa bonté pour nous, et que la vérité du Seigneur demeure à jamais. »

379 Cant. 4, 8.

380 Or sus : courage, exhortation à prendre courage.

381 Texte du manuscrit. Voir Desportes, « Hymne des saintes vierges et martyres, à l’imitation de Jesu corona virginum », op. cit. p. 358, qui présente quelques légères différences, parce que Jean Eudes adapte l’hymne de Desportes à la sœur Marie : du pluriel de l’original il passe au singulier, tout en gardant l’octosyllabe, ce qui l’oblige à des modifications mineures.


382 Sixième quatrain de la traduction par Desportes du Ps. VII.

383 Nous corrigeons le manuscrit, qui indique ici « 3 » au lieu de « 2 » ; de même pour la suite.

384 Ps. 39, 7-8. Desportes, 92.

385« Avec ire », avec colère. (Nicot, 1606).

386 Ps. 41, 8. Desportes, 99.

387 Ps. 87, 17-18. Desportes, 206.

388 Nous rétablissons entre crochets cette traduction du Ps. 119, 153-154 (Desportes, op. cit. p. 296), qui a été oubliée !

389 Ps. 124. Desportes, 304.

390 Ps. 145. Desportes, 340.

391 Mon époux est fidèle et vrai dans toutes ses promesses.

392 Ps. 91, 18. Il s’agit d’une invocation par Jean Eudes dans les litanies en l’honneur de la Sainte Trinité, quatrième partie du Manuel pour une communauté d’ecclésiastiques (voir Œuvres complètes, t. III, p. 408).

393 Ps. 90, 13, déjà cité supra ainsi que la phrase latine qui suit : Cupio dissolvi… (Philippiens 1, 23).

394 Lc 2, 29 (Cantique de Syméon) : Maintenant, Seigneur, tu peux rappeler ton serviteur.

395 Comme s’ils applaudissaient.

396 1er janvier 1645.

397 Couronne : petit chapelet dit en l’honneur de la Vierge.

398 Desportes, Ps. 44, 4e strophe.

399 Ps. 44, 2 : Mon cœur a produit une excellente parole.

400 Hymne de Laudes, pour la fête de la Pentecôte : « Bienheureuses joies pour nous… »

401 Prêtres et justiciés (que l’on rencontre plus loin).

402 En 1639.

403 Desportes, neuvième quatrain du Ps. 20.

404 Ps. 21, 28. « Tous les confins de la terre se convertiront au Seigneur. »

(Desportes, 46 : Les bouts de l’univers tous s’en ressouviendront,

Et se convertissant au Seigneur se rendront. »)

405 Ps. 129, 8. C’est par lui que de toute offense Israël sera racheté. »

406 Desportes, vingt-deuxième quatrain du Ps. 68.

407 Ps. 129, 7. Le Seigneur est plein de miséricorde, et on trouve en lui une rédemption abondante.

408 Ps. 116, 2. La vérité du Seigneur demeure éternellement.

409 Ps. 17, 38-39. Desportes, 35 :

Je poursuis mes haineux fuyant de place en place,

Léger je les atteins, et ne quitte ma chasse

Qu’ils ne soient déconfits, massacrés, traversés,

Les frappant sans bouger sous mes pieds renversés.

410 Ps. 21, 2 : Mon Dieu, mon Dieu, regarde-moi ; pourquoi m’as-tu abandonné ?

411 Ps. 50, 3 : Aie pitié de moi, mon Dieu, selon ta grande miséricorde. 

412 Ps. 116, 1 : Louez le Seigneur, tous les peuples.

413 Ps. 22, 1 : Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera.

414 Ps. 129, 8 : C’est lui qui délivrera Israël de toutes ses iniquités.

415 Ps. 41,8 ; déjà cité supra, La vague appelle la vague.

416 Ps. 7, 7. Desportes, 12.

417 « Des peuples te ceindra la grand troupe amassée

Monte donc sur le trône où ta gloire est haussée :

Le voilà qui les juge, ô Seigneur tout clément

Selon mon équité donne ton jugement. »

418 « Donne que des pervers la mauvaiseté périsse :

Mais l’âme non coupable et qui fuit l’injustice,

En toute sûreté plaise-toi l’adresser,

Dieu qui sonde les cœurs et le fonds du penser. »

419 Ps. 41, 2. Desportes, 96 :

Le cerf longtemps pourchassé

Fuyant pantois et lassé

Si fort les eaux ne désire,

Que mon cœur d’ennuis pressé,

Seigneur, après toi soupire. 


Mon âme, ô Dieu tout-puissant,

Se fond toute en languissant

Après toi, fontaine vive :

à ma soif toujours croissant

Toute demeure est tardive.


Hélas ! quand viendra le jour

Que la douceur d’un retour

M’offre cette impatience ?

Quand viendrais-je en ton séjour,

Quand serais-je en ta présence ?

420 Desportes, 296 (Ps. 118, 153-154).

421 Le jour de Pâques.

422 Lc 1, 51 (Magnificat).

423 Pouchette, mot du dialiecte régional : diminutif de poche ; on dit poche pour transporter des grains, pochette pour en marquer la contenance (Trevoux).

424 Escales : écailles, certaines croûtes dures : escales de noix, la coque ou peau de noix (Trévoux).

425 Trévoux : « cidre ». Quelqus-uns écrivent sidre, et même sildre.

426 Le mal de douze ans : « …elle arrive à un grand étang dont l’eau était pleine de serpents, mourons, crapauds et toutes sortes de bêtes venimeuses… » (V5.5).

427 En marge : « Ceci a été exécuté auparavant même la mort de la sœur Marie, qu’elle fût délivrée [211v] des malins esprits. Par ces sorciers on n’entend pas les magiciens mais d’autres grands pécheurs qui furent possédés et tourmentés par les démons pour les contraindre de se convertir. »

428 Échapper avec complément d’objet direct : éviter (sa froidure…).

429 Job 10, 22 : Cette terre de misère et de ténèbres, où habite l’ombre de la mort, où tout est sans ordre et dans une éternelle horreur.

430 Ps. 84, 11-12 : Desportes, 201 (déjà cité plus haut, Vie 4.10.8) :

La Bonté, qui sans fard en simplesse chemine,

Accourt devant la Foi sa compagne divine,

La Paix d’autre côté

Tient Justice embrassée, et la baise et la serre,

La blanche Vérité germera de la terre,

Et Justice du Ciel épandra sa clarté. 

431 Ps. 84, 9. Desportes, 201.

432 Un abcès.

433 Sainte Marie, mère de Dieu et vierge, à qui a été donné tout pouvoir dans le ciel et sur la terre, aidez-nous. Jean Eudes s’inspire très probablement de saint Bernardin de Sienne dans ses sermons sur l’Immaculée Conception. Cf. par ex. Œuvres complètes, t.XI, p.296-297.

434 Faufiler : mettre un faux fil pour préparer une couture.

435 Du verbe rager : ceux qui enragent. Forme correcte au XVIIème siècle.

436 Bonnet porté par les prêtres.

437 Sa louange.

438 Desportes, 168-169.

439 Ps. 71, 9. Desportes, 167.

440 Lc 1, 71 : Un salut qui nous libère de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent.

441 Mc 5, 12 : envoyez-nous dans (la suite du texte dit : « afin que nous entrions en eux ») ces pourceaux.

442 Grumes : grains.

443 Estriver : quereller, se choquer ou se battre de paroles (Trévoux). Parler normand.

444 De même Bertot : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. » (Directeur Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26).

445 Les livres qu’elle possédait. Voir Trévoux : « écrits, au pluriel, se dit des livres imprimés ou non imprimés ». Ne veut pas dire qu’elle a écrit. En revanche, elle a appris à lire à Coutances en 1612, notamment la Reigle de perfection parue en 1609. Elle possède les psaumes de Desportes..

446 Recevez notre prière. Gloria de la messe.

447 Qu’il soit fait comme il est demandé.

448 Bâton de longueur variable auquel on attache un cep de vigne.

449 Sag. 1, 7 : l’esprit du Seigneur remplit l’univers.

450 Jean de Gassion (1609-1647), calviniste passé du service de Gustave-Adolphe de Suède à celui de la couronne de France, colonel du régiment de Gassion. Surnommé « la Guerre » par Richelieu, qui le chargea de réprimer la révolte dite des va-nu-pieds en Normandie. Maréchal de France en 1643.

451 Ps. 144, 9 : ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres.

452 Ps. 44, 9. Desportes, 105 :

« La justice te plaît, tu détestes l’outrage :

C’est pourquoi Dieu, ton Dieu qui bénin t’avantage,

Sur tous tes compagnons, comme plus à ton gré,

T’a d’huile de liesse abondamment sacré. »

453 Marie.

454 Ps. 129, 7 : On trouve en lui une rédemption abondante.

455 Livre sixième, infra ? – On pense plutôt au Livre des noms divins de Léonard Lessius (1554-1623), abrégé du De perfectionibus moribusque divinis paru en 1620 à Anvers. – La suite du texte concerne aussi Lessius.

456 Erreur de pagination (reprise du même folio).

457 Lc 23, 46 : Père, en tes mains, je remets mon esprit.

458 Gentilité selon la norme actuelle.

459 Prière du chemin de croix, très connue : « Adorons le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Louons-le et exaltons-le dans les siècles. Gloire au Père… - Nous t’adorons, ô Christ, et nous te bénissons, parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde. Toi qui a souffert pour nous, bon Jésus, prends pitié de nous. »

460 Voir aussi chapitre 6 du livre 9, où il est indiqué que Le jardin des contemplatifs est le titre d’un traité de Thomas Deschamps, connu de Marie des Vallées. Sur cette auteur, voir notre introduction.

461 Doublier : grande nappe qu’on devait replier pour la mettre sur la table.

462 Ce qui borde une chose, ici bordure.

463 Devanteau : tablier (Trevoux).

464 Au XVIIe siècle on dit aussi bien chaire que chaise (encore au XXe siècle dans l’ouest de la France).

465 Pièces de métal jointes ensemble avec des charnières.

466 Il s’agit peut-être de conseils qu’elle fit écrire à tel ou tel.

467 Actes 5, 29.

468 Toute lâche, se sentant sans vigueur.

469 Basse : servante (terme normand). Grande basse : servante principale.

470 Débroussailler.

471 Escharter : nous unifions en essarter utilisé précédemment : arracher les bois, les racines… débroussailler.

472 Ecclésiastique 24, 31 : ceux qui m’annoncent auront la vie éternelle.

473 Joint que : outre que.

474 Improuver : désapprouver.

475 « Salutation au Très Saint Cœur de Jésus et de Marie », J. Eudes, Œuvres complètes, t. II, p. 365 [de préférence à la p. 268 ?].

476 « Salutation à la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu », Œuvres complètes t. II, p. 358-359.

477 « La Vierge à qui a été donné tout pouvoir au ciel et sur la terre », sermon 1 sur la nativité de la Vierge, cité par Jean Eudes à plusieurs reprises, notamment Manuel de prières pour une communauté ecclésiastique (édition de 1922, p. 41).

478 Se conjouir : se réjouir.

479 Mt 5, 11-12 : vous serez bienheureux, lors qu’à mon sujet on vous aura fait des affronts, on vous aura persécutés, on aura dit faussement toute sorte de mal contre vous. Vous devez vous en réjouir, et en être ravis de joie ; parce qu’une grande récompense vous attend dans le ciel. (Amelote)

480 Lc 1, 53 : Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

481 Ps. 68. Desportes, 157.

482 Cant. 3, 4 : Je l’ai saisi, et je ne l’ai pas lâché.

483 Lc 1, 48 (Magnificat) : le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses ; et son nom est saint. (Amelote).

484 Ps. 71, 19. Desportes, 169 :

« Soit béni éternellement

Le nom de sa gloire accompli

La terre universellement

Soit de ses louanges remplie… »

485 Ps. 90, 13. La Vie… a déjà cité ce verset, avec la paraphrase de Desportes (livre 4, chapitre 8, section 4).

486 Compagnon de M. Potier.

487 À l’instant.

488 L’une des deux paroisses de Coutances.

489 En 1639.

490 Seizième sizain du Ps. 34 selon Desportes.

491 Au sens étymologique : frappés par le tonnerre.

492 Ps. 86, 2-3 ; Ps. 44, 17-18 ; Ps. 17, 45. On a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu. Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui me connaîtront. Puissent vos enfants prendre la place de vos pères, et vous les établirez princes sur toute la terre. Un peuple que je n’avais point connu m’a été assujetti ; il a obéi aussitôt qu’il a entendu ma voix.

493 Ma sœur est toutee petite (Cant. 8, 8). Mon bien-aimé est frais et vermeil (Cant. 5, 10). Ouvre-moi ma sœur, mon épouse, ouvre-moi (d’après Cant. 5,2).

494 Nous n’avons pas trouvé la source de cette formule …expressive sous le climat normand.

495 Au sens de « s’en préoccupa ».

496 Dans la marge est cité le verset du Ps. 45 : Tu aimes la justice et tu détestes le mal, c’est pourquoi Dieu t’a sacré avec l’huile de l’allégresse, entre tes frères.

497 Ps. 90, 13, déjà cité à trois reprises.

498 Brouit : brûle.

499 Fredon : roulade dans un chant.

500 Dartres (maladies de la peau).

501 Sans savoir (Trévoux ; très courant au XVIIe siècle).

502 Pleins (ou plains) : cuves où l’on a fait éteindre de la chaux vive pour dépouiller les peaux – par extension, le liquide que contient ces cuves.

503 Les ordres religieux.

504 Le fol est changeant comme la lune (Siracide 27, 11).

505 émier : réduire en petits morceaux (Trévoux).

506 Desportes, Ps. 94, première strophe. S’éjouir à : trouver de l’agrément, du plaisir dans.

507 saint Méen.

508 À se garder de

509 Hypocras, hipocras ou hippocras : vin sucré où l’on a fait infuser de la canelle, du girofle…

510 Les CL Psaumes de David, Rouen, 1603. [ital, titre d’œuvre]

511 Ps. 61, 1. Desportes, 140.

512 Ce verset du Nouveau Testament (Philippiens 1, 23), comme précédemment le verset du Ps. 90, 13 (Super aspidem, etc.), est l’une des citations bibliques préférées de la Vie…

513 Les trois strophes, 30, 41, 40, sont tirées de Jesu dulcis memoria, attribué à saint Bernard (Catholicisme « Jesu », col. 731). - Hymne de l’Office du Saint Nom de Jésus à Vêpres, de cinquante strophes environ, qui date de la fin du XIIe siècle : Jubilus rythmicus, De nomine Jesu (P. L. CLXXXIV, 1317-1320). En marge de ce quatrain on lit l’annotation suivante : « Ce sont des souffrances. »

514 Hymne de la Pentecôte, à Laudes, 5e strophe.

515 Séquence au Saint Esprit le jour de la Pentecôte : « Consolateur souverain, Hôte très doux de nos cœurs, adoucissante fraîcheur. »

516 Cf. supra.

517 Benoît de Canfield, Reigle de perfection, contenant un bref et lucide abrégé de toute la vie spirituelle réduite à ce seul point de la volonté de Dieu…, Paris, 1609.

518 Sur Thomas Deschamps ( ?-1629), voir notre introduction.

519 Venez ici.

520 Cant. 2, 5 : Soutenez moi avec des fleurs, parce que je languis d’amour.

521 en 1642.

522 Vie 6.12.1 : « Le paradis terrestre qui est le Saint Sacrement de l’autel. » [la note n’ajoute pas grand chose au texte, la remplacer sur épreuves par une indication des pages dans votre édition ? Cela peut valoir ailleurs, il faudrait alors prévoir des notes avec p. xxx]

523 Action de proférer : énonciation, (sens conforme à l’étymologie latine).

524 Vener : faire courir une bête pour en attendrir la chair.

525 Dieu, dont le propre est d’avoir toujours pitié (oraison de la messe des morts).

526 Ps. 41. Nous avons donné supra les trois premiers couplets de la version de Desportes, 97 :

« Le cerf longtemps pourchassé

Foyant pantois et lassé

Si fort les eaux ne désire,

Que mon cœur d’ennuis pressé,

Seigneur, après toi soupire.

Mon âme ô Dieu tout-puissant,

Se fond toute en languissant

Après toi, fontaine vive :

A ma soif toujours croissant

Toute demeure est tardive. »

527 Ps. 68,10 : Le zèle de ta maison me dévore, les insultes de tes détracteurs sont retombées sur moi. 

528 Litanie du chemin de croix très connue : Adorons le Père et le Fils avec le Saint Esprit : louons-le et exaltons-le dans les siècles. Nous t’adorons, ô Christ, et nous te bénissons, parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde. Toi qui as souffert pour nous, Seigneur Jésus, prends pitié de nous.

529 Lc 1, 49 (Magnificat déjà rencontré : Vie, 7.6). – Et Hymne de la Pentecôte à laudes, 5e strophe, déjà cité.

530 Mathieu 7, 7 : « Demandez et vous recevrez, frappez et on vous ouvrira. »

531 Sanctus (reprise de Mt 21, 9).

532 Vraiment.

533 Cantique de la fin du XIIe siècle, utilisé à la fête du Saint Nom de Jésus, à vêpres, et cité plus haut (Vie 9.6.2) attribué à saint Bernard.

534 Adaptation de Cant. 2, 5 : Désormais je vois celui que j’ai cherché, je tiens celui que j’ai désiré. Je languis de l’amour de Jésus, et je brûle entièrement dans mon cœur. Soutiens-moi avec des fleurs, parce que je languis d’amour.

535 Dernier verset du Ps. 71 dans la version de Desportes.

536 Troisième occurrence de ce couplet du cantique pour la fête du Saint Nom de Jésus. Déjà rencontrée Vie 9.6.2.

537 Luc 1, 53.

538 Luc 1, 54 (Magnificat).

539 Luc 1, 54.

540 Ps. 62,3.

541 Job 10, 22 (Déjà rencontré : Vie 5.10.12) : Terre de misère et de ténèbres, où est assise l’ombre de la mort, terre de chaos, où l’horreur éternelle habite.

542 Lam. 4, 8.

543 méprisable (1re occurrence au f° 140).

544 Saline : cabane

545 Ps. 44, 14-15 : A l’intérieur elle est la beauté même, cette fille de roi, avec son vêtement de brocart d’or. On la mène au prince couverte d’étoffes aux multiples couleurs. Après elle, les vierges, ses compagnes, sont amenées vers toi.

546Le P. Jean-Baptiste Saint-Jure (1588-1657) prêche le Carême à Coutances en 1624.

547 Ps. 21, 7. Desportes, 48 : « Je ne suis pas un homme, ains un ver seulement. »

548 Cant. 4, 9 : Tu me ravis le cœur par une seule perle de ton collier.

549 Cant. 7, 1 : Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince !

550 I Pierre 5, 5 : Dieu s’oppose aux orgueilleux, mais aux humbles il accorde sa grâce.

551 Petites bêtes, insectes.

552 à la maraude : en volant ici et là.

553 Ps. 116, 1.

554 Cant. 4, 12 : …un jardin fermé et une fontaine scellée.

555 Saline : cabane. [le terme apparaît plus haut [f° 397].

556 1 Cor 6, 17 : Celui qui s’unit à Dieu est avec lui un seul esprit.

557 Points de suspension du manuscrit sur une ligne et demie (et il en est de même plus bas) : ce que nous signalons par quatre points « …. ». Le manuscrit de Québec omet des passages probablement secondaires.

558 Le Bény-Bocage, arrondissement de Vire et lieu de naissance de Renty. D’autres sources, et particulièrement le ms. Renty (voir bibliographie), permettent de reconstituer les événements auxquels il est fait allusion ici : M. de Juganville est guéri subitement d’une fracture de l’épaule provenue d’une chute de cheval ; au Bény, l’orage est soudainement arrêté.

559 Desportes, 48. Ce verset a déjà été cité au livre 4 chap. 8. « Malgré… Marris… » remplacent ici « Présens… Fachez… » de l’édition de 1603.

560 Nous ne donnons pas la suite – [434] Pensées sur les quatre chapitres de l’Apocalypse expliquées à la bonne âme ; [436v] Pensées sur quelques versets du Cantique des Cantique par Mr de Montagu, qui se terminent ainsi [448] : « Elle a souffert à la lettre tous les maux et tous les autres qui y sont désignés. Fin. »

561Texte établi sur le Manuscrit de la Bibliothèque d’État de Vienne, 6980 Hohendorff Q 33. Les quelques variantes venant du Manuscrit de Cherbourg 68, Abrégé de la vie et de l’état de Marie des Vallées, sont mentionnées en note.

562 En marge du départ du texte est écrit : « Copie page 1 de l’original ».

563 Ms. de Cherbourg porte « ne trouvaient ».

564 Pagination en annotation marginale sur la copie ; nous la plaçons donc approximativement (à quelques mots près et souvent en début de phrase).

565 Ms. de Cherbourg porte « dans le fond de son esprit ».

566 Ms. de Cherbourg porte « croire » à la place de « douter ».

567 La phrase entière : « le désir provenait... à Dieu » absente du ms. de Cherbourg.

568 Coton. Nous respectons ici comme dans ce qui suit la graphie.

569 Ms. de Cherbourg porte à la place : « Protestation I ».

570 Ce qui suit est absent de la « Protestation première » dans la version de la Vie.

571 Ms. de Cherbourg porte « excès du désir ».

572 Nous retenons la variante du ms. de Cherbourg ; le texte du ms. de Vienne porte « entre ».

573 Chiffre « 1 » ajouté selon ms. de Cherbourg ; manque dans le texte.

574 Cf. Ps. 87,17 ; Ps. 87,8 ; Lam 1,12. Ms. de Cherbourg porte transierunt, conturbaverunt ce qui est conforme à la Vulgate. – Ps 87,17 : Tes fureurs roulent au-dessus de ma tête ,je me sens broyé de tes épouvantes – Ps. 87, 8 : Ta fureur s’est appesantie sur ma tête, tu m’as étouffé sous tes flots – Lam 1,12 : Il m’a vendangé au jour de son ardente colère.

575 Cf. Ps 89,11.

576 Cf. 2 Co 5, 21.

577 Selon ms. de Cherbourg « de larmes de sang ».

578 Vienne porte « 1634 ». Cherbourg porte « 1653 ».

579 Correct au XVIIe siècle, cf. Trévoux : cesser.

580 Nous reprenons Cherbourg (Contemptibilia), qui corrige l’erreur de lecture de Vienne (Contemptilia).

581 Cf. 1 Co 1,28 ; Mt 11, 25-26 ; Ac 13,41. – 1 Co 1, 28 : Ce qui est méprisable, Dieu l’a choisi pour confondre les forts – Mt 11, 25-26 : Je te lour, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses aux sages et aux prudents […]

582 Méprisable (Trévoux).

583 Ajout d’après ms. de Cherbourg : « a été » manque dans le texte de Vienne.

584 Dans le texte de Vienne « comme » mais c’est parfois une abréviation pour « comment » ; « comment » dans le ms. de Cherbourg.

585 Addition selon ms. de Cherbourg : «, et de souffrir ».

586 Ms. de Cherbourg : « jamais me ».

587 Ms. de Cherbourg : « comme aussi pour en détruire ».

588 Cf. Mt 7, 17-18.

589 Ici, l’orthographe est correcte. [pourquoi cette note ? on a déjà rencontré ce nom, tel => la supprimer ?]

590 Cherbourg : « donné quelque occasion ».

591 Conduite (Trévoux).

592 Cf. Luc 24, 32.

593 Si est-ce que : néanmoins - Cherbourg porte : « Néanmoins il a coutume ».

594 Cherbourg porte : « et on lui met ».

595 Mt 7,7.

596 Manque « d’autres » dans le ms. de Cherbourg.

597 Joint que = outre que.

598 Lc 22, 53 : C’est votre heure, c’est le pouvoir des ténèbres.

599 Surius, Laurent Sauer, chartreux – Janu[ensis] : Antoine de Gênes, augustin.

600 Ms de Cherbourg porte « chasteté » qui doit être la bonne lecture.

601 « l’on » selon ms de Cherbourg ; ms de Vienne porte « Dieu », qui est une erreur de lecture.

602 Ms Cherbourg porte « possession ». Ms Vienne porte « passion » qui est une erreur de lecture.

603 Cf. 2 Co 3, 18.

604 2 P 1, 4.

605 Mt 6, 10.

606 Ga 2,20.

607 Ms. de Cherbourg porte « 1er livre ».


608 « Quarante », selon ms. de Cherbourg.

609 Thomas Cantipratensis (de Cantimpré), chanoine régulier de St-Augustin, puis dominicain à Louvain, auteur de vies de saints (1201-v.1263).

610 Jacques de Vitry, patriarche de Jérusalem (- v.1240).

611 Laurentius Surius (v. 1523-1578), De probatis Sanctorum historiis ab Al. Lipomano olim conscriptis nunc primum a Laur. Surio emendatis et auctis, 6 vol., Cologne 1570-1577.

612 Titre du ms. de Cherbourg : « En suite de cette échange la S[œur] M[arie] a été 33 ans ou environ sans pouvoir communier. »

613 « tenus », selon ms de Cherbourg ; absent du texte.

614 Cf. Ga 3, 13.

615 Le texte porte « que du depuis » (corrigé dans le ms. de Cherbourg).

616 Cf. 1 Co 4,4 : Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas cela qui me justifie.

617 Dans le ms. de Vienne, « s’il veut » vient après la citation et suivi d’une virgule. Nous suivons le ms. de Cherbourg.

618 Le Moine, celui qu’attaque Arnauld (et Pascal dans la 1re des Provinciales) dans son Apologie pour les saints Pères (1651), qui livre VIII ch.X donne exactement cette citation, avec la même référence (merci Google Books) : « Que les justes peuvent, abolument parlant, éviter tous les péchés, tant mortels que véniels… » Voir le Jansénisme de Cognet, p.55-56 : il s’agit d’Alphonse Le Moyne, professeur de Sorbonne, protégé de Richelieu et chargé par lui de réfuter Jansénius, mais qui ne publia qu’assez tard, en 1647 et 1650 (De Dono orandi). Une telle citation semble donc un indice parmi d’autres de l’antijansénisme de Jean Eudes… Arnauld donne cette thèse comme condamnée par le concile de Trente.] Alphonse Le Moyne (1590-1659), docteur en Sorbonne, auteur d’une Disputatio de dono orandi (1650) et adversaire du janséniste La Lane.

619 Cf. Col 1, 24.

620 Ez 4, 4-5.

621 Cf. 1 S 2, 6 : Il fait descendre aux enfers, et en remonter.

622 Cf. Lam 2,13.

623 « Votre affliction est grande comme la mer » d’après le ms. de Cherbourg qui ne fait que traduire le passage.

624 Cf. Ex 32, 32.

625 En fait il s’agit de Rm 9, 3. « Romains 8 » est une note en marge du ms. de Vienne.

626 Jacobon, c’est-à-dire Jacopone da Todi (v. 1230-1306), membre du tiers-ordre franciscain. Blanc dans le texte à la place de « François » dans le ms. de Vienne ; « St Franc. » dans le ms. de Cherbourg.

627 Ces Conseils… au titre repris ici, précédé de l’indication « ADDITION », figurent à la fin du tome II du Directeur mystique, publié près d’Amsterdam en 1726 par le cercle de Pierre Poiret, p. 407 et suiv. On indique entre crochets les folios de cette édition. Les quatre tomes du Directeur mystique sont consacrés à l’édition de l’œuvre de Jacques Bertot, disciple de Jean de Bernières, à quelques très rares exceptions près : cette Addition, 21 lettres de Maur de l’Enfant-Jésus (qui fut en rapport direct avec Madame Guyon), 21 lettres de Madame Guyon (elles concluent le tome IV et dernier, afin de faire apparaître Madame Guyon comme succédant à Monsieur Bertot dans la voie mystique). Ceci souligne l’importance exceptionnelle de Marie des Vallées aux yeux des maîtres successifs du cercle mystique normand.

628 Sous-titre de l’éd. Poiret. Il est précédé du paragraphe suivant : « Ces Conseils ont été donnés apparemment à Mr. de Bernières, (Voyez dans ses Œuvres spirituelles, II. Partie, Lettres XXX, Pour la vie Unitive,) ou à Mr. Bertot, (Voyez ci-dessus lettre XL, §2, et lettre LXIV, §6) ou à quelqu’un de leurs amis, qui avaient tous une grande estime pour cette fille, et l’allaient voir ordinairement une fois par an. » Une longue note attachée au titre livre quelques indications sur la servante de Dieu, extraites d’un Recueil curieux d’un grand nombre d’actions édifiantes..., rédigé par un chanoine de Liège, imprimé en cette même ville en 1696 : « C’était une pauvre fille païsane en Normandie, exercée au-dedans et au dehors par de grandes croix [suivent des indications sur « l’excès de charité » consistant à porter la peine de filles possédées, etc. ] […] M. de Renti […] fit un voyage de Paris en Normandie pour ce sujet […] Boudon Archidiacre d’Evreux, qui l’avait aussi visitée… » Dans la lettre signalée ci-dessus de Bernières à Bertot (voir au tome II de ses Œuvres spirituelles, Lettre 30 : à son ami intime, des opérations de Dieu en l’âme. Monsieur, Dieu seul, et rien plus…), il n’est pas fait allusion à Marie de Vallées mais le contenu est proche de celui des Conseils… Quant aux deux lettres de Bertot, voir notre choix de textes Jacques Bertot Directeur mystique, Toulouse, éd. du Carmel, 2005 – Lettre 2.40, §2 : « Soyez cruelle à vous-même, et j’espère de la bonté divine que jamais nous ne nous verrons sans un renouvellement spécial tant en vous qu’en N. car ne terminant point ce torrent impétueux des grâces divines que je vois venir sur vous autres, elles porteront grand effet pourvu que vos coeurs soit des vallées. Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme [sœur Marie des Vallées] très unie à Sa divine Majesté, savoir que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. Heureuses et mille fois heureuses les âmes quand elles ont rencontré le trésor infini de la vérité, car elles sont en voie pour trouver les trésors des grâces infinies de Sa divine Majesté. Aimez donc en cette manière et ne cessez point d’aimer car jamais Dieu ne cessera de correspondre. Servez-vous de ce que votre chère âme expérimente pour voir la vérité de ce que je vous dis. » Lettre 2.64, §6 : « Quand une fois l’âme a trouvé le sentier de la divine Justice, elle ne marche plus, mais elle vole. Et sur ce sujet il faut que je vous dise ce que Dieu fit connaître à une personne qui est morte à présent, qui était un miracle de grâce, et qui avait pour partage la divine Justice dans un très grand degré de pureté dont les effets ont été surprenants en elle. Elle me disait que la Miséricorde allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent, mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un point si vite que c’est plutôt voler. »

629 Il faut être toujours en garde contre… (Trévoux, qui donne comme exemple : « Il faut se donner de garde des surprises des chicaneurs »).

630 Crochets de l’édition Poiret.

631 Note dans l’édition Poiret : Je dors et mon cœur veille, Cant. 5, 2.

632 M. de Noailles ?

633 Accord pluriel avec « mon état précédent … et les autres choses qui accompagnent tels états ».

634 Communication mystique.

635 M. de Bernières et Madame de Noailles.

636 La Vie admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, collection Sources mystiques, Centre Saint-Jean-dela-Croix, avril 2013.

637 Signalons la parution très prochaine de « Rencontres autour de Jean de Bernières » rassemblant dix contributeurs qui éclairent le milieu au sein duquel vécut Marie des Vallées, aux éditions Parole et Silence ; ainsi que l’achèvement prochain du tome II des Oeuvres du même Bernières assemblant chronologiquement sa correspondance (par dom Eric de Reviers, bénédictin qui participa à la rencontre de Caen en 2009).



  1. Publié dans “Vie Eudiste Un e fidélité créatrice, Marie des Vallées Colloque du 1° Juin 2013, Hors-série” [Actes du colloque […] réunis par le P. Daniel Doré, cjm],, 39-48.

638 Vie, Livre 9, Chap. 6, section 2 « Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet ».

639 Vie, Livre 8, Chap. 8 « Contre la gourmandise… »

640 En 1919, ses restes furent exhumés et inhumés dans la cathédrale de Coutances, près de l’autel de Notre-Dame du Puits.

641 Notre édition de la Vie.

642 Communication mystique.

643 “Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées”, notre édition de la Vie. Les numéros sont ceux des paragraphes de l’édition originale du Directeur mystique.

644 Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance, t. II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, p. 103).

645 Références des diverses éditions du Pasteur Poiret par M. Chevallier et nos éditions des œuvres de madame Guyon, Paris, Champion, 2001-2009. – Nous venons de citer trois extraits supra de ces Conseils.

646 Émile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, Plon-Nourry, 1926.

647 Julien Green, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 20.

648 Julien Green se réfère à la Vie, “Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession”, Chapitre 2. “L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc.” . Section 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison. Voici le dialogue plus complet auquel se réfère Julien Green :

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place que feriez-vous ?

“– Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.

“– Mais si l’adorable volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?

“– Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.

“– Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?

“– Je vous assure que oui.

“– Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ? – Oui, je vous y laisserais!

649 J.-J. Surin, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.

650 L’analyse comparée de deux figures si différentes (Surin et Marie des Vallées : homme et femme, intellectuel et servante), atteints de la folie de leur époque – on aurait brûlé en Europe sorcières et sorciers par milliers en quelques dizaines d’années –, devrait permettre de trier d’une manière sûre le grain spirituel de l’ivraie psychologique en analysant deux cas au lieu d’un seul (car Michel de Certeau généralise le cas posé par Surin dans sa période malheureuse à l’interprétation de la mystique dans son ensemble, comme auparavant Pierre Janet étendait ses concepts de psychologie religieuse exposés dans De l’Angoisse à l’Extase à partir de l’observation de la seule Madeleine de la Salpêtrière). M des V constitue la meilleure source féminine alternative contemporaine du jésuite Surin.

651 Livre 4. Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage. Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.

652 Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’œuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.

653 Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps. Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.

654 Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte. Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.

655 - Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession. Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc. Section 4. Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle. - De même Bertot : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. » (Directeur Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26)

656 Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.

657 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

658 Livre 9. Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.

659 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

660 Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.

661 Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés. Section 4. Plusieurs motifs d’humilité. Le portrait de la vraie et parfaite humilité.

662 Livre 10. Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification. Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.


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